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COLLECTION
INTÉGRALE ET UNIVERSELLE
DES
ORATEURS SACRÉS
DU PREMIER ORDRE
SAVOIR : BOURDALOUE, BOSSUET *, FÉNELON ', MASSILLON ';
COLLECTION ÉGALEMENT INTÉGRALE ET UNIVERSELLE
DES ORATEURS SACRÉS DU SECOND ORDRE ,
SAVOIR : DE LINGENDES, LEJEUNE, JOLY, DE LA COLOMBIÈRE, CHEMINAIS, GIROUST , D'ARGKNTRÉ,
D'ORLÉANS, MASCARON, BOILEAU ", ANSELME *, FLÉCHIER ', RICHARD ( l'aVOCAT ),
LAROCHE, HUBERT, MABOUL, HONORÉ GAILLARD, LES DEUX TERRASSON, DE LA RUE, DU
NESMOND', MATTH. PONCET DE LA RIVIÈRE, DU JARRY, DE LA BOISSIÈRE, DE LA
PARISIÈRE, J.-B. MOLINIER, SOANEN, BRETONNEAU, PALLU, DUFAY, MONGIN-, BALLET,
SÉGAUD, SURIAN", SENSARIC, CICÉRI *, SÉGUY", PÉRUSSEAU,TRUHLET' , PGItKIN,
DE LA TOUR DU PIN, LAFITAU, d'aLÈGRE, CLÉMENT, CLAUDE DE NEUVILLE, DOM
VINCENT, DE LA BERTHONIE, GRIFFET, COUTURIER, LE CHAPELAIN, POULLlî,
CAMIJACÉRÈS, ÉL1ZÉE, GÉRY, BEURRIER, DE BOISMONT', MAROLLES, MAURY';
ENFIN COLLF.CTION INTÉGRALE, OU CHOISIE,
DE LA PLUPART DES ORATEURS SACRÉS DU TROISIEME OI1DRE ,
AVO'R .CAMUS, COTON, CAUSSIN, GODEAU, E. MOLINIER, CASTILLON. DE BOl'RZEIS*, BIRfUT, TEXIER, NICOLAS 1>R DIJON,
M'.NAULT, FISANÇnl^ DE TOULOUSE, TREUVÉ, G. DE SAINT-MARTIN, BRETTEV1LLE , IIOIJDRY, DE FROMENT1ÈRES ,
DE LA CHAMBRE*, MAIMBOURG, SIMON DE LA VIERGE, LE ROUX, MASSON, AUGUSTIN DE NAUBOnNE LA FESSE,
CHAUCIIEMER, DE LA VOLPILIÈRE , BERTAL , DAMASCÈNE , SÉRAPHIN, QUIQUERAN DE BEAI JEU,
DE LA CIIÉTARDIE, CIIAMPIGVÏ, LORIOT, JÉRÔME DE PARIS (GEiFFRIN), RENAUD, BÉGAULT, BOURRÉE,
HERMANT, MICHEL PONCET DE LA RIVIÈRE, CHARAUD , DANIEL DE PARIS, INGOULT. P01SS-O.N ,
PACAUD , PRÉVÔT, DE LATOUR, DE TRACY, TRADAL, DU TIIELL, AS ELIN, COLLET,
JARD, CH. DE NEUVILLE, PAPILLON, GIRARDOT, RICHARD (l'aBBÉ), GEOFFROY, BAUDRAND,
de l'écluse des loges, foisard, talbert, barutel , torné ,
fauchet, feller, roquelaure ', v1lled1eu, asel1ne,
( les orateurs marqués d'une * étaient membi1es de l academie, )
et ugaucoup d'autres orateurs, tant anciens que contemporains, du second comme du troi-iève ordus,
dont les noms ne pourront être fixés que postérieurement ,"
PUBLIÉE, SELON L'ORDRE CHRONOLOGIE L E ,
AFIN DE PRÉSENTER, COMME SOUS UN COUP D'OEIL, L'HISTOIRE DE LA PRÉDICATION EN FRANCE , PENDANT
7110IS SIÈCLES, AVEC SES COMMENCEMENTS, SES PROGRÈS, SON APOGÉE, SA DÉCADENCE ET SA RENAISSANCE ;
PAR M. L'ABBE M IGNE ,
ÉDITEUR DES COURS COMPLETS SOn CHAQUE BRANCHE DE LA SCIENCK IlELIGIEUSE.
60 VOL. IN-k°. PRIX : 5 FR. LE VOL. POUR LE SOUSCRIPTEUR A LA COLLECTION ENTIÈRE ;
G FR. POUR LE SOUSCRIPTEUR A TEL OU TEL ORATEUR EN PARTICULIER.
TOME TRENTIEME,
CONTENANT LES ((LIVRES CHOISIES DE DÉCAULT, ET LES OEUVRES ORATOIRES COMPLET).
DE DOM JEROME (GEOFFRJN), DE NESMOND ET DE PONCET DE LA RIVIERE (Matthias).
CHEZ L'EDITEUR,
AUX ATELIERS CATHOLIQUES DU PEUT MONTROIGE ,
BARRIÈRE DENFER DIS PARIS.
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4^ x£^~.
pftf.'
SOMMAIRE
DES MATIÈRES RENFERMÉES DANS LE TRENTIÈME VOLUME.
BÉGAUL1
Notice sur Bégault Col. 9-10
Panégyriques choisis 9-G8
Sermons cl Discours choisis 08-128
DOM JÉRÔME (GEOFFRIN)
Notice sur Dom Jérôme 127-128
Avent 127-280
Carême 280-710
Sermons divers 710-787
Sermons pour diverses fêtes de saints patrons 787-808
Discours pour une retraite de huit jours 808-915
Sermon pour la solennité des saints de l'ordre 915-923
Professions religieuses 923-9i5
Sentiments de pénitence pour un mourant 9i5-9i8
DE NESMOND.
Notice sur de Nesmond 9V7-918
Sermons, Discours, Harangues , etc 9i9-109i
PONCET DE LA RIV1ÈUE.
Notice sur Poncet de la Rivière 1093-1094
Oraisons funèbres 1095-1200
Sermon pour la prise d'habit de Madame Louise-Marie de France 1199-1210
6X
17 Où
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fi >llf
\l.50
Paris.— Imprimerie de Yiuyet de Sobct, rue île Serre», S{
NOTICE SUR BEGAULT.
Bégault (Gilles), chanoine et archidiacre
de Nîmes, né en 1660, s'acquit dans la pré-
dication une renommée que justifient les œu-
vres oratoires qu'il a livrées au public. For-
mé à l'éloquence de la chaire sous les yeux
et par les leçons de Fléchier, dontil partagea
les travaux pendant les vingt-trois années
qu'il eut, dit-il, l'honneur de demeurer avec
lui, il se glorifie d'être l'humble disciple d'un
si grand maître. Aussi retrouve-l-on dans
son style la manière et l'éloculion du célèbre
évêque de Nîmes. L'abbé Bégault remplit
arec distinction le ministère de la prédica-
tion dans les chaires de Paris et de Montpel-
lier. Il fut reçu, en 1688, à l'Académie de Nî-
mes. Choisi, en 1692, pour aller remercier
l'Académie française de l'association qu'elle
avait accordée à celle de Nîmes, il prononça
à celte occasion un discours dans lequel il
rendit aux taleuts de Fléchier un hommage
d'enthousiasme que rendait respectable l'ad-
miration qu'il avait vouée à cet illustre ora-
teur. En 1695, il prononça à Saint-Germain
le panégyrique de saint Louis, en présence
du roi et de la reine d'Angleterre, auxquels
il sut présenter avec convenance et dignité,
dans le tableau des épreuves qu'eut à subir
lé saint roi captif chez les infidèles, des en-
seignements et des consolations que la reli-
gion seule peut offrir au milieu des plus
grandes infortunes. Bégault a publié cinq
volumes de Panégyriques , Sermons, Dis-
cours, etc.; Paris, in-12 : les deux premiers
volumes en 1711, le troisième en 1717, le
quatrième et le cinquième en 1723. Nous re-
produisons, parmi ces discours, ceux qui
nous ont paru supérieurs aux autres, et qui
ont obtenu le plus de succès.
On ignore l'époque précise de la mort de
Bégault : on peut présumer qu'elle suivit de
près la publication du dernier volume de ses
œuvres.
PANEGYRIQUES,
SERMONS ET DISCOURS
CHOISIS
DE BÉGAULT.
PANÉGYRIQUE
DE SAINT LOUIS , ROI DE FRANCE,
Prononcé à Saint-Germain-en-Laye, dans
la chapelle du Château, en présence du
roi et de la reine d'Angleterre , le 25 août
1695.
Sit Dominus Deus tuus benedictus cui complacnisli , et
posuit te super ihronum Israël, eoquod dilexerit Dominus
Israël in sempiternum; et consliluit te regem, ut faceres
judicium et ju'tiliaiti.
Béni soit le Seigneur voire Dieu, qui a mis son affection
en vous, qui vous a fuit asseoir sur le trône d'Israël, parce
qu'il a aimé Israël pour jamais, et qu'il vous a établi roi
pour réqncr avec équité et pour rendre la justice (III Reg.,
X , J).
Sire,
Après que la reine de Saba eut admiré la
grandeur, la magnificence, la sagesse et les
vertus de Salomon ; après qu'elle eut publié
si hautement le bonheur des peuples qui vi-
vaient sous les lois d'un prince si bon, si
juste, si religieux, elle s'écria avec admira-
tion : Béni soit le Seigneur votre Dieu, gui
a mis son affection en vous, gui vous a /dit
utscoir sur le trône d'Israël, parce qu'il « aimé
Orateurs sacrés. XXX.
Israël pour jamais, et qu'il vous a établi roi
pour régner avec équité et pour rendre la
justice.
J'emprunte aujourd'hui, Messieurs, ces
paroles de la bouche de cette reine pour
faire l'éloge d'un roi que Dieu fit asseoir sur
le trône de la France pour la gloire et pour
le bonheur des Français, qu'il regarde comme
son peuple choisi ; d'un roi dont l'esprit fut
si pénétré des ventes éternelles, le cœur si
dégagé des affections de la terre ; dont le
courage fut si ferme pour soutenir la gloire
de Dieu, le zèle si ardent pour défendre les
intérêts de la religion, la piété si sincère, la
juslice si inviolable, la tempérance si aus-
tère ; dont toutes les verlus furent si solides
et si parfaites ; d'un roi dont le règne, comme
celui de Salomon , fut un règne de sagesse,
de piété, de justice, et qui, plus que Salo-
mon, soutint par une constante vertu, pen-
dant toute sa vie, les exemples de religion et
de sainteté qu'il avait donnés dès le com-
mencement de son règne.
Si j'avais à faire un éloge profane de quel-
que prince du siècle, je rapporterais ici, à la
1
H
gloire de sainl Louis, lout ce que la nais-
sance a d'auguste , (oui ce que la gloire du
inonde a de grand et d'héroïque , et lout ce
que la magnificence des rois renferme de
plus éclatant. Mais il faul nous élever au-
dessus de toutes les grandeurs et de toutes
lr> félicités Iium aines , cl chercher danstinc
plus nohle. source le fond d'un éloge qui
remplisse* s'il est possible, la haute idée q ie
nous avons de la verlu d'un des plus tamis
et des plus religieux princes du monde.
Comme la condition des rois tes élève
heaucoup au-dessus des autres hommes. < lie
leur impose aussi de plus grands devoirs, cl
les engage à une verlu bien plus étendue.
Ce n'est pas a-sez pour eux de travailler à
leur sanctification particulière, ils sonl en-
core chargés du soin des peuples qui leur
sont soumis ; et comme lieu les a éta-
blis pour êlre les dépositaires de sa puis-
sance, ils sont obligés de l'employer à sou-
tenir ses intérêts et ceux de son Église.
De là naissent trois devoirs indispensa-
bles : l'un regarde la personne des rois ;
l'autre regarde les peuples à la conduite
desquels ils sont préposés, et l'autre enfin
regarde Dieu et la religion. Les rois, par
rapport à eux-mêmes, doivent travailler à
leur propre sanctification ; par rapport aux
peuples sur la CGnduile desquels ils sont
établis, ils doivent employer lous leurs soins
à lei rendre heureux ; et par rapport à
Dieu et à l'Eglise, ils doivent soutenir avec
zèle la gloire de Dieu cl les intérêts de la re-
ligion. Trois obligations essentielles, dont
saint Louis s'est acquitté avec une exacte
fidélité, comme nous Talions voir dans les
trois parties de ce discours.
Pour entreprendre l'éloge de ce grand
saint, cl pour profiler des exemples d'une
-vie si pure et si parfaite, nous avon- hesoin
des lumières du ciel ; demandons-les au
Saint-Esprit par l'inlercession de Marie.
A vr, Maria.
PRFMIEN POINT.
La sanctification des princes et des puis-
sances de la terre a toujours été regardée
courue le chef-d'ernvre et le miracle de la
grâce. Qu'il est difficile d'aliter ensemble la
majesté du troue et la sainteté de l'Evangile !
soit parce que dans les principes du christia-
nisme il semble qu'une malédiction secrète
soil attachée à lout ce qui fait, selon le
monde, la félicilé des grands : Quod komi-
nibus altum esl, abominatio est a le Dcum
(Luc, XVI, 15) ; soit parce que la gloire, les
honneurs, les richesses, l'abondance , les
plaisirs, la mollesse, la volupté, qui sont
presque inséparables de la grandeur, sont
autant d'obstacles à la sainteté el à la vertu.
Grâces à Jésus-Christ, le roi dont nous
honorons la mémoire sul mettre lout à pro-
fil pour le salut, et par une constante fidé-
lité à la grâce puissante qui le préserva de
la corruption du siècle, il se sanctifia par le
bon usage de tout ce qui d'ordinaire est la
source el le principe de ka perle des autres
C rinces. Dieu le prévint dès son enfance de
éuédiclious avancées. Il lui donna, comme
ORATEURS SACRES BEGAl LT. 11
i on . n m it lagfe 1 1 docile aux ins-
pii ati mis du ciel. Il reçut comme par sort
<<t heureux naturel dont parle le Sage (Sap.,
VIII, 19; : d'abord on vit croître en lui
de riches habilud s, qui le portèrent au bien
aussitôt qu'il fui en état de le (Onnaître. Il
semblait ijue les vertus Chrétiennes fus-
sent nées av ee. lui. Il eul toate l'innocence du
premier âg • , suis en avoir les faiblesses.
A c s heureuses dispositions pourla verlu,
joignons cette sainte- éducation que lui
donne une sage el religieuse mère. Avec
quel soin s'appliqua-l-ellc à jeter dans son
c(i;ur, des ses plus tendres années, de pré-
cieuses semences de sagesse, de piété, de re-
ligion ; a lui inspirer les plus saintes maxi-
mes de la loi évangélique ; à lui faire crain-
dre avec mille fois plus d'horreur le péché
mortel, que la perte de sa couro ne et que
la morl même ; à le préserver de ces dan;: -
reuses passions qui sont comme le e ueils
funestes où l'ardeur de l'âge, la I ;cen ■
siècle, la. corruption de la nature et les
mauvais exemples i ntrainent d'ordinaire les
jeunes princes !
Qu'est-ce qu'on a coutume de leur inspirer
presque dès le berceau? L'orgueil, 1 ambi-
tion, une superbe fierté. Un nourrit ass /
souvent dans leur cœur ces grands passions
par lout ce qui peul les Daller : ou ne les
entretient d'ordinaire que de leur grandeur ;
on ne leur parle que de soutenir par la p >li-
lique, par la magnificence et par la terreur
des armes, la gloire cl les espérances d'un
grand royaume. Mais les premiers soins de
Blanche sonl de travailler, comme de con-
cert avec la grâce, a former ce jeu. c prince
sur les maximes les ph.s pures du christia-
nisme ; d'élever par la religion son esprit el
son coeur au-dessus du Irone où il doit être
placé ; de lui donner du mépris pour les
grandeurs humaines, de l'amour pour ses
peuples et une crainte salutaire des juge-
ments de Dieu; plus soigneuse d'en faire un
saint, par les exemples de vertu qu'elle lui
propose, qu'attentive à en faire un héros, par
les grande senlim.nls qu'elle lui inspire.
Sur ces beaux principes que sa ni Louis
recueillait avec soin dans son coeur, il pra-
tiqua toutes les vertus dont il donna des
exemples si éclatants pendant toute *a \ie.
Il apprit dès son enfance à craindre Dieu el
à l'aimer: à lui rendre par reconnaissance
ce qu'il tenait de sa boute: à s Soumettre a
lui par une foi humble, simple et docile.
Avec quelle modestie meprisa-t-il toujours
le faste et les honneurs du siècle ! Il portail
sur son froul auguste la majesté des rois
dont il lirait son origine, et conservait dans
son cœur l'humilité de Jésus-Christ. Au de-
hors, un des plus grands princes du monde;
au dedans, un humble serviteur de lésu%-
Cluist. Suivant le précepte du Sage, p
i rand devant les homme-, el plus il s'.i-
baisse devant Dieu.
La 11 literie osa-t-elle jamais approcher de
lui pour lui donner une fausse gloire, lui
qui refusa toujours la véritable? Se laissa-
13
PANEGYRIQUE DE SAINT
(-il jamais éblouir par l'éclat de sa dignité
royale, lui qui fit toujours un noble sacrifice
à la religion de tout ce que le diadème a de
plus pompeux et de plus éclatant? Les rois
et les conquérants portent le nom des em-
pires qu'ils possèdent : saint Louis veut por-
ter le nom du règne de Dieu, qui est au
dedans de lui-même. Il efface, pour ainsi
dire, les titres magnifiques de sa naissance
selon le monde, pour s'illustrer par les titres
glorieux de sa naissance selon l'esprit, qu'il
a reçue par le baptême. 11 méprise cet amas
de gloire que renferme la royauté, et, comp-
tant pour rien l'auguste qualité de roi, qui
fait le plus grand objet de l'ambition des
hommes, il ne prend que celle de chrétien et
le nom du iieu où il a reçu la foi et le carac-
tère d'enfant de Dieu (1).
Combien de fois se dépouilla-til aux yeUx
de D'eu do cotte gloire importune qui l'envi-
ronnait ! Combien de fois racha-l-il 1 • mo-
narque sous le chrétien ! Combien do fois
bumilia-t-J sa grandeur par des abaisse-
ments volontaires! Combien de fois, se déro-
bant, pour ainsi dire, à sa dignité, sejeta-
t-il aux pieds des pauvres pour leur rendre
les offices les plus humiliants ! Le vit-on ja-
mais marcher avec faste et avec orgueil? Le
vil-on d'un sourcil superbe regarder avec
mépris ceux qui furent soumis à sa puis-
sance ? Le vit-on se plaire à étaler aux yeux
du monde sa pompe et sa magnificence, ou à
f:ire une vaine montre île ses richesses et
de sa gloire? Ainsi, humble sans bassesse,
modeste sans contrainte, religieux sans su-
perstition, dévot sans hypocrisie, dou^ sans
faiblesse, fe;me sans du: été, généreux sans
fierté, il eut toutes les vertus sans en avoir
ni les défauts ni les excès qui en font perdre
le fruit et le mérite.
Loin d'ici ces fausses idées formées par la
chair et le sang, que les rois sont élevés sur
le trône pour servir à leurs peuples d'un
spectacle de grandeur. Loin d'ici ces faux
politiques qui ne mettent au nombre des
vertus des princes que des actions éclatantes,
et qui croient que la modestie, la simplicité,
la pauvreté et l'humilité sont indignes de la
majesté royale. Noire saint roi, éclairé de
plus pures lumières, met toute sa gloire à
se rendre conforme à Jésus-Christ pauvre,
humble et anéanti.
Enfants des hommes, vous qui aimez avec
tant de passion la vanité et le mensonge,
VOU9 qui, sur des litres imaginaires dont
vous êtes éblouis, voui élevez au-dessus des
autres, qui méprisez vos Inférieurs, qui ne
pouvez souffrir vos égaux, qui regardez avec
envie et avec chagrin ceux que le mérite ou
la fortune a mis au-dessus de vous, instrui-
sez-vous par les exemples d'un grand roi ;
apprenez de lui à pratiquer ce vertus chré-
tiennes qui sont le fond nient delà perlcc-
lion. Ainsi s'élevait saint Louis, par l'exer-
cice de toutes les vertus, à une sublime
sainteté.
Avec quel soin ne conserva-l-il pas son
Ct) On sait que, par un Sentiment d'humilité, Cfl ?;rnn
LOUIS, ROI DE FRANCE. 14
innocence au milieu de la corruption du siè-
cle et parmi les tentations de la cour ! On
peut dire que la cour est une mer orageuse
où l'on fait mille naufrages, et où l'on ne se
sauve que par miracle. C'est un écueil où
l'on se perd soi-même et où l'on tâche de
perdre les autres. C'est une région conta-
gieuse où mille objets dangereux flattent les
désirs du cœur, entretiennent la mollesse,
irritent la convoitise ; où règne d'ordinaire
le vice avec plus d'audace, et où la vertu ti-
mide n'ose presque se produire. C'est là où
se réunit tout l'esprit du siècle ; c'est là où
ces grands spectacles qui enchantent les
sens ôtent souvent à l'âme tout sentiment de
piété et de religion; c'est là où la figure
éclatante du monde nous charme et nous
éblouit en passant ; c'est là où les impres-
sions fatales des plaisirs allument les pas-
sions, favorisent la concupiscence, nour-
rissent la volupté, et portent, comme par
une malheureuse nécessité, au mépris des
lois les plus sacrées.
Qu'il est difficile de conserver la grâce
dans un lieu où le plus vertueux est celui
qui sait mieux l'art de cacher ses crimes
sous le raffinement d'une délicate hypocri-
sie; où le plaisir est d'autant plus dangereux
qu'il est plus spirituel; où souvent la mau-
vaise coutume sert de loi; où, par un corn-
n>erce contagieux, on se communique mu-
tuellement ses vices; où Ton apprend le mal
en le voyant faire ; où, si quelquefois on ne
se perd pas, on est du moins presque tou-
jours en danger de se perdre ! Mais qu'il est
encore bien plus dangereux de se corrom-
pre lorsque les passions sont jointes à un
pouvoir absolu de tout faire 1
Les grands du monde croient assez sou-
vent qu ils sont au-dessus des lois, et que
leur condition est indépendante de toutes les
règles. Ils ont une apologie toute prête pour
leurs péchés. Ils s'imaginent que le privi-
lège de leur dignité est de satisfaire tous les
désirs de leur cœur, de jouir tranquillement
de tout ce qui les flatte et qui peut contri-
buer à leurs plaisirs. Ils n'ont d'ordinaire que
leur volonté pour toute justice; ils croient
que tout leur est permis, parce que pour eux
tout est impuni. La flatterie colore leurs
vices, l'autorité les soutient, la complai-
sance les excuse, quelquefois les embellit, et
souvent même les fait passer pour des ver-
tus. 11 n'appartient qu'à vous, ô mon Dieu I
d'imprimer dans l'âme de ceux que vous
avez choisis ces grands principes de vertu
qui les préservent de la corruption du
monde, ct de les éclairer de ces pures lu-
mières à la favtur desquelles ils marchent
dans les sentiers de la justice, malgré la cor-
ruption ct les scandales du siècle.
C'est la grâce singulière qu'a reçue notre
saint roi : la toi lui découvrit tous les piè-
ges qui l'environnaient; il aperçut, à tra-
vers les douceurs trompeuses, la malignité
du monde; il marcha toujours dans l'inno-
< ence do son cœur ; il ne s'égara pas dans
d priftee aimait B se faire appeler Lnuh de Poissy.
ir,
nilATKl'HS SACRES. RKGAULT.
10
ces passions qui ont perdu Uni de rois ; il ne
se détourna jamais des roules de la vertu :
toujours ferme, toujours attaché au Sei-
gneur, malgré les plus fortes tentations du
démon, du monde cl de la chair, ces terri-
bles ennemis de noire salut , il observa avec
une constante fidélité toutes les lois et toutes
les conditions de sa première alliance. Il op-
posa toujours à la mollesse et à la corruption
de la cour un esprit de croix et de souffran-
ces. Usa-t-il jamais de ces indulgences et de
ces adoucissements, que la flatterie conseille
aux grands comme nécessaires, et qu'on re-
garde comme des avantages de la dignité?
Quelque précieuse que fût sa santé pour le
Lien de son Etal, crut-il la devoir ménager
par des délicatesses recherchées? Crut-il
pouvoir se dispenser de porler en tout lieu
la modification d ■■ Jésus-Christ ?
Combien de fois, joignant à l'innocence
une pénitence rigoureuse, chercha-t-il les
moyens de crucifier sa chair avec ses con-
cupiscences 1 Avec quelle sévérité réduisit-
il son corps délicat en servitude par un cilice
continue!, par de sanglantes disciplines et
par toutes les espèces de pénitence 1 Avec
quelle exactitude observa-t-il les jeûnes
commandés par l'Eglise 1 Avec quelle fer-
veur s'en imposa-t-il de volontaires! Mais
avec quelle tendresse de piété, prosterné,
anéanti au pied des autels, répandait-il son
âme en présence du Seigneur! C'est ainsi
que, par une ausièie vertu, il se rendit in-
sensible aux attraits de la volupté; ainsi
fortifié par une fervente prière, il repoussait
tous les traits enflammés de l'ennemi. Lire
avec respect les saintes Ecritures, méditer
dans !a relraite les vérités éternelles de la
loi de Dieu; comme un ;iutre grand roi,
chanter sept fois ses louanges et ses miséri-
cordes, c'étaient, avec l'administration de
l'Etal, ses occupations de chique jour.
Après un exemple si é la.anl, mes frères,
qui pourra s'imaginer que sa condition puisse
être un obstacle à la pratique de la vertu?
Qui pourra se persuader qu'on ne puisse vi-
vre dans le siècle sans participer à sa cor-
ruption ? Et qui osera dire qu'il n'est pas
possible de se sanctifier dans le monde ? Car
telle est la malignité du cœur humain, que,
pour s'autoriser dans ses dé-ordres et dans
ses négligences coupables, on croit être en
droit de se dispenser des devoirs les plus es-
sentiels du christianisme, en les regardant
comme incompatibles avec sa condition, ou
de se pardonner avec indulgence les péchés
qu'on commet dans sa condition, en les re-
gardant comme inévitables et presque né-
cessaires. Par la grâce de Jésus-Christ, saint
Louis trouva le secret de garder son inno-
cence au milieu d'une cour délicieuse; de
mourir au monde, dans le monde même ;
de crucifier sa chair, au milieu de tout ce
qui irrite et entretient ses convoitises; enfin
de se sanctifier dans tous les états de sa
vie par la pratique de toutes les vertus chré-
tiennes.
Nous avons considéré saint Louis par rap-
port à lui-même et comme chrétien ; consi-
dérons-le par rapport à son peuple et com-
me roi. C'est le sujet de ma deuxième partie.
IH.l Tlï.MK POINT.
Comme il ne suffirait pas que la lélc fût
placée au lieu le plus éminenl du corps, si
elle ne lui communiquai! l'esprit, l'action et
le mouvement, ainsi ce n'est pas assez qu'un
prince tienne la première plarc dans l'Etat,
s'il n'a la sagesse, l'intelligence et les vertus
nécessaires pour bien gouverner son royau-
me, et pour procurer à ses sujets une féli-
cité parfaite. Les rois sont plus aux peuples
qu'à eux -mêmes : ce ne sont pas les rois
qui ont fait les peuples; ce sont les peuples
qui ont fait les mis. Saint Louis fut toujours
pénétré de ces grandes maximes : il se COU«
sidéra comme le tuteur cl le gardien de l'E-
tat. Il regarda toujours la royauté plu'ôl
comme une charge que comme une di-
gnité.
Le poids de sa couronne, qu'il sen'it d'a-
bord, lui fit juger, comme à Salomon, qu'il
ne pouvait porter un si grand fardeau sans
un secours particulier de la grâce. Aus-i s'a-
dres^a-t-il à Dieu, comme ce sage prince :
Donnez-moi, Seigneur, les lumières de vo-
tre sagesse pour m'éclairer et pour former
mes jugements sur les règles de votre jus-
tice : Da mihi sedium tuarum assistricem sa-
pienliam (Sap., IX, '*). 11 appliqua tous ses
soins à établir dans ses Etals la paix el la
tranquillité, d'où dépend principalement le
bonheur des peuples. Ses premières actions,
dès le commencement de son règne, lurent
des preuves éclatantes de sa valeur héroï-
que. Dans les premières guerres qu'il eut à
soutenir pour affermir son trône, il mit tout*
sa confiante au Dieu des armées : sa force,
suivant les paroles du Sage, fut toujours
dans la crainte du Seigneur : In timoré Do-
mini fidmin fortiludims (Prov., XIV, 26).
Le premi.-r usage qu'il fil de celle épée
que Dieu lui avait mise en main, el qu'il ne
lira jamais que pour la religion et pour la
justice, fut de donner le coup mortel à l'hé-
résie des albigeois, production monstrueuse
du libertinage et de la rébellion, que plu-
sieurs de nos rois s'étaient efforcés inulile-
menl de détruire. Il abat les puissances qui
la soutenaient, et Iranchc enfin toutes les
léies de celte hydre fatale, qui depuis plus
d'un siècle s'était rendue redoutable dans le
royaume.
Les comtes de Bretagne el de la Marche et
plusieurs princes de son royaume, soutenus
par des puissances étrangères, osèrent al-
lenler sur son autorité: mais il fil voir, par
son intrépidité, quelapié'én'est pas incompa-
tible avec le courage, qu'au contraire clic en
est le soutien el le plus ferme appui. On vit
par son exemple qu'on peut être héros saus
cesser d'être saint. Il entra dans ses droils
en conquérant, malgré les vains efforts de
ses ennemis. Il confondit les injustes desseins
des rebelles, il les desarma, il les soumit à
l'autorité légitime par la force de ses armes;
et, couronnant sa valeur par la modération
el par la clémence, il leur pardonna leur
il PANEGYRIQUE DE SAINT
rébellion, les livrant, pour toute punition,
aux regrets et à la honte d'avoir osé cnlre-
prendre sur les iniérêts d'un roi si bon et si
zélé pour les droits sacrés de la justice.
Quel prince, Messieurs, rendit jamais la
royauté plus aimable et plus chère à ses su-
jets? Il eut toujours pour eux une bonté et
une tendresse de père. Partagé entre les de-
voirs du christianisme et de la royauté, il
travaillait à sa propre sanctification, et à
procurer à ses peuples une félicité parfaite.
Persuadé que la dignité de roi est, dans un
prince chrétien , un office de justice et de
religion, il réprimait les excès, mainte-
nait la discipline, corrigeait les abus, arrê-
tait la licence et l'impiété, joignant à la
sévérité des lois la force et la persuasion de
ses exemples.
La discipline des mœurs et le crédit de la
piété dans la cour et dans le royaume dé-
pendent principalement de la conduite des
rois. Us sont dans une plus haute élévation.et
leurs actionssevoienlde plus loin, lis ont une
autorité suprême, et leurs exemples ont bien
plus de force. Tout le monde est attentif sur
eux, pour s'y conformer; leurs passions font
mouvoir toutes celles de leurs sujets; chacun
se fait une religion d'imiter leurs vertus ;
leurs péchés mêmes deviennent les modes
des peuples. On estime, on désire, on aime,
on craint tout ce qu'on voit qu'ils estiment,
qu'ils désirent, qu'ils aiment ou qu'ils haïs-
sent.
Nous voyons aujourd'hui , par une heu-
reuse expérience, qu'un roi (Louis XIV) qui
a réglé sa conduite réprime bien plus aisé-
ment les désordres de ses sujets. Le vice
timide et tremblant se cache à la vue d'un
exemple si éclatant ; le crime n'ose se défen-
dre, ni paraître devant un si rude censeur.
Tel fut le saint roi dont nous célébrons la
mémoire : persuadé de l'obligation qu'ont
les conducteurs des peuples, non-seulement
de veiller pour le bien de leurs âmes, comme
en devant rendre compte à Dieu (Hebr., XIII,
17), suivant la parole redoutable de l'Apô-
tre, mais encore de les édifier par les exem-
ples d'une vie pure et innocente, sa lumière
brilla toujours aux yeux de tous les hommes,
et chacun, en glorifiantle Père céleste, trouva
en lui un parfait modèle de vertu.
Mais il se crut particulièrement obligé de
rendre la justice à son peuple. Dans les pre-
miers temps, les souverains étaient eux-mê-
mes les juges de leurs sujels, et si nous
allons jusqu'à l'origine de la royauté, nous
verrons que la raison pour laquelle les Israé-
lites demandèrent un roi à Samuel fut qu'ils
ne purent souffrir plus longtemps l'injustice
de Joël et d'Abia, ses enfants, qui violaient
toute équité dans leurs jugements, et qu'ils
voulurent un souverain pour leur rendre la
justice : Donnez-nous, dirent-ils, un roi qui
nous juge : Constitue nobis regem, ut judicel
nus (I Req., VIII, 5). Ainsi S;ilomon lui mis
sur le Irône d'Israël pour rendre la justice
an peuple de Dieu : bit faceres judicium et
juttiliam (III Iieg., X, 9). Voilà l'office du
LOUIS, ROI DE FRANCE. 18
prince, voilà sa principale fonction à l'égard
de ses sujets.
Aussi saint Louis, regardant ce ministère
comme la partie la plus essentielle des de-
voirs de la royauté, en fit sa plus ordinaire
occupation. Il donnait audience indifférem-
ment à tout le monde. Les avenues de son
palais n'étaient pas défendues par des bar-
rières impénétrables; elles n'étaient pas in-
vesties par une foule de gardes, qui intimi-
daient les faibles et repoussaient les impor-
tuns. Partout il recevait avec bonté leurs
supplications et leurs vœux.
Qu'il faisait beau voir ce roi tendre et
charitable interrompre ses plaisirs innocents
pour écouter favorablement les plaintes des
misérables, et an milieu d'une campagne pro-
noncer les arrêts de sa justice, sous ces
chênes vénérables où les druides rendaient
autrefois leurs oracles ! Quel malheureux
ne trouva pas en lui le secours qu'il atten-
dait? Ne fut-il pas toujours l'asile de la veuve
et de l'orphelin? Par lui la faible innocence
ne fut-elle pas à couvert de la malice de
ceux qui lâchaient de l'opprimer?
Dans le malheureux temps oùnous vivons,
qui est-ce qui se fait une règle de conscience
de remplir les devoirs de sa charge? Où est
le juge qui veuille retrancher de son jeu, de
ses frivoles amusements, ou quitter pour
quelque tempsses affaires particulières, pour
satisfaire à ses obligations les plus essen-
tielles? On exerce sa charge par une bien-
séance que le monde demande, on s'occupe
par humeur, par ostentation, par politique,
et comme le juge inique de l'Evangile, on
juge souvent bien moins pour l'amour de la
justice que pour se délivrer d'une partie
importune dont on se trouve fatigué : encore
est-il à craindre qu'on ne fasse servir la
justice à ses passions, à sa vengeance, à son
avarice, à sa cupidité, et peut-être à l'injus-
tice même.
Que dirai-je de la charité de notre saint
roi envers ses peuples affligés? C'est ici où
il faut admirer une vertu qui est d'autant
plus héroïque qu'elle est plus raie dans les
grands du monde. Comme les riches et les
puissants du siècle ne sont occupés que des
grandes idées de leur fortune, ils ne peuvent
s'abaisser jusqu'à ces ministères humiliants
auxquels nous engage la charité chrétienne,
et comme leurs richesses éloignent d'eux
presque toutes les misères humaines, ils ne
sont point louches d'ordinaire des maux
dont les malheureux sont accablés. C'était
le caractère de saint Louis d'être tendre et
sensible aux misères dos pauvres, et d'être
altenlifà les secourir dans lous leurs be-
soins. Il pouvait dire avec Job que la misé-
ricorde était née avec lui (Job, XXXI, 18).
Tout ce qui portait l'image de Jésus-Christ
souffrant était l'objet de sa compassion et de
sa charité. H ne dédaignait point d'enlrcr
dans ces sombres lieux où se rassemblent
toutes les misères et les infirmités humaines,
où tout porle l'image d'une mort prochaine
ou d'une vie languissante; là, s'élevant au-
dessus de toutes les délicatesses et des seu-
l'J
GRATEIRS SACRES. Bl GALLT.
ÏO
iinienls du la nature, ou le vil cent fuis s'a-
l>.ii-.siT aux plus humbles et aux plus pénibli s
jliici-h de la miséricorde.
Oui l spi clacle plus ravissant, Mcssii ui ,
que de voir un grand roi, à l'exemple du
Fils de Dieu, qui est venu pour sertir, et non
\,us pouf être servi (Matth., XX, 28), la-
ver les pieds des pauvres, panser leurs
plaie--, les servir de ses mains royales, as-
sister les mourants, ensevelir les morts !
Plus heureux et plus grand mille lois quand
il participe ainsi à l'humilité, à la patience
et à la charité de Jésus-Christ, que lorsqu'il
est assis sur ie trône le plus auguste du
n.onue.
Admirez ces exemples d'une charité hé-
roïque , délicats du siècle, vous qui faites
server vos répugnances affectées de prétexte
à votre insensibilité et à la durcie que vous
avez pour les misérables, vous qui rougissez
de Jésus-Christ caché sous la figure d'un
pauvre malade; et si ces exemples ue vous
instruisent, qu'ils servent du moins à confon-
dre votre indigne délicatesse.
Combien de malheureux ont subsisté par
l'immense profusion des aumônes de notre
saint roi ! Combien de provinces désolées par
la famine, ravagées par la peste, ont-elles
ressenti les effets de sa charité surabondante!
Il avait appris de Tobie que la mesure de la
charité doit être celle des richesses qu'on
possède. Il savait cette beile loi, que le Sei-
gneur donne au roi dans le Deutéronome, de
ne pas accumuler des richesses immenses :
Non hubebis argenli et auri immensa pondéra
[Deut., XVII, 18). Ainsi il les répandit abon-
dammentsurlesnécessitésde ses peuples: sem-
blable i.u soleil, qui, après avoir attiré les \a-
peurs et lesexhalaisons de la terre, le; fond et
les répand ensuite sur les campagne», par des
rosées fécondes et des pluies abondantes; et
pour rendre sa charité immortelle, il é:ablit
des fonds inépuisables, d'oùcouleront jusqu'à
la un des siècles des secours abondants pour
soutenir les desseins de sa charité. Fameux
hôpitaux, hôtels magnifiques, où chaque es-
pèce de misère, soit du corps, soit de I esprit,
trouve encore aujourd'hui une espèce de mi-
séricorde pour la soulager, vous serez des
monuments éternels de sa tendresse et de sa
charité envers les membres pauvres et infir-
mes de Jésus-Christ.
Quel usage fait-on de ses Liens? On s'en
sert pour entretenir son luxe et sa vanité ,
et souvent pour fournir à ses débauches, il
semble que l'abondance ail formé aux riches
comme aux impies , des eut: ailles cruelles,
suivant l'expression de L'Ecriture : I iscera
impiorum crudeliu (l'rov., XII, 10). On n'est
louché ni des malheurs du U mps, ni des mi-
sères des pauvres, et au lieu de soulager les
misérables, peut-être ai hève-t-ou de les op-
primer. On voit les hôpitaux sur le penchant
de leur ruine, et on ne se met pas en peine
île les soutenir; on croit n'avoir des riclic>-
ses que pour soi ; on s'imagine que l'aumône
est un acte volontaire de libéralité dans le
christianisme , et non pal une obligation de
nécessité ; on la regarde comme un conseil
de perfection, que Dieu donne à quelques-
uus , et non pas comme un commandement
exprès de la loi, qu' I fait à tout le u onde.
Parce qu'on ne prend pas injuslcmi ml le bien
il.i trui.on croit pouvoir innocemment abu-
s< r du sien. Les prétextes d'amasser, ou pour
établir des enfants, ou pour soutenir sa qua-
lité, et qu'lqueiois un état que l'ami
aura fait prendre au-dessus de sa naissance
et de sa condition, ou pour préi enir il s mal-
heurs imaginaires, sont aujourd'hui d- soli-
des raisons pour se dispenser des devoirs
les plus essentiels de la miséricorde.
Achevons, Messieurs, et voyons i nflo «Tec
quel zèle et quel courage saint Louis a sou-
tenu la gloire de Dieu et les inléré's de l'E-
glise. C'est la troisième et dernière parlie de
ce discours.
TROISIÈME POINT.
N'attendez pas, Messieurs, que je rapporte
ici tout ce que saint Louis a fait pour la
gloire de Dieu et pour les intérêts de la reli-
gion; les pieux édils qu'il fit publier contre
les scandales, qu'il bannit de son royaume ;
contre les blasphémateurs, qu'il condamna à
un silence éternel , parties peines propor-
tionnées à l'énormité de leur crime : les
guerres qu'il entreprit pour détruire des
sectes malheureuses qui s'efforçaient de cor-
rompre la sainteté de la foi et la pureté des
mœurs. N'attendez pas que je vous fasse voir
le zèle qu'il eut pour soutenir les droits et
la majesté de l'Eglise, pour pacifier les diffé-
rends qui en troublaient le repos et la tran-
quillité. N'attendez pas que je vous fasse ici
le dénombrement des temples qu'il a élevés ,
des églises el des monastères qu'il a fond -.
Je m'arrête principalement à ce noble des-
sein qu'il eut de réunir !a terre sainte à l'em-
pire de Jésus-Christ. C'est ici où il n'a plus
rien de commun avec les autres saints.
Apre qu'i eut établi l'ordre et la piix
dans ses Etals, semblable à ce roi dont parle
l'Evangile d'aujourd'hui, il résolut de con-
quérir un nouveau royaume. Ne vous figu-
rez pas, Messieurs, de ces ambitions aveu-
gles que les primes oui quelquefois d'agran-
dir les limites de leurs Etats ; de rendre leurs
armes terrible» à toute ia terre: de donner
une vaine ostentation de leur valeur, el de
se faire un nom immortel dans la postérité.
Saint Loui» n'a d'autre objet que la gloire et
l'intérêt de la religion, que de réparer l'op-
probre de la cr ix. Il entreprend de conqué-
rir la terre sainte, celte terre autrefois arro-
sée des sueurs el du sang du Sauveur, sanc-
!ifiée par sa présence sensible et par ses mi-
racles, el de rendre à l'Eglise ce précieux
héritage de Jésus-Christ, passé entre les
m.iius des étrangers el de> barbares.
La bonté de la cause, la pureté de .--es mo-
tifs, son zèle, sa piété, mille prodiges éc Bê-
lants, tout justifie ses desseins. 11 lève l'éten-
dard sur la croix; il arbore sur lui ce pré-
cieux signe du salut : il anime par son cou-
lage les princes, li mrs el la noblesse
de son royaume à suivre B n exemple; il as-
semble deux puissantes armées; il équipe
u
PANEGYRIQUE DE SAINT
une grande flollc; il sort de son pays comme
un autre Abraham, pour aller combattre les
ennemis de Dieu. Le ciel, la mer, les vents,
les orages mêmes, tout favorise d'abord celte
glorieuse entreprise. 11 aborde heureusement
en Egypte : animé d'un courage intrépide,
plein de cette confiance que lui inspire le Dieu
des armées pour lequel il combat, soutenu
de ces nobles et généreux guerriers qui le
suivent, il prend des villes, force des places,
gagne des batailles, triomphe partout des
ennemis du nom chrétien ; tout tombe sous
ses coUj s ; rien ne peut résister à sa valeur
et à la force invincible de s. s armes.
Je vois déjà la croix de Jésus-Christ élevée
en triomphe dans les terres barbares. Mais,
ô profondeur impénétrable des jugements de
Dieu! par ûo incidents malheureux, Louis
voit tout d'un coup s'évanouir ces belles es-
pérances de i<i religion. Un ordre caché de la
Providence rom< l le cours de ses victoires;
tout lui manque; tout est contraire à ses
desseins; son armée est défaite; il tombe en-
tre les mains des infidèles.
Mais il ne perd rien de sa tranquillité, tou-
jours ferme, toujours constant dans ces dif-
férents états, toujours égal à lui-même, tou-
jours roi, toujours saint. Soutenu de la grâce
et du zèle dont il était animé pour la gloire
de Dieu, il sut profiler de ses malheurs et de
ses disgrâces : au-dessus des héros par sa
valeur intrépide, mais au-dessus de lui-même
par sa modération et par sa patience. La
force ne manqua jamais à son courage :
malgré te mauvais succès de ses armes, il
sentit sa grandeur, et la fit sentir à ses en-
nemis, au milieu de sa captivité : aussi
grand dans la prison que sur le pont de Tail-
lebourg et à la descente de Damiette. Quand
on lui demande une rançon , il n'en veut
point donner d'autre que sa parole. Les bar-
bares, étonnés de celte noble fierté, forcés de
rendre hommage à sa vertu, quoique mal-
heureuse, doutent dans ce moment s'il est
devenu leur captif ou leur maître, et sont
I rôts à briser ses fers pour le porter sur le
t ône. Comme il ne refusa jamais ce qui fut
équitable étant vainqueur, aussi ne put-il
jamais souffrirec qui lui parut faible, injuste,
ou indigne de la majesté royale, étant vaincu.
Les s ints ne sont pas à plaindre dans les
tribulations, ils y sont purifiés comme l'or
dans la fournaise; ils adorent avec respect
celte Providence qui les conduit à son gré
dans l'une et dans l'autre fortune. Leur vertu
est indépendante des événements, et ils ne
craignent point que l'adversité leur fasse
perdre ce qu'on ne peut pas dire que la
prospérité leur ait donné. Tel fut l'usage
que saint Louis fit de ses disgrâces. 11 sou-
tint celle rude épreuve avec loute la force
chrétienne : plus heureux et plus content
d'être affligé avec le peuple de Dieu, que de
goûter les plaisirs d'une cour tranquille et
délicieuse.
Aussi le Dieu de toute consolation descend
avec lui duis la prison : Desccndilque cum
Mo in foicam (Sap., X, 13), Il ne l'abandonne
pis dans sa captivité, jusqu'à ce qu'il lui
LOUIS, ROI DE FRANCE. <>2
remette en main le scep're de son royaume :
Et in vinculis non dereliquit eum , donec
afferret Mi sceptrum regni ejus (Ibid.). Il le
relire, comme un autre Daniel, de la fosse
aux lions, où il avait été jeté pour sa gloire
et pour le service de son Eglise.
Mais si noire saint roi recouvre la liberté,
s'il" revient da ->s ses Etals, est-ce pour se
délasser de ses travaux et de ses fatigues?
Est-ce pour vivre dans la mollesse et dans la
volupté? Non, non, Messieurs, il forme des
projets d'une nouvelle conquête. Il entend
de loin les cris d'un nombre infini de chré-
tiens, accablés sous le poids de leurs chaînes
dans les terres infidèles. Ses entrailles en
sont émues, comme celles de Dieu aux cris
du peuple disraél , dans la captivité de
Babylone. Il croit que Dieu le destine, comme
un autre Moïse, pour être le libérateur d'un
peuple qui souffre sans espérance, qui gémit
sans conso'ation, et qui ne peut trouver do
remède à ses maux que dans la valeur et la
charité d'un puissant roi.
Il entreprend une seconde guerre contre
les infidèles; et pour délivrer ses frères d'une
dure captivité, il sacrifie son repos, ses
biens, sa liberté, sa vie? Il dit, comme Judas
Machabéc : Mourons glorieusement pour le
salut de nos frères : Moriamur in virtule
pr opter fratres nostros (I Mach., XIX, 10).
Sollicité par ses bonnes intentions, touché
des pieux mouvements de son zèle, malgré
le mauvais succès de ses premières armes,
malgré l'incertitude des événements, il espèro
conlre l'espérance; il prend sur lui le précieux
signe de notre salut; suivi des princes el des
seigneurs du royaume, il rassemble toutes ses
forces; il arme une puissante flotte ; il ose
encore se commettre à la furie; des flots. Avcî
quelle intrépidité le voit-on sortir de son
vaisseau, à la vue de vingt mille infidèles qui
veulent s'opposer à son entreprise 1 Avec
quelle rapidité prend-il Carlhagc et plu-
sieurs grandes villes d'Afrique !
Qui n'aurait auguré que ces heureux
commencements dussent être suivis îles plus
glorieux succès? Mais Dieu, qui destinait à
notre saint celte couronne de tribulation et
de patience dont parle Isaïc [Isa., XXII, 18),
plus glorieuse mille fois que toutes les vic-
toires et toutes les couronnes du monde,
permet que son armée soit vaincue el dissi-
pée, aflligée par toutes sortes de maladies et
de misères, désolée par la peste, el que lui-
même en soit attaqué. O abîme profond des
conseils éternels 1 Qui pourra sonder les
raisons impénétrables de ces tristes événe-
ments, de ces coups si peu attendus?
Le même Dieu qui laisse perdre deux
batailles aux onze tribus d'Israël, après leur
avoir commandé d'exterminer la tribu <.e
Benjamin (Judic, XX), a inspiré à saint
Louis d'entreprendre la guerre contre les
infidèles , et permet que ses pieux des>cius
soient renversés. Le même Dieu qui avait
conduit les armées de Judas Machabéc (I
Mach., IX, 18), qui b.s avait rcuduci tant de
fois victorieuses et triomphantes, el qui per-
met que ce grand héros meure dans le corn-
OltATMJHS SACHES. IJKliALLT.
94
bat, permet aussi que saint Louis meure au
milieu de soit camp. Ainsi, ô mon Dieu! sans
être contraire à vous-même, par ces hautes
et sublimes raisons qu'il n'est pas permis à
l'esprit humain de pénétrer, vous renversez
quelquefois les projets que vous nous avez
inspirés, et vous permettez que nous soyons
confondus dans nos desseins.
Louis se trouva toujours , par une con-
stance chrétienne, au-dessus de la mauvaise
fortune. Il ne perdit rien de sa fermeté et de
sa confiance en Dieu, parce qu'il se soute-
nait par sa seule vertu. Il vit approcher avec
tranquillité son dernier jour. Il ne s'étonna
point à l'aspect affreux d'une mort avancée,
et après l'avoir cherchée tant de fois à la tête
des armées, au milieu des dangers et des plus
sanglants combats, il la regarda avec une
fermeté héroïque dans ces derniers moments.
La victime se présenta devant l'autel , et le
sacrifice fut ; cceplé : Dcdit se, ut liberaret
populum , et acquireret sibi nomen alernutn
(I Mach., VI , k't-). Digne d'un plus grand
royaume, Dieu l'enlève de ce monde avant le
temps, pour le couronner d'une gloire im-
mortelle. C'est ainsi que, comme un autre
Machabéc, il tombe sur ses trophées, et qu'il
esteomme enseveli sous son propre triomphe.
Que n'a-t-il vu le fruit de ses travaux?
Que n'a-t-il vu la fin de ses grandes espé-
rances? Que n'a-l-il eu le succès de Josué, de
Constantin , de Théodose, puisqu'il combat-
tait pour la même cause? Ne semblait-il pas
mériter toute la protection du Dieu des ar-
mées, puisqu'il combattait pour la défense de
ses autels et pour la liberté des peuples qui
l'adoraient? Mais nous appartient-il, cendre
et poussière que nous sommes , de pénétrer
les profonds secrets de la conduite de Dieu ,
et de lever curieusement le voile sous lequel
il a mis à couvert les mystères sacrés de ses
conseils éternels? Seigneur, nous adorons
vos jugements : vous avez sondé les inten-
tions de ce saint roi ; vous avez vu la pureté
de ses motifs; vous avez écoulé la prépara-
tion de son cœur (Psal. X, 17). Il n'a pas
rempli ses désirs , mais il a accompli vos
desseins; et s'il n'a pas vaincu, il a eu du
moins la gloire et le mérite de la victoire.
Qu'ajoulerai-jc maintenant, chrétiens,
aux exemples que nous a donnés ce grand
roi, par toutes les actions de sa vie? Rien
n'est si capable de nous porter à la vertu
que l'exemple des grands du monde. Imitons,
mes frères, ce beau modèle que l'Eglise nous
présente aujourd'hui. Nous ne pouvons pas
imiter ses desseins et ses grandes entrepri-
ses, mais nous pouvons imiter ses vertus,
son humilité, sa piété, sa charité, sa pa-
tience, sa pénitence, son zèle. Mais combien
peu en trouvc-l-on aujourd'hui qui aspirent
véritablement à la perfection chrétienne !
Combien y en a-l-il qui n'ont que l'ombre
et le masque de la vertu, qui n'ont de l'hor-
reur du vice que quand ils le trouvent dans
leur prochain; qui font consister tout leur
mérite à louer froidement la vertu, à se mon-
trer des censeurs chagrins et sévères des
moindres défauts qu'ils remarquent dans la
conduite des aulresl Et combien en voyons-
nous qui s'imaginent être parfaits parce
qu'ils pratiquent certaines vertus stériles et
morales qui ont quelque rapport au cara -
1ère de l 'honnête homme, mais qui ne foui
pas un partait chrétien !
Finissons, Messieurs, par où nous avons
commencé : liéni suit, prand roi, le Seigneur
votre Dieu, qui a mis son affection en tout,
qui vous a fait asseoir sur te trône de la Fran~
ce ; parce qu'il a aimé ce royaume pour ja-
mais ; et qu'il vous a établi roi, pour régner
avec équité, et pour rendre la justice. Que
Dieu, qui vous a comblé de tant de grâces,
fasse passer ses bénédictions jusqu'à notre
grand roi, digne héritier de votre nom, de
votre couronne et de vos vertus. Que toutes
les faveurs du ciel se répandent en abon-
dance sur lui et sur sa famille royale, jus-
qu'aux dernières générations; que son nom
soit toujours terrib e à ses ennemis; que les
rois elles nations de la terre frémissent inu-
tilement contre lui ; que cent peuples ligués,
jaloux de sa gloire et de sa puissance, médi-
tent de vains coseils contre le Seigneur et
contre son oint, et que leurs injustes des-
seins soient toujours confondus {Psal. II).
Faites, grand saint, par vos puissantes in-
tercessions, que cet auguste monarque so I
toujours sa^e et éclairé dans ses conseils,
heureux dans ses entreprises, triomphant
dans ses combats. Que toujours la valeur
l'anime, la pieté le conduise, la justice règle
ses actions, et que, pendant tout son règne,
nous admirions toujours une vertu consom-
mée dans le comble des félicités humaines.
Sire,
Nous ne pouvons rapporter ici ce qui com-
pose le panégyrique d'un saint roi, sans par-
ler en même temps des éminenles vertus
dont Voire Majesté donne tous les jours des
exemples si éclatants. Nous venons de voir
saint Louis toujours fidèle à la loi du Sei-
gneur, toujours attaché à ses devoirs, prati-
quer constamment les vertus des différent
états où il s'est trouvé par la disposition de
la Providence. Il me semble que je n'ai cite
aucun endroit de cet éloge, que Notre Ma-
jestée no se soit présentée à mon esprit. Je
n'ai eu qu'à changer dans mon idée les temps
et les noms, pour peindre d'un seul Irait
deux grands monarques dans un même ta-
bleau. Eu effet, Sire, la peinture que je viens
de faire de ce saint roi dans l'une el dans
l'autre fortune n'est-elle pas une vive imajie
de celte vertu consommée que loulc la
Fiance et tout le monde chrétien admirent
en Notre Majesté? Je laisse à d'autres ora-
teurs à louer ce cœur magnanime, noble, gé-
néreux; ce courage intrépide dans les com-
bats et dans les plus grands périls; tes ac-
tions plus éclatantes que des victoires, el
tous ces prodigieux exploits qui font la
gloire des héros. Pour moi, Sire, renfermé
dans les bornes de mon ministère cl de mon
sujet, je louerai en Votre Majesté ces vertus
chrétiennes qui viennent de faire l'éloge
d'un grand saint, et qui lui ont mérite une
gl >ire immortelle ; ce zèle ardent à soute-
PANEGYRIQUE DE SAINT THOMAS D'AQUIN.
iO
nir, aux dépens même de votre repos, de
votre liberté, de vos royaumes, les intérêts
de la religion de Jésus-Christ ; cet amour de
la vertu, sans regarder d'autre récompense
que celle qui est inséparable de la vertu
même ; cette faim bienheureuse de la parole
de Dieu ; ce respect attentif pour les sacrés
mystères, celte vénération profonde pour
tout ce qui porte le caractère de la piété,
celte dévotion tendre et sincère, cette reli-
gion pleine et solide, cette foi si vive et si
généreuse.
Nous avons vu dans saint Louis, captif en
Egypte et mourant en Afrique, la royauté
humiliée; en lui nous avons vu un roi aussi
tranquilie dans ses malheurs et dans ses
disgrâces que dans la plus florissante pros-
périté; humble et soumis aux ordres rigou-
reux du Seigneur, aussi grand dans ses hu-
miliations que dans l'éclat de sa plus haute
gloire. Tel, Sire, nous vous admirons au-
jourd'hui, dans l'état où il a plu à Dieu de
vous mettre, par la disposition de sa Provi-
dence, pour une plus grande épreuve de
votre foi ; toujours ferme, toujours constant,
toujours égal à vous-même, parmi les plus
violentes agitations de la fortune. La paix
de votre tœur toujours inaltérable, une
force d'âme, une modération, une patience,
une tranquillité de raison que rien ne peut
ébranler. Content de cette couronne de jus-
tice que Dieu juste juge rend toujours à
ceux qui ont fidèlement combattu pour lui
(II 7'rn., IV), comme les saints rois de l'A-
pocalypse, nous vous voyons faire aux pieds
de l'Agneau ( Apoc, IV, 10 ) un généreux
sacrifice de vos couronnes.
Puisse ce Dieu qui a éprouvé voire invio-
lable fidélité dans ces différents états, vous
en donner dès celle vie le mérite et la récom-
pense, comme il fit à Abraham, après avoir
éprouvé sa foi! Puisse ce Dieu de justice vous
remettre en possession de ces royaumes où
vous ne voulez régner que par lui et que
pour y établir son règne,! Puisse le Dieu des
armées confondre vos ennemis, qui sont les
siens mêmes et ceux delà religion! Oui,
Sire, si nos vœux vieeux de toute l'Eglise
sont écoulés, il les confondra. Viendront ces
temps heureux où l'on vous verra détruire
toute puissance et loule domination étran-
gère, où Dieu prendra le soin de venger
la majesté violée et les droits sacrés de la
royauté. Déjà il a déterminé, dans sa sagesse
profonde, les limites qu'il veut donner aux
malheureux progrès d'une injuste usurpa-
tion. Ilicnlôl ces nuits d'horreur et de confu-
sion seront dissipées par d'heureux jours de
paix et de justice. Comme un soleil quia
élé caché quelque lemps sous la nue, vous
reparaîtrez avec un nouvel éclat. Un peuple
à qui une séduction artificieuse u fait dire:
Je ne servirai pas, se soumettra à ses princes
légitimes, cl peul-êlre déjà vous prépare-t-il
dans son cœur l'appareil de voire triomphe.
On vous verra remonter sur le trône, dont la
seule religion vous a fait descendre, ei en
rendant à Jésus-Christ d'immortelles actions
do grâces, nous pourons diic à Votre Majes-
té ces belles paroles : Accepisti virtutem tuam
mugnam, et regnasti (Apoc, XI, 17;), que
vous avez repris votre puissance suprême,
et que vous êtes rentré dans la possession
de vos royaumes. Mais ne bornons pas nos
désirs à des royaumes temporels; portons nos
vœux jusqu'au royaume éternel, que je vous
souhaite, etc.
PANÉGYRIQUE
DE SAINT THOMAS d'aQUIN,
Prêché à Nîmes dans l'église des Jacobins,
en présence de M. Vévcque de Nîmes, le 7
mars 1698.
fnvocavi, et venit in me Spiritus sipienline: et prseposui
illam regnis et sedibus ; et divilias nitiil esse duxi in com-
paratione illius.
J'ai prié U: Seigneur, el l'esprit de la sagesse est venu en
moi, et je l'ai préférée aux royaumes et aux trônes , el j'ai
cru que tous les biens et toutes les richesses de la terre n'é-
taient rien au prix d'elle (Sap., VII).
Monseigneur,
Ainsi parlait de lui-même Salomon, qui,
par l'ardeur de ses désirs et par la force de
sa prière, par un sincère détachement et par
un généreux mépris des biens de la terre,
mérita de recevoir la plénitude de la science
de Dieu. Ainsi parlait de lui-même ce mira-
cle de sagesse , à qui Dieu donna une
science qui surpassa de beaucoup celle des
Orientaux, des Egyptiens et de tous les hom-
mes qui furent avant lui et qui viendront
après lui.
Ainsi parle de lui-même cet homme qui fut
rempli des plus sublimes connaissances ; qui
vit à découvert tous les mystères de la
nature et de la grâce ; qui traila avec tant
de profondeur et de subtilité, de la nature,
des animaux , des oiseaux et des arbres,
depuis le plus haut cèdre du Liban jusqu'à
la plus petite herbe qui rampe sur la terre ;
qui composa trois mille paraboles et cinq
mille cantiques. Ainsi parle de lui-même ce
Sage par excellence, qui rendit son nom cé-
lèbre jusqu'aux îles les plus reculées , qui
attira autour de lui les rois et les peuples de
la terre, pour écouler avec ctonuemcnl les
oracles de sa profonde sagesse.
A celte idée, que j'offre à votre esprit, de
la sagesse el de la science de Salomon , ne
vous représcnlez-vous pas, Messieurs, celle
du grand saint Thomas, dont nous célébrons
aujourd'hui la fêle? Ce vaste génie, ce grand
homme, que Dieu suscita pour être une des
plus éclatantes lumières de son Eglise ; à qui
rien ne fut caché de tout ce que peut com-
prendre l'esprit humain ; qui fut admis dans
le sanctuaire de la sagesse même ; qui, pé-
nétra tous les secrets de la divinité ; qui par
la plus fine vue et par la plus haute spécu-
lation, connut les effets dans leurs principes;
qui traita, avec tant de profondeur el d'élé-
vation, de loules les sciences divines et hu-
maines; qui fut, par sa sublime intelligence et
par ses divins écrits, le Mailre des docteurs,
le Flambeau de la vérilé, l'Ange de l'école ,
l'Oracle de la théologie, la gloire et l'orne-
ment de son ordre, l'admiration et l'élonne-
iiicnl de tous les siècles. Plus heureux que
47
ORATEURS SACRES. BEGAtJLT.
28
Salomon d'avoir su joindre à une profonde
science, qui l'a rendu un des plus grands
doi leurs, la pratique eonslanle de plui éiiii—
nenles vertus, qui en onl foit un des plus
grands sainls de l' M- lise.
Pouvions nous choisir des paroles qui fus-
sent plus propres que celles de n on texte à
nous donner une juste idée du caractère de ic
docteur incomparable, et qui, en nous décou-
vrant, et sa science sublime, et les sourcei
d'où il l'a puifée, pussent mieux nous foire
connaître les veilus qui doivent faire le fond
de son éloge?
Parlons donc de la science de saint 'Tho-
mas, qui fait son caractère particulier, et
cherchons-en les sources précieuses. Je les
trouve dans les paroles de mon texte : la
prière et le détachement. J'ai invoqué le Ssi-
yneur : voilà la pr.ère. J'ai préféré la sagesse
aux royaumes et aux trônes; j'ai cru que tous
les Liens et toutes les richesses de la terre n'é-
taient rien au prix d'elle: voilà le dé'ach -
ment. Mais pour suivre l'ordre des actions et
des vertus de saint 1 homas, j'ai dessein de
vous faire voir qu'il a mérité sa science par
son généreux détachement et par le mépris
qu'il a fait de tous les biens de la terre : Ni-
hil esse duxi in compuratione illius. Et ce
sera mon premier point. Qu'il a acquis sa
science par la force de sa prière : Invocavi ,
et venit in me Spiritus <apicntiœ. Et ce sera
mon second point. Demandons les lumières
du Saint-Esprit par l'intercession de la sainte
Vierge. Ave, Maria.
PBEMIER POINT.
C'est une maxime établie par la Provi-
dence, que Dieu ne nous remplit de ses dons
qu'à mesure qu'il nous trouve vides de nous-
mêmes et de l'amour des faux biens de la
terre ; soit parce que les affections et les
désirs inquiets du siècle sont un obstacle
presque invincible aux grâces que Dieu nous
destine; soit qu,- l'esprit de Dieu , suivant
l'Ecriture , n'habite pas dans l'homme, tandis
qu'il est chair {Gen., VI , 3), tandis qu'il se
trouve occupé des vains amusements du
monde. Le corps , corrompu par la mollesse
et par les attachements grossiers , abat l'es-
prit, lorsqu'il fait des efforts pour s'élever
au-dessus des sens. Cette habitation terrestre,
dit le Sage, appesantit l'âme lorsqu'elle aspire
à la contemplation des choses divines.
C'est pour cette raison que les anges , qui
sont des formes spirituelles , simples, sans
aucun mélange , sans aucune composition ,
et absolument dégagées de toute matière,
sont plus capables de ces sciences qi i ap-
prochent de plus près celle de Dieu. Pour-
quoi Dieu éclaira-î-il Salomon des plus bril-
lantes lumières, sinon parce que, dégagé de
tout ce qui flatte l'orgueil et la cupidité , il
i.e forma des vœux que pour la souveraine
j ! cesse ?
tel l'ut saint Thomas. Pour s'adonner uni-
'\ lemenl à l'élude des sciences , il fut insen-
.'ilde à tout ce qui fait l'amour et l'empres-
sement des hommes. Vois dirai-je. ici, Mes-
sieurs, que Dieu, pour le préparer à la sa-
gesse, voulut, ivantle temps, dénouer sa
langue encore embarrassée dans la faiblesse
de l'âge.' Vous dirai-je que théologien , M
j'ose parler ainsi , plutôt que raisonnable , la
pr< ière fois qu'il ouvrit la bouche, ce fut
pour demander ce que c'était que Diei ; et
que, pratiquant dès lors ee qu'il devait en-
seigner un jour, il tourna vers lui ses pre-
miers regards? Heureux d'avoir ainsi pos-
sédé le Seigneur dès le commencement de u s
\oies, et d'avoir été plutôt à Dieu, pour
ainsi dire, qu'à lui-même. Aussitôt qu la
raison eut brillé dans son csprii , il méprisa
tous ces faux biens après lesquels les hom-
mes mondains courent avec tant d'ardeur.
Son premier détachement fut le mépris
qu'il fit de la gloire et des avantages qu'il
pouvait recueillir dans le siècle. Sorti d'une
des plus illustres maisons de Niples , il
compta pour rien la noblesse de sa nais-
sance, et chercha dans l'opprobre de Jéms-
Christ une plus sûre et plus solide gloire.
Touché des malédictions terribles que le Fils
de Dieu donne aux richesses, et de ce carac-
tère de réprobation qui semble leur être at-
taché , à cause du mauvais usage qu'on a
coutume d'en faire, il les abandonna vo'on-
lairement, pour n'avoir rien qui pût le trou-
bler dans la poursuite de la sagesse. I
au conseil de Jésus-Christ, pour être du
nombre de ses disciples , il renonce à tout ce
qu'il possède (Lac., X.IV, 3.T). Persuadé que
la sagesse n'habite pas dans une âme sujette
aux péchés , il conserve son innocence au
milieu de la corruption du siècle.
Nous n'avons pas à gémir ici sur les igno-
rances et sur les dérèglements d'une jeu-
nesse criminelle ; il ne faut point ici cacher
avec art les vices à la faveur des vertus. Il
évita soigneusement les pièges que lui ten-
dirent les ennemis de son salut. Dès ce pre-
mier âge, où, entrant nouvellement dans le
monde, les sens sont avides des objets qui
les flattent , il sut les mortifier et leur refu-
ser la vue des plus innocents. Loin de nour-
rir des passions criminelles , il ne souffrit
pas les indifférentes, et punit même souvent
en lui ce que Dieu n'avait pas condamné.
La grâce l'enlève au monde avant que la
malice du siècle ail jeté dans so-i cœur les
premières semences de la corruption. Il n'est
pas de ces personnes mondaines qui ne re-
noncent au monde que quand le monde les
rebute, qui ne font des vœux p >ur Dieu que
quand on cesse d'en faire pour c Iles , qui ne
soupirent pour le ciel que quand elles
mencent de soupirer inutilement pour la
terre.
Il n'at'end pas, pour quitter le monde ,
que l'âge, qu'une disgrâce, qu'un revers de
fortune, le forcent d'en sortir. Dans la fleur
d'une brillante jeunesse , il s'offre à Dieu
comme une victime pure et sans l.iche, pour
être immolé à sa gloire. Il s it à quelles teu-
lalions la vertu est exposée . combi n il est
aise d'y succomber , combien il est diiti -i •
de se relever au/ès. une funeste cii.ie. Il sait
que dans ce siècle mécliaul tout i. spire les
plaisirs . la mollesse , la volupté , l'orgu i! ,
29 PANEGYRIQUE DE SAINT THOMAS D'AQUIN.
l'oubli de Dieu el le mépris de ses lois. Ainsi,
pressé par l'esprit du Seigneur, il se dérobe
à la tendresse de sa famille , il cherche un
asile à son innocence dans l'ordre de Saint-
Dominique , également célèbre par la doc-
trine et par la sainteté.
Déjà dans une profonde paix, à l'abri des
pièges que le démon tend aux âmes innocen-
tes , content d'avoir choisi le Seigneur pour
la portion de son héritage, Thomas commen-
çait à goûter en repos les douceurs d'un élat
qui le consacrait à Dieu et à l'étude de la
sagesse, lorsque sa mère, par une cruelle
pitié de lui voir porter la croix à la suite de
Jésus-Christ, prit la résolution de l'arracher
du sein de la religion qu'il avait embrassée.
Souvent il arrive que les parents forcent
leurs enfants d'entrer dans des cloîtres;
qu'ils les sacrifient, comme des victimes mal-
heureuses, à la gloire d'une maison qu'on
veut élever ou soutenir ; qu'ils traînent au
lieu du sacrifice ces hosties involontaires,
qu'ils voudraient toujours prendre de ce qu'il
y a de pire dans le troupeau.
A la vue de l'appareil du sacrifice, des
frères avides et intéressés donnent bien
quelque marque de douleur; et soit ten-
dresse, soit pitié, soil hypocrisie, ils versent
quelques larmes feintes sur un frère ou une
sœur qui sont conduits à l'autel pour y
être immolés. Mais en secret ravis de voir
la portion de leur héritage grossir par le
mépris que ces âmesgénéreuses fontde leurs
possessions ou des espérances de posséder,
ils se consolent aisément de la perte qu'ils
semblent faire de leurs frères, et s'en croient
amplement dédommagés par les avantages
qu'ils tirent de leur retraite. Mais nous
voyons rarement qu'on s'oppose au dessein
qu'aura un enfant d'entrer dans la religion,
surtout lorsque, demeurant dans le siècle, il
peut partager avec ses frères un ample patri-
moine. Cependant nous voyons ici le con-
traire à l'égard de saint Thomas. Sa mère et
ses frères, par une fausse compassion et
par une cruelle tendresse, mettent mille ob-
stacles à sa vocation ; ils le persécutent à ou-
trance; on lui déchire ses habits de religion ;
on joint la force à l'adresse, pour rompre son
généreux dessein. C'est ici, où, suivant la pa-
role de Jésus-Chrisl, nous voyons la guerre
entre la mère, le fils et les frères. C'est ici
qu'on peut dire que ceux de sa propre mai-
son deviennent ses plus cruels ennemis ; que
ses plus grands anus et ses plus proches se
sont soulevés contre lui , cl que ceux qui de-
vaient être les défenseurs de son innocence
emploient toute sorte de violence pour la lui
faire perdre : Amici mei et proximi mei a l-
versum me appropinquaverunl et steterwit :
etvim fariebant qui qiurrebant animant meam
[Psal. XXXVII. 12, \3).
Mais rien n'est capable de lui faire chan-
ger M résolution. A l'exemple du grand apo-
Irc, appelé par la grâce à la perfection évan-
géliquc, il n'écoule ni la chair ni le sang :
Non acquievi earni et sanguini [Gat., I, Ifij.
Il se souvient que Jésus-Christ commande de
haïr son père, sa mère, ses frères cl môme
50
sa propre vie. Ainsi se met-il en état d'être
un véritable disciple de Jésus-Christ, et de
recevoir ceite plénitude de lumière que
Dieu promet à ceux qui renoncent aux en-
gagements les pius tendres. Car, dit Isaïe, à
qui le Seigneur enseignera-l-il la science :
Quem docebit scientiam, et quem intelligere
fdeiet auditum (fsn., XXVIII, 9)? sinon à
ceux qui se sont sevrés des délicatesses de la
chair et du sang, et qui, par un généreux
effort, se sont arrachés eux-mêmes des ma-
melles de leurs propres mères : Ablaclatos a
lacté, avalsos ab uberibus (Ibid.).
Le croirez-vous , Messieurs? Ses frères
mettent encore sa constance à de plus fortes
épreuves. Ici se présente à mon esprit ce
stratagème diabolique dont ils se servirent
pour lâcher de le séduire. Après avoir essayé
inutilement tous les moy< ns imaginables <!c
li' tenter, ils introduisirent dans la prison
où ils le tenaient étroitement enfermé, une
f' mme impudique pour corrompre son in-
nocence. Ils savent qu'il est aisé d'abattre
les plus grands courages par de telles armes ;
qu'on surmonte enfin par le plaisir ceux
qu'on n'a pu vaincre par la douleur, et que
ces beaux projets de vertu et de perfection
tombent aussitôt qu'on est devenu sensible
à la volupté. Cette femme aposlée, plus ter-
rible pour un jeune homme que l'enfer
même, instruite dans tous les ans de séduire
la vertu la mieux affermie, se présente à
Thomas , avec tons les charmes capab es
d'allumer dans le cœur le feu de l'impureté :
poussée par sa propre cupidité, animée par
i'espoir d une grande récompense, qui doit
être le prix de sa victoire, elle emploie tous
les artifices pour corrompre ce jeune cœur.
Quelle épreuve pour une vertu encore len«
dre! Qu'il est dangereux de se trouver dans
une fatale nécessité de vaincre, ou d'être
vaincu ! Qu'il est à craindre qu'on ne se
rende enfin, dans un combat où celui qui se
défend sei;t presque toujours en lui une in-
telligence secrète avec celui qui l'attaque!
Qu'il est à craindre qu'on ne se relâche de
sa première ferveur et de son austère ver-
tu, quand le plaisir s'offre de lui-même
avec l'impunité, et qu'il peut être regardé
comme un moyen sûr de s'affranchir d'une
cruelle et opiniâtre persécution I
Cependant, Messieurs, rassurez-vous, ne
craignez rien pour Thomas; les écuei's de
la vertu et de l'innocence des autres ne sont
que les épreuves glorieuses de la sienne. Il
eut une grâce assez puissante, et il y fut assez
fidèle pour sortir avec avantage de la tenta-
tion. Mais que fera-t-il dans cette fatale con-
joncture? La chasteté, fragile el timide \er-
lu, par une sage méfiance de ses propres for-
ces, cherche d'ordinaire son salut dans la.
fuite. Ainsi Joseph, dit saint Basile, em-
ploya-t-il la fuite pour toute arme : Usus est
fuga )>ro armis [Oral. 8). Mais Thomas est
resserré dans une étroite prison, il se voit
comme en proie à un ennemi qui est d'au-
tant plus terrible qu'il vient à lui avec plus
de charmes. Que fera-t-il dans celle cruelle
nécessité? Il s'arme d'une juste fureur, et li-
M
OllATEl'KS SACHES. IJEGAI II
!.*
rant des forces de sa propre faiblesse, il re-
pousse un emportement d'effronterie par un
emportement de courage; il prend un tison
allumé, poursuit l'ennemi, et par ce feu
éteint une flamme d'impureté que cette
femme impudique voulait allumer dans son
cœur.
11 y en a que le monde quitte avant qu'ils
aient quitté le monde, lorsque, devenus mé-
prisables par des disgrâces réitérées, par le
renversement de leur forlune, par les ap-
proches de la vieillesse ou par de longues et
ennuyeuses infirmités, le monde les rebute
et les bannit des compagnies et de la sociélé.
Mais qu'il y en a peu qui quittent le monde
lorsqu'il court après eux, lorsqu'il leur of-
fre ce qu'il a de plus doux et de plus agréa-
ble, lorsqu'il se présente avec des charmes
tout nouveaux et sans aucun mélange de
ces bizarres infidélités et de ces perfidies qui
répandent tant d'amertumes sur les plaisirs
les plus vifs et les plus touchants 1 Par une
grâce singulière, Thomas, flatté des plus bril-
lantes espérances du siècle, orné de tous les
avantages de son innocence, dans ses plus
beaux jours , renonce généreusement au
monde, au milieu d'une tentation la plus sé-
duisante cl la plus délicate.
Combien y en a-t-il qui auraient trouvé
le péril agréable et qui l'auraient regardé
comme un événement heureux ! Combien
qui, pour pécher avec plus de confiance ,
pour étouffer les derniers soupirs d'une in-
nocence qu'on est en danger de perdre, et
pour s'élourdir sur les horreurs qu'inspirent
les premières tentations à une âme qu'une
crainte salutaire relient encore dans le de-
voir, écoulent ces funestes maximes que
l'esprit de la chair n'inspire que trop sou-
vent : Qu'il y a un âge et certaines occa-
sions où il est presque impossible de résister
aux charmes de la volupté, surtout quand
elle se présente d'elle-même; que c'est as-
sez de ne pas chercher le danger; que pour
mieux vaincre la concupiscence il lui faut
accorder quelque chose ; qu'il faut se désa-
buser du monde par le monde même; qu'on
ne méprise jamais mieux les plaisiis que
quand on les a goûtés ; qu'après tout, on en
est quille pour un repentir; que Dieu est
toujours prêt à pardonner; qu'inutilement il
aurait établi la pénitence comme un remède
à nos infirmités, si nous ne tombions pas dans
quelques faiblesses; qu'il y a une espèce de
pénitence aussi glorieuse que l'innocence
même, et qu'enfin on regagne bientôt par
l'humilité cl par la ferveur ce qu'on avait
perdu par un peu de fragilité 1
Loin d'ici ces malheureuses maximes qui
conduisent à l'impiété et au libertinage. Heu-
reux ceux à qui la loi apprend que la même
Ecrilurc qui nous défend d'aimer le danger:
Qui amatpericulumfin illoperibit (/:cc/.,III,
27), nous commande de le fuir quand il pa-
rait : Quasi afdciccoluliri fuye peccata [EccL,
XXI, 2) ; que la convoitise n'a point de bor-
nes; qu'elle s'irrite quand on la lia le; que,
comme une sangsue avide, «dus on cherche
u la satisfaire, plus elle devient insatiable ;
qu'il est contre toute raison d'acheter un fra-
gile plaisir par des regrets éternels ; qu'il est
injuste d'être méchant parce que Dieu est
bon; que la pénitence est un remède à nos
infirmités, et non pas un prétexte pour favo-
riser la concupiset nce ; que le monde (barge
de cruelles chaînes ceux qui se sont une f. • is
soumis à lui ; qu'un péché c induit à un au-
tre; qu'insensiblement I habitude se forme
et passe en nécessité ; et que. comme dit saint
Ambroise, il est aussi difficile de trouver des
chrétiens qui fassent une sincère pénitence
après leur péché, que d'en trouver qui aient
conservé leur première innocence.
Thomas suivit ces belles maximes et ces
grands principes de vertu. Ainsi dégagé de
la volupté et de tout ce qui occupe vainement
l'esprit et le cœur des hommes mondains, il
s'appliqua avec ardeur à l'étude de la véri-
table sagesse. Bientôt il devint l'étonnemcnl
et l'admiration des plus fameuses académies.
Ce fut principalement dans celle de Paris
que, joignant un travail infatigable à un des
plus beaux génies qui fut jamais, il fil de si
grands progrès dans ses éludeô. qu'ayant
mérité le bonnet de docteur il se vil en état,
à l'âge de vingt-cinq ans, d'enseigner la théo-
logie dans la première université du monde.
Bientôt la réputation de sa vertu et de sa su-
blime science se répandit par toute la terre;
il fut regardé comme le miracle de son siè-
cle, comme l'oracle de la vérité et comme un
vase précieux où Dieu avait renfermé tous
les plus riches trésors de sa sagesse. Tout
le monde vint en foule pour entendre ce nou-
veau Salomon. Les plus savants hommes, at-
tirés par le bruit de sa profonde science, le
consultent de toutes paris. On veut l'élever
sur le chandelier de l'Egli>c pour le faire
briller avec | lus d'éclat et de plus loin.
Mais rien ne fut capable , je ne dis pas de
lui inspirer de l'orgueil, mais de donner
même la moindre .illeinle à sa modestie.
L'ambition ne trouva pas en lui plus de fai-
blesse que la voluplé. Il refusa constamment
les dignités qu'on lui offrit. Dieu, pour gar-
der cet ordre admirable qui fait la beauté de
l'Eglise, y a établi , dit saint Paul, les uns
pour être apôtres, les autres prophètes, les
aulres docteurs [Bphes.,lV, 11). Ayant plu
à la divine Providence de le mettre au rang
des docteurs, il ne voulut point renverser cet
ordre.
Qu'il fut éloigné de la conduite de ceux
qui briguent par mille voies illicites les di-
gnités de l'Eglise; qui, pour être élevés aux
premières places dans le royaume de Jés |-
Cbrist, au défaut du mérite el de la vertu.
emploient les intrigues, la faveur des gra n
la fausse modestie, l'hypocrisie! Thomas,
content du rang où Dieu l'avait mis, ni les
honneurs publics que loul le monde ren-
dit à sa science et à sa vertu, ni la laveur des
princes, ni la violence même que lui fit ( dé-
ment IV pour l'obliger d'accepter l'arcbc-
véché de Naples, rien ne fut capable de le
loucher. Il tremble à la vue d'un poids si
formidable aux anges mêmes. Persuadé que
l'élude de la sagesse demande un parfait dé-
53
PANEGYRIQUE DE SAINT THOMAS D'AQUIN.
34
lâchement de toutes les vues d'ambition, il
inéprise avec saint Paul toutes les couronnes
de gloire, tout ce qu'il croit devoir être un
obstacle à l'acquisition de cette éminente
science à laquelle il aspirait : Verumtamen
eristimo omnia delrimentum esse, propter
eminentem scientiam Jesu Christi (Philip.,
III, 8).
Après ce mépris si général de toutes les
choses de la terre, de quelle abondance de
lumière Dieu ne remplit-il pas un esprit si
vide de tout ce qui pouvait l'occuper inuti-
lement! Qui pouvait avoir une plus vaste
capacité pour recevoir les dons de la sa-
gesse? Mais avant que de parler à fond de
cette sublime science, après vous avoir mon-
tré que saint Thomas l'a méritée par le gé-
néreux mépris qu'il a fait de tous les biens
de la terre : Nihil esse duri in comparatione
illius, voyons qu'il l'a acquise par la force
de sa prière : Invocavi, et venil in me Spiri-
tus sapientiœ; c'est ce que nous allons voir
dans la seconde partie de ce discours.
SECOND POINT.
Par cette prière dont nous parlons, Mes-
sieurs, n'entendez pas ces voies nouvelles
d'une sèche et stérile spéculation; ces spiri-
tualités subtilisées, ni ces étals passifs où,
transporté par un amour extatique, toujours
mû par de secrètes impulsions, on passe par
des épreuves et des expériences inconnues
aux âmes mêmes les plus saintes. N'entendez
pas cette vaine inaction qui devient uni; per-
nicieuse oisiveté; n'entendez pas ces degrés
d'une oraison extraordinaire, qui commence
par l'esprit et qui finit par la chair; qui
anéantit les mystères de la religion, méprise
les vertus et la pratique des bonnes œuvres ;
qui néglige les moyens de salut, sous pré-
texte de tendre immédiatement ri la fin; qui
ruine la piété, sous prétexte de la perfec-
tionner; qui permet à l'âme de succomber
à la tentation, sous prétexte de l'y purifier ;
qui détruit l'espérance chrétienne, sous pré-
texte d'élever la charité.
Je parle d'une prière où l'esprit, s'élevant
à Dieu par la considération de ses grandeurs,
le loue et le glorifie sans cesse ; où, s'abais-
sanl ensuite au néant de la créature, l'hom-
me se confond dans la vue de ses faiblesses
et de ses misères. Je parle d'une prière où
l'âme est comme perdue en Dieu; où, par
une communication intime avec Dieu, elle
reçoit immédiatement une abondante effu-
sion de lumières. Je parle d'une oraison qui
entretient l'humilité, la foi, l'espérance des
biens à venir et la parfaite charité; qui ins-
pire toujours une pratique exacte des vertus
chrétiennes, cl une constante fidélité à ses
devoirs.
C'est par ce genre de prière que saint
Thomas acquit celle science sublime qui
fera l'admiraiion et l'étonnement de tous les
siècles. Toute sagesse vient de Dieu, dit l'Ec-
clésiastique (Eccli., I, 1). Pour confondre
l'orgueilleuse présomption de l'homme, Dieu
ne veut pas que ce qui est un de ses dons
les plus précieux soit regardé comme le fruit
de nos veilles et d'un opiniâtre travail. Il l'a
ainsi ordonné, que l'homme en punition de
son péché trouve de la peine dans l'acquisi-
tion de la science, suivant celte parole du
Sage : Qui addit scientiam, addit et laborem
(Eccli., I, 18). Mais afin que l'homme ne se
glorifie pas d'avoir ses connaissances indé-
pendamment de Dieu, Dieu, dit l'Ecriture,
veut être le maître des sciences de l'homme:
Deus scientiarum Dominus est (I Reg., II, 3).
Or, c'est dans l'oraison que Dieu commu-
nique ordinairement les connaissances ré-
servées à ces grands génies, qui sont comme
des astres brillants d'où l'Eglise puise ses
plus pures lumières. Ainsi donna-t-il à Sa-
lomon, dans la prière, toute la sagesse dont
l'esprit humain puisse être capable. Ainsi
voyons-nous que Dieu , voulant instruire
Moïse de ce qu'il y avait de plus profond
dans la loi, le conduisit sur la montagne, et
lui révéla dans l'oraison ses plus sublimes
mystères. Ainsi voulut-il que les apôtres se
préparassent par la retraite et par la prière
à recevoir le Saint-Esprit, qui devait leur
enseigner toute vérité. Ainsi le grand Apôtre
dit-il de lui-même que, dans une haute con-
templation, ravi jusqu'au troisième ciel, il
entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas
permis à un homme mortel de rapporter (II
Cor., XII, k).
Par l'oraison, l'âme est intimement unie
avec Dieu. L'oraison est une ligne de com-
munication entre le ciel et la terre ; c'est un
canal par où Dieu fait couler ses plus pures
illuminations. C'est celte échelle mystérieuse
de Jacob (Gènes., XXVIII, 12) par laquelle
l'homme monte au ciel, et par laquelle Dieu
descend sur la terre. C'est là que ces âmes
choisies , admises dans le sanctuaire de la
sagesse, voient à découvert les plus impéné-
trables mystères ; c'est tlà qu'elles puisent
dans le sein de la Divinité, comme dans la
source même, les plus abondantes lumières.
C'est là, pour me servir des paroles de saint
Paul, que tous les nuages étant dissipés ,
n'ayant plus de voile qui nous couvre lo
visage, contemplant la gloire du Seigneur,
nous sommes transformés en la même image,
passant de clartés en clartés peir l'illumina-
tion du Seigneur (11 Cor., III, 18). Car, comme
il est impossible que Dieu étant la souve-
raine charité, ceux qui s'en approchent n'en
soient enflammés, il est de môme impossiiile
que Dieu étant la souveraine vérité, ceux
à qui il se communiquo intimement n'en
soient éclairés.
Loin d'ici ces prétendus esprits forts qui
traitent de rêveries les grâces extraordi-
naires que Dieu fait à ses élus. Loin d'ici
ces hommes de chair à qui la prière parait
inutile pour les sciences, et qui regardent
comme un temps perdu celui qu'on emploie
aux exercices de piété- Dieu, quand il lui
plaît , remplit les hommes de l'Esprit
de sagesse : Si enim Dominus Deus i;o,'ue-
rit , Spiritu sapientiœ rephbit illumi Eccli.,
XXX1X.8).
Telle fui la science de Thomas : assis, so-
litaire, dans un tranquille silence, il s'éleva
ORATEURS SACRES. [JEGAULT.
J8
par l'oraison au-dessus de lui-même, et puisa
tla us le sein de Dieu les plus liantes COO-
naissances. A la vérin- il étudia, < omme s'il
avait dû attendre lont de ion travail ; mata
il pria , comme si pour devenir savant il
n'avait eu besoin d'autre secours que l'orai-
son. A peine pouvait-on distinguer en fui
l'élude d'avec la prière; mais, plussoigneux
de devenir saint que savant, il regardait
toujours Dieu comme le principe et la fin de
ses éludes, qui n'étaient, selon la règle qu'en
donne saint Augustin, qu'une attention con-
tinuelle de son esprit à la lumière éternelle,
cl un attachement immuable de son cœur à
Dieu, qui est la vérité même.
C'est dans l'oraison que Dieu le remplit
des lumières d'une céleste sagesse. Dieu
porta immédiatement à son esprit les plus
sublimes connaissances; et comme s'il eût
été jaloux que les hommes lui apprissent
ses mystères, il les prévint et se rendit lui-
même son premier maître. Heureux, Sei-
gneur, dit le Prophète,' heureux celui que
vous avez instruit vous-même : lia tus
homo quetn tu erudieris , Domine ( Psal.
XCI11, 12).
C'est dans l'oraison que saint Thomas
trouve la clef de la science, que tous les
livres lui sont ouverts, et qu'il lit à décou-
vert te que les autres ne voient que dans
des énigmes obscures. L'oraison est pour
lui une école de sages«e , où , comme une
intelligence, son esprit, se purifiant par la
séparation de toutes les idées du mond.1 ,
devient plus susceptible des impressions de
la lumière céleste. C'est là où, ne voulant
savoir que Jésus-Christ, il apprend toutes
choses. C'est là où, comme les bienheureux,
en voyant l'essence divine, connaissent par-
faitement toutes les créatures , ainsi, con-
Jemplant dans l'oraison la Divinité , il y
voit, comme dans un miroir, tout ce que
l'esprit créé est capable de comprendre.
C'est de là que, comme un autre Moïse, il
sort tout rayonnant de ces vives lumières
qu'il a puisées dans l'entretien qu'il a eu
avec Dieu : Ex ronsortio s rmonis Domini
(Kxod., XXXIV, 29). Soù âme illuminée,
comme la céleste Jérusalem qui a Dieu même
pour sa lumière , et qui n'a point d'autre
soleil qui l'éclairé que l'Agneau, découvre
les secrets les plus cachés de la Divinité,
pénètre les mattér'es 1rs plus sublimes de la
théologie par une clarté qui tient plus de
l'intelligence que de la simple science, et
qui lui montre la \éri:é plutôt dans les prin-
cipes que dans les couseque res et dans les
r. ■isonncinenls. A la \érité, il puisa dans les
trésors de la nature, dans les livres de la
savante antiquité, des beautés et des ri-
chesses infinies ; par ses veilles , par son
application continuelle, par son assiduité à
la lecture, il acquit une connaissance par-
faite des Btienced hum ;incs; mais il sancti-
fia par l'oraison toutes ces connaissances
pro'aues ; il ne les estima qu'autant qu'elles
pouvaient être utiles à l'étude des sciences
divines. Ce furent autant de dépouilles qu'il
enleva à l'Egypte, pour les faire servir à la
décoration du labern :cle.
Il puisait la science dans les livres, en
même tempi qu'A la recevait de Dieu dans
l'oraison; profitant de lavis important que
donnait saint Cyprien a Douai : Sit tibi ora-
tio (tssidua, et tertio ; nunc (fuffl Dm loùuere,
nunc Dnu tecutn. Partageant a usi le temps
entre la lecture et la prière, tantôt il parlait
à Dieu dans celle-ci, et tantôt il écoutait
Dieu qui lui parlait dans cefle-îà, recevant
dans l'étude ce qu'il avait demandé dans
la prière. Quelle doit être la snenee, Mes-
sieurs, dont les sources sont si fécondes et
si pures!
Ainsi dégagé de tout ce qui pouvait le dé-
t urner de l'étude de la sagesse, instruit par
l'Esprit de Dieu même, dans une continuelle
oraison, faut-il s'étonner s'il acquit celte
haute intelligence qui fera l'admiration et
l'étonnenicnl de tous les siècles? Faut-il s'é-
tonner s'il composa un si prodigieux nombre
de volumes? faut-il s'étonner si la force de
ses expressions répond si parfaitement à la
beauté et à la subtilité de ses pensées; si ses
paroles fécondes des plus brillantes lumières
produisent une idée semblable à celle de ces
esprits sublimes qui représentent une infi-
nité d'objets par un seul trait ?
Faut-il s'étonner si Thomas s'élève dans
le centre de cette haule science que l'Eglise
a approuvée avec des termes si magnifiques,
et des éloges auxquels l'éloquente humaine
ne peut rien ajouter? Faut-il s'étonner si,
dans les conciles mêmes, où préside le Saint-
Esprit, on a vu ses écrits élevés sur le même
trône où étaient placés les livres sacres; et
si les Pères assemblés ont cru qu'il était né-
cessaire, avant que de prononcer leurs ora-
cles, de consulter les livres de Thomas, soit
pour découvrir les vérités éternelles à la fa-
veur de ses lumières, so»t pour les soutenir
par la force et par la subtilité de ses argu-
ments? Faut-il s'étonner si Jésus-Clirist dé-
clare aulhentiquement que Thomas a bien
écrit de lui, et s'il canonise sa doctrine de sa
propre bouche : Bene scripsistide me, Thomu t
O digne approbation, où le Verbe de Dieu
loue la parole de l'homme 1
Ful-il jamais un style plus vif, plus concis,
plus solide, plus sublime î Qui peut assez ad-
mirer les lumières de son esprit, la profon-
deur de sa doctrine, la force de ses raisonne-
ments, la solidité de ses principes, la subti-
lité de ses arguments, l'ordre et la netteté de
ses écrits? Que si l'on trouve dans saint Tho-
mas des endroits difficiles à comprendre, di-
sons que ces nuages procèdent de la gran-
deur et de la sublimité de la matière, plutôt
que du défaut de l'ouvrage. Ici l'obscurité
de la vue vient de l'éclat de l'objet. Si qucl-
quefois sa doctrine nous parait enveloppée
cl couverte, ce n'esl que comme d'au véle-
ment de lumière, qui éblouit les premiers
regards, mais à la laveur duquel on voit une
inunilé de merveilles aussitôt que les \eux
j so:;i accoutumés. Quand il s'agil d--s ques-
tions de foi, quelle théologie n'es! pas foulée
sur les principes de saint Thomas? Quel
PANEGYRIQUE DE SAINT THOMAS DAQUiN.
57
docteur a su mieux que lui faire enlrer dans
la connaissance des plus hauts mystères, par
des convenances proportionnées à la fai—
blesse de nos esprits?
Quel docteur, soit qu'il faille persuader
aux gentils les vérités de la religion, soit
qu'il faille convaincre les athées de l'exis-
tence de Dieu , soit qu'il faille persuader
l'opiniâtre incrédulitédes Juifs; queldocteur,
dis-je, n'emprunle pas de lui des armes
victorieuses, pour combattre tous les enne-
mis de la vérité? C'est des écrits de Thomas,
surtout de celle Somme admirable, qui ren-
ferme autant de sentences que de paroles ;
c'est de ces divins écrits, comme de la tour
de David, que pendent mille boucliers, pour
la défense d'Israël (Cant., IV, k).
C'est dans les livres de Thomas où, com-
me dans une source publique ouverte à tout
le monde, les ignorants et les savants vont
puiser ces eaux vives qui rejaillissent jus-
qu à la vie éternelle. Quelle hérésie, ju ne
dis pas seulement de son temps, mais des
âges mêmes qui l'ont précédé et <ie ceux qui
l'ont suivi, n'a pas été confondue et détruite
p;ir sa doctrine ? Vous avez senti la ' force
de Thomas à confondre l'erreur el à soutenir
la vérité, hérétique furieux, vous (liucer) qui,
méditant la ruine entière de l'Eglise, avez dit
que vous pouviez la détruire si on était ses
écrits: Toile Tlwmam,et dissipabo Ecclesium.
Mais en vain frémiront contre lui avec
toute leur rage les ennemis de l'Eglise; il
sera, jusqu'aux derniers siècles, l'appui et
le fondement solide de la vérité. Semblable à
Simon, le grand prêtre, Dieu le meitra dans
l'Eglise comme une colonne inébranlable,
pour appuyer et soutenir la maison du Sei-
gneur : Suffulsit domum, et in diebus suis
corroborant Templum (Eccli., L, 1). Il vivra
même après sa mort: Mortuus est pater,et
quasi non est mortuus (Eccli., XXX, k.) Tho-
mas est mort. Appelé par Grégoire X au
concile général de Lyon, il mourut avant le
temps, plein de mérite et de vertus ; mais il
survit à lui-même, et par ses divins écrits,
qui rendent sa gloire immortelle, et parce
qu'ayant transmis, comme par héritage, son
esprit à ses frères, qui sont les dépositaires
fidèles de sa science, il a laissé autant de dé-
fenseurs de la maison du Seigneur, qu'il y a
dans cet ordre fameux de docteurs et de pré-
dicateurs: Iteliquit defensorcm domus contra
inimicos (Eccli., XXX, 6).
Telle a éle la science du grand saint Tho-
mas, telles en ont été les sources précieuses :
le détachement de tous les biens du monde
cl un inviolable attachement à Dieu par la
pri re. Tels doivent être les moyens dont
nous devons nous servir pour devenir sa-
vants. O vous qui consumez vos jours à ac-
quérir, par un opiniâtre travail, une science
qui n'a souvent pour principe que l'ambi-
tion, la curiosité pour molif, cl l'intérêt pour
objet, une science qui dessèche le cœur à
mesure qu'elle remplit l'esprit; vous qui
foui appliquez continuellement à l'élude
d'une sagesse orgueilleuse à ceux qui la
possèdent, infructueuse à ceux qui l'appro-
38
chent : en vain vous fatiguez-vous dans la
recherche laborieuse des sciences , si vous
conservez toujours de criminels attache-
ments aux créatures, et si par une solide
piété vous n'êtes inviolablement attachés à
Dieu.
Car qu'est-ce que la science sans la piété?
Un vain et inutile amusement; une occupa-
tion pernicieuse, où souvent l'homme tra-
vaille à se faire une fausse religion ; où, au
lieu de chercher Dieu, il s'étudie à le mécon-
naître; où il se sert de ses propres lumières
pour obscurcir sa foi et pour corrompre sa
conscient e. C'est un faux brillant qui éblouit
et qui n'éclaire pas, une lueur trompeuse
qui, au lieu de nous découvrir la véritable
voie, nous conduit au précipice : c'esl une
nuée qui enfante un éclair, qui s'évanouit
aussitôt, et qui ne laisse ensuite que d'épais-
ses ténèbres.
Savants orgueilleux qui, enflés d'un amas
confus de connaissances entassées les unes
sur les autres , regardez les sciences, non
pas comme un don qu'on ne doit attendre
que du Père des lumières, mais comme le
fruit de vos veilles et de vos réflexions; vous
qui regrettez avec un avare ménagement le
temps qu'on donne à la prière, en vain
croyez-vous encore pouvoir parvenir à la
parfaite intelligence de nos mystères et des
vérités célestes, si vous ne mêlez l'oraison
à l'étude. Vous deviendrez des philosophes
profanes, mais non pas des docteurs de Jé-
sus-Christ. Mes frères , regardons comme
saint Thomas les sciences dans leur vérita-
ble source, c'est-à-dire en Dieu, qui les tire
(ies trésors inépuisables de sa sagesse pour
nous le; communiquer.
N'imitons pas ces laboureurs ingrats qui
n'attribuent l'abondance de leurs moissons
qu'à la iorce de leurs bras et à leur propre
industrie, sans regarder le ciel, qui par des in-
fluences salutaires a couronné leurs champs
ces plus riches fruits. Approchons-nous de
Dieu par l'oraison, et nous serons éclairés :
Accedite ad eum , et illuminamini (Psal.
XXX11I, 0). Par l'étude nous puiserons
dans les ruisseaux, mais par l'oraison nous
puiserons dans la source même.
Pour vous, chrétiens, qui n'aspirez pas à
ces connaissances sublimes, vous en saurez
assez si vous possédez la science du salut,
qui consiste à pratiquer avec une constante
lin1 élite les vertus chrétiennes. Vous ne connaî-
trez pas la grandeur et le mouvement du so-
leil cl des étoiles, mais votre vertu vous élè-
vera au-dessus des astres. Vous ne jugerez pas
des beautés el de la délicatesse des ouvra-
ges d'esprit, mais vous mériterez de juger
avec Jésus-Christ les hommes el les anges
mêmes. Vous ne pénétrerez pas dans les pro-
fonds secrets de la théologie : mais vous con-
naîtrez assez Dieu, qui en est l'objet, pour
l'adorer comme votre premier principe, et
pour l'aimer comme votre dernière fin.
La science, sera >:ét. uile, mais la thaï i!c dc-
wera toujours (1 Cor., XII1,8). Malheur à
celui qui connaîtra toutes choses, et qui igiui-
* rera Dieu el les voies qui conduisent à lui.
30
UltATEL'RS SACRES. REGAULT.
40
Eludions-nous (c'est la rentable science) à
Connaître Dion, pour le glorifier comme no-
tre Dieu, el dans le temps et dans l'éternité
bienheureuse, que je vous souhaite, avec la
bénédiction de Monseigneur, etc.
PANÉGYRIQUE
DE SAINT IlOCH.
Prêché à Paris, dans l'église des Quinze-
Vingts, le 16 août 1085, pour la confrérie de
Saint-Roch.
Charilas Christi urjrel nos.
La chanté de Jésus-Christ nous presse (II Or., Y, t »).
L'homme, Messieurs, est de lui-même pe-
sant et grossier, incapable de s'élever au-
dessus des sentiments de la nature; de lui-
même insensible à tout bien surnaturel, il
n'a de l'ardeur et de la vivacité que pour ses
plaisirs et pour les objets qui charment ses
sens; sonâme, appesantie paruncorps maté-
riel et corruptible, demeurerait comme ense-
velie dans la chair et dans le sang (Sap., IX,
15), si Dieu, par les douces impulsions de sa
grâce, ne la portait à l'amour des vertus qui
font le parfait chrétien.
C'est dans ce principe que l'Apôtre vient
de nous dire que la charité de Jésus-Christ,
qui est le modèle de la nôtre, nous anime
et nous presse par des mouvements secrets
de l'Espril-Saint : Cltaritas Christi urget nos.
Mais quelle est celte partie de la chanté de
Jésus-Christ dont j'ai dessein de vous par-
ler aujourd'hui? c'est celle qui, par sa bonté
cl sa tendresse pour les hommes, l'a porté
à soulager et à guérir toute sorte de mala-
dies et de langueurs. Nous ne lisons point
dans l'Evangile qu'aucun malade se soit
présenté à Jésus-Christ, que Jésus-Christ,
étendant sur lui ses soins charitables, ne l'ail
guéri de son infirmité : Sanans omnem lan-
guorem{Matth., IV, 23).
C'est, Messieurs, cette même charité qui
presse le grand saint Roch , patron de
celte illustre confrérie, dont nous célébrons
aujourd'hui la fêle; en sorte qu'il peut dire
avec justice : La charité de Jésus-Christ
nous presse : Cltaritas Christi urget nos. Ce
fut cette charité tendre et compatissante qui
porta ce grand saint à entreprendre le soin
et la guérison des maladies les plus déses-
pérées el les plus terribles. Aussi est-ce de
celle héroïque vertu, qui fait le caractère
particulier de saint Roch, que j'ai résolu de
vous entretenir dans ce discours.
Le pouvoir qu'il a auprès de Dieu dans les
maladies contagieuses; le besoin que nous
avons de son intercession, pour en être pré-
servés dans un lemps où nous sommes
menacés de ce fléau terrible de la vengeance
de Dieu, par les alarmes que nous en avons
eues au commencement de celte saison; les
grâces et les bénédictions singulières qu'il
attire tous les jours sur cette maison de cha-
rité, tout nous intéresse à célébrer aujour-
d'hui celle verlu dominante de notre saint.
. Pour en parler dans loutc son étendue,
disons que la charité de Jésus-Christ a pressé
saint Roch pendant qu'il a été sur la lerre,
en lui donnant le courage de servir cl assis-
ter avec des soins infatigables les malades,
Souvent les plus pauvres et les p'us aban-
donnés : ce sera mon pr mier point ; que
CClte même charité le presse encore dans
l'étal de sa gloire, et le porte à secou-
rir les chrétiens frappés de la contagion,
par la protection singulière qu'il donne a
ceux qui l'invoquent dans ces horribles
ca amilés : ce sera mon second point :
Chariiat Christi urget nos. En deux mots,
la charité que saint Koch a exercée sur la
terre, la charité qu'il exerce encore dans
le ciel , c'est le sujet de son éloge cl de
vos favorables attentions. Nous ne pouvons
parler de sa charité sans le secours de l'es-
prit de charité; demandons-le par lin enes-
sioo delà saint*- Vierge, la mère de miséri-
corde. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Si la charité héroïque de saint Roch, Mes-
sieurs, ne me fournissait pas une assez am-
ple matière de louanges pour composer son
éloge, en remontant jusqu'aux antiques
obscurilés des plus illustres chevaliers de la
ville de Montpellier, capitale du Ras-Langue-
doc, je trouverais de quoi relever l'éclat de
sa gloire. Mais ne nous arrêtons pas à ces
généalogies sans fin, plus propres à flatter
l'orgueil qu'à fonder une solide grandeur.
Roch connut une noblesse plus estimable
que celle du sang, une noblesse qui se tire
de la pratique des vertus chréiiennes : le
caractère du baptême qui le fit enfant de
Dieu, celle croix miraculeuse, imprimée
sur sa poitrine, qui dès le sein de sa mère
fut un présage qu'il serait un des plus fidè-
les disciples de Jésus-Christ ; cet instinct de
pénitence, qu'il eut dès le berceau, de se
traiter en coupable, tout innocent qu'il était,
on s'abstenant de la mamelle certains jours
de la semaine ; la compassion envers les
misérables, qu'un père pieux lui laissa comme
par testament, furent pour lui des titres
mille fois plus précieux et plus brillants que
ceux qui relevèrent la grandeur de son illus-
tre origine.
Passons tout d'un 'coup aux actes héroï-
ques de la charité de notre saint. Maitre ab-
solu de lui-même et de sa fortune, pensez-
vous, Messieurs, qu'il fit de vains projets de
s'élever dans le monde el de jouir tranquil-
lement du riche héritage de ses pères ? Ce
fut à l'âge de vingt ans, où les passions sont
plus vives, où le monde se présente à nous
avec plus de charmes, qu'il forma le dessein
d'abandonner tout pour suivre Jésus-Christ,
et le servir dans la personne de ses pauvres.
Quelle étrange résolution ! L'Evangile re-
marque que Pierre el André quittèrent leurs
filets pour suivre Jésus-Chrisl Vatth.,\\,
22 ' ; par là il semble louer leur détache-
ment : que devons-nous dire quand nous
vivons saint Roch abandonner de grandes
possessions pour être au nombre de ses
disciples ? Fidèle auronseil de l'Evangile, pour
acquérir les trésors du ciel , il méprise ceux
delaterre;deslinéqu'il estparlaProvi Jcuce à
u
servir et assister les pauvres, pour avoir
auprès d'eux un plus facile accès, il veut
leur ressembler.
En vain le siècle lui présente des hon-
neurs, des dignités, des postes éclalants; en
vain la chair et le sang emploient tous leurs
artifices pour rompre ses pieux desseins, il
renonce généreusement à tout ce qu'il pos-
sède, il se. souvient que le Fils de Dieu étant
riche se fit pauvre pour l'amour de nous (11
Cor., VIII, 9) : persuadéqu'on acquiert les ri-
chesses avec peine, qu'on les possède avec
inquiétude, qu'on les perd avec douleur;
qu'elles servent à nourrir les passions, à ir-
riter les convoitises ; qu'elles sont les épines
de ia vie, qui étouffent les bons désirs dans
un cœur qui veut se donner à Dieu, qu'elles
percent de cruelles pointes tous ceux qui s'y
attachent, il s'en dépouille entièrement,
pour n'avoir en lui aucun obstacle qui
puisse le détourner des exercices de la cha-
rité.
La perfectiondes premiers chrétiens, dans
la naissance de 1 Eglise, fut de vendre leurs
biens et leurs possessions, et d'en apporter
le prix aux pieds des apôtres, pour le dis-
tribuer en aumônes : Roch, qui ne veut être
riche qu'on foi et en bonnes œuvres, suivant
ce beau modèle, vend son ample patrimoine
pour fournir à sa charité; il croit que Dieu
ne lui a donné dos biens que pour les faire
passer dans les mains des pauvres.
Que diront à ces exemples de dépouille-
ment ces hommes terrestres, possédés par
la cupidité des richesses, qui ne font cas que
des biens de la fortune, qui louent les ri-
ches de leurs trésors, qui ne connaissent
d'autre mérite que celui d'avoir de grands
revenus, qui n'estiment d'heureux que
ceux qu'ils voient dans l'abondance : Bea-
tum dixerunt populum cui hœc sunt (Psal.
CXLIU, 15); qui méprisent les pauvres et
la pauvreté? Que diront ces mauvais ri-
ches qui, au milieu de l'opulence, des aises
et des douceurs de la vie, refusent les moin-
dres secours à un pauvre dans sa misère ;
qui, épiant avec orgueil leur pompe mon-
daine, foulent aux pieds des misérables qui
leur crient miséricorde dans leurs plus pres-
santes nécessités ?
Mais où m'emporte déjà le zèle de la
charité ? Suivons l'éloge de notre saint.
Ainsi dégagé dos affections de la terre, il se
dépouille c!e (outes les marques du siècle en
quittant ses riches habits, dont il emploie
le prix pour revêtir les pauvres; cl, par une
sainte folie de l'Evangile, il se met dans l'é-
tat, ridicule aux yeux du monde, où l'on a
coutume de nous le représenter; comptant
pour rien d'être regarde comme la balayure
du monde, il dit avec l'Apotre : Nous faisons
gloire pour l'amour de Jésus-Christ de passer
pour insensés devant les hommes (I Cor., V,
10, 13). A quels nobles excès ne porte pas
la charilé de Jésus-Christ 1 11 n'appartient
qu'à vous, ô mon Dieu 1 d'imprimer par vo-
ire grâce puissante ce généreux mépris du
faste et de la vanité du siècle.
O vous à qui les sainls paraissent des ob-
OllATEUnS sacrks. XXX.
PANIX.YRIQUE DE SAINT ROCtI. 42
jets dignes de pitié, tandis que leurs vertus
les rendent les objets de la complaisance de
Dieu même, pensez à ce jour terrible pour
vous, où, les voyant dans la possession d'un
royaume éternel, vous sorez contraints de
vous écrier : Insensés que nous étions nous-
mêmes, nous regardions leur vie comme une
véritable folie : Nos insensati vitam illorum
œstimabamus insaniam. Et nous les voyons
aujourd'hui placés parmi les enfants de Dieu,
sur des trônes éminonts de gloire : Ecce quo-
modo computati sunt inter filios Dei, et inter
sanctos sors illorum est (Sap. , V, k) ?
Roch, pour obéir à la voix du ciel qui l'ap-
pelle, sort, comme Abraham, de son pays; il
s'éloigne de ses parents, de ses plus tendres
amis et de tout ce qui pouvait encore l'atta-
cher au monde. C'était assez la coutume en
ces temps-là de chercher à se sanctifier par
la visite des lieux saints. Ce qui fut à plu-
sieurs une occasion de dissipation et de li-
bertinage, fut à notre saint un sujet de mé-
rite et de vertu.
Rome fut le premier théâtre de sa charité.
Roch ne fut pas attiré dans cette capitale du
monde chrétien par une vaine curiosité de
voir ces superbes monuments de la grandeur
et de la magnificence des Romains, ce fut
pour recueillir sur le tombeau des apôtres et
des marlyrs les prémices de l'esprit de la re-
ligion , et y rallumer le feu de son zèle et de
sa charité. Déjà je le vois comme un ange
consolateur parcourir tous les hôpitaux de
celte grande ville; car les pauvres malades
furent le principal objet de ses soins. Dans
le corps humain notre attention se porte pre-
mièrement et principalement aux parties les
plus faibles ; un père chérit plus tendrement
nu fils malade qu'un autre qui sera sain et
vigoureux : ainsi notre charitable Samari-
tain s'applique d'abord à secourir les mala-
des, comme les membres infirmes de Jésus-
Christ et les enfants les plus atfligés de l'E-
glise. Il retrouve en eux Jésus-Christ , qui,
comme dit un prophète, a voulu porter nos
maladies et nos langueurs (Isa., LUI, k); tou-
ché d'une tendre compassion, il s'écrie avec
saint Paul : Qui est infirme que je ne le sois
avec lui (II Cor., XI, 29) ? il se regarde comme
le vicaire de la charilé du Fils de Dieu.
C'est une vérité de foi, fondée sur les ora-
cles de l'Ecriture, que tous les offices de cha-
rité que nous rendons à nos frères, Jésus-
Christ les reçoit comme si nous les rendions
à sa propre personne (Mal th., XXIV) : c'est
ce qui en relève infiniment le prix et le mé-
rilc. Et remarquez ici, Messieurs, que dans
les visites et l'assistance que nous rendons
aux pauvres malades sont renfermées pres-
que toules les œuvres de la miséricorde
chrétienne : car ordinairement ils ont faim,
ils ont soif, ils souffrent les nécessités de la
vie, ils deviennent comme étrangers à leurs
amis, et souvent même à leurs propres pa-
rents,qui les abandonnent dans ce triste élal ;
ils sont prisonniers, allai liés au lit de leur
douleur; ils sont sans babils, l'hiver ils
souffrent le froid, ils sont livrés à la rigueur
des saisons.
2
vCIŒS. BEGAULT.
La miséricorde | connue ;ivec Job (Job,
XXXI, 18), élait née et croissait avec notre
saint. Avec quels empressements rend-il à
ses frères malades les offices les plus péni-
bles cl les plus humiliants I 11 s'est dépouillé
de tout, il ne peut plus rien donner, il est
plus pauvre que. ccu\ qu'il assiste, il se
donne lui-même. Mais admirons les effets de
sa ebarilé ingénieuse , qui lui fait trouver
une ressource dans la libéralité d'autrui. 11
sollicite les aumônes des fidèles en faveur des
misérables, il va mendier de porte en porte ;
et se réservant à peine un morceau de pain
pour sustenter sa vie, il donne tout à la cha-
rité; c'est par ce pieux artifice cl par ses
charitables soins que la faim est rassasiée,
que la nudité est revêtue, l'infirmité guérie,
l'affliction consolée, el que chaque espèce de
misère trouve un fonds pour la soulager.
Mais qu 1 spectacle va se présenter à nos
yeux 1 Rocb poussé par, les mouvements d'une
charité héroïque, ne craindra point de s'ex-
poser au péril évident de la mort. C'est ici
l'endroit d'admirer jusqu'à quel noble excès
est porté un chrétien par la charité de Jésus-
Christ qui le presse. On a mis la perfection
de l'héroïsme dans le mépris constant des
dangers et de la mort : quelque courage que
puisse avoir le héros, on ne sera pas con-
vaincu de son intrépidité, si elle n'est mise
aux dernières épreuves ; la valeur ne triom-
phe proprement que dans les grands périls ;
aussi est-ce le degré le plus parlait de la
force chrétienne, d'affronter la mort avec
toutes ses horreurs quand il faut pratiquer
la charité. Or, Messieurs, est-il de danger
plus te; rible que d'être exposé dans des lieux
infectés de la contagion?
Quoique cette vie soil le temps delà misé-
ricorde, el que Dieu plus ordinairement ré-
serve au jour de sa colère la punition duc
aux pécheurs, il ne laisse pas de foire éclater
de temps en temps sur eux les effets terri -
blés de sa justice; il ne les punit pas lou^
jours, afin qu'ils ne s'accoutument pas aux
châtiments ; il les punit quelquefois, afin
qu'ils apprennent à craindre la sévérité de
ses vengeances.
Vers le commencement du treizième siè-
cle, les crimes des hommes ayant irrité la
colère de Di?u, il affligea une grande partie
de l'Europe par la peste : elle s'alluma pre-
mièrement en Italie , l'incendie passa dans
la France et dans les Etats voisins. Vous
traccrai-je ici, Messieurs, la triste peinture
de ces jours d'horreur et de désolation, où le
ciel irrité ne vers ! sur la terre que des in-
fluences malignes, où ces anges ministres
des vengeances du Seigneur , dont parle
saint Jean dans son Apocalypse, versent
dans les airs les coupes fatales de sa fureur
(Apoc, XVI, i); où les hommes par des souf-
fles meurtriers s'infectent cl se tuent les uns
les autres ; où des las de morts el de mou-
rants exhalent partout une odeur de mort ;
où les lois les plus sacrées de la nature sem-
blent ne plus obliger, où le père abandonne
le fils, où l'épouse s'éloigne de l'époux, OU
chacun, alleulif à conserver sa vie, croit élrc
en droit de négliger ceUe de s - fi rcs; uù,
épouvanté par mille i nages affreuses di la
m ri dont on se voit environné de toutes
parts, on cherche son propre salut dans la
fuite?
C'est au milieu de ces horreurs que G
Roch, pressé plus que jamais par la charité
de Jésus-Christ, assiste ses frères languis-
sants ; à la \ ue des plus grands dangers, sans
être effrayé par les cruels ravages que fail
partout ce fléau terrible, il ranime son cou-
rage, il s'élève au-dessus de toutes les crain-
tes humaines , rien n'est capable d'arnt i
les mouvements de son zèle. Prudence de la
chair, ennemie de Dieu , raison séduite par
l'amonr-propre, en vain vous efforçait s-vous
de prêter des excuses apparentes à la fai-
blesse de la nature, en vain voulûtes-vous
donner des bornes à, la charité héroïque de
saint Hoch ; la vue d'un Dieu qui s'est oc-
cupé pendant sa vie mortelle à guérir les
maladies les plus honteuses, redouble sa fer-
veur; sa foi lui montre dans ses malades la
personne de Jésus-Christ même, qui dans sa
passion routai paraître comme un lépreux,
suivant l'expression du prophète ( Isa. ,
LUI, 4).
Que ne puis-je vous représenter ce tendre
et pieux Samaritain dans les exercices de
son zèle, passant les terres et les mers, vo-
lant parloul comme une nuée bienfaisante,
pour faire sentir les influences de sa charité
dans les villes et à la campagne, dans tous
les lieux infectés de la contagion, bandani
les plaies, suçant les ulcères les plus enve-
nimes, recueillant les soupirs contagieux
des mourants, donnant à tous, comme un
autre Tobie, les consolations spirituelles, les
avertissements de salut et tous les secours
de l'âme et du corps qui pouvaient dépendre
de son ministère, adoucissant par une ten-
dre compassion et par la vertu de ses remè-
des les maux qu'il ne peut guérir !
Combien en a-t-il retiré des portes de la
mort, non-seulement par ses soins el ses of-
fices charitables, mais encore par l'efficace
du signe de la crois. ! Disons, Messieurs, de
saint Roch, avec quelque proportion, ce que
l'Evangile dit de Jésus-Christ, que, partout
où il passait, il guérissait par une vertu mi-
raculeuse toute sorte de maladies et de lan-
gueurs parmi le peuple : Sanans umncm lan-
(jttorem et omnem infirmila:em in populo
(Matth.t IV, -î:i). Disons que Dieu avait mis
ce grand saint, surtout dans l'Italie et dans
la France, comme un antre serpent d'à rata,
pour la guérison de ceux qui seraient piques
par des serpents enflammés [N-t .. XXI, B .
Mais ce ne sont pas ses miracles que je
loue, je trouve dans les actes de son incom-
parable charité le fonds if une gloire bien
plus solide. Combien de fois lriompha-l-il
des sentiments de la nature et de lui-même I
A ille< de l'Italie el de la France qui fûtes le
théâtre de sa charité, hôpitaux, sombres de-
meures consacrées à la miséricorde, se* re-
traites les plus ordinaires, qui fûtes les té-
moins secrets de ses grandes vertus, vous le
savez, combien de fois on vile1 héros du
*5
PANEGYRIQUE DE SAINT ROCH.
40
îhrisliaiiisaie (car la charité fait des héros
aussi bien que la force), vous le savez, com-
bien de fois on le vit, tantôt employant ses
pieuses mains au service des malades les
plus désespérés ; tantôt les levant au ciel
pour demander leur guérison ; tantôt atta-
ché à leur lit, où il sacrifie tout son repos ;
tantôt prosterné au pied des autels, où il ré-
pand son âme devant le Seigneur, partagé
entre ses soins et ses prières, entre les of-
fices de miséricorde et les exercices de sa
piété.
Fut-il jamais une charité plus parfaite?
Si, comme le Fils de Dieu nous l'assure,
personne ne peut avoir un plus grand amour
que de donner sa vie pour ses amis, quel
sera l'amour de celui qui expose mille fois
la sienne pour des hommes qui lui sont
étrangers et inconnus l C'est une espèce de
martyre.
En effet, Messieurs, ne trouvons - nous
pas dans les f sles de l'Eglise (Baron, in
Nat. martyr.) que de saints prêtres, de zé-
lés diacres, sont honorés comme martyrs,
parce que, du temps de l'empereur Valérien,
ils avaient exposé leur vie en servant les
malades frappés de la contagion? Quoique
le martyre ne convienne proprement qu'à
ceux qui sacrifient leur vie pour la foi, si
cependant Jean Baptiste fut martyr de la li-
berté de la prédication évangélique, si des
vierges de Jésus-Christ furent martyres de
la pureté, pourquoi ne dirons-nous pas que
les autres vertus, et surtout la charité, ont
leurs martyrs aussi bien que la foi?
Il ne manquait plus à la charité de saint
Roch que de se voir encore semblable ta ceux
qu'il assistait. Rien ne sert tant à l'exercice
de celle vertu que la ressemblance avec
ceux qui souffrent : elle ne se contente pas
de compatir à l'infirmité du prochain, elle
veut encore participera ses maux. Jésus-
Christ, venant sauver les pécheurs, prend la
ressemblance d'une chair de péché (Rom.,
VIII, 8).
Ce fut à Plaisance que, occupé à ces mi-
nistères pénibles et dangereux, il fut lui-
même frappé de la contagion dans un hôpi-
tal. Par quel secret impénétrable des juge-
ments de Dieu, ce charitable médecin est il
atteint du mal dont il guérit les autres? Par
quel conseil de la Providence, inconnu à la
sagesse humaine, arrivc-t-il qu'un des sept
anges envoyés du ciel (Apoc, XV, 7) ré-
pand sur cette victime innocente une de ces
cou[)CS envenimées qui, ce semble, ne doi-
vent tomber que sur des coupables? Mais
Dieu veut l'éprouver par une disgrâce pro-
portionnée au sublime degré de perfection
où il l'a élevé.
La peine du péché dans les autres devient
en lui le fruit de la charité et comme la ré-
compense de sa vertu ; il reçoit comme une
grâce ce que Dieu envoie aux autres comme
un châtiment : tout innocent qu'il est, il
souffre comme pécheur; c'est pour lui une
glorieuse hlcssurc qu'il a reçue dans le com-
bat; a l'exemple du grand Apôtre, il veut
élrc anathème pour se* frère» (Itom., VIII, 0).
Dieu le tenta par cette rude épreuve, et la
trouva digne de lui. Dans la tribulation,
quel respect pour les ordres rigoureux de
la Providence, quelle fermeté d'âme, lors-
que, dans une terre étrangère, gémissant
sous le fléau du ciel dont il avait délivré tant
de malades, il se vit privé de tous les secours
humains 1
Combien de fois s'offrit-il à Dieu comme
une victime publique pour expier les cri-
mes qui avaient attiré de si terribles châti-
ments ? Combien de fois s'écria-t-il : Sei-
gneur, tournez contre moi tous les traits de
votre colère, mais sauvez votre peuple?
Arrêtons - nous encore ici un moment,
Messieurs, pour pénétrer tout le mérite de
notre saint dans le triste état où l'a mis sou
zèle. Celte plaie, il est vrai, lui fut glorieuse
devant Dieu ; elle était faite par les mains de
la charité ; mais ne lui fut-elle pas honteuse
devant les hommes ? car enfin, à n'entrer
pas dans les voies extraordinaires que Dieu
tient à l'égard des saints, n'y avait-il pas su-
jet de craindre que, confondu dans la peine
commune, on ne le regardât comme coupa-
ble des crimes qui avaient attiré la punition ;
que l'éclat de tant de guérisons miracu-
leuses ne fût effacé par l'ignominie de son
état? Ne pouvait-on pas lui dire ce mot do
l'Evangile : Médecin, guérissez-vous vous-
même (Luc, IV, 23). Mais la charité souffre
tout; Roch se met au-dessus de toutes les
considérations humaines : comme il n'a pas
cherché à plaire aux hommes, il méprise
leurs jugements. Il regarde son mal comme
une pénitence que Dieu exige de lui pour
l'expiation de ses péchés, et non pas comme
une épreuve de sa vertu : humilié, anéanti
sous la main de Dieu qui le frappe, il n'a
pas honte qu'on lui dise, comme à Jésus-
Christ en croix : Il a sauve les autres, et il no
saurait se sauver lui-même (Matth., XXVil,
kl). Il est comblé de joie d'être trouvé digne
de souffrir pour Jésus-Christ : victime de sa
charité, il s'estime heureux de sacrifier une
vie, dont il ne jouira qu'à regret, s'il ne la
fait servir aux offices de son zèle ; car, Mes-
sieurs, toute sa douleur est de se voir hors
d'étal d'assister ses frères malades ou mou-
ranîs.
Mais, grand saint, consolez-vous ; Dieu
a écoulé la préparation de votre cœur [Usai.
X, 17): pour rendre votre vertu plus pure,
il veut vous priver pour un temps de celte
consolation : allez dans une forêt déserte,
loin de tout secours humain; il fera sortir
d'un dur rocher, comme il fit en faveur du
peuple d'Israël, une fontaine d'eau vive,
pour éteindre l'ardeur d'une fièvre qui vous
consume. Dieu, qui instruisit les corbeaux
à porter le pain à Klie (III Iieg., XXXVII,
V), apprendra à un chien fidèle à vous porter
chaque jour, dans une chaumine abandon-
née, du pain pour sustenter votre vie. Dieu
qui, pour faire éclater sa puissance, donne
à son gré la mort cl la vie, également maître
de l'une et de l'autre, qui conduit au tom-
h m, ri (fui en retire qui il lui plaît, cl quand
il lai plaît (I Reg., Il, fi), vous redonnera la
ORATEURS 8ACRRS. BEGAI I l.
48
santé, ci l'on vous verra enfin, plein de
jours et de mérites, finir dans le sein de vo-
ire patrie une vie que vous avez sacrifiée
aux exercices de la plus héroïque charité.
Oucl exemple viens-je de vous proposer,
Messieurs ! Qui de nous aurait le courage
d'assister ses frères dans un pareil danger ?
quels prétextes, quelles excuses u'allégue-
rail-on pas pour s'en dispenser? qui ne sen-
tirait la nature cl tous les sens se révolter
en lui à la vue d'un homme frappé de la
peste? Quoique nos iniquités soient très-
énormes, et en plus grand nombre que les
cheveux de notre lélc, néanmoins Dieu par
sa bonté arrête ses justes châtiments. Grâ-
ces immortelles en soient rendues au ciel,
depuis longtemps nous n'avons \u nos pro-
vinces et nos villes ravagées par ce fléau
terrible de sa colère. Mais pour cela man-
quons-nous d'occasi >ns de pratiquer la cha-
rité? Ces malades qui languissent dans les
hôpitaux, ne seniez-vous pas ia charité de
Jésus-Christ qui vous presse de les assister?
Si vous ayez horreur d'entrer dans ces som-
hres demeures où tout porte l'image affreuse
des misères humaines, donnez du moins
des secours abondants, pour suppléer par
vos aumônes au mérite que vous fait perdre
«ne superbe délicatesse qui vous empêche
de rendre à ces malheureux les offices de
miséricorde dont ils ont besoin.
Nous avons vu dans la première partie
comme la charité de Jésus-Christ a pressé
saint Roch pendant qu'il a été sur la terre.
Voyons dans la seconde comme celle même
charité le presse dans l'état de sa gloire :
Charitas Chrisli urget nos.
SECOND POINT.
La charité est des vertus théologales la
seule qui demeure dans le ciel : la foi et l'es-
pérance, vertus de voyageurs, seront détrui-
tes, parce que nous verrons Dieu comme il
est, et que nous le posséderons pleinement,
sans crainte de le perdre. Mais la charité,
dit le grand Apôtre, ne finira jamais, parce
qu'elle est le terme et la fin de toutes les
vertus, comme elle en est l'âme et la forme;
parce que le motif et l'objet formel de notre
amour subsisteront toujours : Charitas mut-
quam rxcidit (I Cor., XIII, 8).
Et remarquez, Messieurs, que la charité
demeurera non-seulement à l'égard de Dieu,
que les bienheureux aimeront dans le ciel
du même amour dont ils l'ont aimé sur la
terre, mais encore à l'égard du prochain. Les
saints ont pour nous la même charité, ils
sont touchés envers nous des mêmes senti-
ments de compassion et de tendresse que
lorsqu'ils étaient dans cette vie mortelle;
connaissant par la révélation divine nos mi-
sères, ils se sentent excités à nous secourir
dans nos besoins; la même charité qui les
pressa lorsqu'ils conversèrent avec nous, les
anime encore à s'intéresser pour nous dans
l'état de leur gloire; c'est la même habitude
qui produit les mêmes actes.
Dieu n'agit pas toujours immédiatement
par lui-même : souvent il se plait à se servir
du ministère de ses saints pour opérer les
merveilles de sa puissance et de sa bonté;
aussi voyons-nous que, selon le besoin des
hommes, il a établi divers dons, parmi les-
quels saint Paul met la grâce de guérir les
malades et d'assister le* frères : Exinde gra-
eurationum, opilulatione» (I Cor., Ml.
28). (]c fut le don particulier de saint Roch
pendant sa vie, et il l'exerce encore aujour-
d'hui avec la même charité dans les calami-
tés publiques; le même fen dont son cour
fut embrasé brûle encore dans ses cendres;
il semble que. comme un astre bienfaisant,
il ne soit élevé dans le ciel que pour répandre
sur nous avec plus de profusion ses influences
salutaires. Car quel si furieux incendie n'a-
t-on [as vu s'éteindre par l'invocation et les
suffrages de ce grand saint?
France, Espagne, Allemagne, Italie, qu'il
me soit permis encore de \ous appeler ici à
témoin : combien de fois la peste r . .
vos Etats, désolant vos plus belles provinces,
allant faire un cimetière de vos plus floris-
santes villes, vous vous en souvenez encore,
combien de fois ce grand saint a arrêlé le
cours de tant de malheurs? Et pour ne point
sortir de ce royaume, pariez, \ i 1 tes de Paris,
de Rouen, de Toulouse, de Rennes, et tant
d'autres, rendez témoignage à la charité et
au puissant crédit de notre saint patron dans
ces effroyables désolations; combien de fois,
après avoir épuisé inutilement tous les se-
cours humains pour guérir ce funeste mal,
combien de fois saint Roch, louché par les
prières et les vœux des peuples, a-l-il apaisé
la colère de Dieu et détourné ce fléau terrible
de sa justice? ïnlerroga majores tuos, cl di-
cent tibi (Veut., XXXV11, 7) : Interrogez vos
ancêtres, et ils vous diront que, dans ces
horribles calamités, le plus prompt et le plus
sûr remède fut toujours la charité cl la puis-
sante intercession de ce grand saint.
Un peuple muliné s'élanl soulevé contre
Moïse, au milieu d'une nuée brillante paraît
la gloire du Seigneur; le Seigneur dil à
Moïse : Sépare-toi de celte multitude, que j'ai
résolu d'exterminer : tout à coup s'allume un
feu dévorant pour consumer celte troupe re-
belle; dans le moment que l'incendie fait un
cruel ravage parmi le peuple, Aaron, par
ordre de Moïse, prend l'encensoir à la main,
courl au milieu de la multitude, se mel entre
les morls et les vivants, prie pour le peu. le,
fait mouler au ciel la fumée de ses parfums,
apaise la colère de Dieu, fait cesser au milieu
du camp l'incendie par la force de sa prière :
Pro populo deprecatus est, et plaça cessavit
(A'um., XVI, il . C'est une image de rc qu < a
a vu mille fois, lorsque, les peuples ayant
irrite par leurs crimes la colère de lieu,
saint lloch l'a apaisée par ses puissantes in-
tercessions auprès de Dieu; lorsque, étant
invoqué par des prières publiques et parti-
culières, il a éteint les plus horribles em-
brasements que la contagion avait allumés
dans des proi inces entières. Klie,par un em-
portement de son zèle, fait descendre le feu
du ciel pour consumer des coupables (IV
]l?<j., I, 10) : Roch, par l'ardeur de sa chante
40
PANEGYRIQUE DE SAINT ROCH.
m
et par l'efficace de sa prière, éteint un autre
feu lorsqu'il est allumé sur la terre. Ne sem-
ble-t-il pas, Messieurs, que Dieu l'ait fait,
pour ainsi dire, le dépositaire de sa puis-
sance, pour arrêter le feu de la contagion
dans son plus rapide cours?
Pouvons-nous apporter un plus illustre
témoignage du pouvoir que Dieu lui a donné
de guérir ces fatales maladies, et de la cha-
rité avec laquelle il l'exerce encore aujour-
d'hui dans l'état de sa gloire, que ce que
nous lisons dans les actes d'un concile œcu-
ménique? Ce fui vers le commencement du
quatorzième siècle que, ce concile étant as-
semblé à Constance pour condamner les
hérésies deWiclef et de Hus, mais principa-
lement pour faire cesser l'horrible schisme
qui déchirait le corps de l'Eglise dont il
voulait faire un monstre en lui donnant
plusieurs chefs, une cruelle peste s'alluma
dans cetîe ville et dans tout le pays d'alen-
tour. Les Pères du concile, qui étaient presque
au nombre de mille, persuades du pouvoir
particulier que Dieu a donné aux suffrages
de saint Roch dans les maladies contagieuses,
par une inspiration du ciel ont recours à sa
puissante intercession ; par un décret authen-
tique ordonnent une procession solennelle
et des prières publiques, où fut porléc avec
respect l'image de ce grand saint : le concile
assiste à ce spectacle de piété et de religion,
tout le monde accourt en foule de toutes
parts, pour y joindre ses prières et ses vœux.
Aussitôt la colère de Dieu s'apaisa, l'ange
exterminateur remet le glaive de feu dans le
fourreau, l'air devient pur, le ciel serein
verse des influences salutaires, la face de la
terre se renouvelle, le commerce se rétablit,
chacun jouit de sa première tranquillité; et
les fidèles reconnaissants bénissent le Sei-
gneur dans ses saints (Ps. CL, 1), et le louent
d'avoir donné une telle puissance aux hom-
mes (Maltli., IX, 8).
N'omettons pas en cet endroit une cir-
constance qui relève avec tant d'éclat la
gloire de notre saint. C'est à cette occasion
que Roi h est canonisé par la voix commune
du peuple, "qui pour lors fut celle de Dieu.
Il n'est pas nécessaire d'avoir recours aux
oracles sacrés des souverains ponlifes, comme
à la canonisation des autres saints, pour
mettre son nom dans les fastes de l'Eglise.
Dans ce même temps la piété des fidèles
érige des temples et des autels à sa mémoire,
pour y porter leurs vœux et implorer ses
suffrages auprès de Dieu.
N'avons-nous pas sujet de croire que les
saints conservent dans le ciel les vertus et
les dons que Dieu leur a départis sur la terre
f pour l'utilité de l'Eglise , quand ils ne sont
pas incompatibles ave • l'état de leur gloire?
Saint Hernanl dil que le Fils de Dieu plaide
pour nous en montrant à son Père ses plaies,
qui, comme autant de bouches éloquentes,
obtiennent tout ce qu'il demande en notre
faveur. Disons, avec quelque proportion,
que saint Roc!) obtient tout ce qu'il demande
pour nous à Jésus-Christ, quand il lui repré-
■ente tout ce qu'il a souffert pour le servn •.
de ses membres affligés, surfont quand il lui
montre cette plaie douloureuse dont il fut
frappé dans l'exercice actuel de la charité.
Heureuse ville de Paris, si, pour détour-
ner les malheurs qui pourraient tomber sur
toi, adressant au ciel les vœux soutenus des
suffrages de ce grand saint, Dieu te donne
une réponse semblable à celle qu'il fit au
prophète lsaïe en faveur d'une ville qu'il
chérissait : Prolegam civitalem istam, ut sal-
rem eam propter me et propter servummeum
{Isa., XXXVII, 33); je protégerai celte ville
chérie, je détournerai de dessus ses habitants
ce fléau terrible de ma justice pour l'amour
de moi-même et de mon serviteur fidèle !
Quelle gloire pour la ville de Montpellier
d'avoir donné le jour à ce grand saint! Di-
sons qu'elle est mille fois plus recommanda-
ble de l'avoir donné à l'Eglise pour être le
protecteur et l'asile des fidèles dans le plus
horrible de tous les maux, que d'avoir fondé
une fameuse académie de médecine, et do
produire sous un ciel serein et fécond les
plantes les plus salutaires pour la santé des
hommes.
Mais si le grand saint Roch protège tout
le monde chrétien, de quelles faveurs ne
comblera-t-il pas celte noble et pieuse con-
frérie, qui depuis longtemps fait une profes-
sion si particulière de l'honorer; confrérie
qui a la gloire de compter parmi ses confrè-
res des rois, des reines el plusieurs princes
du sang. Les indulgences accordées par les
souverains pontifes, l'office divin qui est cé-
lébré dans cette église avec tant de régula-
rité et d'édification, les verlus d'un digne
pasteur qui anime tout par sa sagesse et par
ses exemples, ce zèle empressé, ce soin reli-
gieux qu'ont les chefs de celte compagnie de
procurer la gloire de leur saint patron, et
d'augmenter son service et son culte par
leurs généreuses libéralités, tout sollicile
puissamment ce grand saint d'attirer par ses
suffrages sur cette Eglise et sur cette pieuse
compagnie les plus abondantes bénédictions
du ciel.
Revenons, Messieurs, à 1 i charité de saint
Roch pour en imiter les exemples. Aspirons
au bonheur de pouvoir dire à son imitation :
La charité de Jésus-Christ nous presse ; com-
me lui devenons sensibles aux misères des
pauvres, et principalement des pauvres ma-
lades. Je ne prétends pas néanmoins que
vous suiviez certains exemples de charité,
qui pour plusieurs sont d'un ordre extraor-
dinaire, je souhaite seulement qu'ils servent
à confondre votre excessive délicatesse, et
que vous vous accoutumiez à regarder les
pauvres malades, non pas comme des objets
d'horreur cl de mépris, mais comme les
membres affligés de Jésus-Christ, qui sont
commis aux soins de voire charité. Souf-
frez donc, âmes dures cl impitoyables, souf-
frez que en vous rapprochant ce grand mo-
dèle de charité, je vous fasse voir votre in-
sensibilité et votre aversion pour les pauvres
mal ides, condamnées par la tendresse el par
la charité héroïque d'un saint qui sacrifia
SI
OHATEURS s\( iti - Bl GAULT
sun rcp s, sa propre vie
ses bien», ta g oii
à leur service.
Quels soins, quelle assistance rend-on .1
(es misérables qui languissent dans les hô-
pitaux et dans leurs liïstes demeures, dé-
pourvus de loul secours, accablés de toute
sorte d'infirmités et de misères'.' Où trouve -
t-on aujourd'lnii des chrétiens qui nri on-
tcr.l les dégoûts et les répugnances de la na-
ture, quand il faut exercer la charité? Ils
frémissent à la vue d'un hôpital, l'o icur de
ces lieux les incommode, et peut être se
sont-ils offensés des images dont nous nous
sommes servis pour peindre les actions hé-
roïques de notre saint. Les pauvres gémis-
sent dans la langueur et dans l'infirmité, et
personne ne les soulage : Infirmait sur <
fuit qui adjuvaret (Psal. CVI, 12). On aban-
donne au hasard les membres affligés de Jé-
sus-Christ. Chrétiens qui avez de^ entrail-
les cruelles, que ré, ondrez-vous au jour
terrible du jugement, lorsque le Fils de Dieu,
vous reprochant votre inhumanité, vous di-
ra : J'étais sur mon lit de douleur, privé de
toutes les choses nécessaires à la vie, tandis
que tu éiais dans l'abon lance, (t tu ne m'as
pas visité {Mattli.,X\Y,k3), tu n'as pas dai-
gné n'envoyer aucun secours. Mes frères,
pouvons-nous honorer véritablement les
saints, lorsque nous ne voulons pas imiter
leurs vertus?
Ne finissons pas ce discours sans adresser
nos vœux à ce saint patron, dont la so'cn-
nilé nous assemble aujourd'hui : persuadés
que nous sommes delà charité qu'il exerce
encore dans les maladies contagieuses, soit
pour les guérir, soit pour les détourner, al-
lons à lui avec confiance, prions-le d'assis-
ter de sa protection pariieulière un royaume
qui lui donna naissance ; aidés des suffrages
de cet ange lutélaire de la France, deman-
dons à Dieu qu'il éloigne de nous pour tou-
jours ce fléau terrible de sa justice, qui déjà
semble nous menacer. Disons avec le Pro-
phète : Effunde iram tuamin yenlcs quœ le
non noveriint, ei in régna quœ nomen luum
non intocaverunt (Psul. L XX VIII, G) : Sei-
gneur, répandez votre colère sur ces nations
infidèles qui ne vous connaissent pas, faites
ressentir les rigueurs de votre justice à ces
royaumes barbares qui n'ont jamais invo |ué
votre nom. Mais, Seigneur, épargnez un
peuple, qui vous honore, épargnez la France,
épargnez celle grande ville, qui vous révère
d'un culte si constant et si religieux.
Cependant l'ennemi est aux portes, déjà le
feu s'allume à nos frontières, et nos péchés
nous font justement appréhender que vous
n'étendiez jusque sur nous ce fléau redouta-
ble de voire indignation. Mais ne nous punis-
se» pas selon Vénormilé de nos iniquités, N i-
gneur, hâtez-vous de prévenir par les effets
de votre miséricorde des châtiments que nous
n'avons que trop mérités (Ibid. 8, 9). Nous
joignons à notre prière les sentiments d'un
cœur contrit cl humilie ; el comme nous som-
mes capables d'allumer plutôt votre colère
sur nous que do l'apaiser , pour trouver
Urâcc auprès de vous , Seigneur , nous nous
appuyons sur les mérites cl la pui
i ut crées lion devotre se viteurfidèl , le grand
sain*. Ro< h : recev 1 z par lui les prières que
nous \ 008 offrons.
h m nous formons des \<v 1 ti ardents
pour élre délivrés de la 1 n du corps,
si nous chargeons les autels de dont et de
présents p ur détourner ce fléau terrible de
la colère de Die 1, quels doivent élre nos em-
pressements, quelle doit être la ferveur de
notre piété, pour demander à Dieu d'être
préservés dn péché, qui est la véritable con-
1 : ui de l'âme? Faite- donc par votre grâ-
ce, 6 mon Dieu! que nous eu concevions
; our toujours une horreur mortelle. Faites
enfin que, avant imité l'ardente charité du
grand saint que nous honorons aujourd'hui,
nous méritions d'en recevo r un jour avec
lui la récompense dans le ciel, où nous con-
duise le l'ère . le Fils el le Saint-Esprit
Ainsi soil-il-
PANÉGYRK !
DE SAINT JACQUES I.E VHII.I II.
Prêché à Paris, dans V église paroissiale de
Saint-Jacques de la Bouclterir, le 2") lu.llet
168G.
Die ut se le.irii In duo lilii mei, utius a J dexier ni t> aui,
et nfiiis :icJ sini^iram in regno luo.
eur, ordonnez que met eux fils que voici soieu a<<-
sis dons votre roi; mme, l'un à votre droite, cl l'autre à 10-
tre gauche (Uuit'li., XX, 21).
Jamais, Messieurs, demande ne fut lattfl
plus mal à propos que celle de ces deux frè-
res, Jacques et Jean, qui, selon saint Chry-
soslome {In hune loc), saint Augustin (De
Cons. Evanj., c. G5r) et Théophylacte (la
lumc loc), se servirent de leur mère comme
d'un organe pour satisfaire leur ambition.
Jésus-Christ vient de leur dire qu'il doit être
allaché à une croix ; il prédit que bientôt il
sera livré aux. gentils, qu'il sera moqué, ou-
trage, rassasié d'opprobres, ei ils aspirenta
sa gloire, à des places où tout le inonde les
révère el reconnaisse leur puissance.
Jésus -Christ assure que son royaume
n'est pas de ce monde, el ils prétendent aux
premiers postes, ils veulent être assis sur
des trônes éminents ; il ne parle tous les
joursqued'abaissemenl, l'humilité est la pre-
mière leçon qu'il veut qu'ils apprennent de
lui, il met pour fondement de sa loi c de -a
morale la pauvreté et l'anéantissement de
l'esprit, el i s demandent de tenir les pre-
miers rangs au-dessus des autres.
Du métier de la piche vouloir prendre
lout d'un coup le> rênes il ti gouvernement :
pour avoir quitté des filets el une barqui .
vouloir élre porté d'abord sur un siéjje fini-
nent; mais sans expérience, sans étude, s
lumières, aspirer aux plus importante el plus
difficiles emplois d'un royaume \ vouloir le
iv os sans travail, une récompense telle que
celle-là , sans mérites , n'est-ce , 1 , ditsaiul
Caysostome dans cel endroit, comme si d
d'entre les athlètes qui seraient uienés parti-
culièrement de celui qui préside aux com
venaient le prier rfi tes préférer à tous Ict
autres et de leur donner le prix destiné ù ce-
85
lui qui remportera la victoire [In cap. XX
Maith.) ? N'esl-ce pas une témérité la plus
injuste et la plus digne de toute l'indigna-
tion des autres apôtres?
Je ne dis rien, non plus que Jcsus-Cnrist ,
à cette mère indiscrète et ambitieuse ; car
enfin , n'étant pas si bien instruite dans les
nouvelles maximes du Fils de Dieu que ses
enfants qui étaient de ses premiers dise pies,
peut-être pouvait-elle s'imaginer, dans les
faux principes du monde , que ce n'était pas
un crime pour une mère de favoriser les
vues élevées de ses entants , en leur procu-
rant des établissements honorables par des
sollicitations que la proximité du sang sem-
blait pi uvoir autoriser.
Cependant, Messieurs, le croirez-vous ?
Le Sauveur, comme nous le verrons bientôt,
ne laisse pas d'accorder à ces deux frères
leur demande : il les fait asseoir auprès de
lui dans son royaume , l'un à sa droite et
l'autre à sa gauche , mais d'une manière
bien différente de celle que la mère et les en-
fants le prétendaient.
Pour expliquer ce mystère , et pour tirer
de ce discours les instruction:; qui nous con-
viennent, nous avons besoin d'une lumière
céleste. Jacques et Jean se servirent de l'en-
tremise de leur mère pour demander à Jésus-
Christ ce qu'ils désiraient, adressons-nous à
Marie , qui est noire commune mère , pour
obtenir les grâces qui nous sont nécessaires.
Ave , Maria.
Il n'est pas facile , Messieurs, d'expliquer
cet endroit de saint Matthieu , où \e Fils
de Dieu dit: Si deux d'entre vous s'unissent
sur la terre , quelque chose qu'ils demandent ,
elle leur sera accordée {Matth., XVIII. 19).
Les Pères disent communément que Dieu,
sans rien diminuer de la vertu et de l'elfica-
cilé de la prière, qui est en quelque manière
toute-puissante , redresse et corrige seule-
ment ce qu'il y a de défectueux dans nos
demandes, et qu'au lieu de nous exaucer
selon nos intentions, qui nous sont quelque-
fois désavantageuses et nuisibles, il nous ac-
corde nos demandes d'une manière propor-
tionnée à nos véritables besoins et suivant
les desseins adorables de sa volonté, en nous
donnant quelquechoscde mcilleurquc ce que
nous désirons. C'est dans ce sens que, quand
les biens temporels que nous souhaitons sont
préjudiciables à noire salut, il nous donne à
leur place des biens spirituels ; quand nous
abuserions de la sauté du corps que nous
demandons , il nous donne celle de l'âme.
Dieu est bon, dit saint Augustin , souvent il
nous refuse ce que nous souhaitons avec ar-
deur, afin de nous donner ce que dans le
fond nous aimerions mieux , si la passion
dont nous sommes prévenus ne nous aveu-
glait, et si noua connaissions nos véritables
intérêts : Bonus auicm Dominus qui non tri-
buit sapequod volumus, utquod tnalltmus at-
tribuai (Sert». 5 de V crb. Domini, sec. Matth.).
C'est ainsi que , par une bonté admirable
et par un effet de cette douceur avec laquelle
il écoule les vœux cl les prières qu'on lui
PANEGYRIQUE DE SAINT JACQUES LE MAJEUR.
adresse, il accorde à Jacques et à Jean la fa-
veur qu'ils lui demandent d'être assis dans
son royaume, l'un à sa droite et l'autre à sa
gauche. Disciples de Jésus-Christ, vous y se-
rez assis, mais élevez vos vues et vos pen-
sées au-dessus des sens, au-dessus des choses
île la terre. Par ce royaume n'entendez pas
un royaume temporel dans la pompe et dans
l'éclat d'une gloire mondaine ; entendez ce
que je dis ici d'une manière toute spirituelle
et toute céleste.
Par la main droite l'Ecriture entend or-
dinairement dans un sens figuré les faveurs
et les consolations, et par la gauche, elle en-
tend les travaux, les peines, les tribulations.
Jean sera assis à la droite du Sauveur, et
Jacques à sa gauche ; Jean goûtera les divi-
nes douceurs et les plus sensibles consola-
tions , il reposera sur le cœur de Jésus-
Christ, il puisera dans cette source d'amour
un torrent de voluptés célestes, il sera son
disciple bien-aimé et son favori, il aura part
dans ses plus intimes secrets , dans ses plus
tendres faveurs : que dis-je , il sera assis à
sa droite ? Il sera même assis dans le Irône
de Jésus-Christ , il occupera sa place, il sera
le fils de Marie, par le témoignage de Jésus-
Christ même : Femme , voilà votre Gis, Mil-
lier, ecce filius tuus (Joan., XIX, 16).
Jacques sera assis à la gauche du Sauveur,
il passera par les plus rudes épreuves des
tribulations, il n'aura que des peines et des
fatigues, il endurera mille tourments, il souf-
frira un des plus cruels martyres pour sou-
tenir la foi de Jésus-Christ.
Ainsi Jésus-Christ accorde à ces deux frè-
res leur demande; ainsi il exauce leur priè-
re, qu'il semblait avoir voulu rejeter.
Et pour ne plus parler que de saint Jac-
ques, dont cette église célèbre la fête avec
une solennité particulière, et dont j'entre-
prends aujourd'hui l'éloge, je dis, suivant la
pensée de saint Jérôme, qui nous assure
que souvent Dieu nous accorde plus que
nous ne lui demandons, je dis que saint Jac-
ques sera assis et à la droite et à la gauche
de Jésus-Christ , mais en différents états. Il
sera assis à sa gauche; prenez bien ma pen-
sée, Messieurs , car voici tout mon dessein :
il sera assis à sa gauche pendant sa vie, par
les travaux elles peines qu'il endurera pour
la prédication de l'Evangile , par ses souf-
frances et par sa mort ; après sa mort il sera
assis à la droite de Jésus-Christ, par l'hon-
neur et la gloire qu'il recevra particulière-
ment à son tombeau. En un mot , ses tra-
vaux et ses fatigues dans la prédication de
l'Evangile, première partie; ses souffrances
et sa mort pour soutenir la gloire de l'Evan-
gile, seconde partie, cl c'est ce qui le place à
la gauche de Jésus-Christ; les honneurs
qu'il reçoit après sa mort, l'éclat et la gloire
de son tombeau, troisième partie; et c'est ce
qui le place à la droite de Jésus-Christ : trois
parties de ce discours, pour lesquelles je
demande loutc votre application.
pitKMii-n point.
Si nous considérons le ministère évangéli-
GKATKCKS SAGIthS. liEGAL'LT.
5C
«lue dans les principes de la religion et sui-
• ant les maximes de Jésus-Christ, que lei
idées que nous nous en formeront seront
différentes de celles qu'eu ont ordinairement
les gens du monde ICeoi qui le regardent
par les yeux de la chair l'envisagent comme
un état qui nous affranchit des soins et des
sollicitudes du siècle, comme un état, où, .1
la faveur de bénéfices opulents, on trouve
un ample patrimoine sans peine, sans em-
barras, sans travail; mais si nous !e regar-
dons dans les vues de Dieu, nous trouverons
que s'il esl le plus élevé cl le plus glorieux,
il est aussi le plus laborieux et le plus pé-
nible.
Jésus-Cbrist n'a point caché à ses apôlres
ce qu'ils avaient à souffrir à son service : Le
monde, leur disait-il, ne vous épargnera pas;
s'il vous hait, sachez qu'il m'a hai avant vous;
s'ils m'ont persécuté, soyez assuré qu'ils vous
persécuteront aussi (Joan., XV, 20). Comme
vous n'aurez rien que de rebutant et pour
l'esprit et pour le cœur à prêcher, vous ne
pouvez vous attendre qu'à des mépris et à
des tebuls de la part des mondains; la vérité
et la vertu qui leur sont si odieuses ne peu-
vent manquer d'être l'occasion de mille ora-
ges qui s'élèveront contre vous.
Je vous envoie, leur disait-il encore, com<ne
des brebis au milieu des loups (Matth., X, 10).
Un ouvrier évangélique doit se regarder
comme une brebis qui n'a que la simplicité
et la douceur à opposer aux persécutions et
à la fureur du monde. Que dit à Jacques le
Fils de Dieu dans notre évangile? Pouvez-
vous boire le calice que je boirai {Mutth., XX,
22)? il assure les souffrances et l'amertume
du calice, mais non pas la tranquillité et la
gloire d'un siège éclatant. Renoncer à toutes
les douceurs et au repos de la vie, renoncer
ù soi-même; travailler le jour, prier la nuit;
n'avoir d'autre adoucissement dans ses pei-
nes que l'espérance de pouvoir s'y endurcir
par une longue habitude à les endurer; por-
ter sa croix tous les jours en suivant Jésus-
Christ, c'est le sort des hommes apostoliques :
leur ministère est une espèce d'engagement
au martyre, ils sont toujours prêts à se sa-
crifier pour le salut des âmes, ils savent me-
prieer une vie périssable pour en retrouver
une immortelle.
■Notre apôlre, pénétré de ces grandes
maximes, se consacra tout entier au minis-
tère évangélique. Je ne m'étendrai pas ici
sur ce qu'il fit après sa vocation à l'aposto-
lat, il me suffira de dire qu'appelé par Je-
sus-Chrisl au ministère, il eut part aux tra-
vaux de sa mission , à ïes voyages, à ses
fatigues.
Quand la mission que le Fils de Dieu avait
donnée aux apôlres eut été confirmée par la
descente du Saint-Esprit sur eux, ils se dis-
tribuèrent dans toutes les parties du monde,
comme douze généreux conquérants, pour
soumettre toutes les nations aux lois et à
l'empire de Jésus-Christ ; ils allèrent partout
où l'esprit de Dieu, l'ardeur de leur charité
et l'impétuosité de leur zèle les conduisirent.
Saint Jacques fut destiné à prêcher l'Evan-
gile dans la Judée et dans la Galilée : ce fut la
le premier théâtre d<- son zèle; il court aui
plus malades, lie! qui doute que le ma! ne
soit pas plus grand, où il y a plus d'ingra-
titude et un plus Liraud abus des grâces?
Comme le leu se communique premièrement
aux parties les plus proches, ainsi notre
apôtre communique a ces provinces voisines
les première! ardeurs de sa charité; il suit
les traces de Jésus-Christ, trop heureux de
mêler ses sueurs a celles du Sauveur dans
le pénible ministère de l'apostolat. Il sait que
les principaux soins de cet aimable Messie,
pendant sa vie mortelle, furent de travailler
au salut de ce peuple choisi ; il se souvient
de celle parole de Jésus-Christ : Allez plutôt
aux brebis perdues de lu maison vitrait
(Matth., \,0),il rappelle dans son esprit ce
que Jésus-Christ avait fait pour la conver-
sion de la Madeleine, de la femme chana-
néenne, du publicain il de tant d'autres sur
lesquels il avait fait éclater les effets de sa
grande miséricorde.
Fidèle écho de la voix foudroyante de Jean-
Baptiste qui criait dans le désert, sur les ri-
ves du Jourdain, il reproche avec véhé-
mence aux Juifs endurcis leur opiniâlre ré-
sistance à la fjrâce; il les menace de la colère
et de la vengeance de Dieu, s'ils ne devien-
nent dociles à sa parole et à ses douces in-
sinuations; il leur ouvre l'enfer pour leur
montrer les peines terribles qui les atten-
dent, s'ils ne font de dignes fruits de péni-
tence. Peuple autrefois si chéri de Dieu,
maintenant l'objet de sou indignation par
vos infidélités, pouvez-vous, leur dit-il, échap-
per à sa justice? Oui vous donnera un asile
pour vous mettre à couvert des jugements
formidables d'un Dieu, qui, mesurant ses
vengeances sur l'étendue de ses miséricor-
des qu'on aura méprisées, traitera les pé-
cheurs infidèles et impénitents avec d'au-
tant plus de sévérité, qu'il aura eu pour eux
plus de douceur cl d'indulgence? Jusqu'à
quand mépriserez-v ous les richesses infinies
de sa boule? jusqu'à quand lasserez-vous sa
patience? jusqu'à quand foukrez-vous aux
pieds le sang d'un Dieu encore fumant sur
le Calvaire, que vous avez cruellement ré-
pandu?
Saint Jacques gronde, tonne, éclate contre
les pécheurs, contre les pharisiens, contre
les prêtres, contre les magiciens; ses paro-
les sont autant de coups de tonnerre qui jet-
tent partout la terreur et l'effroi.
De la Judée et de la Galil e il 1 assc dans
la ville de Samarie. Quels furent les senti-
ments de notre apôlre lorsqu'il y entra.'
Dieu différents de ceux dont il était animé
lorsque ce peuple mural et infidèle refusa
de recevoir le Sauveur Luc, 1\, '»;. li ne
parla pis de faire descendre le feu du ciel
pour les consumer; il ne songea qu'à allu-
mer dans leurs cœurs le feu de l'amour di-
vin ; il se souvint que C 'étaient la les flammes
dont Jesus-l'.'nisl voulait que ses disciples
brûlassent tout le monde, quand il leur di-
sail : Jr suis venu pour jeter le jeu dans la
terre, l'ardeur de la charité, le zèle du salut
57
des âmes; et que désiré-je sinon qu'il s'al-
lume {Luc, XII, 49)?
Il sentit ce zèle amer el chagrin dont il
était autrefois animé contre les Samaritains,
se changer en des entrailles de douceur et
de tendresse envers eux ; il les avertit qu'il
venait, non pas pour les perdre, mais pour
travailler à leur salut; il leur rappelle le
souvenir des merveilles qu'une femme sa-
maritaine avait publiées du Messie. Il avait
appris dans l'école de Jésus-Christ que l'es-
prit de la nouvelle loi est un esprit de dou-
ceur et de charité qui bannit l'aigreur et l'a-
mertume du cœur; que les disciples d'un
Dieu qui venait de mourir pour ses ennemis
ne doivent penser qu'à sacrifier leur vie
pour ceux mêmes qui les persécutent.
Après avoir éclairé cette ville des lumières
de l'Evangile , il parcourt toute !a province
de Samarie. Que n'eut-il pas à souffrir pour
la foi, de ces peuples rebelles et idolâtres !
On sait assez la haine mortelle qui était en-
tre les Juifs et les Samaritains depuis la di-
vision des dix tribus, de celles de Juda et de
Benjamin, qui fut faite sous l'empire de Jéro-
boam, en punition de l'idolâtrie de Salomon
(III Iieg., XII).
Quand noire apôtre veut faire entendre
que le mur de séparation va être abattu;
quand il parle de la réunion de toutes les
nations dans une même religion; quand il
dit, après le Sauveur, que le temps est venu
qu'on n'adorera plus le Père ni sur cette mon-
tagne ni dons Jérusalem (Joan.,lV, 21), mais
que toute la terre sera comme un temple, où,
sans distinction de lieux, on adorera partout
le Père en esprit et en vérité, les Samaritains
s'imaginent qu'il veut rassembler les tr.bus
divisées et réunir des peuples irréconcilia-
bles; ils le regardent comme un séditieux
dont les discours portent à la ruine de l'Etat.
Pcnse-t-il de renverser les fameux temples de
liélhel et de Fan, d'abattre les deux idoles du
veau d'or que Jéroboam y avait fait placer
pour détourner les Israélites du culte du vrai
Dieu et leur ôter l'envie de l'aller adorer dans
le temple de Jérusalem (III Reg., XII)? Pcnse-
l-il de détruire les hauts lieux, d'abolir le
culte des dieux étrangers et de faire cesser
les sacrifices abominables qu'on leur offrait,
on le poursuit comme un perturbateur du
repos et de la tranquillité publique, qui, sous
un spécieux prétexte de religion, vient pour
ruiner les fondements de l'Etat; qui, comme
tout le monde sail, ne subsistait que par l'i-
dolâtrie et par la rébellion des sujets contre
leur roi légitime.
Cependant saint Jacques prêche sans
crainie ce nouvel Evangile; il dit hardiment
qu'il faut renverser ce mur fatal qui sépare
depuis longtemps ces deux peuples ; il publie
hautement que dans la religion qu'il annonce
il n'y a point de distinction entre le Juif, le
Grec, le Samaritain ; que le chemin qui con-
duit à la foi et au salut est ouvert pour tout
le monde, cl que tous ne doivent être qu'un
en Jésus-Christ (Kph., IV), parce qu'ils n'ont
tous qu'un même Dieu, un même baptême,
une même loi, el que tous sont appelés à une
PANEGYRIQUE DE SAINT JACQUES LE MAJEUR. 58
même espérance. Quel courage ! A quoi n'est-
ce pas s'exposer, de prêcher des vérités si
nouvelles, qui, selon la politique établie dans
tout le pays, paraissent si pernicieuses et si
capables d'attirer sur lui toute l'indignation
des peuples !
Mais ce n'est pas assez pour notre apôtre
le Hé! pourquoi resserrer dans un si petit es-
pace la vaste étendue de son zèle? Je n'exa-
minerai pas ici, Messieurs, si saint Jacques
a été en Espagne et s'il y a prêché l'Evangile ;
c'est une question plus propre pour une his-
toire que pour un éloge; je le suppose avec
Pelage, évêque d'Oviède , avec les papes
Léon III et Callixte II, avec saint Anlonin,
saint Isidore, le vénérable Bède et plusieurs
autres savants auteurs, qui, fondés sur la
tradition de toute l'Espagne, sont de ce sen-
timent.
Des extrémités de la Palestine, saint Jac-
ques regarde , à travers celte vaste étendue
de mers, l'Espagne comme une terre de pro-
mission où il doit entrer pour combattre les
ennemis du Seigneur el les soumettre à î'em-
pire de Jésus-Chrisl; il voit avec douleur ces
puissants royaumes plongés dans les ténèbres
de l'idolâtrie ; il traverse les mers, il franchit
les montagnes et les rochers les plus inac-
cessibles; enfin, malgré les orages, les tem-
pêtes et les écueils, il aborde en Espagne.
C'est ici que, suivant le nom de Fils du
Tonnerre qu'il a reçu de la bouche même du
Fils de Dieu, il en produit les effets; car,
comme les foudres et les éclairs portent leur
lumière et leur éclat d'un pôle à l'autre ;
comme l'éclair qui est engendré du tonnerre
sort de l'orient et paraît tout à coup à l'occi-
dent , Sicut fulyur exil ab oriente, el par et
usque in occidentem {M al th. , XXIV, 27),
ainsi saint Jacques sort de la Palestine el va
dans l'Espagne pour l'éclairer des lumières
de l'Evangile.
Ne semble-t-il pas, Messieurs, qu'il y a eu
quelque force el quelque vertu particulière
dans les noms, quand Dieu les a imposés ou
changés? Les parents du précurseur du
Messie le nommaient Zacharie, du nom de
son père (Luc, I, 59) , cependant Dieu vou-
lut qu'il fût appelé Jean, qui signifie la grâce
et la miséricorde de Dieu, pour marquer qu'il
avait été rempli des plus riches dons du ciel,
et qu'il devait annoncer l'auteur de la grâce
et de toute sainteté. Jésus-Chrisl changea le
nom de Simon en celui de Pierre [Marc, III,
16), aussi fonda-t il s >n Eglise sur celle
pierre ferme. Du seul changement de nom de
^ainl Jacques, nous pouvons juger quelle
fut la force, l'ardeur, l'activité de son zèie.
Le tonnerre, dit saint Augustin, esl comme
la voix de Dieu, qui souvent s'en est servi
pour expliquer ses volontés aux hommes,
pour les instruire sur leurs devoirs, pour leur
intimer ses lois. Lorsque le Seigneur donna
sa loi à Moïse sur la montagne, ce fut parmi
les éclairs , les tonnerres el les foudres
[Exod., XIX).
Bien n'est plus vif, plus subtil, plus rapide
que le feu du tonnerre : renfermé dans le
sein de la nue, il brille en éclairs, brûle les
M
OftATEUIlS SACRES. HEGAI.'LT.
(VI
parties les plus voisines, et, ne trou va ni | as
OM0Z d'étendue, il m bit jour avec nn mou-
\ fuient impétueux à travers l'exhalaison cn-
llammée, pari d'une rapidité étonnante, el vu
communiquer bien loin s s feux cl tes 11 a m-
i. ea, luise, consume, rédoit en cendres tout
ce qu'il trouve, por e la frayeur et la con-
sternation dans lo La la nature.
Tel on \il sainl Jacques, dans l'ardeur de
son zèle pour la glnire de Dieu et dans le feu
de sa prédication, se communiquer d'abord
aux Juifs et aux Samaritains, éclairer ceux
qui élaient assis dans les ténèbres cl dans
l'ombre de la mort, abattra les esprits les
plus ailiers, effrayer les plus fiers el les plus .
hardis par les vérités terrible* qu'il leur an-
nonçait, et, emporté par son zèle hors de
lui-même, aller se répandre comme un fou-
dre aux régions les plus reculées.
Entrons, il ca est temps, dans l'Espagne
où notre apôtre va porter l'Evangile. Déjà
votre esprit vous le représente dans Sala-
luanque, dans Burgos, dans Madrid, dans
Tolède, dans S aragosse. Vous le voyez com-
ballre l'idolâtrie dans son centre, vous l'en-
tendez lonner contre les dérèglements, dé-
clamer conlre l'orgueil. Lorsque ce fils du
tonnerre publia l'Evangile dans ces vasles
royaumes, comme il avait fait dans la Judée,
dans la Galilée, dans la Samarie, on peut
dire qu'il arriva ce que nous lisons dans l'E-
xode, quand Dieu donna la loi ancienne à
Moïse : On enlendil des tonnerres parmi des
voix, on vit briller des éclairs : Et cœperunl
audiri lonitrua et micare fulgura(Exod.,X\X,
1G). Toutes les paroles de cet apôtre z le
étaient comme autant d'éclairs brillants et de
tonnerres éclatants qui portaient la lanière
dans les esprits et la terreur dans les cœurs;
de sa bouche comme du trône de l'Agneau,
sortaient des éclairs, des tonnerres et des
voix : Et de throno procedebant fulgitra, et
voces,et tonitrua (Apoc, IV, 5). De sorte que
nous pouvons dire de saint Jacques, lorsqu'il
prêchait l'Evangile, ce qu'un fameux rhéteur
disait d'un orateur de son temps, qu'il parlait
et haranguait bien moins qu'il ne tonnait et
foudroyait : Non tam loqui et perorare, quum
fulgurare et lonare videbatur (QuintiL, de
Inslit. Orat.). Et, pour faire toujours notre
même allusion, comme on voit le feu du ton-
nerre renfermé dans une nue, en partir avec
un borriltlc fracas, briller, éclater, briser
tout ce qui s'oppose à son passage, ainsi
notre Boanergès, après avoir conçu dans son
cœur le feu de l'amour s;:eré et une vive ar-
deur du salut des nations, il brille, il tonne,
il épouvante les pécheurs, renverse les ido-
les, détruit leurs temples el leurs autels,
brise, écrase tout ce qui s'oppose aux efforts
de son zèle : Quis poterit lovitrmnn c;us
magnitudinis intueri (Jub, XXVI, 1'»)?
Que n'ai-jc le secrel de tracer dans votre
esprit une idée nette et vive de toutes les
actions apostoliques de saint Jacques dans
l'Espagne, dont une partie semble presque
incroyable 1 Je vous ferais voie en abrégé :
là il détruit le culte sacrilège, ici il élève des
autels au vrai Dieu; là il prêche la divinité
' ras-Christ, ici (1 montre la vanité des
- : la il combat les près' L'es di s magi
ciens séducteurs, ici il soutient des disputes
de religion contre des prêtres idoi
éten lards de la crois que vous voyez arbo-
res dans ces grandes villes ont été plantes
s soins; ce lieu magnifique où M jrie
csl honorée avee un si grand concours, est.
suivant l'ancienne tradilion, un temple qu'il
bâtit et qu'il consacra à Dieu sous les auspi-
t'infocation de celte Vierge incompa-
rable.
Je le vois parcourir tous ces grands royau-
mes. 11 poussa jusqu'aux coloaues d'Hercule,
jusqu'aux extrémités de 1 Enrope. Mais di-
sons à sa gloire qu'il pénétra encore plus
loin : WttJ ultra; car enfin n'est il pas juste
de lui attribuer, comme un fruit de son ai o-
slolal, les glorieuses conquête qu'oui faites
à Jésus-Christ les Espagnols dans les Indes
et dans le nouveau monde, où il* onl an-
noncé à des peuples infidèles cl barbares
l'Evangile qu'ils ont reçu de la bouche de
leur apôlre?
Mais qui pourrait exprimer les peines et
les faliuues qu'il endura, les difficultés et les
obstacles qu'il lui fallut surmonter? Il sa\ail
que l'orgueil et lafierlédes anciens Espagnols
ne pouvait guère s'accorder avec la honte
et l'humilité de la croix ; il savait que ce peu-
ple audacieux, qui par sa valeur a\ it n
longtemps résisté aux armes victorieuses des
Romains, et qui avait si sou eut s roué leur
joug : Xationem sœpc rebell'in'em (Tit. Liv..
lib. xxxiv), ne pouvait que irc^-dif.'cilcment
se soumettre à la loi de Jésus-Chris! ; il savait
qu'une nation qui dans ces siècles reculés
voulait dominer parloul n'écoulerait pas vo-
lontiers un Evangile qui a pour fondement
la docilité et l'anéantissement de l'esprit.
Quelle apparence de planter la croix dans
un pays où les Césars n'avaient pu qu'après
plusieurs combats faire entrer les aigles ro-
maines ? Quelle apparence qu'une nation
dont la maxime était de ne changer jamais,
quittera ses mœurs, abandonnera la religion
de ses pères, pour en embrasser une nou-
velle sur la loi d'un homme étranger et in-
connu?
Cependant, Messieurs, rien ne le rebute :
les difficultés qui paraissent les plus invinci-
bles ne serrent qu'à redoubler son cour
il ose prêcher Jésus-ChrisI crucifié cl se> my-
stères les plus humiliants, cl dispose enfin
ces vastes royaumes à devenir un jour les
plus catholiques du christianisme.
Ne finissons pas celle première partie,
mes frères, sans faire une réflexion qui ser-
vira de morale pour noire instruction. Sainl
Jacques lui un des premiers apôtres des
gentils; il combattit l'idolâtrie par tous les
efforts de son zèle, liiàces au ciel, les pré-
dicateurs êrangé iques n'ont plus, nomme lai
apôtres des premiers sièoles, à cowl altrn les
idolâtres i'esprit, puisque nous n'adorons
tous qn'nn seul Dieu immortel; mais qu'il y
B | iiini les chrétiens d'aujourd'hui d'idolà-
1res de cœur, qui semblent vouloir delruire
Cl PANEGYRIQUE DE SAINT
l'unité de Dieu par un indigne partage do
leurs affections à des objets criminels !
Cet. adorateur d'une beauté mortelle, à la-
quelle, comme à sa divinité, il donne son
encens, à laquelle il rend ses hommages sou-
verains; ces hommes de délices, qui, dans les
termes de l'Apôire (PliiL, 111, 19), font le.ir
Dieu de leur ventre, qui mettent leur gloire
dans leur propre honte; ces mauvais riches,
qui, par une avarice sacrilège, que saint
Paul appelle une idolâtrie (Coloss., 111, 5),
adorent le veau d'or, et ne reconnaissent
d'autre divinité que leurs richesses ; ces
hommes passionnés pour la gloire, qui, pous-
sés par une horrible ambition, ne forment
des vœux que pour les charges, les dignités,
les postes éclatants, et qui n'adorent que la
fortune; tous ces idolâtres qui font pour l'ob-
jet de leur amour, pour le plaisir, pour l'ar-
gent, pour la gloire, tout ce qu'ils doivent
faire pour Dieu, c'est contre celle espèce d'i-
dolâtrie qu'il faut tourner tout notre zèle et
toutes nos déclamations.
Quel déplorable malheur, dit saint Chry-
soslome, qu'après que par la prédication des
apôtres, par le zèle et la piété des empereurs
chrétiens, les idoles ont été renversées; qu'a-
près que le culte impie et sacrilège a été
aboli, les chrétiens élèvent dans leur cœur
de nouvelles idoles, auxquelles ils sacrifient
leur religion, leur conscience et tout ce qu'ils
ont de plus sacré.
Détruisez, Seigneur, cette espèce d'idolâ-
trie, qui ne règne que trop parmi les chré-
tiens, idolâtrie aussi criminelle que celle de
l'esprit. Faites par votre grâce, ô mon Dieu!
que nous n'adorions que vous, que nous
n'aimions, que nous ne servions que vous.
Profitons, mes frères, de la prédication de
saint Jacques : soyons effrayes par les éclats
terribles de ce tonnerre que la miséricorde
fait gronder encore tous les jours sur la lélc
des pécheurs ; soyons frappés d'une crainte
salutaire, qui nous porte à faire de dignes
fruits de pénitence.
Nous avons vu les travaux et les fatigues
de saint Jacques dans la prédication de l'E-
vangile. Considérons ses souffrances et sa
mort | our la gloire de l'Evangile : seconde
partie de ce discours.
DEUXIÈME POINT.
Saint Jacques commença ses souffrances
et son martyre au jardin des Oliviers, la
veille de la passion du Sauveur; c'est là qu'on
peut dire qu'il fut assis à sa gauche, par la
douleur cx< essive qu'il y ressentit ; il but en
ce lieu d'amertume une portion du calice
qui fui présenté à Jésus-Christ, pour vérifier
ces paroles qu il lui avait dites : Vous boirez
mou calice : Calicem meum bibetis (Illattli.,
XX, 23). Quelle douleur pour un disciple qui
aime son maître et qui en est aimé tendre-
ment, de le voir triste jusqu'à la mort, près
d'être livré entre les mains d'une troupe in-
humaine de bourreaux, baigné dans ses lar-
mes et dans son sang, plongé dans une agonie
mortelle 1
Depuis sa vocation à l'apostolat, Il passa
JACQUES LE MAJEUR. G2
toute sa vie dans les douleurs et dans la
souffrance. Il est vrai qu'il goûta les dou-
ceurs du Thabor (Matth., XVII, 1), mais que
ces joies furent de peu de durée! Aussi celte
gloire nous esl-elle représentée sous la fi-
gure de la neige qui fond au moindre rayon
du soleil. Ces joies furent bientôt troublées
par le réi il amer que fit le Sauveur de ce
qu'il devait endurer à sa passion. Nous ne
li ons pas qu'il ait demandé à Jésus-Christ,
comme saint P erre, de dresser sur cette
montagne des lentes pour y demeurer.
Quelle fut la douleur de notre apôtre,
Messieurs, quand il vit le peu de fruit que
produisait la semence de la divine parole
qu'il répandait dans ces pays infidèles ! Car
c'est une opinion commune qu'il ne conver-
tit que très-peu de personnes dans l'Espa-
gne. Un laboureur porte avec patience le
poids du jour et de la chaleur, quand il es-
père une ample moisson ; il se souvient avec
plaisir de ses fatigues et de ses peines, quand
il recueille le fruit de son travail : mais
quelle douleur pour lui, quand, après avoir
cultivé une terre avec tous les soins imagi-
nables, elle ne produit que des ronces et des
épines : J£ tintes ibant et flebant mittentes se-
mina sua (Psal. CXXV, 0).
Une des pensées qui affligèrent plus sen-
siblement le Fils de Dien dans le jardin des
Oliviers, fui de voir que ses travaux et sa
passion seraient inutiles à plusieurs parleur
malice : ce fut cette idée qui lui fil pousser
la plainte douloureuse que lui met à la bou-
che dans un sens figuré le roi-prophète: Quœ
utililas in sanguine meo (Psal. XXIX, 10)?
Ah ! faut-il mourir pour des ingrats 1 verser
un sang capable de laver mille mondes, et
cependant que, par l'infidélité des hommes,
il ne sauve qu'un fort petit nombre d'élus!
Telle, avec quelque proportion, est fa dou-
leur de notre apôtre. Ah ! Seigneur, faut-il
que j'aie répandu une semence inutile dans
cette terre ingrate ? Fallait-il passer les ter-
res et les mers, fallait-il essuyer tant de
fatigues, répandre tant de sueurs, pour con-
vertir un si petit nombre d'âmes parmi tant
de peuples auxquels j'ai prêché vos vérités
éternelles, ô mon Dieu !
Mais consolez- vous, grand saint, les dis-
ciples zélés que vous avez convertis feront
fructifier dans son temps la semence de la
divine parole que vous avez jetée dans ces
terres stériles : bientôt ils soumettront à Jé-
sus-Christ ces âmes rebelles qui résistent
avec tant d'opiniâtreté au Saint-Esprit et aux
vérités célestes que vous leur avez annon-
cées, il vous est également avantageux que
vous triomphiez par vos mains ou parcelles
des disciples fidèles que vous avez formés
sur vos exemples. Dieu a écoulé la prépara-
tion de votre Cœur ; si vous n'avez pas tou-
jours vaincu, vous avez du moins toujours
mérité de vaincre.
El vous-même, grand apôtre, vous revien-
drez un jour en Espagne, et vos ossements
sacrés vaincront la dureté de ces cœurs in-
doeilcs; vos cendres, semées dans ces terres
ingrates, les rendront fécondes. Le royaume
G3
OKATEL'RS SACHES. BEGAULT.
(4
d'Espagne sera un des plus catholiques de
toul le inonde chrétien ; jamais les Espagnols
^abandonneront la foi qu'ils auront une fois
embrassée; le reste des idoles qui subsistent,
vous les verrez bientôt tomber au\ pieds de
la croix, bientôt vous verrez leurs temples
abattus, et nos églises élevées sur les ruines
des autels où le démon se fait encore adorer.
Que dirai-je de la douleur que ressentit
notre apôtre, quand, pour obéir aux ordres
de la Providence, il se vil obligé de quitter
l'Espagne sans y avoir versé sou sang pour
la gloire de l'Evangile qu'il y avait prêché ?
Mais il se console par l'assurance que le ciel
lui donne que son sacrifice n'est différé que
pour augmenter ses souffrances : In nidulo
meo moriar, dit-il (Job, XXIX, 18), je
mourrai dans ma patrie. Comme le tonnerre,
après avoir brillé, grondé, éclaté ici-bas,
remonte dans le lieu d'où il est parti, et
qu'enfin il s'y perd et s'y éteint , ainsi notre
enfant du tonnerre, après avoir parcouru
l'Espagneel plusicursaulres royaumes, après
avoir éclairé différents peuple; des lumières
de l'Evangile, après avoir épouvanté les ido-
lâtres elles pécheurs, retourne enfin dans
la Palestine pour v reprendre le ministère
de son apostolat : Numquid mittes fulgura ,
et ibunt, et revertenliu dicenl tibi : Adsumus
(Job, XXXIII, 33).
Ce fut dans la Judée qu'il re prêcha l'Evan-
gile avec une nouvelle ardeur et avec tant
de force, qu'Hérode Agrippa, ennemi déclaré
de la loi de Jésus-Christ, lui fit trancher la
tête, comme pour éteindre la religion dans
le sang de celui qui en était un des plus gé-
néreux défenseurs. Victime de son zèle, vic-
time de la politique de ce prince cruel et de
sa haine implacable contre l'Eglise naissan-
te, il eut la primauté du martyre entre les
apôtres : primauté mille fois plus glorieuse
et plus avantageuse que celle qu'il demanda
à Jésus-Christ par l'entremise de sa mère.
Ici, Messieurs, je me représente Moïse à la
tète des Israélites poursuivis par l'année de
Pharaon, qui leur trace le chemin à travers
la mer Rouge qu'il faut passer pour éviter
la fureur d'un prince irrité. Moïse élève sa
verge, étend sa main sur la mer (Exod.,
XIV); la mer s'arrête pour obéir aux ordres
de Dieu; les eaux, de part et d'autre élevées
et suspendues comme des murs de crislal ,
laissent au peuple le passage libre au milieu
des Ilots. Cependant chacun frémit d'horreur'
à la vue d'un spectacle si élonnaut et si nou-
veau ; la crainte du danger fait pâlir les plus
hardis; les Israélites, quelque confiance
qu'ils aienl en la toute-puissance que Dieu a
transmise à ce grand prophète, n'osent avan-
cer, dans la crainte de se voir, au milieu de
leur course, ensevelis dans ces moQldgn.es
d'eau.
Dans ce moment je vois Moïse, pour ras-
surer le peuple et ranimer son courage, je
le vois ce généreux capitaine marcher le
premier, franchir ces gouffres et ces abîmes
affreux, arriver enfin à l'autre rivage, forçant
ce peuple timide et chancelant, par l'exemple
de son intrépide courage, à le sui\ re.
Tel je vois aujourd'hui saint Jacques, à la
téle des apôtres de Jesns-Christ , comme un
illustre général, passer le premier à travers
la mer Rouge qu'ils devaient former Je leur
sang, cl les conduire tous par les traces de
sou sang au mérite et à la gloire du martyre,
le mêlant presque à celui de Jésus-Christ fu-
mant encore sur le Calvaire.
Je vous ai fait voir. Messieurs, saint Jacques
assis à la gauche de Jésus-Christ par les pei-
nes, les travaux et les fatigues de sa prédi-
cation , par ses souffrances et son martyre :
il est temps que je vous le représente as^is
à la droite de Jésus-Christ par la gloire qu'il
reçoit après sa mort, principalement à son
tombeau : c'est la troisième partie de ce dis-
cours.
TROISIEME POINT.
Je ne parlerai pas, Messieurs, de cette
gloire que saint Jacques possède dans le
ciel , gloire qu • Dieu donne à ses élus , selon
le décret de sa grâce, et selon leurs bonnes
œuvres (Rom., H, G; IV, 5); je veux parler
ici de la gloire particulière qu'il reçoit à son
tombeau. Je trouve cette différence entre les
tombeaux des saints, principalement celui de
notre apôtre et les tombeaux ordinaires, que
ceux-ci sont l'écueil fatal où se brisent la pom-
pe, l'éclat et toute la gloire des plus grands
hommes, et qu'au contraire c'est au tombeau
que commence la gloire des saint*. Disons-le
avec justice de saint Jacques, qu'à sa mort,
enfermé dans son tombeau , il triomphe avec
plus de gloire des cœurs les plus rebelles :
semblable à Samson, qui ne triompha jamais
avec plus d'éclat des ennemis qu'il avait
combattus pendant sa vie, que lorsqu'il
mourut enseveli sous les ruines de l'édifice
qu'il renversa.
Jacques combat lit pendant sa vieil triomphe
après sa mort : caché sous son tombeau il
rend féconde la semence de la parole évan-
géliqne, qui durant sa vie avait | aru stérile
et infructueuse par l'opiniâtre incrédulité
des peuples auxquels il avait prêché : de
même, en quelque manière, que les semences
qu'on a jetées dans la terre ne produisent
des fleurs e! des ffuits qu'après qu'elles ont
été longtemps cachée? au fond delà terre;
de même encore, pour me servir de la com-
paraison de Jésus-Christ, (/•■ meme que te
grain de froment demeure seul , cl ne fruc-
tifie pas, s'd n'est mort et enseveli dans la
terre (Joun., XII , %k ).
Qu'il nous soit permis de dire des sacres
ossements de saint Jacques ce que nous
lisons dans la Genèse de ceux de Joseph. Ce
grand patriarche fit promettre avec serment
à ses frères de les transporter de l'Egypte
dans la Palestine, pour laquelle il avait tou-
jours conservé une tendre affection : Aspor-
tate oisa meu vobiscum de loco isto [Gen.t L,
-2ï . Saint Jacques avait toujours chéri ten-
drement l'Espagne , qui fut le théâtre de sa
prédication et de ses miracles, et qu'il avait
arrosée de ses sueurs ; il veut y retourner
pour achever après sa mort ce qu'il avait
commencé pendant sa vie: il veut que son
65 PANEGYRIQUE DE SAINT
corps soit le gardien et l'ange lutélairc de
ces grands royaumes : Asporlate ossa mea
vobiscum de loco isto.
Dieu , qui se plaît à voir honorer ses amis,
p.irce que loule leur gloire se rapporte à lui,
accomplira ses désirs : Desidcrium cordis
ejus tribuisti ei ( Ps. CXXXVIII, 17; XX ,
2 ) ; il exaucera ses vœux pour la gloire de
ses sacrées dépouilles ; il les conduira au
mausolée qu'il lui a préparé. Comme Dieu
créa un aslre miraculeux pour conduire les
mages au berceau du Sauveur, de même, si
nous en croyons de graves auteurs, il fera
lever une nouvelle étoile, pour conduire ce
précieux dépôt au lieu destiné à y recevoir
les hommages d'une infinité de nations, qui
pour ce sujet sera appelé Compostelle, c'est-à-
dire , Champ de l'étoile : Campus stellœ.
G'est de ce tombeau , comme d'une chaire
de vérité , que saint Jacques fera entendre
aux Espagnols le tonnerre de sa prédica-
tion. Ce fut autrefois un prodige étonnant
de voir des ossements secs s'élever et en-
tendre la voix d'Ezéchiel qui leur parlait
au nom du Seigneur: Ossa arida , audit e
verbum Domini (Ezech., XXXVI!, \k). Mais
ce n'est pas un spectacle moins surprenant
de voir que les ossements de notre apôtre
parlent à des hommes vivants ; de voir qu'ils
instruisent celte nation, qu'ils lui prêchent
les mêmes vérités qu'il leur annonça pen-
dant sa vie, et qu'ils triomphent de leur
incrédulité.
Oui, grandes provinces, royaumes floris-
sants, si vous avez été éclairés de la lumière
de l'Evangile, si vous connaissez la vanité
des idoles , si vous adorez le vrai Dieu d'un
culte si pur, c'est, après la grâce de Jésus-
Christ, à ce sacré dépôt que vous le devez;
vous êtes les fruits précieux, quoique tar-
difs , des conquêtes évangéliques de votre
apôtre.
Ne pouvons-nous pas dire de ce tombeau
glorieux, ou plutôt de saint Jacques qui y
est renfermé, ce que saint Paul dit d'Abel,
qu'il parle encore après sa mort : Defunctus
adhuc loquitur ( IJebr., XI , k ), qu'il prêche
encore l'Evangile après sa mort. Si ce vaste
empire sur lequel le soleil ne se couche ja-
mais est sorti des ténèbres et des ombres de
la mort où il était enseveli; si lc9 peuples
des Indes, si ceux de la Nouvelle-Espagne,
dans le nouveau monde, se soumettent à la
foi de Jésus-Christ en même temps que les
Espagnols les soumettent à leur domination,
c'est par une vertu secrète qui sort du tom-
beau de leur apôtre; Defunctus adhuc lo-
quitur.
Mais ce qui relève encore sa gloire avec
éclat, c'est que ces vastes royaumes ont < on-
linué dans la suite des siècles de ressentir
les effets de sa puissante protection, pour
la conservation et l'augmentation de la foi
qu'il y a préehée. Combien île fois , si nous
en croyons de fameux historiens , invoqué
des Espagnols par ce cri de guerre : Saint
Jacques, l Espagne combat! l'a-t-on vu, à la
tète des armées, fondre l'épéc à la main sur
les légions infidèles, jetant partout la confu-
MCQUES LE MAJEUR. 66
sion et la terreur! Combien de fois a-t-il
inspiré la valeur et le courage à la nation
espagnole dans des besoins pressants! Com-
bien d'insignes victoires lui a-t-il fait rem-
porter dans les conjonctures les plus délica-
tes ! Combien de fois l'a-t-il fait triompher,
lorsqu'à peine elle était en état de se défen-
dre! Quelle gloire pour saint Jacques, quelle
gloire pour son tombeau I
O glorieuses dépouilles ! ô tombeau mille
fois plus précieux que les mines d'or qui se
trouvent dans les Indes soumises à l'Espa-
gne ! quel bonheur pour ce royaume ! Quasi
effodientes thesaurum , gaudcntque whemen-
ter cum invenerint sepulcrum (Job, III, 21).
* C'est la gloire de ce tombeau qui place
saint Jacques à la droite de Jésus-Christ sur
la terre : car on en peut dire avec quelque
proportion ce qu'lsaïe a dit du tombeau de
Jésus-Christ : Son sépulcre sera glorieux :
Erit sepulcrum ejus gloriosum (Isa., XI, 10).
Oui, Messieurs, ce tombeau, s'il m'est
permis de le dire , donne à saint Jacques
quelque espèce d'égalité avec celui de Jésus-
Christ , et, comme dit saint Bonaventure ,
après le tombeau de Jésus-Christ, il n'en est
point dans toute l'Eglise qui soit en plus
grande vénération que celui desaint Jacques :
Nullius sancti sepulcrum sic est apudf omnes
homines gloriosum (Bonav. serm. 2, in [est. S.
Jac). L'Eglise accorde à ceux qui vont le
visiter des privilèges et des avantages pres-
que semblables à ceux promis aux fidèles qui
visitent le sépulcre de Jésus-Christ; comme
celui de Jésus-Christ, il attire de toutes
les parties de l'univers les fidèles qui vont
y offrir à la gloire de ce saint leurs vœux
et leurs hommages.
Qu'on vante tant qu'on voudra la magni-
ficence de ces superbes mausolées qui firent
autrefois l'ornement de Rome et d'Athènes,
le tombeau de notre apôtre est mille fois
plus glorieux , et , tandis que les sépulcres
des conquérants cl des maîtres du monde ne
sont qu'horreur et solitude , celui de saint
Jacques est honoré et fréquenté d'un |>eu pie
infini qui y accourt en foule pour participer
aux faveurs et aux grâces que Dieu, par sa
puissante intercession , y répand en mille
manières différentes.
C'est ainsi que Dieu , qui est admirable en
ses saints, veut faire honorer le tombeau de
son apôtre; il veut que, par le seul attou-
chement de ses os sacrés, la vue soit rendue
aux aveugles, l'ouïe aux sourds, le mouve-
ment aux paralytiques , la vie aux morts :
comme le prophète Elisée (IV Rrg., XIII, 21),
notre illustre apôlre fit des prodiges pendant
sa vie, et des miracles aprèi sa mort (Eccli.,
XLVIII, 15). 11 semble que Dieu ail mis dans
l'Espagne ce sacré monument pour le sou-
lagement et la consolation de ce royaume et
de tout le monde chrétien, comme autrefois
il éleva le serpenl d'airain dans le désert
pour la guérison des Israélites.
Allez-y donc, peuples fidèles, nations de
la terre , allez à ce tombeau sacré, sortez
des extrémités de l'univers pour y offrir vos
prières et vos vœux ; allez à Compostelle rc-
ORATEURS SICP. \l il
n
cueillir le fruit de votre piété cl de voire n •-
ligion. Vous j ressentirez dans ions vos be-
soins les effet* de la boulé loulc-puissante
de Dieu et de la protection particulière de
ce grand saint; vous verrez pendus aux
voûtes de son église les magnifiques présents
des empereurs et des rois, et une infinité de
vœux offerts par les fidèles de toutes les par-
tics du monde, comme autant de monuim nls
éternels de son pouvoir; et vous lirez avec
admiration, gra\és sur les marbres, les mi-
racles que Dieu a opérés par ses puissants
suffrages en faveur de ceux qui ont honoré
sa mémoire et révéré ses cendrée.
Pouvons-nous finir plus ulilemcnl ce dis-
cours qu'en vous exhortant à vous conten-
ter d'être assis à la gauche de Jésus-Christ
pendant celte vie, et d'attendre après la mort
d'être assis à sa droite: je veux dire qu'il
faut nous estimer heureux ici-bas de boire
Je calice et de passer par les plus rudes
épreuves des peines, des douleurs, des afflic-
tions, dans l'espérance qu'un jour assis sur
des trônes éminents nous posséderons une
gloire immortelle ?
Nous aspirons tous à ce haut degré d'hon-
neur que Dieu destine à ceux qui l'auront
servi avec une constante fidélité ; mais il
nie semble que Jésus-Christ nous dit à tous,
comme à Jacques et à Jean : Pouvez-* ous,
ou plutôt voulez-vous boire le calice? Pole-
slis biberc ealicem(Matth., XX, 22)? Jacques,
comme Jérémie, le reçoit de la main du Sei-
gneur, et nous le présente à tous : Accepi
calicem de manu Domini, el propinavi cun-
clis y nlilms (Jerem., XV , 17). Souffrez, mes
frères, que je le prenne de la main de notre
apôtre , el que je vous le présente : il est
amer, je l'avoue , mais il faut le boire si
nous voulons être assis auprès de Jésus-
Christ dans sa gloire, si nous voulons être
rassasiés de ces loircnts de volupté que Dieu
a préparcs à ceux qui l'aiment.
Mais où trouvons-nous des chrétiens qui
soient disposés à boire ce calice? Chacun
en a de l'horreur, on le regarde comme une
coupe empoisonnée ; on dit, non pas d'une
volonté soumise à celle de Dieu, comme Jé-
sus Christ, mais d'une volonté déterminée
et absolue à le rejeter : Transeat a me culix
iste : que ce calice passe loin de moi.
Amateurs du siècle et de ses voluptés ,
vous en voulez d'un calice , je veux dire de
cette coupe fatale présentée par la fameuse
prostituée dont parle saint Jean dans son Apo-
calypse, où l'on boit à longs traits les délices
et les voluptés criminelles du moud • : El int-
briati sunt qui inhabitant terram de vina pro-
sliti.ilionis ejus (Apoc., XVII, 2). Mais le ca-
lice qu'a bu si généreusement notre apôtre,
on le rejette avec horreur, on regarde avec
indignation les peines , les afflictions et les
souffrances; le seul nom de la pénitence el
de la mortification fait peur aux délicats de
ce siècle.
Ne nous y trompons pas, mes frères, il
n'est point d'autre moyen d'arriver à la gloire
(jue d'embrasser la mortification de Jésus-
Christ : Si nous souffrons avec Jés Mf-Cftrtff,
dit saint I I, IHMM réywrons a<< lui
(Il Tint., II, 12). L'homme innocent allait à
Di( ii par une voie de repos, de douceurs, de
plaisirs; l'homme criminel n'en a point d'au-
tre que le travail, la souffrance , la douleur.
Qneiie consolation pour un chrétien qui
souffre, d'( Ire assuré qu'«n moment court et
léger des tribulations d> celte vie, qu'il endure
a\ ( c patience et ave: amour, produit le p<>
(l'-rnel dune souveraine et incomparable
gloire (li Cor., IV, 17)1 La mortification «Wf
sens et des passions est le prix do roy. MM
auquel nous aspirons, c'eêl la porte pour en-
trer dans le ciel : le chef est entré par celte
porte, les membres ne peuvent le sa m par
une tutre voie. Le disciple n'est pas pus que
lenw'il e 'Matih.,\,2V). Dans l'étal présent,
point de salut que par l'amertume du calice :
La lie n'en est point encore épuisée (Psu'm.
LXXIV, 9).
Si saint Jacques , qui était proche parent
du -Sauveur, n'a pu y arriver qu'à celle con-
dition, que dis-je, saint Jacques? t'il fl fallu
que Jésus-Christ , comme il l'assure lui-mé-
m ;>, souffrit pour entrer dans $a gloire, pou-
vons-nous y parvenir par un autre chemin
que par celui des peines et des souffrant <
De quel droit un étranger pourrait-il y pré-
tendre à un autre titre? Potestis biberc cali-
cem ? Ah ! Seigneur, si \ ous nous en donnez
la force et le courage , nous le pouvons et
nous le voulons par le secours de votre grâ-
ce , que nous vous demandons pour arriver
un jour à la gloire éternelle. Je vous la sou-
haite, mes frères, au nom du Père, et du (Fils
et du Saint-Esprit. ; ai: si soit-il.
SERMON
POUR LE DIMANCHE DE LV Ql INQUAGÉS1M!
Prêché à Lavaur, dans l'église des Pénitents en
l'année I
Sur les désordres du carnaval.
Factura est autem cnm appropinqnarei Jerkuo , ca?cu$
quidam m k bai secus vlam mena
Lorsqu'il était près de Jéricho, un aveugle te Iroumle
long du Cliemin qui demandait l'aumône [Luc, XVIII, ô'i).
.Monseigneur
1
Après que l'Eglise avait consacré par des
fêtes et des cérémonies saintes plusieurs
temps dans l'année el différents lieux que
l'idolâtrie avait profanes par un culle sacri-
lège et des dissolutions honteuses, nous n'a-
vions plus, ce semble, à désirer, sinon que
ces derniers jours, que le démon s'était ré-
serves, comme des restes du pagaUM
jours de débauche et de libertinage, fus* ni
heureusement changés en des temps dédies
à la piele el à la religion.
C'est, Messieurs, ce que nous voyous dans
la solennité qui nous assemble aujourd'hui.
Grèce au cil I, n us avons la consolation de
voir un peuple choisi, qui n'a pas encore
llechi le genou devant Baal. Grâce an ciel, un
bon nombre de fidèles viennent adorer le v rai
(I) M. Flécliier, évêque de Lavaur, depuis évêque de NI
69
SERMON SUR LES DESORDRES DU CARNAVAL.
70
Dieu dans son temple en esprit et en vérité,
tandis que la foule des chrétiens, devenus
comme idolâtres en ces jours de licence, font
un Dieu de leur ventre, suivanl la vive ex-
pression de saint Paul (Phil., III, 19), et ado-
rent d'infâmes divinités. Soyez-en béni, Sei-
gneur, je puis dire à celle pieuse assemblée
ce que saint Chrysoslome disait autrefois au
peuple d'Antioche dans une semblable occa-
sion : que d'une fête du démon vous en faites,
par les empressements et la ferveur de voire
piété, une fête du Saint-Esprit :Festum Satn-
nœ fecistis festum Spiritus sancti.
Ce n'est pas sans raison que l'Eglise nous
représente l'horrible aveuglement des gens
du monde sous le nom do ce pauvre aveugle
de notre évangile, qui, selon saint Augustin,
est la figure des libertins marchant dans les
ténèbres de leurs passions : e'est pour dé-
tourner les méchants de leurs désordres par
la considération d'un état si pitoyable, et
pour exciter les véritables fidèles à concevoir
des sentiments de compassion sur leur mi-
sère.
Pour entrer dans l'esprit de l'Eglis'1 ,je
vous ferai voir combien grand et combien
déplorable est l'aveuglement des libertins
dans ces temps de désordre : ce sera mon pre-
nne;' point. Ensuite je vous ferai voir ce que
doivent faire les véritables chrétiens pour
s'oppos r au dérèglement du monde : ce sera
mon second point. Demandons les lumières
du Saint-Esprit par l'intercession de Marie.
Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Il est étrange que Dieu n'ait presque point
reçu d'honneurs dans le monde, que le dé-
mon ne 1 s ail voulu partager, pour ainsi
dire, avec lui. Si Dieu a eu des temples et des
aulels, l'idolâtrie en a élevé au démon. Dieu
a-t-il exigé des hommes l'adoration et les
honneurs suprêmes, a-t-il voulu qu'on lui
offrît des sacrifices ? le démon a affecté de se
faire rendre un culte semblable : ce singe de
la Divinité, comme l'appelle Tertullien, ja-
loux de la gloire de Dieu, voyant que Dieu
veut être honoré par le jeûne et par la péni-
tence, inspire à ses partisans de l'honorer
par la dissolution cl la débauche ; et tandis
que l'Eglise nous met devant les yeux l'image
de la croix, en nous rappelant dans l'Evan-
gile de ces trois jours le souvenir des dou-
leurs et d*' la passion du Sauveur : Nous al-
lons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera
livré aux princes des prt'tres et aux docteurs
de lu loi (jui le condamneront à mort (Mallh.,
XX, 18] ; le démon élève par avance l'éten-
dard de la volupté et du libertinage.
Quoique le malheur des temps ail réduit
les peuples à une nécessité qui leur ote le
moj en de faire les dépenses et les folies qu'on
I usait autrefois, on ne voit encore que trop
de désordres et de dissolutions- On épargne-
ra, quelle toi i o 1 on se privera longtemps de
choses souvent nécessaires, pour fournir à
des excès dans ces jours de débauebcs. Le
Sage dit que les chants de joie sont impor-
tuns, et viennent à contretemps dans lu tris-
tesse et dans le deuil (Eccli., XXII, (») : l'E-
glise se revêt de ses babils lugubres, elle
cesse de chanler ses cantiques d'allégresse,
et les mondains ne parlent que de ris, de
jeux, de plaisirs. Qui vit jamais rien de plus
éloigné du sens et de la raison? Se couron-
ner de roses, pour recevoir sur sa tête des
cendres qui nous marquent la poussière et
l'horreur du tombeau où nous devons entrer;
se préparera la pénitence par la dissolution,
à l'abstinence et au jeûne par les excès et la
crapule ; commettre de nouveaux crimes,
parce qu'on va bientôt gémir sur ceux qu'on
a commis ; se disposer à célébrer les mystè-
res douloureux de la passion de notre Dieu
par la recherche de toute sorte de délices ,
lut-il jamais un aveuglement pareil à ce-
lui-là ?
Ne pouvons-nous pas avec beaucoup de
raison renouveler ici la plainte que faisait
autrefois le prophète-roi , que les vérités sont
diminuées par les enfants des hommes (PsaL
H, 2)? Oui, ces grandes et importantes véri-
tés qui dans d'autres temps touchent les
cœurs les moins sensibles, ne font aujour-
d'hui aucune impression sur l'esprit de la
plupart des chrétiens ; ces belles idées de la
vertu, celte horreur du vice que les prédica-
teurs ont tâché d'imprimer dans leurs cœurs
pendant le saint temps de Pavent, semblent
en ces malheureux jours en être entièrement
effacées; les mondains, entraînés parla cou-
tume et follement entêtés de je ne sais
quelles maximes de libertinage, que tout
doit leur être permis dans ces icmps qu'ils
regardent comme consacrés au plaisir, don-
nent sans aucun scrupule dans toute sorte
de dérèglement;.
Que celte conduite est déraisonnable, mes
frères ! Comme s'il était permis de faire le >
insensés en des jours plutôt qu'en d'autres ;
comme si la sagesse et les règles d'une bien-
séance chélienne n'étaient pas de tous les
temps ; comme si le Dieu d'hier n'était pas le
Dieu d'aujourd'hui (Ilebr., XIII, 8). O aveu-
glement déplorable 1 comme si dans ces jours
Dieu fermait les yeux pour ne pas voir ce
qui se passe sur la terre ; comme si la loi de
Dieu pouvait cesser d'obliger ; comme si le
pèche perdait quelque chose de sa laideur,
et que Dieu cessât île le défendre et de. le pu-
nir ; comme si l'on pouvait se dépouiller
pendant quelque temps du nom et île la qua-
lité de chrétien, pour vivre en idolâtre.
Il faut sans doute que le prince des ténè-
bres porte ses partisans jusqu'à cet excès
d'aveuglement : car enfin où lrouve-l-on en
ces jours de la religion cl du christianisme ï
Voit-on paraître les moindres marques de la
foi dans les mœurs, rie la plupart des ebré-
tiens? Ne pouvons-nous pas dire au contraire
que les idées de la volupté détruisent tous les
sentiments de la crainte d'un Dieu vengeur
du crime? Ce qui dans d'autres temps arrête
les plus forls emportements du pécheur ne
fait aujourd'hui aucune impression sur un li-
bertin livré à une foule de plaisirs; il étouffe
les plus violents reproches d'une conscience
naturellement chrétienne qui gémit sous lu
cruel esclavage de ges passions.
:i
ORVfKtltS SACRI.S. Bl GAULT.
En ces jour»; de licence on n'a aucune re-
tenue, on s'abandonne à tout ce qui flatte
les sens ; le péché, «ouvert d'un lard sédui-
sant, ne pareil point revêtu de ses véritables
couleurs qui pourraient en inspirer de l'hor-
reur : on lui donne des noms qui effacent les
idées aflïcuses qu'on doit naturellement en
concevoir. On s'imagine que comme il y a
dans l'année certains temps consacrés plus
particulièrement aux exercices delà piétéet
de la religion, il doit y en avoir aussi qu'on
peut donner aux plaisirs et à de folles joies.
Sur ce faux principe on se laisse emporter a
la violence de sc> inclinations toujours prê-
tes à suivre l'attrait de la volupté et le tor-
rent de la mauvaise coutume.
De là vient que l'exemple pernicieux des
libertins l'emporte assez ordinairement par-
dessus la vie sage et modérée des gens de
bien ; que souvent les prédicateurs tonnent
en vain contre les désordres de ces temps, et
que, malgé les efforts de leur zèle, un grand
nombre de pécheurs résistent opiniâtrement
aux plus forts mouvements d'une grâce qui
veut , comme par une douce violence, les
arracher à leurs plaisirs criminels.
Le dirai-je, mes frères? oui, il le faut dire
à la honte des libertins : ils craignent; quelle
folie! ilscraignenten quclquemanière que ce
qu'ils appellent indignement bonnes coutu-
mes, ne vienne à se perdre, et que l'empire
de Satan ne soit entièrement détruit: c'est
pour cela que ses partisans font de nouveaux
efforts pour lui conserver ces malheureux
restes que la misère des temps et les gens
de bien n'ont pu jusqu'à présent lui ravir;
et comme si c'élail se justifier en quelque
sorte, que de rendre les autres coupables,
on s'étudie à corrompre par son mauvais
exemple ceux qu'une sainte pudeur relient
encore dans le devoir ; on \ eut soutenir l'em-
pire du libertinage, on s'efforce de renver-
ser la pureté et la régularité des mœurs,
contre laquelle cependant l'esprit et les scan-
dales du monde ne prescriront et ne prévau-
dront jamais.
Ne semblc-t-il pas que dans ces temps les
principes de la piété soient entièrement ren-
versés. C'est avoir de l'esprit que de savoir
railler des plus saints mystères, de contre-
faire les cérémonies de l'Eglise par des jeux
sacrilèges, donner des interprétations ridicu-
les aux paroles sacrées de l'Ecriture, décrier
la véritable dévotion, sous prétexte de n'at-
taquerque la fausse. On n'est pas content des
plaisirs ordinaires, il faut, par un bizarre
raffinement de goût, en inventer de nou-
veaux. On se fait une vanité ridicule de
commettre plus de crimes que les autres, et
on aurait honte en quelque manière de ne
paraître pas aussi dissolu que ceux qui font
profession ouverte de la débauche la plus
outrée. Aveuglement déplorable, qui fait
qu'on lire sa gloire en ces jours de ce qui
ferait rougir en d'autres temps ! Quelle cor-
ruption d'esprit, quelle dépravation de cœur!
folio si grande que les infidèles mêmes et
les hérétiques eu ont horreur, el s'étonnent
que des chrétiens qui adorent un Dieu cru-
cilié aient dans l'année certains jours qu'ils
consacrent ainsi aux plaisirs et à la débau-
che.
Que dirai-je, Messieurs, d'un autre trait de
folie, preuve certaine de l'aveuglement dont
lei partisans du carnaval sont fra| ; es? Nom
voyons avec horreur dans ces joursdi s hommes
créés à l'image et a la ressemblance de Dieu, for-
més sur l'image de Jésus-Chris' même, effacer,
pour ainsi dire, ces nobles traits, pour prés-
ure la ligure d'objets les plus monstrueux.
Oui le croirait, si l'on n'en était témoin,
que des chrétiens pussent se porter à un tel
excès? O hommes insensés, pourquoi cher-
chez-vous ces déguisements infâmes, sinon
afin que, cachant ainsi sous des voiles em-
pruntés l'honnêteté el la pudeur qui peut-
être vous retiendraient dans les bornes de la
sagesse, vous vous abandonniez impuné-
ment aux plus honteuses licences? L'squctjuo
faciès peccuturum sumitis [Puai. LXXXI, -2 '!
sinon afin que vous ayez unn entière liberté
de vous permettre tout?
Ah! si les Pères de l'Eglise, principale-
ment saint Cypiien, saint Jérôme et saint
Chrysoslome, déclament avec tant de véhé-
mence contre les femmes mondaines, qui
déguisent par des couleurs étrangères leur
visage, pour se donner un faux lustre el un
faux éclat; s'ils leur reprochent de gâter et
de défigurer l'ouvrage de Dieu : qu'auraient-
ils dit, si de leur temps les chrétiens se fus-
sent défigurés comme on fait aujourd'hui?
s'ils avaient vu des membres de Jésus-Christ
devenir les membres des monstres les plus
affreux? s'ils avaient vu des chréliens cou-
vrir leur visage qui fait la gloire de l'homme,
ce visage qui porte des caractères de la Di-
vinité, pour prendre la ressemblance des
bêles les plus horribles à voir?
Quelle plus insigne folie encore, quel
aveuglement plus déplorable, que des chré-
tiens fassent profession de croire à un Evan-
gile qui ne parle que d'afflictions, que de
peines, d'abnégation de soi-même, que
de renoncement à tout ce qui favorise les
penchants, à tout ce qui Halte les sens ; qui
publie bienheureux ceux qui pleurent et qui
souffrent; que des chréliens adorent un Dieu
mort sur une croix pour nos crimes, un
homme de douleurs, rassasié d'opprobres,
qui par ses paroles et par ses exemple- a
condamné si hautement les plaisirs, qui tant
de fois a prononcé des arrêts fulminants
contre les ris et les folles joies du siècle :
Vœvobis qui ridetis (Luc, VI , 25)1 Malheur
à vous qui riez I que des disciples de Jcsus-
Christ, à la face des autels, aient dit ana-
thème au démon et à ses pompes, au momie
el à ses charmes, par les vœux et les ser-
ments solennels de leur baptême, auxquels
saint Cyprien renvoyait si souvent les chré-
tiens de son temps, pour leur oter le goût
des plaisirs, des spectacles el des assemblées
profanes; el que cependant ces mêmes chré-
tiens recherchent avec fureur des divertisse-
ments qui allument el nourrissent les pas-
sions, cl qu'on souffrirait à peine dans des
païens et des idolâtres!
SERMON SUR LES DESORDRES DU CARNAVAL.
74
Mais les enfanls du siècle, dont les gens de
bien déplorent le malheureux, état, sont
d'autant plus à plaindre dans leur aveugle-
ment qu'ils ne le connaissent pas, malgré les
îumières de la foi qui les éclaire : Nescierunt
ncque intellexerunt , in tenebris ambulant
(Psal. LXXXI, 5). Et c'est ici qu'on peut dire
qu'en ces jours principalement, où leur pro-
pre malice les aveugle (Sap., II, 21), il arrive
quelque chose de semblable à ce qui arriva
dans l'Egypte, quand Dieu, par le ministère
de Moïse, qui semblait tenir en son pouvoir
la lumière elles ténèbres, couvrit d'une pro-
fonde nuit la partie qui était habitée par les
Egyptiens, tandis que les Israélites jouis-
saient de leur côlé du jour le plus serein et
le plus brillant (Exod., X, 22 et 23) ; car les
mondains, figurés parles Egyptiens, rebelles
aux ordres de Dieu, sont dans d'épaisses té-
nèbres, dans un horrible aveuglement, tandis
qu'un petit nombre de chrétiens, fidèles à
Dieu, sont éclairés des lumières d'une grâce
qui les attache d'autant plus à leurs devoirs
de religion, qu'ils voient les libertins s'aban-
donner avec plus d'emportement aux plus
indignes excès.
Et remarquez, Messieurs, que cette igno-
rance coupable est plus fatale que l'aveugle-
ment même. La connaissance que l'aveugle
de notre Evangile a de son triste état est le
principe de sa guérison ; c'est ce qui l'oblige
de crier à Jésus-Christ d'une voix lugubre et
touchante : Seigneur, faites que je voie {Luc.,
XVIII, il ; Marc, X, 51). Mais ce qui aug-
mente le malheur des mondains, c'est «l'igno-
rer l'état pitoyable où ils sont, ou de le vou-
loir ignorer, etde se le cacher criminellement
à eux-mêmes, parce que cet état de ténèbres
et d'aveuglement leur paraît commode pour
contenter plus librement les désirs déréglés
de leur cœur. Jusqu'à quand, ô aveugles en-
fants des hommes , avec un cœur appesanti,
uimerez-vous la vanité et le mensonge (Psal.
IV, 3)? Jusqu'à quand vous plairez-vous
dans vos honteux désordres? Les passions,
les convoitises de la chair, les enchantements
d'un monde séducteur, qui vous aveuglent,
vous empêchent d'ouvrir les yeux aux di-
vines lumières qui viennent vous éclairer ;
mais puissiez-vous reconnaître le malheu-
reux état où vous êtes I puissiez-vous, attirés
par le Saint-Esprit, recourir à Jésus-Christ
et lui demander d'un cœur sincère, avec
l'aveugle dont parle notre Evangile : do-
mine, ut videam : Seigneur , faites que je
voie!
Ces avis salulaires, mes frères, donnés
aux mondains et portés par la grâce à
l'oreille de leur cœur, dans un autre temps,
seraient capables de les rappeler de leurs
désordres. Mais, occupés qu'ils sont de leurs
plaisirs, comme ils s'étudient à bannir de
leur esprit et de leur cœur tout ce qui leur
rappellerait leurs devoirs, ne nous arrêtons
pas dav/intagc à les vouloir toucher; et s'ils
ne profitent pas de nos exhortations, si au
contraire ils s'en scandalisent, comme les
pharisiens, au chapitre quinzième de saint
Matthieu, se scandalisaient des justes n -
OiuiEiais sacrée. XXX.
proches que leur faisait Jésus-Christ, disons
d'eux ce que Jésus-Christ disait des phari-
siens mêmes à ses disciples : Sinite illos, cœci
sunt et duces cœcorum (Mallh.tWt lk) : Lais-
sez-les, ce sont des aveugles qui conduisent
d'autres aveugles; laissons-les courir avec fu-
reuraprès les divertissements profanes, lais-
sons-les suivre l'impétuosité de leurs désirs et
les attraits du plaisir. Mais non, gémissons
plutôt sur leur triste état; ayons recours à la
prière, pour que Dieu daigne éclairer leurs
ténèbres d'un rayon de sa lumière céleste,
qui les porte à en concevoir de l'horreur et
à se convertir ; et après avoir vu avec des
yeux de compassion combien déplorable est
leur aveuglement, voyons ce que doivent
faire les véritables fidèles pour s opposer en
ces temps au dérèglement du monde et pour
apaiser la colère de Dieu : c'est mon second
point.
seconi> point.
Que doivent faire les gens de bien, Mes-
sieurs, en ces jours de licence? Fuir le plai-
sir, s'éloigner du commerce du siècle, afin
de ne paraître pas consentir à ses œuvres de
ténèbres. De tous les ennemis de la vertu il
n'en est point de plus dangereux que la vo-
lupté, dont le monde se sert plus ordinaire-
ment pour nous tenter et pour nous perdre :
elle s'insinue agréablement dans le cœur par
tous les sens, elle est toujours d'intelligence
dans la place qu'elle attaque, elle séduit la
raison, souvent elle la met de son parti;
l'homme ne lui résiste que rarement de tou-
tes ses forces, et lors même qu'il parait
vouloir s'en défendre avec plus de soin, il
sent presque toujours une inclination se-
crète à se rendre à ses charmes suborneurs;
plus elle a d'appas, plus elle a de pouvoir,
et l'unique moyen de la vaincre, c'est de la
combattre par la fuite. Ah 1 qu'il est difficile
de se retenir sur le penchant d'un précipice,
quand tout conspire de concert à nous y
faire tomber! Et qu'il est dangereux, quand
on se livre au commerce d'un monde cor-
rompu, qu'on ne s'assujettisse insensible-
ment à ses pernicieuses maximes!
Fuyons le monde, mes frères, le monde,
ce fameux criminel que Jésus-Christ a con-
damné, maudit et frappé d'anathème tant de
l'ois; le monde, ce corps de méchants qui
n'eut point de part à la prière de Jésus-
Christ après la cène; éloignons-nous de cette
malheureuse liabylone, que saint Jean ap-
pelle la mère des abominations de la terre.
(Joan., XVII, !)); celte infâme liabylone dont
I l'air esi si contagieux : Fugile de medio liu-
bglonis (Apoc-, X. ' II, 5), et que chacun de
nous ne songe qu'à se sauver de mille
pièges qu'elle tend à l'innocence : Et salvet
unwquisque animatn tuatn (Jer., Ll, 6).
Souvenons-nous que par des engagements
solennels nous avons fait un entier divorce
avec tout ce. que le monde a de plus cha-
înant. Profitons de l'avis important de l'Apô-
tre : Gardez-vout, dit-il aux Romains, de
vous cvn for mer aux usages et aux maximes
perverses de ce siècle (Hom., XI, 2); et au*
OHUKl US SACHES. KIXAl'LT.
Galatcs : ("est, dit le même apôtre, pour nous
déliwtr de la corruption d< ce siècle méchant
que Jésus-Christ t'est livré lui-même [Gaial.,
1, V). Imprimons bien profondément dans
□Olre espHl cette sentence de saint Jérôme.
(ju'il est très-difficile et même impossible de
jouir des biens présents et des biens à ve-
nir; d'être toujours dans la bonne clière et
goûter un jou dans la gloire les saintes dé-
lices d'une table <>ù l'on sera nourri de Dieu
même par une pleine possession de son es-
sence (Luc, XXII,. '{0); de passer des plaisirs
du siècle à ces torrents de volupté que Dieu
prépare dans son royaume à ses e us : Dif-
ficile, imo impossibile est ut prœscntibus quis
et futnris fritatur bonis . ut et hir ventrem ,
et ibi mentem repleut, ut de deliciis transeat ad
delicius (Hieron., cp. 34, ad Julian.).
Ecoutez ces terribles paroles, délicats du
siècle, et tremblez pour votre salut; écoutez
la condamnation de i os divertissements, vous
qui ne respirez que la volupté, qui passez
vos jours dans l'oisiveté et dans la mollesse;
vous dont la vie n'est qu'un corps mons-
trueux et un enchaînement de différents plai-
sirs ; vous qui ne les interrompez, ces plai-
sirs, que pour les mieux goûter par une es-
pèce de faim qui en irrite L'appétit, ou pour
leur eu substituer de nouveaux ; vous qui en
faites votre plus importante et presque uni-
que occupation.
Mes frères, ces heureux mondains se plon-
gent dans les délices : on voit, dit Job, et
voici la peinture de la vie qu'ils mènent prin-
cipalement en ces jours de débauche; on
voit sortir en foule leurs enfants qui dan-
sent et qui sautent en se jouant ; ils ont la
guitare et les timbales à la main, et ils se
divertissent au son des instruments de mu-
sique; ils passent leurs jours dans les déli-
ces : Tcnent tympanum et citharam, et gau-
dent ad sonitum organi (Job, XXI, 11, 12).
Et quel sera leur sort? Le voici : en un mo-
ment, quand ils y pensent le moin-, ils sont
emportés |>ar la mort, et quelle mort I I)n-
cunt in bonis dûs suos, ei in puncto ad in-
terna descendant (Ibid.) : et peut-être, comme
Ballhazar après s«.n festin sacrilège, ei com-
me le riche de L'Evangile qui avait passé sa
vie dans la bonne chère et dans toute sorte
de délices, ils se trouvent ensevelis dans les
enfers : Et sepultus est in inferno (Luc XVI,
22) : catastrophe terrible, mais juste, et très-
ordinaire aux liberlii s qui aiment les as-
semblées mondaines, les jeux, les specta-
cles, les excès dans la bonne chère, les joies
insensées, les plaisirs criminels, et qui cou-
rent avec emportement après tout ce qui
peut contenter les désirs déréglés de leur
cœur.
Fuyons la compagnie de ces partisans d'un
monde corrompu, dont tous les pas condui-
sent au précipice. Détachons notre cœur de
tous ces vains amusements, fortement per-
suadés que tout ce que le monde a de plus
charmant et de plus aimable n'est qu'on
songe, une agréable illusion, une ombre fu-
gitive qui se dissipe, et qu'il ne restera à ces
mondains, de leurs débauches cl de leurs i
ces q reproches cuisants d'une cons-
clem e rongée Je mille rem rds, q e des re-
grets i orte - et une terrible attente des ju-
gements «le Dieu. Vains fantômes de plaisirs,
qu'ête i v ,us encore'.' un peu de fumée, une
vapeur qui parait et se perd au même
moment, des caractères écrits sur la pous-
sière que le vent emporte. Oui, mondains,
il en sera de même de tous ces diveit
ments que vous recherchez avec taul de
passion.
Si jamais nous fûmes obligés de nous éloi-
gner des désordres et des folies du siècle.
principalement dans des temps où chacun de
nous doit se regarder comme chargé du soiu
d'achever la conversion de nos frères nou-
vellement réunis : Infirmum autem in fide «s-
sumite (Rom., XIV, 1) : Recevez avec cha-
rité, dit saint Paul, celui qui est en orc fai-
ble en la foi. En vain le roi emploierait -il
tous ses soins et toute son application pour
rappeler dans le sein de l'Eglise tous ceux
de ses sujets qui en sont séparés, si ceux qui
leur doivent l'exemple le- en éloignaient
par une vie déréglée; s'ils détruis. lient par
leurs scandales et parleurs dissolutions ce
que ce prince religieux édifie par sa piété et
par son zèle.
Quel sujet de tentation, mes frères, pour
des nouveaux catholiques, s'ils voyaient leurs
aînés en la foi libres daus leurs paroles, dis-
solus dans leurs actions, abandonnés à des
plaisirs profanes, livrés à des passions d'i-
gnominie; s'ils les voyaient mener une vie
païenne au milieu de la pur te du christia-
nisme, courir aveuglément après les folies
du monde, suivre im; étui usetnent le torrent
des coutumes établies par le libertinage, en
un mot, nier par leurs actions ce qu'ils con-
fessent de bouche (TH., I, 10)!
Quel avantage, dit Eusèbe, les Juifs n'ont-
ils pas tiré de la vie licencieuse depl isieurs
chrétiens de son temps pour s'autoriser dans
leur infidélité, parce qn'ils vivaient en ap-
parence d'une plus grande régularité qu'eu\l
Aussi peul-im dire hardiment que le dérè-
glement des mauvais chrétiens a souvent
été, sinon la cause, du moins l'occasion qui
a servi de prétexte aux hérétiques de se sé-
parer de nou ou de demeurer dans leur er-
reur. Efforçons-nous donc doter ce dernier
retranchement dont les fauteurs Je L'héré-
sie, ne distinguant pas comme ils devaient
la doctrine d'à ver la morale, ont tâché de
justifier leur schisme et leur rébellion c nlre
liiglise ; mais ôlons aussi cet obstacle à la
p rlaite conversion de nos frères réunis.
Prenez bien garde, disait Jésus-Christ, de
ne mépriser, de ne scai aucun de ces
; tits qui croient en moi Malt/t., XVIII, 10),
et dont la foi est encore tendre et délicate ;
eludions-nous au contraire à les édifier par
la pureté do nos mevurs; qu'ils troavenl eu
nous des modèles de vertu qu'ils puissent
imiter, ou des censeurs de leurs vices qu'ils
puissent craindre. Faisons-leur voir par nos
actions que nous sommes du petit troupeau
de ceux à qui te l'ire ••<■«.' donner te royaume
[Luc, XII, 32). Rougissons d'en voir parmi
77
SERMON SUR LES DESORDRES DU CARNAVAL. 7S
les nouveaux catholiques, qui, étant venus
plus lard dans la vigne du Père de famille,
ont travaillé avec tant de diligence et de fer-
veur, qu'l's méritent déjà une pareille et mê-
me plus grande récompense que nous. Don-
nons-leur l'exemple qu'ils ont droit d'atten-
dre de nous; que notre bonne conduite soit
à leur égard comme une preuve continuelle
de la vérité de notre religion et de la pureté
de sa morale.
C'est ainsi que par des mœurs sages et ré-
gulières non-seulement nous confirmerons
nos frères dans la foi qu'ils ont heureuse-
ment embrassée; mais s'il s'en trouvait en-
core qui, par les préjugés de la naissance et
de l'éducation, fussent attachés à leurs pre-
mières erreurs, nous les toucherons, nous
les ramènerons à l'Eglise , nous les conver-
tirons. L'innocence de no!re vie sera comme
un argument sensible, auquel toute l'opiniâ-
treté de l'hérésie ne pourra remisier, et bien-
tôt ils suivront la créance de ceux dont ils
auront admiré la piété et la vertu : car enfin
on gagne aisément l'esprit, quand le cœur
est touché par les exemples d'une vie édi-
fiante et véritablement chrétienne.
En second lieu ce que doivent faire les
véritables fidèles, dans ces temps de désor-
dre, pour arrêter le torrent des iniquités qui
inondent la terre, c'est d'opposer les larmes
et les gémissements aux vaines joies du
monde. Pleurons, mes frères, pleurons pre-
mièrement sur nous. Si vous fûtes autrefois,
ou quelques-uns d'entre vous, dans le même
aveuglement (et peul-être y fûtes-vous dans
les premiers emportements d'une jeunesse
inconsidérée : Eratis enim aliquando tenebrœ
[Eph.,\, 8|), à présent que Dieu vous a des-
sillé les yeux par une lumière céleste : Nunc
dutemluxin l)o;iino (lbid.) ; remplis de honte
et de douleur, dites-vous à vous-mêmes ce
que l'Apôtre disait aux Romains pour les
confondre : Quel fruit donc avez-vous lire
de ces désordres dont vous rougissez mainte-
nant, puisqu'ils n'ont pour fin que la mort
(Kom., VI, 21)? Ah! pleurez, gémissez sur
vos premiers égarements : pénétrés d'un vif
regret, dites avec le roi-prophète : Delictu
juventutis meœ et ignorunliasmeas ne mniine-
ris (Psal. XXIV, 7). Ah 1 Seigneur, oubliez
les péchés et h s ignorances d'une volage et
aveugle jeunesse.
Mais pleurons aussi sur le malheureux
état de nos frères, qui, dans le centre du
christianisme, renouvellent les fêtes les plus
honteuses des païens. Comme Jérémie, re-
gardant de loin les ahominalions de Rnby-
lone, pleurait sur ses crimes et sur sou
malheur, pleurons aussi, mes freres, sur le
déplorable aveuglement des mondains; je ne
vous l'ai représenté que pour loucher votre
compassion sur leur triste étal. Ainsi Jésus-
Christ, jetant les yeux .sur Jérusalem, pleura
amèrement sur elle et sur ses ignorances
criminelles. .Si cognovisses et tu. Ah 1 Jéru-
salem, si lu avais connu... Mais maintenant
tout ceci est caché à tes yeux (Luc, Xl\., kl).
Telle doit être notre douleur et notre coni-
|i iMiëfl sur les âmes qui se perdent parleur
aveuglement volontaire et par leurs dérègle-
ments.
Disons avec le même Jérémie : Qui don-
nera de l'eau à ma tête, et à mes yeux une
fontaine de larmes, pour pleurer jour et nuit
la mort des enfants de la fille de mon peuple
(Jerem., IX, 1) ; pour pleurer sans cesse la
perte de ces violateurs de la loi qui donnent
la mort à leur âme par leurs désordres et
par leurs scandales ?
Nous lisons dans le Lévilique que Dieu
commanda autrefois aux Israélites d'affliger
leurs âmes en sa présence le dixième jour
de septembre; parce que, comme remar-
quent les Pères et les interprètes, ce peuple,
enivré d'une folle joie de voir ses greniers
pleins de blé, et ses celliers remplis de vin,
avait coutume d'employer ce temps-là aux
jeux, à la débauche, et de commettre toute
sorte d'excès : ce fut ce jour-là que Dieu
consacra par une fête solennelle, et qu'il
voulut être honoré d'une manière plus par-
ticulière par des sacrifices d'expiation et de
pénitence. Vous affligerez vos âmes en ce
jour-là, dit le Seigneur, et vous offrirez un
holocauste au Seigneur Tout homme qui ne
se sera point affligé en ce jour périra du mi-
lieu de son peuple ( Levit., XXIII, 27).
Tels doivent être, mes frères, les senti-
ments de noire douleur en ces jours de li-
cence : à la vue de tant de débauches et de
débordements , il faut gémir, nous attrister
devant le Seigneur, lui offrir des sacrifices
de propitiation, pour expier les excès des
mondains :Quia dics propitiationis est (lbid.,
28), parce que ce doivent être pour nous des
jours de propitiation.
Quels étaient les sentiments du roi David,
quand il voyait son Dieu outragé par les pé-
cheurs ? Seigneur, disait, ce zélateur de la
gloire de son Dieu, mon zèle m'a séché de
douleur, parce que vos ennemis ont oublié vos
commandements Je sèche de douleur, quand
jevois la prévarication des pécheurs qui aban-
donnent votre loi (Psal. CXV1II, 139,158).
Ainsi devons-nous sentir s'émouvoir notre
cœur à la vue des désordres qui se commet-
tent.
Mais ce sont particulièrement les prêtres
qui doivent gémir devant Dieu pour apaiser
sa colère, et détourner les traits de son in-
dignation. C'est l'obligation que l'Eglise nous
impose par les paroles de Joél, qu'elle nous
fera chanter dans peu de jours : Intcr ves-
tibulum cl altare plorabunt sacerdotes mini-
siri Domini, et dicent : Parce, Domine, parce
populo tuo (JoeL II, 17). Que les prêtres et
les ministres du Seigneur, prosternés entre
le vestibule et l'autel , fondent en larmes et
s'écrient : Pardonnez, Seigneur, pardonnez
à votre peuple. Le même prophète nous y
exhorte encore par ces paroles vives et tou-
chantes : Àccingile vos et plangitc, sacei do-
tes ; ululais, ministri altaris, ingredimini, ca-
hute in ittCCQ, ministri Dei mei ( J cri, I, 13 ).
Prêtres, couvrez-vous de sacs de pénitence,
et pleurez ; jetez de grauds < ris, ministres
de l'autel, altos dans le temple, el couchez
dans le sac el dans la cendre, ministres de
iniiii Dieu. Préires de Jésus-Chrisi, ce do II
"ii. i.'i votre occupation par avance : c'e
i|ue nous devons faire en ces jours de dér< -
glements, nous affliger, pleurer au pied des
autels, pour expier les criuies et les iniqui-
- du peuple.
Il s'en Irouve encore, .Messieurs, de ces
âmes fidèles, qui, brûlées de zèle pour les
intérêts de Dieu et pour le salut de leurs
frères, gémissent en secret sur les désordres
de ce temps, [fleurent sur l'aveuglement de
tant d'âmes rachetées du sang de Jcsus-ChrM,
qui courent précipitamment à leur perle, et
s'efforcent d'éteindre la juste colère du ,-ei-
gneur que les pécheurs allument par leurs
iniquités. Ce sont les sentiments que veulent
nous inspirer ces religieux pénitents, p;>r
l'établissement de ces prières publiques pen-
dant lesquelles nous les voyons avec tant
d'édification, prosternés au pied des autels,
répandre devant le Seigneur leur âme j eue—
trée de douleur pour les péchés qui se com-
mettent en ces temps : heureux si nous en-
trons dans l'esprit d'une si pieuse institution I
Mais, ministres du Seigneur et de sa pa-
role, ne nous contenions pas de gémir et de
nous affliger : animés d'un juste zèle pour sa
gloire, efforçons-nous encore par nos avis
salutaires d'arrêter le cours de ces désor-
dres» Reprochons hardiment aux libertins
leur aveuglement criminel et leurs dissolu-
tions, suivant ces paroles que Dieu adres-
sait à lsaïe : Criez sans cesse, faites retentir
votre voix comme une trompette ; annoncez
à mon peuple les crimes qu'il a faits, et à la
maison de, Jacub les péchés qu'elle a commis
[Isa., LV11I, 1).
Tournons toule la véhémence de nos dé-
clamations contre les mondains ; sachons
que nous nous rendons coupables en quel-
que sortedes dérèglements auxquels nous ne
nous opposons pas avec toute la vivacité de
notre zèle.
J'ose dire à tous les ecclésiastiques qui
m'entendent ce que Judith disait autrefois
aux prêtres delà ville deBélhulie : O vous,
mes frères, puisque vous êtes les prêtres du
peuple de Dieu, et que leur salut dépend de
vous et de votre zèle, c'est maintenant votre
office de toucher leurs cœurs, et de les rame-
ner par la force de vos discours à leurs de-
voirs : Et nunc, paires, quoniam vos estis
presbyteri in populo Dei, et ex vobis pendet
anima illorum ad eloguiwn restrum, corda
eorum erigile (Judith., VIII, 21). Méprenons
les libertins avec douceur, mais avec une
force et une gravité digne de noire minis-
tère ; tioublons leur fausse sécurité et leurs
joies criminelles par le souvenir des terri-
bles jugements de Dieu, el par tout ce que la
religion a de plus effrayant. Sans vouloir
adoucir la sévérité de la morale évangélique,
ni élargir la voie étroite qui conduit à la rie
(Matth., VII, 21), disons-leur qu'il y a des
récréations modestes, des plaisir? légitimes
el innocents, el que, comme dit un ancien
sage, on peul se divertir sans se porter à
des excès coupables : Licet sine luxurtu
ayere fatum divin [Sente, epist. 18), Disons-
ORATI : RS SACRES. BEGAI : 80
leur enfla qu'il est permis de •-e réjouir*
mais (|U il faul, comme parle l'Apôtre, que
ce soit toujours dans le Seigneur (l'hilip.,
IV.
A ces exhortations, mes Ireres, joignon
de ferventes prières; après avoir parlé de
Dieu aux pécheurs, parlons à Dieu des pé-
cheurs: offrons-lui le sacrifice de nos cœurs
et de nos lèvres pour détourner sa co-
lère. Si quelqu'un ttl du ,arti du Sei-
gneur, qu'il te joigne à moi [Exoé., XWII,
26); non pas pour exterminer les libeitisu
au milieu de leurs débauches, comme lit
-Moïse à l'égard de ungl-irois mille !>t • di-
tes après leur idolâtrie e;:r nous sommes
dans une loi de douceur qui nous apprend
à vaincre la dureté des pécheurs par nos
prières et nos gémissements); mais qu'il se
joigne à moi pour obtenir de Lieu. | ai nos
vœux et nos prières, le pardon de leurs
crimes.
Du temps de Tobie, le peuple allant en
foule a certains j >urs adorer les veaux d'or
que Jéroboam avait f;iit élever, ce saint
homme fuyait lui seul lu compagnie de ces
lires (Tob. , I, 5); il allait à Jérusalem
au temple adorer le Seigneur Dieu d'Israël,
et par d'humbles prières, par des présents
et des sacrifices, il s'efforçait de détourner
de ses frères les effets delà vengeance de
Dieu. Imitons, mes f. ères, cet homme de
Dieu, et tandis que les partisans du monde
adorent les idoles de leurs infâmes passions,
tandis qu'ils sont dans les (eslins, qu'ils cou-
rent aux spectacles, aux assemblées profa-
nes, allons dans le temple du Seigneur, pour
lui rendre, s'il est possible, autant de gloire
qu'on commet d'outrages contre lui.
J'euple acquis, pelil troupeau, âmes choi-
sies, redoublez vos prières et vos vœux,
pour apaiser un Dieu justement irrité parles
crimes des pécheurs. C'est particulièrement
en ces jours, où le vice triomphe avec plus
d'audace, où la plupart des chrétiens sem-
blent vouloir entièrement abandonner Dieu,
que nous devons lui donner des marques
d'une plus grande fidélité; rien ne peut lui
être plus agréable. Souvenons-nous que Je-
sus-Christ témoigna la satisfaction qu'il avait
que ses disciples fussent toujours demeurés
fermes avec lui dans ses tentations el dans
ses maux: Vos autan estis gui permantittit
mecum in tentationibus meis (Luc. . X.X.11,28).
Prions pour le salul de nos frères, disons
à Dieu: Seigneur, ouvre/ les veux de ces
aveugles: Domine, aperi ocutos Mlomm(lV
Reg. , VI, 20). Qui sait si Dieu n'écoulera
pas enfin nos vœtix, et s'il ne se lrou\ era pas
dans les trésors de sa miséricorde une grâce
puissante et victorieuse, qui arrachera a\cc
uue douce violence ces hommes voluptueux
à leurs plaisirs criminels? Ce fut par des
prières redoublées el ditlerents exercices de
pieté que saint Charles Borromée, arche
Véque de Milan, changea dans celle grande
ville en des fêtes saintes ces jours que la cou-
tume de plusieurs siècles, par une espèce de
culte sacrilège, avait consacres à l'impiété
cl à la dissolution. Pourquoi ne pourrons-
SI
SERMON SIR L'HYPOCRISIE.
«2
nous pas espérer un semblable succès, si
notre zèle est soutenu par des prières fer-
ventes, par les mêmes exercices de piété?
Monseigneur,
Pouvons-nous rapporter ici les désordres
de ces temps, sans parler de ce que vous
faites pour les corriger ou pour les prévenir ?
A peine le vice (imide et tremblant ose-t-il
paraître devant un si rude censeur.- après
avoir réformé la langue des peuples, vous
en réformez les mœurs, et après leur avoir
appris à bien parler, vous leur enseignez
par vofre exemple à bien vivre.
Nous ne louerons plus on vous , Mon-
seigneur, la force et la sublimité de votre
grand génie , celte pénétration vive qui ne
trouve aucun nuage, cette science profonde
et lumineuse à laquelle rien n'est [caché.
Nous n'établirons plus votre éloge sur les
magnifiques ouvrages de votre esprit dans
tous ies genres d'écrire; la place éminente
à laquelle un rare mérite, de* talents supé-
rieurs et le juste discernement du roi vien-
nent de vous élever, nous fournissent une
bien plus noble et plus riche matière de.
louanges. Au-dessus même de votre dignité,
quelque sublime qu'elle soit, à n'en consi-
dérer que les dehors, vous lui donnez pins
d'éclat que vous n'en recevez : accoutumé
déjà à regarder l'épiscopat plutôt comme un
poids que comme une dignité, loule votre
étude est d'en remplir avec une exacte fidé-
lité les plus pénibles devoirs.
La qualité d'évêque n'est pas en vous ,
Monseigneur, un vain titre d'honneur, ni un
nom sans fonction. Vous n'eûtes p;îs plutôt
entendu la voix qui vous appelait au sacré
ministère, que vous courûtes à l'œuvre à la-
quelle Dieu vous destinait par sa provi-
dence. A peine êtes-vous sorti des fatigues
d'une importante mission , entreprise par
ordre du roi, dans une grande province (la
Bretagne) dont la conversion fut comme le
prélude et les prémices de votre apostolat,
que vous partez pour vous rendre aux vœux
d'un troupeau qui soupirait avec ardeur
après son illustre pasteur. Ni le rang que
vous teniez à la cour, où vous fûtes toujours
applaudi , ni les fonctions de votre charge
auprès d'une auguste princesse dont vous
eûtes toujours toute l'estime et loule la con-
fiance , et dont l'éloignement devait vou<
coûter si cher (1), ni bien d'antres raisons
que la sagesse humaine pouvait regarder
comme des litres légitimes , pour être dis-
pensé des règles de l'Eglise sur la résidence,
rien n'est capable de vous relenir; vous rom-
pez les engagements les plus forts et les
plus tendres, pour vous attacher à voire
épouse.
Arrivé dans le champ de cette ample mois-
son que Dieu avait préparée à votre zèle,
quelles fatigues , quels soins, quelle vigi-
lance pour le bien et le repos de votre dio-
cèse 1 Quelle application, soit à réunir les
'.; Pléchicr, <■ mine on sait, avait été aumônier
ordinaire <le Madame-la Dauphine.
(:>) Oit reconnaît ici cet enthousiasme de I «lève
familles divisées, et à éteindre le feu de leurs
dissensions , soit à arracher les restes de
cette ivraie malheureuse que l'ennemi sema
dans le champ de l'Eglise, soit à nourrir et à
fortifier en nos frères réunis une foi nais-
sante et encore faible , soit à achever de
former Jésus-Christ dans leurs cœurs : signes
glorieux de votre apostolat.
Que n'aurais-je pas à dire, Monseigneur,
si le temps me !e permettait, de ces pénibles
visites dont toutes les traces sont marquées
par des traits de votre zèle bienfaisant? C'est
là où, comme un autre saint Paul, vous vous
faites tout à lous pour gagner tout le monde
à Jésus-Christ; c'est là où, comme Jésus-
Christ même, on vous voit aller de ville en
ville, de village, en village, annoncer aux
peuples le royaume de Dieu. Qu'il fait beau
voir, Monseigneur, qu'après vous être élevé
comme un aigle par ces discours qui sur-
passent l'éloquence humaine (2), vous des-
cendiez à des instructions communes, à la
portée d'un peuple rude et grossier 1 égale-
ment admirable, soit que vous charmiez par
vos discours magnifiques la plus brillante et
la pius savante cour du monde et les plus
augustes assemblées ; soit que, d'un style
familier, avec des comparaisons et des para-
boles simples, méprisant votre propre gloire
pour établir celle de Jésus-Christ, vous rom-
piez le pain aux petits, à peu près comme
ces intelligences supérieures qui ne dé-
daignent pas de conduire des hommes fai-
bles, tandis qu'elles donnent le mouvement
aux plus hauts cicux et aux astres les plus
éclatants.
Veuille ce Dieu qui vous a comblé de tant
de grâces, Monseigneur, vous les continuer
et les augmenter pour sa gloire et pour le
salut des âmes qui vous sont commises !
Puissent ces grandes vertus, que vous pra-
tiquez dans un si éminent degré, être pour
nous un continuel motif de remplir tous nos
devoirs !
Ainsi , mes frères , nous attirerons sur
nous les bénédictions du ciel, qui seront
suivies du bonheur éternel, que je vous
souhaite avec la bénédiction de Monsei-
gneur, etc. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE D'APRÈS LA
PENTECÔTE.
Prêché à Paris dans l'église paroissiale «le Sn'nl*
Micolas-des-Champs, en l'année IU86,
Sur l'hypocrisie.
Nisi abundaverit justftia vestra plusquam scrlbarum et
pharfsœorum, non intrabitis in ragnum cœlnruoi.
Si voire justice n'eM plus parfait . acribei et
ries pnaritie s. wnu n'entrerez po:nt dans le, royaume des
cieux [Mnilli., V, 20).
I (• croirions-nous , Messieurs , si l'oracle
mène de la vérité ne nous en assurait , que
pour les Islents du maître que nous aVOflfl
liai - la milice île l'abbé lîégauli.
s:,
OHATEUHS SACRES. BEGAULT.
noire verlp , que notre jus; ii e eioii <t- 1 r t* plus
abondante Cl plus parfaite que c Ile des scri-
bes el des pharisiens'.' Car enfin d'un côlé
ûLre exempt de tous les vice , n'être point
comme le reste des hommes , qui sont ravis-
seurs du bien d 'autrui , injusles , adullères
(Luc, XVJII, H) ; ne point ebereber à s'en-
richir par des voies illicites ; d'un autre côté,
pratiquer les plus éclatantes vertus ; jeûner
leux l'ois la semaine, avoir le visage pâle
et abattu par de rudes austérités; pajer exac-
tement la dîme, même des plus petites her-
bes ; être sépare, du* commerce du monde par
un genre de vie et de mœurs plus pures el
mieux réglées ; offrir un plus grand nombre
de victimes ; faire sur soi des ablutions et
des purifications continuelles ; répandre des
aumônes abondantes, brûler d'un zèle vif et
ardent pour la loi du Seigneur, en porter sur
ses habits les plus notables sentences, écri-
tes sur des bandes de parchemin plus larges
que les autres, pour les avoir plus présentes
devant les yeux [Mat th. XXIII, 5); gar ci-
scrupuleusement jusqu'aux moindres tradi-
tions ; observer rigoureusement le sabbat ;
fréquenter avec assiduité les synagogue- , y
faire chaque jour de longues prières : peut-
on porter plus loin la perfection? Aurait-on
pu en demander davantage , dans ces heu-
reux temps de l'Eglise naissante, où les fi-
dèles possédaient les prémices de l'esprit?
Qui de nous ne canoniserait les vertus d'un
chrétien qui aurait donnédes exemples d'une
vie si pure et si sainte?
Cependant Jésus-Christ nous assure que si
notre vertu n'est plus pleine et plus entière
que celle des scribes et des pharisiens, nous
n'entrerons point dans le royaume des < ieux;
cependant Jésus-Christ semble traiter plus
sévèrement dans l'Evangile les scrihes el les
pharisiens , qu'il n'a jamais traité les plus
grands pécheurs, puisqu'il recherche ceux -
ci avec empressement et avec tendresse, qu'il
mange avec eux, qu'il s'intéresse à leur dé-
fense ; et qu'au contraire il rejette avec in-
dignation les scribes et les pharisiens, el qu'il
a fulminé contre eux autant d'anatlièines
qu'il a prononcé de béatitudes et de béné-
dictions pour les justes.
D'où vient la différence de ces jugem nls ,
Messieurs; d'où vient que le Fils de Dieu re-
prouve cette vertu des pharisiens , et qu'il
en demande une autre de ses véritables
disciples? C'est que celle-là n'est qu'une
justice feinte, dissimulée, corrompue par
l'hypocrisie, et qi e notre jusiiee doit être vé-
ritable et sincère : car Dieu est cs))ri! , dit
Jésus-Christ, et il faut que ceua qui l'ado-
rent, V adorent en esprit et eu refile : et sont
lu les adorateurs tjue le Père demande (Joan.
IV, 24).
C'est ce qui m'engage à vous parler de
l'hypocrisie, de te mauvais lendit tles phari-
siens qui corrompt toute la masse des actions
les plus saintes (I, Cpf., VI, 1). 11 est impor-
tant de ne s'y pas laisser tromper, el de ne
pas prendre l'ombre de la vertu pour la ver-
tu même. Aussi , est-ce pour cette raison que
le Fils de Dieu nous avertit de nous garder
des hypocrites [Luc., XII, l). Il faut donc
que je vous les tasse connaître aujourd'hui,
en peignant leur véritable caractère ; il laut
que je déclame contre eux avec toute la I r-
cc el toute la liberté que donne le ministère
érangélique; il faut démasquer leurs tau-
vertus ci confondre leur malignité cachée;
on n'a rien à ménager avec ces séducteurs
publics, cl autant qu ils s'étudient à se con-
trefaire aux yeux du monde , autant faut-il
prendre soin de manifester leur déguisement
et leur imposture. isus-ChrisI nous en a
donné l'exemple : < r contre quel viee allu-
ma-t-il davantage son zèle que I hy-
poci i
J'ai dessein d'arraclior le masque a selle
fausse justice des pharisiens, au vice infâme
de l'hypocrisie ; el pour vous en donner de
l'horreur, il me sulfil de vous le représen-
ter sous ses véritables couleurs. Je veux
donc vous faire voir, en premier lieu , que
l'hypocrite n'est pas ce qu'il par,, il en ce
monde ; en second lieu , qu'un jour il paraî-
tra ce qu'il aura éleen effet pendant sa vie.
Ce sont les deux parties de ce discours , qui
demande toute votre attention. Pour obtenir
les grâces dont nous avons besoin , adres-
BOns-OOUS à l'esprit de vérité et deman ions-
lui ses lumières par l'intercession de la sain-
te Vierge. Ave, Maria.
PRE1IIEB POINT.
Qu'est-ce que l'hypocrisie , Messieurs ?
C'est, disent les théologiens, une dissimula-
tion par laquelle on veut paraître vertueux
lorsqu'on ne l'est pas : Dissimulât io t/ua qui*
juslum se fingit. Qu'est-ce qu'un hypocrite?
C'est un homme qui s'étudie à représenter
un personnage différent de ce qu'il esl :
Aliéna personœ Simulator. De celte notion
il est aisé de voir que toute l'application d'un,
hypocrite est de cacher ce qu'il est en effet.
On peut distinguer deux genres d'hom-
mes dans lj:vpucrite : l'homme intérieur et
l'homme extérieur; ou peut distinguer deux
sortes <le poids : le poids dont il se sert de-
vant les hommes , et le poids dont il se seit
devant Dieu. Rien de mieux réglé que l'hom-
me extérieur dans l'hypocrite : tout y es(
jusle, loul y est mesure . lout y est compo-
sé; mais dans l'homme intérieur tout y esj
en désordre , tout y esl de rav< . tout esl
abominable devant Pieu ; il semble qu'aux
yeux des hommes on pèse '.ouïes choses au
poids du sanctuaire ; mais aux yeux de Dieu
on pèse lout avec un poids lout différent :
J'ontlas et oinins (I'rov.. XX, 10).
L'homme de bien n'a égard qu'aux juge-
ments de Pieu, et se met lort pou en peine de
l'estime des hommes : content d être ver-
tueux, il ne se soucie pas de le paraître , el
uniquement attentif aux idées de sagesse .
de probité cl de gloire que la religion lui
propose, il oublie presque s'il y : des s ec-
laleurs dans le monde, pour ne regarder qt
Dieu ,qui est en même temps le témoin , i
jugent la couronne de ses actions. L'hvpo-
crile au contraire, sans se soucier des juge
menti de Dieu , n'a égard qu'a ceux des
85
SERMON SUR
hommes dont il semble attendre toute sa re-
compense , et comptant pour rien d'être ver-
tueux , il lui suffit de repaître les yeux du
monde de l'étalage pompeux de fastueuses
vertus.
C'est sous cette peinture que saint Augus-
tin nous le représente: Simulât justum et
non exhibet (Serm.Dom. inmont.lib. II, c.3) ;
il couvre le crime sousdes couleurs emprun-
tées delà vertu; peului importe d'avoir de
la piété, pourvu qu'il en conserve les dehors
et les apparences.
Nous pouvons comparer ici cetle justice
de pharisien avec ces pièces fausses d'or et
d'argent auxquelles on donne cours contre
les droits sacrés du souverain ; elles sont frap-
pées au même coin que la bonne monnaie,
elles portent l'image et les armes du prince,
elles ont les mêmes inscriptions ; souvent,
comme si elles étaient de bon aloi, elles pas-
sent dans le commerce, parce qu'on y voit les
mêmes caractères : mais en veut-on sonder
la matière, on n'y trouve qu'un bas métal
qu'on a mis en couleur, ou tout au plus ce
n'est qu'une minée superficie d'or ou d'ar-
gent qui en couvre le défaut. Telles sont les
vertus des hypocrites: elles ont un dehors
spécieux, mais au fond elles n'ont ni solidité
ni mérite: Hubentes speciem quidem pieta-
tis, virlutem autem ejus abneganles (II,
Jim. M, 5).
Qu'est-ce que la vie d'un hypocrite, dit
saint Basile? C'est une véritable tragédie.
Dans une pièce de théâtre, on y voit des dé-
corations qui ne sont rien de ce qu'elles pa-
raissent ; là sont représentés des bois, des fo-
rêts, des prairies , des maisons magnifiques,
des palais enchantés; là paraissent dans un
enfoncement des fontaines, des fleuves, des
mers ; on y voit briller des éclairs, on entend
gronder des tonnerres : et tout cela ne se
passe qu'en fiction et en peinture, c'est une
machine qu'on fait jouer avec art. L'hypo-
crite, dit ce Père, est un acteur qui jan'e un
personnage étranger , tantôt d'un maître ,
quoiqu'il soit quelquefois un valet, tantôt
d'un prince, d'un roi , quoiqu'il soit homme
particulier, et peut-être de basse condition :
Hypocrita dicitur histrio qui in theatro per-
sonam mstinel nlienam : siepe heri cum sit
servit*, nul régis, cum sil privatus (llomil. 1,
de Jejun.).
Vous voyez représenter sur un théâtre
l'action d'un empereur plein de clémence,
qui pardonne à un ennemi perfide et à une
troupe, de conjures; vous y voyez un invin-
cible héros du christianisme qui immole et
son sang et sa vie pour la défense de la loi;
vous y voyez l'innocence, victime de la pu-
nie, prêle à succomber sous les traits con-
certes d'une injuste calomnie : et souvent
eelui <jui paraîtra sur la scène sera vindica-
tif al emporté; il n'aura ni piété ni religion ;
l'actrice qui représente sera peut-être livrée
à la débauche c-t à l'impureté.
Suivons le parallèle de saint Rasilc. L'ac-
teur prend tout l'extérieur, entre dans tous
les mouvements de la personne qu'il repré-
sente : vous le voyez touché de ses mêmes
L'HYPOCRISIE. 86
sentiments, paraître doux, colère, pleurer,
se réjouir, haïr, aimer, passionner tous les
endroits où celui dont il tient la place serait
lui-même animé, quoique souvent il ressente
des mouvements tout contraires. C'est ainsi,
continue saint Basile, que les hypocrites se
composent dans cette vie aux yeux des hom-
mes ; c'est ainsi qu'ils jouent leur personnage
comme sur un théâtre : Itidem in hac vita
plerique vitam suam relut e proscenio ad os~
tenlationem componunt, aliitd in corde geren-
tes. aliud in specie hominum oculis prœ se fe-
rentes (Ibid.).
L'hy;>ocrite paraît ce qu'il n'est pas, il fait
tous les jours des leçons de douceur, de pa-
tience, de modération, tandis qu'il est dur,
cruel, impitoyable ; il parle avec éloge de la
force chrétienne, de l'amour des ennemis, du
pardon des injures; il ne cesse de louer les
avantages d'une vie pure et réglée; à l'en-
tendre parler, l'ombre du vice lui fait peur :
tandis qu'il est déchiré, dans le fond de son
cœur, par des fureurs, des jalousies, des dé-
sirs de supplanter un rival; tandis qu'il est
inflexible, implacable dans sa h;>ine et dans
sa vengeance; tandis qu'il succombe lâche-
ment à la moindre tentation, qu'il est livré
à des passions d'ignominie et aux crimes les
plus énormes, quand il peut les dérober à la
connaissance des hommes.
Cette dame s'arrange et se compose : elle
publie partout la gloire et le mérite de la
sagesse et de la modestie chrétienne; elle no
saurait souffrir en public la moindre parole,
quelque enveloppée qu'elle puisse être, qui
semble blesser la pudeur : tout l'offense,
tout la scandalise, elle est alarmée sur tout
ce qui peut ternir sa réputation. C'est une
actrice qui joue son rôle : car examinez de
près sa conduite, et vous trouverez qu'elle
entretient sans scrupule des pratiques hon-
teuses, qu'elle compte pour rien les yeux de
Dieu qui sont les témoins de ses incontinen-
ces secrètes , pourvu qu'elle se croie à cou-
vert de la vue et delà censure des hommes,
et que des ténèbres prolondes couvrent les
horreurs de sa vie criminelle.
Ah 1 si Dieu nous éclairait d'un rayon de
sa lumière, pour nous faire voir le fond des
cœurs et ce qui se passe dans le secret aussi
bien que ce qui paraît dans le public, que les
hypocrites seraient différents de ce qu'ils
paraissent à nos yeux! Que verrions-nous ,
Messieurs? des personnes chastes sans po-
nté, des fidèles sans religion, des pénitents
sans contrition , des humbles sans abais-
sement, des dévots sans piété. Nous verrions
qu'un grand nombre de ceux qui paraissent
les plus religieux n'ont que l'ombre et l'é-
coroe de la vertu. Nous verrions que celte
femme hypocrite penche son cœur vers la
terre, tandis qu'elle lève les jeux au ciel;
qu'elle soupire pour le monde, tandis qu'elle
semble soupirer pour Dieu. Nous verrions
que celte foule de dévotes qui assiègent nos
tribunaux s'approchent pour la plupart de
la sacrée piscine, bien moins pour se purifier
devant Dieu, que pour paraître nettes et in-
. naeentei devant les hommes.
î>7
OP. MEURS SACRES. ItF.GMLT.
L'hypocrisie est comme le fard des vertus :
Virtutum fucus [Julian. Tolet. , Comment, in
Nah., Bibl. Pat. (<»,,. I . En effet, dit saint
(îrégoirc de Nazianze , comme une femme
possédée de l'amour du inonde, mais qui n'a
ni la beauté ni les agréments qu'elle croit
nécessaires pour plaire, a recours au fard, à
la peinture et à des couleurs étrangères : Sic-
nt cum native pulchritudine datituta est, ad
colores , pi</ment a et fucos confwjere solet
(Greg. Naz. , orat. funeb. patris) : de même
l'hypocrite, manquant d'une vraie cl solide
vertu, fait paraître le fard trompeur d'une
fausse piété; abusant ainsi de la foi trop cré-
dule de ceux qui prennent les apparences de
la vertu pour la vertu même : lia hypocrita ,
ces paroles sont trop belles pour ne les pas
rapporter ; cum solidœ perfectœque virtutis
curent, adumhrationem quamdam pietntis ex-
ternam simulât qua eorum oculos retinrt ,
qui adumbrntn virtutis simulatione capiuntur
{Ibid.).
iist-il rien , Messieurs , qui nous marque
plus sensiblement le caractère des hypocri-
tes que ce qui est rapporté au chapitre sep-
tième de saint Matthieu, où il nous les re-
présente sous l'idée d'un loup qui se couvre
de la peau d'une brebis ? Cn loup n'est pas
une brebis pour en avoir la toison ; il n'en a
ni l'innocence ni la douceur, il conserve tou-
jours sous celte peau empruntée la cruauté
et la férocité de sa nature. Cet hypocrite pa-
raît doux, humble, modeste, tranquille, mo-
déré, pieux, désintéressé; Test-il en effet?
Sondez le fond de son cœur, et vous le trou-
verez violent, orgueilleux, plein de lui-
même, dur, cruel, impitoyable, impie, sacri-
lège; c'est un loup ravissant, un avare li-
vré à sa cupidité, qui prend, qui retient in-
justement le bien d'aulrui : Jntrinsecus ail-
lent sunt lupi rnpaces (Matth., Vil, 15).
Par ces loups vêtus comme des brebis, en-
tendons encore ces hommes artificieux qui,
sous les dehors imposants d'une vertu plus
austère, montrant des images affectées «le
pénitence, s'insinuent adroitement dans les
maisons des grands, pour surprendre leur
estime, leur faveur et leur confiance: qui,
sous un air apparent de régularité, profitant
à propos de l'impression que fait un exté-
rieur religieux , sous prétexte de longues
prières, sous prétexte d'introduire des voies
extraordinaires d'oraison et de nouveaux
raffinements dans la piété, dévorent la subs-
tance des veuves (Mure, XII, Fi0), prennent
un ascendant superbe sur l'esprit de certai-
nes âmes qui leur paraissent plus suscepti-
bles de séduction : Inirimecus autem sunt
lupi rapaces. Homme', fourbes et dissimulés,
qui cherchent à dominer avec une douceur
impérieuse, qui, comme dit saint Paul, com-
mencent par l'esprit et finissent par ta chair
(Galnt.,111, :ï).
Kst-il encore d'expression plus vive que
«elle dont se sert Jésus-Christ au chapitre
vingt-troisième de saint Matthieu, pour mon-
trer que l'hypocrite cherche à couvrir les
plus horribles crimes sous de vaines appa-
rences de piété : Malheur à vous, pharisiens
hypocrites, qui êtes semblables à des sépul-
cres blanchis I Au dehors d'un mausolée,
tout y paraît superbe et magnifique : tro-
phées, titres pompeux, inscriptions en lel-
i ■ (!'<• , figures qui sont quelquefois des
chefs-d'œuvre de l'art, tout y arrête la cu-
riosité des passants. Mais laissez ces dehors
éclatants, touillez sous ces marbres, et qu'y
trouverez-vous? Un crâne échevelé, un corps
rongé des serpents et des vers; horreur,
pourriture , infection ; et vous serez con-
traint de \ou- écrier : Quoi donc, ces riches
monuments ne couvrent qu'une poignée de
cendres, des ossements décharnés, un misé-
rable cadavre ! Similes est** \t\ ulcrii 'lialha-
tis, qinr a foris parent bominibus speciosa, in-
tus autem plenn sunt osiibus mortuorum et
omni spurcitia [Matth., X.XIII, 87).
Tels sont les hypocrites : quand on n'en
voit que le dehors, on admire leur réiula-
rilé.leur sagesse; veut-on approfondir ce
qu'ils sont au dedans , on les trouve remplis
d'iniquités et d'abominations. SU et vos a
foris quidem paretis hominibw jatti, intus
autem pleni estis hypocri-i et iniquitute
(Ibid., 28).
On peut dire qu'aujourd'hui la dévotion
de bien des gens, à la faveur d'une hypocri-
sie bien conduite, n'est qu'une décoration
de tombeau , une cérémonie , une pure gri-
mace, souvent même, par un renversement
étrange, une occasion de commettre impuné-
ment les pèches les plus énormes : car com-
bien y en a-l-il qui portent leur hypocrisie
jusque sur nos autels! Combien y en a-t-il
qui, par une dissimulation sacrilège, font
servir nos sacrements â des fins abomina-
bles, en couvrant sous une piété feinte les
horreurs d'une vie honteuse et criminel! !
Combien qui s'approchent des sacrés mystè-
res pour étouffer les soupçons qu'on pour-
rait concevoir avec justice sur leur lausse
vertu!
Que fait une fille déréglée, dans le dessein
qu'elle a d'entretenir son libertinage, et de
.tromper les yeuv et la vigilance d'une ver-
tueuse mère qui est attentive sur sa con-
duite? Veut-elle sauver sa réputation contre
des bruits qui commencent à la diffamer?
Veut-elle donner un air d'innocence à des
pratiques ménagées avec art, qui cependant
portent des coups mortels à sa vertu, elle
prend un air sérieux et modeste, elle fait de
longues lectures, de fréquentes méditation-:
elle s'enrôle dans ces sociétés saintes où,
comme par profession et par état, on s'en-
gage dans les exercices d'une piété régu un- ;
elle redouble l'usage des sacrements, elle ne
cesse de louer la pureté et la sagesse dans
les filles chrétienne- ; et tout cela pour cou-
\rir d'un dehors séduisant un commerce se
ciel d'impureté. O Dieu I n'éles-tous pas SS>
s / outragé par les vices des hommes, sent-
il encore qu'ils VOUS offensent par leurs faus-
ses vertus 1
Absalon veut-il f.iire massacrer son frère
Ammon, il lui prépaie un festin magni-
fique Il Rcq., XIII, '2T>. Un homme animé
par l'envie ou par la haine \eul-i! persécu-
S!)
SERMON StR L'HVPOCRISIE.
!«)
1er le juste, opprimer l'innocent, pousser
une vengeance à l'excès, détruire un enne-
mi, ruiner sa réputation par des calomnies
secrètes qu'enfantent la rage et la fureur, il
faut que quelques louanges données adroi-
tement en certaines occasions, que quelques
démonstrations flatteuses d'une douceur et
d'une amitié apparente, quelquefois même
des pratiques d'une dévotion feinte, couvrent
ses détestables desseins.
Que fait un hypocrite pour commettre im-
punément les plus horribles impuretés, des
injustices atroces, des usures, des concus-
sions, des sacrilèges; que fait-il pour parve-
nir à des charges, à des postes dont il est in-
digne? Le plus sûr moyen pour lui sera de
contrefaire l'homme de bien, et de se couvrir
adroitement des voiles de la piété et de la re-
ligion. Avec un extérieur composé, un lan-
gage mesuré, des manières arrangées, des
habits simples et d'une forme singulière, les
yeux baissés, une grave modestie, un pro-
fond recueillement, un maintien étudié, une
démarche compassée, un air humble et mor-
tifié, des ecclésiastiques que Dieu rejette de
son sacerdoce, ne les voit-on pas tous les
jours parvenir par de semblables artifices
aux ordres et aux dignités de l'Eglise?
Tout se passe en idée et en figure dans
l'hypocrite : In imagine perlransit homo
(J>A-a/.XXXVllI,7). Il abandonne l'esprit de la
vertu pour en embrasser l'ombre et l'ima-
ge ; il n'aime la vertu qu'autant qu'il croit
qu'elle peut servir aux vues de son intérêt et
de son ambition ; pourvu qu'il sauve quel-
ques crimes d'éclat sur lesquels on a plus
d'attention, qu'il observe certaines traditions
humaines; que sais-je ? certaines pratiques
frivoles d'une nouvelle spiritualité, d'une
dévotion bizarre, de goût, de choix et de ca-
price, qu'il met à la place des commande-
ments de Dieu, il s'endort dans une profonde
sécurité sur son salut, néglige les actes les
plus importants de la religion ; délicat sur
les plus légères fautes, et secret inlracteur
des plus importantes lois, il se dispense de
la pénitence et de l'amour de Dieu; fidèle à
payer la dîme de la menthe et de Vaneth, il
abandonne ce qu'il y a de plus essentiel, la
justice, la foi, la miséricorde (Matlh. XXIII,
23).
Continuons la peinture que nous faisons
sur l'idée que nous donne Jésus-Christ de
l'hypocrite : Scrupuleux, jusi/u'à craindre
d'avaler un moucheron, il avale un chameau
tout entier [Ibid., 2k) ; occupé sans cesse à
nettoyer le, dehors de la coupe cl du plat, il
souffre que te dedans demeure plein d'immon-
dices, de rapine et d'impureté (Ibid., 25) ;
('appuyant sur une fausse justice, au milieu
de ses plus grands crimes, il est content de
lui-même, agit comme s'il était sûr de Dieu;
et, comme le pharisien de l'Evangile (Luc,
XVIII, 11), dans une parfaite confiance rend
grâces à Dieu de ses superbes vertus, se
donne de secrètes attestations d'une vaine
innocence ; tandis que Dieu le réprouve et
lance contre lui les plus horribles anathè-
mes.
Ange de ténèbres, il se transforme en ange
de lumière ; à la faveur de quelques aumô-
nes publiées au son de la trompette, i! vole
impunément le public ; il revêt quelques mi-
sérables; pour dépouiller cruellement la veu-
ve et Porphelin ; habile à profiler des con-
jonctures qui peuvent favoriser ses projets,
av;-c quelle adresse se sert-il des vertus pour
cacher ses vices? A ne voir que ce qu'il
montre au dehors, à l'entendre parler de lui-
même, comme l'orgueilleux pharisien, il
s'applaudit de n'avoir aucun vice, et il les
a tous, puisque, suivant la parole de Jésus-
Christ, il est plein de toute sorte de corrup-
tion et de pourriture. Il semble avoir toutes
les vertus, et il n'en a aucune, puisque l'hy-
pocrisie est un ver qui ronge, un mauvais
levain qui corrompt tout le bien que d'ail-
leurs il serait capable de faire; criminel de-
vant Dieu, dont il a méprisé la vérité et la
justice, il se montre innocent devant les
hommes, dont il a su par sa dissimulation
ménager l'approbation et l'estime.
Avec quelle indignation un hypocrite ne
se déch.iine-t-il pas contre ce qu'il appellera
morale indulgente et relâchée ? Selon sa
théologie, il n'est p tint de principes et de
maximes assez rigides : à quel excès ne
porte-t-il pas la sévérité de la loi ? Les con-
seils, selon ses maximes, sont des préceptes ;
ce qui ne sera que de bienséance passera
chez lui pour une obligation indispensable.
Mais allez jusqu'à son cœur, examinez de
près l'intérieur de sa conduite, et vous trou-
verez que la morale qu'il suit est toujours
celle qui s'accommode avec son caprice,
avec ses passions, avec les aises et les dou-
ceurs de la vie ; vous trouverez que sa reli-
gion, que son évangile, sont toujours son in-
térêt, sa politique, sa fortune. Selon son dis-
cours, tout est vanité sans la vertu, et il
n'affecte de pratiquer la vertu que pour la
vanité.
Censeur rigide, critique impitoyable des
moindres défauts d'aulrui, il a une molle
indulgence pour lui-même dans les péchés
les pius énormes et les plus < dieux ; il fait
aux autres un crime de ce qu'il fait lui-même
sans scrupule tous les jours; toujours atten-
tif à observer la conduite des autres, il né-
glige la correction de ses propres défauts :
Soigneux de remarquer une paille légère dans
l'œil de son frère, sans s'apercevoir dune pou-
tre qui est dans le sien (Luc, VI, kl), il cher-
che sa justification dans la condamnation
des autres : médecin dont parle Jésus-Christ,
qui s'applique à la guérison de ses malades,
et qui abandonne la cure de ses plaies les
plus profondes.
Mais comment est-ce que l'hypocrite parait
ce qu'il n'est pas ? Le voici. Dans l'ordre ré-
glé par la Providence, nos actions et nos pa-
roles, dit saint Thomas, les actes intérieurs
et extérieurs dos vertus ont une relation na-
turelle à la fin qui leur est particulière,
comme le signe à la chose qu'il signifie : la
nature, qui est simple et ennemie du dégui-
sement, a voulu établir cette conformité et
ces rapports, afin que les hommes, qui ne
'Il
ORATEURS SACRF.S. RF.CAll/l
f«
peuvent pénétrer dans le fond des c<eurs,
fussent conduits paf ces signes extérieurs à
la connaissance des intentions et des molifs
qu'on doit se proposer <n pratiquant la
vertu. Que fait l'hyocrite! Il renverse cet
ordre : car, détournant les prières, les jeûnes,
les aumônes, les ailes delà piété, de la reli-
gion et des autres vertus, à l'orgueil, au
faste, à l'ostentation, à sa propre gloire, au
lieu de les rapporter à leur (in naturelle, à
la gloire de Dieu, à sa propre sanctification,
à l'édification du prochain, il est évident
qu'il parait à nos yeux tout différent de ce
qu'il est en effet, lit de là qu'arrive-t-il? Que
par sa dissimulation il attaque directement
li simplicité et la vérité de Dieu, qu'il ment
au Saint-Esprit, et qu'au lieu d'avoir le mé-
rite des vertus qu'on lui voit pratiquer à
l'extérieur, il n'en a que l'ombre et une
vaine apparence, qui le chargent d'un nou-
veau péché de fourberie et d'imposture.
Hypocrite, voici encore les suites de les
frauduleux déguisements : tu fais blasphé-
mer Israël, lu décrédites la vertu, lu fais que
ces fades railleries, que ces satires mali-
gnes, qui ne devraient s'appliquer qu'à la
fausse dévotion, tombent également sur la
véritable ; lu fais qu'on impute à la piété des
crimes qu'elle condamne, à la religion des
abus qu'elle déteste et qu'elle punit sévère-
ment ; lu fais croire qu'il n'y a presque plus
dans le christianisme de véritable sainteté,
el que ce n'est plus qu'un ordre, un arran-
gement purement extérieur de politique, une
ressemblance flalieuse de vertu qui nous sé-
duit et nous impose.
Uxor Jéroboam : Femme de Jéroboam ,
âme hypocrite et dissimulée, qui t'étudies
avec tant de soin à te déguiser, pourquoi
feins-tu d'êlre une autre que lu n'es pas?
Quare aliam te esse simulas? Je te fais une
prédiction lerrible : Missus sum ad te durus
vuntius (111 lieg., XIV, G). Je t'annonce ici
qu'au jour de la manifestation universelle,
lu paraîtras à ta houle ce que lu auras été
pendant ta vie. C'est ce que nous allons voir
dans le second point.
SECOND POINT.
Il n'est rien au monde de plus difficile à
sonder que le cœur de l'homme. On tonnait
le mouvement et les influences des astres,
l'origine des venls, le llux et le rcllux de la
mer; on pénètre les secrets les plus cachés
de la nature : le cœur de l'homme, sa fin, ses
intentions, ses desseins, sont inaccessibles à
noire esprit. Le cœur de l'homme, dil Jéré-
mie, est mauvais, il est impénétrable : qui
trouva jamais des voies sûres et infaillibles
pour conduire dans le centre de ce cœur,
pour pénétrer ses sombres obscurités, ses
détours, ses artifices, ses déguisements : Pro-
mm est cor omnium et inscrutabile, qui s co-
(pKiscet illud (Jerem., XVII, !>) ? Le cceur de
l'homme est le plus grand mystère de la na-
ture, on n'y trouve rien de certain que son
inconstance et sa duplicité ; il donne mille
signes équivoque^ ; quelque vivacité qu'on
dit à sonder ses mouvement?, 41 en cache en-
core plus qu'on n'en -.Mirait dé» mvrir. et
le*, conjectures que nous en liron> se trou-
vent presque toujours fautives.
Trois choses, dit le Sage, me paraisi
difficiles à comprendre . et la quatrième
m'est entièrement inconnue : la trace de
l'aigle qui d'un vol rapide s'éh \ les
airs, la Iracedu serpent qui par des mouve-'
ments tortueux rampe sur la terre, la ire
d'un navire qui (end les eaux au mi lien de la
mer, et la voie de l'homme dans sa jeun.
(l'rov., \XX, 18) : disons encore le cœur de
l'homme, en quelqu • âge < t en quelque état
qu'il se tr uve. Siège de toutes les passions, il
est emporté rapidement à divers si ntimeati
contraires, il donne si souvent le rhan.
qu'on désespère de pénétrer ses vérila! !
penchants. L'amour-propre lui fait prendre
mille forme^ si différentes, qu'il se dérobe à
nos yeux dans le temps même que, l'ayant
étudié de plus près, nous croyons être par-
venus à le connaître; plus on s'applique à
sonder sa profondeur par les différentes sail-
lies qui lui échappent, moins on atteint à
ses véritables motifs. Tel croit l'avoir défini,
qu'une bizarre manie qui l'agite, qui l'em-
porte, qui lui fait vouloir successivement, et
quelquefois presque en même temps des cho-
ses contradictoires, force d'avouer qu'il s'est
trompé dans la rentable notion qu'il croyait
s'en être formée. Le cœur de l'homme est
un gouffre sans fond ; c'est un labyrinthe, on
se perd dans ses différents détours. Le Sage
le compare à un abîme, parce qu'il est obs-
cur et profond comme un ai ime : Abyssum
et cor Itominis (Eccli., XL1I, 18).
Outre que Dieu, pour une plus grande per-
fection de l'homme, a voulu qu'il fût lui seul
le maîlre de ses pensées et des mouvements
de son cœur, l'homme sait si bien se dégui-
ser par une profonde dissimulation, qu'il est
impossible de percer les nuages qui l'envi-
ronnent : Qui des hommes, dil l'Apôtre, con-
nait ce qui est en lui, sinon son propre esprit
(1 Cor., 11, IL? Les anges mêmes, tout éclai-
rés qu'ils sont, n'y connaissent rien, si
l'homme n'y consent par la direction de ses
pensées, ou si Dieu ne le leur fail connaître
par des voies extraordinaires. L'homme, dit
Dieu à Samuel, voit bien ce qui parait nu d'-
hors, mais le Seigneur voit le fond du coeur
(IJteo.,XVI, U).
Nous pouvons dire que, comme dans les
objets qui se présentent à nos yeux, nous
n'en vovons que les accident'- et la superfi-
cie, sans aller jusqu'à la substance, de
même nous voyons bien l'extérieur des ac-
tions humaines , mais nous n'en pouvons
découvrir ni le principe ni la fin : c'est un
secret qu'il nous est impossible d'appro-
fondir.
L'homme hypocrite, abusant du domaine
que Dieu lui donne sur tout son intérieur ,
se fait une élude et un art de se cacher et de
fiaraltre sous des voiles empruntés, tout dif-
érent de ce qu'il est en effet. Mais à ce jour
terrible de la révélation . nous verrons tout
à découvert. \ ous saurez bien, ô mon Dieu 1
nous faire connaître la différence de la véri-
m
SERMON SUR L'HYPOCRISIE.
91
table vertu des gens de bien, d'avec celte jus-
lice masquée des hypocrites. Dieu, qui lit
dans les coeurs, qui éclaire les plus sombres
replis des consciences, nous communiquera
sa lumière pour découvrir ce qu'un voile
impénétrable dérobait à nos yeux. De même
qu'au travers des rayons du soleil on aper-
çoit jusqu'aux plus petits atomes, ainsi nous
connaîtrons par une lumière claire et dis-
tincte toutes les dissimulations et les fourbe-
ries de l'homme hypocrite : In fine hominis
denudatio operum illius [Eccli., II, 29).
fin cet endroit se présente à mon esprit
celle vision miraculeuse qu'eut Ezéchiel ,
lorsqu'il fut conduit dans.lérusalem.11 décou-
vrit sur le frontispice, et c'est ici l'image de
ces hommes pervers qui n'ont que la res-
semblance de la piété et de la vertu, il vit à
l'entrée l'idole et l'apparence du zèle : ldo-
lum zeli in ipso introitu (Ezech., VIII, 5).
Mais remarquez ce que l'ange dit à ce pro-
phète : Fode parielem, el vide obominaliones
pessimas (/uns isti faciunt [Ibid., 8,9):
Prophète , perce la muraille , entre jusque
dans le sanctuaire, entre dans les coins les
plus secrets, tu verras des abominations ef-
froyables. Dieu nous fera percer la muraille
qui nous cachait dans cette vie la connais-
sance de ces mystères d'iniquité.
C'est pour lors que nous verrons claire-
ment dans la conscience de ces hypocrites
mille crimes qu'ils commettaient impuné-
ment, lorsqu'ils élaient à couvert des yeux
et de la censure des hommes ; alors nous
verrons un nombre infini d'actions honteu-
ses qui n'étaient connues que de Dieu et des
complices de leurs désordres; alors nous
verrons que , sous un extérieur réformé et
modeste, ils cachaient des pratiques infâmes;
alors nous verrons que, dans les églises mê-
mes, où ils devaient adorer Dieu dans la
simplicité et dans la purelé de leur cœur,
ils se rendaient, coupables des plus énormes
sacrilèges par la profanation de nos sacrés
mystères : Fode parictem... inqrederc, et vide
abominationes pessimas quas isli faciunt.
Le voile falai qui couvrait tant d'horreurs
sera levé. Le même saint Paul qui m'ap-
firend qu'il nous faudra tous paraître devant
c tribunal de Dieu, au jour terrible du juge-
ment (Il Cor. , V, 10] , nous assure que
Dieu produira dans la lumière ce qui aura été
caché dans les ténèbres, et qu'il découvrira les
plus secrètes prnsées des cœurs (I Cor., IV, 5).
Je ne prétends pas, Messieurs, parler ici
dans toulc son étendue de celle manifesta-
tion générale qui se fera des crimes de tous
les pécheurs au jour des vengeances du Sei-
gneur. Renfermons-nous dans In suiel que
nous traitons, et tie disons rien, s'il est pos-
sible, qui ne lui soit particulier.
Nous lisons dans saint Luc que .lésus-
Christ ayanl dil à ses apôtres : Donnez-vous
de garde du levain des pharisiens, qui es! l'hy-
pocrisie (Luc, XII, 1, 2), ajoute aussitôt : //
ny a rien de caché qui ne doive être découvert,
ni de secret qui ne doive être connu (Ibiil.).
Comme si le Sauveur voulait dire : Il est
juste que l'hypocrite, qui s'est toujours étu-
dié à se cacher aux yeux des hommes, dont
il a si fort à redouter la censure , paraisse
au jour terrible du jugement tel qu'il aura
été pendant sa vie, et qu'il soit couvert à
la face de l'univers de toute l'infamie que
méritaient ses crimes.
Là s'ouvriront et se déploieront ces cœurs
doubles, ces consciences enveloppées , qui
réduisaient tout à des apparences ; le voile
de la vertu ne servira plus à cacher les hor-
reurs du vice , pour le faire honorer des
hommes ; ce fourbe, cet imposteur qui cou-
vrait avec adresse les plus horribles abomi-
nations des spécieux dehors de probité , de
modération , de droiture ; qui emprunta les
couleurs de la dévotion , pour être impuné-
ment injuste, impur, sacrilège ; qui, par des
airs imposants, trompa la confiance Irop
crédule des gens de bien : Dieu le fera con-
naître dnis son état naturel, Dieu révélera
toute sa honte et toute sa turpitude : Rêve-
labitur ignominia tua, dit Isaïe , videbitur
opprobrium tuum (Psal. XLV1I, 3).
On verra tout le détail de ces intrigues
dont la marche était cachée avec tant d'arti-
fice ; les vues, les projets, les principes, les
motifs, les desseins de tant d'actions incon-
nues au monde, seront développés et mani-
festés au grand jour : Manifestabit consilia
cordittm (1 Cor., IV, 5). On débrouillera ce
chaos de crimes et de circonstances aussi
houleuses quelquefois que les crimes mê-
mes.
O vous qui cherchez Dieu dans la simpli-
cité de votre cœur, vous voyez avec indigna-
tion la véritable vertu méprisée, tandis que
le vice couvert de spécieuscsapparenccsest en
honneur dans le monde, ct|vous en gémissez,
peut-être même en faites-vous quelquefois
au Seigneur de justes plaintes avec Jéréniio
(Jerein., XII, 1). Mais attendez : le jour de la
manifestation viendra , le temps de feindre
passera , la blancheur superficielle dont la
muraille était enduite s'effacera; ces visages
plâtrés, qui liraient tout leur éclat d'un fard
trompeur, paraîtront avec toutes leurs rides
et toute leur difformité ; les dehors brillants
de ces magnifiques sépulcres disparaîtront,
et l'on verra toute l'horreur des corps morls
qu'ils couvraient ; la Vérité éternelle por-
tera le flambeau dans les plis et les replis
du co;ur de l'hypocrite : alors paraîtra toute
la noirceur de ses fourberies et de ses im-
postures.
On verra cos calomnies inventées avec arl,
débitées avec des circonstances spécieuses;
ces perfidies mêlées de démonstrations d'a-
mi lié. ces trahisons secrèles sous l'ombre
d'honnêteté et de politesse ; un orgueil raf-
finé el presque imperceptible sous les cou-
leurs de l'humilité, ces cruelles injustices que
l'avarice, la faveur, une intrigue cachée , la
(o iplaisance pour une créature qui avait
su plaire, ont fait commelire ou autoriser; ce
fonds de cupidité qui rendait l'esprit de cet
homme d'affaires si fertile en expédients pour
faire une fortune rapide et opulente, pour
enlever le bien d'autrui, en se couvrant d'une
vainc ressemblance de dévotion ; cet achar-
1)5
OnATFlRS SACRFS. HEGAUI.T.
ncmcnl opiniâtre à troubler par des procès
éternels l'ordre ol la paix sous prétexte de
les vouloir établir. Cette femme qui, sous
l'ombre d'une feinte pudeur, lui applaudie
sur sa vertu, tandis que dans le particulier
elle se livrait à sa passion sans aucun me- -
nagement, paraîtra couverte des plus hon-
teuses impuretés.
Non-seulement les crimes les plus secrets
seront révélés à la honte de l'hypocrite, mais
encore les vertus apparentes dont il prenait
soin de se parer, ces aumônes données par
vanité, ces prières, ces jeûnes, ces austérités,
toutes ces œuvres de dévotion et de charité
faites par ostentation, un rayon de la divine
lumière manifestera jusqu'aux traits les plus
imperceptibles de toutes ces fausses justices.
11 est juste, Seigneur, quela scène finisse, que
le masque tombe, et que le personnage pa-
raisse dans son naturel. Hypocrites, malheu-
reuses victimes de l'estime du monde et de
votre orgueil, par d'adroites fictions vous
sûtes nous en imposer dans l'impuissance où
nous étions de sonder le fond de vos cœurs ;
mais au jour fatal de la révélation, tout nous
sera découvert. Hé ! quel sera votre déses-
poir, lorsque votre dissimulation sera oppo-
sée à la vérité éternelle d'un Dieu qui con-
fondra vos subtilités artificieuses et vos im-
postures !
Je sais qu'il sera terrihle à tous les pé-
cheurs réprouvés de voir leurs crimes révé-
lés à la (ace de tout l'univers ; mais ce sera
un supplice particulier pour l'hypocrite de
paraître aux yeux de toutes les nations
assemblées un fourbe, un séducteur, lui qui
avait pris tant de soin de cacher ses abomi-
nations et de produire de fausses vertus.
Figurons-nous ici, Messieurs, qu'une lu-
mière céleste rend les cœurs de tous les hypo-
crites, qui peuvent être dans cet auditoire,
clairs et transparents comme ce cristal étin-
celant, mais terrible, que vit le prophète
Ezéchiel (Ezech., I, 2) ; et que dans le mo-
ment que je parle, nous y découvrons tout
ce qu'il a de plus caché et de plus mysté-
rieux. Supposons qu'à la faveur de. celle
brillante clarté nous y voyons toutes les
fourberies, les trahisons, les noirs desseins,
les injustices, les passions d'ignominie, les
impuretés, les impiétés, les sacrilèges que
couvrent les cœurs doubles de ces hommes
qui passent dans le monde pour gens de bien
et de vertu : quels seraient leur honte et leur
accablement I Telle et infiniment plus grande
sera la confusion des hypocrites , quand ils
se verront ainsi a découvert aux yeux de
loute la terre, eux à qui une superbe délica-
tesse faisait trouver mille détours raffinés
pour se mettre à couvert de tout blâme et de
toute censure. Quel désespoir, quelle rage,
quelle fureur 1
Rien n'est plus lerrible que l'idée d'une
confusion éclatante; souvent la mort a eu
quelque chose de moins affreux. Quelle
peine n'a-t-on pas à découvrir ses misères
et ses faiblesses , même à un seul ministre
de l'Eglise, quoique les lois les plus sacrées
répondent d'un secret inviolable ! Pour évi-
ter une légère honle, n'en vient-on fias ju-
qu'à commettre dei sacrilèges 'normes, et à
s'exposer | une damnation éternelle? On
croit quelquefois pouvoir par la force de son
esprit se mettre au-dessus de la censure et
des jugements des hommes : mais apprend-
on qu'on décrie notre conduite, qu'on dé-
chire notre réputation par de noires calom-
nies, dans quel trouble, dans quelle agitation
sommes-nous ! qui lie est notre douleur, dans
la crainte d'une confusion qui peut tomber
sur nous !
Faux dévols, juges iniques, époux, épou-
ses infidèles, amis perfides, vous qu'on n'au-
rait jamais «rus capables d'une action qui eût
pu vous faire rougir, vous qui ménagez avec
des attentions infinies votre réputation et vo-
tre honneur devant Ips hommes , pourrez-
vous soutenir l'infamie et les insultes qui
suivront la révélation de vos turpitudes?
Confusion désespérante pour un homme qui
sacrifia tout pour l'estime et pour la gloire
du monde , de se voir traité comme un sujet
d'abomination et d'anatbème, de se \oir dés-
honoré, moqué, abhorré, chargé aux yeux
d'un monde entier des crimes les plus noirs
et les plus honteux !
Ayons horreur du vice de l'hypocrisie ,
mes frères; craignons cette confusion éter-
nelle dont Dieu menace les hypocrites. Pre-
nez bien (jarde , dit le Sage, d'être hypocrit .«
devant les hommes (Ercli. , I, 37). Vous qui
êtes si délicats sur votre honneur . craignez
d'attirer sur vous une honte qui ne s'effacera
jamais : Ne adducas anima tuer inhonomtio-
nem (Ibid.). Tremblons à ces paroles du pro-
phète Sophonie : A'oici ce que je ferai, dit le
Seigneur, au jour terrible de mes vengeances :
Et erit in die liostiœ Domini, vititaba super
omnesgui induti ?unt veste peregrina [Sopk.,
1., 8) : Je visiterai dans ma colère tous ceux
qui sont habillés «le vêtements étrangers,
qui, sous l'extérieur imposant de piéie et de
sagesse, cachent une vie criminelle et abo-
minable; je les punirai d'éternels supplices.
Evitons ce vice infâme de l'hypocrisie avec
d'autant plus d'attention que. suivant saint
Jérôme, il est plus commun dans le monde :
Hypocriseos maculatn haltère »» n posse tint
paucorum est. eut nullorum (Li'>. II eont.
Pelag.). L'hypocrisie règne dans la cour des
princes, elle règne dins le clergé, dans les
cloîtres, dans dus les âure<. d n- lOUS les
sexes: c'est une contagion répandue presque
dans toutes les conditions. Qu'il y s encore
de pharisiens dans le momie, qu'il y a peu
de vertus s dides et véritables !
Aspirons, mes frères, à la plus pure vertu ;
opposons à cette dévotion fe nie dont on se
pare une piété sincère, simple, constante,
uniforme: loin de produire une vaine montre
de fausses \e;ius. étudions-nous à cacher,
autant qu'il est possible, même les vérita-
bles. N'imitons pas l'art qui ne s'occupe
qu'à former les parties extérieures, sans se
mettre en peine de celles du dedans qu'on ne
voit pas: imitons plutôt la nature, qui met
son premier soin à perfectionner les parties
97
SERMON POUR UN SYNODE.
f>8
intérieures, et qui travaille ensuite à celles
du dehors. l
Offrons à Dieu des sacrifices intérieurs,
tels que lui offrait le roi-prophè!e : Holo-
causUimedvllata offeram tibi (Psal. LXV, 15).
Ce sont les victimes qu'il demande. 11 vou-
lait dans l'ancienne loi qu'on ôtât la peau
de la victime : Detraclaque pelle hostiœ (Le-
vit., 1,6), pour nous donnera connaître qu'il
s'arrête principalement à l'intérieur de nos
actions. Profitons de l'avis important que
nous donne l'Apôtre en ces ternies figurés:
Epulcmur non in fcrmenlo veteri, neque in
fermenta malitice et nequitiœ (I Cor. , V , 8).
Approciions-nous des autels et de nos re-
doutables mystères, faisons toutes nosœuvres
de piété et de charité, non ;:vec ie vieux le-
vain des pharisiens , qui est l'hypocrisie,
esprit de mensonge, de fourberie, de dissi-
mulation et de malice, mais avec les pains
sans levain de la sincérité et de la vérité :
Sedin azymis sincerilalis et verilatis (Ibid.).
Chrétiens , que vous servira-1-il d'être
applaudis de ceux qui ne voient que ta .sur-
face de vos actions, si vous êtes réprouvés
par celui qui pénètre le fond de vos cœurs ?
Humbles sans déguisement , mortifiés sans
chagrin, charitables sans ostentation, dé-
vots sans dissimulation, en un mot vertueux
sans chercher même la gloire qui suit la
vertu, soyons ennemis de l'éclat ; ne cher-
chons que les yeux de Dieu pour témoins des
actions qui ne doivent avoir que Dieu pour
objet et pour récompense ; soyons chrétiens
de bonne foi ; fuyons le respect humain, qui
ne peut faire que des libertins ou des hypo-
crites ; soyons pendant notre vie tels que
nous serons bien aises de paraître aux yeux
de tout le monde au grand jour du jugement ;
servons Dieu dans la simplicité et la sincérité
de notre cœur : In simplicitate cordis et sin-
cerilate Dei (i Cor., 1, 12). C'est le moyen
de rendre notre justice abondauic et par-
faite, pour entrer dans le royaume des deux,
où nous conduisent le Père, le Fils et le
Saint-Esprit. Ainsi soit— il.
SERMON
POUR UN SYNODE.
Prêché dans l'église cathédrale de Nîmes,
«u synode général, en présence de M. Vévê-
que de Nîmes , le 13 avril 1701
Allendite vobis et universo gregi.
Soyez attentifs sur tous et sur tout le troupeau (Act.,
XX, 28).
Monseigneur,
Ainsi parlait saint Paul aux prêtres d'E-
phèse, qu'il avait assemblés pour les animer
par une exhortation vive et touchante à
remplir fidèlement lous les devoirs de leur
| ministère. Assemblés que vous êtes, Mes-
sieurs, pour vous instruire de vos devoirs,
souffrez que j'emploie aujourd'hui ces mê-
mes paroles, pour vous exhorter à vous
acquitter de la manière la plus parfaite de
( es deux parties de la perfection ecclésiasti-
que, qui regardent et les pasteurs et le trou-
peau de Jésus-Christ. Allendite vobis et uni-
verso y régi.
C'est dans ces deux mots que, recueillant
en abrégé les obligations des prêtres qui
sont destinés à la conduite des âmes , je me
renferme à vous dire qu ils doivent travail-
ler à leur propre sanctification et au salut
de leur prochain. En effet, Messieurs, com-
ment pourrait-on prétendreétablirleroyaume
de Dieu dans les autres, si on ne l'avait au
dedans de soi-même par la pratique des
vertus ? Et comment pourrait-on se contenter
de s'appliquer au soin de sa propre per-
fection, si, destiné par un choix particulier
de la Providence à travailler au saiut des
âmes, on ne s'étudiait pas à montrer le che-
min du ciel à ceux qu'on est obligé d'y con-
duire ?
Je viens donc ici, mes frères, vous repré-
senter vos devoirs envers vous-mêmes et en-
vers le prochain ; je viens vous montrer,
sans étude et sans art , qu'un prêtre, qu'un
pasteur évangélique, pour remplir les obli-
gations essentielles de son ministère, doit
être continuellement attentif sur lui-même,
pour mener une vie sainte et irréprochable ;
Âttendile vobis ; et ce sera mon premier
point ; qu'il doit être continuellement atten-
tif sur les peuples commis à ses soins , pour
exercer envers eux son zèle et sa charité, en
ce qui regarde leur sanctification et leur sa-
lut : Et universo yregi ; et ce sera mon se-
cond point.
Ne craignez pas, Messieurs, que, sous
prétexte de la liberté que donne en celle
occasion le ministère que j'exerce aujour-
d'hui, sévère par un faux zèle ou par une
vaine ostentation , je vienne offenser de
saints prêtres, dont je révère la dignité et
dont je connais la verlu. Je ne cherche ici
qu'à m'instruire ou à me confondre moi-
même par ces grandes vérités que je dois an-
noncer. Je vous demande seulement avec
saint Paul que vous me supportiez charita-
blement : Scd et sapporlate me (11 Cor.,
XI, 1). Esprit divin qui présidez à cette
assemblée ecclésiastique, mettez à ma bou-
che ces paroles vives et efficaces qui portent
la lumière dans l'esprit et le feu sacré dans
le cœur; nous vous demandons celte grâce
par l'intercession de Marie, à laquelle nous
allons dire avec l'ange : Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Quoique la sainteté de Dieu cl la grâce du
christianisme imposent à tous les chrétiens
une obligation indispensable d'être saints
(Levit.,Xl, H; Rom.,\, 7), il faut pourtant
avouer que ce devoir esl plus particulier
aux prêtres de Jésus-Chrisî. Qu'est-ce qu'un
prêtre , mes frères ? Allons en prendre
l'idée jusque dans la personne de Jésus-
Chrisl même, le souverain Prêtre et Pon-
tife : car ne devons-nous pas être saints,
parce que Dieu est saint, et, si j'ose le dire,
comme Dieu lui-même esl saint? Ecoulons
le grand Apôtre dans son Epîlrc aux Hé-
breux, où il explique d'un style si sublime
la grandeur et la sainteté du sacerdoce et du
sacrifice de la loi de grâce : 'Palis decebat ut
nobis csscl ponlifcôc sanclus, i)inucens. impol*
09
ORATEI Rfl SACRBfi BEGAOL1
{Jlebr..
1"0
lului, segregatut a peccalotibus.
Vil, 26 .
Sur res Lraitl si nobles cl si vifs, un prêtre
est un homme saint, innocent, pur, sans au-
cune tache, séparé des pécheurs ; qui, par
la sublimité de ses vcrlus, autant que par
l'éininence de son caractère, est au-dessus de
la terre et des cicu\ : E jcehior cœlis foetus.
(l'est un homme dont la vie est si pure
qu'il devrait, pour ainsi dire, n'avoir pas be-
soin d'offrir à Dieu des victimes pour ses
propres péchés, comme son mi nia 1ère l'obli-
ge d'en offrir tous les jours pour ceux du
peuple.
Pour montrer l'obligation qu'ont tous les
prêtres d'être saints, je pourrais fonder la
sainteté du sacerdoce sur la grandeur de son
origine. Je pourrais vous dire, Messieurs,
que Dieu, après avoir choisi entre toutes les
nations de la terre les descendants d'Abra-
ham pour en faire un peuple bien-aimé :
après avoir composé tout le corps de ce peu-
ple de douze tribus, choisit celle de Lévi,
comme la plus sainte, pour en tirer les mi-
nistres de son tabernacle ; qu'il fit encore
dans cette même tribu un autre choix pour
la prêtrise et pour le pontifical, en la per-
sonne d'Aaron, se réservant à lui seul le
choix du sacrificateur qui devait lui offrir
les victimes, el menaçant de mort lous ceux
qui, sans ordre el sans une onction particu-
lière, oseraient porter la main à l'arche ou
à l'encensoir.
Je pourrais dire qu'après le retour de la
captivité de Dabylone, dans le temps même
où le pontificat fut regardé comme un
moyen de satisfaire une vaine ambition et
une sordide avarice. ; dans ces temps de de-
sordre où des sacrilèges le briguèrent par
intérêt el l'usurpèrent par violence, jamais
on ne vit dans le sacerdoce que ceux de la
tribu que le Seigneur avait choisie pour
l'exercer. Je pourrais vous dire encore que,
les ombres ayant fait place à la vérité, Jé-
sus-Christ, souverain l'rêtre selon l'ordre de
Melchisédech, établit uu sacerdoce nouveau,
fondé, suivant la doctrine de saint Paul, dans
son Epîlre aux Hébreux, non pas sur une
vaine généalogie el sur une succession char-
nelle, comme celui de la loi, mais sur la
naissance éternelle et sur la vie glorieuse
de Jésus-Christ même ressuscité : sacerdoce
éternel, établi sur un serment qui en assure
l'immortalité : Juravit Dominus.... Tu es sa-
cerdos in œternum (Psal. C1X, k ); sacerdoce
céleste, qui est la source et le principe de
la sanctification des hommes.
Mais cherchons dans la sainteté des fonc-
tions du sacerdoce chrétien la nécessité où
sont d'être saints lous ceux qui l'exercent.
Quelle sainteté n'exige pas de nous, mes
frères, un étal dont toutes les fonctions sont
si redoutables elsi saintes! Quel est l'emploi
d'un prêtre de Jésus-Christ? c'est unedispen-
sation lidèle de tous les trésors de la sagesse.
de la science et de la charité de Dieu; un
exercice continuel doses mise! icordes el de
ses justices ; c'est d'èlre le ministre de sa
puissance spirituelle, le dispensateur de sa
parole et de ses sacrés mj c'est de
ici ■ acilier la terre avec le ciel, en portant
ne de Dieu les \o-ux, les el II s
gémissements des hommes, et en rapportant
aux hommes les grâces el les m lérkordes
de Die B ; c'est de juucr les pécheurs dans le
tribnnal de la pénitence, el pleurant an.
meni sur I uis crimes entré le vestibule el
l'auiel, d'obtenir d'un Dieu irrité leur récon-
ciliation et leur salut.
C'est, et tremblez ici, prêtres du Seigneur,
c'est de produire sur nos aulels, dans le re-
doutable sacrifie , le corps de Jésus-Christ,
el de le distribuer aux li lèles. Hepr - n'e/-
vous, Messieurs . le saint homme Elie dans
l'ardeur de sa prière : une multitude inlinie
de peuple qui l'environne, la \ ii li ne étendue
sur l'autel , tous les assistants saisis de
crainte , dans un profond el religieux si-
lence ; le prophète animant son zèle el sa foi,
la flamme qui tombe tout d'un coup du ciel
sur le sacriiiee. et qui dévo.e l'holocaust a
(i\l Jif g., XVII!) : <c fut un spectacle digne
d'élonnement et d'admiration. Mais si nous
passons des ligures à la vérité de nos mys-
tères terribles, nous trouverons des objets
bien plus dignes de noire admiration : ce
n'est pas ici un leu dévorant que le | rc ro
l'ail descendre sur l'autel, pour consommer
une \iclime matérielle el sensible ; c'est Je-
sus-Chiist, victime pure et sans tache, que
le prêtre, par la force des paroles redouta-
bles, fait descendre du ciel pour embra-
ser du feu de l'amour sacré les cœurs des
fidèles.
Quelle conséquence, mes frères 1 Si nos
fonctions sont si sainles, quelle doit être no-
tre innocence, quelle doit être noire sain-
teté ! De la celle crainte religieuse de! plus
grands sainls pour lous les ministères ec-
clésiastiques ; de là celte sainte horreur
qu'ils avaient des charges el des dignités de
l'Ëglise : voyant dans leur propre grandeur,
non pas l'opulence des bénéfices dont ils pou-
vaient jouir, ni l'éclat des dignités qu'on leur
offrait, mais les châtiments terribles dont ils
se rendaient coupables s'ils ne soutenaient
par une vie toute sainte des emplois formi-
dables aux anges mêmes. Après cela je ne
suis point surpris si je vois sainl Grégoire
de Na/ianze s'enfuir bien loin, de pour dé-
lie ord une piètre ; s'il faul qu'une colonne
de feu découvre sainl Cbrjsoslouie qui se
cache jour ne pas consentir à son ordina-
tion; s'il faul que la voix bégayante d'un
enfant annonce Ambroise ovéque, pour le
forcer d'obéir à l'ordre de Dieu.
Sans doute qu'ils avaient appris ces gran-
des maximes, que ceux qui entrent dans le
sneerd ce de Jésus-Christ, pour ne faire
avec lui qu'un seul pontife, doivent imiter
sa samlelo, et qu'être appelé au sacerdoce
et être appelé à la sainteté csi la même
chose; que ceux qui sacrifient le corps elle
sang de Jésns-Cbrisl doivent vivre do son
espiil el faire un continuel sacrifice de leurs
passions ; que' ceux qui soûl établis pour
corriger les dérèglements et ramener le*
peuples à ta justice, doivent atoir uue i
//
JOI
SERMON POUR
héroïque, qui les rende formidables aux im-
pies et vénérables aux gens de bien ; que
ceux qui doivent réconcilier les pécheurs
avec Dieu doivent être eux-mêmes sans pé-
ché; et qu'enfin un prêtre doit être élevé
au-dessus du peuple, autant par la supério-
rité de sa verlu que par la prééminence de
ses emplois. Ainsi ces grands hommes, ju-
geant par des sentiments d'une humble mo-
destie qu'ils manquaient de ces éminentes
qualités que demande la sublimité du sacer-
doce, et se regardant comme indignes des
saints et redoutables ministères qui y sont
attachés, cherchaient dans les plus sombres
retraites à se dérober aux yeux de ceux qui
s'efforçaient de les porter aux ordres et aux
dignités de l'Eglise.
il ne suffit pas, pour la perfection d'un
prêtre, qu'il marche dans la voie des com-
mandements, il faut qu'il coure à grands pas
dans la voie même des conseils; ce n'est pas
assez qu'il soit bon, il faut qu'il travaille à
devenir meilleur; ce n'est pas assez qu'il ait
une justice commune, il doit en avoir une
qui soit abondante; ce n'est pas assez qu'il
évite ces péchés affreux et décriés, dont le
monde même, tout corrompu qu'il est, a de
l'horreur, il faut qu'il s'abstienne de ce qui
a l'apparence même du mal. Etabli pour
rendre à Dieu de grands hommages, il doit
donner aux hommes de grands exemples. Il
faut qu'il ail une foi vive, capable de trans-
porter les moniagnes ; un courage que rien
ne rebute quand il s'agit ou de la gloire de
Dieu ou du salut des âmes; une obéissance
aveugle, qui soit à l'épreuve des plus diffi-
ciles commandements ; une dévotion tendre,
qui marque tous les moments de sa vie par
quelque mouvement d'amour de Dieu ; une
humilité profonde, qui le porte à se regar-
der dans la maison du Seigneur comme un
serviteur inutile, lors même qu'il y travaille
avec plus de succès.
Il faut qu'il ait une pureté inaltérable, qui
le rende insensible à tous les charmes de la
volupté; une prudence évangélique, qui le
fasse ou cacher ou produire, suivant qu'il
convient à sa propre sanctification ou à l'u-
tilité de l'Eglise ; une patience dans les per-
sécutions, qui bannisse de son cœur toute
amertume; un amour inviolable pour la jus-
tice, qui le mette au-dessus de toutes les
considérations humaines; une conversation
s linle, qui excite dans les âmes justes le
goût des choses célestes, et qui ramène les
pécheurs â la pénitence; une chanté ar-
dente, qui ne refuse aucune peine en ce
monde, et qui n'attende de récompense que
dans l'autre. Il faut, dit l'Apôtre, qu'il soit
irréprochable dans sa conduite, qu'il soit
s.'.ns lai lie devant Dieu et devant les hom-
mes, et qu'il ait même le témoignage des in-
fidèles pour l'innocence et la pureté de ses
mœurs (I Tim., III, 2, 7). Enfin il faut qu'ap-
pelé à une, vertu sublime, toutes ses actions
se ressentent de la sainteté de son état : car
ce n'est pas assez d'être saint dans toutes les
actions du sacerdoce, dans toutes les fonc-
tions du ministère et de la religion, il faut
UN SYNODE. ittë
l'être encore dans toute la conduite de sa
vie.
Pourquoi saint Paul prend-il tant de soin
d'avertir tous les prêtres, en la personne de
ïimothée, de rallumer en eux ce feu de
la grâce qu'ils ont reçue dans leur or-
dination ( 11 Tim. , 1,6)? Pourquoi le
prophète veut-il que les prêtres de l'ancienne
loi, qui n'étaient que l'ombre et la figuredes
prêtres de la nouvelle, soient comme revê-
tus de justice (Psal. CXXX1, 9) ? Pourquoi
Isaïa leur recommande-t-il si expressément
de fuir la corruption du siècle (Isa., LU, 11),
de ne point toucher ce qui est souillé, d'ê-
tre purs, eux qui portent les vases du Sei-
geur? Pourquoi ces onctions saintes dans
l'ordination des prêtres? sinon pour nous
marquer la vertu éminente et la sublime
sainteté que doivent avoir les ministres de
Jésus-Christ. Ah ! si pour immoler des bœufs
et des taureaux, si pour porter les vases où
étaient mis le lait et le sang des victimes, il
fallait avoir une si grande pureté, quelle
sainteté ne devons-nous pas avoir, nous qui
consacrons dans le redoutable sacrifice ,
nous qui recevons tous les jours le corps et
le sang de Jésus-Christ même ?
Mais que serait-ce, ô mon Dieu ! si les
mains d'un prélse, qui divisent ce corps sa-
cré, et qui, selon saint Cbrysostotne, doi-
vent être plus pures que les rayons du so-
leil, étaient impures et souillées de crimes ;
si ces yeux qui voient tous les jours ce que
les patriarches et les prophètes ont désiré de
voir, et qu'ils n'ont pas vu, s'occupaient
de la vanité ; que serait-ce s'ils étaient
pleins d'adultère et de crime? Que serait-ce
si cette bouche, qui est si souvent rougio
du sang de l'Agheau sans tache , s'ou-
vrait au mensonge, et à l'impureté? On
aurait horreur de profaner les vases sacrés,
comme fit Ballhazar lorsqu'il s'en servit à
des usages communs {Dan., V, 25) : racrilégn
dont Dieu ne différa pas la punition d'un
moment. Hé ! que serait-ce si l'on profanai;
par des crimes honteux un corps consacré à
Dieu d'une manière infiniment plus sainte,
un corps qui est comme le temple et le sanc-
tuaire de la Divinité, comme un vase pré-
cieux qui est tous les jours rempli de Dieu
même! Que serait-ce, ô mon Dieu! si ceux,
dont on regarde les mœurs comme un mo-
dèle qu'on doit imiter venaient à mener une
vie indigue et scandaleuse; si ceux qui doi-
vent sanctifier les peuples en devenaient
eux-mêmes les corrupteurs? Leur dérègle-
ment ne servirait-il pas comme d'une ex-
cuse publique pour autoriser les désordres?
En vain prècherail-on , avec JésQS-Chfist,
qu'il faut pratiquer ce qu'ils disent cl ne pas
faire ce qu'ils l'ont, la corruption, qui porte
à faire ce qu'ils font, ne s'en ferait-elle pas
une raison de mépriser même ce qu'ils
disent?
Malheur à vous, prêtres du Seigneur, si,
au lieu de conduire les peuples dans les sen-
tiel s de la vérité et de la justice, par les
exemples d'une vie pure et régulière, vous
les meniez dans des précipices par vos scau^
«0?!
ORAIEL'HS SACHES. BEGAULT.
101
;lalcs? Auaite hoc, sucerdoies... tfuoniam (a-
ijueus facii esti* $p$culalioni,et rete exparuwn
super Thabor [Isa., V , 1 . Ecoulez ceci, prê-
tres du Seigneur, dit le prophète Isa'ie, écou-
lez ceci, vous qui «jusque sur le Thabor,
jusque dans le sanctuaire même, ces comme
autaut de piégea et de filets tondus pour la
perte et la ruine de ceux <|ui vous voient.
Sachez que vous égorgez tout ce que vous
ne vivifiez pas; que vous remplissez de ténè-
bres tout ce que vous n'éclairez pas; qu'é-
tant choisis pour être les pierres triangulai-
res du sanctuaire, vous êtes, par vos mœurs
dépravées, des pierres de scandale contre
lesquelles les peuples viennent se briser.
Souvenez-vous que les plus libertins, pour
s'autoriser dans leurs désordres , pour se
justifier à eux-mêmes et au monde, ne ci-
tent que les dérèglements des mauvais ecclé-
siastiques : Et lu vulneratus es sicut et nos :
nus tri similis eflecius es (Isa., XIV, 10 l. Ne
trouvons-nous pas en eux, disent-ils, les
mêmes blessures, les mêmes faiblesses et la
même corruption?
Que ne puis-je jeter un voile sur les pé-
chés des ecclésiastiques, pour nous en déro-
ber la connaissance ! Mais à ce jour de ré-
vélation, je sens l'Esprit du Seigneur, qui
me dit, comme au prophète Ezéchicl, de per-
cer le mur du temple, et d'entrer dans le
sanctuaire, pour voir les abominations de
ceux qui le déshonorent par leurs scandales :
Fade parielem hvjrcdere, et vide abomi-
na tiu nés pessimas, quai isli faciunttiic [Ezech.,
Vili, S, 9). Le dirai-je, mes frères, j'y vois
d'abord à l'entrée l'idole du zèle : Idolum
zeli in ipso inlroitu (ibid-, 5). Je vois dans
le temple, d'un côte septante, et de l'autre
vingt-cinq vieillards de la maison d'Israël,
et Jézonias donner de l'encens aux repré-
sentations des idoles peintes sur les murs
du temple. J'y vois des ministres sacrilèges,
le dos tourné à l'autel, cl la face au soleil le-
vant, adorer les dieux des nations, avec les
livrées du Dieu d'Israël, et sacrifier au veau
d'or avec les vêtements d'Aaron.
Parlons sans figure : je vois des prêtn s
de Jésus-Christ, qui n'ont que l'ombre et
l'apparence de zèle, se servir souvent du
prétexte de la religion pour contenter leur
avarice ou pour satisfaire leur ambition :
Idolum zeli. J'en vois, de ces piètres indo-
lents, négliger leurs plus importants devoirs
pour vaquer aux. affaires séculières ; j'en
vois suivre avec emportement, au mépris de
leur caractère, les désirs criminels de leur
cœur ; j'en vois, de ces indignes ministres,
faire, selon les termes de l'Apôtre, un trafic
honteux de la piété, vendre pour un sordide
intérêt l'honneur de leur ministère.
A la vérité, ces temps malheureux ne sont
plus, où. les prêtres abandonnes à un af-
freux libertinage de mœurs, la prêtrise était
tombée en opprobre, cl le troupeau de.lesus-
Christ livré à la merci des loups qui le dé-
chiraient : parce qu'au lieu de pasteurs fidè-
les, qui édifiassent leur peuple par leurs
bons exemples, il n'y avait que des merce-
naires qui ne pensaient qu'à se nourrir du
lait de leurs brebis et à se couvrir de leur
loîton. Cependant il ne s'en trouve encore
que trop, qui avec moins d'éclal déshono-
rent leur caractère ; qui, sous un fjrd ir un-
peur de fausses vertu-, cachent les vue-, le»
plus houleux; qui fuit une alliance mons-
trueuse d'une vie déréglée avec une dit; ni lé
toute sainte ; qui, dans l'exercice des fonc-
tions les plus sacrées, vivent comme des pi 0-
fanes; qui font autant de sacrilèges qu'ils of-
frent de sacrifices; qui, au licude se sanctii
dans un ministère tout div in, se rendent en-
core plus criminels ; qui ne rapportent de la
pratique des choses les plus saintes «pie If
mépris qui nail de la coutume de s'en a
proeher indignemi nt. profanateurs sacrilè-
ges des mystères dont ils sont les dispens
leurs.
Mais qu'il nous suffise oe faire entrevoir a
ces ministres indignes leur honte et leur fai-
blesse; et pour ne pas blesser l'honneur de
la dignité qui est sainte, n'allons pas louclu r
de plus près les défauts de ceux qui en sont
• ewjlus. Je parle devant des préires ver-
tueux qui connaissent la sainteté de leur
état, el qui savent en accomplir les devoirs.
Passons à la seconde parlie de ce discours.
Et après avoir vu iallention que les pi
très et les pasteurs evangéliques doivt
avoir sur eux-mêmes, pour mener une vie
sainte et irréprochable : Atlendite vobi*.
voyons l'attention qu'ils doivent avoir sur
les peuples commis à leurs soins, pour exer-
cer envers eux. leur zèle et leur charité eu
ce qui regarde leur sanctification et leur sa-
lut: Et universo yregi : c'vsl mon second point.
SECOND POINT.
Pour venir d'abord, Messieurs, aux preu-
ves de celle seconde proposition, noos n'a-
vons qu'à recueillir ici les noms que l'Ecri-
ture donne aux. prêtres el aux pasteurs, el
les avis saiulaires qu'elle leur adresse. Tan-
lot elle les appelle les sentinelles d'Israël,
pour leur apprendre qu'ils doivent veiller
continuellement sur les âmes qui leur soiu
commises; tantôt les ministres de la parole
de Dieu, pour leur faire comprendre qu'une
de leurs principales fonctions est d'enseigner
les vérités éternelles à ceux qui les igno-
rent ; tantôt les pères des fidèle*, pour leur
marquer qu'après avoir donne aux peuples
la nourriture de l'âme, ils leur doivent en-
core la nourriture du corps, quand ils sont
dans l'indigence: lantôl des soldats enrôlés
dans la milice de Jesus-Christ, pour mon-
trer qu'ils doivent combattre incessamment
contre les puissances des ténèbres, et soulîrir
constamment tou- les Ira. aux de leur mi-
nistère; tantôt des vases d'honneur consa-
crés au Seigneur, pour lui élre utiles (II
Tïm.,11,21 , prêts à servira touslesusagcsoù
la Providence voudra les employer.
Enfin , pour renfermer dans une seule.
comparaison les offices les plus parfaits de
«baille et de zèle, Jésus-Cbritt leur-mcl de-
vant les veux l'exemple de ces pasteurs
pleins de leudresse et de sollicitude pour leur
troupeau, qui, voyaut que le loup va se jeter
cruellement sur leurs brebis . courent à leur
105
SERMON POUR UN SYNODE.
défense, s'exposent aux plus affreux dan-
gers, donnent même, s'il est nécessaire, leur
propre vie pour les sauver.
De là, mes frères, reconnaissons d'abord
dans les pasteurs l'obligation indispensable
qu'ils ont d'instruire les peuples et de leur
prêcher la parole de Dieu. Les brebis, dit Jé-
sus-Christ, entendent la voix du pasteur
[Joan., X, 3). Hé 1 comment Pentendront-
elles, si le pasteur ne leur parle pas? Je
vous conjure devant Dieu et devant le Sei-
gneur Jésus-Christ, disait saint Paul à Ti-
mothée, d'annoncer la parole, de presser à
temps et à contre-temps, de reprendre, sup-
plier, menacer, sans vous lasser jamais d'ins-
truire (H Tim., IV, 2) : employant ainsi ce
qu'il y a de plus saint et de plus terrible,
pour faire sentir aux pasteurs combien ils
sont obligés d'enseigner la vérité à ceux qui
l'ignorent, de confondre ceux qui la combat-
tent, de corriger ceux qui négligent de la
pratiquer.
Malheur à moi, dit le même apôlre, si je
ne prêche pas l'Evangile (l Cor., IX, 16) !
Malheur à ces pasteurs oisifs, endormis et
muets, qui retiennent la vérité captive!
Malheur à ceux qui refusent de rompre le
pain aux petits qui le demandent 1 Malheur
aux pasteurs, ou qui ne prêchent jamais, ou
qui réduisent le devoir de prêcher à quel-
ques légères instructions qu'ils font de loin
à loin, sans étude et sans préparation, parce
qu'un peuple rustique n'étant pas capable
de comprendre des choses sublimes, ils
croient devoir enfouir dans les villages des
talents qu'ils feraient valoir dans les villes :
comme s'il fallait laisser ces âmes languis-
santes dans la disette de la parole de Dieu,
parce qu'étant grossières et sans politesse,
on ne trouve pas de quoi nourrir son ambi-
tion et daller sa vanité 1 Comme si la sain-
teté de Dieu, qui veut être glorifié dans ces
âmes, et le prix infini que Jésus-Christ a
donné pour les racheter, n'étaient pas des
molifsasscz puissants pour exciter leur zèle
et pour animer leur charité 1
Mais quelle doit être la vigilance et la sol-
licitude d'un pasteur évangélique ? Sembla-
ble à Jésus-Christ, qui assure que les brebis
que son Père lui a données ne périront jamais ,
et que nul ne les ravira d'entre ses mains
(Joan., X,28); persuadé qu'il répondra de-
vant Dieu des âmes qui lui auront été con-
fiées (llebr., XIII, 17), il doit les garder avec
tant de soin, ^qu'aucune ne périsse par sa
négligence.
Dieu , qui peut par lui seul étendre
et affermir la religion, veut bien néan-
moins partager, pour ainsi dire, avec les
pasteurs la conduite des fidèles. Il les éclaire
intérieurement par des lumières célestes; il
les touche, il les porte à la vertu par les
mouvements secrets de sa grâce. Mais il
charge les pasteurs du ministère sensible; il
leur laisse le soin de conduire les fidèles par
l'usage des sacrements, par la pratique des
vertus, par l'exercice des bonnes œuvres, à
la perfection du christianisme; de les rappe-
ler de leurs égarements par dèi corrections
Oratkuks saches. XXX.
salutaires, et de les faire rentrer dans les
sentiers de la justice, lorsque, emportés par
la violence de leurs passions, ils s'en éloi-
gnent : Pour vous, disait saint Paul à ïimo-
thée, veillez, travaillez en toutes choses
remplissez les devoirs de votre ministère (II
Tim., IV, 5). Telle doit être l'attention du
pasteur fidèle sur ses brebis : toujours oc-
cupé de ses devoirs, il doit s'appliquer sans
relâche à inspirer l'horreur du vice et l'a-
mour delà vertu; rien ne doit échappera
ses soins et à sa vigilance.
Le peuple d'Israël rendait au veau d'or des
hommages sacrilèges, tout le camp retentis-
sait de cris et d'acclamations de joie ; on dan-
sait, on chantait autour de cette idole enri-
chie des dépouilles de toute l'Egypte. Josué,
qui était à la tête du camp, crut entendre
une multitude confuse qui s'excitait au com-
bat; sa vigilance n'alla pas plus loin : Ulu-
latus pugnœ audilur in castris (Exod.,
XXXII, 17). Quel malheur pour Israël, si
Moïse, chargé de la conduite de ce peuple,
s'en fût tenu au rapport de Josué 1 Mais
quelle prévarication pour Moïse, s'il eût
manqué de vigilance et de zèle dans un
temps où l'idolàtrierégnait avec insolenceau
milieu d'Israël! N'aurait-il pas été coupable des
abominations de ce peuple sacrilège? Je les
attends au jour terrible de la colère et des
vengeantes du Seigneur, ces prêtres négli-
gents, qui, pour prendre tranquillement
leurs frivoles plaisirs et pour satisfaire leurs
passions, auront abandonné par une indo-
lence criminelle la conduitede leur troupeau.
Mais combien y en a-t-il aujourd'hui de
ces lâches pasteurs! Faisons-leur ici le re-
proche que faisait aux pasteurs de son temps
le prophète Zacharie : O pastor et idolum
derelinquens gregem (Zach., XI , 17) ! Fantô-
mes insensibles et inanimés, idoles de pas-
leurs, qui avez une bouche, et qui ne parlez
pas [Psal. CX1I1, 5); qui laissez les peuples
dans une ignorance profonde de nos mystè-
res, et qui ne les instruisez pas; qui avez
des yeux et qui ne voyez pas; qui, par de
timides ménagements de la chair, ne voyez
pas ou ne voulez pas voir les désordres et
les abus qui s'établissent impunément dans
vos paroisses; qui avez des oreilles, et qui
n'entendez pas; qui fermez les oreilles à la voix
plaintive des malheureux qui gémissent dans
la misère et dans l'oppression ; qui avez des
mains, et ne vous en servez pas pour distri-
buer aux pauvres celte portion de biens
ecclésiastiques dont vous n'êtes que les dé-
positaires et les économes. O pastor et ido-
lum derelinquens gregem! qui abandonnez
indignement le troupeau pour le salut du-
quel vous devriez sacrifier tout ce que vous
avez de plus précieux et de plus cher, jus-
qu'à votre propre vie : malheur à tous,
pasteur, idole de pasteur, qui n'avez qu'une
ombre et un fantôme de zèle.
Quand je parle de zèle, mes frères, j'en-
temls parler d'un zèle qui est réglé par la
prudence, parla science et par la piété; jo
parle d'un zèle qui bannit tout emportement
dans la défense de la vérité et dans la cor-
k
107
OliA'lKL'RS SACRES. BKf.AlLT.
108
roction dos pécheurs. Loin de nous celte
ardeur téméraire et précipitée qui aigiil
les péclieurs au lieu de les corriger, qui se
sert du prétexte de la religion et de la gloire
de Dieu, pour exercer ses violences secrètes
et venger ses injures particulières. Je parle,
non pas d'un zèle amer, inspiré par l'orgueil,
mais de ce zèle tendre qu'une humble mo-
destie accompagne, qui nous fait craindre
pour nous, espérer pour les pécheurs, qui
nous persu !<le qu'ils peuvent se relever et
se sauver, et que nous pouvons tomber et
nous perdre, le parle d'un zèle inséparable
de cette charité compatissante à la faiblesse
humaine, qui ne rebute personne par une
indiscrète sévérité, et qui attire tout le
monde par une sage indulgence et par une
charité sans bornes.
Je dis, mes frères, que notre charité doit
s'étendre à tout le monde : Et universo
gregi. La charité d'un pasteur évangélique
ne doit pas être rétrécie; elle ne doit point se
borner à un petit nombre d'âmes dociles et
dévouées à sa conduite, pour lesquelles il
peut avoir plus d'inclination, ou dans les-
l'uelles il voit plus de dispositions à la vertu.
Chargé de tout le troupeau, pourrait-il sans
injustice s'attacher aux uns et abandonner
les autres? Le pauvre, l'ignorant, le simple,
le paysan rustique et grossier, cornue e
riche, le savant et celui qui paraît avoir le
plus d'esprit et de politesse, doivent trouver
également accès auprès de lui. L;i charité ne
défend pas d'avoir ces égards de discrétion
et de prudence que le mérite, l'autorité, le
rang, peuvent demander en certaines occa-
sions; mais elle ne veut pas que dans les
devoirs du ministère on ait aucune acception
de personnes : elle veut au contraire que
par une tendresse commune le pasteur, père
de tous, redevable à tous [Rom. I, IV), ne
se refuse à personne et se donne à tous sans
partage : Et universo gregi.
Loin d'un ministre de Jésus-Christ ers bi-
zarres distinctions de complaisance, de soins
et de sollicitudes pour les personnes en qui
il trouve des qualités qui flattent la vanité ou
l'amour-propre , tandis qu'il néglige celles
qui sont dans la bassesse et dans l'obscurité.
Persuadé par la foi que toutes les âmes sont
rachetées du même sang , qu'elles sont ap-
pelées à la même félicité, que tout est égal
en ce qui regarde la religion et le salut, tou-
tes ses breb s lui doivent être également
chères. Quel mérite y aurait-il s'il ne s'atta-
chait à cultiver que les terres préparées ,
prêles à porter des fruits? Et quelle récom-
pense pourrait-il attendre de ce qu'il aurait
luit plutôt pour lui-même que pour Dieu ?
Sa charilé doit être telle que celle de Jesus-
Christ même , étendue, universelle, ayant
pour objet tous les hommes , comme appar-
tenant tous à Jésus-Christ et ayant tous droit
au même héritage.
Il doit employer ses soins et ses travaux
partout où il trouv.c la gloire de Dieu et le
salut des âmes : se faisant toul à tous , com-
me l'Apôtre, pour gagner toul le monde a
Jésus-Christ; exempt d'humeur, de passion,
d'intérêt ; agissant toujours par le seul mo-
tif d'une (liante pure , qui soit comme l'âme
et le principe de lonU • ses ai lions : modéré
- ns faiblesse, actif sans emportement,
Ferme sans opiniâtreté , condescendant sans
Batterie; toujours différent de eeafara zé-
lés qui , déterminés à certaines maximes, et
attachés à certaines pratiques singulières ,
u'a pirent qu'à ce qui est "/rand et négligent
ce qui est petit , dé-espèrenl ce qui est dif-
ficile et méprisent ce qui est aisé : traitant
toute sorte de plaies ou avec une onction
fade, ou avec une incision violente.
Un des premiers dons du ciel est celui de
la foi ; ce que la lumière est au corps poor
marcher dans des voies sûres , la fo l'est à
l'âme pour la conduire à Dieu pirles sen-
tiers d'une véritable justice. Il faut croire
pour pouvoir s'approcher de Dieu. Sans la
foi il est absolument impossib'e de lui plaire
{Ilebr., XI, 0). La foi est le fondement do sa-
lut et le principe de toutes les \ert s chré-
tiennes. De là naît celle nécessité indispen-
sable de faire tous nos efforts pour rappeler
à cette divine lumière tous ceux qui sont en-
core plongés dans les ténèbres de l'erreur.
C'est ici , mes frères, où il f lut que je vous
exhorte à recueillir dans votre sein toul I i
feu de votre zèle , et à employer toutes les
adresses de votre charité pour achever de
rassembler ce troupeau qui, pour n'être plus
entre les mains du mercenaire, n'a pas peut-
être plus de docilité à se laisser conduire
par le légitime pasteur. Semblables à Jésus -
Christ, nous sommes particulièrement en-
voyés aux brebis perdues de la maison d'Is-
raël (Matth., XV, 2\). Vous le savez, mes
frères, pressés par une douce et salutaire
violence de rentrer dans le sein de l'Eglise,
d'où leurs pères sont sortis, on les a moins
donnés à l'Eglise qu'à nous : car on n'a pas
toujours la foi, pour être parmi les fi'è'es.
Après quelques légers traits d'une sévérité
paternelle, on les a mis entre nos mains,
comme autrefois Saul fut mis cuire les
mains d'Ananic (.Ici., IX. 17), pour le- in-
struire dans la foi, pour leur donner le goût
des vérités céle-tes et de nos mystères, et
pour les faire demeurer avec joie d i.is celle
Eglise où d'abord ils n'étaient entres, du
moins pour la plupart . qu'avec chagrin el
avec douleur.
Quelle prévarication pour Ananie dans
son ministère, s'il eût laissé sans secours el
sans instruction Saul aveugle el abatte; si,
par des M)ins charitables, il n'eût fait tom-
ber de ses yeux ces écailles épaisses, qui lui
cachaient iflamière de la vérité I Mais de
(juel crime ne serions-nous pas coupable*.
si, contents de voir ces nouveaux (idèles as-
sembles dans nos églises, nous les laissions
dans la faim de la parole de Dieu ! N'au-
raienl ilspas sujet de regretter dans l'Eglise,
comme les Israélites dans le désert, la nour-
riture de leur Egypte infldète? . uel.e cruelle
injustice, si. encore faibles qu'ils sont dans
la loi. nous ne prenions pas soin de les for-
tifier par lous les secours spirituels dont ils
ont besoin I Je l'avoue, ce travail est péni-
100
DISCOURS POUR LA BENEDICTION D'UN MARIAGE.
HO
ble et rebutant : nous avons affaire à dos es-
prits opiniâtres et à des cœurs indociles qui,
occupés encore de leurs injustes préventions,
méprisent souvent nos instructions et nos
conseils. Mais, mes frères, c'est notre voca-
tion de les recevoir avec charité : Infirmum
autem in fide assimile (Rom. , XIV, 1). C'est à
nous de les traiter, et à Dieu de les guérir.
Ce n'est pas des fruits de son apostolat que
saint Paul se glorifie le plus, c'est de ses
travaux, c'est des persécutions qu'il a souf-
fertes, et , suivant la doctrine de ce grand
apôtre, nous serons récompensés , non pas
selon le succès de notre ministère, mais se-
lon la mesure de notre travail.
Mais c'est particulièrement envers la ten-
dre jeunesse , cette aimable portion , cette
précieuse espérance du troupeau, que nous
devons exercer notre zèle : ce sont ces jeu-
nes plantes que nous devons plus soigneuse-
ment cultiver. Si nous ne pouvons pas ga-
gner les pères, que des préjugés invétérés
retiennent encore dans un opiniâtre entête-
ment, il faut tâcher de gagner les enfants,
que l'âge rend plus dociles et plus suscepti-
bles des instructions. Par le malheur de leur
naissance, ils ont sucé l'erreur avec le lait;
il s'est glissé dans leurs veines un mortel
venin, qui a commencé de corrompre les fa-
cultés de leur âme. Quoique dans un âge en-
core tendre, incapable de dis erner la vérité,
ils se trouvent, sans y penser, comme enve-
loppés d.ns le mensonge. Si les parents par
de* leçons pernicieuses qu'ils opposent à nos
salutaires instructions ne peuvent pas leur
inspirer l'amour de la fausse religion , du
moins tâehenl-ils quelquefois de leur don-
ner de l'aversion pour la véritable.
Or c'est à nous à empècîier, par tous les
efforts de notre zèle, que l'erreur ne jette en
eux de plus fortes racines; c'est à nous à
détruire dès leur enfance ces semences fata-
les d'hérésie, qui sont sorties d'un sang gâté
et corrompu; c'est à nous à prévenir dans
les enfants le mal que nous nous efforçons
de guérir dans les pères.
Chantons-en des cantiques de joie au Sei-
gneur. Déjà nous voyons les campagnes
toutes blanches, et prêtes à moissonner;
liéà nous voyons nos églises repeuplées de
vériublcs fidèles. Combien en pouvons-nous
compter dans ce diocèse, qui fut autrefois
l'asile et le centre de l'hérésie, qui sont con-
vertis de bonne foi, tandis que le reste est
ébranlé! Combien qui ne demandent plus
que des Ananies pour les conduire par la
main d;ins la voie de la vérité! Combien
même, qui, sortis du précipice, tendent la
main à leurs frères qu'ils y ont laissés? Les
pasteurs négligent! , pour favoriser leur in-
dolence et leur paresse, n'auront plus à op-
poser la résistance des peuples. N'en dou-
tons plu., mes frères, l'o-uvre de. Dieu va
s'achever. Les jours d'aveuglement sont
écoulés, et bientôt, si nous redoublons nos
soins, nous ne verrons plus, selon nos vomix
les plus ardents , qu'un même bercail et uu
même pasteur (Joan., X, 16).
Grâces immortelles en soient rendues au
ciel. Je ne crains point d'être accusé d'avoir
exagéré par un zèle trop ardent les vertus
et les obligations des prêtres et des pasteurs
évangéliques, en présence d'un pontife (1)
qui connaît si parfaitement l'éminence de
leur dignité et l'étendue infinie de leurs de-
voirs. C'est aujourd'hui l'avantage de mon
ministère, mes frères, de pouvoir vous pro-
poser un modèle et une preuve tout ensem-
ble des vertus que je viens de vous prêcher,
dans les mœurs du pasteur qui nous gou-
verne, et pour nous en faciliter la pratique,
de pouvoir autoriser ces maximes ecclésias-
tiques par la vie et la conduite d'un illustre
prélat qui nous en donne tous les jours des
exemples si éclatants. Quel avantage pour
nous, mes frères, de pouvoir regarder de si
près celle douceur si charmante, cette piété
si solide, cette charité si tendre et si efficace,
cette vigilance si active, cette application si
vive à tous les devoirs du ministère évan-
gélique, ce zèle si ardent et si sage à rap-
peler à la religion de Jésus-Christ, par toutes
les espèces de soins, les enfants par les
pères, les pères par les enfants, et tous ceux;
que le malheur de leur naissance avait en-
traînés dans l'erreurl
Faites , Seigneur, que son épiscopat soit
d'aussi longue durée que les vœux redou-
blés de cette assemblée ecclésiastique nous le
font espérer, et que le demandent les besoins
de ce diocèse, dans ces temps difficiles où,
comme un autre Josué, il combat avec tant
de force et de succès pour éteindre la race
ennemie des Amalécilcg! Puisse le ciel re-
trancher une portion de nos jours, pour l'a-
jouter à une vie si belle et si précieuse I Et
nous, mes frères, puissions-nous, après avoir
imité de si grandes vertus, mériter la récom-
pense éternelle qui leur est promise, et que
je vous souhaite, avec la bénédiction de Mon-
seigneur, olc.
DISCOURS
I'OllR LA iiÉNKDICTION D'UN MARIAGE.
Prononcé à Paris en 1710.
Sacraincnliim hoc in;iguuni est, ego autem dico in Cliri-
sto et in txclesia.
Ce sacrement ett grand, je dis en Jésus-Chrùt 1 1 en l'E-
glise [Ephes., V, Jfé).
Monsieur cl Mademoiselle,
S'il ne s'agissait, comme dans les anciennes
lois, que d'un contrat civil, d'une alliance
purement naturelle , qui n'aurait d'autre
objet qu'une mutuelle société établie pour
vivre ensemble avec certaines règles do
bienséance, pour avoir et élever des enfanta
qui par une succession perpétuelle soutins-
sent de génération en génération les Liais et
les empires, il ne sérail pas nécessaire de
nous assembler dans ce sacré temple, pour
vous flirt, à la face des autels, de vives
exhortation! sur les obligations importantes
du nouvel état où vous allez vous engager :
(1) Flécliicr, cvêqnc de Nimcs.
11!
renfermés comme dans l'enceinte de la
nature et dans les limites des vertus pure-
ment civiles et politiques, il suffirait de roui
rappeler l'idée de ce pr< mier mariage institué
dès l'origine dn monde , pour croître, multi-
plier et remplir la terre d'habitants (G^n.,
J . 28).
Mais dans la loi de grâce ou nous vivons,
qi: 'il faut nous élèvera des pensées bien plus
sublimes! Laissant donc à part tout ce qui
se ressent de la chair cl du sang, dégagés de
ces idées grossières cl terrestres qui occupent
les âmes charnelles dans le mariage, la reli-
gion nous oblige de porter nos regards jus-
qu'au fond des mystères divins qu'il renferme,
et d'en révérer la grandeur, l'excellence et
la sainteté.
A ne juger du mariage que par les idées
qu'on s en forme communément dans le
inonde, on verra qu'elles ne sont guère dif-
férentes de celles qu'en ont les nations qui
ne connaissent pas Dieu. En effet comment
considère-t-on le mariage aujourd'hui? comme
un moyen permis de satisfaire sa cupidité, de
se procurer un établissement qui flatte sa
vanité et son ambition, d'agrandir son état
cl sa fortune, de vivre dans l'indépendance ,
de s'affranchir des lois d'un devoir sévère qui
soumet ies enfants à la volonté de leurs
parents.
Faux préjugé, fausses vues de l'homme
animal qui ne comprend pas les choses qui sont
de l'esprit de Dieu (lC'or.,11, 14) ; erreur
infiniment injurieuse à la dignité et à la
sainteté du mariage chrétien. Contre ces
injustes sentiments, je dis avec saint Paul
que c'est un sacrement qui est grand : Sa-
cramenlum hoc magnum est (Eph., V, 32) : je
dis encore qu'il est saint.
Si nous remontons jusqu'à sa première
origine, où il n'était que la figure du ma-
riage des chrétiens, nous trouverons qu'il est
grand, qu'il est saint, dans son institution
et dans les vues de Dieu. Il fut institué dans
le paradis terrestre , entre des personnes
toutes pures et innocentes, que Dieu même,
auteur et instituteur du mariage sanctifia et
bénit : Benedixilque illis Deus (Gen., I, 18).
11 est grand, il est saint; parce que Jésus-
Christ , la sainteté même, l'a élevé à la di-
gnité de sacrement; il est grand, il est saint
dans sa signification et dans les mystères
sacrés qu'il renie; me : Sacramentum hue
ma (/midi est, in Christo dico et in licclesia ,
par les merveilleux rapports qu'il a avec
Jésus-ùhrist et son Eglise, en ce qu'il repré-
sente d'une manière ineffable l'union de la
nature divine avec la nature humaine, et de
Jésus-Christ avec son Eglise, dont il est
l'image, et d'où il lire son excellence cl son
esprit. Grand et saint dans ses effets , qui
sont la grâce sanctifiante, et la tnâce sacra-
menlale qu'il produit en ceux au'il trouve
disposés à les recevoir.
a lis que servirait-il que le mariage fût
saint , si l'on ne B'appliquait à le sanctifier
en soi- même? lui vain ce sacrement o ri-
r.ul-il des dons célestes cl des secours spi-
rituels en abondance, si, insensible à la grâce
ORATEURS SACRES BEGAULT. HÎ
qu'il confère, on mettait des obstacles i sa;
vertu.
Comment donc sarutifiera-t-onle mariacre?
Remplir fidèlement les fins pour lesquelles
Jésus-Christ l'a institué; se porter mutuel-
lement à la vertu , à la pratique de la piété,
delà douceur , de la charité et des bonnes
œuvres; s'édifier l'un l'autre par de bons
exemples; mettre à profit dans les occasions
les grâces attachées à ce sacrement; élever
ses enfants dans la crainte de Dieu et d>' sea
jugements, dans l'horreur du vice et dans
l'amour de la vertu; avoir un soin particu-
lier de ses domestiques et de toute sa fa-
mille : c'est le moyen de sanctifier le mariage.
Suivant l'avis important de l'Apôtre, «t ir
une femme, avoir un mari, comme n'en ayant
point (I Cor., VI!, 29), modérer les saillies
emportées de la cupidité; user de ce monde
comme n'en usant poin! (Ibid., 31); regarder
les plaisirs et les autres biens de la vie avec
indifférence comme une ombre fugitive ,
comme une figure qui passe, comme une
fumée qui se dissipe dans l'air, comme un
songe qui s'évanouit au moment qu'il amuse
agréablement l'imagination ; ne s'éloigner
jamais des vues de la foi cl du salut éternel ;
méditer souvent la loi du Seigneur; vaquer
aux heures convenables à la prière , aux
exercices de religion et de miséricorde ; ç/est
là sanctifier le mariage chrétien.
Appuyons un peu davantage sur deux
obligations essentielles que contracient plus
particulièrement les personnes qui s'enga-
gent dans le mariage, le support et l'amour
mutuel.
Il n'est point d'état dans le monde où le
support mutuel soit plus nécessaire que dans
le mariage. Telle est la condition humaine ,
qu'elle est sujette à mille faiblesses et à mille
imperfections. Avant le mariage chacun use
d'artifice pour se composer, pour se dérober
l'un à l'autre la connaissance de ses défauts;
on s'étudie à se montrer par le bon endroit: si
l'on a quelque verlu, quelque talent , quel-
que bonne qualité, on prend soin de la faire
paraître; on se pare de loul ce qui peut se
faire honneur; chacun excelle dans l'art de
se contrefaire et de se cacher. L'avare se
montre libéral et généreux, le prodigue vous
paraîtra économe et réglé, le plus emporté
donnera des preuves de douceur et de modé-
ration; un débauché, un libertin affecte par
des dehors séduisants d'être sage et retenu.
D'un autre côte, il arrive ordinairement que
la fille la plus libre se donne pour une vertu
austère, que la plus vaine parait humble et
modeste, que la plus violente devient pour
un temps dotiez et modérée. Chacun cherche
à se tromper dans le naturel cl dans les
mœurs, encore plus que dans ce qui regarde
les facultés.
Le mol fatal esl-il prononcé? l'enchante-
ment se rompt, le masque tombe , le fard
tro eur se dissipe; peu de jours après
chacun reprend sou humeur, reparait dans
son naturel; et comme les défauts les plus
grossiers éi lient cachés sous l'artifice et le
déguisement par l'attention continuelle qu'on
lio
DISCOURS A L'ACADEMIE FRANÇAISE.
114
avait à s'observer, aussi les moindres imper-
fections, les plus petits atomes se découvrent
par la trop grande familiarilé, par l'habitude
d'être toujours ensemble et de s'étudier de
trop près , et par le peu de soin qu'on prend
dans la suite de se ménager et de se con-
traindre.
Or c'est là où le support est absolument
nécessaire, pour souffrir tranquillement les
humeurs et les défauts l'un de l'autre, quand
on ne peut pas les corriger; c'est pour lors
qu'il faut suivre, plus qu'en aucun autre
état, le conseil de saint Paul : 5e supporter
l'un Vautre dans un esprit de douceur et de
charité, conserver une parfaite union de cœurs,
dans le lien de la paix (Eph., 1 V, 2 et 3).
11 faut encores'aimer mutuellement. Quand
je parle ici d'amour, je n'entends pas parler
d'un amour profane ou purement naturel :
je parle d'un amour chrétien, qui a sa source
et son principe dans la grâce d'un sacrement
et dans la charité même de Jésus-Christ.
Comme le lien du mariage est indissoluble ,
l'amour le doit être aussi : c'est ce que si-
gnifie l'anneau bénit, symbole de l'amour et
de la fidélité. Cependant, chose étrange! soit
bizarrerie, soit humeur, soit inconstance et
légèreté de l'esprit et du cœur humain , il
suffit, ce semble, que l'amour soit commandé,
pour y Irouver dès là du dégoût et une se-
crète répugnance; le précepte semble d'a-
bord en amortir les feux innocents.
C'est ici qu'on peut dire avec l'Apôtre,
qu'rl l'occasion de la loi, la concupiscence et
le péché ont commencé à revivre (Rom., VII, 8).
Souvent une flamme impure, qui aurait dû
s'éteindre par le mariage, se rallume avec
plus d'ardeur pour des objets criminels, et un
amour légitime, qui devait s'enflammer da-
vantage, se ralentit et s'éteint.
Dans la suite du temps, les agréments vien-
nent à se flétrir, le premier éclat d'une bril-
lante jeunesse s'efface, car la beauté est une
fleur qui s'ouvre au matin, qui s'épanouit à
midi et qui sèche le soir : des infirmités ha-
bituelles font tomber les grâces. Là-dessus
viennent les tribulations de la vie, compagnes
nécessaires, dit saint Paul (I Cor., Vil, 28),
et inséparables du mariage, qui troublent la
joie el la douceur de la société. Le goût et
les affections changent : ce qui d'abord fai-
sait plaisir, dans les suites devient insipide
et quelquefois même odieux ; et parce que
les principes el les motifs de l'amour naturel
se détruisent, on croit n'être plus si étroite-
ment obligé de s'aimer. De là ces amitiés
étrangères; de là ces feu\ illégitimes; de là
ces guerres domestiques qui portent le (rou-
ble el la division dans les familles.
Dans le mariage chrétien, l'amour mutuel
doit èlre toujours le même, parce que les
motifs spirituels sur lesquels, dans les prin-
cipes de la religion, il est établi, subsistent
toujours.
L'époux doit aimer toujours son épouse, com-
me Jésus-Christ, Ail l'Apôtre, « aimé son Eglise
(I) Comme on l'a vu dans la nolirc do l'abbé lic-
gauli, ce discours fui prononce, le 30 octobre 1092, à
(Eph.,V,22), amour qui ne peut être solide et
durable s'il n'est fondé sur une considératiou
particulière pour son épouse. A la vérité, le
mari est le chef de la femme (Ibid., 23), dit
saint Paul ; mais cette qualité ne lui donne
pas un dur empire et une domination tyran-
nique sur elle. La première femme, comme
le remarque saint Augustin, fut tirée, non de
la tête d'Adam, parce que le mari devait être
le chef; non des pieds, parce que la femme
ne devait pas être la servante, mais du enté,
pour marquer que, dans la subordination
qu'elle devait avoir à son mari, elle avait une
espèce d'égalité avec lui qui devait l'affran-
chir d'une dure et impérieuse autorité qu'il
aurait voulu prendre sur elle.
L'épouse , suivant l'Apôtre , doit aimer
aussi son mari; elle doit le respecter comme
son chef, comme son conseil, comme sou
guide, comme son défenseur et son soutien;
elle doit lui obéir comme l'Eglise obéit à Jésus-
Christ (Eph., V, 24), avec une douce et gra-
cieuse condescendance.
Aimez-vous donc mutuellement dans la
charité de Jésus-Christ. Je finis avec ce mot :
Que l'amour que Jésus-Christ a pour son
Eglise soit la règle et le modèle du vôtre. Il
n'était point permis d'apporter du feu étran-
ger dans le sanctuaire : que rien n'altère la
pureté d'un amour sanctifié par ce qu'il y a
de plus sacré dans la religion.
Tout nous porte à bien augurer de cette
aimable alliance : le mérite des familles, où
la noblesse a toujours été soutenue par la
vertu, où le véritable honneur, la probité, la
sagesse, la piété, la religion, sont comme hé-
réditaires ; une parfaite conformité de senti-
ments; votre propre vertu, formée par un
heureux naturel , cultivée par une pieuse
éducation, perfectionnée par une pureté et
une innocence de mœurs qui ne laisse pres-
que rien à faire aux avis et aux exhorta-
tions.
Que reste-t-il après cela , sinon que vous
invitiez Jésus-Christ à vos noces, comme il
fut appelé à celles de Cana (Joan., II), pour
qu'il répande sur vous ses plus abondantes
bénédictions. Je vous les souhaite, au nom
du Père, el du Fils, et du Sainl-Esprit. Ainsi
soit-il.
DISCOURS
a l'académie française (1).
-, Messieurs,
De toutes les compagnies qui ont reçu
l'honneur que vous nous faites aujourd'hui,
il n'en est point qui l'ait désiré avec plus
d'ardeur et recherché avec plus d'empresse-
ment que l'académie royale de Nîmes. Les
premiers titres de notre fondation, où Sa
Majesté, en nous accordant les mêmes pri-
vilèges dont vous jouissez, approuve si au-
Ihenliquemcnt l'émulation que nous avons
eue de cultiver, à votre exemple, les sciences
et les belles-lettres; l'heureux et libre choix
une nous avons fait dans votre académie d'un
l'occasion de ragrépiion de l'académie de Nimcs à
l'académie française.
Ho
ORATEURS SACRES. BF.GAl'LT.
110
illustre protecteur qui en fait un des plus
beaux ornements (1) ; l'admiration que vous
excitez dans tout le inonde par ces écrits si
dignes de l'immortalité; la réitération pro-
fonde que nous avons toujours eue pour
vous, tribut nécessaire que vous doivent tous
ceux qui ont quelque goût pour tout ce qui
forme et qui polil l'esprit ; l'exemple de plu-
sieurs célèbres académies, le désir d'étendre
les limites de votre empire, tout cela, Mes-
sieurs, était de puissants motifs pour nous
faire souhaiter avec passion une union étroite
avec vous.
Aussi, depuis plusieurs années, et nous
pouvons dire dès l'origine de noire établisse-
ment, nous avions soupiré après ce bonheur.
Un de nos premiers fondateurs, à qui l'His-
toire de l'académie française est dédiée, avait
été chargé de nous procurer ce glorie ux
avantage ; mais 1rs troubles qu'excita depuis
dans le Languedoc la diversité de religions
suspendirent pour quelque temps l'accom-
plissement de nos vœux et l'exécution de
notre dessein. Aujourd'hui que, par la pro-
tection d'un roi aussi grand par sa piété que
par sa valeur, les esprits et les cœurs étant
réunis, les Muses jouissent dans nos provin-
ces, à l'ombre de ses lauriers, d'un parfait
repos , nous vous avons redemandé cette
grâce, et enOn nous l'obtenons par votre
généreuse bonté.
Quel avantage pour nous, Messieurs, d'ê-
tre associés à tant de grands hommes, en qui
la vertu sincère , le véritable mérite, l'éru-
dition profonde , la grandeur et la gloire de
tous les ordres de l'Eglise et de l'Elat se
réunissent; de pouvoir entretenir un com-
merce d'esprit avec un illustre corps, qui
est comme le centre de la pureté, de la déli-
catesse , de la politesse et de l'éloquence de
notre langue 1 Quel bonheur d'entier en
quelque partage de la gloire qui vous envi-
ronne , d'être admis quelquefois dans ce
sanctuaire, et d'y recueillir vos oracles I
Désormais, pour relever la gloire de notre
origine, nous ne compterons plus notre éta-
blissement que du jour que vous nous avez
adoptés : car comme les anciens jugeaient
que les enfants qui naissaient depuis que
leur père était parvenu à l'empire étaient
plus nobles que ceux qu'il avait eus dans
une fortune privée, ainsi, Messieurs, si nous
pouvons considérer notre académie en diffé-
rents âges et par rapport à de différentes nais-
sances, nous pouvons dire qu'elle aura quel-
que chose de plus grand et de plus noble
depuis l'adoption que vous en avez faite.
Mais pour soutenir celle alliance avec
quelque mérite, nous travaillerons avec plus
de zèle et d'application à profiter de vos
savantes instructionset de v s grands exem-
ple's, que nous étudierons de plus près. l'ai
une noble émulation , nous nous croirons
plus obligés d'imiter, s'il est possible, chacun
en notre manière et suivant nos talents,
celte élévation dans les pensées, celle finesse
dans les tours d'esprit , cette pureté et i et le
élégance dans l'expression, qui vous sont si
fialurelles. Nous nous appliquerons avec
plus de soi'i et avec plus de fruit â la re-
eberebe des riebesspa infiai i ' - dans
les antiquités de notre rllle, superbes mo-
numents de || grandeur et de lé in.iL'uili-
cence des Romains. Persuadés que vo- lu-
mières et que rotre éloquence se communi-
quent , nous oserons même avec plis de
sûreté entreprendre de célébrer les vertus
et la gloire d un roi dont les actions immor-
telles peuvent occuper toutes les académies
du monde.
Je devrais m'élendre sur la reconnaissance
infinie que je dois vous marquer de la part
de notre compagnie pour la grâce que vous
nous (ailes ; mais de [dus nobles idées vous
occupent et vous remplissent, elle récit des
exploit-, glorieux de votre auguste prolec-
teur doit, ce semble, vous rendre indifférents
à tout autre discours.
Louis le Grand, dont le nom seul est [\\\
présage de victoire , vainqueur sur les ter-
res du tous si s ennemis, quoique, pour re-
hausser l'éclat de sa gloire , il devrait lui
suffire de vaincre par les mains de tant de
braves guerriers qu'il a formés sur ses exem-
ples, veut encore cueillir lui-même les lau-
riers dont la victoire doit le couronner. 11
part, il se met à la tête d'une armée formi-
dable,; loute la Flandre tremble au seul bruit
de sa marche; les nations frémissent aux
approches de ce héros; une nuée pleine de
tonnerres grossit sur leur tête , l'orage se
forme, la foudre gronde et menace : lout le
monde, attentif sur ces vastes desseins, dont
le secret est réservé à lui seul qui les a con-
çus et qui seul peut les exécuter, attend en
suspens l'événement de ces grands projets;
ils éclatent enfin : Namur est assiégée, Na-
mur, celte place si Gère de sa silualion natu-
relle, de l'abondance de ses munitions , de sa
nombreuse garnison, de la force de ses bas-
tions et de ses remparts, des armes qui la
défendent et des rivières qui l'environnent.
Celte citadelle qu'on n'o-ailallaquer parce
qu'on la croyait imprenable , qui seule a
résisté aux efforts de plusieurs puissances,
cette place, la terreur des plus grandes ar-
mées, enveloppée d'un assemblage de toutes
les espèces de fortifications, que des rochers
escarpés, que des précipices affreux, en un
mot que l'art et la nature rendaient presque
inaccessible, Namur, le plus ûer espoir des
alliés, la première place de l'Europe par l'im-
portance et par la suite de sa conquête, esl
assiégée par l'auguste Louis et réduite en peu
de jours à sa puissance.
En vain un prince ambitieux, en qui une
infinité de nations mettent leur confiance,
enflé par des crimes heureux, soutenu par
les forces de plusieurs rois et de loute l'Eu-
rope liguée contre nous: en va n un nombre
prodigieux de bataillons et d'escadrons, com-
mandés presque tous par des souverains,
s'efforcent au dehors de la délivrer, taudis
qu'une armée entière, animée par le perance
du secours, la défend au dedans, Louis le Grand
force ses remparts, entre dans les tranchées,
11) Flécliier , évèque de Niiues, présent a ce discours.
117
DISCOURS SUR LÀ DOUCEUR DE L'ESPRIT.
118
s'expose au feu dos ennemis, est présenl aux
attaques, anime par sa valeur ses généreux
guerriers; et en moins d'un mois, malgré
l'inconstance des éléments, malgré le ren-
versement des saisons, il soumet la place à
sou pouvoir, il y entre victorieux, et il con-
fond les vains projets de ses ennemis, qui
semblent n'être venus sur les bords de la
Meuse et de la Sambre, avec ces légions in-
finies, que pour être spectateurs des prodi-
ges de l'invincible Louis, et comme les té-
moins de ses victoires et de ses triomphes.
En vain ce prince artificieux, pour couvrir
la honte de ses pertes, livre-t-il un com-
bat (1) dans des conjonctures qu'il croit ,
sur les fausses vues de sa politique, lui de-
voir être favorables : les troupes du roi,
animées par les exemples récents de sa va-
leur intrépide, pleines encore de cet esprit
de force et de celle noble ardeur qu'il vient
de. leur inspirer par sa présence, soutenues
par la sagesse et par le courage de ses géné-
raux, fclhl voir aux ennemis de la France
que les armes de Louis sont toujours prêles
à vaincre quand elles combattent pour lui.
Que ne puis-je, Messieurs, exprimer comme
vous feriez, à la gloire de ce grand roi, la
sagesse de ses conseils , la grandeur et la
hardiesse de ses projels, le bonbeur de ses
entreprises, sa valeur dans les combats, le
nombre et la rapidité de ses conquêtes, cette
intrépidité dans les plus grands périls, cette
grandeur d'âme, ce caractère de perfection
qui l'élève autant au-dessus des autres rois
que les rois sont élevés au-dessus de leurs
sujets, celte supériorité de génie et de puis-
sance qui le fait dominer sur tous les em-
pires de l'Europe, celte prudence consom-
mée qui étonne et qui inslruit les plus ha-
biles politiques , son discernement dans le
choix de ses ministres, ses sentiments de
bonté, de modération, de clémence, de géné-
rosité, de libéralité, de magnificence, son
amour pour la piété el pour la justice, son
zèle constant pour la religion et pour les
intérêts de l'Eglise!
Mais il n'appartient qu'à vous, Messieurs,
de faire un éloge qui remplisse parfaitement
1 idée que nous avons de tant d'héroïques
venus, de soutenir sa gloire dans la situation
et dans l'éclat où elle est , et de lui donner
I immortalité qu'il mérite : car comme sans
lui vous ne trouveriez point de sujet qui fût
digne de vous, aussi sans vous il ne trouve-
rait point d'éloquence qui fût digne de lui.
(l'est donc \ vous seuls, Messieurs, de
célébrer dignement dans vos savants écrits
les laits prodigieux que la sagesse de ce
grand mi lui a fait entreprendre, cl que son
courage lui a fait exécuter. Il vous donne
tous les jours de nouvelles matières d'exer-
cer la plus magnifique éloquence et la poésie
la plus féconde. Vous avez entre \os mains
le précieux dépôt de sa gloire, et vous êtes
(1) Le combat de Sicinkcrque.
(-2) Flécbier.
(•") L'éloge, comme on voit, est vraiment flatteur
pour révéque de Niincs, en présence de Bossuei, qui
chargés de rendre compie aux siècles à ve-
nir des événements miraculeux qui reudent
son règne si florissant.
Pour nous , sur de si beaux modèles, et
formés par les instructions de cet illustre
prélat (2), dont je louerais bien volontiers
les vertus extraordinaires, le sublime génie
et cotte éloquence plus qu'humaine qui lait
l'admiration et, si je l'ose dire, le désespoir
de tous les orateurs français (3), si sa pré-
sence et sa modestie aussi grande que son
mérite ne m'imposaient un silence respec-
tueux, contre mon inclination, et peut-être
contre le devoir de ma juste reconnaissance.
Assurés que par lui les influences de la pu-
reté de votre esprit nous seront communi-
quées plus immédiatement, nous nous effor-
cerons de suivre vos grands exemples; nous
emprunterons de vous les termes dont nous
nous servirons pour louer notre auguste
monarque ; et nous tâcherons , par nos
veilles, par notre travail , par notre applica-
tion, par l'assiduité à nos conférences aca-
démiques, de remplir votre attente, et de ré-
pondre à l'estime que vous avez de nous , et
à l'honneur que vous nous faites aujourd'hui.
Mainlcnant, pénétrés d'un bienfait dont
nous cunnaissons parfaitement la valeur,
nous n'avons plus qu'à vous assurer que
notre reconnaissance durera autaut que le
bienfait même.
DISCOURS
DE LA DOUCEUR DE L'iîSPRIT.
Prononcé à Paris le 1er mai 1685.
Sur ces paroles de Noire-Seigneur : Discite a me qum
milis sum (Mollit., XI, 22).
il y a sujet de s'étonner que les hommes
communément ne rendent pas un témoigna-
ge aussi avantageux qu'ils devraient au mé-
rite de la douceur. Parlc-l-on de la force , on
lui donne demagnifiqucséloges : c'est, dit-on,
cette vertu qui fait les héros , qui rend
un homme l'arbitre souverain de la p lix et
de la guerre, qui soutient les Etats, qui af-
fermit les trônes et les empires, qui brise
l'audace des ennemis, qui imite de plus près
la puissance de Dieu dont elle porte le ca-
ractère. Chacun s'empresse à célébrer sa
gloire par des chefs-d'œuvre de l'art et par
d'immortels écrits; on lui élève des trophées
et de superbes monuments, on donne le nom
de prodiges à ses exploits.
Mais la douceur de l'esprit, dénuée qu'elle
est de tout éclat, peu de personnes prennent
soin de relever sa gloire, à peine lui donne-
t-on rang parmi les vertus ; souvent on la
regarde comme l'effet d'un tempérament
faible el insensible, et comme le partage
d'une âme languissante, qui, ne pouvant se
signaler par des actions généreuses, cherche
quelque gloire dans l'exercice d'une timide
verlu.
assistait à ce discours. La postérité , sans nier les ta-
lents et le mérite incontestable de Fléchier, n'a *)as
ratifié le jugement de l'abbé Bégault.
ll:i
OUATFUKS SACIIKS. BMiAlLi.
120
D'où \ionl la différence de ces jugements?
«•'est sans doule qu'on ne se forme pas de la
douceur la véritable idée qu'on en doit avoir.
Il est vrai qu'il se peut laire que plusieurs
soient trompés dans les sentiments qu'ils ont
de celte verlu : car il est certain que, comme
il y a une vraie cl une fausse humilité, il y
a aussi une vraie et une fausse douceur;
comme il y a une force qui dégénère en té-
mérité, il y a aussi une douceur qui n'est,
à proprement parler, que timidité, tiédeur,
indolence, faiblesse de courage, qui décré-
dite la véritable douceur dans l'esprit de
ceux qui ne savent pas bien distinguer l'une
d'avec l'autre.
Pour détruire la fausse idée qu'on peut
avoir de la douceur, il est nécessaire de
montrer quel est son véritable caractère; et
pour mieux examiner le sens des paroles
qui font le sujet de ce discours, il faut la
considérer en Jésus-Christ, en qui elle a
trouvé un nouveau mérite et une nouvelle
gloire. Nous considérerons donc la douceur
de l'esprit en elle-même et en Jésus-Christ.
première: partie.
On a reconnu depuis longtemps l'erreur
de ces philosophes qui mettaient toutes les
passions .su rang des vices, ne faisant aucune
différence, dit saint Thomas, entre les ac-
tions d'une volonté conduite par les lumières
de la raison, et ces mouvements échappés
qui se passent en nous, sans nous, c'est-
à-dire sans le consentement de notre liberté.
Sur ce principe, les écoles de ces sages nous
ont représenté la douceur comme une vertu
qui e»t blessée par les moindres saillies,
quoique involontaires, de la nature, et ils
ont porté si loin la perfection chimérique de
leur morale, qu'ils ont condamné tous les
actes de la colère, comme des mouvements
déréglés d'une passion toujours vicieuse.
De là celte prétendue imperturbabililé qui
niellait l'âme absolument au-dessus des mou-
vements et du tumulte des passions, au-
dessus de loute sensibilité dans les disgrâces
humaines. Mais ils ne voyaient pas que chez
eux la nature, impuissante ou vaincue, n'of-
frait que des statues inanimées pour de vé-
ritables sages qu'ils promettaient dans les
principes de leur vaine philosophie.
Nous sommes éclairés de plus pures .u-
niières ; instruits dans une meilleure école,
nous savons qu'on nous défend, non pas de
nous mettre en colère, mais de nous y mettre
avec excès, et que celle passion peut quel-
quefois devenir une vertu.
Moïse, de qui l'Ecriture rend ce témoi-
gnage qu'il fut le plus doux des hommes
(Nnni.f XII, 3), ne laissa pas, dit saint Ba-
sile, sans rien perdre de sa tranquillité, de
punir de mort vingt-trois mille des Israélites
qui avaient donné au veau d'or un encens
sacrilège : Mettez-vous en colère, dit David,
mais ne péchez pas (Psal. IV, 5). Ce saint roi,
qui dit de lui-même : Souvenez -vous, Sei-
gneur, <lr David et de toute sa mtinsuélude
(Psul. CXXXJ, 1), a conservé la modération
cl la douceur dans le tumulte des armes et
dans les emportements d'une juste indigna-
tion.
Dieu, dont la douceur est ineffable, parce
qu'il est la boulé par essence, laisse échap-
per de temps en temps des traits de sa colère ;
et le Sauveur du monde, qui se propose
comme le modèle d'une parfaite douceur, ne
le voyons-nous pasdans l'Evangile, armé d'oa
fouet de cordes, pour punir les profanateurs
de son temple Uoan., H, 15) ? D'innocentes
émotions ne déshonorent point la nature ; et
vous, superbes stoïciens, vous les ressen-
tîtes, malgré tous vos efforts, malgré votre
ambitieuse philosophie et les austères lois
de votre morale.
La douceur de l'esprit ne consiste donc pas
à ne se mettre jamais en colère, mais elle
veut qu'on ne s'y mette pas avec excès et
sans raison.
En effet, pour comparer la douceur avec
l'humilité, dont elle est, selon saint Bernard,
la sœur germaine; comme l'humilité peut se
conserver au milieu des grandeurs et parmi
les applaudissements , ainsi la douceur ne
perd rien de son mérite quand elle se trouve
dans une âme qui sait user de la colère avec
une sagesse el une modération qui en repri-
me la violence et les excès.
Par la douceur que Jesus-Christ nous en-
seigne, n'entendons pas une mollesse d'âme
qui, par humeur ou par faiblesse, donne
dans des facilités dangereuses ; ce n'est pas
une souplesse d'esprit qui fait condescendre
sans choix et sans discernement à toutes ks
inclinations des autres, ou qui fait épouser
aveuglément leurs passions ; ce n'est pas une
lâche complaisance qui nous assujettit ser-
vilement aux volontés ou aux caprices de
tous ceux de qui nous avons quelque chose
à craindre ou à espérer ; ce n'est pas non
plus le mouvement d'un esprit adroit et ac-
commodant, qui, pour plaire à toutes sortes
de personnes , par des vues d'intérêt ou
d'ambition, s'assortit à tout, distribue avec
art des caresses, des flatteries, des applau-
dissements, el qui souvent, plus touché de
l'amour de la gloire que des injures et des
outrages qu'il ressent, supprime ou cache
habilement les plus violents transports donl
il se sent agité. Encore moins ligurons-nous
une modération feinte et politique, qui dissi-
mule pour un temps les injures, pour s'en
venger plus sûremeut dans des conjonctures
plus favorables.
' « Qu'est-ce que la douceur? C'est, dit
saint Jean Climaque (Grad. k), une assiette
immuable de l'esprit, qui rend l'homme tou-
jours égala lui-même, soit dans les hon-
neurs, soit dans les mépris. La douceur,
verlu simple, éloignée de loute duplicité, sait
souffrir avec tranquillité les troubles el les
déplaisirs que nous cause noire prochain ;
elle nous porle à prier pour lui avec une
parfaite sincérité, lorsqu'il agit a\ ce injustice
contre nous. La douceur, comme un rocher,
qui. élevé an-dessus de la mer, rompt tous
bs (lots qui h> heurtent, s'oppose au torrent
des inclin liions d'une nature déréglée, e»
19.1
DISCOURS SUR LA DOUCEUR DE L'ESPRIT.
igk
demeure toujours ferme et inébranlable au
milieu des plus violentes agitation». »
Un homme doux est un athlète qui combat
lui seul tout ce qu'il y a de plus difficile à
vaincre au dehors et au dedans de lui-même ;
on le dépouillera de ses biens, de ses hon-
neurs, de ses dignités; on noircira sa vie, on
déchirera cruellement sa réputation par des
calomnies atroces; on lui fera mille insultes
et mille outrages, on donnera un mauvais
sens à ses paroles, une face criminelle à ses
meilleures actions, et il souffrira tout sans se
plaindre et sans en témoigner le moindre
ressentiment, loin d'en méditer la ven-
geance.
Cette vertu ôte l'aigreur à toutes nos ac-
tions, et si la sagesse en est le sel, la dou-
ceur en est comme le miel qui en corrige
l'amertume. Un homme doux ne sait ce que
c'est que de rendre le mal pour le mal, c'est
Une colombe qui n'a point de fiel ; il ne se
venge des injures que par les bienfaits, et il
lui est aussi naturel d'aimer ceux qui l'ont
chargé d'outrages, qu'il le serait à l'homme
colère et emporté d'avoir pour eux de la
haine et de l'indignation.
La douceur, après avoir mis notre âme
comme dans un port tranquille, où nous
sommes à l'abri des agitations qu'excitent
en nous les passions les plus émues, l'or-
gueil, l'envie, la haine, la fureur, les désirs
de vengeance, nous élève en quelque sorte
dès ce monde, par une espèce de ravisse-
ment, jusque dans le ciel, pour y goûter par
avance les fruils d'un éternel repos.
L'homme doux et paisible, comme s'il était
fixe hors la sphère du monde, meut ses pas-
sions sans en être troublé ; toujours dans
une égale situation, tout ce qui fait sortir les
autres de leur assiette naturelle ne sert qu'à
le fortifier et à l'affermir davantage : ses
occupations sont sans embarras, son travail
sans empressement, ses soins sans émotion,
ses désirs sans inquiétude ; son esprit, par-
ticipant à la condition des intelligences su-
périeures, voit sans s'émouvoir l'agitation de
toutes les choses sensibles; son âme, comme
une région élevée au-dessus de l'orage, se
trouve toujours dans une immobile tranquil-
lité; et cette constante égalité, qui est à l'es-
prit ce que le tempérament exquis est au
corps, répand sur son visage un air serein,
qui marque dans un dehors calmé qu'au de-
dans règne une paix profonde, et que les
passions servent l'homme et ne le troublent
pas.
De là nous voyons que la douceur ne con-
siste pas uniquement à réprimer ces empor-
: lemenls extérieurs qui défigurent l'homme,
et qui effacent, pour ainsi dire, ces nobles
traits que Dieu imprima sur lui comme des
caractères animés de son image et de sa res-
semblance. Si nous étudions de près la na-
ture et les qualités de celle vertu, nous ver-
rons qu'elle doit s'appliquer premièrement
ei principalement à travailler au dedans de
l'homme, pour régler les mouvements de son
cœur.
L'homme en proie à des passions muli-
nées, surtout à une colère tyrannique, est
souvent comme le théâtre d'une guerre ci-
vile, qui arme et soulève contre lui toute.*"»
les puissances de son âme, y jette le trouble,
le désordre et une horrible confusion. Que
fait la douceur? Elle commande aux vents et
à la teoipète de s'apaiser, elle fait cesser l'o-
rage, ramène le calme, fait que l'homme pos-
sède son âme dans la patience, lui donne une
force que rien n'est capable d'ébranler, une
modération qui se trouve en lui toujours
victorieuse des saillies de la nature et des
mouvements tumultueux des passions.
Et c'est en quoi consiste le vrai caractère
de la douceur de l'esprit : car nous ne nous
contenions pas ici d'un dehors tranquille et
réglé, il faut que l'âme soit paisible et mo-
dérée. En vain la mer est calme sur ses
bords, si elle est agitée dans son sein par les
orages et les tempêtes. En vain l'homme ex-
térieur paraît doux, si l'homme intérieur est
dans le trouble et dans l'agitation.
Loin d ici ces hypocrites qui disent : Paix,
paix, lorsqu'il n'y a point de paix {Jer., VI,
14); qui, sous une vaine montre de douceur,
cachent une âme agilée de mille troubles;
qui, par une dissimulation artificieuse, souf-
frent en apparence avec tranquillité l'injure
qu'on leur a faite, et qui en gravent d'autant
plus profondément le souvenir au dedans de
leur cœur, qu'ils paraissent plus prompts par
leur silence et une modération feinte à en
étouffer toutes les marques de ressentiment.
Mais quels sont les degrés de la douceur
évangélique ? « Le commencement de la vic-
toire qu'elle remporte sur les mouvements
déréglés de la passion est. dit saint Jean
Cliniaque (Ibid.), le silence" de notre langue
au milieu des troubles de notre cœur; le
progrès de cette victoire est le silence de no-
tre cœur au milieu de quelques légères agita-
tions qu'il ressent encore ; mais la perfection
de cette victoire est une stable et constante
sérénité de notre âme au milieu des mouve-
ments impétueux que la nature corrompue,
comme autant de vents impurs, y excite. »
Sentir les seules passions que la chaleur
du sang élève en nous, ne souffrir que les
premières saillies qui vont plus vile que la
raison, c'est commencer et même s'avancer
dans la pratique de celte vertu. Mais avoir
éteint le feu de la colère, n'en pas ressentir
les premières atteintes , ou les étouffer dans
leur naissance; demeurer ferme et égal, ne
changer jamais de situation, lors même qu'on
voit changer de face à loul ce qui nous envi-
ronne; se troublerquand il lefaut, à l'exemple
deJésus-Chrisl(/oan.,Xl,23;, et n'être jamais
troublé par ses passions, les mouvoir, et n'en
èlrc point ému, régner impérieusement sur
soi-même; être insensible aux divers événe-
ments, non pas par un flegme naturel, ni
par la vertu d'un heureux tempérament,
mais par le secours de la vigilance chré-
tienne, par la force de la grâce, par juge-
ment, pour raison, cl sans s'armer de ces
ambitieuses maximes d'une vainc philoso-
ph e; c'est avoir ai teint le sublime degré do
lu douceur de l'esprit dont nous parlons
IIS
ORATEURS SACRES. BEGAULT.
1..
C'esl l'idée que je CODÇOÏI d'une douceur
parfaite, que imu> devons regarder comme
l'assemblage d'un grand nombre de vcrius;
oar comme le diadème d'un roi est comp
«le plusieurs pierres précieuses, qui forment
celte gracieuse variété dont nos yeux sont
cb armés, c'c-i la comparaison de sainl lean
Climaque, ainsi la souveraine tranquillité de
l'âme comprend plusieurs excellentes vertus:
la constance, la force, la patience, la religion,
la charité, sont les fleurons qui composent
celle glorieuse couronne.
Qu'heureux est celui qui, après mille com-
bats livrés à une foule de passions, après
mille victo;res remportées sur la colère, se
trouve affermi dans une profonde paix que
rien n'est capable de troubler!
Divine douceur, vous êtes comme un avant-
goût de l'éternelle felicilé. vous êtes l'âme
de la société, le lien des cœurs, un des fruits
les plus précieux de la charité. C'est vous
qui retirâtes les bourres des forêts pour les
unir ensemble; vous êtes l'appui de la pa-
tience : mais, c'est tout dire en un mol, vous
êtes la vertu de Jésus-Christ, vous éles la
première leçon qu'il est venu enseigner aux
hommes : Apprenez de moi que je suis doux;
qui de nous ne sera louché de vos charmes?
qui ne s'efforcera de vous acquérir et de
vous conserver, si nous comprenons une
fois ce que vous valez, cl les avantages in-
finis que vous procurez à l'homme chrétien
qui vous possède?
Sur celle idée que je viens de tracer de la
douceur de l'esprit, ne nous rappelons-nous
pas la clémence du roi, et cet accord mer-
veilleux que nous admirons en lui de la ma-
jesté qui répand partout des rayons éclalanis
de grandeur et de gloire, cl de la douceur
qui lui donne un aimable ascendant sur tous
les cœurs? Persuadé que la douceur fait les
héros aussi bien que la force, il ne s'étudie
pas moins à triompher de lui-même par sa
modération, qu'à dompler les nations par sa
valeur intrépide.
N'est-ce pas son amour pour celte char-
mante vertu qui l'a arrélé sur le penchant
de celle course rapide qui le menait à la con-
quête de toute l'Europe, qui lui a fait accor-
der la paix lorsqu'il était en étal de (ont
vaincre, et qui, après avoir surmonté ce qu'il
y a de plus redoutable sur la lerrc, lui a fait
vaincre la victoire même par une douceur
et une modération dont nous ne voyons point
d'exemple? Prêt à lancer la foudre sur des
nations ingrates et perfides, quelle gloire de
leur faire trouver leur bonheur dans les lois
qu'il leur impose! Après s'en être fait crain-
dre par mille prodiges de force el de valeur,
qui ont rempli l'univers du bruit de son nom
el de ses victoires, quelle gloire de s'en faire
aimer par dos traits aussi éclalanis do dou-
ceur et de clémence !
N'est-ce pas encore par celte vertu qu'il
triomphe des ennemis de l'Eglise, en détrui-
sant l'hérésie par ses bienfaits cl par les
moyens doux et pacifiques qu'il emploie si
sagement pour al atlre cette hydre fatale qui
causa tant de maux à la France? Heureux
si, comme nous avons sujet de l'augurer,
nous vovons bientôt ses vaux el ses nobles
projet i entièrement accompli- !
Après avoir considéré la douceur de l'es-
pril en elle-même, il faut que nous la consi-
dérions en lésut-Christ : car où devons-nous
chercher s on véritable carai 1ère, (juin celui
qui en est le maître, le modèle et le motif
(oui ensemble? Apprenez de moi que je suis
doux.
Dl-.l XIÈMI l'AUTIK.
Dieu csl non-seulement doux, mais il est
la douceur et la bonlé par essence : .Si/ at-
teint mec foi ce aux fins que se propose sn
providence, il en d moyens avec dou-
ceur [S ip., VIII, 1 .... Il ne .se Ira ive p<> ut
dans le tumulte, ni dans l'agitation (III Haj-,
XIX, 11 ; mouvant toutes choses il demeure
dans une immobile tranquilli e; la sévérité
est étrangère à sa nature : dans le for! même
de sa colère ii laisse toujours échapper des
traits de sa bonté; il souffre avec patience et
avec douceur des votée d'indignation propres
à être irisés (Rom., IX, 22).... Miséricordieux
jusque dans sa colère (Jlab., 111,2), il ne
punit les méchants que pour les rappeler à
lui; c'esl en pè:e ou en médecin qu'il les
châtie, ou pour les corriger, ou pour les
guérir; s'il fait gronder sur eux son ton-
nerre, ce n'est que pour les réveiller de leur
assoupissement; ses i iséricorde< s'étendent
sur toutes ses œuvres lPsal.CXlAY,9).
Dans l'ancienne loi, les hommes s'étaient
formé de Dieu des idées bien différentes de
celles que nous en avons dans la nouvelle.
Le Juif, toujours en crainte, a bien plutôt
adoré un Dieu terrible qu'un Dieu plein do
douceur el de bonlé; il l'a cru plutôt p
lancer des foudres qu'à répandre des grâces;
il l'a presque toujours envisagé comme un
maître sévère el comme an juge formidable,
plutôt que comme un père tendre el bien-
faisant; il ne voulait pas que Dieu lui parlât :
Parlez-vous min e. disail-il à Moïse.... mais
que le Seigneur ne nous parle pas, de peur
que nous ne mourions [Exod., XX, 19).
Il est vrai que cette loi de rigueur écrite
sur de la pierre, donnée au bruit du tonnerre
et parmi les éclairs, semblait contribuer à
inspirer de Dieu des sentiments de teneur.
Ceux mêmes qui s'étaient formé une meil-
leure idée de la bonté el des autres attributs
de Dieu ne croyaient pis pouvoir imiter un
si parfait exemplaire, ils se contentaient d'i-
miler quelques traits de la douceur de Moïse,
de David et de quelques autres >ainls per-
sonnages qui semblaient être plus à leur
portée, ne pouvant se persuader que la fai-
blesse de l'homme pût atteindre si haut que
de se | roposer la douceur d'uu Dieu pour le
modèle de leur imitation.
Mais, depuis que Dieu s'est rendu sem-
blable à nous, depuis qu'il a tempei.
rayons de sa majesté el de s i gloire par les
ombres de noire mortalité, il nous a fait
comprendre que non-si ulemenl u >US
rions, mais encore que nous devions imiter
en lui ces grandes vertus qui serveut de Ion-
1<25
DISCOURS SUR LA DOUCEUR DE L'ESPRIT.
426
dément à la inorale du christianisme, et qui
en composent l'esprit, puisqu'il a voulu
qu'une des premières leçons que nous ap-
prissions de lui fûl la douceur de l'esprit et
l'humilité de cœur.
Quand Dieu, au commencement du monde,
a créé le ciel et la terre, quand par sa sa-
gesse infinie il a établi dans la nature cet
ordre admirable qui publie avec tant d'éclat
sa grandeur et sa gloire, quand par sa toute-
puissance il a lire du néant ce grand uni-
vers, quand pour manifester sa gloire il a
délivré un peup'e choisi d'une dure captivité,
en lui traçant un chemin sec au milieu des
mers, quand dans la plénitude des temps,
revêtu de notre nature, il a ressuscité les
morls, délié la langue des muels, donné la
vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, guéri
les lépreux, affermi les membres languis-
sants des paralytiques, il ne s'est pas proposé
pour être notre modèle, dit saint Augustin;
mais quand, dépouillé, pour ainsi dire, de
sa force, il a pratiqué la douceur de l'esprit,
c'est pour lors qu'il s'est donné pour notre
exemplaire : Apprenez de moi, dit-il, que je
suis doux. Adorable Sauveur, réduisez-vous
donc les oracles de votre sagesse à nous ap-
prendre que vous êtes doux et huinbie de
cœur? Paroles qui renferment et l'exemple
qui charme et la loi qui commande.
En quelque état que je regarde Jésus-
Christ, je vois partout des traits de cette ai-
mable douceur. Avant son incarnation, il est
dit de lui, sous le nom de la S ige^se, que
son esprit sera |. lus doux que le miel : Spiri-
tus meus super mel dulcis (Eccli., XXIV, 27).
Quand il vient au monde, il ne se fait point
appeler juge, maître, Dieu des armées, Dieu
des venge.mces, il laisse ces noms, propres
à imprimer de la crainte et de la (erreur; il
veut être appelé père, époux, pasteur, Agneau,
Dieu de toute consolation, prince de la paix,
noms de douceur et de miséricorde. Il pre.d
la forme d'un enfant, symbole delà douceur.
Fut-il jamais une douceur pareille à celle de
Jésus— Cinist ? A-t-il disputé, a-t-il crié, a-
t-il fait entendre sa voix dans les mes ? A-t-il
brhê le roseau déjà cassé? A-t-il achevé d'é-
teindre la mèche gui fumait encore {Mai th.,
XII, 19, 20)?
W a reçu favorablement les pécheurs et les
puhlicaius, il a mangé avec eux; il a par-
donné à des coupables condamnés par leurs
propres crimes ; une femme adultère, co -
iuse et humiliée, trouve grâce devant ses
yeux ; il va chercher la Samaritaine avec
beaucoup de fatigue ; il fait miséricorde à la
pécheresse de Jérusalem ; sous la figure d'un
pasteur tendre qui court après une brebis
ég< rée, et qui , loin de la maltraiter, la
charge amoureusement sur ses i paulcs, pour
la remettre dans le bercail, il cherche avec
mille empressements amoureux l'àme qui
par ses infidélités s'était éloignée de lui, et
la l'ait rentrer dans les sentiers de la justice.
Avec quelle bonté supporla-l-il les fai-
blesses et le peu de foi de se, apôtres I Jac-
ques et Jean, par un esprit d'aigreur, lui
demandent-ils qu'il fisse descendre le feu du
ciel sur les habitants de Samarie, pour punir
leur dureté et leur ingratitude? avec quelle
douceur an ête-l-il l'emportement de ce zèle
amer? Vous ne savez, leur dit-il, quel esprit
vous anime (Luc, IX, 54). Commen; le
voyons-nous entrer dans Jérusalem? en roi
doux et pacifique : Ecce rox tuus venit tibi
mansuetus (Matth., XXI, 5). El, pour cou-
ronner sa vie par les actes d'une incompar -
ble douceur, les Juifs ingrats et perfides
l'attachent— ils à un infâme bois? il conjure
son Père de leur pardonner; au milieu des
oulrages dont il est chargé, au milieu des
opprobres dont il est rassasié, au milieu de
mille tourments que la cruauié d ; monde
la plus barbare lui fait souffrir, comme un
agneau patient et doux (Isa., LUI, 7), po.ur
me s*rvir de l'expression d'u n prophète, ou
comme une bre'iis innocente qu'on mène à la
mort, vi' lime de sa mansuétude et de sa cha-
rité, il n'ouvre pas seulement la bouche pour
se plaindre. Exemples étonnants qui nous
persuadent bien plus efficacement que les
discours les plus éloquents et les plus pathé-
tiques 1
Après cela, n'est-ce pas avec justice que le
Fils de Dieu nous dit : Apprenez de moi que
je suis doux. Cœurs pétris de fiel et d'absin-
the, vous n'aurez point de part à l'esprit de
Jésus-Christ, si, dociles à ses divines leçons,
vous n'êtes continuellement en garde contre
les excès et Ses emportements de la colère,
pour les réprimer. Et vous qui reçûtes la
douceur des mains de la nature, ne vous
croyez pas dispensés de l'attention qu'il faut
avoir à chaque moment sur soi même, pour
vaiucre les pas ions qui peuvent troubler en
nous le repos et la tranquillité.
Efforçons-nous tous d'acquérir et de con-
server la douceur : le modèle en est élevé et
pénible, miis le maître qui nous anime con-
naît notre faiblesse, et sait jusqu'où peut al-
ler la force de si ^râce; ses exemples no.us
imposent l'obligation de l'imiter; car il ne
suffit pas d'être doux, si nous ne le sommes
comme Jésus-Christ même. Après une ex-
hortation si vive et si tendre de la part de Jé-
sus-Christ, qui de nous ne se sentira excité
fortement à pratiquer la douceur?
Souvenons-nous qu'elle nous fait propre-
ment disciples de Jésus-Christ, qu'elle nous
fait vivre de son esprit, que par elle nous
acquérons la perfection du christianisme :
c'est le saint chrême, composé d'huile et do
baume, symboles sacrés de la douceur el de
l'humilité, qui nous fait parfaits chrétiens ;
ce sont les hommes doux et pacifiques qui se-
ront appelés enfants de Dieu (Matth., Y, !)).
Par la douceur nous répandons la bonne
odeur de Jésus-Christ.
Souffrons avec tranquillité les afflictions ,
les disgrâces, les infortunes; adorons avec
respect, sans nous plaindre, les plus rudes
dispositions de la providence de Dieu sur
nous. De la part de notre prochain, endurons
sans chagrin, sans aigreur, sans murmure ,
les injustices, les injures, les outrages, la
perte de nos biens; ayons une pitié tendre
1-27
OIIATKIKS SACRES. DOM JEROME.
itH
pour si-s faiblesses, une indulgence charita-
ble pour ses défauls.
Mais en vain espérons-nous acquérir la
douceur, si nous ne triomphons des passions
qui nous dominent. Samion ne trouva le
rayon de miel que dont In ijueule du lion égor-
gé et mis en pièces (Judic, XIV, 0 et 8) :
étouffons la colère, ou du moins enchaînons
ce monstre furieux par la patience et par la
modération.
Ador,.l)le Sauveur, qui, par vos paroles et
encore plus par vos exemples, nous avez
enseigné la douceur de l'esprit, joignez à vus
divines leçons la force et l'onction de votre
grâce qui nous la fassent aimer. Otez-nous,
Seigneur, ce cœur de pierre et de diamant si
contraire a la douceur de voire esprit; don-
nez-nous-en, suivant votre promesse, un de
chair Exech.t\l, l'.ij, où vous grai iex pro-
fondément la loi de la douceur avec les plus
vifs lra.il* de votre amour, Prévenez-nous des
bénédictioni de votre divine douceur. Faites
que nous soyons <!u nomhre de ceux qui
possèdent en patience la terre que vous avez
pi omise aux cœurs doux et pacifiques !
()lj-ecro vos per mansuetudinem et modes-
tiam CkfiitiÇli Cor., X, 1 .
NOTICE SUR DOM JEROME.
Geoffrin ou Jofrain (Claude), plus connu
sous le nom de Dou Jérôme, naquit à Paris
vers l'an 1639. Entré d'abord dans l'ordre de
Saint-François , il embrassa ensuite celui
des Feuillants, où il remplit les charges de
prieur, de visiteur et d'assistant général. 11
prêcha avec succès à la cour et dans la ca-
pitale ; mais, s'étanl trou\ é impliqué en 1717
dans les controverses jansénistes, il fut exilé
à Poitiers. Néanmoins il put revenir à Paris,
où il mourut en 1721, âgé de quatre-vingt-
deux ans. Ses Sermons furent publiés à Pa-
ris en 1737, en 5 vol. in-12, par Joli de
Fleury, chanoine de Notre-Dame. L'année
suivante, il eu parut une nouvelle édition à
Liège, également eu 5 vol. in-12, chez Bron-
cart. Celle édition, corrigée avec le plus
grand soin, est celle que nous reproduisons.
Les sermons de Geoffrin embrassent toute
l'année ecclésiastique, et sont suivis de plu-
sieurs discours sur différents sujets. Son
style, clair, simple, correct, est quelquefois
dépourvu d'art et d'agrément. On a dit que
son action, pleine d'onction et de dignité,
son débit animé et pathétique, ajoutaient
beaucoup au mérite de ses compositions, et
contribuèrent, plus que ses œuvres oratoi-
res, à sa renommée comme prédicateur ; ce-
pendant, s'il néglige les ornements et les
fleurs du langage, on convient assez géné-
ralement qu'il rachète cet avantage par la
solidité des pensées, la force du raisonne-
ment et une élude approfondie des livres
saints.
SERMONS
DE DOM JÉRÔME.
SERMON
POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.
Qui per lidem vicerunl régna, operali sunt jusliliam,
adepli suni repromissiooes.
Par la foi ils ont acquis des royaume i, ils ont accompli
s devoirs de la justice, cl ils ont reçu les effets des pro-
esses illebr.. XI. 55k
les
messes (llebr., XI, 55).
Ces paroles de l'apôtre saint Paul renfer-
ment toute l'histoire des saints, et compo-
sent un éloye admirable à la gloire de lous
ceux que l'Eglise honore en commun dans
la solennité qui nous assemble. Par la foi
qui les a éclairés, ils ont jugé le monde, ils
ont vaincu tes charmes et triomphé de ses
efforts : l'er fidem vicerunl rer/i.a; par la
grâce qui les a soutenus ils ont accompli
toute justice : Operali sunt justitiam ; et en-
fin la miséricorde de Dieu a couronné en
eux ses propres dons : Adepli sunt repro*
misnones. C'est dans cet état que l'Eglise les
expose aujourd'hui à nos yeux , pour nous
inviter tout ensemble à les honorer et à les
suivre : c'est à quoi je veu\ vous porter dans
ce discours, mais il est nécessaire aupara-
vant de remarquer :
1" (Jue nous lous qui avons été baptisés et
régénérés en Jésus-Chrisl sommes appelés à
la gloire que les saints possèdent , que nous
n'avons qu'une seule affaire au monde, qui
est de conserver la grâce de notre adoption
cl le droit qu'elle nous donne à la gloire, Bt
de travailler à notre sanctification -, ù qu il
v a des obstacles dans la recherche de 1<j
SERMON POUR LA FETE DE TOUS LES SAINTS.
129
gloire qu'il faut vaincre nécessairement ;
3 qu'il y a des moyens qui nous y condui-
sent qu'il faut embrasser, si nous voulons y
arriver.
L'établissement seul de ces principes nous
fait connaître ce qui met la différence entre
les saints qui possèdent la gloire actuelle-
ment, et ceux qui en sont exclus. Les saints
la possèdent parce qu'ils ont vaincu les ob-
stacles qui se sont opposés à eux dans la
recherche qu'ils en faisaient, et qu'ils ont
embrassé les moyens par lesquels on en ac-
quiert la possession ; les autres en sont ex-
clus parce qu'ils se sont laissé vaincre par
les obstacles que les saints ont surmontés
parla foi, et qu'ils ont négligé les moyens
que les élus ont embrassés. Ainsi , mes frè-
res, pour louer les saints et vous instruire,
je vais vous marquer dans les trois parties
de ce discours ce qu'ils ont fait pour arriver
à la gloire qu'ils possèdent.
1° La foi a été triomphante dans les saints
de tous les obstacles qui s'opposent à l'ac-
quisition de la gloire : Per (idem vicerunl
régna : première partie; 2° la charité a été
agissante par les saints dans tous les moyens
qui conduisent à la possession de la gloire :
Operali sunt justitiam : seconde partie ; 3° la
foi et la charité ont été couronnées dans les
saints par la miséricorde de Dieu, qui les
met en possession de la gloire qu'ils ont ac-
quise : Adepti sunt repromissiones : troi-
sième partie.
Demandons les lumières du Saint-Esprit
par l'entremise de Marie. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Quoique les premières paroles de mon
texte ne soient pas prises dans leur sens na-
turel, il faut néanmoins avouer que le sens
que l'Eglise leur donne par l'application
qu'elle en fait, est une explication admira-
ble des effets que la foi a produits dans les
saints, et une excellente leçon pour tous les
chrétiens qui prétendent à la gloire qu'ils
possèdent. Dans leur sens naturel, elles ne
contiennent proprement qu'un récit des vic-
toires éclatantes qu'ont remportées Josué,
(îédéon cl David sur les ennemis du peuple
de Dieu ; et dans le sens que l'Kglise leur
donne par l'application qu'elle en fait et par
celle que j'en fais après elle, elles contien-
nent toutes les victoires éclatantes et secrè-
tes que les saints ont remportées sur le dé-
mon cl sur le monde. Car, mes frères, il faut
remarquer que, comme le démon travaille
toujours à traverser les desseins de Dieu sur
ses élus, il s'applique à établir en eux un
règne qui détruise le règne de Dieu , et vous
savez sans doute qu'il faut que Dieu règne
dans l'homme, si l'homme veut régner avec
Dieu ; que son règne ne s'établit en nous
dans le monde que par la charité, et que
nous ne régnerons pas avec lui dans la
gloire, à moins -que le royaume de Dieu, qui
e>l celui de la charité, ne soit en nous. Or le
démon travaille de sa part a détruire en nous
le règne de Dieu, pour en établir un autro
que l'Kcriture appelle fanldl le règne du pé-
130
ché, d'autres fois le règne du monde, dont
elle dit que le démon est le prince, et il se
sert de deux moyens différente pour venir à
celte fin : par l'espérance des biens qu'il
nous promet, il nous abuse en nous flattant ;
par la crainte des maux, il nous épouvante
en nous menaçant. En effet, ôtez aux hom-
mes le désir de posséder les biens qui les
flattent, et la crainte de perdre ce qu'ils pos-
sèdent et de tomber dans les maux qu'ils
appréhendent, vous détruirez l'empire du
démon et vousétablirezeelui de Dieu.Nenoiss
laissons point aller aux p'aisirs, et ne nous
étonnons point des maux que nous pouvons
ressentir, et nous aurons vaincu le monde.
C'est, mes frères, ce que la foi a fait dans
les saints : elle leur a fait vaincre également
tous les charmes du monde et tous les ef-
forts du démon. lu Elle leur a fait regarder
avec mépris tous les biens que le monde
nous offre, parce qu'elle leur en a fait con-
naître la vanité; 2° elle leur a fait regarder
sans crainte tous les maux dont le démon
nous menace, parce qu'elle leur en a fait
connaître l'impuissance, et même elle a fait
voir de véritables maux dans les biens
apparents dont il nous abuse, et des biens
véritables dans les maux apparents dont il
nous menace, ce qui les a fait triompher de
ses charmes et de ses efforts.
Oui, mes frères, la foi leur a fait mépriser
les biens que le monde nous offre, parce
qu'elle leur en a fait connaître la vanité, et
c'a été en leur apprenant à en juger de ces
trois différentes façons, que je vous prie de
bien remarquer : 1° sur la manière dont
Dieu en parle dans les saintes Ecritures, et
non pas sur ce que le monde en dit; 2° sur
ce qu'ils sont en eux-mêmes, et non pas sur ce
qu'ils paraissent à nos yeux ; 3° sur ce qu'ils
doivent être un jour, et non pas sur ce qu'ils
sont à présent.
Ils en ont jugé par les lumières de Dieu,
qu'ils ont tirées de l'Ecriture sainte, et non
par celles du monde: c'est le premier avan-
tage que la foi a produit dans les saints : car,
comme dit l'Apôtre, les hommes terrestres
sont tels qu'a été l'homme terrestre, et les
hommes célestes sont tels qu'a été l'homme
céleste. Cet apôtre nous a voulu marquer
par ces paroles la grande différence qu'il y
a entre ceux qui agissent par la foi et ceux
qui agissent par les fausses lumières de la
raison humaine et corrompue. Et en effet,
mes très-chers frères, deux hommes régnent
dans le monde, l'homme céleste et l'homme
terrestre, et il est certain que la vie que mè-
nent tous les hommes doit être nécessaire-
ment animée de l'esprit de l'un ou de l'autre
de ces deux hommes. Le monde vit de la vie
de l'homme terrestre, les saints vivent de la
vie de l'homme céleste : c'est ce que l'Apôtre
appelle dans un autre endroit, vivre de la foi.
Or ceux qui vivent de la vie de l'homme cé-
leste sont tels que l'homme céleste : ils pen-
sent comme l'homme céleste, ils parlent
comme l'homme céleste, ils jugent comme
l'homme céleste; de sorte que l'homme cé-
leste disant par la bouche de ses prophètes
131
ORATEURS SACRES. DO.M JEROME.
43Î
que les biens du monde ne sont devant Dieu
que de la poussière que le vent emporte, que,
de la boue qu'on fouie aux pieds, qui. s ne
sont qu'un néant et ne doivent passer que
poar un néant dans l'esprit de ceux qui crai-
gnent Dieu, ils se soûl remplis de ces véri-
tés, et comparant ensuite la conduite de
l'bomnie céleste avec ses paroles, ils ont re-
connu qu'il a méprisé ces biens poui
brasser la pauvreté et l'ignominie de la
croix. Ainsi, du langage cl de la conduite de
l'iiommc céleste, ils ont appris à ne se pas
prévenir et à ne pas donner mal à propos et
aveuglément d;ins toutes les idées du monde,
à ne pas toujours suivre son eboix, mais à
se servir des lumières de la foi pour juger de
ces biens, non pas par ce qu'ils paraissenl à
nos yeux, mais par ce qu'ils sont en eux-
mêmes. En effet, si ces grandeurs du monde
qui environnent les princes servent à les dis-
tinguer, elles ne sont pas cependant les mo-
tifs de l'honneur que nous leur rendons; les
chrétiens les honorent pour obéir à la loi de
Dieu qui l'ordonne, el pour honorer Dieu
lui-même dans ces illustres images de sa
puissance et de sa majesté : les grandeurs
mêmes qui ne servent qu'à rendre ces quali-
tés sensibles dans la personne des princes,
ne servent plus de rien quand les princes sa-
vent se distinguer par un mérite éclatant et
par des vertus aussi rares que solides; ainsi,
quand nous jugeons par la loi, nous ne
comptons pour rien tout ce vain éclat des
grandeurs de la terre, nous les regardons
avec les saints par les vues de la loi, comme
une vapeur qui s'évanouit à nos yeux, et la
foi leur a fait voir, comme dit admirablement
bien saint Bernard, que tout ce qu'ils ont de
plus solide ne va tout au pius qu'à donner
un faible remède à des maux que la cupidité
cause en nous, et dont un peu de courage
et de force peut nous guérir sans leur se-
cours.
Car les hommes attachés aux biens de la
terre désirent presque toujours ce qu'ils
n'ont point, ils n'aiment pas ce qu'ils ont; et
ce qu'ils ont et ce qu'ils aiment n'est pis ca-
pable de les rendre heureux; mais les saints
ont regardé tous ces biens beaucoup au-des-
sous d'eux, et écoulant le témoignage de la
foi sur la solidité des biens éleruels , ils ont
reconnu que le chrétien qui vit de la vie de
Dieu ne devait avoir que du mépris pour ce
qui est au-dessous de lui, et que, comme dit
1 Apôtre, ils ne devaient point considérer les
choses visibles, mais les invisibles, parce
que, comme ajoute le même apôtre, les cho-
ses visibles son1, temporelles, et les invisi-
bles sont éternelles. Faisons ici une poin-
ture du monde, mes très-chers frères. Toute
la nature humaine est comme un grand
fleuve, qui, sortant d'une région inconnue,
se va perdre dans une autre que nous ne
connaissons point, et qui dans le milieu de
sa course excite qui Ique bruit en passant.
D'où sont venus tous ceux que nous avons
vus Oflttfe? On sont ailes tous ceux que nous
avons vus mourir? Qu'est devenue la fortune
de ceux avec qui nous avons vécu? Mon
Dieu, qu'est-ce que le monde et tous ses
biens?
C< pendant, mes frères, dans le temps que
nojs jouissons de ces plaisirs, ils soni capa-
bles de nous ench .ntor, i la vue de la foi ne
i écouvre ce qu'ils doivent devenir, el
ne noos garantit de leurs charmes.
Ainsi les saints ont regardé le inonde avec
mépris dans les teints même les plus beu-
i eux pour eux : la foi leur a fait dire ce que
disait excellemment saint Augustin : Pour-
quoi voulez-voui que je me rejouisse, si je
me »oi in quelque prospérité selon le
monde.' N'e-i-ii pas vrai que tous ces a\an-
lages passent en un moment?
C'est par là, mes frères, qu'ils ont vain u
les obstacles que le inonde a opposés à la re-
chen lie qu'ils ont faite de la gloire à la-
qu< Ile Dieu les avait destinés. Us ont triom-
phé de ses charmes en suivant les lumières
de la loi, qui leur a fait voir que Dieu parle
dans l'Ecriture sainte de es biens autre-
ment que le monde, que ces biens sont fai-
bles et impuissants, el que leur durée n'est
que d'un moment; encore est-elle interrom-
pue par mille inquiétudes et troublée par
mille chagrin-. Ses cffort> n'ont pas été plus
puissants que si s charmes, il n'a pas g
davantage par ses menaces sur leurs esprits
que par ses promesses; et la foi, qui les a
rendus insensibles à ses biens, les a ren-
dus de même intrépides à la vue de tous ses
maux.
La foi leur a lait entendre avec respect
cette voix de Dieu qui dit dans l'Evangile
que ITîglise nous a fait lire aujourd'hui :
bienheureux ceux qui souffrent persécution
pour la justice , bienheureux ceux qui sont
pauvres. Etrange différence des sentiments
de Jésus-Christ et de ceux du mondel Non,
m s frères, les maximes de Jésus-Christ et
celles du monde ne s'allieront jamais ensem-
ble- La foi leur a fait regarder avec mépris
les efforts impuissants du monde el du dé-
mon, qui, ne pouvant tout au plus leur ôter
que des richesses ou de l'honneur, la santé
ou la vie, n'étaient pas capables de leur
faire perdre leur Dieu, ni de leur ravir par
conséquent le seul bien qui nous rend heu-
reux : ils ont méprisé tous les efforts du
monde. Toutes les puissances de la terre, ir-
ritées contre moi, ne me peuvent ôter que ce
que je dois perdre nécessairement, ont-ils dit,
et la vie qui passe emportera tout. Et en-
suis, considérant les récompenses que Dieu
destine à celle générosité, qui nous lait per-
dre avant le lemp-, pour son amour, ce que
nous ne pouvons pas conserver toujours ;>ar
tous nos soins, la foi leur a fait sentir l'effet
de cette parole de l'Apôtre, lorsqu'il nous dit
que le moment si cour! et si létjer des afflic-
tions que nous souffrons en cette vie, produit
un potdi éternel de gloire. Achat admirable,
dans lequel on ne considère ce que l'on
quitte que par h vue de ce qu'on acquiert,
il par la foi ils ont triomphé du monde,
ils ont surmonté les efforts du démon ; cl, pé-
nétrés des lumières de la loi, bien loin d'a-
voir regardé le* tourmenta avec effroi et les
133
SERMON POUR LÀ FETE DE TOUS LES SAINTS.
131
bourreaux avec indignation, ils les ont vus
au contraire avec amour, sachant bien que
leurs efforts étaient inutiles, et que, quoi-
qu'ils eussent la volonté de leur nuire, ils
n'en avaient pas la puissance.
Mais il ne suffit pas de vous avoir fait voir
le triomphe que la foi a fait remporter aux
saints sur les obstacles que le monde leur a
opposés dans la recherche de la gloire, il
faut vous faire voir cette foi agissante dans
les sainls par la charité, qui leur a fait em-
brasser tous les moyens qui conduisent à la
gloire : Operati sunt justitiam : c'est le second
point.
SECONDE PARTIE.
Je ne m'arrêterai pas ici à vous dire que
la foi est inutile sans les œuvres de la cha-
rité : il faut être frappé d'un aveuglement
déplorable pour ne pas reconnaître une vé-
rité si constante dans l'Ecriture, et pour
croire que la foi seule peut nous sauver
sans les œuvres que la charité nous fait faire.
Je suppose donc cette vérité, selon ces pa-
roles de saint Paul que j'ai choisies pour mon
texte. Les sainls, dit cet apôlre, ont vaincu
pai' la foi tous les obstacles que le monde leur
a opposés; et comme s'il appréhendait qu'il
ne se fût pas suffisamment expliqué, il
ajoute: Ils ont accompli les devoirs delà jus-
tice; or, mes frères, il y a ici deux choses à
considérer, dont nous devons tirer deux im-
portantes vérités pour la gloire des saints et
pour notre instruction : 1 "C'est que les saints,
éclairés par la foi dont ils étaient remplis,
ont reconnu qu'elle ne suffisait pas, mais
qu'il fallait agir selon ses lumières; 2° ils ont
connu que, pour agir parfaitement, il fallait
accomplir toute justice, d'où je tire ces deux
conséquences pour notre instruction : la pre-
mière, la nécessité d'agir; la seconde, la ma-
nière d'agir.
Et d'abord il ne faut que jeter les yeux sur
la conduite des sainls, pour être persuadé
qu'ils ont cru qu'il fallait agir pour le salut.
La vie laborieuse qu'ils ont menée sur la
terre est une excellente preuve de leurs sen-
timents, et ils auraient moins travaillé pour
acquérir le ciel, s'ils avaient cru que, pour
en être digne, il suffisait de croire en celui
qui le donne.
Je ne m'arrêterai pas à vous faire voir en
détail la conduite qu'ils oui tenue ; car, outre
qu'on y cnlre lorsqu'on fait leur éloge en
particulier, il faut convenir qu'il est beau-
coup plus utile de recourir aux principes
qui les ont fait agir, pour reconnaître noire
aveuglement, puisque, prétendant à la même
gloire, nous suivons une conduite tout op-
posée à celle qu'ils ont suivie. Oui, mes frè-
res, ils ont reconnu que le salut consiste
dans l'union de la foi avec les œuvres, et
qu'il ne suffit pas, comme dit le S inveur du
monde, de l'appeler Seigneur, pendant que
vous ne faites pis eo qu'il vous dit : c'e t être
un moqueur, dit saint Augustin, que d'ap-
peler Dieu son Seigneur, et de ne pas obéir
a ses commandements, parce que les œuvres
doivent être le sceau de la foi. Ils ont recon-
nu que la vie chrétienne doit être conforme
à la sainteté de notre baptême ; que, la vie
n'étant donnée que pour l'action, nos actions
doivent être saintes, puisque, comme enfants
de Dieu, nous recevons un principe de vie
divine ; que, comme nous avons -été revêtus
de Jésus-Christ dans ce sacrement, c'est-à-
dire unis à lui, et rendus semblables à iui
par la grâce de notre consécration, nous
sommes aussi obligés de nous rendre sem-
blables à lui dans notre conduite, afin qu'il
paraisse par nos actions que nous sommes
animés de sa vie, et qu'on reconnaisse que
nous sommes véritablement transformés en
Jésus-Christ.
Ils ont reconnu que, quoique Dieu nous
donne la gloire gratuitement, il nous la
donne néanmoins comme la récompense de
nos bonnes œuvres; car voici l'économie du
salut depuis son commencement jusqu'à sa
consommation. Il commence par la miséri-
corde de Dieu qui nous prévieni, puisque
ce qui précède tout mérite n'en suppose au-
cun. Après cette miséricorde, notre volonté
s'unissant aux dons de Dieu produit les bon-
nes couvre^ avec la grâce et par la grâce. Or,
les bonnes œuvres nous méritent la récom-
pense et la possession de la récompense éter-
nelle, et c'est ce que nous appelons le salut.
Efforçons-nous, mes très-chers frères, d'as-
surcr'nolre vocation et notre élection par les
bonnes œuvres, comm;; l'apôtre saint Pierre
nous le recommande; car celte gloire qui
est appelée dans l'Ecriiure un prix et une
récompense, ne s'accorde qu'à ceux qui ont
travaillé. Cette gloire qui est appelée l'héri-
tage des enfants de Dieu ne se donne qu'à
ceox qui ont fait les œuvres de Dieu, et c'est
une erreur insoutenable de croire que nos
œuvres ne servent de rien à notre salut, par-
ce qu'elles ne peuvent rien changer dans les
ordres ni dans les décrets de Dieu ; elles en-
trent, mes frères, dans l'ordre de Dieu, et il
n'exécute les desseins qu'il a formés sur
nous que par les œuvres que la charité nous
fait faire: ainsi nous tîevons travailler
comme si tout dépendait absolument d « nous,
et demander miséricorde à Dieu continuelle-
ment, et attendre tout de lui comme si rien
ne dépendait de nous, et que nous fussions
absolument inutiles atout. C'est cet admi-
rable mystère qu'lsaïe nous explique, lors-
qu'il nous excite à acheter, mais à acheter
sans argent. Nous l'achetons, celle gloire,
et néanmoins clic est toute gratuite, parce
que le travail même par lequel nous l'ache-
tons est un effet de la grâce que met en nous
celui qui nous l'a destinée.
Enfin, mes frères, ces illustres saints dont
nous honorons la mémoire ont bien compris
qu'il ne suffisait pas de bien commencer,
mais qu'il fallait toujours marcher dans les
voies du Seigneur pour mériter la récompense
(| i et promise à ceux qui persévéreront
in'à la fin. Ils ont r ,\ec crainte
l exemple de Lotli, qui (initie la ville de So-
dome, qui se sépare «le, pécheurs, qui est
conduit par l'ange du Seigneur sur la mon-
tagne et dans un lieu de sûreté en apparence,
135
ORATEURS SACRES. I)OM JEROME.
150
et où il tombe néanmoins dans un désordre
épouvantable, parce qu'il s'y endort, c'est-à-
dfre, selon les saints Pères, parce qu'il cosse
d'y Taire le bien. Mais les saints OOl élé non-
seulemenl convaincus qu'il fallait agir pour
le salut, mais ils ont encore élé persuadés que,
pour agir pour le salut, il fallait accomplir
les œuvres de la justice.
En ellet il ne suffit pas de se dire serviteur
du Seigneur, il faut encore garder ses pré-
ceptes, afin de remplir toute justice. Or, mes
frères, qu'est-ce qu'accomplir la justice? Ce
n'est autre chose, selon saint Chi ysoslome,
qu'un parfait accomplissement de tous les
commandements de Dieu. Car, selon l'expres-
sion de L'Ecriture et l'interprétation des
saints Pères, remplir la justice, c'est garder
tous les commandements de Dieu ; de sorte
qu'il ne suffit pas d'en garder quelques-uns
et de négliger les autres, il les faut garder
tous, comme les saints l'ont fait.
Je sais cependant qu'il n'est pas absolu-
ment vrai que les saints aient gardé exté-
rieurement toutes les œuvres de la justice et
pratiqué tous les conseils, il y en a qui se
sont sanctifiés dans le mariage, et qui n'out
pas gardé la virginité; il y en a qui ne se
sont pas retirés dans la solitude ; il y en a
qui ont possédé de grandes richesses dans le
monde, et qui n'ont pas tout quitté pour
Dieu. Cependant la virginité est un état de
grande perfection, et l'accomplissement des
conseils conduit l'âme dans un degré plus
éminent; mais aussi, comme l'accomplisse-
ment de toute la loi, ainsi que le dit saint
Augustin, consiste dans la charité, celui qui
a l'amour de Dieu dans le cœur accomplit
toute la loi, celui qui ne l'a pas n'en accom-
plit aucun précepte, et la vertu n'est rien
autre chose qu'un souverain amour de Dieu.
Tous les commandements, nous dit encore
saint Grégoire, ne regardent que l'amour de
Dieu, et ils ne sont tous qu'un seul comman-
dement, ce qui se confirme par ce que nous
dit l'Apôtre, lorsqu'il nous montre tous les
caractères de la charité. Celte déduction de
vertus qu'il fait sortir de la charité comme
de leur source, nous marque que celui qui a
la charité dans le cœur est en état d'accom-
plir toute la loi, et doit être regardé comme
l'ayant accomplie tout entière.
Et en effet, comme remarque admirable-
ment saint Augustin, il n'est pas nécessaire,
pour être censé avoir accompli toute la loi,
d'avoir accompli extérieurement tous les
préceptes qu'elle prescrit, il suffit d'être sin-
cèrement dans la disposition de les accom-
plir tous, lorsque la volonté de Dieu nous en
demandera l'accomplissement; c'est ce qui
se fait reconnaître en nous, mes frères, par
deux dispositions que l'amour de Dieu y
met ; la première est une complaisance et
une approbation sincère pour toutes les vo-
lontés de Dieu ; la seconde, qui suit infailli-
blement de la première, c'est une prépara-
tion de cœur très-sincère à faire tout ce
qui plaît à Dieu , lorsqu'il nous paraî-
tra qu'il le demande actuellement de nous.
L'Eglise est comme un grand arbre, dit en- -
pore saint Augustin, qui porte de différents
frui (s , mais qui n'a pour tous les fruits
qu'une racine, qui est la i hanté et I amour
de Dieu. Ainsi ne nous embarrassons pas de
l'espèce du fruit, mais de la racine. Toutes
nos œuvres seront bonnes, et nous aurons
part à tous les fruits de l'arbre, si nous te-
nons à la racine par la charité.
Or qui peut douter que les saints n'aient
été dans cette di «position, et qu'ainsi ils n'aient
accompli toute justice ? En premier lieu ils
ont aime Dieu plus que toutes choses ; car
on ne peut non-seulement être saint, mais
on ne peut être sauvé sans l'amour de Dieu,
et un amour de Dieu au-dessus de toutes les
créatures, car qui dit amour dit préférence.
Cet amour de Dieu a mis en eux une souve-
raine complaisance pour toutes ses volon-
tés; ils ont aimé ce qu'il aime, ils ont ap-
prouvé ce qu'il approuve. Ainsi, mes frè-
res , quoique quelques-uns n'aient pis
gardé la virginité , ils ont aimé et ils
ont gardé la chasteté dans leur état, et ils
seraient demeurés vierges, s'ils eussent cru
que c'eût été la volonté de Dieu, et c'est
par cette raison que saint Augustin dit que
toute l'Eglise est une vierge pure et sans ta-
che, que toute l'Eglise est solitaire, parce
qu'elle a des membres dans la solitude, et
que la charité qui anime tous les membres
qui la composent, rend commun le mérite de
leurs vertus particulières.
En second lieu , cet amour sincère des
venus qu'ils n'avaient pas extérieurement,
les a tenus dans une certaine préparation de
cœur à pratiquer ces vertus, si Dieu leur
avait fait connaîtrequ'il les demandait d'eux.
Aussi en avons-nous vu qui ont quille tout d'un
coup le monde, où ils étaient attachés par les
engagements de leur état cl par leur nais-
sauce, qui se sont dépouillés de toutes cho-
ses tout d'un coup, qui se sonl enfonces dans
la retraite et dans la solitude, qui se sont
exposés au martyre. Oui a fait cela, mes très-
cbers frères ï l'amour de Dieu et la disposi-
tion sincère où ils étaient de préférer sa vo-
lonté à tout antre intérêt : Operati sunt justi-
tiam ; c'est par là qu'ils ont accomp i toute
justice, et qu'enfin ils se sonl ren lus dignes
de l'effet des promesses de Dieu : A lepti nuit
repromissiones : c'est le sujet du troisième
point.
TROISIÈME PARTIE.
Pour suivre dans celte dernière partie l'or-
dre que j'ai garde dans les deux autres, il
faudrait prouver que les saints ont reçu l'ef-
fet des promesses de Dieu, et expliquer la
grandeur de ces promesses: or, mes frères ,
il me semble qu'il est inutile de prouver
l'un, et je confesse qu'il m'est impossible de
décrire l'autre.
11 est inutile de prouver que les saints ont
reçu l'effet des promesses de Dieu ; il ne faut
que jeter les yeux sur ce que Dieu a dit, sur
ce que les saints ont fait et sur le témoignage
que l'Eglise nous rend aujourd'hu . Dieu
nous a dit en mille endroits de l'Ecriture quo
i celle gloire était une couronne, une ivaim-
137
SERMON POUR LE JOUR DES MORTS.
13»
pense, un prix qu'il donnerai! à ceux qui
auraient combaltu, travaillé et vaincu.
Les saints ont combattu les ennemis de
leur salut; ils ont vaincu les obstacles qu'ils
leur ont opposés ; ils ont travaillé en ac-
complissant toute justice, comme nous l'a-
vons dit.
Que faut-il conclure de là, si ce n'est que
Dieu, qui est fidèle dans ses promesses, a
couronné en eux les dons de sa grâce, en
récompensant d'une gloire éternelle les œu-
vres qu'ils onl faites par la loi et par la
charité ? Rt c'est ce que l'Eglise nous ap-
prend p;ir le témoignage qu'elle rend à la
gloire des saints qu'elle honore en ce jour :
ils ont reçu l'effet des promesses de Dieu.
Il ne me resterait plus qu'à faire la descrip-
tion de l'effet de ces promesses et do la gloire
qu'ils possèdent; et c'est, mes frères, ce que
je regarde comme une entreprise impossible;
car nous ne pouvons expliquer ce que nous
ne connaissons pas, et Dieu nous a caché la
gloire qu'il nous promet. Nous savons bien
que celte gloire, c'est lui même, et c'est assez
pour nous empêcher d'entreprendre d'en
faire la description ; car, hélas ! qui peut dire
ce que c'est que Dieu? Cependant, mes frè-
res, il ne faut pas vous laisser sans vous
donner quelque idée de la gloire que les
saints possèdent. Ils sont dans un lieu où
saint Augustin nous assure que tout est
grand, que tout est éternel ; ici-bas tout est
petit, tout est fini.
Comprenez, mes frères, l'étendue de la
gloire et de la récompense des saints par
cette différence de la vie éternelle qu'ils pos-
sèdent, avec celle qu'ils ont méprisée sur la
terre. Ils jouissent de la vraie grandeur, ils
possèdent la vérité en elle-même, ils sont
unis à la source de toute sainteté; et cette
possession si abondante, ces unions si sain-
tes dureront pendant toute l'éternité ; car
c'est dans le sein de Dieu même qu'ils joui-
ront de tous ces avantages, et c'est là où
tout est éternel. Or c'est à la possession de
semblables biens que nous sommes appelés,
mes très-chers frères, par la miséricorde de
Dieu, quoiqu'il s'en faille bien qu'il nous
prépare de pareils combats que ceux que les
saints ont soutenus, et c'est ce qui nous doit
rendre plus fidèles dans ceux où il lui plaît
de nous exposer. Mais comment combat-
tons-nous les obstacles qui s'opposent à la
recherche de cette gloire que les saints pos-
sèdent? De quelle manière cmbiassons-nous
les moyens qui y conduisent? A quoi en
sommes-nous ? Examinons-nous.
il ne suffit pas d'éviter les grands crimes,
il faut accomplir toute justice, au moins
quant à la préparation du cœur; c'est-à-dire
que l'amour de tous les préceptes soit dans
notre cœur, pour être en état de les prati-
quer dans les occasion! où nous nous trou-
verons engagés, c: que Uicu nous fera con-
naître s'il les demande de nous.
Ne craignons donc rien de la part de nos
ennemis : tous leurs efforts seront inutiles,
si nous avons retours aux Ecritures pour y
prendre, par les lumières de la foi, des armes
Ok\ti:i us saches. XX.X.
pour triompher, comme les saints, de tous
les obstacles qui s'opposent à l'acquisition
de la gloire. Si nous sommes persuadés qu'il
faut accomplir toute justice, si nous voulons
agir véritablement et sincèrement pour le
salut, enfin si nous considérons toujours
les choses par leur fin, nous ne serons
touchés ni des promesses ni des menaces du
monde, et. soutenus par l'espérance que Dieu
nous promet après le combat, nous nous
rendrons dignes qu'il nous fasse remporter
la victoire, et qu'il couronne en nous ses
miséricordes pour jouir avec les saints de
la gloire qu'ils possèdent pendant toute l'é-
ternité. C'est ce que je vous souhaite.
SERMON
POUR LE JOUR DES MORTS.
Sancla ergo et salubris est cogitatio pro defunctis exo-
rare.
Ces! donc une pensée sainte el salutaire que de prier
pour les morts (II Mach., XII, 4G).
La solennité de ce jour a, mes frères,
plus de rapport, dans l'intention de l'Eglise,
avec la solennité d'hier, qu'elle n'en paraît
avoir dans les objets différents qu'elle nous
propose.
Hier elle nous montrait la gloire des
saints, et aujourd'hui elle nous expose les
souffrances des justes ; hier elle nous ex-
posait des lumières brillantes, aujourd'hui
ce sont des feux dévorants; hier des canti-
ques de joie, aujourd'hui des larmes et des
gémissements. Ces objets sont bien différents,
et néanmoins les intentions de l'Kglise qui
nous les trace conviennent dans le dessein
qui l'anime. Hier elle voulait réveiller en
nous le désir de la gloire en nous la mon-
trant, et aujourd'hui elle veut nous ensei-
gner ce qu'il en coûte pour l'acquérir, en
nous exposant ce que les justes souffrent
avant que d'en prendre possession. Elle nous
veut convaincre qu'il faut souffrir beaucoup,
et qu'il faut souffrir chrétiennement pour y
prétendre.
Il est vrai qu'en nous exposant les souf-
frances des justes elle veut en même temps
nous exciter aies soulager; aussi n'est-ce
pas mon dessein de séparer leurs intérêts
d'avec les nôtres ; c'est pourquoi je m'atta-
cherai à (rois propositions nui feront le
partage de co discours. Dans la première je
vous ferai voir que les âmes soultrent beau-
coup, quoiqu'elles soient dans une grande
pur< te : première partie ; dans la seconde
je vous montrerai qu'elles conservent une
parfaite tranquillité au milieu de buis gran-
des souffrances : seconde partie; dans la
troisième, vous verrez qu'au milieu de ces
grandes souffrances elles sont dans une vé-
ritable impuissance de se soulager elles-
mêmes : troisième partie.
La grandeur de leurs souffrances dans la
pureté de leur cœur confond la lâcheté qui
nous fait rejeter les peines dins la corrup-
tion du nôtre; la tranquillité de leurs âmes
dans la grandeur de leurs souffrances cou-
fond l'impatience de la nôtre dans la lé-
gèreté de nos peines ; l'impuissance où elles
5
»ont ne i c s mlag r ellcs-ii. i Ci
qu'elles souffrent confond notre négligence
-, secourir : voilà toute l'idé i do mou dis-
cours.
Fasse le ciel que la p i lintc de
r pour les mort*;, que l'Eglise nous veut
inspirer aujourd'hui, devienne utile pour
ces âmes et pour nous ! c'est la grâce que
je demande à l'Esprit-Saini par l'intercession
de Mario. Ave, Maria,
PRBMlènE PA1
11 est nécessaire, mes frères, de bi • i éla-
l)lir la pureté du cœur des justes, pour vous
faire comprendre plus aisément la grandeur
île leurs souffrances ; car l'une dépend do
l'autre en quelque sorte ; mais il faut d'a-
hord convenir de deux choses : 1° que l'âme
est devant Dieu telle qu'elle se trouve au
moment de sa séparation d'avec le ; orps ;
2u de la nature de la pureté du cœur, et en
quoi elle consiste.
Personne assurément ne doute de ma pre-
mière proposition ; passons donc à la se-
conde, et convenons que c'est dans l'amour
de Dieu que consiste celle pureté, comme au
contraire l'impureté du cœur consiste dans
l'amour de la créature. Ce sont les principes
de saint Augustin et ceux de la religion :
ce cœur est fait pour Dieu, et il doit être
uniquement à lui ; il est pur quand il n'est
occupé que de lui, il est corrompu quand il
est occui)é d'autre chose ù son exclusion, et
il est impur lorsqu'il y a quelque mélange
d'affection étrangère dans l'amour qui l'at-
tache à lui par préférence.
Or, mes frères, ces deux amonrs se trou-
\aut dans les créatures suivant différents
degrés, ils v forment différentes proportions
de pureté eCd'impureté, et c'est sur ces diffé-
rents degrés que l'état des âmes est réglé
après leur mort.
Il y en a en qui l'amour de Dieu règne
pleinement, et qui sont trouvées pures à son
jugement, soit qu'elles aient conservé I
innocence, soit qu'elles aient pris soind
purifier par un long exercice de vertu. I
les- là culrcut tout d'un ns ia gloire,
elles jouissent de Dieu en sortant du monde,
et forment l'étal des saints dont nous par-
lions hier.
Il y en a eu qui l'amour du monde domine
absolument, qui sont livrées à l'impurelc, et
qui sont enlevées de ce monde dans l'amour
criminel de ses faux biens. Elles forment
l'étal des âmes perdues et condamnées . elles
ne sortent du monde que pour entrer dans
un abîme de ténèbres dont elle:- :te sortiront
jamais, el elles sont unies aux réprouves.
Il y en a qui tiennent le milieu entre ces
deux espèces : il se trouve en elles un cer-
tain mélange de pureté et d'impureté, qui
les rend tout ensemble dignes et indigne
Elles en sont dignes, parce qu'elles ont
ié Dieu, el que!! mortes dan
ce ; elles en sont im! Iles
ne s mt pas entièrement purifiées des laulcs
qu'elles oui coniuviscfi en cette fi Ion
ORATEURS SACRES. ROM II
la parole de Dieu, n'en d'impur n'entrera Jun$
wm.
,!iiies-là foi nient un Iroisi m lai dis-
né des deux autres, que l'Eglise appelle
purgatoire, où la justice de Dien l<-> purifie,
de les remettre entre 1 s br i de se sel-
le qui les attend, poar couronner en
elles les ouvrages de son amour qu'il j avait
commencés dès cell :
'tout ceci est admirablement bien i
saint Augustin daus son traité de la 1 i,
«le l'Espérance et de la Cliarilé. Il uislingue
trois sortes de vies pour nous faire connaî-
tre quelles sont les âmes qui reçoivent du
fcoalagemeni de nos prières aprè< I* mort.
Il y a, dit ce saint docteur, une sorte do
qnieslsi abond nteen Lo:mesu'uvres,qu',
n'a pas besoin de ces sortes d'assistant
C'est celle que nous avons distinguée d'a-
bord en disant que i'amour de Du a )) avait
régné, et que ceux qui avaient \è. u dans un
long exercice de vertu avaient été lrou\ s
purs à son jugeaient. Il y en a une autre si
pleine de corruption, qu'elle ne j eut être
soulagée par les assistances des fidèles ; c'est
ceile que nous avons distinguée en disant
(mic l'amour du moude avait absolument do-
miné en elle. Enfin, continue ce saint, il y a
une autre espèce de vie, qui n'est pas
bonne qu'elle n'ait besoin de secours après
la mort, el qui aussi n'est pas si mauvaise
que les secours ne lui puissent servir; c'esl
celle do;.t nous parlons, et que nous avons
distinguée en disant qu'elle tenait le milieu
entre les deux autres par un certain mélange
d'impureté cl de pureté. Ce qu'il y a de ;
vend nos pri les à ceux qui sont dans
cet état, el ce qu'il j a d'impur le leur rend
ssaires.
Tout ceci doit vous faire connaître, mes
frères, quelle es,; la pureté du cœur de ces
âmes justes. L'amour de Dieu régnait dans
leur cœur quand elles ont été séparées do
leur corps, voilà leur justice ; la charité y
était dominante, \oilà leur pureté; elles ont
trouvées telles à leur mort, elles demeu-
rent telles devant Dieu.
Elles souffrent néanmoins dans celle pu-
reté, parce qu'elles sont rede tables à sa
lice; car il y a peu de chrétiens, mes très-
ebers frères, de ceux qui servent Dieu sii.
renient, de qui on puisse cro
entièrement purifiés par les exercices d'une
charité ardente cl d'une pénitence exacle. Il
y a de l'impureté cl du mélange dans noire
amour, il y a de la négligence el de la lâ-
cheté dans notre pénitence ; ainsi, quoique la
pureté de ces âmes assure leur salut , leur
impureté les engage à la souffrance.
(/est ce quesainl Paul nous enseigne dans
la première aux Corinthiens, où, après avoir
établi ecl excell ni principe de la foi et de la
religion, que personne ne peut poser d'autre
e t de son salul is-Christ, il
I sur ce fo d uns, dit-
il bâti r ce fondement a
de l'argent el des pi<
âmes en qui la charité a été Uo
m
SEP.MON l'OUii LE JOUR DES MOUTS.
i £2
triomphante. Les autres bâtissent sur ce fon-
dement avec tlu bois, du foin, de la paille :
ce sont les âmes de qui nous parlons, dont
les affections aux biens tic la terre et aux
choses innocentes n'ont pas été exemptes de
certaines faiblesses, que Dieu ne punit pas
par la privation de sa vue, mais par h* retar-
dement de ce bonheur et de celle féîicilc, et
par des souffrances plus vives et plus cruelles
que tout ce que les hommes peuvent endu-
rer pendant celte vie : ce que saint Paul ex-
prime en disant qu'ils passeront par le feu.
C'est ce que saint Augustin nous a fait enten-
dre en nous disant qui: ces bonnes œuvres
sont faites dans la charité, mais qu'elles sont
affaiblies et comme ternies par les impres-
sions de la cupidité. On peut dire d'une âme
en cet état qu'elle est chargée de dettes
qu'elle n'a pr.a payées , qu'elle est noire
comme l'épouàc d 's Cantiques , mais cepen-
dant belle cl éclatante.
Mais allons encore plus loin, car il faut
conclure qu'ayant bâti sur le même fonde-
ment que les seuils, qui est Jésus -Christ, ces
âmes conviennent avec lui dans une portion
delà même justice et dans le mémo genre de
pureté, qui est l'amour de Dieu ; et c'est relia
justice et ce! amour qui contribuant à ren-
dre leurs souffrances plus cruelles et leu:s
peines plus vives, comme je vais vous le
taire comprendre en vous expliquant l'état
où ces âmes se trouvent après la séparation
de leurs corps, et leurs sentimenls pour
Dieu dans cet étal.
Je ne vous parle pointue celle privation
( ruelle de toutes choses , de cette solitude de
l'âme dans le moment de cette séparation
d'avec le corps, qui se trouve seule devant
Dieu, tout étant fini pour elle, el n'ayant
plus ni liaison, ni union, ni rapport qu'à
Dieu seul.
Mais je parle de ces lumières sur la ma-
jesté de Dieu , qui sont plus vives; je parle
de ces vues de sa grandeur, oui sont plus
distinctes ; je parle de celle disposition plus
parfaite pour s'unir à lui par le dégagement
de l'euibarras des sens, par l'indépendance
des organes, par la séparation de sa matière,
par le rapport plus naturel entre son enten-
dement et son objet. Ajoutez à cela l'im-
pression que la charité fait dans le cœur des
justes pour les porter vers Dieu, comme vers
leur centre naturel! comme vers le seul ob-
jet dans la connaissance duquel ils peuvent
trouver leur félicité; cl imaginez- vous, s'il
est possible, quels doivent être leurs senti-
ments cl leurs ardeurs pour Dieu d tus cet
<l.i, quelle doit élre l'impétuosité do l'a-
mour qui les y porte, quelle doit ê(rc la ra-
pidité de ce torrent de feu qui les entrai le.
Les expressions me manquent, nies In'.s-
chers frères, pour vous décrire la qualité des
sentiments de ces âmes ; je comprends quel-
que chose qu'il ne m'est pas possible d'ex-
primer, et je vous laissée former l'idée des
brûlants désirs de ces âmes pour Dieu,
que vous jugiez d<: la grandeur de leurs p"i-
nessur l'idée que vous aurez formée, <n
vous représentant qu'elle conisle à élre pri-
vécs de ce qu'elles aiment si parfaitement et
avec des transports si violcnls.
Car dans ce moment d'amour tendre el im-
pétueux qui les emporte vers Dieu avec
d'autant plus de véhémence qu'elles s'en
sentent plus proches, Dieu lui-même les re-
pousse ; une dette qu'il faut payer les re-
lient dans la privation, il ne reste plus qu'un
faible nuage à dissiper pour leur faire voir
leur Dieu à découvert ; et sa justice épaissit
ce nuage et empêche qu'il ne se dissipe.
C'est dans celte privation que consistent
les plus vives douleurs de ces âmes justes;
leur propre amour est le plus cruel exécu-
teur de la justice do Dieu sur elles.
Remarquez ce que dit saint Augustin, en
parlant des réprouvés : il nous enseigne quo
Dieiî, qui est la souveraine bonté, ne tiro
rien de lui dont il se serve pour châlier les
damnés; mais qu'il arme leur propre concu-
piscence contre eux-mêmes pour les punir.
Jl les livre, dit ce saint docleur, absolument
à la passion à laquelle ils se sont abandon-
nés eux-mêmes durant leur vie; il permet
qu'ils en soient possédés entièrement, et
qu'ils demeurent éternellement exposés aux
désirs de la satisfaire et à l'impuissance d'y
réussir ; et qu'ils soient ainsi déchirés en
même temps, durant loule l'éternité, par la
haine et par l'amour du même objet.
Or, mes frères, il fait quelque chose de
semblable dans la conduite qu'il garde sui*
ces âmes justes ; c'est leur propre amour qui
les fait souffrir, et il emploie pour les punir
dans le temps de leurs souffrances, ce qui a
ci c le principe de leur mérite durant lern*
vie-, et ce qu'il a résolu par sa miséricorde de
couronner dans l'éternité après leur mort.
Ce n'est pas qu'elles ne soient exposées à
des peines sensibles, et que la cruauté du feu
n'entre dans les tourments que la justice de
■u leur fait ressentir; car, comme dit cn-
core saint Augustin, il ne faut pas, parce
que l'apôtre saint Paul nous assure que ces
âmes seront sauvées parle feu, que nous nous
formions une petite idée de la nature de ces
peines : e les surpassent infiniment toutes
celles que les hommes peuvent souffrir en
celle vie; et quelque chose que l'on nous ra-
conte des tourments des martyrs, rien de
tout cela ne peut approcher de ce que ces
âmes endurent.
Ce que je viens de vous exposer, mes frè-
res, ne suffit pas : je vous ai dit que celte
première vente qui regarde l'ct.il de ces
âmes servirai! à nous confondre ; et en effet
y a-t-ii rien de plus propre à le faire que la
iparaison de leur état et du nôtre, en fai-
sant réflexion aux principes de la religion
et de la foi! Elles sont justes et elles souf-
frent, nous s». unies dans la corruption, et
nous ne voulons rien souffrir.
Quelle peut être la cause d'un tel aveu-
ueiit ? Ne connaissons-nous pas noire
.on? Nous n'avons qu'à examiner
noire conduite par les yeux de la foi, pour
reconnaître combien nous sommes éloignés
de la perfection qu'elle demande de nous.
ignorons-nous que nos péchés sont des
ilà7>
ORATEURS SACRES. DOM JERuMK.
m
deltes qu'on ne paye que par les souffran-
ces? Il ne faul que jeler les yeux sur la con-
duite île Dieu à l'égard de ces âmes qui ne
sont chargées que des seuls restes de leurs
péchés.
Croyons-nous que les pénitences qu'on
nous impose ordinairement suffisent pour
satisfaire pleinemcnl à la justice de Dieu, et
qu'après avoir confessé nos péchés, récité
quelques prières ou fait quelques aumônes,
qui n'intéressent ni notre vanité, ni nos plai-
sirs, ni notre luxe, ni nos dépenses inutiles,
nous pouvons demeurer en repos et jouir
tranquillement de tous les biens de la vie
présente, en attendant que Dieu nous donne
ceux de la vie future comme par surcroît?
Une semblable pensée ne peut pas entrer
dans l'esprit d'un homme qui a quelque lé-
gère connaissance de la religion.
Enfin voulons-nous attendre à payer nos
deltes dans l'autre vie, pour ne rien perdre
desdeltcsde celle-ci, Gtque,contentsde ne pas
mourir ennemis de Dieu, nous voulons bien
allerparaitredevantluicommedcs geusqui ne
payent qu'à l'extrémité, et qui ne se seraient
jamais mis en étal de le faire, s'ils avaient
pu éviter la force de la justice qui les y con-
traint. C'est un étrange aveuglement que de
vouloir prendre ce parti, et il faut être bien
téméraire pour exposer son salut éternel
sur la dangereuse subtilité qui fait voir
quelque différence entre un semblable débi-
teur et un ennemi de Dieu ou un homme qui
ne l'aime point; c'est presque la même
chose.
Ouvrez donc les yeux, mes chers frères,
sur la nécessité de souffrir pour satisfaire
à la justice de Dieu. Que la vue des peines
de ces âmes justes nous instruise aujourd'hui
en confondant notre lâcheté, et que celle
de la tranquillité qu'elles gardent ;iu milieu
de leurs souffrances nous apprenne à sup-
porter les nôtres a\ec patience : c'est le sujet
île ma seconde réflexion.
SECONDE PARTIE.
Quoique ma seconde proposition semble
d'abord être un paradoxe, et qu'il soit diffi-
cile d'accorder l'idée d'une profonde tran-
quillité avec une grande agitation dans un
même cœur, il est pourtant vrai que tout
cela se rencontre dans les âmes justes de qui
nous parlons , et que l'arùeur de leurs dé-
sirs et la violence de leurs tourments ne sont
pas capables d'interrompre la paix de leur
cœur ni de donner atteinte à leur tranquil-
lité.
La raison de ceci, mes frères, c'est que
l'impatience dans les maux ne vient que de
la contrariété des sentiments et de l'opposi-
tion de la volonté de celui qui souffre et de
celui qui fait souffrir. Voici le mécompte :
celui qui souffre ne se croit pas digne du
traitement qu'il reçoit; il se plaint de lin-
justice de celui qu'il en croit être la cause;
il se tourmente, il s'agite dans la reeherche
des moyens de se délivrer ; et quand il ne
peut y réussir, il souffre avec une opposition
et une \iolence exlréme ce qu'il ne saurait
éviter.
Il n'en est pas ainsi de ces âmes justes :
leur volonté est soumise à celle de Dieu, et
l'amour qui les attache à lui nul une con-
formité admirable dans leurs sentiments.
Pour vous donner une idée de celle dispo-
sition, qui vous la fasse bien comprendre eu
entier et sur laquelle nous puissions nous
instruire, il est à propos de remarquer que
les âmes souffrantes portent la vue sur trois
choses dans leurs souffrances : 1" sur celui
qui les frappe; 2° sur le sujet qui le porte à
les frapper; 3" sur la fin qu'il se propose en
les frappant.
1" Celui qui les frappe, c'est Dieu qu'elles
aiment; le sujet pour lequel il les frappe,
c'est le péché, qu'elles haïssent; la lin qui
le porte à les frapper, c'est pour les purifier
et les rendre heureuses, et c'est ce qu'elles
désirent. Ces vues différentes nous décou-
vrent, ii es très-chers frères, le fondement de
la tranquillité de ces âmes , et l'amour
qu'elles ont pour Dieu met leur volonté dans
une dépendance si absolue de la sienne,
qu'elles ne peuvent plus vouloir que ce qu'il
veut : elles reçoivent tous ses jugements
avec amour, parce qu'elles les regardent
comme les jugements d'un père qui les aime.
Ainsi, ce que sa justice leur fait souffrir
n'affaiblit pas leur amour; au contraire, leur
amour leur fait aimer sa justice, qui est in-
séparable de lui-même.
■1 Mais lorsque, après avoir regardé Dieu
dans lui-même, elles viennent à jeler les
yeux sur elles, et qu'elles y voient les restes
des péchés qu'elles n'ont pas effacés par une
pénitence exacte qui leur attirent les châ-
timents de la justice de Dieu, la conformité
de leur volonté avec la sienne leur douiio
de la haine pour ce qu'il déteste. Elles en-
trent en indignation contre elles-mêmes, et,
voyant que leur impureté met de l'éloigne-
ment et forme une séparation entre Dieu et
elles, bien loin de se plaindre de ce qu'elles
souffrent, elles regardent avec amour l'avan-
tage de pouvoir souffrir, parce qu'elles sa-
vent que c'est l'unique moyen d'eflacer en
elles <e qui déplait aux yeux de Dieu. Et
elles sont tellement possédées du désir de
souffrir, comme le dit sainte Thérèse, que si
elles ne trouvaient le feu du purgatoire, ce
serait un enter pour elles, parce qu'elles
perdraient la seule espérance qui leur reste
de se rendre dignes de jouir de Dieu en se
purifiant de leurs taches par leurs souf-
frances.
Ainsi, mes frères, ces âmes se plongent
avec plaisir dans les tourments, et elle? de-
meurent dans une paix profonde , quelque
violents qu'ils soient, parce qu'elles sont ra-
vies de satisfaire la justice de Dieu qo'elles
aiment, et qu'elles voient que leatrs maux
sero'.it le principe de leur souveraine leli-
cité.
.'{" La troisième cause de leur tr.mquillilé
dans les souffrances provient de ce qu'elles
connaissent bien que Dieu ne les frappe que
pour les purifier, et qu'il ne les purifie que
U!
SERMON POUR LE JOUR DES MORTS.
146
pour les rendre heureuses, et qu'ainsi, en
les châtiant comme juste, il veut les recevoir
comme miséricordieux. El comment serait-
il possible quelles n'aimassent pas cette
justice et qu'elles se plaignissent des coups
qu'elle leur porte? Eile est toute trempée
dans les douceurs de la miséricorde, à tra-
vers desquelles elles la regardent ; et il me
semble que je ne puis mieux vous expliquer
la situation où Dieu paraît à l'égard de ces
âmes et dans laquelle elles le regardent,
qu'en me servant de l'expression de David,
où il nous représente la justice de notre Dieu
tout environnée de bonté : Le Seigneur est
bon et juste, et notre Dieu est miséricordieux.
Voilà, mes frères, l'étal de Dieu à l'égard
de ces âmes justes. Elles considèrent, d'une
part, mille marques qu'elles ont reçues de
sa miséricorde : d'avoir été- renfermées dans
son élection gratuite, d'être nées dans son
Eglise, d'avoir vécu selon la foi et d'être
mortes dans son amour ; et elles regardent,
d'un autre côté, celles qu'elles attendent
encore comme la consommation des précé-
dentes : Quos prœdestinavit, hos et vocavit ;
quos autem justifteavit, hos et glorificavit : il
a tout fait jusqu'à la glorification.
Entre ces deux miséricordes, Dieu leur
fait sentir sa justice pour les punir des fau-
tes qu'elles ont commises dans l'usage des
premières, et les purifier des souillures qui
les rendent indignes des secondes.
Vous pouvez bien juger qu'elles ne se
plaignent pas de celle justice, quelque sé-
vère qu'elle puisse être, et que le ressouve-
nir du passé et l'espérance du futur adoucit
extrêmement toute la rigueur et toute la
dureté qu'elles ressentent. Elles aiment celte
justice de Dieu, qui châtie ceux qu'il reçoit
au nombre de ses enfants, et elles reconnais-
sent que le Seigneur, qui a été bon à leur
égard, n'est juste que pour devenir pleine-
ment miséricordieux.
Telle est donc la paix et la tranquillité de
ces âmes dans leurs souffrances. Elles disent
sans cesse du fond de leur cœur ces paroles
du Prophète : J'ai reconnu, Seigneur, que vos
jugements sont remplis d'équité; car elles ai-
ment sincèrement des peines qui les condui-
sent à la possession d'un bonheur éternel.
Appliquons-nous ces vérités , mes très-
chers frères. Il faut que la situation de ces
âmes dans leurs souffrances nous apprenne
à nous réformer dans la nôtre,, et que leur
tranquillité au milieu des tourments qu'elles
endurent confonde cette impatience que
nous faisons paraître dans les peines légères
que nous ne saurions éviter. Je n'ai que quel-
ques réflexions à faire avec vous sur ce sujet,
Cl je passe d'abord à ma troisième partie.
La première, c'est que les peines sont iné-
vitables dans cette vie : nulle condition,
quelle qu'elle puisse être, n'en est exempte;
c'est l'ordre de Dieu. La seconde, c'est que
toutes les souffrances, soit celles de la vie
présente, soit celles de la vie future, sont des
suites de noire péché : nous souffrirons dans
le temps et dans l'éternité, si nous demeurons
dans la servitude et sous la tyrannie du pé-
ché; nous ne souffrirons que dans le temps,
si, délivrés de cetle servitude, nous souffrons
pour expier le péché. La troisième, c'est que
ce qu'on souffre dans celte vie n'est pas com-
parable à ce qu'on souffre dans l'autre pour
expier le péché : les peines présentes ne sont
que des peines en peinture, comparées à
celles du purgatoire. La quatrième , c'est
qu'en souffrant avec patience et avec amour
les peines de la vie présente, nous pouvons
nous épargner toutes les souffrances de la
vie future ; car la vue de Dieu et son amour,
qui nous fait choisir le parti de souffrir pour
lui en celle vie, où nous pouvons rejeter les
souffrances, en quelque façon , attache un
certain mérite à ce choix, qui relève beau-
coup ce que nous souffrons au-dessus de co
que souffrent les âmes du purgatoire, qui
n'ont plus le mérite de ce choix dans leurs
souffrances.
Il est aisé, mes frères, si nous sommes sen-
sibles à nos véritables intérêts, de tirer
de ces vérités une conséquence nalu-
relle : c'est qu'il faut recevoir avec patience
et avec amour les souffrances et les peines
que Dieu nous envoie dans cette vie.
Mais auparavant il faut s'appliquer à res-
susciter en nous l'amour de Dieu; il faut
mettre ordre au fond de notre cœur, pour en
ôter ce qui déplaît à Dieu et ce qui nous rend
indignes de son amour, et ensuite il faut re-
garder les souffrances comme des moyens
que sa miséricorde nous fournit pour satis-
faire à sa justice et pour éviter les châti-
ments de l'autre vie. Par là, mes frères, nous
souffrirons avec mérite et avec fruit, et nous
nous mettrons en état de secourir les âmes
qui sont dans l'impuissance de se soulager
elles-mêmes.
TROISIÈME PAUTIli.
C'est une vérité connue de tous les fidèles,
que les âmes justes dont nous parlons sont
dans l'impuissance de se soulager dans leurs
peines.
L'auteur de l'Ecclésiastique nous exhorte
à faire des œuvres de justice avant notre
mort, parce qu'on ne trouve point de quoi
se nourrir lorsqu'on est dans le tombeau. Le
Sauveur du monde nous dit qu'i'/ viendra une
nuit dans laquelle personne ne pourra agir
(Jorm., IX, 4).
Saint Paul nous exhorte à faire du bien
pendant que nous en avons le temps, et il li-
mite ce temps à celui de la vie présente, car
il nous dit que nous comparaîtrons devant le
tribunal de Dieu pour recevoir ce qui est dû
aux bonnes ou aux mauvaises actions que
nous aurons faites pendant que nous étions
revêtus de notre corps : nous ne serons donc
plus en état d'en faire lorsque nous serons
dépouillés de ce corps.
Les saints Pères se sont servis de cette au-
torité pour prouver l'impuissance où ces
âmes se trouvent de se soulager elles-mêmes
après la mort. Ainsi, disait saint Augustin,
que personne ne se flatta d'obtenir après la
mort ce qu'il n'a pas mérité pendant la vie.
H7
(»i:.\; i \CRES. DOM JEROME.
148
C'est l'ordre que D'eu ;i établi poor mettre
l'homme en état de rcl< un et" à lui et d'nc-
quérir la gloire , de laquelle il s'était exclu
par le péché. Il a donné, le temps • t îe,
pour mériter la récompense el la félicité dont
il promet la possession dans l'aulre. Jésus-
, Christ s'est chargé de satisfaire à Dieu son
Père, et de rouvrir à l'homme le ciel qu'il
s'était fermé par <on péché, mais c'est à con-
dition qu'il se rendrait digne d'y entrer par
les bonnes œuvres qu'il se mettrait en état
de (aire durant le cours de celte \ie mor-
telle, qu'il lui a dénuée précisément :
être employée à celte importante acquisition.
Lors donc qu'elle est finie, le temps de mé-
riter est fini avec elle, et l'homm.- demeure
dans l'éternilé, tel qu'il est trouvé à la fin de
celle carrière, il est, ou couronné de gloire,
s'il est mort entièrement pur; ou livré à la
peine élcrnelle, s'il est mort sans la charilé ;
ou il subit le feu du purgatoire, s'il est en-
core redevable à la justice par le défaut de
la pénitence. Saint Auguslin nous explique,
ceci admirablement, lorsqu'il donne le sens
de ces paroles de l'Ecriture : Faire l : justice
au milieu de la terre. Qu'est-ce que veut dire
faire la juslicc au milieu de la terre? Est-ce
que ceux qui habitent les extrémités de la
terre ne doivent point faire la justice.
3'cslimc, dit-il, que par le milieu de la terre
l'Ecrilure veut dire tanl que nous vivons
dans ce corps, afin que personne ne s'ima-
gine qu'après celle vie il y a encore du temps
pour faire la justice qu'on n'a pas faite ici-
bas et pour éviter le jugement de Dieu ; car,
en celle vie, chacun porte sa terre avec soi,
et la terre commune reçoit celle lerre parti-
culière à la mort de chaque homme pour la
lui rendre au jour de la résurreelion. 11 faut
donc pratiquer la vertu, et la justice au milieu
de la terre, c'est-à-dire tandis que noire âme
est enfermée dans ce corps de terre, afin que
cela nous serve pour l'avenir. Par là saint
Auguslin nous fait comprendre comment les
âmes dont nous parlons sont hors d'étal de
se soulager elles-mêmes.
Nous devons donc nous intéresser pour le
soulagement de ces âmes , puisqu'elles ne
sont plu9 en état de s'acquitter de ce qu'el-
les doivent à la justice de Dieu. Car il ne
faut pas croire que parce qu'elles souffrent
avec tranquillité , elles ne souhaitent pas
d'êlrc soulagées. Il est vrai que, comme elles
aiment le Dieu juste qui les punit , elles ai-
ment à souffrir parce qu'il l'ordonne; mais
elles n'aiment pas ce qu'elles souffrent, au-
trement ce ne serait plus une peine pour
elles. La cause cl l'effet de ces souffrances ,
qu'elles ne peuventaimer, leur en fait désirer
la fin. Elles souhaitent de jouir de Dieu et
de ne plus voir en elles ce qui lui déplaît; et
comme elles savent que , dans l'ordre que
Dieu lient sur elles , il n'y a plus que le se-
cours qu'elles peuvent recevoir de nous qui
soit capable d'effacer ces traces du péché qui
soni cause de leurs souffrances , et de faire
finir celte privai on de la vue de Dieu qui
en est l'effet , elles s'adressent à nous pour
recevoir cette assistance, et elles nous la de-'
mandent par ces paroles que l'Ecriture sainte
leur prête : M iteremi ni mei, etc.
Il faudrait être bien dur, mes (rès-cheri
frères, ; our ne pas contribuer >'ila-
1 1 n us l'obligation où nous so unes d'éire
sensibles à leurs peines , et dans la f i
que Dieu nous donne de les faire i e-ser. Con-
sidérons donc ce que nous sommes à ces
."mes justes , el ce rue nous pouvons pour
elles, afin de nous confondre si nous avons
été négligents à les secourir dans l'impuis-
sance où elles sont de se soulager elles-mê-
mes. Qnelles que soient ces âme-, n
somme unis à elles, ou par la nature, ou par
la grâce, ou même par toutes les deux. H nous
ne sommes point dans leur alli.incc selon la
nature, nous y sommes se'on la grâce. Elles
sonl nos proches par la charité et dans Jé-
sus-Christ , si elles ne le sont | as par le
sang. Ainsi il faut prier pour toutes en gé-
néral avec l'Eglise, afin que celles qui sont
sans parents et sans amis selon la chair trou-
vent du secours dans la charité de celle qui
est la mère commune de tous les fidèles se-
lon l'esprit. Ce n'est pas qu'il ne faille avoir
des égards particuliers pour celles qui nous
sonl unies selon la nature; car outre l'obli-
gation commune de la charité , nous y som-
mes engagés par justice; et comme ce serait
une inhumanité insupportable dans un en-
fant de refuser à son père ce qui lui ser it
nécessaire pour l'entretien de sa vie, ce se-
rait quelque chose de bien plus étrange s'il
lui refusait après sa mort ce qu'il lui de-
mande p°ur le repos de son âme et pour
sa félicité étcmell •.
Cependant il n'y a rien de plus ordinaire
que ces marques d'inliumanilé. On regarde
avec indignation la cruauté des frères de Jo-
seph, qui, après l'avoir précipité dans une
citerne, demeurèrent sur le bord, et prirent
froidement leur rep.is , et on n'en a point
pour un mari, pour un père, pour un enfant,
qui, après avoir contribué aux péchés d'une
femme, d'un enfant, «l'un père, dont les res-
tes les retiennent dans les peines du purga-
toire, mangent tranquillement la succession
du défunt sans être louches de leurs souf-
frances et sans se mettre en peine de les
soulager par les moyens que Dieu leni
donne.
Mes frères, croyez-moi, songeons à nous-
mêmes , aimons Dieu , faisons pénitence ,
apaisons sa justice par les aumônes , par les
bonne- œuvres; ne nous attendons point à
la piété d'autrui, on nous oubliera, lïendçz-
vous amis du Lazare , dit saint Auguslin ,
afin qu'il prie pour vous, si vos propres frè-
res vous oublient. C'est le rcgreldu mauvais
riche, dit ce saint docleur, d'avoir oéglig<
mettre dans ses intérêts ce pauvre qui lui
demandait si peu de chose. Profitez de son
malheur, et faites par vous-mêmes ce que
vous n'êtes pas assurés de recevoir d'au-
trui.
Mais si nous voulons qu'on ne nous oublie
pas dans notre besoin, si nous en sentons la
nécessité, et si nous desirons d'avoir part à
la charité comtnuuc , conlribuons aussi à
H
«49
SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT.
150
In faire à ceux qui l'attendent de nous , et
servons-nous des moyens que Dieu nous
donne pour les soulager; car, selon la tra-
dition que nos pères nous ont laissée, dit
saint Augustin , et que l'Eglise universelle
observe aujourd'hui, lorsque quelqu'un est
mort dans la communion du corps et du sang
de Jésus-Christ, on prie pour lui clans cet
endroit du sacrifice où on recommande les
morts, et on fait mention que c'est pour eux
qu'on offre ce sacrifice.
Mais, grâce au Seigneur et aux divins ef-
fets de ce précieux et .inestimable amour de
la foi catholique qu'il a mis dans le cœur de
notre incomparable monarque , nos frères
errants ont presque tous ouvert les yeux, et
nous ne nous servirons plus de ces autorités
des saints Pères que pour les confirmer dans
la vérité qu'ils ont reçue.
La puissance de soulager ces âmes réside
donc dans chaque chrétien, et elle est fondée
sur l'union qui subsiste entre nous et l'E-
glise; car comme la mort n'empêche pas
qu'elles ne demeurent toujours membres de
l'Eglise, et que nous ne soyons tous ensem-
ble les parties d'un même corps , sous un
même chef, qui est Jésus-Christ , il est aisé
de comprendre que nous pouvons prier pour
elles, puisque c'est le propre des membres
d'être dans cette communion.
Servons-nous des moyens que Dieu nous
donne peur les soulager; offrons pour elles
le sacrifice adorable du Médiateur; éteignons
le feu qui les brûle par la multitude de nos
aumônes ; délivrons-les par nos bonnes œu-
vres des peines qu'elles endurent : ouvrons-
leur le chemin du ciel par tous les ofiiees de
piélé dont Dieu nous rendra capables par sa
sainte grâce.
Mais n'oublions pas que nous ne pouvons
leur être utiles si nous ne : ouïmes dans une
union avec elles, qui ne subsiste que dans
Jésus-Christ, et qui est fondée sur la vie
divine qu'il nous communique par la cha-
rité.
Adressons-nous donc à Jésus-Christ pour
lui demander son amour, afin que les œuvres
de piélé que nous offrirons pour ces âmes
justes soient reçues favorablement : ainsi la
pensée de prier pour les morts sera utile
pour eux et pour nous. Nous sortirons de
nos péchés , et nous les délivrerons de leurs
peines ; nous leur ouvrirons le ciel, et nous
suivrons le chemin de la gloire pour en jouir
éternellement avec elles. Ainsi soil-il.
SERMON
POUR LE PREMIER DIMANCHE DE LAVENT.
Sur le jugement et la vigilance chrétienne.
l->ii»i signa in sole, et luna, et sicllis, et in terris pres-
sura ^T.niitiin.
Il n aura des signet dam le coleil, dam la lune ci dans
1rs ('unies, et sur lu terre les nations seront dans la cons-
ternation (Luc, XXI, 23j.
Ce fut, mes frères, drux ou (rois jours
après l'en r e triomphante du Sauveur du
monde tfan Jérusalem que, sortant du temple
pour s'en retourner en Bel liante; ses disciples,
qui s'entretenaient en chemin de la gran-
deur et de la beauté de cet édifice et des dons
magnifiques dont il était enrichi , s'appro-
chèrent de lui pour lui faire remarquer ce
qu'ils admiraient. Maître , regardez quelles
pierres et quel édifice, lui dit un d'entre eux;
mais il leur répondit qu'il viendrait un temps
auquel tout ce grand édifie? qu'ils voyaient
serait détruit , et qu'il n'y demeurerait pas
pierre sur pierre.
Quand ils furent arrivés à la montagne des
Oliviers , quatre de ses apôtres le prièrent
de leur dire quand arriverait la destruction
du temple qu'il venait de prédire. Cet événe-
ment sera précédé, leur répondit-il, par des
signes extraordinaires et épouvantables ,
par l'obscurité du soleil et de la lune , par
la chute des étoiles, par 1 ébranlement de la
terre et des cieux , par l'agitation effroyable
des flots de la mer , par la consternai ion gé-
nérale des hommes, qui sécheronlde frayeur,
dans l'attente des maux dont le monde sera
menacé.
Je ne viens point ici , mes frères, pour je-
ter le trouble cl la frayeur dans les esprits
par la description de ces choses terribles.
Cette manière do irailer le sujet du jugement
dernier peut bien exciter d ms l'âme des
mouvements de crainte , mais ces mouve-
ments finissent d'ordinaire avec la descrip-
tion qui les a excités , et on ne doil pas eu
attendre beaucoup de fruit. Attachons-nous
plutôt à examiner les impressions que t'ait
en nous l'idée du jugement ; s,ervons-nous-eii
pour apprendre à en prévenir les fâcheuses
suites , et à nous mettre dans un étal où ,
sans perdre de vue la miséricorde de Dieu ,
nous n'ayons plus que la crainte salutaire
que doit toujours conserver un chrétien en
qui Dieu a mis son amour.
1° L'incertitude du temps où le jugement
doit arriver est, ce me semble, la première
chose qui nous frappe. Nous voudrions bien
savoir quand ce jour terrible arrivera : ce
fut là la même inquiétude des apôtres qui di*
saient au Sauveur du monde : Dites-nou*
quand ces choses arriveront , et quel signe il
y aura de votre avènement. 2" L'abord du
juge nous fait peur, et l'idée qu'on nous en
donne nous épouvante.// viendra, dit l'Evan-
gile, sur une nuée avec une grande puissance
et une grande majesté.
Ces craintes sont , mes frères , des effets
de notre disposition; nous craignons que
ce jour ne vienne tout d'un coup nous sur-
prendre sans nous y être préparés : le conir
parle par ces alarmes. Nous appréhendons
l'abord du juge, parce que nous sentons bien
que nous sommes coupables, et que nous se-
rons condamnés à so i tribunal. Ménageons-
1 ;s, mes frères, ces alarmes, pour en tirer le
fruit d'une heureuse sécurité. Nous ci 'gnons
que ce jour ne vienne nous surprendre tout
d'un coup : vivons aujourd'hui comme si nous
devions mourir demain. Nous craignons l'a-
bord du juge, ôlonslui les sujets sur lesquels
il peut nous couda oncr.
En deux mots, contre la surprise du temps
ayons de la vigilance : première partie ;
1 .1
Oll.VII-.l.'liS SACRES. DOM JI.UOUL
152
désarmons par la pénitence la sévérité de
noire jnge : seconde partie.
Le jour est incertain , le juge sera inexo-
rable, voilà ce que nous avons à craindre;
voilier sans cesse, voilà le seul moyen de
prévenir les maux dont ces terribles vérités
nous menacent : une vie d'attention, une vie
de retranchement et de privation , c'est celle
qu'un chrétien doit mener pour attendre
avec confiance le jour du Seigneur; nous
allons en marquer les règles. Implorons l'as-
sistance du Saint-Esprit. Ave, Marin.
l'IUCMII UT. PABTfl .
Le principal motif de l'Eglise en nous pro-
posant cet évangile est de nous porter à la
vigilance, et en cela elle entre dans l'esprit
de Jésus-Christ, qui ne nous a rien recom-
mandé avec plus de soin que celle pratique
si essentielle à la vie chrétienne, cl si impor-
tante pour le salut.
Le Sauveur du monde n'a jamais parlé du
jugement ni de la mort qu'il n'ait conclu par
celle instruction : Veillez, parce que vous ne
savez ni le jour , ni l'heure. Ce qui est arrivé
au temps de Noi vous arrivera, dil-il ailleurs,
les hommes mangeaient et buvaient , les hom-
mes épousaient (les femmes et les fcnnivs des
maris, jusqu'au jour que Noé entra dans l'ar-
che , et alors le déluge survenant les fit tous
périr.
La même chose vous arrivera, mes frères.
Vous n'èles occupés que de ce qui peut vous
faire passer la vie agréablement et dans l'a-
bondance ; vous n'avez en vue que de faire
voire fortune, que d'établir vos maisons.
Prenez-y garde, vous serez surpris! Combien
d'hommes le sont I Combien en avez-vous
connu qui l'ont été ! La colère de Dieu fondra
sur vous comme une pluie subite, elle vous
entraînera comme un déluge, et vous englou-
tira comme un abîme. Représentez-vous ce
que c'est que d'être éveillé an milieu de la
nuit par un bruit confus de voix terribles
qui crient au feu, et de se trouver environné
de flammes en s'éveillant, de ne voir autour
de soi rien que d'effroyable, de ne savoir quel
parti prendre, el de n'en avoir plus d'autre
que le désespoir. Or, mes frères, l'arrivée du
Seigneur el ce moment affreux de la mort se-
ront mille fois plus terribles que tout ce que
je viens de vous dire, il a donc raison de
nous prêcher : Veillez, veillez tans cesse.
Venons au fond, et pénétrons-nous bien
des raisons qui rendent celle vigilance si né-
cessaire dans l'ordre du salut, que nous ne
saurions le faire en la négligeant.
Pour vous en convaincre, ne sortons point
de l'idée que nous fournil la conduite de Dieu
sur son peuple. L'ordre qu'il a tenu sur lui,
dit saint Augustin , est une figure de celui
qu'il veut tenir sur nous pour nous conduire
à l'effet des promesses, c'est-à-dire au salut
dont la terre promise élail une excellente
image. 11 tire donc, ce Dieu puissant. I lire
son peuple de l'Egypte; il lui ouvre un pas-
sage libre dans la mer. tandis qu'il y fait
périr Pharaon et louie son armée. An sortir
de là, ce peuple cuire dans le désert qu'il
faut traverser pour arriver .i la (erre de
Cbanaan. Dans cette terre, il trouve d<
nemis ; il faut les combattre. El combien en
entra-t-il enfin dans celle terre.' Deux. Oui,
mes frères, de six cent mille combattants,
deux seuls, Josué cl Caleb, entrent dans la
terre promise. Voilà la figure ; voici la
réalité :
Le chrétien sort du baptême comme d'une
mer où ses péchés sont ensevelis; il cuire
dans le monde, qu'il doit regarder * omn
désert au travers duquel il faut qu'il passe
pour arriver à sa pairie, à celte terre pr ■ -
mise par Jésus-Christ cl acquise i ir l n
sang. Nous ne sommes donc sur la lerre
qu'en passant: nous allons tous à l'éternité;
nos jours, qui, comme des flots, se succèdent
el se poussent les uns les autre-, nous y con-
duisent insensiblement. Que nous songions
à la rendre heureuse, cette éternité, ou que
nous n'y songions pas, nous avançons tou-
jours vers ce terme. Je passe, vous passez,
mes frères, el tous les hommes p is-enl avec
nous. Nous nous écoulons, pour ainsi dire,
sur la terre comme des eaux qui ne revien-
nent plus.
.Mais combien d'ennemis sur ce passage !
Le démon nous attaque, le monde nous sé-
duit, noire propre faib'esse nous assoupit el
nous endort. Commencez-vous à entrevoir la
nécessité de cette vigilance dans un pass ige
également court et incertain, c'est la vie dont
je parle. Environné d'ennemis, et d'ennemis
plus attentifs à ma perte que je ne le suis à
mon salut, ayant tout à craindre de la part
du démon, du monde el de moi-même, quelle
ne doit donc pas être ma vigilance et mon
allenlion !
Or, c'est cette attention à laquelle l'Eglise
nous exhorte en réunissant aujourd'hui tou-
tes les lumières de l'Ecriture, toutes les for-
ces de la parole de Dieu, tous les molifs qui
peuvent agir sur un esprit raisonnable et
chrétien; car, dans l'épîlre qu'elle nous a
proposée à la messe , elle nous avertit que
le temps presse et que l'heure est venue de nous
révt iller de notre assoupissement. Nous devons
marcher, el nous dormons; la nuit de cette
vie e.-t peut-être déjà proche de sa fin. Peut-
être l'éternité commencera pour nous des
demain, pcul-êlrc dès aujourd'hui ; cepen-
dant nous nous tenons en repos, comme si
nous n'avions rien à faire, ou que nous eus-
sions plus de temps qu'il ne nous en faut
pour le grand ouvrage de noire salut.
Il est donc temps, mes frères, de sortir de
notre sommeil : prenons des armes contre le
démon ; mais prenons des armes de lumière
contre les illusions du monde, et soyons en
garde contre nous-mêmes. C'est là l'idée gé-
nérale de celle vigilance si nécessaire que
saint Paul nous recommande dans l'épilre,
et que Jcsus-Christ nous ordonne dans II-
vangile. Formons-nous-en une idée précise
et par rapport à l'étal où le chrétien se trouve
dans celle vie. I. qu'est-ce que veiller en ef-
fet suivant (elle idée? C'est être attentif à
l'affaire de soi salut , cl y donner au moins
autant de som qu'on en donne au\ intérêts
SERMON POIR LE PREMIER DIMANCHE DE LAVENT.
153
de sa fortune ; et, en vérité, mes frères, est-
ce trop donner? (Grand Dieu, nous pardon-
rez-vous de mettre les intérêts du ciel en paral-
lèle avec les intérêt de la terre I ) Est-ce trop
donner, que de ne donner au soin de son sa-
lut qu'autant qu'on en donne à l'établisse-
ment de sa fortune? Or, qu'est-ce que l'at-
tention à établir celte fortune produit natu-
rellement dans l'esprit d'un homme qui en
est occupé? 1" un soin exact à éviter tout ce
qui peut y être contraire ; 2° une continuelle
application à ménager (oui ce qui peut y
contribuer. On n'en d; mande pis davantage
à un chrétien dans l'affaire de son salut.
Ainsi, mes frères, soyez attentifs, en pre-
mier lieu, à éviter tout ce qui peut vous dé-
tourner des voies du salut. Ayez la même at-
tention pour embrasser les moyens qui vous
y peuvent conduire , que vous avez pour
avancer vos affaires temporelles , et vous
voilà dans celte vigilance si recommandée
par le Seigneur, et sans laquelle vous ne le
ferez jamais ; et dès lors vous suivrez le con-
seil du roi-prophète : Si vous souhaitez de
voir des jours heureux, détournez-vous du
mal et faites le bien.
De ces paroles du Prophète , j'apprends
que pour entrer dans la pratique de la vigi-
lance il faut que le cœur y soit préparé par
le désir et par l'amour. N'est-ce pas en effet
l'amour de la fortune qui applique l'ambi-
tieux aux soins nécessaires pour l'avancer?
N'est-ce pas l'amour des richesses qui appli-
que l'avare à l'acquisition de ses biens? N'est-
ce pas l'amour du plaisir qui applique l'hom-
me charnel à la recherche de la volupté?
C'est là l'objet de leurs désirs, parce que
c'est là l'objet de leur amour ; c'es! là l'objet
de leur amour, parce qu'ils espèrent de trou-
ver dans les honneurs, dans les richesses et
dans la volupté, ces jours heureux après les-
quels ils soupirent, et leur application con-
tinuelle à prendre les moyens-' qui peuvent
les leur procurer justifie celle parole de l'E-
vangile : Les enfants du siècle sont plus pru-
dents dans la conduite de leurs affaires que ne
le sont les enfants de lumière.
Par les enfants du siècle, au reste, il en-
tend ceux qui n'ont de prétention que pour
le siècle, et qui ne sont occupés que des cho-
ses présentes. Avec quelle assiduité en effet
font-ils la cour à ceux qui peuvent les servir
auprès des princes ! Quelle application pour
se les conserver et pour leur plaire 1 Quels
travaux ne souffre-t-on pas dans les emplois
du monde pour établir sa fortune 1 Quelle
persévérance ne faut-il pas avoir, pour at-
tendre les temps favorables, pour saisir l'oc-
casion, pour ne se pas décourager des mau-
vais succès, pour soutenir tant d'oppositions,
pour digérer tant de rebuts I De quelle dissi-
mulation ne faut-il pas user envers ceux qui
nous brusquent et qui nous maltraitent I
Mes frères, il n'en faudrait pas davantage ;
que dis-jo? il en faudrait moins pour avan-
cer beaucoup l'affaire de notre salut. Mais il
faut le vouloir; il faut aimer ces jours ( om-
bles de biem dont on ne jouira que dans
lelerniié. Quand cet amour est formé dans
iU
un cœur, il évite tout ce qui peut l'éloigner
de la possession de ce qu'il aime et de ce
qu'il désire, et il embrasse avec ardeur tout
ce qui peut l'en approcher. Sa vigilance, en
un mot, égale son amour; et voici les ac-
tions par lesquelles il est sûr d'avoir en lui
cet amour et cette vigilance.
Attentif à tout, il n'oublie pas qu'il passe
dans une terre dangereuse où on lui tend des
pièges de tous côtés, et malgré ces pièges, il
ne perd jamais de vue l'imporlante affaire de
son salut. Il est entre deux jours qui le con-
duisent pendant cotte vie, l'Evangile et la vue
de l'éternité, dit saint Cbrysoslomc. 11 écoule
tous les discours du monde sur la fortune,
sur les biens, sur les grandeurs ; il écoute
même les promesses que les grands peuvent
lui faire, avec cette disposition que le Sage
lui conseille. En l'écoutant, dit-il, prenez ses
paroles pour un songe, et vous veillerez. C'est
ce que fait cet homme attentif : il considère
la puissance des hommes comme une ombre
qui passe, cl il écoute leurs paroles comme
un songe, c'esl-à-iHre que tout ce qu'on lui
promet et que tout ce qu'il pourra obtenir se
dissipera bientôt comme un songe, dont on
perd souvent jusqu'au souvenir. Il examine
tout; il n'enlre pas dans tous les partis qu'on
lui offre ; il ne donne pas dans toutes les pro-
positions qu'on lui fait : gloire, fortune, em-
plois, richesses, établissements, tout est exa-
miné par rapport à sa fin, c'est-à-dire à son
éternité. Il a toujours présente à l'esprit cette
parole du Sauveur du monde à ces insensés
qui sont pleins de desseins pour celte vie
jusqu'à la mort, et qui, ne voulant rien faire
quand ils peuvent tout, voudront tout faire
quand ils ne pourront plus rien : Insensé que
tu es, on va te demander ton âme cette nuit;
et pour qui sera-ce que tu as amassé?
Avec ces vues -là , j'entends quand on a
sans cesse l'Evangile pour règle et l'éternité
pour objet, on fait à la vérité moins d'affai-
res , mais elles sont plus sûres. La fortune
est médiocre , mais elle est moins suspecte.
On a sur la terre un établissement plus lé-
ger, mais on a une espérance plus solide
pour le ciel , cl après tout, que servira à un
homme de gagner tout le monde et de se perdre
soi-même? Ainsi cet homme vigilant peut
dire au Seigneur comme ce sage roi : Parce
que tous vus jugements sont présents devant
mes yeux , j'ai gardé vos voies, et je ne me suis
point abandonné à l'impiété.
Mais comme on ne se contente pas, quand
il s'agit d'établir sa fortune, d'éviter avec
soin tout ce qui y est contraire , mais que
l'on embrasse avec avidité tout ce qu'on juge
propre à y contribuer, il ne suffit pas d'évi-
ter tout ce qui peut nous détourner des voies
du salut , il faut encore entrer dans tous les
moyens qui peuvent nous y conduire pour
remplir les devoirs de la vigilance chrétienne.
Aussi l'apôtre saint Paul nous dit-il dans l'é-
pître de la messe, où nous avons pris cette
idée de la vigilance, qu'il faut nous revêtir de
noire Seigneur Jésus-Christ , après nous avoir
recommandé de ne nous point laisser aller à
la débauche. Ce n'est donc pas assez de ne
.
nnATKUIlS SACRES. I »' > M
ISG
point taire le mal , il faui encore faire le
bien, car la gloire (loi! être acquise par la
j ratigue des autres dejustice. V. i-ie
que l'A poire entend par ces œuvres de jus-
tice '.' que nous ordonne-1- il quand il nous
recommande de nous revêtir de Jésus-Christ?
Il s'agit maintenant de vous l'apprendre en
deux mois. Se revêtir de Jésus-Christ <
en être pénétré : car on ne se revêl pas de
Jésus-Christ comme d'un habit qui ne cou-
vre que l'extérieur; il faut , dit saint Chrj so -
tome , que nous soyons revêtus de Jésus-
Christ , à peu près comme un fer rouge e t
revêtu du feu, rendu à la fois ardent ('ans b8
substance et brillant au dehors ; on peut dire
en quelque façon qu'il n'est plus du fer, c'est
une masse de feu. C'est ainsi qu'aux termes
de saint Paul on se revêt de Jésus-Christ,
et nous en scions véritablement revêtus, si,
brillants par les lumières de la foi et en-
flammés par l'ardeur de la charité , nous ne
nous remplissons que de son esprit , si nous
nous conduirons en tout par ses maximes,
si nous retraçons fidèlement sa vie dans la
noire.
Pour se remplir de son esprit , il faut re-
noncer à la corruption de notre esprit et de
notre cœur, car nob inclinations y sont op-
posées; c'est pourquoi saint Paul dit : Que le
soin de voire chair ne se porte point à satis-
faire ses désirs déréglés. Pour suivre ses
maximes, il faut rejeter celles du monde, se
régler sur les lumières de la foi et de l'Evan-
gile, malgré l'étrange opposition cuire ces
maximes et celles du monde. Mais qu'il faut
de vigilance pour résister aux unes et pour
suivre les autres! Enfin, pour retracer la
vie de Jésus-Christ , il faut mener une vie
toute nouvelle , opposée à cette vie molle et
voluptueuse, paresseuse et lâche de la plu-
part des chrétiens.
El par là vous voyez , 1° la source abon-
dante de loulcs les œuvres de justice que
nous faisons quand nous sommes animés de
son esprit ; 2° la règle des œuvres dejustice
dans les maximes de Jésus-Christ ; ÎJ° l'effet
de ces œuvres dans le retracemenl de sa vie.
Or, mes frères , pour vous faire sentir vi-
vement la vérité de ce que j'avance ici , ap-
pliquons ces principes à ce qui se passe tous
les jours sous nos yeux. Ne peut-on pas dire
que toute l'application d'un homme auprès
d'un grand, de qui il attend l'établissement de
sa fortune, n'a pour mobile que ces trois
points de vue : ne travaille— l-i! pas à se rem-
plir de son esprit, à prévenir ses pensées , à
entrer dans tous ses désirs et à ne le contre-
dire sur rien ? Ses sentiments ne règlent-ils
pas sa conduite? Entreprend-il quelque chose
qui ne soit conforme à sa volonté, même à
ses passions , et s'il pouvait le "copier exac-
tement ne s'estimerait-il pas heureux ? Ce
qui est sûr, c'est qu'il prend bien garde que
rien ne puisse le blesser dans son extérieur,
dans ses manières cl dans ses actions. Hucllc
vigilance 1 mes frères. Mais (elle est celle du
chrétien qui ne veut pas être surpris au jour
du Seigneur. Il faut qu'il se remplisse bien
de cette vérité, qu'il n'y a po son âme au- .
(une vie que par Jésos-Chriet à qui nous do-
re attachés; car Dieu n'a rien pro-
mis ni rien donné, en vertu de ses proa
. que par Jésus-Christ. Il n'y a nu
grâce, nul droit a l'héi rnel , nulle
èrance qu'en Jésus-Chris! , il n« roi) en
nous que JeSUS-ChrisI , il ne reçoit rien
n us que par Jésus-Christ. Il faut donc q
ce soit son esprit qui anime toutes nos
lions .
Il faut être dans une exacte attention, -dam
une vigilance continuelle sur nous, | our
évite:- les surprix- ■ l'amour-prOpre iSM
tous nos mouvements , l< les
retours sur non -mêmes, les respects ba-
in ins. Car, hélas! que de vertus ap
par les hommes seront rejeté, s di ur !
que d'actioi ;ide
comme de l'or, qui ne paraîtront plus que
comme de l'écume aux veux doSeigneu !
De celte première attention que la rigi-
lance nous inspire , on passe aisément a ia
seconde, qui consiste à ne se conduire que
par les maximes de Jésus-Christ ; car qu
on est rempli de son esprit, on n'a du goût
que pour ce qui vienl de Ini ; mais comm
monde propose aussi des maxime qu'il
\êl d'une apparence de vérité , e : il-
leurs s'accordent tort bien avec le fo::d d'a-
mour pour ce monde qui règne loujour-
nous, il faut une attention et une exacte vi-
gilance pour démêler la fausseté de ces maxi-
mes, pour nous renfermer dans les récries de
la vérité, pour ne pas tomber dans cet écueil
si ordinaire, qui < onsislc à se laisser sur-
prendre aux apparences , sans examiner le
fond des choses, et à prendre le faux pour le
vrai. C'esl ce qu'on évite lorsque, par une
vigilance sage, éclairée, continuelle, on n'é-
tablit sa conduite que sur les maximes de
Jésus-Christ.
Or c'est en se conduisant par elles qu'on
retrace la vie du Sauveur du monde dan-
propre conduite, et c'est ce que j'appelle le
fruit des bonnes œuvres. A celle vie In-
quiète, molle, voluptueuse, vaine, inutile,
succède une vie tranquille, uniforme, sou-
mise aux ordres de Dieu, sérieuse, simple,
mortifiée, et telle enfin qu'on reconnaît dans
toutes les actions du chrétien qui la mène,
qu'il est véritablement revélu de Jesus-
Ci.rist.
Ce ne sont pas là des idées ou des dévo-
tions arbitraires, c'est le fond de la religion.
Il ne Faut pas s'imaginer qu'on suit oblige de
sorlir de l'étal réglé OÙ la Providence nous |
mis, pour entrer dans ces pratiques. Il ne
s'agit point de changer de condition, mais de
conduite, pour éviter le malheur d'être sur-
pris par le jour du Seigneur; car il n'y a
point de condition à laquelle il n'ail donne
des lois de sanctification, à laquelle il n'ait
fourni des exemples excellents, a laquelle il
n'accorde le secours de sa grâce, pour ac-
complir sa loi et pour suivre ses exemples,
et à laquelle il ne promette enfle sa gloire'
pour recompense de l'avoir suivi.
Tâchons donc maintenant d'apprendre à
ceux qui n'out pas suivi ces règles, et qui
157
SERMON POLIR LE PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT.
158
ont irrité le juge qui paraîtra dans ce der-
nier jour avec un appareil si terrible, les
moyens d'éviter sa colère et de se le rendre
favorable. C'est le sujet du second point.
SECONDE PARTIE.
II ne faut que recourir aux expressions de
l'Ecriture sainte pour comprendre combien
sera terrible la venue de notre juge. Qui
pourra, dit un prophète, seulement penser au
jour de son avènement, et gui en pourra sou-
tenir la vue? Il sera comme le feu qui fond les
métaux.
Il s'avance à grands pas ce jour du Sei-
gneur, est-il dit ailleurs, où le, plus puis-
sants seront accablés de maux ; ce sera un jour
de colère, un jour d'affliction et de misère, un
jour où les villes fortes et les hautes tours
trembleront au retentissement du la trompette.
Je frapperai les hommes de plaies, dil le Sei-
gueur ; leur sang sera répandu sur la terre,
comme la poussière, et leurs corps vwrts fou-
lés aux pieds comme du fumier. Tout leur or et
leur argent ne pourra les délivrer au jour de
la colère du Seigneur, et le feu dévorera toute
la terre. Alors il viendra pour juger, et tout
sera terrible dans l'appareil qui l'accompa-
gnera.
Avènement au resie qui ne doit pas uni-
quement s'entendre du jugement dernier et
universel. Ce jour dépeint avec des couleurs
si terribles, que Sophonie appelle le jour du
Seigneur, ce jour qu'il dit être si proche, se
rapporte aussi au jugement particulier qui
sera rendu à la mort de chaque homme. En
effet, mes frères, les yeux de ce juge redou-
table lanceront alors une lumière qui péné-
trera le fond de notre âme, et qui nous en
découvrira toute la corruption. Tout nous
est à présent caché : passions, fausses maxi-
mes qui régnent dans le monde, illusions,
exemples, tout semble actuellement nous jus-
tifier; mais à son tribunal tout cela sera dis-
sipé.
Maintenant tu ne le vois pas, pécheur , car
celte vie est un temps de stupidité. Toutes
nos connaissances sont sombres, obscures,
languissantes, si on les compare à ce qu'el-
les seront au moment de notre mort. Mais à
cette mort le rideau sera levé pour nous
faire voir les choses telles qu'elles sont en
elles-mêmes. Alors on verra toute l'étendue
des devoirs d'un chrétien, tout* s les impor-
tai les obligations d'un grand, tous les maux
qu'on a faits, tout le bien qu'on a pu faire,
tous les moyens de sanctification que Dieu
nous a offerts en vain ; cette multitude ef-
froyable de péchés plus grands, plus énor-
mes, plus scandaleux Les uns que les autres, |
la fausseté de celle douleur qu'on prétend en !
avoir conçue, l'inutilité de cette pénitence f
qu'on croit en avoir faite, les fondements '}
ruineux de cette déplorable tranquillité dans \>
laquelle nous avons vécu. Maintenant nous J
ne voyons rien, nos passions répandent un \
nuage sur tous ces objets, de fausses maxi-
mes nous rassurent, les préventions nous g plus de péché ; car prenez garde : qu'est-ce
aveuglent, l'exemple nous séduit, nous som- À que Dieu hait en vous? Est-ce votre per
mes entraînés par le torrent; cl, comme ce -1 sonne? nou. Est-ce votre condiliou? non
malheureux peuple dont il est parlé dans la
Sagesse , nous sommes tous liés par une
même chaîne de ténèbres qui ne se rompra
qu'à la mort. C'est alors, pécheur, que les
lumières qui sortiront des yeux de ton juge
porteront une clarté dans ton cœur qui t'en
découvrira le terrible désordre et l'effroyable
difformité; mais songes-tu que peut-être
dans un moment une main souveraine va ti-
rer le rideau qui te cache cet étrange spec-
tacle? Ah 1 Seigneur, ouvrez-nous les yeux
avant que la lumière qui sortira des vôtres
ne nous confonde en nous pénétrant 1 Mes
frères, pourrions-nous être assez attentifs
aux approches de ce terrible jour, de ce jour,
encore une fois, où nuire juge paraîtra dans
toute sa gloire et dans toute sa majesté, porté
sur les nuées, et revêtu de toute sa puis-
sance I Alors son indignation le portera
partout où peut aller le ressentiment d'un
Dieu méprisé. Il sortira, dit un prophète,
comme un guerrier invincible; il excitera sa
colère comme un homme qui marche au com-
bat ; il haussera sa voix, il jettera des cris, il
se rendra le maître de ses ennemis. Je me suis
tu jusquW cette heure, je suis demeuré dans le
silence; mais maintenant je me ferai entendre
comme uns femme gui est dans les douleurs de
l'enfantement; je détruirai tout, j'abîmerai
tout.
Mais comprenez bien, mes frères, qu'un
Dieu qui nous avertit si souvent et de tant de
manières que nous serons surpris, est bien
éloigné de vouloir nous surprendre; car telle
est la conduite de Dieu à notre égard, sa
bonté éclate dans les plus vives représenta-
lions de sa colère. SMus la description qu'il
nous en fait est affreuse, plus elle nous
prouve son amour, puisqu'il en retient les
effets.
Que faul-il donc faire? Car enfin nous
sommes pécheurs, et tout pé< heur doit être
puni. Ecoutez, mes frèrer. ■■> ' a excellente et
celle consolante doctrine ^ ■■ b«lut Augustin.
Il y a deux manières, dit cci. ci s. sable doc-
teur, de punir le péché, ou par la main de
Dieu, ou par la main de l'homme même ; et
ce qui prouve celle seconde manière, c'est le
soin que les prophètes ont pris de nous ex-
citer à retourner à lui par la pénitence, et
l'idée que la religion nous donne de cette pé-
nitence, comme d'une vertu qui lient la place
de la justice de Dieu. Que faut-il donc faire
si nous voulons éviter la colère de notre
juge, de ce juge irrité à la vérité contre nos
crimes , mais porté naturellement à faire
grâce au criminel? allons à lui. Mais com-
ment? avec une disposition d'humiliation et
de rcpcntancc, avec une disposition de pri-
vation et de retranchement, avec une dispo-
sition d'acceptation cl d'adhérence: moyens
uniques de fléchir sa juste colère.
Il faut donc une disposition d'humiliation
et de repenlanee. Qui a conçu le péché? c'est
la rébellion et la révolte. Soumettez donc
votre volonté à celle de Dieu, cl il n'y aura
159
OHATIXÏIS SACHES. l'OM JEKOMI.
16(1
encore; l'une et l'anlre est de lui, mais le
péché est de vous. Séparez ce qui est de
vous d'avec ce qui est de lui, et vous lui se-
rez agréable.
Mais il faut que cette rébellion soit punie
et châtiée dans son effet. Vous vous êtes mis
par le péché en la place de Dieu-même ; ren-
dez-lui le rang qu'il doit tenir dans votre
cœur. Renoncez à votre volonté corrompue,
entrez dans sa volonté par la pénitence. Fai-
tes donc ce que ferait sa justice. Quel a été
l'effet de cette rébellion? l'usage déréglé de
la créature contre l'ordre de Dieu : renon-
cez donc à tout amour déréglé. Quel doit donc
êlre le châtiment que vous devez subir?
c'est la privation des choses dont l'usage a
été déréglé. Ce moyen est facile ; car qu'est-
ce que Dieu vous demande? le sacrifice d'une
partie des choses que la mort va vous enle-
ver dans un moment : prévenons ce sacrifice
forcé par un sacrifice volontaire. Vous serez
bientôt dans la nécessilé de perdre, malgré
vous et sans fruit, ce qui peut vous former
une couronne éternelle. Le feu va tout con-
sumer clans un instant : oui, dans un instant
tout va finir pour vous. Imaginez-vous que
l'on vient vous dire : Un incendie va réduire
en cendre tout ce que vous possédez ; vous et
vos biens allez périr en même temps; il n'y
a qu'un moyen de vous sauver, c'est d'en
donner une partie. Que feriez-vous? Entrez
donc dans cette disposition de privation, et
sentez-en la nécessité. Mais si nous n'avons
pas assez de courage, au moins laissons agir
Dieu, et entrons dans une disposition d'ac-
ceptation et d'adhérence. J'entends par ces
ternies qu'il faut mettre à profit les priva-
tions que nous ne saurions éviter, et nous
conformer à la volonté de celui qui les or-
donne : dernier moyen de prévenir le cour-
roux d'un juge irrité.
Quand le malade est d'accord avec le mé-
decin, il est en voie de guérison. 11 n'aurait
pas de lui-même la force de se couper un
bras, le médecin lui en fait sentir la néces-
sité; eh bien, il l'abandonne, et il sauve parla
sa vie. Combien de privations avez-vous ren-
dues inutiles, qui vous auraient servi si vous
les aviez ménagées pour votre salut! Com-
bien d'atteintes à vos biens, à votre honneur,
à votre repos I Vous ne vous seriez jamais
avisé de souffrir ces choses pour Dieu, il y
aurait eu peut-être de l'indiscrétion à vous le
conseiller. N'arrive-t-il pas tous les jours la
perte d'un mari, d'un fils unique, mille au-
tres accidents qui vous humilient, qui vous
ruinent, qui vous déshonorent? Naissez la
tête, adore/ la main qui vous frappe. Ces
pertes sont nécessaires, mais elles sont des
moyens faciles, des moyens uniques d'apai-
ser votre juge. Il faut souffrir dans ce monde,
quelque horreur que nous ayons des peines
et des chagrins. Le temps passe, mon cher
frère, les deux tiers de votre vie sont passés,
le temps qui vous reste est bien court. L'é-
ternité est effroyable pour ceux qui n'ont
point apaise leur juge. Elle commencera
peut-être demain pour vous, cette longue,
celte effrayante éternité. J'ai beau rejeter la
pensée de la moi t et du jugement, je ne pui>
les éviter, je tomberai dans les mains du
Seigneur. Séparons-nous donc de ce qui nous
a éloignés de lui. Recourons à lui comme à
notre père, pour n'y pas être traînés comme
à notre juge. Ayons recourt à ta miséricorde,
à sa grâce, à ses sacrements pour détarmi r
sa justice. Cherchons en un mot daoi
mêmes plaies un asile contre ses foudn i.
Venez donc en moi, Seigneur Jésus ! Juge
souverain! Allumez-y le feu que rooi élei
venu appoiter sur la terre, afin qu'il con-
sume et qu'il détruise dans mon cœur tout
ce que le feu de votre justice y trouverait à
détruire lors de votre dernier avènement,
et afin qu'étant ainsi disposé j'attende avac
impatience le jour de votre jugement, jour
heureux qui me réunira à vous pour toute
l'éternité. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE DE l'aVEHT.
Sur le luxe.
Quid existis \idi're? Dominas rnollibus vestilum'1 Ecce
qui rnollibus vesliuohir, in ttomibos regum tant.
Qui êtet-vom allésvoir '! Un homme velu mec luxe eiatee
mollesse '! Vous sa'-ezqve ceux qui t'habillent ami sont dont
les maisons des rois {Maltli., M, 8).
Ces paroles de l'Evangile nous découvrent
une vérité dont peu de gens veulent se con-
vaincre : c'est, mes frères, que le luxe des
habits, que l'amour des vaines supcrlluites
dans les choses qui sont à l'usage des hom-
mes, est un grand péché pour des chrétiens.
Qui éles-vous allés voir dans le désert ? Est-
ce un homme vêtu avec luxe et avec mollesse ?
Le Sauveur du monde veut, il est vrai, auto-
riser par là la prédication de Jeau, mais il
veut en même temps condamner le luxe des
chrétiens, dit saint Grégoire ; car si ce luxe
n'était pas un péché, Jésus-Christ ne donne-
rait pas des louanges à la vertu contraire
dans la personne de son précurseur.
Vous savez que ceux qui s'habillent de celte
sorte, continue l'Evangile, sont dans les pa-
lais des rois. Paroles qu'il n'ajoute pas. dit
saint Grégoire, pour autoriser le luxe dans
la personne des grands, mais pour nous ap-
prendre que ceux qui tombent dans le luxe
quittent Jésus-Christ pour embrasser le parti
du monde.
Qu'on ne s'imagine donc pas que l'amour
du luxe et des superfluilés que la vanité au-
torise puisse être sans péché; ce serait se
livrer à une illusion grossière, que je veux
combattre dans ce discours, où j'ai dessein
de vous faire voir l'opposition du luxe à
l'esprit du christianisme; et afin que muis
puissions donner plus d'atteinte à cet ennemi
déclaré de l'Evangile et des vertus évangéli-
ques, nous attaquerons les raisons que les
hommes allèguent pour le défendre, et nous
en ferons voir la faiblesse.
Celte matière au reste est trop importante
pour devoir la traiter légèrement, et trop
vaste pour pouvoir la renfermer dan- I s
justes bornes d'un seul discours. Nous nous
attacherons donc dans celui-ci a fane voir
l'opposition du luxe à l'esprit du chrislia-
ICI
SEUMON POUR LE DEUXIEME DIMANCHE DE L'AVENT.
162
nisme; et dans le discours suivant nous achè-
verons celle malière. Demandons l'assistance
du Saint-Esprit. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
On ne peut avoir l'esprit du christianisme
sans posséder trois vertus que le luxe détruit
entièrement : l'humilité, la pénitence et la
miséricorde. L'humilité est le premier carac-
tère de l'esprit du christianisme; car nous
ne pouvons pas être chrétiens que nous ne
soyons les imitateurs d'un Dieu anéanti. La
pénitence est le second caractèrede cet esprit ;
car nous ne pouvons arriver à la gloire
destinée aux chrétiens, qu'en marchant par
la voie que le Sauveur nous a tracée. Enfin la
miséricorde est le troisième caractère de cet
esprit ; car le Dieu qui nous a ouvert le ciel
par son humilité, et qui nous en a tracé le
chemin par ses souffrances, nous a recom-
mandé d'aimer comme nous-mêmes ceux
à qui il nous a unis dans un même esprit et
qui marchent dans le même chemin. La re-
connaissance môme que nous devons à Jé-
sus-Christ de nous avoir réconciliés en nous
mettant dans son propre corps, exige de nous
de vivre dans la charité avec tous nos frères,
et de les porter dans notre cœur, selon ce
que dit l'Apôtre : Faites régner dans vos cœurs
la paix de Jésus-Christ à laquelle vous avez
été appelés,comme ne faisant tous qu'un corps.
Or, mes frères, 1° le luxe nourrit l'orgueil
dans l'âme du chrétien, et d'un enfant de
Dieu qui doit être humble, il en fait un su-
perbe; 2° le luxe fait rejeter la pénitence, et
d'un aspirant à la gloire qui doit être péni-
tent, il en fait un voluptueux; 3° le luxe
anéantit et exclut la miséricorde, et d'un
membre de Jésus-Christ qui doit être tendre
et compatissant, il en fait un inhumain. C'e>t
par ces trois réflexions qui feront toute la
matière de ce discours que je veux vous con-
vaincrede l'étrange opposition qu'il y a entre
l'amour du luxe et l'esprit du christianisme.
Je commence par le premier effet du luxe,
qui est l'opposition qu'il a avec l'humilité, et
j'expose d'abord la nature île celle vertu, que
saint Augustin appelle le caractère et le par-
tage des chrétiens, par laquelle, dit-il, nous
devenons les enfants de la promesse, et qu'il
regarde comme ce qu'il y a de plus impor-
tant à observer dans la religion chrétienne.
Nous disons donc, avec saint Bernard, que
l'humilité est une vertu qui l'ail que l'homme,
en se regardant par les yeux de la foi. et par
la véritable connaissance de ce qu'il esl, n'a
que du mépris pour lui-même.
C'est, mes frères, la véritable situation du
cœur d'un chrétien : il faut que, dans quel-
que étal de grandeur et d'élévation où il
puisse se trouver, il n'ait que du mépris pour
lui-même. Or, selon cette idée, je dis que
l'amour du luxe est une marque certaine
que l'humilité n'est pas dans notre cœur, et
j'ajoute que s'il y avait en nous quelque
disposition à cette vertu, le luxe la détrui-
rait entièrement. L'orgueil enfante le luxe,
voilà son origine. Le luxe nourrit l'orgueil,
voilà son effet. Juge/ de là s'il n'est pas op-
posé à l'humilité. Oui, mes frères, c'est l'or-
gueil qui enfante le luxe, et partout où \o le
vois, je le regarde comme une marque cer-
taine qu'il n'y a point d'humililé dans le
cœur qui l'aime. En voici la preuve.
Qu'entendons-nous par le luxe, et qu'est-
ce que ie luxe? C'est une invention de l'a-
mour-propre par laquelle un homme plein
d'orgueil se cache à lui-même ce qu'il est
et montre aux autres ce qu'il n'est point ;
c'est l'art de se donner pour ce que l'on n'est
point, par l'éclat, le faste, la magnificence
dans les équipages, dans les meubles, dans
les habits ; et ne vous y trompez pas, chacun
dans son état et par rapport à ses facultés
peut être atteint de ce vice. Ce qui serait
effectivement d'un usage modeste et humble
pour une personne de qualité est un vrai
luxe pour une personne médiocre. II ne s'agit
que d'être attaché quelquefois à ce qui ne
paraît presque rien en soi, à un diamant, à
un collier, à des ornements sur un habit,
enfin à tout ce qui excède sa condition. Car,
nies frères, c'est le cœur et les affections
qu'on regarde dans le chrétien, et il importe
peu à quoi le cœur soit attaché, si cette at-
tache le sépare de Dieu : de même qu'il est
indifférent par où l'homme se cache sa mi-
sère, s'il se perd de vue et qu'il s'élève. Or
il est certain que c'est le désir de s'agrandir
et de se dérober à soi-même la vue de sa pe-
titesse ; c'est le dessein d'éblouir les yeux des
autres pour les empêcher de nous voir tels
que nous sommes, qui nous fait ajouter à
notre état ce qui n'en est point. Il n'y a pres-
que personne qui soit content de ce qu'il est,
et qui, dans le désir que l'orgueil et l'amour-
propre lui inspirent d'êlre ce qu'il n'est point,
ne veuille faire croire aux autres qu'il est
déjà ce qu'il désire d'èlre. Ainsi un grand
seigneur veut passer pour plus riche qu'il
n'est, ou aller de pair avec un plus grand
seigneur que lui : il ajoute par le faste à ce
qu'il est, et, voulant égaler celui qui est au-
dessus de lui par l'éclat, s'il ne le peut par
la qualité, il se jette dans des dépenses qui
éblouissent le monde et qui le ruinent. Une
personne d'une condition médiocre veut pas-
ser pour plus qu'elle n'est par son état : son
orgueil ne peut souffrir qu'on la reconnaisse
d'une condition inférieure. Une femme d'un
ordre médiocre se met comme les femmes
d'un ordre plus élevé : elle fait des dépenses
sur elle et dans ses meubles qui excèdent son
état, et nous ne pouvons plus distinguer la
femme d'un magistrat el d'un grand officier,
d'avec celle d'un artisan aisé et d'un riche
négociant. Comment voulez-vous donc que
je croie que cette personne aime ce qu'il y
a de bas et d'humble dans l'étal où Dieu l'a
mise ? Or chacun doit aimer ce qu'il y a
de vil et d'abject dans son état; c'est là,
selon saint Ambroise, une partie de notre
pénitence, cl un des devoirs de notre soumis-
sion aux ordres de Dieu sur nous.
Comment voulez-vous que je croie que
celle personne connaît son néant et qu'elle
n'a que du mépris pour elle-même, ce qui
est proprement ce qu'on appelle humilité,
163
OIUTKLIIS SACHES. IXJil JEROME.
ICJ
quand je vois que, travaillant à se cacfaor à
elle-même ce qu'elle est par Tordre de Dieu,
elle l'ait tous ses cITorls pour montrer aux
autres ce qu'elle n'est point ? Je sais, mes
frères, que \ous prétendes, que tout cela se
l'ait saiii amour pour les choses que je con-
damne, mais par de certains égards de bien-
séance ; qu'on sait fort bien ce qu'un est,
mais qu'un ie l'ait pour éviter certaines di >-
linclions désagréables dans le monde, que
les geas même d'une piété réglée doivent fuir,
et qu'ainsi on aime l'humilité comme un
chrétien la doit aimer, quoiqu'on garde au
deliors certaines mesures qu'une conduite
sage permet de suivre. Mes frères, ne nous
abusons point par celle fausse raison : ne
confondons point les sentiments de l'esprit
avec les aiïections du cœur; car souvent
nous avons l'estime des vertus sans en avoir
l'amour, et elles sont quelquefois dans noire
esprit sans être dans notre cœur. Ce que
j'avance ici se peut trou\cr dans toutes les
vertus ; mais encore plus à l'égard de celle-ci.
Comment démélerai-je donc dans l'homme le
sentiment d'avec l'affection, cl l'estime d'a-
vec l'amour? Ce sera par la conduite, car ce
n'est pas l'esprit seul qui la règle, c'est
le cœur : nous n'agissons pas par uolro
estime , mais par notre amour. Nous avons
tous de l'estime pour la vertu, il n'y a rien
en nous qui s'oppose à cette estime ; il n'en
est pas de même pour l'amour. 11 n'en coûte
rien pour estimer, l'estime n'est pas con-
traire à nos passions, elle ne contrarie point
les affections du cœur ; mais l'amour est bien
différent, il faut agir, il emporte avec lui la
pratique de la vertu que l'on aime.
Ainsi, mes frères, je reconnaîtrai qu'une
personne élevée par sa naissance est humble
dans sa grandeur et qu'elle conserve cette
humilité lorsque , la nécessité indispensable
de son état l'obligeant de paraître dans une
magnificence qui lui convient, elle gémit
comme Eslher, et qu'elle dit comme cet e
sainte reine : Vous suvez, mon Dieu, combien
j'ai en horreur toutes les marques d'honneur,
de grandeur et de gloire que je porte aux
jours que je suis obligée de paraître aux
geux des hommes ce que je suis.
Je reconnaîtrai dans un grand seigneur et
dans une femme de la première qualité, que
ce gémissement est sincère, et qu'il pari
d'une aversion véritable qu'on a de loul ce
faste et de toute celte distinction qui convient
si peu à un chrétien, et qui l'afflige toujours
quand il est humble, lorsque, vivant ordi-
nairement d'une façon simple et modeste, la
magnificence de son étal ne parait que dans
des rencontres extraordinaires. Ainsi saint
Louis, nous dit son histoire, était modeste cl
ennemi du luxe dans son particulier, mais
pompeux et superbe dans les cérém nies pu-
bliques.
Ceci doit donc servir de règle air: grands
seigneurs cl à ceux qui sont dans des postes
éiuiueuls, pour connaître la situation de leur
cœur, ci pour accorder les obligations du
christianisme a\ec les obligations de leur di-
gnité; mais à l'égard des particuliers qui
n'ouï point la rations à allé-
guer, ce D • pi ul être que l'envie di
ce qu il point (jui leur fait r<
cb r l'écl it cl la magu dont leui
est capable : CI c'est là le caractère d un pur
orgueil enraci le coeur qu en basse
l'humilité etqnieffacelecaractéredecurétien.
Cet orgueil secret produit le luxe
rieur, 1 1 comme il est ennaciaé dans le i
on lient à ce luxe d'une minière forte ef
violente, quoique imperceptible. Ou <• croil
autorité par la coutume, on croit que <
qu'un certain esprit de bienséance qui nous
y attache faiblement ; et eu effet, tant qu'on
ne nous contrarie point dans noire usage, et
qu'on laisse notre orgueil en repos, nOJ
intous point notre attachement; mais
vient-on nous parler de retranchement, < i »t
alors que l'orgueil se réveille et que l'alla lie
se fait sentir. On g'élève contre les
l'Evangile qu'on nous allègue pouraulori er
le retranchement qu'on propose ; on mé-
prise l'exemple des saints , on ne veut point
jeler les yeux sur les obligations essentielles
iiii christianisme, qu'on soutient n'être point
blessé par cet usage ; et, par un aveoglemenl
qui est la juste punition de l'orgueil, on
aime mieux risquer son salut pour conser-
ver ce qui Halte cet orgueil, en suivant des
voies incertaines, que d'assurer son salut et
d'exposer ce que nous aimons eu suivant
les voies les plus sûres le la religion et h s
règles de l'Ecriture. Voilà l'effel de l'orgueil
qui se fortifie dans le luxe ; car le luxe nour-
rit l'orgueil. Pourquoi pensez-vous que eelto
illustre reine dont je viens de parler re-
garda avec tant d'horreur toutes les marques
de sa grandeur cl de sa gloire ? pourquoi
pensez-vous que le saint roi dont j'ai rap-
porté l'exemple usait si rarement de ces
marques éclatantes de sa dignité ? c'en!
qu'ils craignaient que l'usage de ces choses
ne leur fil perdre la vue de leur misère et
ne leur i us; i ai do l'orgueil. Ils étaient
pleins de cet avertissement si sage d- 1*1
siasle : iN'e vous glnifîez point de vos vrte-
ments. Ils savaient, mes très-ehers frères,
que l'éclat des habits et la pompe qui accom-
pagnent les dignités , même les plus saintes,
sent toujours dangereuses à l'humilité ; eue
c'est comme la pâture de celte inclination
superbe qui est dans notre cœur, et qu'enfin
le luxe qui est pr. doit par l'orgueil nourri!
.cil à son tour. Quelques raisons que
apportiez pour justifier le luxe , le
Caste d la magnificence excitent une sccrèlo
élévation dans le cœur. On esl plus fier quand
on est plus orné, on se sait bon gré, ou veul
être regardé, on souffre avec plus de peine
même d'être poussé dans une église OU on
lie doit venir que pour s'humilier devant
Dieu ; enfin chacun dans son et.it est plus
enflé, quand il esl vêtu pompeusement. Il
n'en faudrait pas davantage pou, hor-
rer le luxe à un homme qui penserait à SOR
salut. Je ne puis être sauve s.ans II
lien, je ne pui irétien >a:ts être hum-
ble ; car liens sont les enfants de
Dieu, cl le caractère des enfants de Dieu r est
m
SERMON POUU LE DEUXIEME DIMANCHE DE L'AYENT.
166
l'humilité: au conlraire, !o caractère des
enfants du démcn, c'est l'orgueil; il faut
donc que je rejette tout ce qui procède de l'or-
gueil, tout ce qui peut le nourrir et le forti-
fier, tout ce qui en a la simple apparence. Il
fout que j'aie une sincère aversion pour tout
ce qui est du monde, pour tout ce qui peut
être produit par l'estime de moi-même, pour
tout ce qui peut entretenir celte estime, qui
est le caractère des enfants du prince du
monde et de ceux qui vivent par son esprit.
Ainsi parle un homme qui pense sérieuse-
ment à faire son salut : il plaint les insensés
qui ne veulent pas voir les désordres du
luxe, et il s'en retire sagement, de peur qu'il
ne lui inspire la mollesse si contraire à l'es-
prit du christianisme et si inséparable du
luxe : et c'est là le second effet et le second
degré de l'opposition du luxe au vérita-
ble esprit du chrétien.
Personne en effet ne peut nier que l'esprit
du christianisme ne soit un esprit de péni-
tence. Il ne faut que considérer qui en est
l'instituteur, ce qu'il s'est proposé en le for-
mant , qui sont ceux qu'il y a appelés ,
quelles sont les lois qu'il leur a données.
L'instituteur du christianisme, c'est Jésus-
Christ, un Dieu fait homme, et livré par son
amour pour nous aux souffrances et à la
mort. Lu fin qu'il s'est proposée en formant
le christianisme a été d'ouvrir un chemin
aux hommes pour retourner à la gloire
qu'ils avaient perdue par leurs péchés, et
qu'il a acquise pour eux par sa morl. Ceux
qu'il reçoit dans le christianisme, ce sont des
hommes rebelles et ennemis de Dieu, exclus
de la gloire, dignes de la mort éternelle,
qu'il purifie de leurs péchés, qu'il réconcilie
avec son Père, et qu'il remet dans le chemin
de la vie éternelle. La condition qui leur est
imposée, c'est de suivre l'exemple qu'il leur
a donné, et de garder les règles qu'il leur a
prescrites, qui sont de renoncer à soi-même,
de porter sa croix et de le suivre.
Tout cela nous fait voir que l'esprit du
christianisme ne peut être qu'un esprit de
pénitence , puisque le chrétien qui y est
formé est un péciieur qui vient recevoir les
moyens qu'un Dieu souffrant lui a donnés
pour se purifier de ses crimes et pour
se rendre digne de la gloire, on prenant part
lui-même à ses souffrances, et en suivant le
chemin qu'il lui a tracé cl le:; règles qu'il lui
a prescrites. De là, mas frères, sonl venues
toutes ces belles expressions des saints
Pères, pour nous donner «Je grandes idées
de cet esprit, et que je réunis dans celle
seule expression du concile de Trente: Tonte
la vie chrétienne doit litre une vie de péni-
tence. Or le luxe est opposé à la pénitence,
cl il détruit le second caractère de l'esprit
chrétien.
Pour vous le faire voir, il n'y a qu'à con-
sidérer la pénitence, dans ce qui regarde le
cieur, où réside l'essence cl 1 aine de celle
vertu, qui consiste dans le changement du
cœur, dans son bris ;.ent, dans son. anéan-
tissement devant Dieu, comme parle l'Ecri-
ture. Pour ce qui regarde le corp; oui reçoit
les ordres du cœur contrit et pénitent, comme
il a servi d'instrument au péché, il doit aussi
participer à la pénitence. Or, mes frères, la
première et la plus importante partie de la
pénitence est détruite par le luxe, et cela
par l'opposition qu'il a avec l'humilité; car
comme l'humilité est l'âme de la pénitence,
il ne peut y avoir de pénitence véritable,
sincère et de cœur, où il n'y a point d'humi-
lité. C'était autrefois une coutume ordinaire
de témoigner sa douleur en déchirant ses
habits : on en voit mille exemples dans l'E-
criture. Job déchire ses habits dans la dou-
leur que lui cause la perte de ses enfants.
Jacob en fait autant ayant reconnu la robe
de son fils Joseph. Dans presque tous les
exemples que l'Ecriture nous rapporte de
grandes pénitences, elle nous dit que ceux
qui s'y sont soumis ont commencé par dé-
chirer leurs habits, par rejeter tous leurs
ajustements, par se revêtir de sacs et cou-
vrir leurs têtes de cendres. Les Ninivitos
crurent à la parole de Dieu, et ils se couvri-
rent de sacs , depuis le plus grand jusqu'au
plus petit ; le roi même se lova de son trône,
quitta son vêtement royal, se couvrit d'un
sac cl s'assit sur la cendre. Mais tenons-
nous-en à ce qui se passe dans ce siècle de
corruption; on n'ose pas encore aujourd'hui
se présenter à la pénitence dans la magnifi-
cence et dans le luxe ; on n'apporte point au
tribunal ses ajustements et ses parures, on
sent bien l'opposition qu'il y a entre tout
cela et la disposition d'un vrai pénitent. On
prend un habit qui a quelque rapport avec
l'action qu'on va faire ; on met quelque pro-
portion entre son vêtement et ses paroles,
au moins afin de s'abuser soi-même et de
tromper celui qui ne voil pas le cœur.
Mes frères, tout doit être vrai dans un
chrétien : ses paroles ne doivent pas dé-
mentir son cœur, ses habits et sa conduite
ne doivent point être contraires à ses paroles,
mais leur conformité mutuelle doit durer
toujours : ce n'est pas une cérémonie d'un
instant, l'amour de la simplicité ne doit ja-
mais quitter un cœur qui est à Dieu. Si vous
ne quittez donc votre luxe que pour appro-
cher des sacrements, il n'y a point de péni-
tence intérieure, car il n'y a point de péni-
tence intérieure et véritable dans un cœur
où règne l'amour du luxe, puisqu'on quitte
le luxe cl le faste sans les abandonner. On
les laisse un moment pour les venir repren-
dre; ainsi il n'y a point de changement de
cœur, et par conséquent point de pénitence.
On fait croire aux autres que l'on condamne
ce qu'on aime, et l'on reprend bientôt après
ce que l'on n'a point condamné réellement.
C'est ainsi, ô mon Dieu ! que se passe la
vie des chrétiens , dans laquelle le luxe
anéantit entièrement toutes les traces de la
pénitence, cl où nous ne voyons aucun ves-
tige ni aucune marque de ce caractère de
prit chrétien 1 Nous ne voyons plus qu'une
mollesse universelle et générale qui sort du
>: comme de SA source malheureuse, et
qui s'est répandue sur toutes les actions et
sur tous ies mouvements des chrétiens. Celui
107
OHATEUItS SACRES. DOM JEROME.
IC8
des habils a attiré celui des équipages; car
quand on s'est vu velu si proprement cl
avec tant de magnificence, on a voulu que
tout se ressemblât, ou au moins on s'est ai-
sément persuadé qu'il n'y avait pas d'appa-
rence d'exposer des habits si précieux. On a
donc cessé de marcher à pied , on s'est
épargné celte fatigue, cl on est devenu pa-
resseux, lâche, sans force et sans vigueur :
de là ces meubles riches et brillants, ces
maisons magnifiques et superbes, soit à la
ville, soit à la campagne. La commodité des
équipages a rendu ces maisons de campagne
nécessaires; ces maisons qu'on a embellies
pour le plaisir ont atliré les parties de di-
vertissements, des fêtes, des repas dans les-
quels on s'est piqué de joindre la délicatesse
avec l'abondance et la propreté. Par ces re-
pas on s'est accoutumé à la bonne chère ; et
plus l'habitude a rendu tout cela nécessaire,
plus la mollesse s'est débordée d'une manière
si déplorable, qu'on ne reconnaît plus le chris-
tianisme, et que la pénitence, qui est un des
caractères de son esprit, n'y est plus connue
que de nom. Mon Dieu, quelle situation pour
un homme plongé dans tout ce que je viens
de dire, el qui peut-être sera mort dans huit
jours 1
Le second effet du luxe est donc l'oppo-
sition qu'il a avec l'esprit du christianisme;
nous allons exposer dans la dernière partie
de ce discours son troisième effet, en vous
montrant qu'il anéantit la miséricorde.
SECONDE PARTIE.
Je ne m'arrêterai point à vous dire que
nous devons aimer le prochain, et que l'es-
prit du christianisme qui nous unit à nos
frères pour ne faire qu'un corps avec eux
sous Jésus-Christ qui en est le chef, ne peut
subsister en nous que nous ne soyons pleins
de tendresse, de sensibilité, de miséricorde
et de charité pour eux. Jls doivent être en
nous, et nous devons être en eux, si nous
sommes en Jésus-Christ qui nous commande
d'aimer nos frères comme nous-mêmes. Nous
devons être dans le prochain par l'intérêt
que la charité nous fait prendre dans ses
besoins ; et il doit être en nous par le^ droit
que la même charité lui donne sur nos fa-
cultés.
Il faut supposer ces grands principes de la
religion dont tout le monde convient; mais
il ne faut pas passer légèrement sur le ren-
versement de ces mêmes principes, qui pro-
vient de la négligence pour les pratiques
qu'on ne croit point criminelles , quoique
elles renversent tout. Tel est le luxe el l'a-
mour des superfiuités vaines et déréglées qui
étouffent la miséricorde cl la tendresse dans
le cœur des hommes, el qui d'un chrétien
dont un des devoirs principaux est d'être
sensible aux misères de ses frères qui sont
membres d'un même corps que lui. lait un
impitoyable cl un inhumain.
l'our vous prouver ce que j'avance ici, il
faut établir ce principe que l'amour que nous
devons avoir pour le prochain ne doit pas
cTre un amour stérile; carie Sauveur, qui
noua a commandé île nous aimer les uns les
anl l proposa ui-méme pour exemple !
Vous vous aimeiez, lit-il, comme je vous ai
aitnéi.
Or nous savons bi< i que son amour pour
nous n'a pas été stérile. Il ne faut donc pas
que le nôtre pour no< frères le soit, pour
qu'il puisse être semblable an sien; el d'ail-
leurs il est impossible qu'un amour véritable
soit oisif el sans action.
Sainl Augustin nous marque ce que nous
devons à nos Irères par le titre de l'amour
qui nous unit à eux. II y a en eux, dit ce
saint docteur, une âme et un corps; nous
sommes redevables à l'un el à l'autre, et la
charité nous oblige de faire du bien à dus
les deux. Ce que je dois à son corps, c'est sa
santé, c'est-à-dire tout ce qui peut contri-
buer à sa conservation , et subvenir à ses
nécessités. Je dois à son âme ce qui peut
contribuer à son innocence et à éloigner les
occasions du péché. Si je vous fais donc voir,
mes frères, que le luxe est un piège tendu à
l'innocence du prochain, et que par là vous
lui donnez mille occasions de pécher, si d'ail-
leurs je vous montre que c'est un obstacle à
la compassion et à la miséricorde que vous
lui devez, et que parla vous le livrez à la
pauvreté et à la misère, sans en être touchés,
n'aurai-je pas raison de conclure que le luxe
étouffe l'amour du prochain, el qu'il rend les
chrétiens doublement inhumains à l'égard de
leurs frères.
Je laisse là l'oisiveté, les injustices, la va-
nité, les rapines, l'avarice, l'impureté el mille
autres crimes dont il est la source, et qui
ont obligé sainl Chrysostome à dire aux
femmes, contre la vanité el le luxe desquelles
il prêchait, qu'il le regardait en elles comme
une peste publique qui tue non les corps
mais les âmes, el dont on peut dire qu'il lue
tous les deux; c'est aussi comme en parle
saint Cyprien ; mais je m'attache unique-
ment au scandale que le luxe donne, luxe
par lequel la charité dont il s'agit esl ruinée
entièrement; car peut-on l'attaquer plus
cruellement, qu'en insinuant dans l'âme un
poison qui la tue?
N'est-ce pas ce que font les personnes
mondaines à qui l'amour du luxe el de la
vanité fait inventer de nouvelles modes d'ha-
bits, d'airs, d'ajustements, de manières de se
mettre que les autres veulent suivre ; car
celles qui sont à peu près du même rang
brûlent du désir d'être aussi parées que les
autres, cl ensuite, dit saint Thomas, elles
s'arment contre leurs maris, et les tourmen-
tent jusqu'à ce qu'ils les aient satisfaites.
N'en v oyons-nous pas même qui, dans des
conditions médiocres et beaucoup au-dessi
de celles du premier rang, voulant faire d B
dépenses qui ne leur conviennent point,
auxquelles le bien des plus riches maisons
ne suffirait pas, contraignent en qnelqoa
sorte leurs maris par leur mauvaise conduite
à chercher dans L'oppression des pauvres de
quoi fournir à leur vanité.'
On va quelquefois plus loin, dit sainl Chry-
sostome, el même jusqu'à acheter de la perle
1G9
SERMON POUR LE DEUXIEME DIMANCHE DE L'AVENT.
170
de son honneur ce qui doit servir à satisfaire
sa vanité criminelle. Ce désordre et ce scan-
dale ne tinit pas là, il pa^se jusqu'aux gens
de l'état le plus médiocre, et ceux q,u'ii ne
saurait corrompre en leur inspirant l'amour
du luxe, il attaque leur innocence en les ap-
pliquant à l'entretenir. C'est une belle ré-
flexion de saint Chrysostome : il se plaint
que le luxe a corrompu les arts les plus sim-
ples, les plus nécessaires et les plus inno-
cents, tels que sont ceux qui regardent uni-
quement les nécessités de la vie ou qui y ont
quelque rapport.
En effet y a-t-il rien de plus innocent que
de bâtir des maisons? C'est une chose né-
cessaire à la vie, il faut être logé; mais le
luxe a corrompu cet art. On ne bâtit point
des maisons pour la seule nécessité; on n'en
fait point qu'on n'y ajoute mille ornements
superflus. De même y a-t-il rien de pins né-
cessaire que de faire des étoffes et des ha-
bits? car il faut être vêtu, mais, dit saint
Chrysostome, l'art de la draperie consiste à
faire des étoffes d'usage et de service, et non
pas à en faire de si fines qu'elles ressemblent à
des toiles d'araignée.
L'art de vêtir les hommes consiste à tailler
les habits d'une manière propre à couvrir le
corps pour le garantir des injures du temps
et pour ménager la pudeur de l'âme; mais il
ne consiste pas à chercher uniquement des
agrémenls dans les marques de notre con-
fusion, et à trouver des moyens d'attenter à
la pudeur dans ce qui n'a été inventé que
pour la conserver. Les arts, qui d'eux-mê-
mes sont fort innocents, sont donc devenus
criminels en partie par la corruption du
luxe, et votre vanité les a rendus dangereux
à ceux qui les exerçaient avec simplicité.
Car pour vous satisfaire on passe toutes les
bornes de la nécessité, afin d'alteindre à
l'excès de la propreté et de la politesse; et
corrompant ainsi l'innocence de leur pre-
mière institution, on a joint un artifice su-
perflu et mauvais à un art qui de lui-même
était bon et nécessaire. De là saint Chrysos-
tome conclut qu'on doit souvent ôier à ce
travail le nom d'art, pour le mettre au nom-
bre des occupations superflues; ce qui fait que
ceux qui se trouvent dans ces sortes de pro-
fessions, et qui ont In crainte de Dieu, em-
barrassent très-souvent ceux qu'ils consul-'
tent, et qui veulent garder quelque exac-
titude. D'un côté le fond de leur profession
est hon et nécessaire; mais d'un autre côté
ils ne peuvent presque plus l'exercer dans
l'étal où vous avez mis les choses, sans em-
ployer toute leur adresse pour contribuer au
luxe et à la mollesse. Je ne doute pas, con-
tinue ce saint docteur, que plusieurs de ceux
qui m'entendent ne méprisent ce que je dis,
ou qu'ils ne m'accusent de bassesse, croyant
que je m'arrête à de trop petites clioses (car
ce grand homme était descendu jusqu'à parler
du luxe des souliers, qu'on brodait alors avec'
beaucoup de soin); mais je leur déclare,
dit-il, que cela ne m'empêchera pas de m'é
les maux est qu'on néglige les péchés parce
qu'on les croit petits.
Rapportez en effet, mes frères, cette con-
duite à vos obligations, et vous trouverez
que le précepte d'aimer le prochain vous en-
gage à contribuer à son s'ilut et à l'éloigner
des occasions du péché, comme nous l'avons
marqué avec saint Augustin. Par votre con-
duite vous contraignez ceux qui dépendent
de vous, ou que vous employez, à travailler
à des ouvrages qui ne respire, t que le luxe
et la vanité, et qui ne peuvent servir qu'à
vous perdre ou à perdre les autres. Vous de-
venez l'occasion de ce que les autres s'ins-
truisent à y réussir, vous corrompez vos
égaux par votre exemple; en un mot vous
êtes un sujet de scandale, et pour ceux qui
vous voient, et pour ceux qui travaillent
pour vous.
Mais que ne pourrais-je pas vous dire sur
les obstacles que votre iuxe forme à la com-
passion et à la miséricorde que vous devez
au pauvre dans ses besoins? Car vous livrez
les pauvres à la misère et quelquefois au
désespoir, en leur refusant le superflu de vos
biens, sur lequel Dieu a assigné leur subsis-
tance, et que vous consumez cruellement en
superfluités criminelles. Vous voyez tran-
quillement Jésus-Christ au milieu de v.vus
qui n'a pas de pain, qui est nu, qui est
chargé de fers. De quelles foudres n'éles-
vous pas dignes de le négliger ainsi, lors-
qu'il manque de ce qui lui est le plus néces-
saire, et cela pour employer l'argent dont il
devrait élrc nourri, à des choses non-seule-
ment inutiles, mais qui très-souvent ne seri
vent qu'au péché I
Considérez tous ces pauvres qui vous en-
vironnent ; votre magnilicence les irrite,
dans la faim qui les presse et qui les dévore.
Lenr nudité crie vengeance contre ces vête-
ments superbes et cet appareil qui pourra
un jour vous coûter bien cher. Que doivent
attendre de la justice de Dieu ceux qui joi-
gnent l'injustice à la dureté, et qui ont fait
eux-mêmes une autre espèce de pauvres
qu'ils ne veulent point soulager, et dont ils
sacrifient le bien , l'honneur et le repos à
leur luxe et à leur vanité? Je veux dire ceux
qui empruntent et qui ne payent pas, qui
ruinent ceux qui leur prêtent, et qui, au
lieu de retrancher non-seulement le super-
flu, mais même le nécessaire pour satisfaire
leurs créanciers, cherchent à en tromper
id'autres par de nouveaux emprunts, et ne
s'occupent qu'à grossir le nombre des misé-
rables qu'ils abîment et qu'ils voient périr
sans pitié.
Faites réflexion sur ces importantes véri-
fiés, mes très-chers frères. Que peut devenir
un chrétien sans humilité, sans pénitence,
sans miséricorde? Que peut devenir un
homme qui fait voir | ar toute sa conduite
qu'il n'a que la vanité dans l'esprit, la mol-
lesse dans le cœur cl la dureté dans l'âme?
11 ne «toit attendre assurément aucune misé-
ricorde de Dieu . puisqu'il a effacé en lui
tendre sur cette matière : la cause de 1ous..ttous les caractères de son esprit!
Orateurs sacrés. XXX. <;
iïl
ORATEURS SACHE*. DUM JEROvIE.
\-,±
Songez donc à racheter vos pèches par la
miséricorde; nous vous ferons voir dans le
premier discours que toutes les raisons que
vous pouvez alléguer pour vous dispenser
de la l'aire et pour soutenir votre luxe, s ml
frivoles. Dieu nous lasse la grâce de vo.is en
persuader efficacement. Ainsi soil-il.
SERMON
POU U LE TROISIÈME DIMANCHE DJi LAVENT.
Tu quifl es?
Qui éie.->-vous (Joan.
I, 10)1
Le luxe des hommes et leur ambition nous
donnent lieu de faire celle demande à lout
le monde. On est aujourd'hui dans un si
étrange dérèglement, que, n'y ayant presque
plus de différence dans les conditions par les
dehors, on est obligé de demander aux per-
sonnes que l'on rencontre pour les connaî-
tre : dites-nous donc qui vous êtes?
Je veux vous parler aujourd'hui, mes frè-
res, de ce désordre qui renverse toute l'éco-
nomie que la ; rudence a voulu établir dans
le monde, et qui dérange tous les desseins
que Lieu a formés pour la conduite des hom-
mes : nous vous avons fait voir dans le dis-
cours précédent que le luxe élait opposé à
l'esprit du christianisme ; il faut combattre
aujourd'hui les raisons que les hommes em-
ploient pour le défendre, et vous en décou-
vrir la faiblesse et la fausseté. Je les réduis
à quatre principales. La première, c'est la
coutume qui a mis les choses sur un certain
pied d'où on ne peut plus descendre sans
passer pour singulier. La seconde , c'est la
Bienséance de l'état qui engage à de certai-
nes choses qu'où ne peut quitter sans la
blesser. La troisième, c'est qu'on a une cer-
taine prudence, dont on se sait bon gré, qui
règle les dépenses sur le pied des fonds, et
avec laquelle on dépense ce que l'on veut
envers le prochain, parce qu'on ne viole pas
l'équité envers ses parents, puisqu'on ne dis-
sipe pas son fonds et qu'on n'emprunte
point. La quatrième, c'est l'utilité publique
dans ces dépenses , qui fournissent des
moyens de vivre à mille misérables qui pé-
riraient absolument s ins cette ressource.
Voilà, si je ne me trompe, les principales
raisons que les hommes allèguent pour sou-
tenir leur conduite, et défendre le luxe con-
tre les règles de l'Evangile. Chaque partie
du ce discours contiendra la réfutation de
deux de ces prétextes. Examinons-les, après
avoir demandé l'assistance du ciel. Ave ,
Maria.
i'iu:Mii:iu: PARTIE.
Vous me dites donc, mes frères, que la
coutume a mis les choses sur un certain pied
d'où on ne peut plus descendre; car enfin
pour vivre dans le monde il faut vivre selon
le monde , autrement on se rendra extraor-
dinaire; et sur cela vous êtes en repos. Vous
croyez que ce n'est pas vivre mal que de
suivre l'exemple de ceux a\ ec qui vous vifez,
et vous demeurez en assurance sur la cou-
tume que vous alléguez. Examinons la soli-
dité de ce motif; mais d'abord établissons ce
principe que la coutume ne peut jaunis pres-
crire contre la I i < e Dieu. Quand tous les
hommes de la lerre i> 'accorderaient a établir
toulura ■ • ■ - contre cette
loi, ils seraient tou • >eal eonpablea se-
lon les règles de la loi é i a< Ile il Immnal 1 .
dit saint À _u in. La loi éternelle de Dieu,
c'est la rerge d'Aaren qui défore toutes cel-
les des magie eus de Pharaon. 11 ne faut donc
pas s'imaginer que l'on puisse dire avec rai-
son en toute occasion : Ou a toujours vceir
de (elle manière; il ne faut alléguer ni le
crédit, ni l'autorité , ni le ran.' des person-
nes ; il ne su 1 fi l pas de dire, encore une fois :
On vil ainsi dans le monde. Si ce que vous
entreprenez de défendre se trouve contraire
à la loi, c'est en vain que vous prêt ndez le
justifier ; car vous ne pouvez pas nier que le-.
coutumes, quelles qu'elles puissent èire, ne
peuvent donner aucune atteinte à la loi de
Dieu et aux règles de l'Evangile.
11 est vrai que la coutume a force de loi
parmi les hommes , soit pour en abroger
quelques-unes, soit pour en établir d au-
tres; ce qui ne peut arriver que par rap,oit
aux pratiques indifférentes en elles-mêmes.
Mais lorsque les coutumes que les peuples
établissent sont contraires à la loi de Dieu
ou qu'elles nous en éloignent, il faut, dit
saint Augustin, suivre le jugeaient de la te-
nté, et non pas les préjugés de la coutume.
Or il e>t cons ant que le luxe, qu'on prétend
soutenir par l'autorité de la coutume, est
une source déplorable de toutes sortes de dé-
sordres, d'où coule dans le monde une mul-
titude de péchés énormes qui passent pour
légers, ou même qui ne pissent plus pour
des péchés, parce qu'ils sont couverts du
prétexte spécieux de la coutume. Nous nous
trouvons dans un temps si malheureux, que
nous n'avons plus en horreur que les péchés
extraordinaires, et nou^ ne considérons plus
ceux qui sont communs, quoique le Fils de
Dieu ait répandu son sang pour les laver, <. t
qu'us ferment l'entrée du royaume céleste à
ceux qui les commettent. Nous vous les mon-
trerons, mes frères, ces péchés dans la se-
conde partie de ce discours, en vous décou-
vrant les desordres du luxe, et en tachant
de vous faire sei.tir la force et la solidité des
raisons de l'Evangile et des principes de 1;
religion qui le condamnent; mais arrêtons-
nous plus longtemps à examiner ce que c'est
que cette coutume que Tous alléguez pour
votre défense, cl voyons s'il y a quelque
sorte d'assurance à vous conduire sur celte
autorité.
Qu'est-ce donc en effet que la coutume?
Ce n'est qu'une suite et une continuation des
mêmes actions , lesquelles , étant longtemps
pratiquées par plusieurs personnes, acquiè-
rent une certaine autorité sur l'esprit des au-
tres, qui les entraîne sans réflexion, et qui
contraint ensuite les plus sages à la suivre
maigre leur répugnance, ou à la tolérer mal-
ré leurs lumières particulières, (/est un lor-
contre lequel il est aussi difficile de se
roidir, que contre le courant d'un fleuve ra-
pide qui uouseulraiuc malgré nous. Mais il
rcnl
173 SERMON POUR LE TROISIEME DIMANCHE DE LAVENT.
ne faut pas que le nombre nous effraye par s'assemblent et se réunissent
{74
la grandeur démesurée de ce torrent des ac
lions des hommes. Il faut l'aller prendre dans
sa naissance, pour en découvrir la faiblesse.
Il faut détacher un" action de chaque espèce*
du gros et de la multitude, pour l'examiner
en particulier avec précision, et faire ainsi
l'analomic de la coutume, afin d'en connaî-
tre parfaitement et exactement la juste va-
leur. Elle commence nécessairement par une
première action qui est suivie des autres, et
qui par succession est devenue capable de
faire une espèce de loi et de s'opposer à la
vérité. Pour lors, si cette première action est
mauvaise, la coutume est mauvaise ; et il faut
la regarder dans cette action, pour juger de
ce qu'elle est eu elle-même et de l'autorité
qu'on doit lui donner.
Prenons pour exemple dans cette discus-
sion celle malheureuse coutume de se battre
en duel, qui s'était tellement établie parmi
notre noblesse française, qu'on n'y connais-
sait plus de bravoure que dans le carnage,
ni de valeur que dans les meurtres ; coutume
que nous avons vue succomber sous le zèle
de notre invincible monarque, de qui Dieu
se sert visiblement pour terrasser plus d'un
monstre. Il est certain que la première fu-
reur qui a porté un homme à cette inhuma-
nité a été regardée de tout le monde comme
un violentent de la loi de Pieu. Or, si cette
première action est telle, comme elle l'est en
effet, que! jugement devons-nous faire de
toutes les autres actions de même nature qui
l'ont suivie? Si cette première action est di-
gne de condamnation et de châtiment, que
méritent toutes les autres? Quelle autorité
peut donc avoir la coutume qui sert de mo-
bile et de raison à toutes les actions des gens
du monde, coutume qui n'est composée que
de l'assemblage des actions les plus mauv li-
ses et les plus corrompues? L'augmentation
d'un mal peut-elle en changer la nature? Les
hommes ont-ils l'autorité de rendre juste,
honnête, permis, ce que Dieu a déclaré ne
l'être point? A-t-ilditen quelque enlroit des
saintes Ecritures qu'il ne punirait le péché
que quand il serait seul, et qu'il le pardon-
nerait quand il serait multiplié? Enfin les
méchanls cesseront-ils d'être les ennemis de
Dieu, quand leur nombre sera p'us étendu
que celui des gens de bien? Reconnaissez
donc de bonne foi , mes frères, que la cou-
tume n'est pas capable de justifier ceux qui
veulent la prendre pour la règle de leur con-
duite. Car enfin, comme il arrive que quand
des gens ont commencé à passer par un che-
min qui les a égarés, la multitude qui vient
à les suivie ne rend pas lé chemin plus droit
ni plus sûr, quoiqu'elle le rende plus agréa-
ble et plus battu, ainsi ceux qui ne se con-
duisent que par la coutume ne sont pas plus
en assurance que ceux qui l'ont commencée,
puisqu'elle n'est, à parler proprement, qu'un
assemblage, une réunion et un amas des fau-
tes des uns et des autres.
C'est donc en vain que vous allégueriez la
coutume pour soutenir le luxe condamné
par la loi de Dieu. Que tous les hommes
pour établir
des coutumes et autoriser des pratiques con-
traires aux lois de Jésus-Christ, rompons,
mes chers frères, les chaînes dont ils veulent
nous lier, et rejetons le joug loin de nous :
car celui qui habite dans le ciel se rira d'eux,
et le Seigneur s'en moquera. Il leur parlera
dans sa colère, et il les épouvantera dans sa
fureur. Disons donc anathème à ce torrent
funeste de la coutume : Heureux celui qui
a assez de force pour te résister! ne te sé-
cheras-tu donc jamais? jusqu'à quaud en-
traîneras tu les enfants d'Eve dans cette vaste
et périlleuse mer dont à peine se peuvent
sauver ceux mêmes qui portent la croix de
Jésus-Christ et marchent sur ses traces?
Mais, me direz-vous, nous convenons que
la coutume qui est mauvaise ne nous justi-
fiera pas , et qu'elle est toujours mauvaise
quand elle s'oppose à la loi de Dieu; mais
quand elle ne va qu'à maintenir une certaine
bienséance dans la condition où l'on se
trouve, celte nécessité justifie la coutume, et
en ce cas on la peut suivre en sûreté.
Avant que de répondre à cette seconde
raison qu'on allègue pour soutenir le luxe,
il est à propos de. convenir de la réalité de
l'état dont on se croit obligé de conserver la
bienséance; car s'il est vrai qu'une grande
partie de ceux qui s'inléressent avec plus de
chaleur dans ia défense du luxe ne sont point
dans leur état réel et véritable, c'e-t-à-dire
dans un état juste, légitime et selon Dieu, il
est certain dans ce cas qu'ils n'ont point des
règles de bienséance à garder, puisque l'état
où ils sont n'est pas le leur, et qu'il faut
souvent qu'ils l'abandonnent s'ils veulent
faire leur salut. Or le monde est plein de
gens qui, comme je viens de le dire, se sont
placés dans des états contre l'ordre de Dieu,
et qui se croient dans l'impuissance d'être
modestes et de suivre les règles de l'Evan-
gile, parce qu'ils se sont fait une nécessité
d'être magnifiques contre toutes les lois de
la justice et de l'équité; mais pour pouvoir
décider sur la réalité et la justice de l'état,
il faut distinguer, 1° celui dans lequel Dieu
nous a fait naître, et où nous nous trouvons
par le bénéfice de la Providence, ou bien ce-
lui dans lequel celle même Providence nous
a conduits par une suite d'événements légiti-
mes qui nous ont élevés beaucoup au-dessus
de notre origine, ou par le fruit de nos ta-
lents et de nos travaux réglés par la foi, ou
par les bienfaits des souverains. 2" Il y a un
autre état qui n'est point de Dieu, mais qui
est l'ouvrage de l'avarice et de l'ambition des
hommes : c'est celui où nous voyons arriver
ceux qui, poussés par un esprit de cupidité,
entreprennent de grandes affaires, et pres-
que toujours injustes, où ils s'enrichissent
en peu de temps, et par où ils se font entrée
dans de grandes places , ce qui les met dans
une condition élevée, qu'ils allèguent en-
suite pour prétexte des dépenses excessives
qu'ils font, et d'un luxe effroyable, qu'ils ap-
pellent tranquillement la bienséance de leur
elat.
Ces derniers n'ont point l'étal du'ill s'i-
maginont, leur condition n'est point légitime,
et il faut qu'ils s'appliquent non à en recher-
cher la bienséance, mais à en changer la dis-
position par la restitution «les bieni mal ac-
quis. <| u i sont les fondements déplorables de
leur élévation ; par la multitude «les aumn-
n<s, qui sont les voies de leur salut; par la
frugali é d'une vie modeste, privée et con-
tente du Seul nécessaire, pratiques et devoirs
qui sont pour i ux l'unique moyen de faire
pénitence et de se sauver.
Cela supposé, je viens au fond de la diffi-
culté, et je tombe d'accord qu'il y a une bien-
séance à garder dans chaque état : saint Au-
guslin l'a reconnu, et dans celte excellente
lettre qu'il adresse à Edicia, etqui est pleine
d'instructions admirables pour les femmes
mariées, il remarque que l'Ecriture dit bien
qu'il faut que les femmes soient habillées
modestement, et qu'il condamne en général
les parures d'or, la frisure des cheveux et
les autres choses par où les femmes ne cher-
chent qu'à satisfaire leur orgueil et à relever
leur beauté, mais que cela n'empêche pas
qu'il n'y ait une manière de s'habiller pro-
pre à chaque état. Ces différences se peuvent
observer sans aller contre ce que les règles
du christianisme vous prescrivent. Voilà
donc une bienséance dans chaque état net-
tement établie par saint Augustin ; mais qui
nous dira présentement quelles sont les rè-
gles et les mesures d'une bienséance, et jus-
qu'où on peut aller sans tomber dans l'excès?
Car j'avoue que saint Augustin dit, dans cette
même lettre, que l'Ecriture ne nous prescrit
rien sur un tel sujet, et que nous n'y trou-
vons pas de règles qui prescrivent nettement
en particulier jusqu'où peut aller la dépense
de chaque condition.
Ne pensez pas cependant tirer un grand
avantage de cette soi le de silence pour au-
toriser votre luxe ; car lorsque les choses ne
se trouvent point réglées en particulier dans
l'Ecriture, nous avons deux autres voies
pour les régler : 1° l'esprit général de la re-
ligion^" les sentiments des saints Pères et
des docteurs.
Or le luxe ne sera assurément favorisé
ni par l'esprit de la religion et de la loi de
Dieu, ni par la doctrine des Pères. En effet,
l'esprit du christianisme et de la religion est
un esprit d'anéantissement et d'humilité, de
dépouillement el de pauvreté, de pénitence
et de mortification. Cet esprit-là n'est point
du tout favorable au luxe, et si nous nous
réglons sur ces principes, vous voyez que la
bit nséance ne peut pas aller fort loin. D'un au-
tre côté, les saints Pères, qui ont été péné-
trés de cet esprit de religion, ont traité le luxe
impitoyablement, si j'ose ainsi parler. \ ous
pouvez voir dans leurs écrits de quelle ma-
nière ils l'ont attaqué, ce qu'ils ont dit con-
tre ceux qui ont entrepris de le détendre, et
les mesures même qu'ils ont prises pour ré-
primer ceux qui ne se rendaient pas à leurs
remontrances et à leurs avis.
Les prétendus droits de la bienséance n'au-
ront donc pas beaucoup d'étendue si nous
les réglons aux décisions des saiuls Pères ;
ORATEURS SACHES. DOM JEROME. 17G
mais tenons-nous-en seulement a ce qui est
ré^'lé parmi les hommes pour marquer la
différence des états, el vous verrez que le
luxe n'en est pas mieux autorisé.
Un juge porte un habit qui le distingue
d'aï ec un cavalier, sLainsi dans ( baque « au-
dition il y a de certaines marques extérieu-
res de 1 institution même de» hommes. Ce
n'est donc ni par la magnificence des habits,
ni par la pompe des équipages, ni par la
Somptuosité des meubles, m parla profusion
de la table, que les hommes ont prétendu
qu'on se distinguât entre eux. Vos pères n'eu
ont pas usé ainsi : on a vu des magistrats et
des premières personnes de l'Etat très-mo-
destes, et on en voit encore qui ne renoncent
pas à leur dignité et qui n'avilissent pas leur
caractère, quoiqu'ils renoncent à ces crimi-
nelles el fastueuses distinctions.
Mais allons plus loin : n'esl-il pas même
vrai que quand on excède dans son exté-
rieur, les hommes mêmes nous condamnent?
Nous avons vu plusieurs fois les magistrats
recourir à l'autorité des princes pour arrêter
le torrent du luxe, et faire des lois pour re-
tenir les hommes dans la bienséance de leur
état, en défendant l'usage des choses qui la
blessaient.
Toutes les lois des princes sarcelle matière
n'ont été faites que pour le retrancher, parce
que le luxe peul attirer avec lui la perle et
la ruine de l'Etal en délruisanl le commerce
extérieur. Combien d'hommes employés à
faire vos vêlements qui cultiveraient la terre,
qui perfectionneraient les arts el qui appor-
teraient de l'argent dans l'Etal, au lieu d'a-
cheter chez les étrangers ce qui est néces-
saire pour soutenir ce faste 1 II ne faut que la
raison pour faire sentir aux hommes que
l'excès et le luxe sont condamnables. U esl
vrai qu'il arrive souvent qu'elle les éclaire
sur le chapitre des autres, quoiqu'à leur
égard elle les laisse dans l'aveuglement. Mes
frères, combien de lois pour régler en autrui
ce qu'on ne pense pas régler en soi-même!
Concluons donc que c'est sur les principes de
la raison el sur les obligations indispensa-
bles du christianisme que nous devons pren-
dre des vues pour régler notre étal et notre
condition. C'est ainsi que les sainls en oui
usé. Ils ont fail passer le chrisli tourne de-
vant tout; ils ont considéré que comme chré-
tiens ils étaient pénitents, disciples d'un Dieu
anéanti el aspiranl à une gloire où l'on no
peut arriver que par le mépris du laste el par
î'éloignemenlde tout ce qui esl propre à nour-
rir l'orgueil.
Réglez donc la bienséance de votre état sur
des principes si solides, ne perdez point de
vue les obligations de l'homme chrétien quand
il s'agit d'accorder quelque chose à l'homme
du monde. Souvenez-vous que vous y avei
renoncé par le vœu de votre baptême. Crai-
gnez donc toutes les fois que la nécessité v ous
oblige d'en reprendre l'usage : el avant que
de vous déterminer, prenez pour modèle la
conduite de Jésus-Christ el les exemples des
sainls «iui ont passé, avec une conduite aussi
régulière pour Dieu que décente pour lo
177
SERMON POUR LE TROISIEME DIMANCHE DE L'ÂVENT.
178
monde, par la condition où vous vous trou-
vez. C'est le moyen de remplir les devoirs de
voire état sans en blesser la bienséance, et
de voir bientôt dissiper les faux prétexles que
l'amour-propre vous fournit pour défendre
une conduite intolérable. Nous allons exa-
miner les deux autres dans la dernière par-
tie de ce discours.
SECONDE PARTIE.
La (roisième raison qu'on allègue pour
soutenir le luxe, c'est qu'on ne blesse point
la justice : on a la prudence nécessaire pour
régler les dépenses sur le pied de ses fonds,
prudence qui ne permet pas qu'on viole l'é-
quité ni la justice au préjudice du prochain.
Ma dépense, dit-on, n'excède point mon re-
venu ; ainsi je n'intéresse ni ma famille nî per-
sonne ; car d'une part mon fonds demeure, et
de l'autre je n'emprunte rien.
A l'égard de cette troisième raison, jen'exa-
mine pas si ces vues-là seraient fort sages
pour l'intérêt propre de la personne qui les
aurait et pour ceux de sa famille; car il me
semble qu'on pourrait tomber dans mille in-
convénients en suivant celle maxime; mais
ce que je sais, c'est qu'une telle conduite ne
peut convenir à un chrétien, et que pour la
tenir il faut n'avoir aucun égard à la vie fu-
ture, ni aucune connaissance des principes
les plus communs et les plus indispensables
de la religion. En effet, dès qu'un homme est
rempli des vues de la vie éternelle, il doit
rapporter tous les biens de celle-ci à rendre
celle-là heureuse, et c'est assurément ce
qu'il ne peut faire qu'en s'appliquant à la
pratique des vertus communes et générales
du christianisme et à l'accomplissement des
devoirs particuliers et propres à son état.
Or, mes frères, il est certain que la con-
duite donl nous parlons l'éloigné de l'un et
de l'autre; les vertus générales de la religion,
cl communes à tous les chrétiens, sonlla foi,
l'humilité el la pénitence.
Pour vous prouver ce que j'avance, dites-
moi, je vous prie, quelle peut être la foi
d'un homme qui ne songe nullement à ac-
quérir les biens éternels qu'elle lui découvre,
el qui consume mal à propos tous lesmoyens
que la miséricorde de Dieu lui a donnés pour
faire cette acquisition. D'ailleurs, peut-on
être humble quand on s'attribue et qu'on
s'applique ce qui ne nous appartient pas
dans un sens irès-véritablc, el qu'on ne le
rapporte qu'à soi? Enfin, un homme pas-
scra-t-il jamais pour pénitent, qui ne 3e re-
fuse rien de tout ce qu'il peut se donner, et
qui, sans considérer ce qu'il devrait, n ■ se
règle jamais que sur ce qu'il peut? Vous
voyez donc par là que la pratique des vertus
communes du christianisme ne peut entrer
dans celte conduite, mais elle n'est pas moins
opposée aux devoirs propres et aux obliga-
tions particulières de l'étal des riches; car,
quoiqu'il soit vrai que ceux à qui Dieu a
tellement à eux que d'autres ne puissent pas
les leur ravir sans injustice, ils ne sont pour-
tant pas abandonnés à leur caprice et à leurs
passions pour en faire l'usage qu'il leur plaît.
Saint Cyprien, dans le traité de l'habit des
vierges, dit fort bien : Servez-vous de vos
richesses, à la bonne heure, elles sont à vous;
mais servez-vous-en pour votre salut, pour
faire de bonnes œuvres. Que les pauvres et
les indigenls sentent que vous êtes riches;
car vous pochez conlre Dieu en cela même,
si vous ne croyez pas qu'il ne vous a donne
du bien que pour vous en servir utilement
pour votre salut. Ainsi, mes frères, il a donné
la voix aux hommes, et néanmoins il ne s'en-
suit pas qu'on la doive employer à chanter
des chansons déshonnêtes. Il a donné le fer
aux hommes, mais c'est pour culliver la lerre
et non pas pour commettre des homicides.
Vos richesses sont donc des biens de Dieu ;
mais ce serait une grande tenlation s'ils ne
vous étaient pas accordés pour vous donner
lieu d'en faire un bon usage et d'en racheter
vos péchés. Les riches doivent donc suivre
les règles que Dieu leur a prescrites, et elles
peuvent fort bien se rapporter toutes à deux
principales, qui sont comme le centre de
toute la discipline de l'Evangile pour les ri-
ches sur ce point : la première est de ne pren-
dre sur son bien que le nécessaire et ce
qu'exige la bienséance chrétienne; la se-
conde est de donn'-r ce superflu à la charité
et à la justice chrétienne. Les richesses sont,
un fleuve qui doit passer pour arroser le
champ d'autrui quand il a arrosé le vôtre.
Arrosez-le donc, prenez le nécessaire à vo-
tre état, mais laissez couler le reste, autre-
ment c'est une eau qui croupit et qui ne
cause que de la corruption. Or, quel moyen
d'observer ces règles en suivant la conduite
des gens du monde? Car si un homme croit
qu'il peut mettre tout son revenu dans sa
dépense, il ne regardera plus ni la règle du
nécessaire, ni celle du superflu. En se don-
nant tout, il ne réserve rien pour autrui. II
viole donc les lois de son état; il s'ôte le
moyen d'entrer dans la pratique des vertus
chrétiennes ; il renverse ce bel ordre des
desseins de Dieu dont nous avons parlé dans
le premier discours; il se charge de répon-
dre au jugement de Dieu de tous les désor-
dres qu'attire ce renversement. Ces biens et
ces richesses qu'il emploie à ses habits, à ses
meubles, à ses bâtiments, que les hommes
font servir à leur vanité et qu'ils emploient
à leurs plaisirs, doivent être rapportes à la,
fin pour laquelle il les a créés, et on ne peut
s'en servir que selon ses vues et ses desseins.
Les créatures sont faites pour élever l'homme
à la connaissance et à l'amour de la souve-
raine vérité, el il les fait servir à sa vanité.
11 s'y attache comme si elles étaient son Dieu,
et il en dispose comme s'il était le leur.
Or, mes frères, les rapporter à Dieu, c'est
suivre leur institut; se les rappoi 1er, c'est
donné des biens en soient les maitres quant leur faire violence. Un jour viendra, et peut-
à la propriété, ils ne le sont pas quant a lu- être n'est-il pas loin, qu'il les lirera de celte
sage, c'est-à-dire qu'encore que les biens servitude, et qu'il punira les tyrans qui les
qu'ils possèdent par l'ordre de Dieu soient y retiennent, et il écoutera, pour ainsi dire,
I7IJ
ORATEURS SACHES. DOM JEROME.
M
les plainlcs des richesses qu'il vous a don-
nées et dont vous alni-ez. Il se ron'lra
sensible aux gémissements des pauvres qui
Souffrent de l'abus que vous en faites. La-
zare sera écouté, ses maux passeront, il
reposera dans le sein d' a Im alta i; et vous,
inhumains, qui Jailcs souffrir les pauvres
dans cette vie , vos biens s'évanouiront
dans un instant, et vous aurez l'enter pour
sépulture.
La dernière raison qu'on allègue pour sou-
tenir le luxe est aussi faible que. les trois
autres. C'est un faux prélexie que celui de
l'utilité publique pour autoriser les dépenses
excessives, et il ne faut pas croire qu'on en
boit quille devant Dieu pour dire qu'on
fournil des moyens de vivre à des misérables
qui périraient sans ce secours. Car pour
soutenir les grandes dépenses, il faut ruiner
ordinairement des familles, et lel qui n'était
rien il y a vingt ans a fait peut-élre dix nulle
pauvres pour avoir le moyen de faire sub-
sister vingt valeis, et gagner la vie à trente
arlis.ms qui sont occupés à soutenir sou
luxe et à satisfaire ses passions ; en vérité,
le public n'est-il pas bien redevable à ces
gens de bien?
Mais approfondissons un peu ce prétexte ,
de faire subsister les misérables, qui éblouit
ceux qui ne l'examinent pas par les prin-
cipes iiu christianisme. Je soutiens qu'il
ruine l'esprit de la charité, à la prendre de
toutes manières. En effet, si on considère la
charité comme une partie de cet amour du
prochain qui nous oblige de lui donner gra-
tuitement de notre superflu pour l'assister
dans sa misère, je dis que ceux qui préten-
dent faire subsister le misérable par le tra-
vail qu'ils lui fournissent, n'ont point celle
charité pure et désintéressée ; car ce n'est
pas l'amour qu'ils ont pour le prochain qui
les oblige à se servir de lui, mais celui qu'ils
o.it pour eux-mêmes. Ce n'est pas le soula-
gement de sa misère qu'ils considèrent dans
le genre de travail qu'ils lui font faire, c'est
la satisfaction de leur vanité; et ceci est si
vrai, qu'ils ne choisissent pas le plus misé-
rable, nais le plus adroit, et souvent ils ne
les payent pas avec la libéralité d'un chré-
tien qui veut soulager la misère du pauvre,
mais avec toute la dureté que l'économie
peut inspirer. 11 n'y a donc point de charité
dans celle conduite ; mais quand même on
n'aurait pas de tels reproches à faire, il est
certain qu'on ne fait point do charité à un
homme à qui on donne ce qu'il a gagné.
C'est une délie qu'on lui paye, qu'on ne peut
lui refuser sans injustice, et pour laquelle
il peut vous contraindre : où est donc la
charité?
D'ailleurs, que deviendront les vieillards,
les malades et tous ceux qui n'ont ni la
force ni l'industrie pour vous contenter? Oui
les fera subsister, si vous ne douiez rien?
Les hôpitaux en seront chargés el bientôt
accablés, si vous persistez dans les pria*
cipes ilonl VOUS vous servez pour défendre
Voire luxe.
Si nous prenons maintenant la charité
comme une partie de cet amour du pro-
chain qui nous doit faire prendre inti
dans SOU salut, ju qu'à saciilier nus biens
pour \ contribuer, où peut-elle être, celle
charité, dans la résolution: de ne vouloir
soulager le misérable qu'en le laisant tra-
vailler à satisfaire votre luxe et contenter
vos (tassions?
N'est-ce pas en un sens le rendre com-
plice de vos iniquités , et faire passer le
mauvais état de sa fortune au-dessus de la
délicatesse de la conscience? Car ces gens
oppressés par la misère, emportés par l'in-
térêt, cl se jelanl dms des professions in-
dignes du christianisme, ou au n oins sus-
pectes aux gens de bien, dallent vos pas-
sions, entretiennent votre vanité, nourris-
sent votre orgoeil, inventent «les modes, en
un mot trouvent de nouveaux arlilices qui
deviennent des poisons publics et qui ser-
vent à infecter tout le monde.
Ne nous alléguez donc point, pour autori-
ser votre luxe, que vous donnez des moyeus
aux misérables de gagner leur vie, puisque,
pour en soulager un petit nombre, vous en
opprimez un tiès-giand. Vous vous privez
de lous les fruits de la charité, et vous mus
chargez de rendre comple à Dieu d'une
multitude infinie de taules dont vous êtes
cause.
Quittez donc la défense du luxe, mes très-
chers frères, c'est une conduite qu'on ne
peut ni soutenir ni suivre, sans renoncera
l'humilité, à la pénitence et à la miséricorde,
sans détruire l'esprit du christianisme en sa
personne en particulier, ni sans y donner
atteinte dans celle des autres par le scau^
dale, ainsi que nous l'avons fait voir dans le
premier discours sur cette matière. Car, mes
frères, ou il faut dire que l'apôtre saint Paul,
et le Saint-Esprit dont il n'a été que l'or-
gane, se sont trompés en opposant le luxe
et la folle dépense à l'honnêteté, à la modes-
lie, à la chasteté, à la piété, comme il a l'ait
dans la première Epîlre à Timolhée. ou il
faut convenir que le luxe et l'usage des su-
perfluilés mondaines que l'orgueil a inven-
tées ne combattent point l'esprit du christia-
nisme, et que c'est une erreur de croire que
le retranchement de ces dépenses el de ces
vanités va au delà des choses de conseil, et
que l'obligation d'éviter ce qui est contraire
à l'esprit du christianisme n'est qu'un sim-
ple conseil. Prenons donc des mesures pour
nous réformer, c'est le parti que la sagesse
chrétienne et l'amour de notre salut nous
présentent. Retranchons tous les ornements
immodestes qui con\ ieiinenl si peu à la sim-
plicité des chrétiens. Qu'il paraisse que v oits
êtes lis disciples de celui que vous fuies
gloire de reconnaître pour ratre maître,
nielle/ de la proportion entre sa façon de vi-
vre el la rétro, l'ertuliien disait que si nous
ne pouvons pas nous couronner d'épines,
comme il a fait, au moins ne devons-nous
DM nous couronner de roses pour lui insul-
ter, el qu«' si nous u devons p s ("•ire il.it:s
le dépouillement ou il s'est réduit, au moins
ne devons-nous pal Insulter, par l'insolence
m
S6RM0N POUR LE QUATRIEME DIMANCHE DE L'AVENT.
de notre luxe, à la pauvreté qu'il nous a re-
commandée. Oui, mes chers frères, il la faut
pratiquer chacun dans notre état, et la mon-
trer dans la bienséance de la condition où
la Providence nous a placés. Nous ne de-
mandons rien d'outré, car il faut suivre les
règles de cette même sagesse, et garder l'or-
dre et le rang où la Providence nous a mis;
mais songeons aussi à n'en pas violer les
devoirs. Considérez souvent ce que devien-
dront tous les biens dont vous abusez, et à
quoi se terminera ce qui vous porte à en
faire un usage si éloigné des intentions de
celai qui vous les a donnés. Ecoutez les me-
naces qu'il vous fait par la bouche de son
prophète. Tremblez , femmes riches , dit-il
par Isaïe; pâlissez, femmes remplies d'or-
gueil : car ces palais seront abandonnés, ces
maisons, changées en cavernes, seront cou-
vertes pour jamais d'épaisses ténèbres; le Sei-
gneur rendra chauve la tête des filles de Sion,
leur parfum sera changé en puanteur, leur
ceinture en une corde, et toute la beauté de
leur teint en un visage bridé. Celles gui étaient
élevées sont tombées par terre et dans la saleté.
Voilà où se terminent ces ornements de
pourpre et de soie, d'or, de perles et de dia-
mants. Les ornements de Pâme et du cœur
ne se trouvent guère réunis avec ceux dont
nous venons de parler, et voilà pourquoi il
est dit que les filles sont corrompues et ont
abandonné le véritable culte du Seigneur.
Qui ne détesterait ce qui a été si funeste à
d'autres? (Jui voudrait se servir de ce qui a
donné la mort à ceux qui s'en sont servis?
Si quelqu'un mourait après avoir pris un
breuvage, vous ne douteriez point que ce
breuvage ne fût un poison. Si un aliment
donnait la mort à celui qui en mange, vous
le jugeriez mortel, et vous vous donneriez
bien garde d'en user. Que devez-vous donc
penser de ce qui a presque toujours été nui-
sible et toujours dangereux? Comment pou-
vez-vous vous flatter que vous ne périrez
pas par le^ mêmes choses que vous savez en
avoir fait périr tant d'autres? Tout ce qui
est arrivé au peuple juif doit être une in-
struction pour nous : apprenez donc à faire
vous-mêmes, par un esprit de pénitence et
de, retranchement, ce que Dieu fera dans sa
colère. Donnez à son amour ce que vous ne
pourrez pas mettre à couvert de sa justice,
et rendez immortelles comme vous des ri-
chesses avec lesquelles vous périrez, si vous
ne les employez pas à acheter le ciel. Le
Seigneure»tproclie;huij) il ion -nous du passé,
et songeons à prendre des dispositions pour
le recevoir dignement dans son avènement.
C'est ce que je vous souhaite, etc. Ainsi
soil-il
SERMON
POUR LE QUATRIEME DIMANCHE DE LEVENT.
Sur la pénitence.
Ami') <|umio daçipio imparti Ti|ierii Çaesarjg... faclum
csl m Ijuiii l)'iiiiu:i sn|i r Joannem... et veiiit io ornnem
r' i 'ii!!ii .)<> l'am^ | i:i'(iii.aus bapUsmum pœnilenlix m
reijmsiunein peucalorura.
132
L'an quinzième de l'empire de Tibère, D'un fil entendre
sa voix à Jean: il vint dans tout le pays qui est aux envi-
rons du Jourdain, prêchant le baptê ne de la pénitence pour
lerémission des péchés (Luc., III, t el 3).
Voici, mes frères, le précurseur de Jésus-
Christ qui va paraître pour la troisième fois :
l'Evangile nous va représenter quelle fut
l'ouverture de sa mission, d'où il est venu,
comment et par qui il a été envoyé, ce qu'il
a dit, à qui il a parlé, et quel a été le fruit
de ses paroles. La quinzième année de l'em-
pire de Tibère César, nous dit saint Luc,
Dieu fit entendre sa parole à Jean, fils de Za-
charie, dans le désert. L'Eglise, qui nous
propose aujourd'hui cet évangile, le proposa
encore hier, mais avec de différentes inten-
tions. Hier, qui était l'ordination des prêtres,
elle fit lire cet évangile à ceux qui devaient
être consacrés au ministère des saints autels,
afin qu'ils apprissent de la vie et de la con-
duite de saint Jean quelles doivent être leur
pénitence, leur retraite, leur sainteté, leur
vocation, leur préparation, leur mission pour
entrer dans ce redoutable ministère. Au-
jourd'hui elle fait relire cet évangile pour
nous, mes frères, afin que nous apprenions
de la prédication de Jean-Baptisle, qui n'a
parlé que de pénitence, comment il la faut
faire. Je laisse aux ministres des sacrés au-
tels à étudier la conduite du précurseur pour
leur servir de règle; pour nous, nous écou-
terons sa voix, nous exposerons sa doctrine,
et nous réduirons tout cet évangile à trois
points auxquels je rapporte tout ce qui y est
renfermé.
1° La nécessité de la pénitence : il faut
faire pénitence, c'est la matière de la prédi-
cation de saint Jean. Première partie. 2° La
difficulté de faire une vraie pénitence; car
pour qu'elle soit telle, il faut que les chemins
tortus deviennent droits, et les raboteuoe^unis;
c'est l'idée d'une parfaite pénitence tracée
dans la prédication do saint Jean, tirée du
prophète Isaïe, cl que je tâcherai de bien
expliquer dans la seconde partie. 3° La res-
source dans celte difficulté et la grâce de
faire pénitence : c'est ce que nous trouvons
unique ment en Jésus-Chris t. Troisième par lie.
Voilà, mes frères, à quoi se réduit tout
cet évangile, el la matière de ce discours.
Demandons les lumières du Saint-Esprit.
Ave, Maria.
PREMIERE PARTIE.
Tout est grand et divin, mes très-chers
frères, dans ce que l'Evangile nous rapporte
de la prédication de saint Jean ; il n'y a pas
une parole à perdre, et chaque circonstance
entre naturellement dans la preuve de la
nécessité de faire pénitence, qui est ma pre-
mière proposition. 1" Je considère qui est ce-
lui qui est envoyé : c'est Jean-Baptiste. 2" Je
considère d'où il vienl : c'est du désert, c'é-
tait sa demeure depuis longtemps. 3° De qui
a-t-il mission? de Dieu : c'est l'esprit de Dieu
qui l'envoie. »>• Que vient-il dire de la part
de cet Esprit divin qui le tire de son deserl ?
Faites pénitence, li* A qui parlc-t-il? à tous
lei homoi s ?
!• Celui qui est envoyé pour iustruirc les
185
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
IS4
hommes, ce prédicateur que l'Evangile nous
1>roduii, c'est Je. m- Baptiste ; mail qui esi ce
ean-BapiisU ? c'eit an homme formé do la
main de Dieu, prédit par les prophètes et
choisi p>>ur rendre témoignage a la lumière:
Fuit homo missus a Ueo, c'est-à-dire que
c'est le ministre de la foi, le premier apôtre
de la rcli ion de Jésus-Christ, et qui par
conséquent était parfaitement instruit de ses
intentions, rempli de ses lumières, possé-
dant sa doctrine, informé de ses desseins et
sachant parfaitement tout ce qui était néces-
saire et tout ce qu'il fallait observer pour se
le rendre favorable et pour profiler de. sa ve-
nue. Voilà celui qui est envoyé.
2° Mais d'où vient cet homme envoyé de
Dieu? Du désert, où il est entré dès sa plus
tendre jeunesse, où non-seulement il a ap-
pris de Dieu la doctrine de son Fils et tous
les principes de la loi nouvelle qu'il venait
établir, mais où il a vécu conformément à
ces principes, et où, persuadé de la nécessité
de faire pénitence, il en a fait une effroya-
ble, tout juste et tout innocent qu'il était,
ayant passé sa vie au milieu des déserts,
couvert de poils de chameaux, ne mangeant
que dc6 sauterelles et du miel sauvage, sans
maison, sans lit, sans feu, sans secours,
tantôt gelé par le froid, et tantôt brûlé par
le soleil. Quel prédicateur, ô mon Dieu 1
mais quelle preuve de la nécessité de faire
pénitence 1
3° C'est, mes frères, cet homme-là que
Dieu envoie. 11 ne vient point de lui-même ;
mais Dieu l'envoie, afin que nous sachions,
dit saint Ambroise, que rétablissement de
l'Eglise n'est pas l'ouvrage d'un homme,
mais celui du Verbe de Dieu qui s'est fait
homme. Précipitation, empressement de va-
nité, mission humaine, où en êtes-vous?
Qu'avez-vous à dire sur cette conduite ? Oui,
mes frères, c'est Dieu qui envoie cet homme,
afin que nous sachions que ce qu'il a à nous
dire n'est pas sa doctrine, mais la doctrine
du Verbe. Sa parole c'est celle de Dieu, il
vous dit ce qu'il a appris de lui dans le dé-
sert, dans une retraite, dans un jeûne, dans
une prière continuelle de plus de vingt an-
nées. Que ce prédicateur est digne d'être
écouté, puisque, outre tôt: t cela, il ne sort de
sa retraite pour venir nous instruire qu'a-
près en avoir reçu de Dieu un ordre précis 1
4° Que vient-il dire de la part de cet Es-
prit qui l'envoie? Faites pénitence; voilà
tout ce qu'il dit. II a réduit toutes ses ins-
tructions presque à ces seules paroles. Mon
Dieu, il ne faudrait point tant de discours, si
nous étions animés de votre esprit, si nous
étions remplis de sa force et de sa vertu.
Faites pénitence, dit saint Jean. Il est donc
nécessaire de ia faire, puisque cet homme
envoyé de Dieu ne prêche point d'autre mé-
rité. Aussi, mes frères, n'y a-t-il point d'au-
tre moyen pour retourner à Dieu après le
péché (jue la pénitence.
Le Sauveur du monde vient ensuite con-
firmer ce que son précurseur avait enseigné
sur celte matière ; il commence, selon saint
Matthieu, ses prédications par celle parole :
Faites pénitence, l'oint de milieu, ou la pé-
nitence ou la damnation.
Saint Pierre, chef visible de l'Eglise de Jé-
sus-Christ, parlant par l'esprit de son nui-
tic ne [impose point d'autre moyen de salut
aux Juifs qui lui demandèrent ce qu'il fallait
qn'ih lissent après avoir entendu sa pre-
mière prédication -.Faites pénitence, leur
dit-il.
5* Mais qui csl intéressé dans cette doc-
trine? Pour qui est cette instruction? pour
tous les hommes à qui le Sauveur du monde
dit : Si vous ne faites pénitence, vous périrez
tous. Le ciel, mes frères, n'e*t rempli que
de deux s >rtes de personnes, d'innocents ou
de pénitents; c'esl-à-dirc de ceux qui, ayant
conservé la grâce de leur ba;ilé i e . y sont
allés sans se souiller, et tout pénétrés de la
justice de Jésus-Chrisi;ou de ceux qui, après
avoir perdu celle grâce, l'ont recouvrée par
la pénitence, et sont allés dans le ciel, après
s'être purifiés une seconde fois dans le sang
de l'Agneau : non, mes frères, il n'y a dans
le ciel que des innocents ou des pénitents.
Saint Jean demande dans son Apocalypse
qui sont ceux qui paraissent aux y ux de
l'Agneau, et on 1 ui répond: Ce sont ceux q ni ne
se sont point sovillés, qui suivent l'Agi' au
partout où il ira. Voila les vierges et les inno-
cents rachetés par Jésus-Christ de la concu-
piscence et délivrés de tous les engagements
du siècle, qui onl conservé la grâce reçue
dans le baptême, qui, toujours consacrés à
Jésus-Chrisl, n'ont j.imais été partagés.
Dansun autre chapitredu mêmelivreilrap-
porle que le ciel lui lut ouvert de même, et
que, demandant qui étaient ceux qu'il Toyait,
on lui répondit: Ce sont ceux qui sont venus ici
après avoir passé par de grandes afflictions,
et qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le
sang de l'Agneau. D'où je conclus que le ciel
n'étant rempli que de ces deux sortes de per-
sonnes, il n'y a que deux voies pour y aller,
l'innocence ou la pénitence.
Or, croyez-vous, mes frères, qu'il y ait
beaucoup d'hommes sur la terre qui n'aient
pas perdu l'innocence baptismale? combien
y en a-t-il dans celle assemblée? il faut donc
recourir à la pénitence; car, outre que les
plus innocents ne sont pas exempts de la
faire ( saint Jean en est une excellente
preuve ) , el que les plus grands saints sont
ceux qui en ont porté les pratiques plus
loin, pour imiter le Sauveur du inonde qui
a été le premier el le plus grand de tous les
pénitents, il est bien rare de trouver des in-
nocents. Trop d'ennemis sonl acharnes à
nous enlever cette innocence que la grâce
du baptême a mise dans nous, pour que nous
la conservions sans une grande attention :
au dedans et au dehors de nous toul cons-
pire à notre perle.
La concupi>cencc nous porte au mal, le
monde nous y attire, et applaudit à noire
chute. Nous conservons après le b iptème la
concupiscence, qui n'esl autre chose que la
penle et la facilite à suivre nos passions et à
nous écarter de la loi de Dieu. Vous savei
sans doute que la grâce qui nous rend en-
18c
SERMON POUR LE QUATRIEME DIMANCHE DE LAVENT.
186
fants de Dieu par la régénéra lion que nous
recevons en Jésus-Christ dans le baptême,
n'ôte pas toutes les impressions que nous
avons reçues d'Adam par notre naissance
criminelle*. La concupiscence demeure, nous
sommes sains et vivants par Jésus-Christ;
mais au dedans de nous-mêmes il y a un
fonds de mort et de corruption par lequel
nous tenons encore à Adam ; ce fonds-là c'est
la concupiscence.
Or cette concupiscence et ce mauvais fonds
fait deux choses en nous : elle nous donne
une pente vers le mal et une inclination vio-
lente pour tout ce qui fljtle les passions et
qui est agréable aux sens, et en même temps
elle nous donne de réloignement, de la ré-
pugnance, de l'aversion pour tout le bien et
pour tout ce qui combit les passions. De là
celle précipitation avec laquelle lous les
hommes entrent dans les voies de l'iniquité;
de là celte lenteur avec laquelle ils cher-
chent les voies de la justice.
C'est ainsi que nuus sommes faits : nous
avo'is au dedans de nous-mêmes un enne-
mi domestique de notre innocence, que l'a-
pôtre saint Paul dit qu'il sentait dans les
membres de son corps, toujours combattant
contre la loi de son esprit. L'éducation de-
vrait à la vérité être un secours pour la loi
de l'esprit contre la loi des membres dans ce
combat continuel dont le succès est si incer-
tain et si important pour le salut. 11 faudrait
que les soins d'une éducation chrétienne
s'appliquassent à affaiblir la concupiscence,
en réprimant celle inclination qui nous porte
au mal, c'est-à-dire à l'amour do (oui ce qui
est périssable, et en fortifiaul celte faiblesse
que nous ressentons quand il s'agit de la
pratique du bien el de l'amour de ce qui est
éternel; mais l'éducation est pour ainsi dire
un second péché d'origine, el il arrive tout
le contraire de ce que l'on devrait faire. La
concupiscence et ses inclinations sont forti-
fiées par l'eslime qu'on prend soin de nous
donner du monde et de ses biens, et par le
peu d'idée qu'on nous donne de Dieu, du
ciel et de ses richesses. On ne pense à nous
former que pour le monde, comme si nous
n'élions faits que pour la terre, el on ne nous
parle du ciel que légèrement et que comme
d'une chose accessoire. Imaginez-vous donc
dans ces circonstances ce que peut devenir
un chrétien et la grâce qui l'a rendu enfant
de Dieu, quand il fait son enirée dans le
monde, et qu'il se lie avec ceux qui le com-
posent : peut-il vivre longtemps sans y per-
dre la vie de l'âme ? le cœur, amolli par la
concupiscence, prévenu par les idées d'une
éducation toute païenne, etséduilpar l'exem-
ple, peut-il manquer de s'attacher aux ob-
jets qui flattent et ses sens et ses passions
l>ar un amour qui rompt l'alliance qu'il avait
laite avec Dieu par Jésus-Christ, et qui L'u-
nit sans cesse au monde, à Satan et à ses
pompes, auxquelles il avait renoncé par son
baptême?
Ne cherchons donc point d'innocenls sur
la terre. Prêchons la pénitence à lous les
hommes, comme le précurseur; cardans l'é-
savait si bien en
pénilence, et qui
lat où sont les choses, on peut dire qu'il n'y
a point d'autre voie pour retourner à vous,
ô mon Dieul mais ouvrez-nous le cœur à
toutes les preuves que nous venons de don-
ner de la nécessité de la faire! Le premier
homme qui paraît dans l'Evangile, c'est un
homme loul consacré à la pénitence ; la pre-
mière parole qu'il prononce par l'ordre de
Dieu qui l'en\oie, c'est : Faites pénitence,
et il n'enseigne point d'aulrc doctrine; elle
est confirmée par Jésus-Christ qui dit la
même chose dans sa première prédication.
Tout l'Evangile est presque réduit à la pé-
nitence. Comprenez-vous par là, mes frères,
combien elle est nécessaire au salut?
Mais apprenez encore que cette pénitence
si nécessaire est bien plus rare qu'on ne
s'imagine, et s'il est dangereux de s'abuser
sur la nécessité de la faire, il ne l'est pas
moins d'en prendre de fausses idées. Don-
nons-en de justes, je vais les prendre dans
les paroles de l'Evangile, que j'expliquerai
dans mon second point,
SECONDE PARTIE.
Les sentiments des saints Pères sur la ra-
reté d'une pénitence sincère et véritable me
font trembler, mes très-chers frères, et il
n'y a rien de plus capable de jeter la terreur
dans l'âme d'un chrétien qui pense à son
salut, et qui connaît qu'il a péché; je ne ci-
terai que saint Ambroise.
Ce grand docteur, qui
quoi consiste la véritable
avait une si parfaite connaissance du cœur
de l'homme, ne feint pas de dire qu'il est
très-rare de trouver des gens qui aient fait
une pénilence véritable.
Il faul, mes frères, vous rendre juges de
la vérité et de l'exaclilude de cette proposi-
tion, et pour vous mettre à ce point, je vais
la réduire aux principes de la foi.
H faut donc supposer d'abord que la péni-
tence n'est pas ce que vous vous imaginez.
Ce n'est ni l'austérité de la vie, ni l'effusion
des larmes, ni la durelé pour le corps, ni
(ouïes les autres pratiques extérieures qui
frappent et qui effrayent : tout cela se peut
faire sans qu'il y ail dans le cœur une péni-
tence véritable et sincère. Ce n'est pas non
plus le simple usage du sacrement que nous
appelons de pénitence, car plusieurs de ceux
qui s'en approchent en sortent, non-seule-
ment sans être pénitents, mais encore plus
ennemis de Dieu par l'indigne profanation
qu'ils viennent d'en faire.
Qu'est-ce que c'est donc que celte péni-
tence véritable et essentielle, sans laquelle
toutes celles dont nous venons de parler ne
scrvenl de rien?
C'est un retour sincère de l'homme pé-
cheur vers Dieu , qui a son principe dans
lccoîur; carie péché, dont la pénilence est
le remède, est une séparation de l'homme
d'avec Dieu, qui a son principe dans le cœur;
sans cela point de pénitence. Ecoutez l'Ecri-
ture. Dieu dit à son peuple qui avait adoré
les dieux des Babyloniens : Souvenez-vous de
ces choses, et rougissez; rentrez dans votre
187
ORATFiinS SACRES. POU JEROME.
if H
cœur, prc'vni icateurs de ma loi. Ces paroles
nous donnent une idée juste et précise de la
nature du péché et de cej e de la pénitence.
I.o pécbéesj le règue d'une idole éla lie dans
le cu'ur de l'homme, dont Piou a élé cliass •
par le mauvais amour, c'est-à-dire par celui
du monde ou de nous-mêmes.
Qu'esl-ce donc, encore une fois, que la
pénitence? C'est le règne de Dion établi dans
le cour de l'homme, d'où l'idole, c'est-à-dire
les passions qui y régnaient, a été chassée
par le bon amour, c'est-à-dire par l'amour
de Dieu. L'amour ne consiste pis dans des
sentiments passagers ou même répétés, ce
sont les habitudes qui constituent la nature
et le caractère, de la volonté.
Nous ne devons donc reconnaître de péni-
tence vraie, pleine et entière, que celle par
laquelle il se fait un changement parfait des
affections du cœur opéré | ar l'amour de
Dieu. C'est ce qui fait que saint Augustin,
rendant grâce à Dieu des miséricordes qu'il
en avait reçues, après avoir fait une confes-
sion sincère de la corruption de son cœur et
de sa volonté, parle de celte manière: Par
où avez- vous fait, ô mon Dieu ! cet heureux
changement en moi, sinon en faisant que je
cessasse de vouloir ce que je voulais, et que je
commençasse à vouloir ce que vous vouliez ?
C'est ce changement parfait des inclinations
du cœur qui fait la pleine et la vraie péni-
tence opérée par le nouvel amour.
Ce n'est pas cependant que nous voulions
exclure de l'idée, de l'essence et de la nature
de la vraie pénitence, les larmes, les priva-
tions, l'austérité de !a vie et tout le reste. Ce
sont des œuvres très-agréables au Seigneur,
lorsqu'elles sont inspirées par celle crainte
salutaire qui nous dispose à l'amour, ou bien
commandées par l'amour même; mais elles
ne peuvent lui être agréables qu'autant
qu'elles sont produites par celte pénitence
intérieure qui est opérée par le changement
du cœur que l'amour seul peut produire.
Confirmons tout coci par les preuves que no-
tre évangile nous fournit. 11 dit que toute
montagne et toute colline sera abaissée, et
toute vallée sera remplie ; que les chemins tor-
tus deviendront droits, et les raboteux unis.
Cette expression, mes chers frères, est ti-
rée d'Jsaïe : c'est une prédiction que le pro-
phète fait du retour du peuple de Dieu après
la captivité de Babj loue, et c'est aussi une
autre prédiction des cffels" que devait pro-
duire la venue du .Messie : prédiction qui s'est
accomplie à la lettre ; car les montagnes put
élé aplanies, c'est-à-dire que les Juifs, qui
étaient liers et orgueilleux parce qu'ils étaient
le peuple de Dieu et qu'ils avaient reçu !a
loi, qui s'élevaient comme des collines parla
confiance qu'ils avaient dans les œuvres de
la loi et dans leur propre justice, se sont
abaissés fous le joug de la foi nouvelle, cl
ont reconnu qu'il n'y avait de justice que par
1 i foi en Jésus-Chrisl. La rèele de l'Evangile
a mis tout de niveau dans l'ouvrage du s,i-
lut, Les princes ei les sujet-, tout est sur a
m ose ligne devant Dieu. Il s'e.st fait un si
t'rund changement, que ceux qui voulaient
être estimés sage*, et qui passaient pour
tels, sont devenus simples comme d - .
fants; ceux qui ravissaient le bien d'anlrni
se sont dépouillés de lents richesses et ont
ombra scia pauvreté ; ceux qui vivaient dans
les délices et dans la magnificence du siècle
ont pris le parti delà pénitence et se sont ca-
chés dans les solitudes : tout cela s'est ac-
compli, el ce sont là le> miracles de la venue
de Jésus-Christ et de l'élablissement de PB -
vangile.
Mais encore une fois, celte expression,
qui signifie tant de choses, renferme aussi
l'idée delà pénitence parfaite. Car remarquez,
mes frères, que ce que Jésus-Chris: a fait
pour venir à nous dans son avènement, il
faut que nous le fassions présentemen' pour
retourner à lui par la pénitence. Il faut donc
que cette pénitence, p ur être vraie, eha
l'orgueilleux en un homme soumis, huml
dépendant, simple comme un cillant; et c'< ^t
là la vraie explication dos termes de notre
évangile, abaisser les maniaques et 1rs col-
lines. 11 faut que le vide effroyable et la hon-
teuse inutilité de la vie de cei le femme du
monde, qui ne vit que d'amusements, et qui
ne s'est jamais occupée que de divertisse-
ments, de jeu, de bagatelles, d'ajustements,
soient remplis par une exacte fidélité à tons
les devoirs de son état cl par une multitude
de bonnes œuvres.
11 faut que ces gens de qui le métier c«t de
ne rien faire, ou qui se font une occupation
de visites, du jeu, des conversations, de re-
cevoir du monde, d'une languissante oisive-
té qu'ils portent partout, pour détourner les
autres du travail, ou pour passer le lemps
avec des inutiles comme eux, songent à em-
brasser un état chrétien, et s'appliquent à eu
remplir les devoirs par des lectures et des
occupations utiles, el pour lors les vallées
seront remplies, aux termes de notre évan-
gile. Il faut que cet homme d'affaire, qui est
occupé depuis le malin jusqu'au soir de loulc
autre chose que de son éternité, que ses
grands el ses continuels emplois détournent
des voies de son salut, nielle ordre à ses af-
faires temporelles et qu'il ne s'en laisse
poinl accabler, et que celles dont il se chan-c
ne soient pas contraires à l'application rai-
sonnable et réglée qu'il doit dasHtar à la
principale, qui est de se sauver et de gagner
le «ici. 11 faut que nos mœurs et toutes nos
actions soient réformées sur la loi de Dieu,
qui doit être l'unique règle de noire conduite.
il faut quitter les illusions d'une raison
aveugle, fixer les inégalités d'an esprit vo-
lage, léger et inconstant, arrêter les unnor-
tements de nos passions, élouffer les désirs
déréglés d'un cœur corrompu, et alors les
chemins torlus et raboteux deviendront
droits. Voilà ce que produit la pénitence
quanti elle e>t véritable, et il ne peut y eu
avoir de vrac sans cela: elle change le
cœur, voilà son caractère et sa nature, et en-
suite le changement du cœur i il celui de la
conduite, el c :i est la ssarqoe.
Ni u n vous il i -* im do g pas: Abandon-
nez tos familles, qaittes vos emplois* reti-
189
SERMON POUR LE QUATRIEME DIMANCHE DE L'A VENT.
100
rez-vons dans les solitudes, soyez impitoya-
bles à votre chair, accablez-vous d'austérités.
Que chacun se sanctifie dans son état: Jésus-
christ ne dit ni au soldat ni au puhlicain
de sortir du leur, mais d'y faire leur devoir.
Il y a une voie de satisfaire à Dieu, et une
sorte de pénitence attachée à chaque état,
quand il est bien entendu. Saint Jean ne dit
pas aux receveurs publics, qui furent tou-
chés de ses paroles et de sa prédication sur
la pénitence, et qui vinrent lui demander ce
qu'ils avaient à faire : Quittez vos bureaux,
abandonnez vos recettes le salut est im-
possible dans ces sortes d'emplois. Ce grand
saint, tout rempli de l'esprit de Dieu, a bien
su distinguer les abus de l'emploi d'avec
l'emploi même; il se contente de leur dire:
N'exigez rien au delà de ce qui vous a été or-
donné.
Il ne dit pas même à des soldais, qui fu-
rent touches comme les autres, de quitter
leur profession et d'abandonner lt s armes;
car l'état deia guerre n'est pas contraire à l'E-
vangil". On peut, non-seulement faire péni-
tence dans celte profession, mais on peut s'y
sanctifier , et elle a fourni à l'Eglise de
grands saints et d'illustres martyrs, quoi-
qu'il faille reconnaître qu'elle forme des obs-
tacles au salut que peu de gens surmontent
aujourd'hui : c'est un effet de la corruption
du cœur des particuliers, que la grâce de
Jésus-Christ change quand elle devient maî-
tresse du cœur.
Mais, mes frères, voit-on souvent de ces
Changements qui sont les marques comme
ils sont les effets de la vraie pénitence, se-
lon l'idée que je viens de vous en donner,
tirée des paroles de notre évangile? Je vous
ai promis de vous rendre juges dans une af-
faire aussi importante, et dans laquelle vous
avez un aussi grand Intérêt, c'est mainte-
nant qu'il faut que vous rendiez voire juge-
ment; croyez-vous qu'il ne soit pas très-
rare de trouver de véritables pénitents?
Suivez les règles que je viens de vous don-
ner, car c'est sur ces règles qu'il en faut
juger.
Iteprésenlez-vous l'idée d'une pénitence
parfaite et véritable : c'est le ré'ab issement
du règne de Dieu dans le cœur, d'où l'idole
cl la passion a été chassée par le bon amour.
Vous ne pouvez pas juger du fond du cœur,
il vous est inconnu, le vôtre même ne vous
est pas ouvert, nous convenons de tout cela ;
mais il se déclare par la conduite et il se
découvre par la vie ; car les actions de celte
vie sont produites et réglées par les affec-
tions du cœur.
Voyez-vous bien des avares et des gens
attachés au bien, devenir tendres, compa-
tissants el faciles à soulager les pauvres ?
Voyez-vous bien des personnes promptes,
violentes, emportées, devenir traitâmes, dou-
ces, patientes? Voyez-vous bien des gens
dissipés et livrés au commerce du monde, se
retirer, aimer la solitude et ne paraître que
pour le besoin.' Voyez-vous bien dis per-
sonnes voluptueuses, aimant la bonne chère,
devenir tempérantes, mortifiées, s'appli ;ucr
à retrancher toute superfiuité, et ne s'accor-
der que le nécessaire dans un ordinaire ré-
glé ? Enfin voyez-vous bien des hommes qui
puissent dire d'eux-mêmes ce que saint Am-
broise rapporte de la pénitence d'un jeune
homme qui, pour rompre un mauvais enga-
gement, quitla son pays pour quelque temps?
A son retour la personne qui était complice
de ce désordre se présenta à lui, et voyant
qu'il ne lui disait rien, elle l'attaqua. Quoi 1
lui dit-elle, serait-il bien possible que vous
ne me reconnussiez pas ? Avez-vous oublié
que je suis une telle? Je vous reconnais,
lui dit-il, c'est vous ; mais si c'^st vous, ap-
prenez que ce n'est plus moi. Cela est-il
commun ? Trouve-t-on bien des exemples
de ces changements entiers de tempérament
et d'habitude naturelle? On n'en voit point
ou presque poinl. Souvent mémo, et c'est
encore un abus dans les conversions, on se
singularise, on devient critique, on juge les
autres; on se scandalise de tout, et on rend
la piété méprisable, en empruntant des dé-
fauts qui lui sont étrangers. En quoi ferons-
nous donc consister ce changement? A rete-
nir les excès et les emportements du tempé-
rament, et à pratiquer les vertus contraires
à ces exc'ès; à être en garde contre ses sur-
prises ; à éloigner tout ce qui peut nourrir
ses désordres; à prier et à passer toute sa
vie à satisfaire par la pénitence même aux
fautes de surprise que la violence de ce tem-
pérament nous arrache. Or, voyez -vous
beaucoup de gens dont la conduite et la vie
soient tellement changées , qu'ils donnent
lieu de douter si ce sont eux-mêmes que l'on
voit dans leur personne , ou si ce sont d'au-
tres hommes sous les mêmes traits? Ne
voyez-vous pas, au contraire, que la plupart
de ceux que nous appelons des pénitents ne
sont différents de ce qu'ils étaient que par
l'usage extérieur des sacrements, et qu'on
les reconnaît presque toujours à tout le reste
de leur conduite ? Concluez donc, mes frè-
res, qu'il est encore plus rare qu'on ne peut
le dire de trouver de véritables pénitents,
et surtout n'oubliez jamais qu'il ne peut y
avoir de pénitence véritable et parfaite où le
dérèglement des passions n'est pas changé
en la pratique des vertus contraires.
Si ces vérités si certaines et si importan-
tes font leur effet sur vos esprits, el que
Dieu vous les mette dans le cœur, comme
ceux à qui saint Jean les a ptêchées, appre-
nez aussi que c'est dans Jésus-Christ que
vous trouverez la force el les ressources
dont vous avez besoin dans le cours de votre
vie pénitente. C'est mon dernier point.
TROISIÈME PARTI F..
Videbit omnis caro salufqre Dei : Tout
homme verra le Sauveur envoyé de Dieu;
rien de plus consolant pour nous que ces
paroles après ce que nous venons de dire de
la difficulté et de la rareté d'une pénitence
véritable et parfaite.
Sentez, chrétiens, votre faiblesse, confes-
sez voire impuissance, avouez votre Inca-
pacité, noa-teutement pour changer vos
101
ORATEURS SACRES. ROM JEROME.
I'»4
cœurs et pour faire une pénitence parfaite,
mais même pour la pratique de tout bien
qui mérite le ciel ; mais cependant que cette
impuissance de la uatuce ne soit pas pour
vous une source de désespoir. Honorez le
triomphe de la grâce de Jésus-Christ par la
confession de voire faiblesse; mais mettes
TOlre confiance en celui que vous aile/ voir,
cl qui nous a été donné de Dieu pour être
noire sagesse, noire justice, notre justitLa-
tion, notre rédemption et notre liberté par la
puissance de son esprit et de sa force.
Ce Sauveur que tout homme verra peut
arracher de votre cœur cet amour déréglé
qui fait votre crime, qui est \otre ouvrage,
et contre lequel tous vos efforts sont impuis-
sants, et il De vient que pour cela. Non, mes
'rôres, rien n'est plus capable f!c consoler un
l-érhour accablé sous le poids de ses iniqui-
tés, gémissant sous ses passions, et sentant
son impuissance, que de penser que Dieu
peut tout sur son cœur, et qu'il est venu
pour le délivrer; mais il ne faut pas nous en
tenir aux simples gémissements, il faut atti-
rer ce secours, et nous rendre dignes de celte
force que nous ne saurions trouver qu'en
Jésus-Christ. Saint Jean nous recommande
de préparer les voies du Seigneur, et il joint
cet avis avec celui de faire pénitence. Ce n'est
pas que nous puissions faire quelque chose
par nous-mêmes et sans la force que nous
ne recevons que de Jésus-Christ ; mais celte
force a ses degrés. Ce changement du coeur
ne se fait pas lout d'un coup, il se fait par
une certaine suite et par un certain ordre de
moyens qui ont assez de ressemblance avec
ceux dont les plaies du corps se guérissent
par les voies edmmunes.
D'abord un homme reconnaît qu'il est
blessé, il appelé ensuite du secours ; il s'a-
bandonne à son médecin, il écoute ce qu'il
lui ordonne, il suit les règles qu'il lui pres-
crit; enfin il n'a plus à cœur qu'une seule
affaire, qui est celle de guérir; et voilà, mes
frères, les règles qu'il faut suivre pour obte-
nir du Sauveur envoyé de Dieu qui vient
pour tous les hommes, la grâce d'une péni-
tence véritable, sincère, pleine et parfaite.
Il faut que nous reconnaissions que nous
sommes coupables et indignes de recevoir
miséricorde. Il faut dire mille fois, mais du
plus profond du cœur, comme le Pr<>phèt •
Mes iniquités se sont élevées par-dessus ma
tête, elles me sont tin fardeau que je ne puis
supporter. Il faut recourir à Jésus-Christ,
pleurer et gémir d'avoir perdu sa grâce, et la
lui demander continuellement sans épargner
ni prières ni larmes. Il faut mettre toute sa
confiance en Dieu, .s'abandonner entière-
ment à lui, répéter mille fois le jour, avec
les sentiments d'une foi vive et d'une espé-
rance ferme : Videbit omnis caro salulare
Dei : Toute chair verra le Sauveur qui est
envoyé de Dieu. Car, comme dit le saint con-
cile de Trente, le pécheur, eu considérant
l'excès de la miséricorde de Dieu, change M
Crainte en espérance . et doil opérer qu'il
lui fera grâic eu considération des mérites
d« Jésus-Christ. Enfin celle espérance lui
fait prendre une résolution sérieuse de chan-
ger de rie; car il entre dans la disposition
de- Juifs, qui, ayant entendu saint Jean, lui
dirent : Que devons nous faire? Celle doci-
lité et celle soumission esl une vraie mar-
que qu'on est louché de Dieu. 11 faut écou-
ler Jésus-Christ, et faire ce que nous ordon-
nent ceux qui nous parlent de sa part. En
effet ce n'est pas au malade à ordonner,
mais au médecin. Un pécheur qui veul faire
pénitence ne doil pas donner la loi, mais
c'est à lui de la recevoir.
Il faut donc qu'il quitte et qu'il rejette
tout ce qui peut l'éloigner de Dieu, qu'il
écoute avec respect sa parole et tous les
avertissements qu'on lui donne, qu'il suivi*
avec fidélité toutes les règles qu'on lui pres-
crira, qu'il n'épargne ni j unes, ni aumônes,
ni privations, ni pratiques qu'on jugera à
propos de lui imposer, n'estimant rien de
diflicile, rien de trop long pour obtenir un
don si rare et si précieux.
Qu'il considère que ses péchés sont réels,
que les jugements de Dieu sont effroyables
et certains, que sa vie est très-incertaine,
que la cognée, comme le dit saint Jean, est
déjà à la racine de l'arbre, qu'il n'y a pas un
moment à perdre, et que tout esl précieux ;
qu'il ne se lasse point dans ces pratiques. La
guérison des plaies du cœur n'est pas moins
diflicile que celle des plaies du corps, elle est
intérieure et plus cachée, on ne guéril pas
en un instant; les inclinations du crur ne
se changent qu'en changeant les habitudes
de l'âme. 11 faut du temps et de l'application
à de certains objets, pour qu'il se forme de
nouvelles inclinations et de nouvelles habi-
tudes à la place des anciennes.
Nous savons, mes chers frères, que Dieu
esl le maître du cœur, et que sa grâce y peut
faire tels changements qu'il lui plaît: mais
nous savons aussi qu'il ne veut pas élre
tenté, que c'est une témérité de demander
des miracles, quand on ne mérite rien, cl de
vouloir que Dieu sorle pour nous des règles
qu'il s'est prescrites. Nous ne devons rien
attendre de notre travail ; mais lieu veut que
nous travaillions comme si lout dépendait
de notre travail. Faisons-le donc, mes Irès-
chers frères, et attendons tout de la miséri-
corde du Seigneur qui esl fidèle à ses pro-
Ainsi
messes.
soit-il.
vous
la souhaite etc.
SERMON
POUR LE J01.R DE NOËL.
ExsnlUie et Ictamtni in Domino Deo vesiro, quii dédit
vnbis doclorem justilis.
Sufi : États des transports d'allégresse, iv"oui.«r:->' us
dans li Seigneur votre Dieu, parce qu il vous a donné un
tnaUre <?»■' vous enseignera la justice [Joet., Il, 23).
Ce divin in iilre est le Messie que les Juifs
attendaient, c'est lui après lequel toutes les
nations de la terre ont soupiré, que n us
avons reçu dans la nouvelle loi , el que la
foi nous montre aujourd'hui dans l'el.ible de
Bethléem. Que l'étal où il parait à \o> \niv
ne vous rebute pas, mes frères: ne craigne*
pas de vous rendre les disciples d'un enfant:
195 SERMON POUR LE
toute la doctrine de la religion est renfermée
l dans les lois d'une enfance sage et chrétienne. ,
Un superbe qui n'avait pas voulu se sou-
mettre aux conseils d'un Dieu ne devait;
,i)lus être instruit que par les leçons d'un
enfant. Regardons ce mystère comme le plus
grand ouvrage de la miséricorde de Dieu,
c'est ce qui doit aujourd'hui nous transpor-
ter d'amour el de reconnaissance, en voyant
que le Dieu dont les Juifs avaient méprisé les
lumières dans la gloire veuille se faire enfant
pour se mettre en état de nous instruire
dans la chair. Dieu nous donne donc un
maître dans la personne de cet enfant, il im-
primera dans l'âme de ses disciples une
Vertu qui ne leur fera pas seulement connaî-
tre ce qu'ils doivent faire, mais qui leur
fera pratiquer ce qu'ils connaissent. C'est
ainsi que saint Augustin s'est expliqué sur
la doctrine que cet enfant vient enseigner,
el sur la manière dont Jésus-Christ instruit
ses disciples : il leur fait des leçons, il leur
donne des exemples, il leur accorde des
secours.
1" II leur fait des leçons pour les instruire :
première partie. 2° 11 leur donne des exem-
ples pour autoriser ses leçons : seconde par-
tie. 3° Il leur accorde des secours pour les
mettre en état de suivre ses exemples : troi-
sième partie.
Voilà, mes frères, les qualités du maître
de la justice que Dieu nous donne et celle de
ses instructions; il parle, il fait, et il fait
f>ratiquer. L'excellent maître! Ecoutons ses
eçons, imitons ses exemples, rendons-nous
dignes de ses secours; ce sera la matière
de ce discours : demandons l'assistance du
Saint-Esprit par l'intercession de Marie.
Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Je dois, dans celle première partie, l5 vous
découvrir le besoin où l'homme était, depuis
le péché, d'un maître qui lui donnât l'idée de
la justice, en lui inspirant la justice même;
2° vous convaincre que celui que nous rece-
vons aujourd'hui était seul capable de l'être ;
3° vous faire remarquer les manières lou-
chantes et proportionnées à l'état de l'homme
dont il s'acquitte dans celte fonction.
El d'abord, mes frères, il ne faut que nous
représenter l'état de l'homme depuis le
péché, pour comprendre la nécessité où il
était d avoir un maître qui lui enseignât la
voie du salut. Son aveuglement était devenu
si étrange depuis la perle de la justice, et
son dérèglement si général, qu'on ne voyait
plus dans toute sa conduite que des marques
déplorables de son ancien bonheur. Des té-
nèbres épaisses obscurcissaient son esprit,
la corruption la plus profonde était maîtresse
de son cœur. Non-seulement il ne savait pas
ce qu'il fallait faire pour plaire à Dieu, mais
même il ignorait qu'il fut dans l'obligation
de lui plaire.
L'impression du péché qui l'avait détourné
de son Créateur l'avait attaché aux créatu-
res, cl les fausses idées qu'il s'était foi niées
des biens cl des maux l'empêchaient de con-
JOUR DE NOËL. tU
naître qu'il n'y a pour l'âme raisonnable
qu'un véritable bien , qui est la possession
de Dieu, comme il n'y a pour elle qu'un mal
véritable, qui est la perte de cet unique bien.
C'est ce que saint Augustin nous a voulu
faire entendre, quand il a dit que le péché
avait rendu l'âme de l'homme toute char-
nelle en l'absorbant dans l'amour des créa-
tures.
Tous les hommes étant tombés dans le
même degré d'aveuglement et de corrup-
tion, nul n'était capabled'inslruire les autres,
et il est aisé de remarquer, par les opinions
extravagantes qu'ils ont eues sur ce qui peut
rendre vraiment heureux, combien on de-
vait avoir peu de confiance en leurs lumières.
Voilà, mes frères, une légère idée de l'état
de l'homme depuis le péché. Osée l'a touché,
lorsqu'il dit qu'il n'y a point de vérité, qu'il
n'y a point de miséricorde, et qu'il n'y a
point de connaissance de Dieu sur la terre.
L'homme malheureux est demeuré durant
quatre mille ans vivant dans l'ignorance de
celui qui lui avait donné l'être, conversant
avec les démons, qui, après l'avoir rendu
complice de leurs crimes et compagnon de
leur malheur, se faisaient adorer de lui.
Ce n'est pas que Dieu ait abandonné les
hommes absolument durant tout ce temps : il
a pris soin d'affermir l'espérance de ses élus
durant tous les temps, il a toujours tracé
aux Juifs des images de Jésus-Christ, il leur
adonné des figures du Sauveur, et jamais il
ne les a laissés sans quelques assurances de
sa puissance et de sa bonne volonté pour
leur salut.
La doctrine de ce divin Maître a jeté quel-
ques rayons dans tous les temps; ceux qui
ont marché devant lui ont reçu des lumières
d'une doctrine qu'il devait enseigner par lui-
même; et ceux qui l'ont suivi se sont con-
duits par les lumières d'une doctrine qu'il a
enseignée : et comme le même astre est tout
ensemble l'étoile du malin et l'étoile du soir,
le même Maître a servi aux peuples des
deux Testaments. C'est saint Paul lui-même
qui nous dit que Dieu, ayant parlé autrefois
à nos pères en diverses manières par les pro-
phètes, il nous a parlé en ces derniers temps
par son Fils.
Dieu a donc envoyé des prophètes dans
tous les temps, mais tous en ont promis un
autre, et Dieu a partagé entre eux les mystè-
res qui regardaient l'état de ce prophète et
de la religion qu'il devait établir. Isaïe a
prophétise la fécondité d'une vierge, la nais-
sance de ce prophète qu'elle devait engen-
drer, el même sa mort. Daniel a prophétisé
le temps de sa venue, Malachie celle de sou
précurseur, cl ainsi des autres ; mais Jésus-
Christ est le prophète de tous les temps et
de l'éternité môme, maître de toutes les vé-
rités qu'il vient découvrir avec une plénitude
de lumière, de certitude, d'efficace et d'onc-
tion. Ainsi les Juifs, dil saint Augustin, n'ont
mérité que des prophète- quiélaieutàla vérité
remplis de l'esprit cl de la parole de Dieu,
mais pour nous il nous a rendus dignes de sa
198
OIIATEUKS SACHES. DO.M JEKOME.
1-ir,
parole même, el nous n'aurons plus (l'autre
prophète tint' lui.
I -<*s prophéties sont accomplies, il a paru
s'ir la terre, il a conversé avec les hommi
i .une le prophète Itaruch l'avait promit;
il est arrivé que celui qui était destiné pour
nous instruira ne disparaîtra plus de devant
u us. el que nos yen* verront le Maître qui
nous enseigne selon la prophétie d'isaïe.
Je ne m arrête point ici à vous prouver
que toutes ces prophéties se doivent enten-
dre de Jésus-Chi ist, et que cet enfant que la
foi expose aujourd'hui à nos yeux est ce
Messie qu'on attendait, il s'est fait connaître
pour tel par ['accomplissement de toutes
les prophéties qui avaient été faites, et qui
ne pouvaient convenir qu'à lui seul, par les
miracles qu'il a opérés, el par rétablisse-
ment de son Eglise, qui est le plus grand de
tous ces miracles.
II ne s'agit, et c'est ma seconde réflexion,
que de vous montrer que cet enfant qui est
exposé sur la crèche de Bethléem n'y parait
aujourd'hui que pour y être reconnu de nous
pour notre malire; car, comme dit saint
Bernard, ce mystère qui s'est accompli sur
la personne du Sauveur se renouvelle en
nous si nous prenons soin de nous renouveler
tous les ans en Jésus-Christ. 11 s'est rendu
le maître des hommes, mais un maître qui
enseigne la justice, qui, étant juste lui-mé . te
el la source de loule sainteté, justiîic les
âmes par ia foi vivante el agissante par la
charité, en remplissant en même lemps leur
esprit de lumière et leur volonté île son
amour; car, mes frères, pour reprendre l'é-
tal de l'homme qui attendait ce maître divin,
il élail aveugle et incapable de le reconnaî-
tre, il sentait bien qu'il n'était pas d'accord
avec lui-même, que les vues de son esprit
combattaient les désirs de sa chair. Tantôt
élevé par des sentiments de grandeur, jus-
qu'à croire qu'il pouvait être semblable à
Dieu, d'autres fois rabaissé par les ressenti-
ments de sa misère, jusqu'à se contenter
d'être semblable aux bêles, il demeurait
sans se coniiailrc, incertain et flotlaut entre
la présomption el le désespoir.
Il fallait donc, pour porter les lumières
dans cet esprit, le faire sortir hors de lui-
même, et ensuite l'y faire rentrer pour lui
découvrir le fond de sa nature. 11 fallait lui
débrouiller cet assemblage confus de gran-
de'ur et de misère dont il sentait les mouve-
ments sans m connaître le, principe. Il fallait
lui apprendre qu'ayant élé grand, il était
devenu misérable par sa faute. Il fallait que
le même Dieu qii l'avait fait grand voulût
bien le rétablir dans sa grandeur. Enfin il
était nécessaire que l'auteur de sa grandeur
passée s'unit à sa misère présente, et qu'il
['élevai jusqu'à lui; voilà louics les vérités
que ce maître divin nous a fait comprendre;
mais comment, me direz-vous, nous les fail-
li connaître? C'est, mes frères, ma troisième
réflexion.
C'est en se montrant à nos veux sur la
crèche de Bel le. m et sous la forme d'un
enfant; par là il allie les vérilés qu'il vient
nous enseigner avec des faits et avec des
I ■ . qui fions les rendent
l'Ecriture ne dit- lie ; as si olement que nous
entendrons, mais que nous verrons notre
maître. Il se montre donc pour d >u- i -
struire ; ses leçons sont donc ait
personne ; la foi ne vient pas seulement ici
de ce qu'on a : uï, Comme saint Paul l'asso
mais de ce qu'on a \u; les vérités entrent
ici par Ie> yeux, pour ainsi dire. Jésus-Chi ist
p i s,i conduite fait \oir à l'homme qu'il
c ait blessé, et que l.i plaie était profonde cl
bien difficile à guérir, puisqu'il ne failli
pas un moindre remède que l'incarnation
d'un Dieu. Kn effet le grand appareil des re-
mèdes est une marque de la grandeur et du
danger de la maladie. Les breuvages, les
incisions, les ferrements, tout cela fait juger
à un malade que son mal est considérable;
mais que doit taire comprendre un Dieu fait
bonime, le Verbe fait chair, dans une établc,
dans la nudilé, dans la misère, au milieu
des animaux? Jésus-Christ a convaincu le
malade de la grandeur de son amour par la
profondeur de son anéantissement, cl le pé-
cheur, qui ne pouvait rien voir de si élevé au-
dessus de lui, ni riea de si redoutable qu'un
Dieu qui devait le juger, n'a rien vi qui
entrât plus tendrement dans ses intérêts,
qu'un Dieu qui se révélait de sa chair et qui
prenait un corps pour entrer par les sens
jusqu'au fond de notre âme et pour dissiper
les ténèbres et la corruption qui y régnaient;
il lui fait voir qu'il était desliné à être grand,
mais que sa grandeur ne se trouvait que
dans son attachement et dans sa ressem-
blance avec celui qui l'avait formé pour être
tel; que, ne pouvant plus retournera lui,
après l'avoir abandonné, il était veuu le
chercher; et qu'aûn qu'il pût devenir sem-
blable à ce Dieu dans sa grandeur, ce Dieu
élail venu se rendre semblable à lui dans sa
misère. 11 lui a fait voir cnûn que, pour ren-
dre celte ressemblance parfaite, il fallait que
son esprit s'humiliât, puisque la Divinité s'é-
tail anéanlie jusqu'àserevctirde toutes les in-
firmités et de toutes les misères de la chair.
Voilà, mes très-chers frères, les grandes
et les admirables vérités que ce divin Maître
nous enseigne sur la crèche de Belhlee i .
Rien n'eslsi tendre que la leçon que le Sau-
veur du monde nous lait aujourd'hui. 11 se
mêle parmi les créatures, il se rend créature
lui-même; il s'expose à nos yeux dans un
élat qui nous découvre (sans parler) celui de
notre âme, l'amour du Dieu qui nous cher-
che, les voies pour retourner à lui, les
moyens d'accorder les contrariétés que nous
sentions, sans en savoir la source. \ oilà le
langage que Jésus-Christ lient à l'homme
pécheur, en se montrant à lui dans la fai-
blesse de son enfance et dans la pauvreté de
la crèche.
0 vous donc, enfanls de Siou, soyez dans
des transports d'allégresse, réjouissez-vous
dans le Seigneur votre Dieu, parce qu'il
>ous a donUé un Maître qui vous enseigner.!
la justice! Quel sujet de joie, mes Irès-cbers
frères » à la vue des miséricordes de Dieul
197
Afin que nous fussions instruits sans crainte
d'être trompés, la Vérité est venue elle-
même dissiper nos ténèbres. 11 (allait à
l'Iionme une règle infaillible pour se con-
duire sûrement, mais il lui fallait une régie
sensible pour se conduire humainement.
Dieu est infaillible , mais il n'est pas sensi-
ble ; l'homme est sensible, mais il n'est pas
infaillible. Jésus— Christ étant Dieu et hom-
me tout ensemble, nous trouvons en sa per-
sonne tout ce qui nous convient pour être
tout ensemble instruits et conduits; nous
venons d'exposer ses leçons, exposons ses
exemples : c'est le second point.
SECONDE PARTIE.
L'homme n'était pas seulement aveugle
depuis le péché, il était encore malade, ou
disons mieux , l'ignorance qui l'aveuglait
était une maladie de l'homme, mais elle n'é-
tait pas la seule; la cupidité était une mala-
die aussi dangereuse que l'ignorance. Ce
n'était donc point assez d'éclairer son esprit,
il fallait encore guérir son cœur; d'ailleurs,
ce malade était si bizarre, que, quoiqu'il
connût le danger où il s'était réduit, et la
vertu des remèdes qu'on lui préparait, il les
aurait rejelés au péril de sa perle, pour
n'en pas souffrir l'amertume. Il fallait donc
que celui qui s'était rendu son maître se
rendit encore son médecin, et qu'il lui pré-
parât ces remèdes d'une manière si charita-
ble et si proportionnée à sa dangereuse dé-
licatesse, qu'en leur laissant toute leur ver-
tu, il leur ôlât presque toute l'amertume.
C'est ce que Jésus-Christ a fait en joi-
gnant les exemples aux leçons et la qualité
de médecin à celle de maître. C'est par là
qu'il remplit divinement les fonctions de
maître de la justice, en unissant à culte qua-
lité celle de médecin et de Sauveur, en ré-
pandant des lumières et en communiquant
la charité, en dissipant les ténèbres et en
chassant le mauvais amour. En effet, ce
charitable médecin qui a préparé ses remè-
des aux malades qu'il voulait guérir, ne s'est
pas contenté de nous dire simplement qu'il
faut commencer par descendre du faîte de
lorgueil dans le centre de l'humilité pour
pouvoir arriver à la grandeur solide et véri-
table que l'homme recherche et désire ar-
demment : cette vérité toute seule n'aurait
pas été suffisante pour dompter la férocité
de notre orgueil; qu'a-t-il donc fait? il y a
joint l'exemple, il inspire loi-même aux hom-
mes cette humilité si contraire à leurs incli-
nations, cl il l'inspire, non par la force de
l'autorité, ni par la véhémence de ses <!is-
cours, mais par la voie de la persuasion ; il
se rend humble lui-même : le Verbe se fait
homme, afin" que l'homme, ayant un tel ob-
jet devant ses yeux, eût horreur de son or-
gueil cl ne craignît plus de s'humilier.
l'our le détourner de l'amour des riches-
ses, il se fait pauvre; pour lui adoucir (a
peine de supporter les injures, il a voulu en
titre accablé : ainsi, de toutes les choses q e
nouj aimions et dont l'amour et le désir
nous ai aient détournés de Dieu, il nous en
SERMON POUR LE JOUR DE NOËL. *98
a inspiré du mépris ; eu les rejetant il les a
rendues viles, et pour toutes celles que nous
rejetions il leur a donné un fonds de gran-
deur et de dignité en les choisissant, fout
cela n'a été qu'un effet de son amour pour
nous, et du désir qu'il avait de nous faciliter
l'usage des remèdes sans lesquels nous ne
pouvons guérir de nos maux; car il n'avait
aucun besoin d'en user ainsi pour lui-même.
Entrez bien, mes frères, dans cette pen-
sée : en s'uni&sant à notre nature, Jésus-
Christ a fait exactement ce que ferait un
médecin qui prendrait chez lui un malade
qu'il aime, qu'il a résolu de guérir, et qui
ménage sa faiblesse avec plus de soin, afin
d'étudier son mal avec plus d'application, et
lui faire l'application de ses remèdes plus
utilement.
L'humanité à laquelle il s'est uni, c'est-
à-dire cette chair qu'il a prise en se faisant
homme, était pure, saine, exempte de péché,
autrement elle n'aurait pas été la victime
d'un sacrifice qui devait expier les péchés
des hommes. Elle a été cependant traitée
comme si elle eût été criminelle, et c'est en
cela qu'eile est semblable à celle des pé-
cheurs, puisqu'elle était assujettie aux mi-
sères de celte vie. Il lui a fait prendre les
remèdes dont les malades avaient besoin, et
c'est dans ce sens qu'il s'est chargé de nos
infirmités, et qu'il les a non-seulement por-
tées, mais guéries en son propre corps, afin
que les hommes apprissent de ce qu'il avait
fait sur lui ce qu'ils devaient faire sur eux-
mêmes, et par là il nous a voulu faire com-
prendre quelle était la nécessité de ces re-
mèdes ; car, si le bois vert est ainsi traité,
dit l'Evangile, que sera-ce du bois sec ?
Mais il a voulu aussi en même temps nous
faire comprendre quelle en était la vertu,
puisque c'est par ces remèdes qu'il a guéri
les plaies des nommes, et que leur usage a
fait tous les justes et tous les saints. Kn effet,
s'il est vrai que les hommes ne périssent quo
parce qu'ils souhaitent ce que Jésus-'Christ
a méprisé, ou parce qu'ils fuient ce qu'il a
souffert, comme dit saint Augustin, ils ne
se sauvent et ils ne se sanctifient qu'en em-
brassant ce qu'il a souffert et en rejetant ce
qu'il a méprisé. Ce charitable médecin ne
pouvait donc prendre des mesures plus natu-
relles pour adoucir l'amertume que nous
craignons de trouver dans l'usage des re-
mèdes qu'il offrait pour nous guérir; car
certainement l'idée de la nécessité d'un re-
mède unique, l'assurance de sa vertu, l'ex-
périence de ses effets, adoucissent non-seule-
ment la répugnance que son amertume nous
pourrait causer, mais elle nous porte à le
désirer avec ardeur et à le prendre avec
avidité; cependant ce n'est pas encore tout
ce qu'il a fait pour nous. Il est vrai que ces
réflexions sur la bonté d'un remède peuvent
convaincre l'esprit de la nécessité de le
prendre, et elles doivent même le faire;
mais il faut quelque chose qui le persuade.
La raison est louoaiae; mais il reste un fonds
de répugnance. Jésus-Christ , mes frères,
achevé sou ouvrage. Ce charitable médecin
110
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
!h
répand dans l'âme DM certaine douceur qui
lui fail trouver du plaisir dans l'otage de ce
qui lui paraissait amer. C'est l'effet de cette
grâce que le Maître de la justice est venu
nous apporter, par laquelle, dit saint Au-
gustin, il ne fait pas seulement croire ce
qu'on doit aimer, mais il fait aimer ce qu'on
croit.
Arrêtons-nous ici un moment pour nous
demander compte à nous-mêmes des effets
que produisent en nous les exemples que ce
divin Maître de la justice a exposés à nos
yeux; car ce mystère doit toujours être nou-
veau, il faut qu'il nous renouvelle sans cesse,
il faut que la vertu de l'incarnation nous soit
appliquée, et que nous en ressentions les
effets. Il ne suffit pas de connaître, de croi-
re, d'honorer ce mystère, il f i ut l« sentir, il
faut qu'il nous pénètre, il faut qu'il incarne,
pour ainsi dire, nclrc esprit en l'humiliant,
et qu'il divinise notre chair en la dégageant
de toutes les créatures et de toutes les affec-
tions basses et corrompues. Jugeons-nous
sur ces idées, mes très-chers frères; pou-
vons-nous dire que nous ayons abandonné
les choses que Jésus-Christ a méprisées en
se faisant homme, et que nous ayons em-
brassé celles qu'il a chéries?
Tout pénétrés de l'amour des choses qu'il
a rejetées, nous courons comme des insensés
après ce qui n'est capable que di- nous per-
dre; révoltés contre celles qu'il a choisies,
nous rejetons tout ce qui est capable de nous
sauver, nous fermons les oreilles à ses le-
çons, et nous n'ouvrons pas les yeux à ses
exemples. Nous aimons la maladie qui va
nous perdre, et nous rebutons les remèdes
qu'il nous a préparés avec tant de sagesse et
de bonté. Mes frères, faisons -y réflexion,
pensons à nous, rentrons dans nous-mêmes :
celui (jui connaît ce qu'il doit faire et ne le
fait pas ne l'a pas encore appris de Dieu se-
lon la grâce, mais selon la loi, dit saint Au-
gustin ; il ne l'a pas appris selon l'esprit,
mais seulement selon la lettre; la lettre lue,
il n'y a que l'esprit qui vivifie.
Que ferons-nous donc dans cet étal d'op-
position effroyable entre nos maximes et la
doctrine du Maître de la justice que Dieu
nous donne, entre notre conduite et ses exem-
ples? Prenons des mesures pour nous rap-
procher de lui.
Remplissons-nous des vérités qu'il nous a
enseignées, éludions-lcs avec soin ; convain-
qtions-nous de la nécessité de les suivre;
iiinlons ses exemples; regardons-les comme
autant de nouvelles confirmations de ces vé-
rités, et comme autant de nouveaux motifs
qui nous pressent de les embrasser, et de-
mandons-lui ensuile qu'il nous les fasse con-
naître selon la grâce, et non pas selon la loi ;
qu'il nous les apprenne selon l'esprit, et
non pas selon la lettre qui tue. C'est par ce
moyen que nous pourrons nous rendre
utile la connaissance de ce mystère qui nous
a été infructueux jusqu'ici. Les vérités con-
nues doivent servir à nous faire remarquer
ce que nous avons déjà reçu, cl nous porter
à en rendre grâces. Elles nous doivent faire
connaître ce qui nous manqua et nous exci-
ter à le demander. Profitons u me de ce que
nous avons reçu et demandont ce qui nous
Banque; nom pour oui le demander awc
confiance, car nous avons à nous adresser à
un M.iilir de h justiee qui ne se contente
p;is «le donner des leçons et des exemples,
mais qui accorde encore de très-grands se-
cours à ceu\ qu'il veut rendre ses disciples:
c'est le sujet de la troisième partie.
troisième partie.
Dieu promettait des secours abondants à
son peuple dans l'ancienne loi, et il les lui
accorde dans la nouvelle. Il leur disait dans
Isaïe : Je ferai que les ténèbres qui sont de-
vant eux se changeront en lumière, et que les
chemins tortus seront ndressés. Il leur pro-
mettait par le prophèle Ezécbîel qu'il chan-
gerait leur cœur, et que de pierre qu'il était,
c'est-à-dire dur et insensible, il le rendrait de
chair, c'est-à-dire tendre et flexible à ses
volontés ; qu'ils marcheraient dans ses voies
et qu'il leur ferait accomplir ses commande-
ments. Or, mes frères, ce qu'il a promis il
l'a exécuté, et la grâce qu'il nous donne
comme Sauveur, non - seulement nous dé-
couvre sa sagesse, mais même elle nous la
fait aimer; non-seulement elle nous invi'e
au bien, mais même elle nous le persuade
et nous le fait vouloir si fortement et aimer
avec tant d'ardeur, que nous surmontons
par la volonté de l'esprit qu'il forme en
nous la volonté de la chair qui a des désirs
opposés à la loi de Dieu. C'est ainsi que le
Sauveur du monde Ole ce cœur dur et in-
flexible, et qu'il donne à ses disciples un
cœur de chair, tendre, docile, el qui se laisse
conduire aux mouvements de sa grâce.
Moïse nous traçait l'idée de ce secours que
nous devions recevoir de Jésus-Christ dans
la loi nouvelle, lorsqu'il excitait les Israéli-
tes, qui étaient la figure des vrais chrétiens,
à rendre grâce à Dieu de tous les biens qu'ils
avaient reçus de lui, el qu'il leur disait en
particulier qu'il les avait portes dans sa
force jusqu'au lieu de su demeure sainte;
c'est ce que fait Jésus-Christ, car il porte
lui-même les âmes, puisqu'il esl vrai dans
un très-bon sens que ce ne sont pas tant
elles qui marchent, que c'est lui -même qui
les porte, et que sans ce secours elles suc-
comberaient sous leur faiblesse.
Les âmes de ceux qui sont à lui sont pour
ainsi dire plulot portées qu'elles ne mar-
chent ; dles marchent cependant, prenez
bien garde de ne pas diviser les deux volon-
tés dans l'économie du salut qui e-t l'ouvrage
opère ; mais toutes les démarches qu'elle fail
avec eilori dans Ks \oics de la justice, elle
les doii à la grâce el à la force de celui qui
la porle; ce qui lait dire à saint Augustin :
Vous nous portes étant petits, ô mon Dieui
et DOW n importez jusqu'à l'extrémt vieillesse,
parce qui nous n'avons de force qu'allant
que nous nous appuyons sur vous; el que
toute notre force n'est que faiblesse , lorsque
nous nous appuyons sur nous-mimes ; mais
m
SERMON POUR LA FETE DE SAINT JEAN EVANGELISTE.
notre faiblesse se change en force lorsqu'elle
est soutenue par votre force.
Tout ceci nous découvre, 1° la nature de
ces secours que nous donne ce Maître de la
justice, secours qui appliquent l'âme à l'ac-
tion, qui font faire, qui portent, qui font
marcher, sans lesquels en un sens très-véri-
table nous ne pouvons rien; 2° la disposition
à nous les accorder toujours, puisqu'il nous
portera dans sa force jusqu'au lieu de sa de-
meure s;iinte, comme dit le prophète, et le
dessein où il est de les donner à tous, puis-
que, comme dit saint Augustin, il ne nous
portera pas seulement étant petits, mais qu'il
nous portera jusqu'à l'extrême vieillesse, nul,
ni jeune, ni vieux, n'étant exclu de ces se-
cours qu'il donne à tous.
Les conséquences de tous ces principes
sont faciles à tirer: il faut nous jeter entre
les bras de ce Maître divin, afin que noire
faiblesse soit changée en sa force, étant
soutenue par sa force; mais il faut, pour que
celle résolution ait tout son effet, 1° être du
nombre de ses disciples; car il ne s'engage à
porler que son peuple, c'est-à-dire ceux qui
veulent être à lui et qui se déclarent les dis-
ciples de la justice, comme il s'en est rendu
leMaître. Il faut, 2" s'acquitter des devoirs de
disciples, c'est à-dire nous remplir de sa
doctrine, et faire entrer dans notre cœur les
vérités qu'il nous enseigne dans ce mystère.
Oui, divin Enfant, nous voulons être vos
disciples; mais faites, ô Maître divin 1 que
les ténèbres se changent devant nous en lu-
mière. Dissipez tous les faux principes delà
vaine et trompeuse science du monde, et
remplissez nos cœurs des importantes véri-
tés que vous nous exposez aujourd'hui. Fai-
tes-nous ressentir les effets de ce mystère,
c'esl-à-dire faites que nous suivions les exem-
ples que vous nous donnez pour confirmer
les leçons que vous nous avez faites.
Mais qu'enseigne ce Maître divin ? 11 nous
enseigne, mes Irères, qu'il faut que nous
soyons humbles, petits, pauvres, soumis aux
faiblesses de notre état présent, et pour nous
animer à la pratique de ces règles devenues
nécessaires depuis notre pèche, il nous en
donne l'exemple; car il renferme toutes ces
divines perfections sous la mortalité de no-
tre chair, pour donner lieu à l'état de bas-
sesse et d'humiliation où il a voulu entrer.
De sorte, ô mon Dieu ! que vous vous
montrez humble à nos yeux, comme si vous
n'étiez point élevé; petit, comme si vous n'é-
tiez point grand ; pauvre, comme si vous
n'éliez point riche; faible, comme si vous
n'étiez pas puissant. Voilà, mes très chers
frères, l'exemple que Dieu nous donne. 11
ne vous demande pas que pour être ses dis-
ciples vous changiez l'état où sa providence
▼ dus a placés; gardez les dignilés et le rang
que Dieu vous a donnés, demeurez ce que
vous clés, mais souvenez-vous que la reli-
gion exige de vous que vous soyez humbles,
pelils et pauvres. Soyez humbles dans votre
élévation ; soyez petits dans v.olrc grandeur;
soyez pauvres dans vos richesses , c'esl-à-
Uire ayez dans le cœur l'amour de ces vertus,
Oratrurs sacrés. XXX.
ne soyez attachés ni à votre élévation, ni à
votre grandeur, ni à. vos richesses ; qu'il
ne paraisse pasque vous êtes élevés, quaud la
religion vous oblige de vous abaisser; et
comme ces exemples sont difficiles à suivre
dans le monde, recourez incessamment à l'as«
sistance et aux leçons du Maître de la justice
que Dieu nous donne. Jetez-vous entre ses
bras, afin qu'il vous porte dans sa demeure
sainte. C'est ce que je vous souhaite. AiDsi
soit-il.
SERMON
POUR LA FÊTE DE SAINT JEAN EVANGELISTE.
Pelnis vklit illnm discipulum q'em diligebat Jésus.
Pierre vit venir après lui te disciple que Jésus ai-naii
(Joan., XXI, 20).
Comme il n'y a point de caractère qui dis-
tinguo saint Jean des autres disciples avec
plus de gloire que l'amour singulier dont le
Sauveur du monde l'a honore, il ne faut
point chercher d'autre fondement de ses
louanges: car nous ne pouvons pas lui en
donner de plus solides que de dire que Jésus
l'aimait. 11 n'y a donc, mes frères, qu'à pro-
poser cet amour, pour combler notre apô-
(re de gloire, et il ne faut que. marquer ses
retours pour celui qui l'a aimé et sa lidéliîé
dans son amour, pour lui composer un excel-
lent éloge. C'est aussi ce que j'ai résolu de
faire dans ce discours, où je ne vous pai lerai
que de l'amour reçu, que de l'amour rendu,
et que de l'amour communiqué aux autres
par ce disciple.
L'amour reçu nous fera connaître qu'il a
été aimé, c'est la source de son bonheur:
première partie. L'amour rendu nous décou-
vrira qu'il a aimé, c'est le fondement de sa
gloire: seconde partie. L'amour communi-
qué nous montrera qu'il s'est appliqué à
faire aimer celui qu'il aimait, c'est la preuve
de sa fidélité et le couronnement de son
amour pour son maître: troisième partie.
Voilà, mes frères, ce que nous dirons du
disciple qui' Jésus-Christ aimait, après que
nous aurons demandé le secours du ciel par
l'intercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIÈRE- PARTIE.
Dieu, dit saint Augustin, fait toutes choses
en faveur de ceux qu'il aime, et sa lendrcsse
est si grande, qu'il veut bien partager avec
eux son héritage, s'estimant plus riche en Io
partageant, que s'il le pos édait tout seul.
C'est la conduite qu'il tient à l'égard de
tous les élus qu'il veut bien admettre avec
lui à la possesion de sa gloire, et c'est celle
qu'il a tenue d'une façon particulière sur le
grand saint dont la fêle nous assemble.
L'excès de cet amour dont il a bien voulu
l'honorer ne lui a pas permis d'attendre
après sa mort pour partager avec lui son hé-
rilage. 11 a voulu lui en donner des marques
éclatantes qui l'ont distingué dès celle vie, et
ne ménageant rien avec lui, il l'a admis au
partage de ce qu'il avait d<> plus précieux
sur la terre. Or, mes frères, vous convien-
drez sans doute que Jésus-Christ n'a rien eu
de plus cher sur la terre que son Eglise, sa
7
20S
Mère et sa rroix, et qu'il ne pouvait donner
de plus solides marquai de son amour â ua
bomme mortel, qu'en partageant ees trois
choses av<'C lui.
C'est ce que Jésus-Christ a fait en faveur
de saint Jean: il lui a donne parla la fonda-
tion de son Eglise qui est sou ouvrage ; il lui
a donné pari à la filiation de Mine qui est
sa mère ; il lui a donné part au sacrifice de
sa croix qui est son trésor. Ainsi l'amour de
Jésus pour ce disciple en a fait un apôtre
distingué dans la fondation de l'Eglise, un
fils adopté dans la filiation de Marie, el un
martyr associé au sacrifice de la croix. N'ai-
je donc pas raison de vous dire que l'amour
qu'il a reçu nous l'ail connaître que saint
Jean a élé aimé, et nous découvre la source
de son bonheur?
Il est certain, mes frères, que les apôtres
ont eu une part si considérable dans la fon-
dation de l'Eglise, que l'apôlre saint Paul ne
craint point de les en appeler les fondements;
car en annonçât au peuple d'Ephèse qu'ils
n'étaient plus des étrangers, mais les do-
mestiques de la maison de Dieu, il les aver-
tit que celte maison est édifiée sur le fonde-
ment des apôires, dont Jésus-Christ est à la
vérité la principale pierre de l'angle, n'y
avant point absolument d'autre fondement
que lui. Les apôtres en effet n'ont point élé
les objets de notre foi, nous n'avons point
cru en eux ; mais ils ont élé les ministres de
notre foi, et c'est par eux que nous avons
cru en Jésus-Christ qu'ils nous ont annoncé.
Ainsi Jésus-Christ est la pierre sur laquelle
l'édifice est posé, il ne peut yen avoir d'au-
tre; mais les apôtres sont les pierres qui
touchent immédiatement à cette première,
et qui portent les autres qu'ils ont attirés
par la prédication. C'est de cette manière
qu'ils sont les fondements de cet édifice qui
croit dans les proportions et dans les symé-
tries convenables, pour être un saint temple
consacré au Seigneur; el c'est en vue de ce
rang que les apôtres tiennent dans la fonda-
tion de celte Eglise, que Dieu a mis en eux
tous les dons nécessaires pour le soutenir,
et qui nous sont marqués par les qualités
différentes que l'Ecriture leur donne.
Quelquefois ils sonl appelés des montagnes,
pour nous exprimer celle forée et celle soli-
dité inébranlable , propre à porler ceux
qu'ils font entrer dans 1 édifice de la maison
de Dieu, ou bien pour nous marquer la subli-
mité de leur docirine, qui est encore expri-
mée par le miel qui coule de ces monta-
gnes.
Dans d'autres occasions l'Ecriture les ap-
pelle des nues, pour nous marquer ce /ele
et cette vitesse toute sainte qui les a portés
jusqu'aux exlrémilés de la terre, pour y
aller ramasser les pierres qui étaient desti-
nées à entrer dans la maison de Dieu.
Ces vues générales que l'Ecriture nous
donne sur les apôtres destinés à la formation
de l'Eglise nous découvrent les distinctions
que l'amour de Jésus lui a fait faire en fa-
veur de ce disciple qu'il (hérissait. Je les
trouve loutes renfermées dans le privilège
ORATEURS SACHES. DOM JEROME.
qu'il lui ai corda
'204
e soir de la cène : car il
< si certain qu'il ne lui permit de se reposer
sur soi sein que pour nous marquer par
Celte distinction sensible qu'il en us.iit .me
lui autrement qu'avec le resta les apotri i.
Aussi esl-ce celte faveur qui d donné sojet
à lous les Pères de le regarder tomme un
disci de distingué. El assurément ceite ap-
plication de la lele de saint Jean sur le unir
de Jésus-Christ ne [-eut être regardée que
comme la preuve d'une union singulière
qu'il avait avec lui, et si les apôtres en gé-
néral son t appelés par saint Paul les fonde-
ments de l'Eglise, parce qu'ils sont les pier-
res de cet édifice spirituel, qni <> I été p sees
immédiatement sur la première, cl qu'ils
ont lire de là cette force el celle solidiié qui
rend les fondements propres à porter loul
l'édifice, on peut dire que saint Jean les a
surpassés dans cet avantage. En effet, re
repos de sa tête sur le sein du Sauveur du
monde, et dans un temps d'alarme el d'agi-
tation pour tous les au!res apôtre< que la
nouvelle de sa mort avait troublés, marque
la force de son esprit, la fermeté de son âme,
et son union plus intime à la pierre angu-
laire de l'édifiée. Dans celle rencontre noire
apolrereçutsansdoute une grâcede solidité et
deforceexlraordinaircpar l'application exté-
rieure de sa tète sur la source de toule la
force et sur le principe de toute la fermeté
apostolique el chrétienne. C'est de là aussi
qu'il a lire ces lumières si vives el cette doc-
trine si profonde qui fout le caractère do
ses écriis.
11 a puisé dans celle source ce que les au-
tres n'ont pris que dans les ruisseaux ; aussi
les Pères ont-ils comparé cet apôlre sur le
cœur de son maitre à une éponge plougée
au milieu de l'eau, dont elle se remplit ielle-
ment qu'elle en regorge de lous côtés. C'est
l'état de saint Jean sortant de dessus le
cœur de Jésus sou divin maître, regorgeant
des lumières dont il s'était rempli dans cel
océan de sa sagesse; et c'est ce qui fait dire
à saint Augustin qu'il a paisé dar.s le sein
même de la Divinité, parce qu'il a pris dans
le cœur du Eils, qui lui fui ouvert, ce que le
Eils avait appris lui-même dans ie sein du
Père, où il est engendre comme Verbe.
Ces lumières qui n'étaient pas éclatantes
seulement, mais brûlantes et loules de feu ,
lui ont donné celte impression de zèle el d'a-
mour qui le dislingue des autres apôtres, et
qui le portait lou|ours avec une ardeur sin-
gulière partout où les intérêts de Jésus-Christ
l'appelaient.
Mais ce n'est pas seulement en le distin-
guai!! des autres apôires dans ia fondation
de l'Eglise, que Jésus-Christ lui a marque
son amour, c'est encore en le faisant entrer
dans la filiation de Marie qu'il lui en a donné
une preuve très-ecla tante. Que celle preuve
de l'amour de Jésus-Cbrist pour son disci-
ple esl exe 'llente ! Et pour en seniir tout le
prix., considérez qu'il esl donne à Marie par
Jésus-Clinsl pour être son fils; qu'il lui est
donne par Jesus-Chrisl pour lenir sa place
el pour le représenter; qu'euûu il lui est
205
SERMON POUR LA FETE DE SAINT JEAN EVANGELISTE.
20G
donné pour lui rendre tous les offices que
Jésus-Christ aurait dû lui rendre lui-même.
Quel fonds de grandeur et de richesses pour
ce disciple dans ce témoignage de l'amour de
son maître !
Pierre aura le soin de l'Eglise, mais Jean
aura Marie. Disciple ardent et plein de feu,
les emplois qu'on vous donne vous mettront
dans l'agitation et dans le mouvement; mais
celui-ci, dont le coeur est plus tendre et plus
doux, est réservé pour des fonctions tran-
quilles et pacifiques. On ouvre à l'un l'en-
trée du temple, et on lui abandonne le soin
des sacrifices sanglants; mais à ceJui-ci on
lui destine l'autel des encens, et le sanctuairo
est son partage. Disciple choisi pour ce su-
blime ministère, c'est vous seul qui devez
assister devant le propitiatoire, et à qui l'ar-
che de la nouvelle alliance, pour ainsi dire,
est confiée. Peut-on se figurer quelque chose
de plus éclatant que ce témoignage de l'a-
mour de Jésus-Christ pour son disciple? Tout
ce que je viens de rapporter est d'Arnould,
abbé de Bonneval , disciple de saint Ber-
nard.
Jésus-Christ le donne donc à Marie pour
être son fils; quelle idée devons-nous nous
former des dons, de la pureté et des grâces
de ce disciple, devenu le fiis de Marie par
o lie disposition du Sauveur du monde ! Car
il a mis dans saint Jean tous les dons qui
conviennent au fils de la plus sainte de tou-
tes les créatures, puisqu'il a revêtu ce disci-
ple de celle éminente qualité.
Peut-élre même pourrions-nous dire avec
saint Ambroise qu'il a oublié sa mère, dans
un sens, pour ne se souvenir que de son
disciple; car, voulant disposer de ses biens
à la mort, et faisant son testament sur la
croix, il partage entre la mère et le disciple
les témoignages de son amour; mais com-
ment fait-il ce partage? îl dit à ce disciple :
Je vous fais mon héritier, et le bien que je
vous laisse, c'est ma mère : il établit sa mère
son héritière conjointement avec ce disci-
ple; mais que lui dit-il : Voilà voire fds ;
ainsi Marie reçoit le disciple pour partage,
et le disciple reçoit Marie pour le sien. Or
n'esl-il pas vrai que la meilleure part est
pour le disciple ?
Mais voici un rehaussement admirable de
celle preuve de l'amour de JésUs-Chfist pour
son disciple : c'est qu'en le donnant à Ma-
rie pour son partage, après l'avoir mis en
quelque sorte d'égalité avec elle, puisqu'il
divise tout son bien en deux lois ou en deux
parlions égales, il toit encore entendre à Ma-
rie qu'il lui donne ce disciple pour tenir sa
place et pour le représenter, puisqu'il ne lui
dit pas : Voilà un autre fils que je vous
donne ; mais: Voilà votre (Us. 11 y a une force
dans celte expression qu'on ne remarque pas
assez; car il semble que Jésus-Chiisi s'en
serve pour nous faire entendre que ce disci-
ple a cessé, pour ainsi dire, d'clr lui-même,
pour devenir vraiment Jésus-Christ à l'é-
gard de Marie, et qu'il en a comme conti-
nué la filiation par une grâce singulière: fi-
liation qui l'a uni à lui, afin que celle saiule
et divine Mère ne perdît pas son cher et di-
vin enfant, et qu'elle pût toujours le retrou-
ver dans ce nouve au fils. C'est la glorieuse
distinction que l'amour de Jésus-Christ fait
de ce disciple pour l'honorer : il le donne à
sa mère en sa place, et comme un autre lui-
même, pour lui rendre lous les offices qu'elle
devait attendre de lui ; ce qui est en effet une
grande gloire pour ce disciple; car comme
c'est. Jésus-Christ qui nous donne les talents
pour soutenir les emplois auxquels il nous
appelle, il avait mis sans doute dans ce
disciple bien-aimé tous ceux qui conve-
naient à des fonctions si relevées et si glo-
rieuses.
Ainsi nous pouvons dire en quelque façon
qu'il avait le cœur de Jésus-Christ pour ai-
mer cette divine Mère ; sa sagesse pour ré-
gler tout ce qui la regardait; ses soins, ses
attentions, ses empressements, pour préve-
nir et pour prévoir tous ses besoins.
La Providence n'a pas permis que nous
connussions quelque chose de sa vie en par-
ticulier. L'Evangile dit seulement que du
moment que le Sauveur du monde l'eut sub-
stitué en sa place à l'égard de sa sainte Mère,
ce disciple la prit chez lui : vous pouvez ju-
ger ce que son amour pour son Maître et
son respect pour sa divine Mère lui firent
faire pour la consolation de cette excellente
créature.
Mais achevons la preuve des témoignages
de l'amour de Jésus-Christ pour ce disciple,
et disons que, l'ayant fait le dépositaire de
ce qu'il avait de plus précieux, il n'avait
garde de ne pas l'admettre à ses souffrances,
et de ne pas partager avec lui sa croix qu'il
a toujours regardée comme une des plus ri-
ches portions de ses trésors. Il s'y était en-
gagé, et il le lui avait promis lorsque lui et
son frère saint Jacques lui demandèrent les
deux premières places dans son royaume.
Vous boirez, leur dit-il, mon calice, et vous
serez baptisés; mais voici comment ce disci-
ple, plus cher à Jésus-Christ que son liôrc,
a élé traité plus favorablement que lui dans
le partage qu'il leur a fait de ce précieux
trésor.
C'est ce Maître divin qui se rend lui-mémo
l'auteur de son martyre; il l'immole en quel-
que façon sur le même autel où son amour
l'a immolé lui-même; ne quittons donc pas
le lieu où s'est fait ce leslament si favorable
à ce disciple, puisque c'est là où il lui donne
celle dernière preuve de son amour. Tous
les autres apôtres suivent la lâcheté de leur
cœur, et celui-ci seul est capable de souffrir
avec lui. Il lui avait promis qu'il boirait en
effet le calice qu'il allait boire, et qu'il serait
baptisé lui-même comme nous venons de le
dire; il a tenu parole à ce cher disciple, il a
élé pénétré par la douleur sur le Calvaire, et
plonge dans les eaux de. l'affliction à Rome
sous Domitieo. Les autres apôtres ont souf-
fert par la main des bourreaux; celui-ci n'a
point d'autre main qui l'afflige que celle de
son Maître, et dans ce martyre de di.>tinction,
c'est l'amour qui le fait souffrir, et c'est son
cœur qui soullrc uniquement. 11 demeure
207
OlUTEUflS SACRES. [>OM J CHOME.
debout an pied de la croix, c'est là où s'ac-
complit la promesse que le Sau\eur du
monde loi avait faite : il s'enivre de ce ciliée
de douleur, et '.es plaies d'un Maître si ado-
rable et si tendrement aimé jettent des traits
divins dans l'âme de ce disciple, qui le pénè-
trent et qui l'enflamment ; il se transforme
en lui, il expire avec lui, et il souffre mille
fois davantage de ne pas mourir, que s'il ex-
pirait en souffrant.
Remarquez, mes chers frères, dans la con-
duite que Jésus-Christ tient sur ce disciple
en cet te occasion, les délicatesses de son amour
pour lui cl les soins qu'il prend de lui don-
ner part à si croix d'une manière distin-
guée : car, l'ayant favorisé si particulière-
ment entre ses apôtres, il veut encore lui
donner comme à eux la gloire d'un genre
de martyre, sans laisser aux hommes le
pouvoir d'abréger une vie aussi précieuse
que la sienne, et qu'il voulait encore hono-
rer par d'autres souffrances.
Finissons par un mot d'un ancien Père qui
peut être justement appliqué ici. Joseph,
voyant ses frèies arriver en Egypte pour
chercher du soulagement dans l'affreuse sté-
rilité qui affligeait leur pays, et ayant fait
remplir tous leurs sacs de froment, il fll
mettre la coupe dont il se servait pour boire
dans celui de Benjamin, sans qu'on s'en
aperçût, voulant par cet artifice innocent sa-
tisfaire le désir qu'il avait de retenir auprès
de lui ce jeune frère qu'il aimait. Tous eu-
rent du froment, et tous furent traités comme
ses frères; mais un seul eut sa coupe, et
celui-là, sur qui semblait tomber toute sa
colère, était en effet celui qu'il aimait da-
vantage.
Vous voyez sans doute, mes frères, quelle
est l'application que je veux faire de celle
pensée : tous les apôtres ont reçu des mar-
ques éclatantes de l'amour de Jésus-Christ;
mais assurément voici le plus aimé. Tous
sont nourris du pain de la grâce, ils ont tous
mangé sa chair et reçu son espril ; mais ce-
lui-ci a eu sa coupe par préférence.
Heureux disciple, si favorisé de votre Maî-
tre, si rempli des marqes de son amour, si
comblé de ses biens, à qui il a confié tant de
trésors et rêvé é tant de secrets, il est temps
que vous donniez des marques de votre re-
connaissance, et que vous Tissiez voir que si
vous avez reçu des témoignages éclatants
de son amour, vous avez appris de cet
amour même à lui en donner des vôtres;
elles vont servir de matière à la deuxième
partie de ce discours.
DEUXIÈME PARTIE.
Saint Bernard ne nous prescrit point d'au-
tres mesures pour ces retours du creur que
nous devons à Jésus-Christ qui nous a pré-
venus par son amour, que de régler notre
conduite sur la sienne, et de faire pour lui
ce qu il a fait pour nous. C'est une règle que
l'Ecriture nous a donnée, saint Jean lui-
même nous l'a proposée dans sa permière
Epîlre canonique : Aimons donc Dieu, dit-il,
aimés le pre-
jmis/jue c'est lui qui nous a
mû i .
Ainsi, mes frères, nous ne saurions douter
qu'il ne l'ail suivi dans ce-, retours d'amour
qu'il a eu pour celui qui l'avait aimé le pre-
mier, et qui avait voulu le prévenir d'une
manière si éclatante et si distinguée. Il
donc donné à Jésus-Christ tout entier, et
c'est ce que je veux vous faire voir dans
celle deuxième partie : et il me semble que
je ne puis vous donner une idée plus noble
et plus grande de ce dévouement entier à
Jésus-Christ, qu'en vous disant qu'il a été
mesuré sur la règle du parfait amour que
Dieu nous a proposé lui-même dans l'une et
l'autre loi. \ ou? (rimerez, est-il dit, le Sei-
gneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute
votre âme, de toutes vos forces. Jésus-Christ
nous répèle la même chose dans saint Mat-
thieu.
11 s'agit maintenant d'entrer dans le sens
de ces paroles, pour connaître au juste toute
l'étendue de cette obligation commune à l'an-
cienne et à la nouvelle loi, mais qui nous lie
heureusement et d'une manière bien plus
étroite dans la nouvelle, qu'elle ne faisait
dans l'ancienne, afin d'en voir l'accomplis-
sement exact dans la conduite de s.int Jean
envers Jésus-Christ, et de connaître par là
de quelle manière il a rendu à ce cher Maî-
tre l'amour qu'il en avait reçu, c'esl à-diro
comment l'amour de Jésus-Christ pour ce
disciple l'a rendu capable de ne vivre que
pour s>n Mailre ; car nous ne pouvons avoir
d'amour pour Dieu qui ne soit un effet de
son amour pour nous. Or voici comme saint
Bernard, dans le vingtième de ses admira-
bles sermons sur le Cantique des cantiques,
explique le grandcommandement de l'amour
de Dieu que nous venons de rapporter. Ai-
mer Dieu de toulsoncœur, c'esl, dil ce grand
saint, l'aimer avec une certaine ardeur de
distinction, de préférence et de tendresse.
Aimer Dieu de toute son âme, c'est livrer
son âme tout entière à la vérité et aux seu-
les lumières du Seigneur. Aimer Dieu de
toutes ses forces, c est ' ne rien craindre
quand il s'agit des intérêts de ce qu'on aime,
et êlre prêt à tout entreprendre pour don-
ner des preuves de son amour. Il faut donc
maintenenl que je vous fasse voir que rien
n'a pu détourner le cœur de ce disciple, et
qi;e le plaisir d'être à Jesus-Chrisl la em-
porté sur tout autre plaisir, et que son es-
piit s'est fermé à toutes autres lanières,
pour ne se remplir que de celle de Dieu, et
qu'enfin son amour n'a été ni effrayé par la
crainte des dangers, ni rebute par l'immen-
sité des travaux. Mais avant que d'entrer
dans la preuve de ces dispositions de noire
apôlrc en détail, je crois, mes frères, qu'il
est à propos de vous donner une idée juste
de l'amour de Dieu pour la créature, et en
même temps de celui de la créature pour
Dieu.
En général, qu'est-ce que l'amour? C'esl
l'union de deux volontés. Or. quelle a été la
première volonté de Dieu sur I homme ? c'est
de le rendre heureux en l'attachant à lui; ci
209
SERMON POUR LA FETE DE SAINT JEAN EVANGEL1STE.
210
«luelle a élé après le péché la première vo-
lonté de l'homme à l'égard de Dieu? d'être
tout entier à lui-même et de se détacher de
Dieu; car la conformité de sa volonté à celle
de Dieu a duré très-peu, et c'est après ce peu
de temps qu'est venu son malheur par la
soustraction de sa volonté à celle de Dieu :
opposition de volonté, principe de sa perte
et source de tous ses maux.
Jésus-Christ est vejiu sur la terre après
quitte mille ans pour faire une réparation
pleine et entière de tous les désordres de
l'homme, en jetant le feu sur la terre et en
donnant à l'homme une nouvelle preuve d'a-
mour, qui consiste à avoir formé le dessein
de le remettre dans ce premier ordre de bon-
heur et d'atiachement à Dieu, et de disposer
son cœur à rentier dans cet ordre par des
mouvements de ûdélité que nous appelons
son amour pour Dieu. Voilà donc ce que
c'est que l'amour de Dieu et de Jésus-Christ
pour la créature. Quel doit donc être celui
de l'homme pour Dieu et pour Jé^us- Christ,
si ce u'est un soin de rentrer dans cet ordre
qu'il veut rétablir en nous attachant à lui
uniquement? Car c'est précisément par là
que la réunion des deux volontés du Créateur
et de la créature se peut faire : réunion dans
laquelle il est certain que l'amour consiste
essentiellement. Vous voyez, mes très-chers
frères, | ar ce que nous venons de dire, ce
que c'est que d'aimer Dieu de tout son cœur.
C'est le lui donner tout entier, en le déga-
geant de toutes les affections qui l'attachent
à autre chose et qui le remplissent indigne-
ment : car tout ce qui n'< st pas Dieu est au-
dessous d'un chrétien, à qui Dieu veut bien
se donner. Lui seul est capable de remplir
son cœur. C'est cet amour de distinction , de
préférence, de tendresse, qui rend le cœur
de l'homme insensible à tout autre plaisir
qu'à celui d'être à Dieu ; c'est cet amour qui
l'honore, en nous rendant heureux, parce
qu'il nous 'amène à lui par la préférence
que nous lui devons sur tout ce qui occupait
notre cœur. Ainsi, aimer Dieu <ie tout son
cœur, c'est arracher son cœur à tout ce qui
n'est pas Dieu , c'est n'aimer que pour lui ce
qu'il nous permet d'aimer avec lui, c'est re-
noncer à lout pour être uniquement à lui,
c'est bannir de son cœur toutes les créatu-
res, pour qu'il y puisse régner souveraine-
ment et lout seul.
Or, mes frères, voulez-vous voir les effets
de cet amour dans un cœur que la miséri-
corde de Dieu en a rempli? Voyez ce qu'il
opère dans celui de saint Jean, écoulez ce
que l'Evangile dit de lui, et reconnaissez, par
la fidélité de cet apôtre à la première parole
du Sauveur du monde, l'abondance de la
grâce qui l'a prévenu et l'heureuse semence
de lous les dons qu'il a reçus depuis. Saint
Marc nous dit dans son Evangile que Jésus-
Christ, ayant appelé à lui Simon et André
son frère, el que de là,s'étant un peu avancé,
ayant vu Jacques fils de Zébcdée el Jean son
frère qui étaient aussi dans une barque, où
ils raccommodaient leurs filets, il les appela,
Çl qu'à l'heure rncuic ils le suivirent, ayant
laissé dans la barque Zébédée leur père. Re-
marquez donc que, sans hésiter un moment,
ils quittent leurs filets et leur père, c'est-à-
dire que l'amour de Dieu surmonta en eux
tous les obstacles qui s'opposent pour l'ordi-
naire à la restitution de notre cœur au sou-
verain qui en est le maître, à qui nous le de-
vons uniquement, et à qui en même temps
nous ne pouvons rien offrir s'il n'est précédé
et accompagné du don de noire cœur. Figu-
rez-vous, mes frères, après cela, une péni-
tence véritable et parfaite sans amour de
Dieu.
Dans ce moment, l'amour de ce disciple
pour Jésus-Christ rompit lous les liens qui
attachent le cœur, el il soumit à cet amour
souverain que nous devons à Dieu toutes les
affections humaines qui détournent le cœur
et qui le lient aux créatures. Saint Jean sur-
monte en premier lieu les affections aux
biens de la terre et les espérances du siècle,
en quittant ses filets, et on peut dire qu'en
les abandonnant il bannit de son cœur tou-
tes les espérances de la terre pour le donner
uniquement à Jésus-Christ. Mais des filets,
me direz-vous? Oui, des filets, mes frères.
Mais ce n'est rien! Mais c'est tout pour un
homme qui n'a que cela. Les filets sont pour
lui à proportion ce qu'un sceptre est pour
un roi; c'est tout son bien, c'est le fonde-
ment de ses espérances pour la terre, c'est
sa ressource, c'est l'unique moyen qu'il a
pour acquérir : il renonce donc, en les quit-
tant, non-seulement à tout ce qu'il possède,
mais encore à tout ce qu'il peut espérer. En
second lieu, les autres liens qui attachent
le cœur, et qui le détournent souvent de
l'amour de Dieu, c'est l'amour des pro-
ches et un certain allachement trop hu-
main aux parents qui occupent le cœur, au
préjudice de ce que l'on doit à Dieu. Saint
Jean laisse son père dans la barque, dit l'E-
vangile ; fidèle à la voix du Père qu'il a dans
le ciel, il ne veut point partager les affections
de son cœur entre lui el le père qu'il a sur
la terre; il s'en sépare pour suivre Jésus-
Christ, et comme il ne doit l'aimer que pour
lui, il ne veut plus le voir qu'en lui.
C'est ainsi que saint Jean sacrifie à l'a-
mour parfait de Jésus-Christ toutes les affec-
tions humaines qui attachent l'homme par
les liens les plus forts, et qui sont d'autant
plus Séduisants qu'ils paraissent légitimes;
c'est ainsi que saint Jean donne à Jésus-
Christ un cœur pur et libre de tout engage-
ment. Voilà ce qui s'appelle aimer Dieu de
tout son cœur, selon l'Evangile : c'est aimer
avec une certaine ardeur de distinction , de
préférence et de tendresse. Voilà ce que c'est
que de l'aimer de toute son âme ; car ce n'est
autre chose que d'avoir une. souveraine
aversion pour tout ce qui peut ressentir le
mensonge et l'erreur. C'est bannir de son
esprit toute autre pensée que celle de Dieu,
c'est rapporler à Dieu toutes celles qu'on
peut former, c'est de no prendre aucun des-
sein que pour sa gloire, c'est de rendre à
Dieu cl de lui offrir sans cesse celle partie de
nous-mêmes capable de penser cl de s'oc-
2H
ORATEI.'RS SACRES. DOM JEROME.
212
cuper de lui, le plus souvent qu'il est possi-
ble, paf "les élévations de cœur, en lui expo-
sant noire misère et combien nous avons lie-
soin de son secours. Il faut entendre comme
saint Augustin l'explique sur l'amour de cet
apôtre pour la vérité, et sur l'avidité qu'il a
eue de s'en remplir. Voyez, dit ce Père, cet
homme avide, si j'ose parler de la sorte, je
veux dire le bienheureux saint Jean, qui
nous répète souvent qu'il s'est reposé plu-
sieurs rois sur le sein de son Maître, de peur
qu'il ne semblât s'attribuer ce qu'il avait re-
çu; car il craignait qu'on ne rapportai à sou
esprit les mystères divins qu'il découvraii,
et non pas à la source de toute vérité dont il
les avait tirés. Ajouterai-je, mes frères, à
tout ceci qu'il a aimé Jésus-Christ de toutes
ses forces, c'est-à-dire que rien n'a été capa-
ble de le détacher des intérêts de ce .Maître
qui l'avait tant aimé? C'est ce qu'il est aisé
de prouver par ce qu'il a eu à soutenir. La
persécution, les tourments, l'huile bouillante,
le bannissement, le travail des mines durant
son exil, tout cela ne fut pas capable, non-
seulement de l'abattre, mais même de l'ef-
frayer; il a soutenu ces travaux apostoliques
jusqu'à une extrême vieillesse, et à l'âge de
plus de cent ans, selon quelques-uns, il ra-
massait ce qui lui restait de force, alin de
communiquer aux. autres l'amour de Jésus-
Christ, qui avait toujours lirûlé dans son
cœur.
Disons un mot du soin qu'a eu cet apôlre
de répandre sur toute l'Eglise les flammes de
l'amour de Dieu, et de communiquer aux au-
tres ce qu'il avait reçu, pour les engager à
s'unir à lui, afin de rendre à Jésus-Christ
avec plus d'abondance l'amour dont il avait
voulu lui donner des preuves si éclatantes et
si glorieuses; c'est la dernière partie.
TROISIÈME PARTIE.
Je ne vous dirai qu'un mot des soins que
notre apôlre a pris de répandre et de com-
muniquer l'amour qu'il avait reçu, c'est-à-
dire de l'application qu'il a eue toute sa vie
à exciter les hommes à l'amour de Dieu,
afin de multiplier sa reconnaissance envers
celui qui l'avait aimé d'une mauière si dis-
tinguée. Sa conduite, ses paroles, ses écrits
portaient le feu partout, ne répandaient pour
ainsi dire que des flammes et n'inspiraient
que de l'amour.
Il fit bien connaître quelle serait sa con-
duite et de quelle façon il répandrait partout
le nom de Jésus-Christ , pour exciter les
hommes à l'aimer, lorsque, ayant été con-
duit en prison avec saint Pierre, après avoir
guéri l'homme boiteux dont il est parlé dans
le9 Actes, les sénateurs, les magistrats et les
docteurs de la loi, le grand prêtre Caïphe et
tous ceux qui étaient de la race sacerdotale,:
leur défendirent de parler en quelque ma-
nière que ce fût, ni d'enseigner au nom de
Jésus-Christ : car que répondit-il à celte dé-
fense si précise et accompagnée de menaces :
Jugez, dit-il, vous-ménus s'il est juste de vous
obéir plutôt qu'à Dieu; car pour nous n us
ne pouvons pus ne point parla des choses que
nous avons vu t <t entendues. Son cœur était
trop plein de l'-mour de son Maître pour se
taire sur sa grandeur, sur ses mystères et
sur lori ce qui le regar lait.
Je ne pourrai pis le niivre partout où
cette liberté ardente, sainte, aposlolifl
produite par son amour, l'a cou luit. Saint
Jérôme dit qu'il fonda et qu'il gouverna tou-
tes les Eglises de l'Asie : ce qui est rrai de
la plus grande partie. Son zèle ne lui per-
mettait pas de se lier à une Eglise p rtii B-
lière : il allait donc dans tout ce pays, an-
nonçant Jesus-Christ, fondant des Eglises,
consacrant des é^éques. Saint Epiphane nous
assure qu'à plus de quatre-vingt-dix a ai il
commuait encore ces fonctions, son amour
pour Jésus-Christ et son zèle pour le faire
aimer suppléant aux forces que la nature ne
pouvait plus fournir.
Vous jugez bien, mes frères, quelles ont
dû être les paroles d'un homme si pénétré
de l'amour de Dieu et si zélé pour le répan-
dre partout. Ses paroles étaient, comme
nous venons de le dire, toutes de feu, comme
celles de celui qu'il aimait; et comme les
paroles ne sont que les expressions de la
pensée et les images des sentiments du cœur,
elles n'étaient que comme des étincelles qui
sortaient du brasier qui brûlait dans le sien.
Il en donna des marques jusqu'à l'extré-
mité de sa vie; car, ne pouvant plus fairo
de longs discours, il voulait néanmoins
qu'on le portât dans les assemblées des ûdè-
les, et là il exhortait ses disciples à l'amour.
Mes enfants, leur disait-il, aimons-nous les
uns les autres. Finissant sa vie dan9 les sen-
timents qu'il avait toujours eus dans le
cœur : Je n'ai point de plus grande joie, dit-il
dans sa lettre à Electre, que d'apprendre que
mes enfants marchent dans la vérité,
La mort n'a point empêché cet apôtre de
continuer à répandre parlout les flammes de
son amour, dont il avait brûlé toute sa vie.
C'est ce qui s'est accompli p ir ses divins
écrits qu'il a laissés à l'Eglise, qui sont pleins
d'onction, de douceur et d'amour : ce qui
fait dire à saint Grégoire que, si nous vou-
lons que notre cœur soit embrasé du feu de
la charité, il faut écouler et peser les paroles
de l'apôtre saint Jean, puisque tout ce qu'il
dit étincelle, pour ainsi parler, des flammes de
l'amour divin.
Ainsi se sont terminés tous les mouve-
ments de l'amour de Jésus-Christ pour ce
disciple, et de l'amour de ce disciple pour
Jesus-Christ. Jésus-Christ l'a aime, c'est la
source de son bonheur; il a aimé Jesus-
Christ, c'est le fondement de sa gloire; il ne
s est occupé que de le faire aimer, c'est la
preuve solide de sa fidélité et le couronne-
ment de l'amour de son Maître pour lui.
Chrétiens, Jésus-Christ nous a aimés. N'en
avez- VOUS pas des marques? Ou plutôt que
possédez-vous qui ne soit pas un effet et uue
effusion de son amour? Mais, chrétiens, ai-
e/vous Jesus-Christ? (Juc pouvez-vous
produire pour nous convaincre que vous
l'aimez? Noire cœur est-il attaché à lui
connu.' au souverain bien? Notre âme est-
elle pleine des lumières de la vérité souve-
213
SERMON POUR LE PREMIER JOUR DE L'AN.
254
raino? Le pronez-vous pour la règle de votre
conduite comme justice souveraine? C'est
pourtant de cette manière qu'on doit lui ren-
dre l'amour qu'on a reçu de lui, cl ce sont
là les effets que produit en nous cet amour
quand il y règne. Songez-vous à le faire ai-
mer? Ou plutôt ne formez-vous point des
obstacles à l'amour que lui doivent ceux
avec qui vous êtes liés? Cela n'est que trop
ordinaire.
Mon Dieu, ne cessez point de nous aimer ;
faites que nous vous aimions et que nous
portions les autres à le faire, afin que nous
puissions vous aimer éternellement. C'est ce
que je vous souhaite, etc. Ainsi soil-il.
SERMON
POUR LE PREMIER JOUR DE L'ANNÉE.
Sur la nécessité de mener une vie remplie
et occupée ; moyens pour vivre de cette
manière dans tous les étals.
Quid hic statis tota die oliosi?
Pourquoi vos jours s'écoulenl-ils dans f oisiveté (Maltli.,
XX, 6)?
11 s'offre aujourd'hui, mes frères, à tous
les chrétiens un sujet bien important et digne
de toutes nos réflexions. Ces années qui se
succèdent, cette rapidité avec laquelle elles
s'écoulent, la courte durée de notre vie, l'in-
stabilité du temps, ce torrent qui nous en-
traîne par son impétuosité, sans que jamais
nous puissions nous retrouver dans le même
instant d'où il nous fait sortir sans cesse, ce
jour qui s'éteint pour nous quand à peine il
commence à naitre, enfin ce qui nous envi-
ronne, tout nous découvre la nécessité de
remplir par des occupations sérieuses un
temps qui fuit comme l'ombre, et qu'il faut
saisir afin de pouvoir espérer avec confiance
le icpos de l'éternité. L'époque d'une nou-
velle année qui nous rappelle !e souvenir de
toutes celles qui sont perdues pour nous,
nous avertit, par cette révolution conti-
nuelle, que nous touchons peut-être ,:u
terme de la carrière que nous (levions four-
nir, et elle demande de nous aujourd'hui que
nous nous interrogions en nous disant, peul-
êlre avec trop de vérité : Pourquoi n>s jours
se sont-ils écoulés dans l'oisiveté? Quid hic
statis Iota die otiosi? Mes frères, ce lan-
gage est bien différent de celui que l'usage a
établi, et que la politique dicte en ce jour :
je ne viens donc pas seulement vous propo-
ser les raisons de gémir sur tant d'années
perdues, et qu'il aurait peut-être été à sou-
haiter que nous n'eussions jamais eues en
notre disposition ; elles ne sont plus cl elles
ne reviendront jamais, mais je veux atta-
cher au présent : il el seul en noîrc pou-
voir; le perdre, c'est renoncer au plus pré-
cieux de lous les biens, puisque le ciel même
ne s'acquiert que par le bon emploi du
temps. Montrons donc aujourd'hui la néces-
sité et les moyens d'en faire un bon osage ;
car ce temps si précieux s'écoule d'ordinaire
pour nous dans l'inaction, ce qui est en abu-
ser, et peut-être plus souvent encore l'era-
ployons-nous à faire le mal. -Est-ce là pour-
quoi il nous est donné?
La vie de l'homme est un songe où l'on se
repaît d'illusion ; les jours passent sans être
remplis, et quand la mort nous fait sortir
tout à coup de ce sommeil où nous ensevelit
l'oisiveté, il ne nous reste que les crimes
dont une vie inutile nous rend coupables.
Cependant nous ne laissons pas que de
mourir aux yeux du monde comme justes ;
car ce n'est pas un crime selon lui que de
perdre son temps et de le passer en amuse-
ments ; mais ce grand jour, qui sera le dé-
nouement de toutes les intrigues de ce monde
et qui terminera votre vie et la mienne, ne
nous excitera-t-il point à rentrer en nous-
mêmes ? c'est donc pour prévenir celte éter-
nité malheureuse, qui est la suite insépa-
rable de l'oisiveté, que je veux aujourd'hui
prouver la nécessité de mener une vie rem-
plie et ocrupée : ce sera le sujet de ma pre-
mière réflexion ; mais comme souvent on
donne le caractère d'occupation sérieuse à
mille inutilités qui absorbent toute notre vie,
j'enseignerai l'usage que nous devons faire
de ce temps si précieux, selon les divers états
où nous appelle la Providence, et ce sera le
sujet de ma seconde réflexion. En deux
mots, il est nécessaire de s'occuper ; com-
ment doit-on s'occuper, c'est tout le sujet de
cette instruction. Demandons les lumières
du Saint-Esprit. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Il est étonnant qu'il faille combattre sans
cesse, et par conséquent presque toujours
sans succès, une disposition que tout homme
sensé condamne; en effet, l'inutilité de la vie
rend l'homme criminel devant Dieu, et par elle
il se devient à charge à lui-même. La nature
et la loi de Dieu s'accordent donc à nous
prescrire de remplir notre vie d'occupations
sérieuses qui nous fassent passer le temps
d'une manière utile, et solide. Cependant
nous nous plaisons à traîner une vie molle.
et inutile, et nous nous ensevelissons p r
avance dans la nuit de la mortf par l'anéan-
tissement continuel où nous plongent des
jours passés dans l'inutilité.
Que l'inaction nous rende criminels de-
vant Dieu , pouvons-nous en douter, mes
frères ? La loi de Dieu la condamne, elle est
le tombeau de toutes les vertus et la source
de tous les vices proscrits pnr l'Evangile.
Celui qui passe sa vie dans l'oisiveté, dit
l'Ecriture, est en horreur devant Dieu ; le
travail nous a été imposé dans la personne
d'Adam, comme une pénitence proportion-
née aux crimes de nos premiers pères. Dieu
compte nos années par nos œuvres, et celui,
est-il dit dans un autre endroit , qui mène
une vie inutile, est, par rapport au Seigneur,
comme s'il n'avait point vécu : Quœ pro
nihilo habentur , eorum anni erunt. Ainsi
vivre dans les plaisirs et dans l'indolence,
ce n'est pas vivre devant Dieu, et celui qui
est assez lâche pour consacrer à l'inutilité
une longue vie, quoique parvenu à une lon-
gue vieillesse, n'est rien devant le Seigne. r.
Il faut juger de notre âge, pour a nsi dire,
par le nombre de nos œuvres. Nos jour» ne se
Zl£>
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
su;
comptent que par nos vertus, et nous ne
sommes censés avoir vécu que le temps dans
lequel des occupations sérieuses ont rempli
l'intervalle de notre durée.
Ne soyez donc pas étonnés, mes frères,
des châtiments dont le serviteur inutile se
trouve accablé. Car quel était son crime ,
sinon d'avoir eul'oui un talent qui lui lut
conlié ? Riais vous dont l'état est de traîner
une vie vide de toute occupation, qui voyez
naître le jour sans savoir comment vous le
remplirez, qui le laissez écouler sans vous
appliquer à rien de sérieux, et qui le termi-
nez enfin sans pouvoir dire à quoi vous
l'avez employé, éles-vous moins coupables
que ce méchant serviteur?
Ce temps qui s'anéantit entre vos mains
est un don que Dieu ne vous accorde qu'afiii
que, par l'usage que vous en ferez, vous de-
veniez digne de participer à celle plénitude
du bonheur ineffable ; et ne savez-vous pas
que c'est pendant cetie vie, presque aussitôt
terminée que naissante, qu'il faut mériter le
ciel par la pratique des vertus chrétiennes,
qui s'affaiblissent et qui diminuent sans cesse
en nous si nous ne faisons chaque jour nos
efforts pour les augmenter? Eourriez-vous
vous flatter encore d'être dans l'état de per-
fection auquel Dieu vous appelle, quand
vous donneriez aux occupations le> pluschré-
tiennes et les plus sérieuses tous les jours
de votre vie? Les difficultés qui se rencon-
trent dans le chemin de la vertu ne de-
vraient-elles pas même vous faire sentir
combien il vous est nécessaire de remplir
jusqu'au moindre moment de votre vie? Ce-
pendant vous la passez dans l'oisiveté ! Oui,
mes frères, il semble que vous ignoriez par
quelles occupations vous devez la remplir ;
vous eberebez à perdre ce temps si pré-
cieux , vous faites un mérile et vous savez
bon gré à ceux qui , par les amusements
qu'ils vous procurent, vous le font écouler
sans que vous vous en aperceviez; la vie en-
fin est pour vous comme un fardeau dont
vous eberebez à être déchargés, et vous ou-
bliez toute l'étendue des obligations qui
doivent remplir un temps qui vous parait si
long et qui peut vous être si utile.
Vous en connaîtrez le prix, mais trop
lard, vous qui le perdez avec complaisance
et a\ec plaisir ; il sera perdu pour vous sans
ressource ; vous l'apprendrez à votre mort,
et quel usage alors ne voudriez-vous pas en
avoir fait] Non, il n'est point de moment
dans lequel nous ne puissions perdre ou
mériter une éternité de bonbeur, et nous
consentons avec tranquillité à passer inuti-
lement, non-seulement un jour, une année,
mais tout le temps que nous existons. L'idée
d'une vie appliquée nous révolte ; nous fai-
sons, eoiMii • les idolâtres, une divinité do
repos. Jaloux de ne conserver que les biens
fragiles dont Dieu nous a confié l'administra-
tion , nous sommes prodigues du trésor le
plus précieux, cl dont nous serons obligés
de rendre un compte si rigoureux. Nous
sommes charmés de trouver les occasions
tic nous priver de la seule chose dout nous
soyons maîtres pour parvenir au bonbeur
éternel. Nous regardons avec indifférence le
temps qui nous est accordé, ce bien unique,
ce bien inexprimable, et nous le donnons
libéralement à < eux a qui nous ne voudrions
pas faire part du plus léger bienfait.
Encore s'il y avait dans ce temps des mo-
ments superflus, peut-être accorderions-
in us qu'on pourrait les prodiguer; mais
quand il est passé, nous ne pouvons plus
le recouvrer. La vie de l'homme est courte,
tout le monde en convient ; malgré cet aveu,
comment est-elle employée? L enfance, par
nécessité d'étal, se passe en inutilités ; dans
la force de l'âge , si vous eu ôlrz ce que lui
impose le luxe ou l'intérêt, l'homme par-
tage son temps enlre les différents pla sirs
qui s'offient à lui, et sa vieillesse se consume
en souvenirs amusants ou en regrets super-
flus. Voilà, mes frères, quelle est la vie de
riiumme ; mais est-ce là vivre en chrétien ?
Est-ce la vivre pour Jesu^-Chrisl ? Est-ce là
imiter sa conduite et suivre les règles de son
Evangile? Le Sauveur du monde, qui punit
tous (eux dont les œuvres ne sont point
rendues abondantes par la charité , récom-
pensera-t-il des chrétiens qui n'auront à lui
offrir qu'une vie inutile et vide d'actions?
Chaque moment de notre vie doit élre con-
sacré à Dieu, et nous vivons sans aucune
idée fixe et arrêtée, sans application d'es-
prit, sans mouvement de notre cœur vers
lui, et dans une inaction totale. Tout notre
temps appartient à nos devoirs , et nous le
donnons au monde sans penser seulement à
en regretter la perte ; nous le dissipons en
vains projets, en vains plaisirs, nous le
perdons en un mot dans l'oisiveté ; la pa-
resse seule le consume, jamais une occupa-
lion sérieuse ne consacre notre vie à de so-
lides vertus. La sensualité, la mollesse,
l'inutilité, voilà en quoi consiste toute la vie
des femmes du monde, et souvent des fem-
mes qui ont une réputation de piété et de
vertu. Vivre sans occupation, c'est la science
du monde; cependant une vie désœuvrée et
inutile conduit l'homme à ne plus veiller sur
lui-même, à ne plus se reposer qu'en lui-
même. Elle lui lait perdre nécessairement le
désir des biens invisibles, elle éteint en lui
la soif de la justice dernière, et elle lui fait
regarder le détachement de soi-même commo
un point de perfection imaginaire. L'homme
perd toute sou activité par le vide donl il se
laisse absorber ; s'il reste que. que lueur de
l'esprit de piété, il demeure dans l'inaction.
Qui pourrait prévoir, mes frères, tous les
crimes auxquels celle langueur nous en-
gage? il n'est point de désordre dout l'oisi-
veté ne puisse être la source.
David, vertueux tant qu'une fortune con-
traire le réduisait à mener une vie occupée,
devient adultère et homicide dès qu'il se
livre au repos oisif que procure l'abon-
dance.
Ce sage formé selon le cœur de Dieu, Sa-
loaion , modèle par sa sagesse des plus
grands rois, Salumon se livre au crime dès
que la mollesse s'empare de lui. et lui Ole le
217
SERMON POUR LE PREMIER JOUR DE L'AN.
218
goût de celle vie remplie à laquelle seule il
devait tout ce qu'on admirait en lui de vertu.
Ainsi le prince des apôtres trahit dans l'inac-
tion ce même Dieu pour qui il se faisait
gloire de mourir, lorsque l'activité de son
courage était soutenue par les travaux apo-
stoliques qu'il partageait avec Jésus-Christ.
Les vertus se sont donc toujours affaiblies
et s'affaiblissent encore tous les jours par
l'oisiveté. L'indolence fait naître la corrup-
tion des mœurs. Quiconque est vide d'occu-
pation doit bientôt se trouver rempli de vi-
ces ; le cœur ne reste jamais oisif: quand
l'esprit ne lui offre point dans une vie sé-
rieuse le véritable objet qui doit occuper sa
capacité, les passions le remplissent néces-
sairement ; et si une vie appliquée ne met
Un frein à la concupiscence qui se fortifie
toujours en nous par une vie de négligence
et d'inattention, cette concupiscence, déve-
loppant le levain du vieil homme avec la-
quel nous naissons, nous expose à des chu-
tes d'autant plus terribles, qu'elles ne sont
souvent point aperçues.
Quand la vivacité de l'esprit n'a pas pour
objet un travail sérieux cl assidu qui puisse
le fixer, l'imagination s'égare; on se dis-
sipe ; tout ce qui est solide ennuie, et. bientôt
on ne trouvera plus en soi aucune trace de
vertu. En effet il faut à l'homme quelque
chose qui l'occupe, quoique sa paresse l'en-
gage à fuir toute occupation; et le vice rem-
plit d'ordinaire dans notre vie tout ce que
nous ne nous mettons point en état par no-
tre application sur nous-mêmes de donner à
la vertu ; car Pamour-propre prend bientôt
naissance dans le sein de l'indolence et d'une
inaction universelle ; la volupté triomphe
aisément lorsqu'on ne se fait pas le plan
d'une vie laborieuse et occupée qui la gêne;
on n'écoute plus que le goût des plaisirs.
D'abord on ne s'en permet que de légitimes;
ce sont des visites que les lois de la société,
l'usage du monde, la reconnaissance même,
rendent, dit-on, indispensables ; mais ces
prétendus devoirs que prescrit le dégoût de
tout ce qui applique, doivent-ils absorber la
totalité d'un temps qui sans doute doit être
bien plutôt employé à enrichir son esprit et
son cœur, qu'à une bienséance souvent chi-
mérique? et cependant combien y a-t-il de
chrétiens qui font do ces visites toute leur
occupation, et qui se croient être en droit de
se plaindre des fatigues que leur cause, ce
nouveau genre de vie laborieuse 1 Mes frères,
si Dieu nous fait un crime d'une parole inutile,
les conversations vagues, et dont le vide fait
encore le moindre défaut, seront-elles jugées
innocentes à ses yeux? Pardonnera-t-il cette
perle de temps à ceux qui doivent régler leur
vie d'une manière utile pour eux, et former
tous leurs discours selon ce que prescrit la
charité? Leur pardonnera-t-il la médisance,
sans laquelle presque toutes ces conversa-
tions deviendraient insipides et ennuyeuses?
cl que ne sacrifie-t-on point pour occuper
agréablement les autres e' se di-tr.iirc soi-
même? Mais, quelque .satisfaction que l'on
trouve dans des discours satiriques el amu-
sants, on se lasse bientôt de ces inutilités,
qui seraient aussi à charge qu'une vie sé-
rieuse, si, par la variété qu'on sait mettre
dans sa dissipation , on n'éloignait de soi
tout ce qui peut fixer. Le jeu et d'autres
amusements plus criminels encore s'offrent
donc pour distraire de l'ennui, qui peut-être
le suivra bientôt. Oui, mes frères, quiconque
est assez malheureux pour ne savoir point
s'occuper, s'expose à tous les crimes que les
passions entraînent après elles.
D'abordon necherchequedesamusements ;
mais, sans compter qu'il est bien honteux à
l'homme de ne savoir comment s'occuper, lui
qui est dans une ignorance si profonde sur
presque tout ce qu'il peut apprendre, sait-
on garder des mesures dans tout ce qu'on
donne aux plaisirs ? On s'attache à l'objet
qui nous plaît, on devient esclave, on lui
sacrifie ses biens, l'état de toute une famille,
son repos, ses devoirs; la vertu la plus chère
ne tient point contre une passion qui nous
a peut-être d'abord révoltés, mais qui nous
maîtrise dans la suite. L'éducation des en-
fants, les affaires domestiques, ce qu'on se
doit à soi-même et aux autres, tout est né-
gligé ; et ce qu'on recherchait d'abord pour
s'épargner un travail dont on s'était cru fa-
tigué, devient l'occupation la plus triste el la
plus pénible.
Si l'on donne plus au sentiment, dans l'é-
loignemenl du travail dont ou s'est fait un
principe de conduite, est-on exposé à moins
de dangers ? Des lectures pernicieuses par
les couleurs séduisantes sous lesquelles se
trouve dépeinte la vie la plus opposée à la
morale de Jésus-Christ, sont-elles exemptes
de crime pour des chrétiens ? Le poison ,
pour être bien préparé, n'en porte que plus
sûrement le coup mortel, et n'est-ce point
une témérité impardonnable de s'exposer au
moins à ce qui peut être contagieux et à ce
qui ne peut être utile, tandis qu'on peul
s'instruire et s'occuper d'objets plus dignes
d'éclairer un esprit solide et élevé que ces
ouvrages fabuleux, qui ne plaisent jamais
que dans le point de vue où ils sont nuisi-
bles ? Ce poison si caché se développe loi ou
tard. Peut-on trouver dans l'apologie du vice
des armes pour défendre la vertu? Ne doit-
on p;ts craindre de devenir soi-même suscep-
tible des sentiments qu'on approuve dans
les autres, ou du moins dont on se fait une
occupation amusante de les voir pénétrés et
remplis ? Si ces lectures n'intéressent point,
quelle extravagance de les préférer à tant
d'autres plus essentielles? el si elles plaisent,
comment encore une fois peut-on n'en pas
craindre l'impression ? Mes frères, si l'on ne
ressent point les atlciulcs du vice dont ou
s'occupe, il est bien à craindre que l'on ne
soit aveugle sur soi-même, et d'autant plus
malheureux que l'insensibilité est une mort
donl on ne se relève presque jamais. Car tel
est le pernicieux artifice dont le démon so
sert pour nous séduire. Il ne nous laisse sen-
tir les plaies mortelles donl il nou> frappe
que quand notre faiblesse lui permet d'être
assuré que nous ne pouvons plus secouer
2i'J
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
!<■ jiniu sous lequel il sait nous captiver in-
sensiblement.
Ainsi les passions nourries par ces idées
se développent peu ,ï peu ; on se fait un
terne de volupté dans lequel on se livre avec
tranquillité à tout ce qui peut sali faire le
goût des plaisirs ; on s'y prête peut-être d'a-
bord sans y penser, sans le vouloir : on cher-
che seulement à se distraire des peines in-
séparables de la vie par quelque chose qui
intéresse: l'un, par exemple, se l'ail une
étude de découvrir en lui-même tout ce qui
peut flatter l'orgueil ; on s'occupe de son mé-
rite, on aime à se voir applaudi, on donne
ses soins à tout ce que l'art, le fasle et la
mondanité peuvent nous prêter d'éc'at et de
brillant. Un autre sacrifie volontiers une par-
tie de sa vie au sommeil, parce qu'on le eroit
nécessaire à sa santé; enfin le soin de se
parer absorbe un temps considérable, dans
des femmes qui même passent pour chré-
tiennes. Elles n'ont d'autres désirs que do
plaire, et le reste de leur temps n'est em-
ployé qu'à chercher les moyens de le passer
sans occupation et sans ennui. De combien
de crimes se rend donc coupable tout chré-
tien qui ne sait pas s'occuper ! Ee vice cor-
rompt toute sa vie par l'inutilité dans laquelle
elle s'écoule ; il agit comme s'il n'y avait ni
tentations à éviter, ni passions à vaincre, ni
vérités éternelles à méditer. N'a-l-il donc
point une âme à sancl.fier, et peut-il par
préférence (oui ace rder à ses sens, ou croit-il
se rendre digne de la posséder en vivant comme
s'il n'avait point d'autre divinité que l'indo-
lence et la mollesse ? Ajoutons encore que 1 1
vie chrétienne est inséparablement liée avec
une vie occupée, parce que sans elle on est né-
cessairement répandu dans le monde, et que
la vie du monde même rangé nourrit les pas-
sions, quand cette vie esl l'objet principal de
nos occupations; car on y juge, on y pense,
on y aime, on y parle comme le momie, c'est-
à-dire comme d'honnêtes gens qui vivent
sans rapport à Dieu, sans penser à leur salut,
et qui sont vertueux par tempérament, ou
simplement parce qu'il serait honteux de vi-
vre autrement dans une société policée. Que
le désordre de l'oisiveté est donc déplorable,
mes très-chers frères 1
Mais il y a plus : quand la loi ne nous
prescrirait pas 1 cloignement du repos insi-
pide que donne l'inaction, la nature devrait
nous l'inspirer, et si l'oisiveté est criminelle
pour le chrétien, elle n'est pas moins indigne
de l'homme raisonnable.
lin effet, celui qui nous a imposé le tra-
vail comme un châtinienl, nous a inspiré en
même temps un goûl naturel qui nous l'ait
souhaiter d'être toujours occupés par quel-
que chose de solide, dette oisiveté dans la-
quelle notre seule corruption nous lait trou-
ver du plaisir, esl pour nous une source d'en-
nui. Nous trouvons une satisfaction réelle à
Elire usage de notre esprit, et l'application
lait une partie de notre bonheur, dès que
nous nous conduisons selon les lumières de
la raison. Si l'homme savait donc se rendre
heureux, il le deviendrait aisément par une
vie occupée. Est-CC vivre que de ne point
pen-er. que de ne point réfléchir, que d'être
toujours à charge a toi-même ci aux autres?
Est-ce vivre que de n'avoir d'autre point de
vue dans sa conduite que de fuir l'ennui?
Combien l'homme est-il plus heureux par la
satisfaction que donne une vie utile pour soi
et pour les autres !
Qu'il esl digne d'une créature aussi suscep-
tible d'élévalion qui; l'homme, de se trans-
porter dans tous Es lieux de la terre, de
rappeler les siècles passés, de pénétrer dans
l'avenir, et de voir toute la nature soumise
à ses idées, à son jugement, lui fournir tout
ce qui peut flatter l'activité de son esprit; en
un mot de faire usage de tous les dons et de
tous les talents que Dieu a mis en lui ?
Quel état plus heureux que celui d'un
homme qui se suffit à lui-même par l'usage
qu'il sait faire de ses lumières? Jamais il
n'éprouve ni le chagrin ni l'ennui : il vit de
son propre fonds; il pense, il s'occupe ; s'il
a peu de temps à passer sur la terre, ses
jours se multiplient par son travail; il a vécu
dans tous les temps, il est l'hommede tous les
siècles où il se transporte par ses idées. Elles
lui font franchir toutes les limites; l'éiendue
de ses lumières ne peut être bornée; toute
la nature qu'il se rend tributaire lui oITre les
plus riches dépouilles; le plaisir qu'il trouve
dans la découverte du vrai l'anime à sur-
monter les obstacles qui s'opposent à de nou-
velles connaissances ; des objets toujours
satisfaisants se présentent sans cesse à lui,
et il trouve en lui-même un altrail qui ne lui
laisse éprouver aucun vide ni aucune inquié-
tude. Oui, je ne crains point de le dire, s'il
est de vrais plaisirs ici-b'is jour des person-
nes raisonnables, ils ne se trouvent que dans
une vie occupée, et ils consistent dans un
goût actif pour nourrir solidement son esprit
et son cœur.
Opposez à cet état une vie inutile et qui
n'e-t remplie que d'amusement. Celte femme,
qui ne vit pour ainsi dire que d'imagination
et qui n'h ibile que les dehors d'elle-même ,
voit sa vie s'écouler sans pouvoir se remire
compte de l'usage qu'elle en a lait. J'ai vécu,
peut-elle dire, trente ou quarante ans. Je
gémis sur la brièveté de mes jours, et cepen-
dant je les abrège moi-même par l'inutilité
qui m'anéantit. Je crains la mort, et je parais
en même temps comme embarrassée de la
vie. Hors délai de faire renaître un temps
qui n'est plus à mon pouvoir, il ne me reste
de toul ce'ui qui me fut donné que le plaisir
de dater le moment présent par l'ennui que
j'éprouve.
L'oisiveté est donc, mes frères, une source
inépuisable d'ennui, et cet état esl undes maux
les plus insupportables a l'homme. Qui iaj
s'occuper ne peut en être susceptible. E'in-
lérét de notre satisfaction personnelle doit
donc nous faire éviter l'oisiveté.
A quels opprobres n est-ce pas être icduil
que d'avoir à rougir de la raison ! Ce pié-
cieux apanage devient importun dès que
l'oisiveté nous le rend inutile, Par elle on se
voit méprisé dans une société aux avantages
22! SERMON POUR LE PREMIER JOUR DE L'AN
de laquelle on ne peut participer qu'autant
qu'au contribue par son travail au bien pu-
blic. Celui qui vil dans l'inaction méritc-t-il
d'avoir des amis ? II n'en peut trouver, car
il en coûte des soins pour les acquérir et
pour les conserver.
Mais si tous ces sentiments qu'inspire la
nature condamnent l'oisiveté, l'intérêt s'op-
pose aussi à ce vice; car l'oisivité entraîne
ordinairement après elle le dérangement de
la fortune la mieux établie; le bien ne s'ac-
quiert et ne se canserve que par des soins
dont on devient incapable dès qu'on se livre
à la paresse; la négligence est capable de
renverser les richesses les plus considéra-
bles.
Tout conspire donc à condamner cette vie
inutile et indolente, tout nous engage à me-
ner une vie occupée; et cependant qu'il y a
de moments perdus par l'inutilité, et qu'il
en est peu d'exactement remplis 1 Mais pour
ne point établir de vérités sans en faciliter
la pratique, voyons quelles sonlfles règles
auxquelles il faut se conformer pour mener
dans tous les étals celle vie vraiment occu-
pée ; c'est en peu de mois le sujet de la se-
conde réflexion.
222
SECONDE PARTIE.
L'homme, généralement parlant, trouve
une honte attachée a la paresse; il désire
même jusqu'à un certain poinl de remplir le
temps de sa vie, et souvent il ne s'abuse
que sur la nature de cet emploi , qui va-
rie selon les diverses idées que chacun
s'en forme en particulier. Quelque dilficile
qu'il soit de donner des règles pour me-
ner une vie occupée, par la variété pres-
que infinie dos situations où l'homme se
trouve, on peul cependant établir des règles
générales que chacun pouna s'appliquer
aisément à l'état où la Providence l'a placé ;
mais avant de les exposer, ébranlons la sé-
curité d'un grand nouib.e de chrétiens ; et
peul-élre en est-il, qui par leur état sont
consacrés uniquement à Dieu d'une manière
spéciale, qui cioient n'avoir rien à se repro-
cher sur l'emploi du temps, parce qu'ils ne
douneot aucun moment à leurs plaisirs. Ces
chrétiens ne savent point distinguer l'essen-
tiel de ce qui n'est qu'accessoire. Toujours
bornes parce qui les affecte dans le moment
présent, ils ne se permettent jamais de por-
ter plus loin leur attention. Ajoutant par
leur vivacité naturelle à la valeur de ce que
les choses soûl eu elles-mêmes, ils se trou-
vent toujours dans le travail, et cependant
oisifs. Leur vie est toujours agitée par les
soins cl les inquiétudes, remplie de peines et
d'occupations, quoique très-éloignee de ce
qui < si solide et digne de les occuper. Tout
ce qu'ils font est pour eux important et épi-
neux ; sans cesse ils agissent, et toujours ils
restent sans avoir jamais accompli ce qu'ils
doivent faire. Une vie vraiment occupée leur
étalerait .inoins de fatigue, cl on enverrait
le Iruil et le succès. Mais revenons aux rè-
gles que nous voulons prescrire.
Je dis, 1° que l'on doit distribuer son temps,
en sorte que ce qui en mérite le plus en ait
plus, et que ce qui en mérite le moins en ait
moins. Surtout ayons attention à ne point
porter trop loin notre délicatesse sur cette
matière, qui a une étendue morale; car sou-
vent on omet une partie de ses devoirs ,
parce qu'on veut trop s'occuper à réparer
ceux que l'on s'imagine avoir mal remplis,
et pour vouloir trop bien faire par scrupule,
on ne fait pas la moitié de ce qu'on est réel-
lement obligé d'accomplir.
2° On doit régler son temps, afin que cha-
que occupation ait sou heure, et lorsqu'elle
est écoulée, l'on doit passer au devoir qui
succède. 11 faut donc que tous les moments
aient leur occupation marquée, sans cepen-
dant s'imaginer que le dérangement néces-
saire des occupations que nous nous sommes
proposées nous cause un désordre qui doive
nous troubler. 11 faut avoir de l'exactitude
à suivre le planque l'on s'est formé, mais il
faut le suivre sans une scrupuleuse austé-
rité. C'est la raison et non la crainte qui
doit nous conduire; il faut donc avoir une
règle de conduite et de travail où la lecture,
jointe à la réflexion, soit le premier et le
plus important devoir.
Mais pour appliquer ce que nous exposons
ici, distinguons trois différentes sortes de
personnes : les uns se trouvent réduits, par
une fortune peu favorable, à la nécessité
d'un travail journalier, qui remplit la plus
grande partie de leur vie ; d'autres, jouissant
d'une abondance qui les exempte de ce tra-
vail forcé, sont obligés par leur rang et leur
étal de donner au monde beaucoup de temps,
et il leur serait impossible de se consacrer
en entier à des œuvres de piété: enfin il en esl
d'autres qui, dans la retraite et l'abandon
du monde, peuvent donner uniquement à
Dieu tous les moments de leur vie. Or, mes
frères, on doit se prescrire différents genres
de conduite convenables à chacun de ces
étals ; car ce serait abuser de ce que je viens
d'établir dans ma première réflexion que de
donner tout son temps à méditer les vérités
saintes, lorsqu'on est appelé comme Marthe
à une vie que la nécessité nous oblige d'em-
ployer entièrement au travail des mains. Il
faut donc se contenter de sacrifier cet état
par de fréquents retours vers Dieu. On doit
regarder toutes ces fatigues du corps qu'on
est forcé de s'imposer pour subvenir à ses
besoins comme une juste punition du péché.
H faut faire attention à ce qu'il en coule pour
fournir à des nécessités qui ne sont jamais
entièrement remplies, cl qui ne se rappor-
tent qu'à un corps mortel. 11 faut réfléchir à
tout ce qu'on fait pour se procurer les com-
modités de la vie qui n'est qu'un passage, et
il faut examiner quelle proportion l'on met
entre le< soins que l'on prend pour celte vie
mortelle, et ceux que l'on donne à la sancti-
fication d'une âme dont le sert doit inléres-
scr plus vivement que ce corps où elle est
enf rmée , et qui doit être dans un moment
un monceau de poussière cl la pâture des
vers.
Dans ce travail , on ne doit se proposer
2iî7i
OIlATEUtS SVCKES. DOM JEROME.
2*4
d'autre but que d'avoir son nécessaire pour
fournir une carrière qui ne peut être de
longoe dorée. Nous «levons même élre con-
tents d'un ilat auquel la conformité de noire
volonté à celle de Dieu doit nous astreindre
avec plaisir, et par là il est clair que tout
travail qui peulservirà outrager ce Dieu à qui
seul nous devons consacrer nos actions, nous
est interdit. Mais comme ce travail ne de-
mande point toute la capacité de notre esprit,
et que nous sommes toujours maîtres de nos
pensées, nous devons sans cesse avoir Dieu
pour objet. Eprouvons-nous quelque modi-
fication, il faut adorer sa justice et gémir des
péchés qui l'arment contre nous. Goûtons-
nous quelques plaisirs, la reconnaissance
que nous devons lui en témoigner ne nous
permet de les prendre que comme un délas-
sement dont les voyageurs se servent, non
pour interrompre, mais plutôt pour repren-
dre la roule avec une nouvelle activité.
Dans ces jours de repos que Dieu nous
donne pour vaquer uniquement aux œuvres
saintes , nous devons nous réunir avec nos
frères pour former des vœux aux pieds d'un
sanctuaire que notre amour doit nous faire
désirer d'habiter. Le reste du temps qui ne
se trouve point rempli par les offices publics
doit é re employé à des lectures solides et à
des réflexions sérieuses qui, éclairant notre
esprit, augmentent en nous la charité, Enfin
il faut pendant ces jours d'abondance donner
à l'âme assez de nourriture pour l'espace de
temps qu'on est forcé de donner aux besoins
delà vie présente, bien moins importants
sans doute, quoique pourtant indispensables.
Pour ceux qui, bien éloignés d'être dis-
traits par aucun travail forcé, se trouvent
obligés de donner un temps considérable à
la bienséance de leur état et à mille inutilités,
leur situation étant plus dangereuse demande
plus de précaution. Il faut gémir sans cesse
en se voyant obligés de se livrer à cette dis-
sipation nécessaire. Il faut se rappeler sou-
vent l'image d'un Dieu dont la vie a été
pénible et laborieuse. Enfin il faut édiGcr
publiquement par d'éclatantes vertus, par de
grandes aumônes et par toutes sortes de
bonnes œuvres, ceux auxquels on se trouve
forcé de donner un temps qu'on souhaiterait
employer àseconnailre et à travaillersur soi.
Effrayés, comme Judith, des dangers où la
piété est exposée dans les grandeurs , il ne
faut se servir de tous les ornements qu'on ne
pourrait se retrancher sans jeter un ridicule
sur la vertu même, que comme nous rappe-
lant et nous représentant la folie et l'extra-
vagance «lu monde. 11 faut admirer la con-
duite de Dieu dans les marques de respect
que l'on nous donne, cl juger par ces égards
qu'on reçoit de ses inférieurs des disposi-
tions dans lesquelles nous devons être par
rapport à Dieu. Nous devons lui sacrifier
toul et n'être flatté de notre autorité qu'au-
tant qu'elle nous met en état de faire des
heurenx. Nous devons éviter toul ce qui
conduit au crime, faire comme Job un pacte
avec tous nos sens , et profiter des pièges
mêmes du démon pour nous affermir dans
les sentiers de la justice. Si le prince île ce
monde multiplie ses efforts pour nous séduire,
ce n'est que parce que son règne est très--
courl. Il veul suppléer par l'effort de ses
coups redoublés au peu de temps qui lui est
donné pour nous tenter. Nous devons donc
opposer nos efforts aux siens, notre vigilance
à ses artifices, et puisqu'il y a dans le monde
un air contagieux qui souffle de toutes parts,
il faut se munir sans cesse du bouclier de la
foi pour nous garantir des rails de celui qui
cherche sans cesse à nous perdre.
Forcés de donner d'abord aux soins do-
mestiques le temps que nous laissent nos
emplois, nous devons, par notre douceur,
notre affabilité, nous concilier ceux avec qui
nous vivons, pour leur montrer que la piété
peut s'allier parfaitement avec les verlus de
société. Loin de fuir les liaisons nécessaires
de famille, nous devons nous y conduire en
nous y faisant respecter par la sagesse < t par
l'égalité. Surtout n'oublions jamais qu'il nous
est essentiel de nous retrouver souvent avec
nous-mêmes, et dans quelque étal que nous
soyons, il faut nous réserver un temps pour
la lecture et pour les rellexi >ns. Ce temps
doit être employé à nous remplir l'esprit de
tout ce qui peut nous conduire à la vérité
spéculative et pratique : conduite bien diffé-
rente de la plupart des femmes mon laines,
qui par un caprice insensé rougiraient de
s'appliquer à former leur esprit et leur cœur;
elles ne se conduisent que par goût, par sen-
timent, par imagination ; comment ce qui est
solide pourrait-il leur plaire?
Plus on est élevé par son rang et ses ta-
lents naturels, plus on doit se distinguer par
ses lumières. Pourquoi un sexe si suscep-
tible de gloire renoncerait-il donc à des
connaissances desquelles dépendent la véri-
table grandeur et la véritable estime? La
vivacité ou les agréments de l'esprit ne don-
nent pas le discernement, et ces qualités peu-
vent-elles même être comparées au mérite
fondé sur les lumières d'une raison qui
forme un jugement sûr, et qui ne s'éclipse eu
aucune occasion?
Enfin, par rapport a ceux qui, maîtres de
leur temps et de leur genre de vie , peuvent
donner à Dieu tous leurs moments . ils doi-
vent se sanctifier par de sérieuses réflexions,
et leur liberté devient pour eux une obliga-
tion de s'unir plus particulièrement à Jesus-
Christ. Rien ne peut vous distraire daus
votre retraite, âmes chrétiennes séparées du
monde. Vous savez mullip'ier vos jours par
tous ceux que vous retranchez à la satisfac-
tion des sens : une application de l'esprit plus
sérieuse et plus continuelle doit donc con-
sacrer ce temps que vous refusez à la nature.
Fuyez l'inutilité; que tout seit grand il digne
de votre élévation dans votre conduite : ce
qui est vertu pour le commun des hommes
ne suffit pas pour celui qui peut ne penser
qu'à Jésus-Christ. Que les personnes du sexe
qui se trouvent dans l'étal dont nous parlons
ne méprisent point le travail des mains.
L'esprit a besoin de délassement; il sera plus
porte aux. lectures qui doivent remplir la
225
SERMON POUR LA FETE DE SAINTE GENEVIEVE.
220
plus grande partie de votre vie, si vous la
sevrez quelquefois de ce qui fait si légitime-
ment ses délices. Il est encore de ces femmes
fortes que la naissance et la vertu rendent
également dignes de noire admiration , et
leur adresse dans des arts vraiment utiles
ne peut qu'ajouter en elles un mérite dont
les hommes peut-être devraient être jaloux.
Concluons donc , mes frères , de tout ce
discours que l'oisiveté est criminelle pour
tous les chrétiens, parce que nous sommes
obligés à mener une vie sérieuse et occupée.
L'inutilité est le tombeau de toules les ver-
tus et la source de tous les vices ; l'inaction
est à charge à l'homme par l'ennui qu'elle
traîne après elle; le goût du travail est na-
turel en lui par son fonds d'activité; l'indo-
lence rend l'homme insupportable à ceux
qui l'environnent. D'ailleurs il est aisé de
ne laisser aucun vide dans sa vie ; la lecture,
le travail des mains, les devoirs particuliers
à chaque état sanctifiés par la vigilance de
pensées solides , de fréquents retours vers
Dieu, nous offrent les moyens de fuir toute
inutilité.
Rachetons donc désormais par une occu-
pation assidue ces jours qui pourraient s'être
écoulés trop inutilement pour nous; et si,
comme vos apôtres , Seigneur , nous avons
travaillé sans recueillir le fruit de nos œuvres,
que votre grâce dissipe cette nuit qui rend
nos peines inutiles. Bénissez nos efforts pour
réparer la perte d'un temps si précieux. Ac-
ceplez le sacrifice que nous vous faisons
aujourd'hui du reste de notre vie, afin que
nous la consacrions à l'accomplissement de
vos desseins sur nous, pour mériter l'éternité
bienheureuse. Je vous la souhaite. Ainsi
soil-il.
SERMON
POLin LA FÊTE DE SAINTE GENEVIEVE.
Confilemini mémorise sanctilatis ejus.
Ce ébrez par vos exemples su mémoire qui est sainte et
merée (Psal. XXIX, i).
Comme c'est Dieu qui sanctificles hommes,
je crois, mes chers frères, vous porter à ren-
dre à la sainteté de sainte Geneviève les
sentiments que le saint prophète a en vue en
exhortant l'âme chrétienne à célébrer la
mémoire de la sainteté de Dieu , et je m'en
sers pour vous porter à honorer celle dont
nous célébrons la fêle. Remerciez-le donc de
tout ce qu'il a mis en celte illustre sainte , cl
dont nous avons ressenti les effets d'une ma-
nière si miraculeuse, que celte grande ville
la reconnaît et l'honore comme sa patronne.
Mais comme l'âme chrétienne ne célèbre
dignement la mémoire des saints qu'autant
qu'elle travaille à les imiter, nous ne pou-
vons honorer comme il faut celle dont l'Eglise
fait la mémoire, qu'autant que nous nous
appliquerons à en suivre les vertus.
Ainsi, mes chers frères, il me semble que,
pour développer la grandeur de notre sainle,
et pour prendre les mesures convenables afin
d'opérer notre sanctification, il faul en dé-
couvrir les sources, pour reconnaître la mi-
séricorde de Dieu, qui a prévenu sainte Ge-
neviève ; en raconter les épreuves , pour
admirer la force de la grâce qui l'a soute-
nue, cl exposer les couronnes qu'elle a mé-
ritées, pour louer la libéralité qui l'a récom-
pensée. Voilà ce qui doit exposer à vos yeux
la grandeur de la sainteté de notre illustre
patronne; mais voici le fruit que nous de-
vons essayer d'en tirer :
Il faul découvrir les sources de sa sainteté,
afin d'y aller puiser la nôlre : première
partie; il faut en raconter les épreuves,
pour reconnaître si celles que nous pensons
avoir sonl véritables : seconde partie; il faut
enfin en exposer les couronnes, afin de nous
animer dans les travaux qu'il faul soutenir
pour devenir saints : troisième partie, que
nous unirons avec la seconde. Voilà l'idée
de mon discours ; demandons l'assistance du
Saint-Esprit. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Il y a deux sources d'où proviennent la
sainteté de notre illustre patronne : la misé-
ricorde de Dieu, qui l'a prévenue; et le soin
qu'elle a pris de la conserver et d'en aug-
menter les effets. J'unis ces deux choses
ensemble, parce qu'elles ne doivent jamais
se séparer dans l'ouvrage de notre salut et
dans l'économie de noire perfection. En effet,
selon saint Augustin , deux écueils détour-
nent ordinairement les hommes de la voie
de leur salut : l'orgueil et la paresse. Ils
tombent ordinairement dans l'un de ces
excès, et c'est ce qui ruine l'ouvrage de leur
salut et de leur perfection : les uns l'attri-
buent à leurs propres œuvres ; ils ne regar-
dent jamais que leurs actions, et ils négli-
gent de recourir à la miséricorde de Dieu,
qui commence, qui soutient et qui couronne
en nous toutes nos œuvres ; parce qu'ils s'i-
maginent qu'ils sonl totalement maîtres d'o-
pérer leur conversion lorsqu'ils le voudront;
les autres, ne regardant que la miséricorde
de Dieu, ne parlent jamais que de la grâce
de Jésus-Christ, et négligent d'entrer dans
les voies que la loi leur enseigne. Ils atten-
dent la perfection, la sainteté et la gloire,
sans vouloir travailler à l'acquérir. Ainsi,
les uns se perdent parce qu'ils sonl superbes,
et les autres paice qu ils sonl négligents.
Pour éviter ces deux excès, dit saint Augus-
tin, il faut marcher entre l'orgueil et la pa-
resse; il faut n'être ni superbe ni négligent.
L'on est superbe, lorsque l'on croit que l'on
peut faire quelque chose pour le salut par
soi-même ; et on est négligent, lorsqu on no
veut rien f.iire du tout. C'est donc, mes frè-
res, ce qui me fait dire que nous devons re-
connaître ces deux sources de sainteté dans
notre illustre patronne : la miséricorde qui
l'a prévenue , cl celte dépendance de la mi-
séricorde qu'elle a reconnue et qui l'a em-
pêchée d'èlrc superbe ; car les soins qu'elle a
pris d'en conserver el d'en augmenter les
effets, nous font voir qu'elle a bien su qu'il
ne fallait pas être négligent dans l'ouvrage
de sa perfection.
La miséricorde de Dieu l'a prévenue; c'est
la grande source de sa sainteté : en effet,
227
ORVTEURS SACRES. DOM JEROME.
»a
saint .Jacques nous enseigne, dans son Kpîlrc
canonique, que toute yrdee excellente tl tout
don parfait vient d'en Irait et ilesrcnd dr l'ai-
des lumières. Il nous a choisis afin que nous
lussions saints et irrépréhensible! devant ses
yeux, non à cause que nous l'étions ou parce
que nous le devions être, mais afin que nous
le lussions par une suite de son choix; al il
me semble, mes frères, qu'on peut dire qu'il
a choisi notre sainte d'une Façon encore plus
particulière, et qui nous marque un effet
aussi abondant que singulier de sa grande
miséricorde sur elle. G çil un entant qu'il
prévient en tout, et qui n'a reçu aucune édu-
cation dans la piété; qu'il va chercher dans
un vill ige parmi des gens grossiers, dans la
solitude, dans les exercices d'une vie cham-
pêtre, parmi les bétes et les animaux, pour
en faire une des plus grandes et des plus il-
lustres saintes de son Eglise.
Disons donc de cetle grande sainte qu'elle
est crue dans le champ de l'Eglise chré-
tienne comme les grands arbres qu'on ne
sème point, et qui sortent de la terre dans les
plus alîreuses solitudes. Les arbres qui nais-
sent'dans les jardins et dans les lieux culti-
vés appartiennent en quelque façon aux
hommes qui en ont semé les graines et qui
en ont pris soin, au lieu que les autres ne
peuvent être réellement attribués qu'à Dieu
seul, qui dès le commencement du monde en
a jeté les semences dans la terre. De même
on peut dire qu'il y a ainsi des saints qui sont
cultivés par les soins des hommes, et qu'on
peut dire en un sens paraître ne pas appar-
tenir entièrement à Dieu. Ce ne sont pas,
pour ainsi dire, des ouvrages tout purs de sa
grande miséricorde , puisqu'il s'est servi des
hommes' pour les rendre ce qu'ils sont ; mais
il y en a d'autres à qui Dieu a pris plaisir de
donner lui-même la naissance, l'arrosement,
la culture et l'accroissement.
Telle a été la grande sainte Geneviève :
Dieu verse dans son âme les semences de la
sainteté, sans que les hommes y aient part.
C'est un arbre que la miséricorde toute seule
fait croître dans le champ de l'Eglise ; il n'est
regardé que par la Providence; il ne reçoit
des influences que du ciel pour sa formation
et psyrsa naissance; et si elle joint ses soins
à ses heureuses dispositions, ce n'est que
pour nous apprendre que notre salut est un
ouvrage commun de la grâce qui le com-
mence, cl de notre volonté qui se laisse con-
duire et qui consent aux mouvements de
celte grâce qui lui enseigne ce qu'elle doit
faire el ce qu'elle doit évïler pour arriver à
la perfection de cet ouvrage.
Mais voyons, mes frères, ce que la grâce
de Jésus-Christ, qui l'avait prévenue d'une
manière si singulière, lui fait faire et lui fait
éviter pour la rendre capable de conserver
el d'augmenter par ses soins cetle grande
miséricorde. C'est dans cette conduite que
nous découvrirons celle seconde source de sa
sainteté, et qui en est une suite et un effet.
Cet esprit de grâce, qui l'avait remplie el qui
en avait pris possession, forma en elle le don
de la prière. Ge fut sou exercice continuel et
la première chose qu'elle apprit à faire pour
conserver el pour augmenter la miséricorde
qui dérailla conduire a. nneéminente sain-
tek-; ce fui Dieu qui mit ce don en elie, car
c'est lui qui nous enseigne à prier. Ht qu'est-
ce que c'est que de prier? Ce n'est pas pro-
noncer un grand nombre de paroles consa-
crées sous le nom de prières, Prier, mes frè-
res, c'est gémir «levant Dieu à la via te nos
mi-ères et de noir" pauvreté; prier, c'e*l dé-
i rer d'être délivrés d; ce lieu de misêiwe et
de dangers pour être parfaitement unis à
Dieu; prier, c'est aimer Die i de lout son
cœur, ne voir que lui en loules choses, ne
vouloir que lui. Or, mes frères, il n'v a que
Dieu qui nous accorde ce don de prière, car
il n'y a pas de méthode qui nous enseigne à
gémir, à désirer, à aimer; autrement nos
gémissements, nos désirs, notre amour, de-
viennent suspects quand ils se font avec
élude : il faut qu'ils partent du cœur sans
être étudiés. C'e-l Dieu qui nous fait prier ;
c'est la charité qui gemil en nous, dit saint
Augustin ; c'est elle qui prie. Quand l'esprit
prie lout seul, il est bientôt fatigué. La rai-
son en est, que la prière est l'ouvrage du
cœur, dit ce Père, et l'esprit ne peut pas faire
longtemps L'office du cœur.
Demandons à sainte Geneviève qui lui a
appris à prier, daes un village, parmi des
gens sans éducation; d ms les champs, parmi
les bêles : c est Dieu lui-même. Elle n'avait
point d'autre méthode que cel attrait inté-
rieur de la grâce, que l'ardeur du Saint-
Esprit, qui lui faisait passer les journées en-
tières dans l'exercice de la prière. La terre
baignée de ses pleurs est l'effet de ses gémis-
sements ; elle ne regarde jamais le ciel sans
soupirer et sans verser des larmes : voilà
l'effet de son aident désir pour Dieu. Elle se
relire des créatures : c'est l'effet de son amour
pour Dieu; car il ne veul point de partage,
il veut tout. Noire sainte, pénétrée de l'amour
de son Dieu, ne voulut pas que son cœur fût
partagé entre lui et ses créatures.
Ainsi, mes frères, elle se détache de ses
parents, de qui l'amour, quelque innocent
qu'il soit, partage toujours le cœur el affai-
blit l'amour de Dieu. Elle renonce au ma-
riage, dont les engagements divisent l'esprit
et partagent le cœur. Elle ne pense plus
qu'aux choses de Dieu, el elle est sainte de
corps et d'esprit.
Ajoutez à cela un exercice de mortification
continuelle depuis l'âge de quatorze ans jus-
qu'à cinquante ans. Selon les auteurs de sa
vie, elle ne mangea que deux fois la semaine,
se contentant de pain et de fèves cuites. 11
est vrai que, depuis cinquante ans jusqu à
quatre-vingts, elle ajouta un peu de poisson
elde lait, par l'ordre des éveques : ma s elle
ne mangea jamais de viande et n'usa jamais
de vin. Elle vécut d'une manière toujours
uniforme, ne se relâchant jamais sur quoi
que ce fut dans les exercices de la prière, de
la retraite et de la pénitence.
On va loin, mes frères, quand on marche
durant quatre-vingts années de ce même pas
dans la carrière de la vertu, el ou arrive eu-
229 SEKMON POUR LA FETE DE SAINTE GENEVIEVE
fin à une éminente sainteté, surtout quand
on marche sous la conduite des pasteurs légi-
times de l'Eglise; car ce qu'on fait contre
230
leurs ordres n'est ordinairement bon qu'à
nous perdre : ce qu'on fait sans leurs ordres
est toujours suspect; mais ce qu'on fait avec
leur approbation est presque toujours sûr
pour celui qui l'entreprend.
Sainte Geneviève reçoit la marque de sa
consécration à.Dieu des mains de saint Ger-
main ; elle reçoit le voile de la virginité de
celles de l'évêque de Chartres, selon la loua-
ble ( outume de ce siècle ; elle met quelque
modération dans son abstinence, par l'avis
des évêques : ainsi elle est toute soumise aux
pasteurs de l'Eglise, et je ne m'étonne pas
de la voir arriver par ces voies à une sain-
teté parfaite. Jésu^-Christ, qui l'avait préve-
nue par sa miséricorde , l'envoie ensuile à
ses ministres comme pour confirmer en elle
ce qu'il y a fait par sa grâce, et comme les
malades qu'il guérissait durant sa vie mor-
telle recevaient la confirmation de leur santé
des mains des ministres auxquels il les en-
voyait. Ite, ostendite vos sacerdoli. Ainsi il
prévient Geneviève par sa grande miséri-
corde, il la fait agir par sa grâce, et il veut
enfin que ce soit par la conduite des évêques,
ses ministres sacrés , quelle arrive à cette
éminente saintelé dont nous vous avons dé-
couvert les sources et où nous devons aller
puiser la nôtre.
En effet, mes frères, on n'y arrive que par
les voies qui y ont conduit notre illustre pa-
tronne. 11 faut qu'elles viennent de Dieu :
tout vient de lui. Tout chrétien est appelé à
la sainteté et doit être saint : Dieu nous a
prévenus de sa grâce et de sa miséricorde ;
il a mis en nous, par la grâce de notre bap-
tême, la semence de notre sainteté; il nous
a prévenus : et d'où vient donc que nous
n'arrivons pas à la sainteté, comme Gene-
viève , et qu'au contraire nous languis-
sons et nous rampons, traînant sur la terre
une vie misérable, toute remplie de désor-
dres et de dérèglements? D'où vient? c'est
que nous avons perdu la grâce de notre
baptême, et même que nous méprisons les
grâces qu'il nous fait chaque jour. Et com-
ment? en ne travaillant pas à la conserver et
à l'augmenter; car, ne pas travailler à la
conserver et à l'augmenter, c'est vouloir la
perdre et tomber dans un étal de paresse et
de négligenre, c'est prendre un chemin très-
court pour la perdition.
Revenons donc à notre principe : Nous
sommes ou paresseux ou superbes : pares-
seux durant toute notre vie, oubliant I affaire
de notre salut pour penser à toute autre
chose, perdant l'innocence de noire baptême,
négligeant la pénitence et les bonnes oeuvres ;
et quand nous pensons à celte affaire, qui
est très-importante et la plus importante de
toutes, nous y pensons en superbes, comme
si la chose dépendait de nous entièrement,
soit pour la commencer quand il nous plaira,
soit pour la conduire connue nous le vou-
drions. Ainsi, ou nous ne travaillons point
avec la grâce dont Dieu nous prévient, ou
quand nous pensons à travailler, nous ne re-
courons pas à Dieu par la prière pour le faire
par son esprit; car, prier, c'est sentir sa mi-
sère et son impuissance, c'est reconnaître
que rien n'est capable de, nous mettre en état
de travailler que lui seul.
Ce n'est ni l'exemple , ni la société des
bons, ni les discours des jusles qui nous
mettent en état de travailler : c'est Dieu, par
sa grâce. C'est dans cette vue, de notre fai-
blesse et de notre dépendance de son pou-
voir, qu'il faut recourir à lui, et c'est là ce
qu'il appelle prier. Prions-nous ainsi, mes
chers frères? Pensons-nous à nous retirer
des créatures pour prier plus librement et
pour nous unir plus parfaitement à Dieu?
Nous ne pensons dans le monde qu'à y faire
des engagements qui nous plongent dans
mille commerces capables de nous faire per-
dre notre sainteté, si nous en avions, bien
loin d'être portés à augmenter celle que Dieu
a mise en nous par le baptême. On combat
dans le monde les desseins de ceux que Dieu
appelle dans la retraite et à qui il donne le
désir de se purifier par la solitude et le tra-
vail. Sait-on dans le monde ce que c'est que
la pénitence, l'abstinence et l'austérité? On
vit au milieu des périls , et on ne veut pas
entendre parler de ce qui peut nous en ga-
rantir; on aime le danger, on vit au milieu
de la contagion, et on ne veut pas connaître
les remèJes.
Ce qu'on pratique d'exercices de piété et
de dévotion est pour l'ordinaire, ou un choix
de notre amour-propre et de notre humeur,
ou un dérèglement dans notre étal, ou une
illusion de noire esprit, parce qu'on se con-
duit soi-même sans réfléchir et sans consul-
ter des personnes capables de nous con-
duire.
Après cela, mes frères, peut-on être sur-
pris de voir dans le monde si peu de sain-
teté. Mais celle même que l'on honore de ce
nom se dissipera à vos yeux comme une
ombre lorsque je vous aurai fait voir par où
l'on doit juger de sa solidité, en vous racon-
tant les épreuves où Dieu a mis celle de sainte
Geneviève. C'est le sujet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE. ...—
La véritable sainteté- a" presque toujours
été éprouvée ; c'est par l'exercice que la ten-
tation lui donne qu'elle paraît ce qu'elle est,
et c'est par la victoire qu'elle remporte sur
la tentation et par la résistance qu'elle fait
aux ennemis que Dieu lui donne qu'elle est
véritablement ce qu'elle doit être. Vous savez
ce que l'ange dit à Tobie dans l'Ecriture : Ne
vous étonnez pas de la conduite que Dieu a
gardée avec vous en vous exposant à de si
rudes ennemis après tant de bonnes œuvres
que vous aviez faites ; c'est cela même qui
l'a obligé de vous traiter ainsi, et parce que
vous lui étiez agréable, il fallait que votro
vertu et votre sainteté fussent éprouvées par
la tentation.
/ Vous savez de quelle minière il fait parler
un autre an^c, à 'occasion du saint -homme
Job. Il n'est pas donnant, dit le malin esprit,
•I
qu'un homme qui reçoit sur la terre tant de
faveurs ei tant d'effets de votre libéralité
vive par celle considération «I mis la jaslice
et dam l'innocence; mais il serait véritable-
ment innocent et juste, s'il vivait <le même
dans l'afflii lion cl dans la souffrance. Ce ten-
tateur, dit saint Augustin, fut admis à éprou-
ver l'amour chaste et gratuit de cet homme
juste qui demeura seul, privé de ses biens ,
de sa famille et de ses enfants, mais plein de
Dieu. Voilà une solide sainteté reconnue par
l'épreuve. De plus, l'Apôtre nous dit que la
vertu se perfectionne dans la faiblesse t d'où il
tire celte conséquence : Je prendrai donc
plaisir à me fortifier davantage dans mes in-
firmités, parce que c'est par là que je suis as-
suré que lu vertu que Jésus-Christ a mise en
moi s'y confirmera , qu'elle s'y établira et
qu'elle y demeurera d'une manière fixe, so-
lide et permanente.
Pour reconnaître donc la solidité de la
vertu et de la sainteté de noire grande sainte,
et admirer la force de la grâce qui l'a sou-
tenue, il faut raconter les épreuves auxquel-
les il a plu à Dieu de l'exposer. Or, l'histoire
de sa vie nous apprend que Dieu l'exposa à
deux différentes épreuves, qu'un savant in-
terprète de l'Ecriture dit être les deux plus
sûres pour reconnaître la solidité de la vertu :
ce sont celles dont le Sage dit que les impies
se servent contre le juste : luterrogeons-le
par les outrat/cs, afin que nous reconnaissions
quelle est sa douceur, et que nous fassions l'é-
preuve de sa patience.
Or, voici les deux épreuves où Dieu mil la
sainteté de Geneviève : il l'éprouva par une
maladie horrible ; il l'éprouva par des ca-
lomnies effroyables. Vous savez sans doute
que Dieu permit que celle sainte fille tombât
dans une effroyable maladie : elle fut frap-
pée d'une lèpre terrible, qui l'exposa à d'é-
tranges épreuves ; car, sans m'arrêler à vous
faire une affreuse peinture de cet horribie
mal, je me contenterai seulement de vous
dire que, pour en concevoir une idée qui ne
vous donne point d'horreur et qui vous en
exprime néanmoins toute la cruauté, il la
faut regarder comme celle que l'Ecriture
nous présente cl dont le démon frappa le
saint homme Job. Nous lisons qu't'/ fut frap-
pé d'un ulcère effroyable depuis les pieds jus-
qu'à la tête. Saint Grégoire nous averlit, sur
cet endroit de l'Ecriture, qu'il y a deux cho-
ses à considérer, qui marquent toute l'éten-
due de cette maladie : 1° sa qualité ; c'est le
dernier et le plus horrible du tous les maux.
Vous concevez aisément ce que c'est que la
lèpre. 2" Son étendue; il n'y a nulle partie
qui n'en soit infectée cl qui ne seule de la
douleur. Voilà la nature de l'épreuve que
Dieu donne à la veitu de notre illustre
sainte. Ouels durent être ses sentiments,
pour porter cette croix aussi longtemps
qu'elle a fait et avec autant de perfection !
Mais pour entrer un peu dans le détail de
cette circonstance, et vous faire voir com-
bien est grande l'épreuve d'une maladie
longue et fâcheuse , disons qu'elle nous ex-
pose ordinairement à des dangers dont on
ORATEURS SACHES. DOM JEROME. «Zî
ne se tire que par le secours d'une grande
verlu.
Elle nous expose à l'impatience ; surtout
quand les maux sont el longs et cruels;
car pour lors il est bien difficile qu'on ne e
plaigne de la violence de ces maux, et qu'où
ne s impatiente dam leur durée.
Elle nous expose au relâchement ; il est
bien diflicile qu'on n'écoule un peu trop la
nature qui cherche à se soulager, et que, par
une condescendance intéressée pour ceux
qui nous sollicitent à le faire, nous ne quit-
tions les exeicices de piété et de pénitence
que nous pratiquions durant la santé , pour
nous nietlre dans une vie plus douce , sous
un prélexie qui esl quelquefois légitime, qui
même peut être nécessaire dans les rencon-
tres , mais qui est souvei.t suspect , parce
qu'on le porte trop loin. En effet, la mtladie
même que Dieu nous envoie nous tient lieu
de l'austérité que nous interrompons.
Elle nous expose au changement : car
quand on a donné entrée à cette délicatesse
qui nous a fait interrompre nos exercices de
pénitence, non-seulement on ne les reprend
plus qu'avec peine , mais on est encore bien
tenté de se laisser persuader que ces mêmes
exercices, qu'il a clé nécessaire de quitter
durant le cours du mal pour guérir, pour-
raient bien en avoir été la cause, et qu'ainsi
on doit par prudence y apporter quelque
modération pour s'empêcher d'y retomber.
Voilà le grand chemin au relâchement , el
voilà le péril que court la vertu durant les
maladies, même quand elles sont faibles. H
est vrai, cependant, mes frères, qu'une verlu
forte et solide se lire de ces dangers qui
n.e sont pour elle que des épreuves qui en
dérouvrent la solidité et qui la mettent dans
toul son jour. Car elle lienl l'âme dans
une parfaite tranquillité contre l'impatience;
elle la tient dans une égale sévérité contre
le relâchement, et sa constante uniformité la
met à l'abri contre le changement
C'est ce que la grâce de Jesus-Christ a
fait dans sainte Geneviève : elle est demeu-
rée tranquille , paisible , résignée , soumise
dans les plus grandes violences de son mal ,
et toutes ses impatiences se sont apaisées
sans causer aucun trouble dans son âme ,
quand elle a comparé ses maux à ceux que
son époux avait soufferts pour elle. Ainsi je
puis dire d'elle ce que saint Grégoire a dit du
sainl homme Job. On peut juger de la grandeur
de sa sainteté par l'étendue de sa patience
au milieu d'un horrible mal qui ne laisse pas
une seule partie de son corps sans son tour-
mcnl particulier.
Elle a conservé dans sa plus grande fai-
blesse, et dans les défaillances où son mal
l'exposait, celle austérité qu'elle a gardée
durant toute sa vie . point de relâche, point
de soulagement; le pain et l'eau font toute sa
nourriture et toute sa douceur dans les lan-
gueurs et les dégoûts que lui causait son
mal. Il esl vrai que l'on ne peut donner
celte conduite pour on exemple qu'il faille
suivre. I oui le monde i,c le peut pas; mais,
comme Terlullicu l'a dit, si tous les hommes
233
&ERMON POUU LA FETE DE SAINTE GENEVIEVE.
234
ne peuvent pas se couronner d'épines pour
imiter le couronnement du Sauveur du
monde , ils doivent au moins ne pas se cou-
ronner de roses pour ne point déshonorer le
supplice d'un Dieu par une mollesse indigne
d'un chrétien. Ainsi , mes frères , si nous .ne
pouvons pas être austères dans la maladie
comme sainte Geneviève , nous ne devons
pas être sensuels, voluptueux, délicats, éloi-
gnés de l'esprit de pénitence qui duit régner
dans toute la vie d'un chrétien.
Où Irouvons-nous des gens qui demeurent
paisibles et tranquilles dans les maux dont il
a plu à Dieu d'éprouver leur vertu ? Com-
bien d'inquiétudes , de murmures , d'impa-
tiences! On exagère les moindres maux , on
n'a point d'expressions assez fortes pour les
expliquer. Ils sont cruels, ils sont extrêmes,
ils sont insupportables. 11 est rare de trouver
des gens, même parmi les plus vertueux, qui
porlent leurs maux non-seulement sans se
plaindre, mais sans les exagérer jusqu'à
l'excès.
Combien de délicatesse pour éviter jus-
qu'aux moindres choses qui peuvent inté-
resser la santé le moins du monde ! L'air, le
vent, le bruit, le chaud, le froid, on prend
des soins extrêmes pour éloigner tout ce
qu'on s'imagine qui peut nuire. On passe
par-dessus les lois de l'Eglise, dans la seule
idée que leur observation peut incommoder.
Nous nous formons mille nécessités que nous
voyons seuls, et que nous admirons que les
autres ne voient pas. On fait tout ce qu'on
peut pour donner des marques de la fai-
blesse de sa foi , et pour sauver la vie du
corps on risque celle de l'âme; on étouffe le
nouvel homme pour ne pas laisser mourir le
vieux. Nous demandons à Dieu que son
royaume arrive , et nous faisons tous nos
efforts pour n'y pas entrer, et pour nous en
éloigner quand il veut nous l'ouvrir.
Mais notre grande sainte n'a pas seulement
passé par celte épreuve, elle a soutenu celle
de la calomnie, qu'on peut appeler véritable-
ment la pierre de touche de la sainteté. Elle
a toujours inspiré de la terreur au juste ,
qui demande à Dieu par la bouche de son
prophète d'en être délivré : Seigneur, déli-
vrez mon âme des lèvres des injustes et de In
langue trompeuse. C'est ce. qui fait dire à
saint Augustin que la calomnie est dure et
pénible aux plus saints ; et c'est aussi ce
qui engage Salomon à nous dire que la ca-
lomnie trouble le sage et abat la fermeté de
son coeur; celle épreuve est donc terrible et
redoutable même ;iu juste.
Ne nous en étonnons pas, mes frères; voici
les effets qu'il en faut craindre, et le péril où
elle nous expose : elle nous abat et porte
notre esprit au découragement; elle débau-
che notre cœur el nous porte au relâche-
ment. En effet, il est certain que rien n'est
. si capable de troubler un homme sage qui
est véritablement à Dieu, et d'abattre la fer-
meté de son cœur, que lorsque l'on noircit
sa réputation par des calomnies, cl qu'on le
fait passer pour un ennemi de la foi et de la
justice, lui qui se sent porté à donner sa \ io
Orateurs sacrés. XXX.
pour l'un et pour l'autre ; el ce qui fait qui:
la calomnie nous détourne du service de
Dieu, c'est que lorsqu'elle a abattu notre es-
prit et qu'elle l'a plongé dans la tristesse et
le découragement , le démon se sert de celle
mauvaise disposition pour nous porter au vice
el au péché, sous le prétexte que nous neper-
dons rien en faisant les choses dont on nous
soupçonne, et qu'il n'y a point de risques à
courir pour notre réputation , en devenant
véritablement ce qu'on nous croit être, puis-
qu'on nous traite déjà comme si nous l'étions.
Voilà l'épreuve où le démon mit la verlu
de notre sainte. Saint Paulin l'appelle le der-
nier filet que le démon réserve pour surpren-
dre les âmes des justes ; mais , comme re-
marque irès-bien saint Jérôme, la calomnie
ne trouble pas l'esprit du véritable sage, car
pour le juste qui est affermi dans la piété, et
qui n'a point d'autres intérêts que ceux de
Jésus-Christ , il résiste à cette tentation
comme à toutes les autres , par la grâce de
celui qui le soutient. Elle ne sert même qu'à
découvrir davantage sa vertu ; c'est la véri-
table marque de la fidélité que l'on a pour
Dieu, et le vrai moyen de se convaincre
qu'on le sert pour lui seul , qu'on méprise
les hommes , qu'on n'agit que par la foi ;
Dieu permet souvent que les justes soient
punis par leur propre vertu , et qu'on les
noircisse par de fausses accusation:), au lieu
des louanges qu'ils ont méritées. 11 faut alors
rentrer en soi-même : une âme qui sait ce
qu'elle est devant Dieu doit être peu tou-
chée de ce qu'elle n'est point ; et s'il ne s'a-
git surtout que de motifs el de sentiments
intérieurs, elle ne doit avoir que du mépris
pour de faux reproches qu'elle voit détruits
par la sincérité de son cœur et par le témoi-
gnage de sa conscience. C'est ce que nous
voyons dans la conduite de notre sainte : le
démon la rend suspecte, elle passe pour une
hypocrite, même pour une sorcière ; on va
jusqu'à attenter à sa vie. Que fait la grâce
en elle? Elle lui fait reconnaître que c'est
Dieu qui permet qu'on la traite ainsi, et bien
loin de se plaindre ou de faire de grands
discours pour sa justification , comme ferait
une fausse ou médiocre vertu, clic dit comme
le Prophète : Ils me maudiront, Seigneur, et
vous me bénirez; gue ceux qui s'élèvent con-
tre moi soient couverts de honte ; mais votre
serviteur sera dans la joie. Elle lui fait con-
naître que c'est une gloire pour elle que d'ê-
tre traitée comme Jésus-Christ l'a été, qui
n'a permis qu'on l'appelât hypocrite, sama-
ritain , séducteur du peuple , que pour con-
soler ses serviteurs qui devaient être traités
de la sorte. Ainsi elle aime ceux qui la per-
sécutent et qui la foulent aux pieds. Elle re~
connaît ce que dit saint Augustin : Je n'étais
que comme une grappe, avant que les hom-
mes me foulassent aux pieds; mais depuis
qu'ils l'ont fait, je suis devenue comme de
bon vin.
Enfin celle grâce lui fait connaître que
Dieu mettra fin à cette persécution, de quel-
que manière que ce soil. En effet il envoie
saint Germain d'Auxerre, qai prend sous sa
8
238
Ull.\ïi;iKS SACHES. IKi.M JLItOMh.
protection celle sainte, qui rend lémoignage
a sa verlu, et qui la remet dans la vénéra-
lion duc à sa sainleté , que la persécution ,
la maladie et la calomnie firent paraître
d'autant plus éclatante, qu'ils la montrèrent
plus solide.
Voilà la pierre de louche de la sainteté :
elle n'est véritable que quand elle est solide,
et elle n'est solide que quand elle a passé par
les épreuves. Jugez-vous là— di ssus , mes
chers frères, et îeconnaissez quelle est la
vôtre.
Je n'ai pas le temps de vous exposer les
couronnes que la sainteté de Geneviève a
méritées. Ouire celle qu'elle possède dans le
ciel, vous savez de quelle manière elle est
honorée sur la terre. Aucun roi ne l'a ja-
mais tant été que celte simple bergère, que
les rois mêmes implorent dans leurs besoins
et qui leur obtient mille grâces.
Il fait bon servir Dieu, mes frères , on ne
le sert jamais en vain ; et s'il ne nous ré-
compense pas dans celte vie, c'est un grand
effet de sa miséricorde de nous réserver tout
pour l'autre; c'est ce que je vous souhaite ,
au nom du Père , el du Fils et du Saint-Es-
prit. Ainsi soit-il.
POUR LA FKTE
SERMON
DE L'kPIPIlâME DE NOTRE-
SEIGNEUR.
Ubi est qui natus est rcx JucJaeorum ?
Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né (Matth.,
11,2)?
L'Evangile nous représente aujourd'hui
des effets bien étranges que produit la nou-
velle de la naissance de Jésus-Christ. Hé-
rode demande où est le lieu de cette nais-
sance ; les premiers d'entre les prêtres cl les
docteurs du peuple se mettent en devoir de
le lui apprendre et ils le cherchent dans les
Ecritures; les mages demandent : Où est
le roi des Juifs qui est nouvellement né? Tou-
tes ces différentes personnes se remuent sur
la nouvelle de cette naissance ; ils recher-
chent tous où est le roi des Juifs , mais ils
sont animés par des motifs bien opposés , el
nous verrons des choses étonnantes dans ces
différents caractères.
Hérode le cherche et il ne le tronve point;
les prêtres cherchent le lieu de sa naissance,
ils le trouvent, mais ils n'en profilent pas; les
mages le cherchent, ils le trouvent, mais ils
ne s'en séparent plus après l'avoir trouvé.
Hérode le cherche et il ne le trouve point ,
car il ne le cherche que pour le détruire;
les prêtres le cherchent et ils le trouvent ,
mais ils n'en proGtenl point, parce qu'ils ne
le cherchent que par des vues basses d'in-
térêt et de fausse gloire ; les maucs le cher-
chent et ils le trouvent, et comme ils le cher-
chent de bonne foi et dans la vue de l'hono-
rer sincèrement , ils ne s'en séparent plus
après l'avoir trouvé. Or, mes frères, ces per-
sonnes si diQércnles qui se remuent dans
Jérusalem sur la nouvelle de la naissance du
roi des Juifs, nous apprennent qu'il y a en-
core et qu'il y aura toujours dans l'Eglise
des gens qui chercheront lésus-ChrisI avec
des \ lies l>ieri dillereiilCS.
Les libertins le cherchent comme Hérode,
sans le Irouver, parce qu'ils le cherchent
pour le détraire; les hypocrites, et les bai
ministres de l'Evangile le cherchent connue
les prélres de Jérusalem, ils le trouvent p.mr
les antre* , mais ils n'en profilent pai pour
eux-mêmes; les gens de bien le cherchent el
le trouvent comme les mages , et ils ne s'en
séparent pins api rèt l'avoir trouvé, parce que
leur recherche est sincère el qu'ils le veu-
lent honorer.
Marquons ces trois différents caractères
pour apprendre a éviter en IleroJe la re-
cherche des liberlios : première partis; i
plaindre dans les prélres la rechen h
hypocrites : deuxième partie ; à imiter dans
les mages la recherche des jusles : troisième
partie.
Demandons l'assistance du ciel par l'en-
tremise de Marie. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Nous ne nous arrêterons pas à marquer
exactement le caractère de ces deux espèces
de gens qui cherchent Jèsus-Christ dans cet
évangile, mais qui le cherchent inutilement.
Nous n'en parlerons que légèrement , afin
d'approfondir ce qui regarde la conduite des
justes qu'il faut imiter.
Commençons par Hérode, qui représente
dans sa recherche celle des libertins et des
impies qui ne cherchent Jésus-Christ que
pour le détruire, cl par là le cherchent inu-
tilement. Ce qui (rouble ce prince à la nou-
velle de la naissance du nouveau roi, c'est
d'abord la crainte de perdre son royaume ;
car il esl dit dans Michée, en parlant do
Bethléem : C'est de vous que sortira celui qui
doit régner dans Israël, dont la génération
est dès le commencement, dès l'éternité. Et
ensuite la crainte de perdre la vie, car les
oracles de l'Ecriture annoncent que ce nou-
veau prince doit être équitable, qu'il rendra
la justice à tout le monde, et qu'il punira les
crimes sans.disliuclinn. Ceu\ d'Herodc l'ef-
frayent, et sa conscience qui les lui repré-
sente lui fait appréhender la venue de celui
qui peut les punir.
Ainsi, mes frères, une double crainte
anime Hérode à la persécution du prince
nouveau-né: celle de perdre les biens qu'il
possède, celle de souffrir des maux qui l'ef-
frayent. Poussé par cette passion, il le cher-
che, et il le cherche inutilement. Or c'est en
cela qu'il nous représente la recherche mal-
heureuse des impies cl des libertins, en qui
la nouvelle de la naissance du Sauveur du
monde fait les mêmes impressions qu'en ce
malheureux prince, el qu'elle anime à une
recherche aussi vaine.
(Jue les impies et les libertins méprisent
la religion et ses lois, qu'ils se moquent de
ses mystères et de ses vérités, qu'ils se pi-
quent d'une prétendue force d'esprit, qui
n'est qu'un affreux abîme d'erreur oà ils se
plongent volontairement par une déplorable
témérité qui les porte hasarder souvent les
257
SERMON POUR LA FETE DE L'EPIPHANIE.
258
choses les plus absurdes, et par un étour-
dissement affecté qui les empêche de se re-
connaître ; qu'ils fassent, dis-je , tout co
qu'ils voudront: il y a une persuasion qui
vient du fond de la nature même, par la-
quelle, indépendamment de nos raisonne-
monts et avant toutes nos connaissances,
nous sommes convaincus par une lumière
qui naît avec nous et forcés d'avouer qu'il
y a une divinité de laquelle nous dépendons.
De là naissent les lumières qui troublent les
esprits forts malgré eux, et une idée de la
souveraineté et de la justice de Dieu qui les
tourmente.
Et quoique Dieu punisse les libertins et les
impies en retirant d'eux sa vérité cl en les
abandonnant à leurs ténèbres, elle y laisse
néanmoins des impressions , après même
qu'ils l'ont effacée de leur cœur, et qu'ils ont
résolu de ne rien croire de tout ce qu'elle or-
donne. Elle les convainc de leur malice, elle
déchire leur conscience ; et, semblable à la
lumière du soleil qui est insupportable à
l'œil malade pendant qu'elle est la joie et la
vie de l'œil sain, elle les blesse, elle les of-
fense incessamment par son éclat. Faites
tout ce qu'il vous plaira, voire fortune sera
renversée par cet enfant nouveau-né, il dé-
truira votre fausse grandeur ; vos plaisirs
passeront, et vos crimes, qui ne passeront
point, seront punis par le juge que vous mé-
prisez, et de qui l'autorité se fait sentir en
vous malgré vous-même; et comme Hérode
qui cherche à le détruire sert à le manifes-
ter, vous qui sortez de l'ordre par voire pro-
pre volonté, vous y rentrerez malgré vous,
et en refusant les effets de sa miséricorde, sa
justice sera manifestée.
Qu'ils s'écoutent plutôt eux-mêmes, qu'ils
rentrent (Sans leur cœur, qu'ils parlent de
bonne foi, et ils avoueront que les absurdi-
tés où il faut qu'ils tombent nécessairement
en niant 1rs vérités de la religion sont plus
insoutenables que les vérités auxquelles ils
affectent de ne se pas soumettre. Ainsi tous
leurs efforts ne peuvent nous découvrir que
leur misère ; mais ils ne sont pas sans re-
mède, car la miséricorde de cet enfant est
encore plus grande que celte misère. Songez
donc, mes frères, à vous soumettre à son
empire et à vi\ re selon ses lois, si vous vou-
lez sauver et vos biens et votre âme.
Ce fut la folie d'Hérode de ne pas exami-
ner les intentions et les desseins de ce nou-
veau roi. Celui qui promet des biens éternels
ne veut pas vous ôter ceex de cette vie. Ne
vous effrayez point, il ne vient pas vous dé-
pouiller de vos richesses, il vient seulement
en régler l'usage. Les mages l'adorent et se
soumettent à son empire : il ne leur ôte pas
leur dignité, au contraire il les protège, il
prend soin d'eux, cl il les reconduit dans
leurs États ; Hérode refuse de le reconnaître,
et il péril malheureusement.
Ouvrez donc les yeux, imitateurs de ce
prince aveugle et impie ; apprenez qu'on ne
trouve point Jésus-Christ quand on le cher-
che pour le détruire, c'est tout ce que je vous
dirai sur cet article; passons à la seconde
réflexion.
DEUXIÈME PARTIE.
L'étal des hypocrites et des faux ministres
de l'Evangile, représentés par les premiers
d'entre les prêtres et les docteurs du peuple,
me pénètre jusqu'au fond du cœur, et il faut
vous marquer leurs caractères dans celui de
ces prêtres et de ces docteurs. Remarquons
seulement que ce qui les porte à rechercher
le lieu de la naissance du Messie, pour con-
tenter Hérode qui le leur demandait en pré-
sence des mages, c'est :
1* La crainte de s'attirer sa haine, s'ils ne
lui rendent pas la réponse qu'il leur de-
mande; 2° l'envie de se conserver son estime
en le satisfaisant.
Mais pour y réussir que font -ils? ils lui
cachent une partie des lumières qu'ils lirent
des Ecritures. Ils lui disent le lieu où il est
né, et ils lui cachent que c'est un roi bien
différent de tous les rois de la terre, puis-
qu'il est éternel, c'est-à-dire un Dieu. Ainsi
l'intérêt et l'ambition, la crainte de perdre
et le désir d'acquérir, les appliquent à la re-
cherche du lieu de la naissance du Messie ;
ils le trouvent, ils l'enseignent au\ autres,
et eux-mêmes ne profitent pas des lumières
qu'ils tirent de l'Ecriture qu'ils expliquent.
Ces deux motifs de la recherche des prê-
tres de notre évangile nous découvrent le
caractère honteux des indignes ministres de
la loi nouvelle, qui ne s'appliquent à leurs
fonctions que par des considérations d'inté-
rêt et par des vues d'ambition, et qui, par
une profanation qu'on ne peut assez déplo-
rer, font servir la dignité de leur ministère
à l'établissement d'une misérable fortune et
à la satisfaction de leur orgueil.
Ce que je dis ici, mes frères, ne se voit que
trop souvent à la honte de l'Evangile et à la
condamnation de tels ministres. Ce n'est pas
qu'ils ne soient quelquefois remplis des lu-
mières de Dieu, et qu'ils n'enseignent fort
bien ses voies aux hommes; car, comme dit
l'apôtre saint Paul, il a donné à son Eglise,
les uns pour être apôtres, les autres pour
être pasleursct docteurs, afin qu'ils travail-
lent à la perfection des saints, aux fonctions
de leur ministère et à l'édification du corps
de Jésus-Chrisi , el leurs lumières sont sou-,
vent indépendantes de leur ministère. Ne
prétendez pas, disait saint Jérôme, vous dé-
fendre d'embrasser la vérité que je vous prê-
che, parce que ma vie n'y est pas conforme;
car j'ai à vous dire, ma doctrine n'est pas de
moi, c'est de Jésus-Christ. En effet, comme
les canaux qui portent l'eau pour désaltérer
le public n'en conservent quelquefois que la
fange, de même le; mauvais ministres peu-
vent désaltérer les autres, pendant que la
soif des biens de la terre el des dignités pé-
îissables les brûle et les consume.
Ainsi, semblables à ces malheureux l'abri-
c.ileurs de l'arche de Noé, qui fournirent à
sa famille un asile contre les inondations du
déluge, cl qui n'y entrèrent pas eux-mêmes
ils enseignent -tuk hommes les moyeni d'é-
239
OUATKIUS SACHES. UO.M JLUOMi;.
240
viter les effets de la colère de Dieu, cl ils y
demeurent exposés.
Semblables encore, dil saint Augustin, à
ces pierres qu'on plantait sur les grandes
roules, qui montraient le chemin aux pas-
sants, sans sortir du lieu où elles étaient po-
sées, ils enseignent le bien, et ils ne le font
pas. Ils découvrent les voies du Seigneur, et
ils suivent celles du monde ; ils montrent aux
justes qui cherchent Jésus-Christ sincère-
ment, où il est et où on le trouve, et ils de-
meurent dans Jérusalem, au milieu d'une
ville troublée et auprès d'un prince agité de
ses passions. Ces mauvais docteurs ne lais-
sent pas cependant d'être utiles aux autres :
les mages lurent très-bien instruits par les
prêtres de Jérusalem, quoiqu'ils fussent fort
corrompus. Ils apprirent fort exactement où
était Jésus-Christ, de ceux mêmes qui ne se
mirent nullement en peine de l'aller cher-
cher.
Nous confessons en gémissant qu'il n'y a
que trop de ces indignes ministres dans l'E-
glise sainte de Jésus-Christ, et nos frères
nouvellement réunis à l'unité doivent recon-
naître notre bonne foi sur cet article comme
sur tous les autres ; car enfin nous condam-
nons le mal où il est.
Non, non, mes très-chers frères, l'Eglise
sainte n'autorise point les désordres de ses
ministres ; elle punit par la sévérité de ses
lois les fautes dont elle connaît qu'ils sont
coupables. C'est pourquoi saint Augustin di-
sait aux manichéens : Quittez ces impiétés
dont vous blessez l'honneur, cessez de ca-
lomnier l'Eglise catholique, cl de la décrier
en blâmant les mœurs de ceux qu'elle con-
damne elle-même, et qu'elle s'efforce tous
les jours de corriger comme de mauvais en-
fants. Voilà en effet l'esprit de l'Eglise et la
véritable situation de ses enfants. Sans con-
fondre la dignité avec la personne qui la
déshonore, nous honorons l'aulorilé et nous
en condamnons l'abus. Aussi n'a— t-il jamais
été raisonnable de mépriser le ministère
parce que le ministre s'est rendu digne de
mépris. Non, mes frères, jamais il n'a été
raisonnable d'abandonner la maison de
Dieu pour se retirer dans celle d'un étran-
ger, à cause que ses ennemis domestiques
en auraient sali le dehors. Ces ministres
aveugles dont nous venons de parler sont
dignes de notre compassion ; car, après avoir
enseigne par intérêt, comme le dit un pro-
phète, ils se reposent en disant: Le Seigneur
ri est-il ]><is (tu mili'.u de nous? et ils demeu-
rent en repos à la veille d'être confondus et
frappes de la main de Dieu.
Prions pour eux, mes très-chers frères,
afin qu'ils se corrigent par leur bonne vo-
lonté et par l'assistance de Dieu, et qu'ils re-
couvrent par la pénitence ce qu'ils ont perdu
par leurs péchés. Examinons présentement
la voie des justes dans la recherche des ma-
ges. C'est la dernière réflexion.
THOISIÎ:VIE I'AHTIE.
La recherche des mages donne une excel-
lente idée de celle des justes que nous de-
vons nous proposer pour modèle, par la fa-
cilite qu'ils ont eue à s'engager dans cette
recherche, par leur constance à la sou-
tenir, par leur dévouement plein et entie.-
à celui qu'ils ont trouvé: tout l'ordre du
salut est aisé à remarquer dans ce que nous
venons de dire; car il consiste, 1° à suivre la
lumière qui se montre à nous, cl à obéir a
la voix du ciel qui nous prévient en nous
appelant: ± à mépriser le monde qui s'y op-
pose, et à détruire les ob-lacles qu'il y forme;
3° à se livrer pleinement à Jésus-Christ, et
à ne rien ménager pour assurer et aiïcrmir
notre attachement à lui.
Et d'abord les mages se mettent en devoir
d'aller chercher le Sauveur du monde aussi-
tôt qu'ils s'y sentent appelés. Celte prompti-
tude est assurément merveilleuse, si l'on fait
réflexion sur la faiblesse de l'attrait qui les
appelle , et sur la force des en" a
qu'il fallait rompre pour le suivre. En effet
cet attrait, c'est une étoile que Dieu fait na-
raîlre ; donnez-lui telle qualité qu'il vous
plaira, après tout c'est une étoile, et l'attrait
paraît toujours bien faible. Dieu leur parle
intérieurement par sa grâce, comme le dit
saint Chrysostome, et il fallait bien que la
chose fût ainsi ; car il n'y a que la grâce du
Père qui nous attire par le Fils qu'il a en-
voyé -, mais obéir à la première *oix de la
grâce qui parle dans le cœur, quelle gloire
pour ceux qui suivent avec une si grande
promptitude l'attrait de Dieu qui les appelle !
Mais quelle confusion pour nous qni ré-
sistons depuis si longtemps aux attraits dont
la miséricorde de Dieu se sert pour nous ap-
peler ! Considérons un peu notre état, et
examinons-nous pour nous humilier et pour
nous confondre. Combien les moyens dont
Dieu s'est servi pour nous soumettre à son
empire sont-ils plus forts que ceux qu'il a
employés pour amener les rois à l'élable !
Jésus-Christ est reconnu, et nous l'adorons;
la religion est établie, et nous l'embrassons;
les vérités sont reçues, et nous les croyons.
Voilà assurément des avantages que les ma-
ges n'avaient point quand ils ont suivi l'é-
toile pour aller se soumettre au roi qui ve-
nait de naître.
De quoi s'agit-il pour nous, mes irères?
d'imiter celui que nous adorons , de garder
les lois de la religion que nous avons em-
brassée , de pratiquer les vérités que nous
avons reçues ; en un mol nous vous deman-
dons des choses sans lesquelles vous conve-
nez avec nous qu'il est impossible d'être
sauvé.
Depuis combien de temps Dieu nous
pressc-t-il de satisfaire à ces indispensables
devoirs, par des mouvements intérieurs qui
nous agitent et qui nous troublent, par des
prédications et des avertissements qui de-
vraient nous engager, par des afflictions et
des amertumes qui nous dégoûtent de tout,
et qui nous font sentir le vide cl l'amertume
do monde que nous ne quittons po ni? Mais.
me tiirez-vous, c'est la grâce qui a fait mar-
« lier les mages : donnez-moi une grâce sem-
blalle à celle des mages, cl je fciai ce qu'ils
241
SERMON POUR LA FETE DE L'EPIPHANIE.
2:»
ont fait. Dieu, mes frères, la donne comme
il lui plaît; mais il ne nous sera jamais per-
mis de rejeter sur lui ce qui n'est qu'un effet
de notre dureté et de notre obstination; car
nous avons reçu de très-grands secours de
sa miséricorde, et nous les avons méprisés,
et il n'y a pas un de nous qui ose dire qu'il
a fait tout ce qui a dépendu de lui pour mé-
nager les secours qu'il a reçus. Aussitôt
qu'ils ont vu l'étoile ils quittent tout, et ils
viennent le chercher où il est : c'est là noire
malheur ; l'étoile paraît, et nous ne la sui-
vons pas.
Il faut aller chercher Jésus-Christ où il est,
il n'est pas dans le lieu d'où il nous tire, il
en faut sortir. Voyez les pauvres bergers qui
apprennent la naissance de Jésus-Christ,
aussitôt ils quittent tout : Passons à Bethléem.
Si nous avions suivi cette première grâce,
nous en aurions mérité une plus forte.
Ainsi, pleins d'ingratitude pour Dieu, abu-
sant de ses secours ordinaires, nous atten-
dons qu'il fasse pour nous ce qu'il ne doit
faire que pour ceux qui l'aiment ; n'est-ce
pas ajouter encore à l'infidélité?
Mais mille choses s'opposent à celte fidé-
lité : il y a des difficultés à vaincre et des
obstacles à surmonter dont on ne devient
pas maître aisément. Pouvez-vous dire, mes
frères, qu'il y ait rien de comparabledans cet
obstacle à ce qui devait d'abord arrêter les
rois ? Tout s'oppose à l'obéissance qu'ils
rendent à la voix de Dieu : leur religion,
leur profession, leur état. Ils sont idolâtres,
voilà l'obstacle de la religion ; ils sont ma-
ges, voilà celui de leur profession ; ils sont
rois, voilà celui de leur état. Cependant ni
leur religion, ni leur profession, ni leur état,
ne sont pas capables de les arrêter ; ils vont,
ces idolâtres, chercher un Dieu pour l'adorer
dans son anéantissement. Ils n'écoutent point
les sages et les philosophes : les lumières et
les oppositions de la raison et du bon sens,
si contraires en apparence à ce qu'ils entre-
prennent, ne les retiennent point. Ces prin-
ces risquent tout pour aller se rendre escla-
ves d'un enfant qui naît dans la misère et
dans la pauvreté.
Or, mes frères, qu'y a-l-il dans ce qui nous
retient qui ait quelque rapport avec ces
obstacles? Si nous considérions les vues que
la religion nous donne sur les choses pré-
sentes que l'expérience nous fait connaître,
et sur les futures que la foi nous promet; si
nous examinions en gens sages ce que nous
possédons en celte vie, et si nous regardions
en chrétiens ce que nous espérons dans l'au-
tre, nous aurions honte d'avouer publique-
ment ce qui nous arrête. Appliquons-nous
donc à ce qui nous retient, cela se peut-il
comparer avec ce que nous espérons ? Aban-
donner Dieu, résister à sa voix, rejeter sa
grâce, risquer son salut; et cela pourquoi?
Pour rien. Quelle faiblesse 1 quelle misère l
quel avcuglcmentl lin veiilé, il est surpre-
nant qu'avec toutes les raisons que nous
avons de mépriser le monde, et ce que nous
en disons nous-mêmes tous les jours, on s'y
attache et qu'on ne veuille pas le quitter
malgré toutes ses amertumes.
Ouvrons donc les yeux, rien n'est digne
de nous attacher que ce qui peut nous ren-
dre heureux; rien ne peut nous rendre heu-
reux que ce qui est meilleur que nous; rien
n'est meilleurque ce qui est éternel etdivin;
car tout ce qui est mortel passe, et nous
sommes immortels.
Allons, mes frères, un peu d'efforts; quit-
tons ce qui nous quittera; un instant qui ne
peut pas être fort éloigné va nous montrer
une nouvelle terre, et alors ce que nous au-
rons cru de plus important dans celle-ci ne
nous paraîtra qu'une vapeur. Le ciel mérite
bien qu'on se fasse quelque violence; on ne
saurait y aller que par celte voie ; on en est
même récompensé dès cette vie par la paix
dont jouit une âme chrétienne qui suit l'at-
trait de la grâce comme les mages, et qui
marche dans les voies de Dieu. On y trouve
des obstacles, mais pour apprendre à les
vaincre il faut jeter les yeux sur la constance
dont ils nous ont donné l'exemple dans la
recherche qu'ils ont faite du roi nouvelle-
ment né.
Or il est certain que la fidélité de ces saints
mages fut exposée à de grandes épreuves
dans la recherche qu'ils faisaient du Sau-
veur; car, ayant quitté leur pays pour obéir
à la voix de Dieu, et ayant fait un assez long
voyage pour venir chercher celui dont la
naissance leur avait été annoncée par l'étoile
qui les conduisait, ils devaient croire qu'il
était dans le lieu où l'étoile avait disparu, et
que Jérusalem était le terme de leur voyage.
Cependant, quand ils entrent dans cetle
grande ville et qu'ils s'informent où est le
roi des Juifs qui est nouvellement né, cha-
cun les regarde, et personne ne sait que leur
répondre.
Que devaient-ils penser en se voyant
abandonnés de cette manière? Ne devaient-
ils pas croire que celui qui les avait appe-
lés avait abusé de leur crédulité, et que, les
ayant conduits par une étoile qui ne parais-
sait plus, il les avait tirés de leur pays pour
les livrer entre les mains d'un prince cruel
de qui ils devaient tout appréhender? Celle
circonstance est très-considérable dans l'é-
preuve où Dieu met leur fidélité ; car Hé-
rode était un prince intéressé , fier et cruel.
11 lut troublé, dit l'Evangile, quand il apprit
la naissance du nouveau roi; il pouvait
craindre raisonnablement el pour lui-mémo
et pour ses enfants. Ces princes lui annon-
çaient la naissance du roi des Juifs; ils ne
pouvaient la prouver que par l'étoile qui les
avait conduits; elle a disparu. Il pouvait
très-bien les prendre pour des gens qui vien-
nent sous ce prétexte étudier sa contenance
pour le surprendre. Ce sont des princes qu'il
doit respecter, mais ce sont des ennemis
d'autant plus redoutables ; et quelque res-
pect qu'on leur rende, on n'en garde guère
avec des gens qu'on doit craindre quand on
est plein d'ambition. C'est à < es épreuves que
Dieu met la fidélité de nos saints uiages ;
mais comme il les soutient toujours par la
148 ORATEURS SACHES. DOM JEROME
?;râce qui les a appelés, cl que leur fidélité à
,i uivre les a rendus dignes qu'il l'augmen-
Iflt, il ne les met à ces ('-preuves <|iie pour
faire paraître leur constance avee plus de
gloire. Ainsi, nies frères, rien n'est capable
de les ébranler dans la résolution de cher-
cher le nouveau roi. Le témoignage qu'ils
ont dans leur cœur de la naissance du nou-
veau roi remporte sur l'impossibilité appa-
renle de le trouver; l'étoile qui a disparu les
conduisait, mais la grâce de Dieu les Faisait
marcher.
Ainsi ils n'ont pas compté absolument sur
cette étoile qui pouvait disparaître; mais ils
se ont appuyés sur la parole intérieure de
celui qui ne peut l.omper. Ils ne ciaignent
ni la colère de ce peuple, ni la tyrannie de
leur roi. Ils publient ce qu'ils ont vu, et
lorsqu'il:; interrogent les prêtres sur la nais-
sance du nouveau roi, ils leur reprochent en
effet leur indifférence et leur assoupisse-
ment sur une merveille ai.ssi importante que
ce qu'ils leur annoncent.
Le reproche qu'ils font aux Juifs et aux
ministres de leur loi ne nous regarde pas;
244
main, une mauvaise raillerie, une o, position
domestique, nous empêchent de poursuivre
le bien que nous avions commencé. On ne
voit que des légèretés et des inconstances
dans la pratique du bien ; semblable au ro-
seau, on est porté et incliné selon ies diffé
rents mouvements des \ents qui nous agi-
tent, et pour peu qu'il y ait de concurr. n
entre noire salut et notre santé, entre nos in-
térêts et ceux de Dieu, c'est toujours te qui
le regarde qu'on remet, si on ne l'abandonne
pas absolument.
.Mais, mes très-chers frères, si nous nous
reconnaissons dans celle peinture, et que
notre faiblesse nous ait fait succomber dans
les épreuves ou il a plu à Dieu d'exposer no-
tre fidélité, relevons-nous donc : l'étoile re-
paraîtra pour nous conduire; si nous allons
une lois où est Jesus-Christ. que ce soit pour
ne le plus quitter, comme les mages qui ne
s'en séparent plus après lavoir trouvé. L'E-
vangile nous marque ies sources de leur at-
tachement à ce di\ .n enfant qu'ils trouvèrent,
dans ce qu'il dit qu'ils firent en entrant
pas ; dans l'élablc de Bethléem sur laquelle l'étoile
mais celui qu'ils nous font doit nous confon- s arrêta. Ils se prosternèrent, ils l'adorèrent,
dre, mes très-chers frères. En effet , est-ce
ainsi que nous soutenons les entreprises que
nous avons commencées pour Dieu? Est-ce
ainsi que nous marchons dans ses voies
lorsqu'il nous y fait entrer par sa grâce? La
moindre difficulté nous arrête, le plus léger
obstacle renverse nos desseins et nous fait
abandonner nos résolutions : prêts à sur-
monter toutes les difficultés qui se rencon-
trent dans nos affaires temporelles, nous ne
voulons point en avoir dans celle de notre
salut. Si l'étoile disparaît un moment, si
Dieu se cache pour nous éprouver, s'il nous
laisse tomber dans quelque trouble, nous
nous plaignons, nous voulons tout abandon-
ner. Quoi! vous qui cherchez Dieu, vous
avez si longtemps été infidèle à ce Dieu que
vous recherchez, et vous ne voulez pas qu'il
vous punisse ! vous l'avez négligé, ei vous ne
voulez pas qu'il se venge 1 vous êtes tout
rempli de misère, il est in tî ni dans ses per-
fections,et vous ne voulez pas qu'il se fasse
acheter!
Par où connaîlra-t-on votre constance si
vous ne voulez rien souffrir dans votre rc-
chcrche?Si Dieu vousenvoieqm lqucépreuve,
c'est afin que vous avanciez par l'usage que
vous en ferez. Sa main ne vous quittera pas:
vous êtes à son égard comme des gens qu'on
jette dans les (lois de la mer pour les préser-
ver des suites fâcheuses de quelques morsu-
res venimeuses. Souvenez-vous qu'ilcstégalc-
ment votre père dans tous les temps, quel-
que conduite qu'il tienne à votre égard. Les
ténèbres , les abattements , les dégoûts , les
ennuis, les aridités, les découragements ne
vous nuiront pas, pourvu que vous demeu-
riez dans la soumission cl dans la confiance.
Jetez les yeux sur Abraham, sur Joseph, sur
les mages, ils ont été plus éprouvés que vous,
mais notre malheur vient de ce que tout nous
détourne et que loul nous arrête ; une légère
indisposition , une affaire, un respect bu-
ils reconnurent leur néant, et ils admirèrent
sa grandeur; les présents marquèrent les
vues que la foi leur donne; l'or, la souve-
rainelé et la royauté; l'encens, la divinité;
la myrihe, son humanité. Dons mystérieux,
qui d'un côté nous représentent les qualités
de l'enfant, et de l'autre les dispositions de
leur âme el l'amour de leur cœur.
Après cela, comment s'en fuss. nl-ils sépa-
rés, étant remplis des vues de leur néant et
de celle de sa grandeur ? car que peut deve-
nir la créature qui n'est rien, quand elle se
sépare de Dieu, par q ui seul elle est quelque
chose? Si Adam n'eût jamais perdu la vue de
son néant, jamais il ne se lut séparé de D eu,
cl jamais il ne fût déchu de la grandeur où il
l'avait élevé; c'est aussi pour ne s'en plus
séparer que nos saints adorateurs de la
grandi ur de Dieu dans son abaissement lui
consacrent tout ce qu'ils lonl dans les pré-
sents qu'ils lui offrirent. En effet, que signi-
fie l'or qu'ils lui présenlenl, sinon le sacri-
fice de leur cœur, qui se donne à lui par
l'amour? Que signifie l'encens, sinon celui de
leur esprit qu'ils lui soumettent par la foi?
Enfin, que signifie la myrrhe, sinon le sa-
crifice de leur corps qu'ils lui livrent par la
mortification 7 C'est par de semblables offran-
des qu'on se rend digne de Dieu, et qu'on
s'unit à lui ; our ne s'en sét arer jamais ; car
il ne faut point espérer d'élre uni à Dieu par
une pieté solide, si nous ne sommes pas ani-
mes par une foi vive, affermis par une espé
rame inébranlable, et conduits dans tous
no mouvements par une charité véritable
et un amour sincère. II faut que les lumières
de l'esprit, anéanties par la foi, se perdent
dans Dieu, comme la fumée de l'encens se
dissipe dans l'air. Il faut que la chair et !i s
sens soient plongés dans l'amer tome repré-
sentée par la myrrhe. Il faut enfin que le
rcnir, dégage et purifié de toutes les affec-
tions de la terre, cl éle\e par l'amour de
245
SERMON POUR LE QUATRIEME DIMANCHE D'APRES L'EPIPHANIE.
246
Dieu, devienne de l'or par le prix, de sa cha-
rité dont il est la figure.
Ne nous flattons pas aisément, dit saint
Chrysostome, d'être dans ces dispositions à
l'égard du Sauveur du monde, car il est aisé
de s'y tromper ; mais voici une règle sûre que
ce saint docteur nous propose.
Les mages, dit ce saint évêque, présentè-
rent de l'or au Sauveur par honneur et
comme par hommage ; car il n'en avait pas
besoin ; mais il est maintenant dans la né-
cessité, et non-seulement vous ne lui offrez
pas de î'or, vous lui refusez du pain. Ces
rois ne se rebutent point de voir Jésus-Christ
pauvre, la foi leur décomre sa grandeur dans
cette pauvreté ; et vous le voyez sans habits,
sans retraite, exposé à la misère et à toutes
les injures de la saison en la personne du
pauvre : ouest votre foi?
Les mages de l'Evangile font un long
voyage pour le venir adorer étant encore
enfant, et vous refusez de faire quelques pas
pour l'aller visiter étant malade, et le se-
courir dans les prisons, quoiqu'il attache la
récompense éternelle à ces libéralités, et
qu'il se promette lui-même avec toute sa
gloire, pour ces aumônes qu'il vous deman-
de : où sont votre foi, votre espérance et
votre amour? Par où pensez-vous tenir à
Jésus-Christ, si vous n'y êtes pas attachés
par ces vertus? Sachez, dit ce saint évêque,
que vous ne serez les adorateurs de Jésus-
Christ qu'en a| parence, si vous demeurez
dans ces dispositions d'insensibilité envers
les pauvres ; car c'est dans leur personne
où il veut être adoré particulièrement par
les grands du monde, et leur sanctification
est attachée principalement à la pratique de
cette vertu.
Retraçons-nous sans cesse l'idée delà re-
cherche'des justes, afin qu'elle serve à ré-
gler celle des âmes qui pensent à le devenir.
Dieu nous appelle, quittons tout, il le mérite
bien ; que rien ne nous arrête : il nous sou-
tiendra dans les diificullés qui se présente-
ront ; remettons entre se9 mains tout ce qui
est à nous, il le conservera, c'est un fidèle
dépositaire, entre les mains de qui tout pro-
fite ; car pour des choses périssables qu'on
lui confie, il nous comble de biens éternels.
Je vous les souhaite. Ainsi soil-il.
SERMON
rotin le quatrième dimancbe d'aphès L'é-
PIPIIAISIE.
Pour une assemblée de charité.
Sur les épreuves et les peines dans cette vie.
M tos magnus faclusesl in mari, ita ul navicula operi-
rclur Bucubul; ipse verodormiebat.
// s'éleva sur la mer une si mande, tempêtl , que les (lois
i m raient la barque; el pendant ce temps-là Jésus dormait
(Mallk , vnr, 24J.
L'évangile que l'Eglise nous propose cette
semaine nous rapporte que Jésus-Christ,
étant entré dans une barque avec ses disci-
ples, leur ordonna de le passer à l'autre
bord du lac de Génézarcth; mais comme ils
passaient, Jésus, qui était à la poupe, s'y
endormit. Aussitôt il s'éleva une si grande
tempête sur le lac, que les vagues entraient
avec violence dans la barque, qui se trouva
en peu de temp.i près d'être submergée. Les
disciples, saisis d'effroi, éveillèrent leur Maî-
tre, en lui disant : Seigneur, sauvez-nous,
nous pe'rissons.
Celte circonstance de la vie du Sauveur du
monde, et le danger où se trouvent ses dis-
ciples en sa compagnie, nous représentent
l'état et le danger où nous sommes sous les
yeux de Jésus-Christ. La barque est frap-
pée par une terrible tempête, les vents souf-
flent violemment, les flots se multiplient avec
violence, et la barque en est presque cou-
verte.
Instruisons-nous sur ces événements. Ré-
veillons Jésus-Christ, excitons notre foi, et
apprenons dans cet entrelien, 1* que Dieu
ne permet les tempêtes et les épreuves que
par un effet de sa miséricorde et pour notre
sanctification : première partie; 2° quelle
est la faiblesse de notre foi qui les y rend
contraires el qui nous effraye : deuxième
partie ; 3u qu'il faut donc recourir à Jésus-
Chnist, adorer sa conduite sur nous, et en-
trer dans les desseins de sa miséricorde pour
en profiter : troisième partie. Demandons
les lumières de Marie. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
L'ouvrage de notre sanctification est pré-
cisément l'ouvrage de lamiséricordedeDieu :
ainsi nous devons regarder tout ce qui con-
tribue à la consommation de cet ouvrage
comme renfermé dans l'ordre de cette misé-
ricorde. Or, mes frères, les tempêtes et les
grandes épreuves sont nécessaires pour la
consommation de l'ouvrage de notre sancti-
fication. Nous devons les envisager comme
de favorables effets de cette grande miséri-
corde. Voici quel a été le langage des apô-
tres envoyés pour fortifier le courage des
disi iples nouvellement engagés dan9 le chris-
tianisme : c'est, disent-ils, par beaucoup de
peines et de souffrances que nous devons en-
trer dans le royaume de Dieu.
Telle est la doctrine qu'ils ont enseignée
à cette Eglise dont nous avons le bonheur
d'être les membres, et en effet il n'y a de
salut pour nous que par là, c'est dans les
souffrances que nous trouverons noire sanc-
tification. L'homme innocent serait allé à
Dieu par la voie du repos, du plaisir et do
la grandeur ; le pécheur ne peut plus l'at-
teindre que par la voie du travail, de l'anéan-
lissemeni, des souffrances , du dépouille-
ment, de la pauvreté, au moius dans la pré-
paration du cœur, que Dieu prend plaisir
d'éprouver quelquefois par ces tristes évé-
nements pour connaître sa sincérité. Pour
vous donner la raison de tout ce que j'avance
ici, mes chers frères, jetez les yeux sur le
caractère de celui qui à rouvert le chemin
au salut, sur la qualité de ceux qu'il y a
fait entrer, sur les règles qu'il leur a pré-
sentées et sur les traces qu'il a pris soin de
leur marquer pour y arriver.
C est Jésus-Christ qui lions a rouvert le
chemin du ciel. Dieu, dit sainl Paul, l'adonné
pour chef à toute l'lï(jli$ç. Hé I qu'est-ce que
217
ORATEURS SACRES. UOM JEROME.
24K
Jésus-Christ ? C'est, dit le môme apôtre , le
médiateur entre Dieu et les hommes. Comment
s'esl-il rendu médiateur entre Dieu et les
Jionimes ? c'est en rapprochant l'homme de
Dieu et Dieu de l'homme, ce qu'il a fait par
les mériles infinis de cet état d Homme-Dieu,
par les humiliations, les rabaissements de sa
vie humaine , par le sacrifice de sa vie , sa-
crifice qui u réparé la gloire de son Père of-
fensé par le péché de l'homme , et racheté
l'homme qui s'était perdu par son péché.
Voilà le caractère de celui qui nous a ou-
vert le chemin et qui nous est proposé
comme un exemple , afin , dit saint Pierre ,
que nous marchions sur ses pas; car c'est à
quoi nous avons été appelés, et ce qui nous
paraîtra d'autant plus raisonnable , que l'é-
tal où nous étions quand il nous a appelés ,
et où nous sommes encore par l'infidélité de
notre cœur , nous y engage nécessaire-
ment.
Pour se former une idée juste de l'homme
qui entre dans la voie du salut , il faut le
considérer avant son entrée et après son en-
trée. Avant son entrée il est pénétré de l'ini-
quité de son péché , portant le caractère
d'ennemi de Dieu ; depuis qu'il est entré
dans la voie du salut, il est purifié : il sort en
y entrant de dessous l'empire de la mort ,
mais il en porte le principe au dedans de
lui-même. Il n'est plus ennemi , mais il est
toujours en danger de le devenir. Il n'a
qn'une ressource , c'est de porter ses yeux
Incessamment sur Jésus-Christ, de ne perdre
jamais de vue les exemples et le modèle qui
lui est proposé, de s'appliquer sans relâche
à marcher sur ses pas, à lui en demander
continuellement la grâce et la force; c'est
par là uniquement qu'il y peut arriver.
Car enfin, dit saint Paul, nul n'est cou-
ronné qu'après avoir combattu selon la loi des
combats. On ne doit donc point prétendre au
prix de la victoire sans avoir combattu selon
les lois et les règles qui ont été prescrites,
et la couronne n'est glorieuse que quand
elle a coûté beaucoup de peines à acquérir.
Or Dieu, qui est le souverain Seigneur, ne
nous a proposé la possession de son royau-
me qu'à condition que nous la mériterions
par les souffrances, et c'est ce qui est con-
forme à la conduite qu'il a gardée lui-même
et à notre qualité de chrétiens.
Ces principes étant supposés, convenons,
s'il vous plaît, de quelques vérités que je vous
prie de bien entendre.
1" Qu'il n'y a rien que l'on oublie plus fa-
cilement que ces principes; qu'il est très-rare
de trouver des chrétiens, je dis même parmi
les gens qui ont quelque sorte de piété, qui
gardent quelque ordre dans leur conduite,
et qui soient attentifs à éviter autre chose
que les grands vices et les passions d'éclat ;
qui aient de Jésus-Christ et de la religion
les idées qu'ils en devraient avoir ; qui con-
naissent comme il faut le fond de l'homme ;
qui soient instruits des engagements d'un
chrétien, des voies du salut et des conditions
sans lesquelles il n'y a aucune espérance
pour la possession du royaume de Dieu.
1 Ou'il n'est que trop certain j ce qui est
une suite de la première vérité) qu'il faut
partager les chrétiens en deux ordres : Us
uns sortent des voies du salut et se jettent
dans l'égarement; les autres à la vérité n'en
sortent pas. mais ils y marchent arec une
lenteur très-dangereuse ; troisième vérité,
suite des deux premières et qui est la preuve
de la nécessité des tempêtes et des grandi -,
épreuves, c'est que par là Dieu rappelle dans
la voie ceux qui en sont sortis, et le> ramène
dans le chemin du salut qu'ils ont quitté, et
par là encore il fait avancer ceux qui mar-
chent avec lenteur.
Entrez bien, s'il vous plait, dans ces con-
sidérations : nous devons dans ce monde
regarder Dieu , dit saint Augustin, comme
un bon père qui veut châtier ses enfants ;
mais non pas comme un juge cruel qui con-
damne ou qui punit des criminels. Voici
donc la conduite que Dieu tient avec nous,
qui sommes composés de corruption et d'in-
lirmilé, dont la vie est remplie de malice et
de faiblesse.
S'il ne nous donnait que des jours de joie,
l'infirmité et la faiblesse se trouveraient sou-
lagées , mais la malice et la corruption ne
seraient pas réprimées comme elles doivt nt
l'être. Si tous nos jours étaient des jours
d'affliction et d'adversité, il châtierait notre
corruption, mais il accablerait notre fai-
blesse. Il fait donc un sage mélange de l'un
et de l'autre pour remédier à tout. Il nous
donne du bien et nous fait goûter quelque
joie pour nous faire reprendre des forces, et
il se sert des jours de l'adversité pour domp-
ter nos passions et pour arrêter le cours de
nos iniquités.
Ainsi, afin que nous ne doutions pas de
son amour, et que nous connaissions sa pro-
vidence , il nous donne des jours de joie, et
afin qu'on sache qu'il prend soin de nous
corriger, et que , sentant des coups de sa
justice, nous pensions à revenir à lui, il
nous envoie des jours de tristesse, et il nous
frappe pour nous réveiller ; mais celte voie
dont il se sert porte un miel avec elle , qui
doit ouvrir les yeux du pécheur et lui faire
connaître ses misères.
Nous sommes plongés dans des jours de
tristesse, ils sont longs, ils sont durs, ils
sont cruels, si vous voulez ; ne nous en plai-
gnons pas néanmoins , nos iniquités sont
montées bien haut ; et prions le Seigneur de
ne point entrer en jugement avec les habi-
tants de la terre, parce qu'il n'y a point de
vérilé , il n'y a poinl de connaissance de
Dieu sur la terre. Les outrages, le mensonge,
l'homicide, le larcin, l'usure , l'adultère, se
sont répandus comme un déluge; c'est pour-
quoi nous pouvons dire comme un prophè-
te : La terre sera désolée, et ions ceux <ytu y
habitent tomberont dans la langueur, jus-
qu'aux béte* de la campagne ! Les misères
qui nous accablent sont des preuves de la
grandeur de nos iniquités ; car on doit juger
de la profondeur et des dangers des plaies
par la qualité des remèdes qu'on y applique.
A des maux si terribles , il fallait donc des
240 SERMON POUR LE QUATRIEME DIMANCHE D'APRES L EPIPHANIE,
châtiments sévères; à de vieilles plaies si
2oO
profondes , si enracinées, si ulcérées, il fal-
lait des remèdes caustiques et brûlants. Nous
ayons oublié ce que nous devions à Jésus-
Christ ; humilions-nous. Nous n'avons pas
voulu entendre quand on nous a dit qu'il se
montrerait à nous dans un entier dépouille-
ment, qu'il a mené une vie de souffrance et
de soumission , pour nous tracer le chemin
unique de l'éternité et la seule voie du sa-
lut ; nous ne nous sommes attachés qu'aux
biens d'ici-bas, et nous ne nous sommes oc-
cupés que du soin d'en amasser; vous en
avez fait vos idoles : ah 1 dit le Seigneur dans
sa colère, je les dissiperai dans un temps où
vous ne vous y attendrez pas. Je permettrai
qu'on vous les enlève , je tarirai vos sour-
ces, et je ruinerai vos moissons. Je permet-
trai que la main avare des hommes avides
exige de vous avec violence ce que vous ne
leur devez nullement. Je souffrirai que vous
soyez réduits à une telle extrémité, que,
pressés par la misère, vous ouvriez les yeux
comme l'enfant prodigu.', et que vous disiez
comme lui : Combien y a-t-il de serviteurs à
gages dans la maison de mon père, qui ont du
pain en abondance ? et moi je suis ici à mou-
rir de faim ; il faut que je m'en aille trouver
mon père. s
C'est le dessein de ce Père charitable dans
ces coups qu'il nous porte , mes très-chers
frères. C'est par un effet de sa miséricorde
qu'il nous réveille avec une sorte de violen-
ce, de peur que la fausse douceur de l'assou-
pissement du péché ne nous livre entière-
ment au terrible et funeste sommeil de la
mort.
Que si quelqu'un n'est pas tout à fait hors
de la voie, et qu'il marche encore, mais len-
tement, dans le chemin du salut, je lui dirai :
Vous êtes donc de ces lâches et timides que
la tempête effraye, qui croyez tout perdu
parce que quelques commodilés vous man-
quent, et vous regardez déjà comme une
ruine totale de votre famille le tetranehe-
menl d'un superflu que vous deviez à votre
religion?
Reconnaissez donc maintenant combien
vous êtes éloignés de l'esprit du christia-
nisme et des engagements de votre baptême.
Avouez en frémissant que vous êtes terrible-
ment attachés à la terre, et souvenez-vous
que ceux qui veulent devenir riches tombent
dans la tentation, dans les pièges du diable et
dans une multitude de désirs pernicieux qui
précipitent les hommes d<ms Vabhne de la dam-
nation. Comprenez bien que ceux qui se ré-
voltent contre l'ordre de Dieu, jusqu'à se
plaindre avec aigreur lorsqu'il lui plaît de
reprendre ce qu'il n'a fait que leur prêter
pour un peu de temps, tiennent à ces biens
par un amour qui est la racine de tous les
maux, et par où quelques-uns se sont éga-
rés de la foi. Tremblez, mes frères, tremblez
de celte disposition.
Ne comptez donc point sur cette prétendue
vertu dont vous vous flattez, disciples de Jé-
sus-Christ, qui ne voulez le suivre que quand
la mer est calme, qui lui faites des reproches
dès qu'il semble dormir pour vous, et qui
lui dites par vos craintes et par vos alarmes :
Quoi! Seigneur, vous ne vous mettez pas en
peine du péril où nous sommes? Il vous frappe
comme l'ange que le Seigneur envoya à
Pierre dans la prison; il le frappe pour le
faire marcher, après avoir porté la lu-
mière dans la prison pour l'éclairer. II vous
frappe de même pour vous réveiller d'un
sommeil dangereux, et pourvous faire mar-
cher d'un pas plus léger dans la voie du sa-
lut; car toutes ces tempêtes sont des effets
de sa miséricorde, il n'a en vue que votre
sanctification, c'est la faiblesse de votre foi
qui les y rend contraires, et qui vous ef-
fraye d'abord; c'est le sujet de la deuxième
partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Quelque violente que soit la tempête dont
nous sommes frappés, le calme est entre nos
mains. Ecoutez ces excellentes paroles et
celte solide instruction de saint Augustin.
La tribulation va fondre sur vous; mais
que sera-t-elle pour vous? Ce que vous vou-
drez, dit ce Père, c'est-à-dire un exercice de
vertu, une ample moisson de mérite, ou un
fruit de damnation ; tel qu'elle vous trouvera,
telle sera-t-elle à votre égard.
Le succès de tous ces mouvements est donc
entre vos mains. Vous pouvez voir finir heu-
reusement la tempête qui vous épouvante;
et les flots qui semblent devoir submerger la
barque qu'ils couvrent de toutes parts peu-
vent servir à vous purifier.
Il ne s'agit que de réveiller le Seigneur,
que vous avez laissé endormir par la fai-
blesse de votre foi, et pour cela je vous prie
de faire attention à ces deux propositions :
c'est que nous ne devons point nous livrer
aux plaintes et à l'agitation, et que ce sera
très -utilement que nous nous abandonne-
rons à l'ordre de Dieu et à la conduite qu'il
lui plaît de (enir sur nous.
Considérez donc, mes très-chers frères,
que nos plaintes et nos actions ne changent
rien dans l'état où nous mettent les événe-
ments qui nous pressent, elles retombent au
contraire sur nous, et elles nous rendent
coupables en augmentant nos peines, et que
tout ce qui nous arrive a été prédit; ainsi il
est vrai que Dieu ne nous surprend point;
ou ne sait point la religion, on ne fait point
attention à ce que disent les saintes Ecritu-
res, et c'est un grand malheur assurément.
1 ° Le Seigneur ne nous a-"-il pas dit, qu'au-
cun d?. nous par tous ses soins ne peut ajouter
à sa taille la hauteur d'une coudée? Qu'est-ce
que cela veut dire, si ce n'est que les inquié-
tudes troublent 1 homme et ne lui servent
de quoi que ce soit?
Ecoutez comme a parlé un de ces Juifs que
saint Augustin appelle des chrétiens de l'An-
cien Testament. C'est ce célèbre Mardochée
adressant sa prière à Dieu sur l'etal déplora-
ble où les Juifs se trouvaient par l'orgueil
et la fierté du cruel Aman, qui abusait avec
tant d'injustice et de cruaulé de l'autorité
qu'Assuérus lui avait donnée dans soa
r\
OftATEIRS SACHES. DOM JEKOME.
m
royaume : Seigneur, S igneur, Itoi toui-puis-
tant, toutes choses sont entre vos mains el sou-
mises à votre pouvoir, et rien ne peut résister
à votre volonté. Le danger des Juifs élait ex-
trême, et leur perte était connue assurée :
les ennemis du peuple de Dieu avaient ré-
solu de les perdre et d'exterminer l'héritage
ilu Seigneur. Font-ils des plaintes? Murmu-
rent-ils contre cette justice? Disent-ils comme
les apôtres timides : Vous ne vous mettez poin '
en peine du péril où noua sommes/ Ils demeu-
rent tranquilles, abattus sous la main de
Dieu qu'ils adorent. Seigneur, ne méprisez
pas, disent-ils, ce peuple (/u • vous avez rendu
pauvre et que vous avez racheté d'Egypte. Ils
attirent sur eux les yen* de Dieu, qui, con-
tent de leur soumission, confond leurs en-
nemis et dissipe la terrible tempête qui
leur montrait un naufrage prochain et iné-
vitable.
Quelle a été la patience de Job? Mes frères,
jamais tempête ne fut plus violente que celle
que le démon excita contre lui avec la per-
mission de Dieu. Il perdit ses biens, ses en-
fants, ses amis, sa santé. Réduit sur un fu-
mier et persécuté par sa propre femme qui
lui insulte dans ses malheurs, que dit-il?
quelle est la contenance de cet homme ,
qui, de très-riche qu'il élait, perdit en un
instant ses biens el ses enfants? !1 adore Dieu
dans une paix profonde. Le Seigneur m'a tout
ûté, dit-il, il ne dit pas, dit saint Grégoire:
Le diable m'a loutôté; il ne voit que Dieu
seul dans tout ce triste événement : Il n'est
arrivé que ce qu'il lui a plu; que le nom du
Seigneur soit béni.
Ce n'est pas qu'il ne sente ses perles el
qu'il ne soit sensible à ses malheurs; c'est
la belle remarque de saint Grégoire. Il ne
méprise pas les fléaux de Dieu, comme un in-
sensible, dit ce saint pape, i7 ne s'emporte pas
non plus contre ses jugement* comme un in-
sensé ; mais pour ne point témoigner de regret
par son insensibilité, il se jette contre terre en
gémissant sous la pesanteur de tant de fléau..-,
et pour faire voir gue les châtiments ne le pou-
vaient pas séparer de celui qui les lui faisait
sentir, il se prosterne contre terre, en disant :
Que le nom du Seigneur soit béni.
C'est ainsi qu'on peut se plaindre dans les
calamités qui nous accablent, sans crainte
que nos plaintes retombent sur nous et nous
rendent coupables en augmentant nos pei-
nes; autrement que faisons-nous par nos in-
quiétudes et nos impatiences, si ce n'est de
nous croire plus sages que Dieu, et de faire
entendre que si nous étious les maîtres des
événements, nous réglerions les choses d'une
autre façon?
N'est-ce pas accuser la justice de Dieu que
d'appeler de ses jugements, et de prétendre
qu'il y a de l'excès dans la conduite qu'il
tient sur nous? Peut-on doutef que de pa-
reils sentiments, qui augmentent nos in-
quiétudes, ne nous rendent pas plus crimi-
nels, quand on considère avec quelle ri-
gueur Dieu punit les Juifs do leurs murmu-
res, quoiqu'ils lussent accablés de fatigues,
d'afdictious et de misères? Ajoutez à ceci
que loul ce qui nous arrive a été prédit, et
(|Ue l)i< u ne nous surprend point.
un lecondeetexccll nie réflexion éa
saint Augustin. Vous failes, dit-il, profession
d< croire lout ce que Jésus-Chrisl vous a dit
dans les Ecritures, el vous vous IroaMea
qu ind ce qu'il vous a dit rient à s'accom-
plit. JésuS-Cbrist ne vous a-t-il pis dil que
(il à tort qui' vous comptei sur vos riches-
ses, sur votre établissement, sur vos char-
ges, sur voire fortune? In.-en é que tu es, on
va te redemander ton âme celle nuit même;
pour (iui sera-ce que tu os amassé? Ne nous
dirons-nous jamais une bonne fois que nous
ne somme ■ pas chrétiens pour le temps qui
s'écoule, que nous ne faisons que passer sur
la terre pour aller à l'élernilé, que, n'étant
pas de ce monde, nous ne devons pas être
surpris si Dieu nous afllige, puisque, lais-
sant jouir le monde d'un moment de joie, il
ne vous promet que ies larmes et des afflic-
tions? Songez donc que, vous plaignant de
vos souffrances, c'est dire, que vous voulez
être dans la joie avec le monde, dans le mo-
ment si court de cette vie, pour pleurer éter-
nellement avec lui dans l'autre.
Pensons donc, mes frèri s. à reco.iiir promp-
temcnl à Jésus-Christ; adorons sa conduite
sur nous , entrons avec une profonde hu-
milité dans les desseins éternels de sa mi-
séricorde, afin d'en profiler pour notre jus-
tification. C'eit le sujet du troisième point.
TROISIÈME PART1L.
Enfin, dit saint Augustin, les disciples se
réveillèrent; car réellement c'étaient eux qui
dormaient, puisque Jésus-Christ ne s'assou-
pit que lorsque notre foi s'endort. Il leur
vint dans L'esprit qu'ils avaient avec eux le
dominateur des vents et de la tempéle. Ils
vinrent donc à lui, ils le réveillèrent, et il
fit cesser la tempête. Faisons ta même chose,
continue saint Augustin, réveillons Jésus-
Chrisi , el disons-lui : Seigneur, nous péris-
sons, et nous voulons ne pas périr; mais ;:fin
que celte prière ait son effet, remarque/ s'il
vous plaît, qu'il faut la faire à Jésus-Christ
avec foi et avec confiance, el ensuite rece-
voir avec amour et avec douceur ceu\ que
Dieu nous envoie. Lu effet, mes frères, Jé-
sus-Christ ne pt nuit au démon d'exciter la
tempête dont il est parlé, que pour donner
occasion aux apôlres de se troubler, et pour
leur faire connaître par le trouble leur infir-
mité et leur imperfection ; car, ajanl dessein
de faire voir la puissance de si grâce par le
renouvellement qu'il avait résolu de faire
dans le cœur de ses apôtres, il a voulu que
leur crainte el leur timidité leur fussent con-
nues à eux-mêmes et ensuite à toute l'Eglise,
afin qu'on ne pût rapporter qu'a Dieu el a
la plénitude de son esprit celte force et
celle fermeté avec laquelle ils devaient dans
la suile affronter les plus grands périls.
Proliions de celte exe lienle leçon. Humi-
lions-nous de nos plainte», de nos murmu-
res, de nos agitations, de no- défiances. Mé-
connaissons que nous avons mérite de plus
grands reproches que ceux que J es us- Christ
253
SERMON POUR LE QUATRIEME DIMANCHE D'APRES L'EPIPHANIE.
çr;j
fit à ses disciples , en leur disant : Que crai-
gnez-vous, gens de peu de foi?
Seigneur, nous avons oublié que vous étiez
avec nous ; ie péril nous a effrayés, mais en-
fin nous revenons à vous pour vous prier de
ranimer en nous celle foi assoupie et pres-
que éteinte, cette foi qui est la source de la
prière que vous écoulez, qui obtient tou-
jours ce qu'elle demande, parce qu'elle ne
demande jamais que l'accomplissement de
votre volonté, Domine, salva nos, perimus,
faites cesser la tempête ; Seigneur, ne per-
mettez pas que nous périssions.
Avec ces dispositions, vous pouvez répa-
rer les désordres de vos infidélités et de vos
défiances ; mais s>uvenez-vous qu'il faut
que vous receviez avec amour et avec dou-
ceur ceux que Dieu vous envoie pour les
soulager dans leurs misères. Celte condition
dont je vous parle ici est établie même par
Jésus-Christ : Donnez, et il vous sera donné :
Date, et dabitur vobis. On ne peut donc ob-
tenir miséricorde de Dieu qu'en la faisant
aux autres ; et voici l'équité de cette condi-
tion expliquée par Jésus-Christ qui l'a po-
sée. Il parle d'un homme injuste et cruel
qui refuse de faire miséricorde pour fort peu
de chose à un aulre homme, après avoir
reçu lui-même de leur maître commun une
somme très-considérable. Ne fallait-il pas,
lui dit-il, que vous eussiez pitié de votre com-
pagnon comme f avais eu pitié de vous? Ad-
mirable conduite de notre Dieu 1 11 ne peut
rien recevoir de la créature, c'est elle au
contraire qui reçoit tout de lui; cependant,
pour peu qu'elle ne soit pas ingrate, et
qu'elle achète du propre fonds de son Dieu la
miséricorde qu'il lui veut faire et les ré-
compenses éternelles qu'il lui prépare, il
met l'homme en sa place ; il subslilue le pau-
vre et l'affligé, et il veut bien mettre sur son
compte et tenir comme fait à lui-même ce
que l'on fera pour celui qu'il met sous nos
yeux, et de qui il nous expose les misères.
Il ajoute encore à toutes ces avances de
sa miséricorde, qu'il se servira envers nous
de la même mesure dont nous nous serons
servis envers les autres, c'est-à-dire qu'il
veut bien que nos propres intérêts nous ser-
vent de règle pour mesurer le soulagement
que nous devons donner à la misère de nos
frères, et c'est ce que j'ai appelé recevoir
avec amour ceux que Dieu nous envoie et
qui nous disent : Sauvez-nous, comme nous
le dirons nous-mêmes au Seigneur.
Ceci est la grande règle de l'aumône. Sc-
ion l'esprit de Jésus-Christ, elle doil avoir
tieux proportions, l'une à vos misères et aux
dettes que nous voulons racheter, l'autre à
la misère des pauvres et aux besoins que
nous devons soulager.
Je vous laisse le soin d'examiner vos con-
sciences, que chacun se juge avec équité,
CD considérant son état, ses devoirs, l'em-
ploi de sa vie, l'usage de son temps, celui de
son bien, ses obligations et celles du chris-
tianisme, en un mot ce que nous devons à
Dieu, à noire prochain cl à nous-mêmes; il
n'y a personne qui ne doive dire avec le
Prophète : Seigneur, si vous examine; mes pé-
chés, gui pourra subsister devant vous ? et
ce que saint Augustin a dit en parlant à
Dieu : Malheur à ceux gui ont •> ené une vie
louable et réglée, si vous venez à les juger sans
miséricorde!
Ne nous flattons point, toutes les calami-
tés qui nous accablent sont des suites de nos
péchés. Dieu est irrité, mais il est équitable,
et durant cette vie il se ressouvient loujours
de sa miséricorde quand il nous châtie. Nous
devons juger de la grandeur de nos iniquités
par la pesanteur des fléaux dont il nous ac-
cable. Disons donc avec le Prophète : Nous
avons péché avec nos pères, nous avons fait
des actions injustes, nous sommes tombés dans
l'iniquité.
Voilà l'idée que nous devons prendre de nos
misères; voici cependant notre consolation,
c'est que le Seigneur est plein de miséricorde,
et que la rédemption que nous trouverons en
lui est abondante. Mais il faut l'acheter par
une miséricorde proportionnée à la misère
de ceux qui s'adressent à nous de sa part, en
nous demandant les secours temporels.
Vous les écoulerez avec attention et vous
les recevrez avec douceur, si vous faites ré-
flexion sur l'excès de leur misère et sur les
devoirs indispensables de votre état.
L'extrémité de leur misère ne peut vous
être mieux représentée que. par la descrip-
tion que le Sauveur du momie nous fait lui-
même de celle d'un pauvre abandonné par
un riche inhumain. Il y avait un pauvre, dit
Jésus-Christ, tout couvert d'ulcères, couché à
la porte d'un riche, qui eût bien voulu se ras-
sasier des miettes gui tombaient de la table du
riche ; mais personne ne les lui donnait.
Il n'y a qu'une différence enlre ce que le
Seigneur nous rapporte dans cet évangile et
ce que nous voyons sous nos yeux, c'est que
le pauvre abandonné esl seul, et nous som-
mes accablés par la multitude; car la misèro
est répandue dans tous les étals ; qui esl-co
qui ne souffre point, et combien y a-t-il de
gens en état de dire : Sauvez-nous, nous pé-
rissons !
Les pauvres multipliés sont couverts d'ul-
cères; toutes sortes de misères les acca-
blent, la faim, la soif, la nudité, le froid, la
maladie; une honnête pudeur les cache sou-
vent à nos yeux et les resserre dans leur ac-
cablemcnl ; imposons silence à nos passions
et à la cupidité, et la charité nous les dé-
couvrira.
Ils voudraient se rassasier des miellés qui
tombent de la table des riches, qui se plai-
gnent eux-mêmes de ce que les biens dimi-
nuent, quoiqu'on puisse certainement assu*
rer qu'un nécessaire commode ne vous a pas
encore manqué.
Cet élal malheureux cl si pressant mérite
bien qu'on soit attentif à la voix de ceux qui
l'exposent et qu'on les reçoive avec amour,
mais aussi avec discernement. Souvenez-
vous seulement, mes frère-, que vous y êtes
obligés sur votre salut, et que vous ne devez
attendre qu'une funeste condamnation si
2B5
ORATF.l RS SACRES ï)OM JEROME.
vous y manquez et si vous endurcissez vos
cu'urs sur ces pressantes misères.
Vous ries donc, chargea dans voire étal,
par un ordre de Dieu précis et indispensable,
•le les assister. Pourquoi ? c'est qu'il a mis
des fonds entre vos mains, qui sont des res-
sources assignées pour eux par l'autorité de
votre Dieu, propriétaire incontestable de
tous les biens <iue vous possédez.
Ainsi, quand on vous dit qu'il faut les as-
sister, ce n'est pas une charité que l'on vous
demande, c'est une dette qu'on exige de
vous. Ne croyez pas que vous donniez ce qui
est à vous ; apprenez que vous ne fjitcs que
payer ce que vous devez.
Ce que je vous dis ici est certain dans tous
les temps, même de prospérité, où on ne
vous demande que le superflu; car ce su-
perflu appartient toujours aux pauvres qui
sont dans le besoin, et cela par ordre précis
de Dieu. Mais dans les temps de calamité et
de misères pressantes, il faut aller au delà
du superflu, il faut prendre sur le néces-
saire, selon la bienséance, et sur ses commo-
dités. 11 faut se sentir de la misère, il faut
partager le poids des calamités, les riches et
les grands, les femmes vaines et dont la vie
n'est que mollesse, plaisir et sensualité, plus
que les autres, parce qu'elles ont plus con-
tribué à attirer la colère de Dieu par l'abus
des biens qu'il leur a donnés.
En un mot, il faut que votre aumône soit
en tout temps un sacrifice, mais dans les
temps de calamité il faut qu'il vous en coûte.
et que vous vous arrachiez une partie du
nécessaire; mais que dis-je du nécessaire,
hélas ! nous serions bien contents si vous
donniez le superflu de vos tables, de vos
meubles, de vos équipages, de vos habits,
de votre jeu, de votre sensualité.
Vous souffrez, dites-vous, vous êtes obligé
de vous retrancher; on tarit vos sources, l'on
augmente vos charges ; j'en tombe d'accord.
Nous autres religieux, nous nous en sentons
comme vous, et peut-être plus que vous;
mais après tout il faut convenir que nous ne
sommes pas encore réduits à l'état de ces gé-
néreux chrétiens de Macédoine, que saint
Paul proposait aux. fidèles de Corinthe pour
les exhorter à soulager les pauvres de l'E-
glise de Jérusalem qui avaient été pillés par
les Juifs. Ils étaient, dit ce saint apôtre,
éprouvés par de grandes afflictions, et quoi-
que leur pauvreté fût profonde, ils ont ré-
pandu avec abondance les richesses de leur
charité sincère. Ils se sont portés d'eux-mê-
mes à donner ce qu'ils pouvaient, et même
au delà de ce qu'ils pouvaient, nous conju-
rant avec beaucoup de prières de recevoir
leurs aumônes.
Seigneur, quand vous plaira-t-il de donner
aux pauvres de votre Kglise la consolation
de rendre un semblable témoignage de la
charité et du zèle de ceux à qui il faut arra-
cher par imporlunité ou par de .pieux arli-
fices ce qu'ils ont tant de fois refusé à leurs
fréquentes sollicitations?
Tout cela, me dit-on, est bien facile à
dire; les temps sont devenus si dilficiles. la
nécessité nous presse si fort, nous savons ce
qoe la loi ordonne; mais si pour l'observer
il faut donner ce que vous demandez, de quoi
\ i\ rons-nous? Mais êtes-vous assez ■feogléi
pour croire que Dieu vous abandonnera
quand vous commencerez à être fidèles et
Charitables? Ne prétendez done pas vous
mettre à couvert sous le faux prétexte d'une
nécessité que votre cupidité vous rend seule
extrême, et ne perdez jamais de vue qu'il
n'y a point de plus grande nécessité que celle
de votre salul.
Considérez, dit saint Rasile, la conduite
des naotoniers dans le temps d'une dange-
reuse tempête : ils déchargent leurs vais-
seaux, et ils jettent dans la mer ce qu'ils ont
de plus précieux, lorsque la tempête les ex-
po>e ;iu péril de perdre la vie.
Notre âme est accablée de péchés, c'est
par là que la tempête est excitée. Déchar-
geons-nous de ce fardeau par le moyen de
l'aumône. Il est bien plus juste que nous fas-
sions la même chose; car les mariniers per-
dent pour jamais ce qu'ils ont jeté dans la
mer, et se réduisent par celle perle à la pau-
vreté le resle de leurs jours, au lieu qu'en
nous déchargeant du fardeau si accablant de
nos péchés, nous nous remplissons d'autant
plus de ces richesses inestimables que rien
ne nous saurait ravir.
Non, mes frères, vous ne perdrez pas vos
biens lorsque vous vous en déferez par la
distribution des aumônes; mais les pauvres
qui vous tendent la main pour les recevoir
vous serviront de vaisseaux pour vous les
conserver et pour les faire arriver au poil.
N'ayons donc que des sentiments de dou-
ceur et d'humanité pour les p uvres; parta-
geons avec eux le fardeau d'une précieuse
abondance, afin qu'ils s'en chargent avec
joie et qu'ils le déposent dans le sein de Jé-
sus-Christ. C'est en lui que je vous souhaits
le bonheur étemel. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LF DIMANCHE DE LA SEPTLAGÉS1MK.
De l'aumône.
Ile et vos in vineam meam, et quod jusium fuerit dabo
voliis.
Allez-ivus-en aussi vous autres à ma vigne, et je vous don-
tierui ce </"' tara raisonnable {Mattli., II, 4).
Puisque le père de famille, ligure de Jésus-
Christ, ne promet la recompense, figure de
la béatitude éternelle, qu'à ceux qui, étant
conduits dans sa vigne, ligure de L'Bglise,
auront travaillé fidèlement à l'ouvrage assi-
gné à chacun, ouvrage qui est la figure des
devoirs propres à chaque eiat, il e>l impor-
tant, mes très-chers frères, de savoir préci-
sément ce que Jésus-Christ demaude de nous
dans celui où la Providence nous a placée,
afin de pouvoir nous assurer la récompense
qu'il a promise aux serviteurs fidèles.
C'est la fin que je me propose dans ce dis-
cours, et comme je parle à des personnes
riches aux termes de l'Ecriture, c'est-à-dire
à qui Dieu a donné des biens de ce monde,
et qui, bien loiu de fermer leurs cœurs et
leurs entrailles en voyant la nécessite de
SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA SEPTUAGES1ME. 258
s'assemblent au contraire a placés pour sa gloire et pour leur saint
257
leurs frères, ne
que pour contribuer à leur soulagement, je
veux travailler, autant que Dieu m'en rendra
capable, à forliûer cette heureuse disposition
dans ce discours, qui n'aura que deux par-
ties. Dans la première, j essayerai de vous
faire voir que ce que Dieu exige principale-
ment des riches, c'est qu'ils assistent les
pauvres dans leurs besoins; c'est là le mi-
nistère dont ils sont chargés dans la famille
de Jésus-Christ, c'est proprement leur tâche
dans la vigne du Seigneur. Dans la seconde,
j'essayerai de vous faire voir que c'est à l'ac-
complissement de ce devoir que Dieu a atta-
ché des récompenses capables de nous le faire
aimer.
Nous tirerons les preuves de ces proposi-
tions de notre évangile, après que nous aurons
demandé l'assistance du ciel. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
La preuve de ma proposition dépend de
trois vérités importantes qu'il faut établir :
la première, que les biens des riches ne sont
point proprement à eux, ils les tiennent de
la main de Dieu, à qui ils appartiennent en
propriété; ils n'en sont que les économes,
c'est là proprement l'état des riches. Dieu ne
leur en a donné l'usage qu'à des conditions
qui regardent le bon ordre de sa famille, la
culture de sa vigne et ses desseins éternel^
sur les différents ouvriers qu'il y appelle;
ces conditions forment les devoirs de l'état
îles riches. Le violement de ces conditions
rend les riches prévaricateurs dans leur mi-
nistère, et les charge de tous les désordres
qui s'ensuivent de ce violement. De là l'obli-
gation précise et indispensable pour les riches
d'assister les pauvres dans leurs besoins;
car c'est pour remplir ce devoir que le Sei-
gneur les a mis dans sa vigne.
Non, chrétiens, les biens du monde que
vous possédez ne sont point à vous propre-
ment; vous les tenez delà main de Dieu,
c'est à lui qu'ils appartiennent en toute pro-
priété, il \ous l'apprend par la parabole de
l'Evangile; car comme ceux qu'il envoie
dans la vigne n'en sont pas les propriétaires,
mais de simples ouvriers à qui il donne le
soin de la cultiver aux conditions d'une ré-
compense qu'il leur promet, ces biens sont
des moyens qu'il fournit à ceux de votre
étal pour mériter par les bonnes œuvres la
béatitude qu'il leur a gratuitement préparée
pour l'éternité.
D'ailleurs, mes frères, tout ce que nous
tenons de la main d'un autre, et qu'on peut
nous ôler quand on veut sans nous en don-
ner de raison, et même dans le temps que
nous en avons plus de besoin, suivant les
projets que nous avons formés et les desseins
que nous avions pris, est une preuve sensible
que nous ne sommes pas des maîtres en pro-
priété.
Tels sont les biens de la terre cl les ri-
chesses que vous possédez. Dieu vous les
donne, car c'est la Providence qui vous a
placés où vous êtes. Tous les hommes sont
égaux à ses yeux ; ce sont des ouvriers qu'il
dans des endroiis différents de sa vigne. 11
vous les a donc donnés ces biens sans que
vous les ayez acquis, comme les ouvriers
qu'il envoie. Mais il vous les ôle quand il
lui plaît. Ecoutez le discours d'un homme
riche. Voici, dit-il, ce que je ferai : j'abattrai
mes greniers, et j'en ferai de plus grands.
Mon âme, ajoute— t-il, tu as beaucoup de bien
en réserve pour beaucoup d'années; repose-
toi, bois, mange, fais bonne chère. Voilà le
langage d'un homme qui se croit maître de
ses biens, et qui forme des projets sur ce
qu'il croit lui appartenir, et dont il se pro-
pose de disposer souverainement.
Mais entendons parler Jésus-Christ : Insensé
que tu es, on va te redemander ton âme cette
nuit même : et pour qui sera ce que tu as amas-
se? C'est donc une grande folie que de former
des projets sur ce qui ne nous est donné
qu'en dépôt. Ouvrons maintenant les yeux
sur ce qui se passe, ne voyez-vous pas tous
les jours des desseins formés sur le bien que
l'on possède et sur les richesses qu'on voit
entre ses mains, renversés par celui qui en
est le propriétaire, et qui, n'ayant fait que
les prêter, se fâche enfin de l'abus qu'on en
fait ? L'établissement de cet enfant, cette
charge qu'on allait acheter, ce mariage prêt
à conclure, ce bâtiment et ces palais dont on
avait arrêté les desseins et déjà jeté les fon-
dements : on avait amassé de quoi fournir à
tout, mais on ne pensait pas que rien de touf
cela n'était à nous, pas même notre vie. Ils
meurent tout d'un coup, et au milieu de la
nuit, dit l'Ecriture, ils seront remplis de
trouble, et ils passeront. Oui, mes frères,
celui qui fait violence aux desseins de Dieu
sera emporté sans qu'on voie la main qui le
frappe. Commencez-vous à comprendre que
les biens qui sont entre vos mains ne sont
pas à vous? car pour qu'ils vous appartins-
sent en toute propriété, ii faudrait que nul
autre ne pût vous les ôler malgré vous, et
que vous fussiez en droit de vous les faire
rendre si quelqu'un avait entrepris de vous
les ôter.
Apprenez donc de l'apôtre saint Paul à
n'être point orgueilleux et à ne pas mettre
votre confiance en des richesses incertaines
et méprisables; reconnaissez ce que voua
êtes : en voici l'idée dans l'aveu que Job fait
de sa misère.
Ecoutez, riches, grands seigneurs, femmes
vaines, entêtées de votre naissance, gens de
fortune éblouis et enivrés par l'ahondancc
de vos biens; voici votre origine. Qu'avez-
vous apporté en ce monde? vous y êtes en-
trés nus. Voici votre fin, qu'en emporlerez-
vous? vous en sortirez nus. Vos biens, vos
dignités, vos palais, vos charges, vos maisons
de délires, tout cela demeurera sur la terre.
Vous n'avez donc que ce que vous avez reçu
et que ce qui vous sera ôté peut-être dès de-
main. Qu'avez-vou< donc qui soit à vous?
Où est votre domaine? que possédez-vous
qu'il ne faille pas peidre malgré vous? quel
est votre droit de propriété? Dieu seul eu
est revêtu.
ORATEURS SACHES. DON JEROME.
Remplissez vous donc bien de celle vérilé,
<,iii 8| parlienl à la fui cl à la religion, que
Dieu et ni la souveraine» raison et la sagesse
éternelle, il conduit toutes choses à ses lins;
il place les hommes suivant ses desseins
éternels; il fait le riche comme il lait le pau-
vre, le petit connue le grand.
Nous vous dirons dans un moment quelles
sont ses vues dans celte inégalité de condi-
tions, qui lendent toutes à notre sanctifica-
tion : retenez seulement que celui qui vous
n placé sur la terre dans un élal agréable
selon les sens, vous a chargé d un ministère,
et que vous ne tenez dans sa vigne ce rang
où il vous a placé qu'à des conditions qu'il
faut vous expliquer.
Le propriétaire de la vigne dil à un ouvrier
qui se plaint : Mon ami, je ne vous fais point
de tort, ne vous êtes-vous point accordé avec
moi? Nous avez reçu vos Mens de Dieu, qui
ne vous les a donnés qu'à certaines condi-
tions; c'est un pacte qu'il a fait avec vous.
Lors donc que nous vous demandons ce qu'il
s'est réservé par le pacte, nous ne vous fai-
sons point de tort.
Voici les conditions : vous ferez deux paris
dans les biens que vous avez reçus de moi;
l'une pour vous, l'une pour le pauvre. La
première part s'appellera le nécessaire, la
seconde le superflu : Toile quod tuum est:
Prenez ce qui vous appartient et donnez
l'aumône de ce que vous avez de superflu.
Voilà voire ministère, voilà ce que j'exige
de vous en vous pinçant avantageusement
dans ma vigne. C'est là votre lâche : répri-
mer la cupidité en la renfermant dans le
nécessaire el en la forçant de distribuer le
superflu; c'est par là que vous vous sancti-
Gerez.
Non, mes frères, vous n'avez droit que sur
le nécessaire, c'esl ce que Jésus-Christ nous
a enseigné dans celle excellente prière qui
est le modèle de toule prière chrétienne, et
qui renferme toul l'ordre de nos désirs et de
nos devoirs. Il nous apprend à ne demander
que le nécessaire et à le demander chaque
jour : Panem nostrum quotidianum. Panem,
le nécessaire, point de supci Huilé; quotidia-
num, au jour le jour ; point d'amas, point de
ces avares prévoyances, quoique nous n'ex-
cluyons pas une prudence sage el éclairée;
point de ces soins empressés d'acquérir ,
d'accumuler, qui déshonorent la Providence,
et qui marquent que nous n'établissons point
notre confiance dans le Dieu rivant qui nous
fournit tout ce qui est nécessaire à la vie.
C'est dans ce sens que l'apôtre saint Paul,
interprète de l'Evangile, nous dit dans 1 Kpî-
tre à Timothée, qu'ayant de quoi nous nour-
rir et nous vêtir, nous devons vire content s;
el il nous en donne la raison : C'est , dil-il ,
que nous n'avons rien apporte en ce monde, et
que nous ne devons en rien rapporter. Nous
ne sommes dans ce monde qu'en passant pour
aller à notre patrie , nous n'avons droit que
sur ce qu'il nous faut pour fournir aux néces-
sités de notre passage.
Entrez bien, s'il vous plaît, dans ce grand
principe de la vie chrétienne : nous sommes
faits pour Dieu M nullement pour le monde;
ainsi tout amour des créatures pour elles-
mêmes est mauvais et déréglé, ce qui n'exclut
cependant pas l'usage des créatures , ni mê-
me une sorte d'amour, mais l'amour d
créatures pour elles-mêmes, c'est-à-dire un
amour qui se repose sur la créature , qui | n
l'ail sa fin , et qui tend à jouir de ce qui n'est
donné que pour l'usage, et qui n'est pas no-
tre bien véritable.
Car prenez garde que sainl Augustin dis-
tingue deux sortes d'amour, l'un qu'il ap-
pelle amour passager, charitas trantitorta,
el un autre qu'il appelle un amour fixe et
permanent, charitas tnansoria; amour des
moyens qui nous conduisent à noire fin dans
l'ordre de Dieu ; amour qui nous attache à
noire bien véritable, unique, fixe, éternel,
qui (Si Dieu.
Ainsi les biens que Dieu vous a donnés
sont des moyens que sa providence vous
fournit pour conserver votre vie, pour gar-
der les bienséances de voire état et pour sa-
tisfaire aux nécessités de votre passage dans
la condition où il vous a placé ; vous pouvez
les aioier de cet amour de moyen pour aller
à Dieu.
L'usage que vous en ferez étant donc ren-
fermé dans les borne-; d'une véritable néces-
sité ne peut pas être désagréable à Dieu,
puisqu'il est dans son ordre el que vous de-
vez vous sanctifier en l'observant.
Mais prenez garde que je dis une véritable
nécessité , une nécessité réelle , el non pas
une nécessité imaginaire qui n'est fon Jée que
sur la concupiscence et sur les fausses maxi-
mes du monde ; car ce serait être déraison-
nable, el même aller contre l'ordre de Dieu,
que de ne vouloir pas qu'une femme de con-
dition soit autrement vêtue que celle qui n'en
est pas.
L'ordre demande qu'il y ail de la distinc-
tion dans les personnes d'une haulo naissan-
ce et celles du commun; entre les magistrats
ou des gens placés dans les charges publi-
ques et éminentes , et des particuliers qui
n'ont point de rang. Mais l'ordre de Dieu est
entièrement renversé par les excès où la cu-
pidité a poussé le luxe dans les habits, la
magnificence dans les meubles , la vanité
dans les équipages, la superfluile sur les ta-
bles, et les dépenses énormes dans une infi-
nité de choses qui ne servent qu'à la vanité,
au plaisir el à la volupté.
Par là vous faites voir que vous ue regar-
dez plus les biens que Dieu vous a donnés
pour en user simplement, mais pour en jouir;
ce n'est plus un usage, c'esl une jouissance:
vous vous attachez à ces biens pour eux-
mêmes, vous ne les regardez pas comme dt »
moyens pour aller à Dieu, vous vous y repo-
se/, vous en faites votre lin: vous les recher-
chez pour la vanité, pour la volupté, pour la
curiosité, (tour le plaisir; en un mol vous
vous rende/, le propriétaire de la rigne
dans laquelle le Seigneur ue vous a introduit
que pour v être l'un des ouviiers de journée;
vous ne laites plus de dislin lion entre le su-
I erflu et le nécessaire comme Dieu l'exige de
2Gl
SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA SEPTUAGES1ME.
îifiâ
vous, ci l'orgueil qui vous domine croissant
tous les jours, vous vous fuites tous les jours
de nouvelles nécessités qui vous obligent de
confondre le superflu avec le nécessaire. Es-
sayons de vous faire sentir la nécessité de
distinguer ces deux choses que la cupidité
vous fait confondre , par une belle réflexion
sur la conduite que Dieu a gardée avec le
premier homme.
Il le plaça dans le paradis terrestre, qui
était un lieu de délices ; il lui donna l'usage
des fruits de tous les arbres de ce Heu char-
mant , il n'y en eut qu'un seul auquel il lui
défendit de toucher sous peine de la vie. Que
prétendait-il, dit saint Augustin, en lui faisant
cette défense, et quelle était la différence de
cet arbre avec tous les autres? D'où avait-il
pris ce poison capable de tuer celui qui en
ferait usage?
Dieu voulait faire sentir, mes frères, sa
souveraineté à Adam ; il voulait lui appren-
dre qu'il était une créature dépendante de
son pouvoir , qu'il était dans un lieu où il
n'était pas le maître , et d'où il pouvait être
chassé par celui qui l'y avait placé. En effet,
dit saint Augustin , le péché d'Adam ne fut
que l'amour de l'indépendance, il agit comme
étant le maître absolu de tous les biens qu'il
avait reçus de Dieu.
Riches de la terre, Dieu vous a placés dans
une espèce de paradis terrestre. Vous avez
tout en abondance, il y a un nombre de cho-
ses dont l'usage vous est permis dans les rè-
gles de la nécessité, et celte nécessité va plus
loin pour vous que pour une infinité d'au-
tres, il faut l'avouer; mais il vous a fait une
loi, c'est de distribuer aux pauvres ce qui
vous reste, après avoir satisfait- aux néces-
sités de votre condition réglée par l'Evangile,
par l'esprit de la religion , par l'exemple de
Jésus-Christ, par celui des saints et par la
doctrine de l'Eglise, qui est celle des Pères.
11 a mis sa main sur celte portion des biens
dont il vous a donné l'usage , il se l'est ré-
servée pour les pauvres, qui sont ses enfants
comme vous. Voire orgueil ne peut pas souf-
frir cette dépendance, vous ne voulez point
recevoir celle loi, ni reconnaître de maître
au-dessus de vous ; vous voulez être de peti-
tes divinités dans votre élévation.
On vous fera sentir dans un instant quo
vous n'êtes que de faibles créatures , cl vous
serez chasȎs non-seulement de votre para-
dis terrestre, mais de celui que Dieu prépare
à ceux qui ont eu soin des pauvres, qui ont
nourri ceux qui avaient faim et vêtu ceux qui
étaient nus; car vous n'avez pas tenu les con-
ditions du pacte que Dieu avail fait avec vous,
cl par le violement de ces conditions vous êtes
devenus prévaricateurs dans votre ministère,
et chargés de tous les désordres qui suivent
de ce violement.
Les voici ces désordres : écoulez-les bien ;
mais auparavant établissons ce principe que
Dieu, qui gouverne et qui règle tout par sa
providence, a fourni dans sa famille des biens
suffisants pour la subsistance de tous ceux
qui la composent. Ne voyez-vous pas que le
sa^c cl charitable père ch: famille \ icut à tou-
tes les heures du jour chercher des ouvriers ?
11 sort dès la pointe du jour, à la troisième,
à la sixième , à la neuvième heure, et enfin
il sort encore à la onzième heure du jour,
pour que personne ne resle oisif et sans oc-
cupation ; il pourvoit à tout et il promet à
chacun ce qui lui convient.
C'est pour cela qu'il a réglé le partage des
biens entre ses enfants; partage si raisonna-
ble et si plein de justice, qui donne aux riches
le droit de prendre le nécessaire pour eux
sur les biens qu'il leur a donnés, leur com-
mandant d'ailleurs de répandre le superflu
sur les pauvres pour leur subsistance : par
là Dieu rend une espèce d'honneur à l'état où
il vous a mis ; il consent que vous vous par-
tagiez le premier en prenant sur ses biens
qui sont entre vos mains ce qui est néces-
saire selon la bienséance réglée de votre état;
mais pour le superflu, il veut que vous le ré-
pandiez sur le pauvre, et souvenez-vous que
ce devoir est essentiel dans votre état, c'est
votre ministère.
Nous sommes tous égaux devant Dieu, tous
enfants de la même famille. Nous avons tous
été tirés de la terre et nous retournerons tous
dans la terre. Nous sommes des ouvriers ap-
pelés et introduits dans la vigne par le père
de famille; nous aurons tous la même récom-
pense. Il est vrai que l'ordre que le père a
établi dans cette famille demande que celle
égalité soil cachée dans l'espace si court de
la vie présente par la différence des condi-
tions; mais il veut que la foi la fasse subsis-
ter entre ses enfants, et que la charité se dé-
couvre par le soin que les aînés, qui sont les
riches, se chargent de prendre des pauvres,
qui sont les cadets de celle famille; en sorte
que c'est un ordre admirable de la sagesse de
Dieu. Ce que la nature ne fait point, la grâce
l'établit, et le riche trouve le moyen de se
sanctifier en donnant avec amour ce qui
n'est point à lui, comme le pauvre se sancti-
fie en demandant avec humilité ce qui lui
appartient des biens de son père ; c'est la pen-
sée de saint Augustin.
Mais si le riche, oubliant ses devoirs et
confondant le superflu avec le nécessaire,
donne tout à sa cupidité et ne réserve rien
pour le pauvre; si, méprisant ces lois si pré-
cises el si essentielles de son état, il dit, com-
me le prince superbe et insolent dans l'Ecri-
ture : Et qui est le Seigneur? Ne suis-je pas
le maître de mon bien? la confusion el le dés-
ordre se répandra par toute la famille de ce
père qui a réglé toute chose avec tant de sa-
gesse.
L'un nagera dans l'abondance et dans les
superfluités , pendant que l'autre sera abîmé
dans la misère et dans une affreuse indigen-
ce; que produira celte effroyable inégalité, si
ce n'est ce que l'injustice et la durcie des
mauvais riches nous fait voir tous les jours?
Qui est-ce qui ne sera pas tenté de croire
qu'il n'est pas possible qu'un Dieu sage, jus-
te, toul-puissani, charitable, soit le père ten-
dre de ceux qui passent leur vie dans l'op-
pression, dans la misère, dans l'accablement,
dans le besoin de toutes < hoscs; sans paiu;
2C5
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
164
sans feu, sans vêtements, errants et vaga-
liomls, sans retraite, sans ressource, sans
consolation, et cela par la faute de ceux à
(]ui rien ne manque, qui sont dans l'abon-
dance, (liez qui tout brille, qui regorgent de
lionne chère, qui sont abîmes dans la mol-
lesse, et qui donnent tous les jours an luxe,
au plaisir, à la vanité, ce qui suffirait pour
faire subsister honnêtement dix de leurs frè-
res qui périssent faute de secours'.'
Seigneur, vous vous êtes plaint souvent
par vos prophètes que la mauvaise vie de vo-
tre peuple était cause que les païens blas-
phémaient votre nom adorable, cl qu'ils mé-
prisaient ce Dieu à qui des hommes si déré-
glés se vantaient d'appartenir. Que diraient-
ils, Seigneur, ces païens qui prenaient tant
de soin pour qu'il n'y eût point de pauvres
parmi eux , s'ils voyaient la conduite des
chrétiens qui se vantent d'appartenir à Jésus-
Christ , qui se glorifient d'être les dépositai-
res de son Evangile , qui se font un devoir
d'en faire tous les jours leur lecture , et qui,
voyant la misère de leurs frères sans les se-
courir, lisent leur condamnation sans en être
touchés ! Ne diraient-ils pas qu'il faut ou que
notre esprit soit égaré, si notre religion est
véritable, ou que notre religion est fausse et
même détestable, puisqu'elle fait des hommes
si déréglés?
Cependant, riches de la terre, c'est-à-dire,
riches voluptueux, prodigues pour le luxe,
avares pour la charité, insensibles à la mi-
sère du pauvre, sensibles à la volupté, atten-
tifs aux plaisirs, vous demandez lousles jours
àDieu tranquillement que son nom soit sanc-
tifié, et au sortir de votre prière vous ne voyez
pas, vous ne sentez pas que votre conduite
est un blasphème continuel contre la vie de
Jésus-Christ, contre les règles de l'Evangile,
contre les lois de votre état 1 Mais à quoi pen-
sez-vous donc quand vous prononcez ces pa-
roles : Sanctificetur nomen tuum, que votre
nom soit sanctifié? N'appréhendez-vous pas
qu'il ne vous prenne au mot et qu'il ne sanc-
tifie sur vous son nom terrible en vous écra-
sant par un coup de sa justice et de son in-
dignation? Car vous êtes cause que son saint
nom est blasphémé, non par les païens, mais
par vos frères que vous y contraignez en
quelque sorte.
N'êles-vous pas cause en cfTel et des plain-
tes et des murmures que forment contre Dieu
ceux qui s'en croient abandonnés? N'est-ce
pas vous qui donnez lieu à leur désespoir, à
leurs in précalions et aux emportements où
les conduisent les extrémités où ils sont ré-
duits? N'est-ce pas la misère qui les jelle
dans la débauche, cl qui les contraint d'em-
brasser des professions où la perle de leur
âme est assurée ?
Quoi ! des chrétiens qui foui profession
d'adorer un Dieu qui a donné sa propre vie
pour leur salui, et qui leur recommande, par
la loi qu'il leur a laissée, de faire pour leurs
frères ce que lui-même a l'ail pour eux, ver-
ront périr ces mêmes frères sans en être tou-
chés , .pendant qu'ils peuvent soulager leurs
Uiisércs cl sauver leurs âmes de «la morl au
prix de mille choses qu'ils consacrent au
plaisir et à la vanité! Malheur à vou-, riche-,
qui avez votre consolation en ce monde I ter-
rible parole! fasse le ciel qu'elle ne tombe ja
mais sur aucun de ceux qui m'écoulent ; mais
au contraire faites, Seigneur, que, s'a< quit-
tant du ministère que vous leur ;we/. conGé
dans votre famille , et s'appliquant avee
amour à soulager la misère de leurs frères,
ils méritent les récompenses que vous avez
bien voulu attacher à l'accomplissement de
ce devoir : je vais vous les exposer dans la
dernière partie de ce discours.
SECONDE PARTIE.
Je vous dirai d'abord que la récompense
est attachée à la grandeur de l'action même,
c'est-à-dire que le seul avantage de faire
l'action, de soulager la misère du pauvre,
tient lieu de récompense à celui qui la fait. Je
vous dirai ensuite que celle action augmente
de mérite, et par conséquent de récompense
et de prix , par la dignité des personnes qui
reçoivent le soulagement. Enfin je vous dirai
que la magnificence de celui au nom de qui
le soulagement est donné met le comble à la
récompense.
11 est certain, mes frères, qu'il y a des ac-
tions si grandes par elles-mêmes, que le seul
avantage de les avoir faites tient lieu de ré-
compense à leur auteur : telle est la libéra-
lité et celte grandeur d'âme qui fait qu'un
homme ne regarde ses biens que comme des
moyens propres à soulager la misère des
autres.
Les païens l'ont si bien reconnu, qu'ils
n'ont pas craint de dire d'un homme libéral
qu'il ne paraissait pas un homme mortel,
mais une divinité favorable, dont le sein était
toujours ouvert pour les malheureux.
En effet, quelle gloire plus touchante pour
on homme que d'entendre dire qu'il n'est né
que pour le bien général du monde, et qu'il
ne met sa félicité qu'à rendre les autres heu-
reux? Quel sera donc pour un chrétien le
mérite d'une action qui a la charité pour
principe, et qui lui donne l'avantage d'être
le vengeur de la religion, l'exécuteur tl s
desseins de son Dieu et le consolateur de ses
frères?
Je vous disais il n'y a qu'un moment que
le riche qui a des biens de ce monde, et qui
ferme ses entrailles sur la misère du pauvre,
rend suspecte la justice cl l'équité de Dieu,
donne lieu de douter de la vérité de ses pa-
roles, jelle des soupçons sur la Providence,
et porte à croire que s'il est père de tous les
hommes, il est un père injuste dans la distri-
bution de ses biens, qui met les uns dans
une abondance monstrueuse, pendant qu'il
laisse les autres dans la nécessite.
Le riche charitable, au contraire, dissipe
ces soupçons, venge la religion, prouve la
Providence et fait sentir aux misérables qu'il
est un Dieu sage et puissant, attentif à leurs
misères, qui sait leur fournir des secours
quand ils se croient abandonnés absolument,
et qui les obligent de dire comme saint Pierre
sortant du cachot où il était lie de deux
SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA SEPÏUAGF.SIME.
206
chaînes : Je sais maintenant qu'il y a un Dieu,
ses yeux se sont ouverts sur mes misères; car
il m'a envoyé' son ange.
C'est en effet ce litre honorable que le
riche mérita de porter dans l'exercice de la
charité ; car les esprits bienheureux sont ap-
pelés par l'apôtre saint Paul, les serviteurs
et les ministris qui sont envoyés pour exercer
leur ministère en faveur de ceux qui doivent
être les héritiers du salut, et c'est la gloire
du riche d'être appelé par la miséricorde de
Dieu dans la dispensalion de sa providence,
de sa libéralité et de ses soins sur les pau-
vres qui sont les héritiers du salut.
Quelle gloire en effet pour une âme chré-
tienne d'aller porter la consolation dans
celle d'un pauvre que la misère avait plon-
gé dans la douleur, de s'entendre appeler la
bienfaitrice, la libératrice, la prolectrice des
malheureux qui sont les noms de Dieu même !
Quelle récompense pour une aumône qui
n'intéresse ni la nécessité, ni la bienséance
réglée de l'état, que d'entendre dire de soi:
Elle a servi à marier ma fille, elle m'a tiré
de la misère, et m'a sauvé de divers périls 1
Que si ces titres et ces éloges son' trés-ho-
norables sur la terre, ils le seront bien da-
vantage étant écrits dans le livre de vie, et
subsistanldevanl Dieu durant tou!e l'éternité,
surtout si nous y ajoutons l'augmentation
du prix et de la valeur de l'aumône prise de
la dignité delà personne qui la reçoit.
Le Sage nous recommande de prendre
garde à qui nous faisons du bien, et il ajoute
que c'est au juste à qui il faut en faire. Chré-
tiens, on veut épargner ici le soin de faire
le discernement ; car si c'est le juste qu'il
faut choisir pour assurer la récompense que
Dieu promet à celui qui donne en son nom,
vous devez donner sûrement aux personnes
pour qui nous parlons.
Ce sont des vierges (1) chrétiennes qui ont
tout abandonné pour conserver leur foi, et
qui, dans le désir ardent de garder une très-
exacte fidélité au Seigneur, qui les a retirées
d'un royaume de ténèbres où régnent les
ombres de la mort, sont entrées dans les
voies de la plus haute perfection, en se con-
sacrant par des vœux solennels aux exer-
cices d'une pénitence continuelle et sévère.
Ne doutez pas que la dignité de tels pauvres
ne relè\e le prix de voire aumône. Nous
vous disions, il n'y a qu'un moment, que
c'était une gloire pour vous d'être destinés
dans l'ordre de Dieu à êlre les ministres de
la Providence dans le soin des pauvres; mais
quel rehaussement de gloire iians celte cir—
conslancc-i i 1 Dieu vous choisit pour acquit-
ter ses promesses; il s'est engagé de donner
le centuple à ceux qui auront abandonné
pour lui leurs maisons, leur père, leur mère,
leurs frères et leurs terres; c'est à vous qu'il
alrcsse ces illustres pauvres, que la foi et
la rcl'gion onl dépouillés entièrement, pour
leur donner ce qu'il leur a promis cl pour
acquilter sa parole. Il est des pauvre., dit
saint Augustin, qu'il faut prévenir, et ne pas
ce Père, rechercher si les serviteurs de Dieu
n'ont pas besoin de votre secours, et ne pas
dire: Je leur donnerai s'ils me demandent.
C'e;t une honte et une confusion pour vous
d'attendre qu'un ministre de Jésus-Christ
vous dise qu'il est dans le besoin.
Suivez l'exemple des habitants de Thessa-
loniquc: ils n'attendirent pas, dit saint Paul,
que les ptuvres de Jérusalem leur deman-
dassent. Nous n'avions pas besoin de les pres-
ser, au contraire, dit cet apôtre, ils sont ve-
nus au-devant de nous, et ils nous ont solli-
cités avec beaucoup d'instances de recevoir
ce qu'ils étaient en état de nous donner; ils
ont mên:e été au delà de ce qu'ils pouvaient.
Ne vous laissez pas vaincre par des peuples
étrangers et infidèles. Donnez des marques
éclatantes de votre foi. Consacrez une por-
tion de vos richesses à l'entretien des domes-
tiques de la foi, et contribuez à la subsi-
stance de ces vierges chrétien nés qui élèvent
jour et nuit pour vous vers le ciel des mains
innocentes et pures; contribuez, dis-je, à les
faire vivre, en leur donnant quelque chose
des biens que vous avez reçus des mains de
leur époux; vous vous attirerez les effets de
cette magnificence du Seigneur, qui met en-
fin le comble à la récompense attachée à
l'exercice de l'aumône.
Car comme c'est non-seulement en son
nom que vous donnez, mais même que c'est
lui qui reçoit ce que vous mettez dans la
main du pauvre, puisqu'il dit dans l'Evan-
gile que c'est lui-même qui a eu faim et soif
dans sa personne; c'est lui-même qui se
charge aussi de vous en marquer sa recon-
naissance et qui se constitue votre débiteur.
C'est ce qui fait que nous voyons dans cette
parabole, que le père de famille prend soin
(le faire distribuer la récompense à chaque
ouvrier. Surtout n'oubliez pas, chrétiens,
que les mains de Jésus-Christ onl la vertu
de mulliplier ce qu'elles reçoivent et ce
qu'elles touchent; car vous savez que de
cinq pains qu'on lui présenta dans le désert
il en nourrit cinq mille personnes; ainsi le
peu que vous donnerez multipliera à l'infi-
ni dans les mains du Seigneur ce que vous
donnerez ; et ne voyez-vous pas dans notre
évangile que ceux qui n'avaient travaillé
dans la vigne que depuis la onzième heure
reeurent autant que ceux qui avaient porté
le poids du jour et de la chaleur? Telle est la
bonté et la magnificence de notre Dieu à qui
tout est possible, et qui, ne regardant que le
cœur, porte des jugements bien différents de
ceux, des hommes.
Ne perdez donc pas cet avantage que la
miséricorde de Dieu vous offre; car oulre
que c'est un devoir essentiel dans votre con-
dition, et que l'état de riches vous engage à
secourir le pauvre si précisément que je ne
craindrai pas de vous dire que de ne le pas
faire quand vous le pouvez, c'est vivre dans
l'état de péché, el d'un péché qui exclut du
ciel, c'esl qu'enfin l'aumône est presque la
seule voie que la miséricorde de Dieu vous
ouvre pour rentrer i n grâce avec lui, et pour
attendre qu'ils demandent.. Vous devez, dit
(1) Ce discours fui prononcé pour le soulagement des religieuses anglaises, dans leur église
Orateurs saches. XXX. 9
207
ORATEURS SACRES. DOM JEROMI..
<J68
obtenir le pardon d'un nombre infini do fau-
lei dont vous de, coupable». Car que pour-
rions-nous exiger <le vous? De longues priè-
res el de fréiueules réflexions sur L'étal de
votre vie, sur la justice île Dieu, sur les re-
ntes éternelles? V us êtes, dites-vous, char-
gés de trop de soins, voire imagination t
trop vive, vous n'êtes pas capables de ces
alicnlio.is. Sonl-CC des jeûnes que nous vous
demanderions? Mais vous êtes si faiblesel d'un
tempérament trop délicat pour pouvoir sou-
tenir ces sortes de pratiques. Serait-ce la
retraite du monde, le silence, la séparation?
Vos engagements ne ic permettent pas; vous
avez une Famille qu'il faut entretenir; la so-
litude vous fait peur, elle vous jette dans un
abattement et un chagrin contraire à votre
santé.
Il faut pourtant expier vos péchés et satis-
faire à la justice de Dieu, et je ne vois que
l'aumône par où vous puissiez les racheter
et apaiser la colère du Seigneur. Je vous dis
donc ce que dit Daniel à Nabuchodonosor :
Rachetez vos péchés par l'aumône: Peccata
tua eleemosynis redime: mais en vous pres-
crivant ce conseil, j'ai trois avis à vous don-
ner, et je finis.
Le premier, c'est qu'il ne faut pas regar-
der vos péchés en gros, superficiellement,
en général ; il faut entrer dans le détail, en
examiner la qualité, le nombre, les circons-
tances, les suites, la durée et vos habitudes :
en voici la raison, et c'est le second avis.
Le second avis, c'est qu'il faut mettre une
proportion entre vos aumônes, et vos pé-
chés ; car s'il est vrai que, comme l'eau éteint
le feu quand il est ardent, Vaumône résiste
au péché, comme dit l'Ecriture, il est vrai
aussi qu'on n'éteint pas un grand feu avec
un verre d'eau, et par conséquent on ne sa-
tisfait pas à tant de sortes de péchés dont on
s'est rendu coupable par une légère aumône.
On ne satisfait pas à sa justice pour tant de
divertissements criminels que l'on a pris,
pour tant de folles dépenses que l'on a faites
en meubles, en bijoux, en festins, en jeux,
en habits, pour tant de temps peniu en visi-
tes inutiles, en conversations libres et peu
chrétiennes, en menant une vie oisive, molle,
el par là même scandaleuse, parce qu'on
donne en passant une aumône médiocre : il
faut de la proporlion.il faut qu'il en coûte
auv passions, il faut incommoder l'homme
corrompu, il faut que l'amour-propre souf-
fre et que l'orgueil, la vanité et la mollesse
e:\ fassent les frais.
Enfin le troisième el dernier avis est très-
imporlant : c'est qu'il ne faut pas croire qu'il
sufiil à un pécheur de donner l'aumône pour
ôtre sauvé, sans qu'il renonce à son péché ;
car toute aumône, pour être méritoire et
digne d'ôlre offerte à Dieu, doit être faite
dans l'étal de grâce, ou au moins dans le de-
sir de celle grâce ; autrement ce serait regar-
der Dieu comme un méchant juge qu'on
pourrait corrompre avec de l'argent. Or
Dieu, mes frères, ne peut pas manquer de
condamner le pecbe, el il n'y a point d'au-
mône qui puisse lui rendre un cœur agréa-
ble, tant qu'il est encore attaché au péché;
roi là donc ce que signifient ces paroi
Rachetez vos péchés par l'aumône.
i que Dieu, accordant sa grâce par
éricorde à (eux qui font des aumônes
par un esprit de pieté, ci en vue de i elle ( lia-
nte qu'ils font aux autres pour l'amour de
lui, la leur fait aussi en les relevant de leurs
péchés, en les ressuscitant à la grâce, et
même en leur remeltanl la peine qu ils ont
méritée, et c'est ce que le Sauveur du monde
nous vr ut apprendre quand il nous dit :
Bienheureux ceux qui sont miséricordieux,
purée qu'Ut obtiendront miséricorde.
Nous vous rendons grâces, ô Seigneur ! de
ce que vous voulez bien mettre noire bon-
heur entre nos mains, puisque, par la dis-
position favorable de vos bontés pour nous,
nous pouvons acheter la miséricorde au prix
de la miséricorde ; mais comme le prix Blême
csl encore un don de votre miséricorde, ren-
dez nous capables de faire miséricorde de
telle mani' rc que nous soyons dignes de la
recevoir ; c'est ce que je vous souhaite.
Ainsi soit-il.
SERMON
POOIt LE DIMANCHE DE LA Ql INQIAGESIME.
Sur les plaisirs.
Domine, ul videam.
Seigneur, faites que je voie (Luc, XVIII, 40).
Si les aveugles à qui j'ai dessein de parler
aujourd'hui étaient dans la disposition de
celui dont il est parlé dans l'Kvangile, je
serais assuré de leur guérison. S'ils connais-
saient leur mal, s'ils désiraient d'en être dé-
livrés et qu'ils s'adressassent avec humilité
au Sauveur du monde pour lui dire : Set-
(jneur, faites que je voie, il leur dirait sans
doute comme ta ces aveugles : Voyez, vo re
foi vous a sauvés.
Mais j'entreprends de parler à des gens
qui aiment la fausse joie du monde, el qui
veulent pisser leur vie dans lecommerce des
plaisirs, pendant qu'elle doit être employée
à (oui autre chose; à des chrétiens enfin
qui regardent comme innocents de9 diver-
tissements malheureux qui les déshonorent
cl qui les perdent : et j'entreprends de les
convaincre de ce qu'ils refusent de connaî-
tre, de leur taire condamner ce qu'ils justi-
fient, et de les détacher de ce qu'ils aiment.
faites donc, ô mon Dieu! que je voie
moi-même de celte vue qui nous fait entrer
dans les vérités de la religion, d'une ma-
nière propre à en persuader les aulres ; fai-
te» que, dans ce temps où l'amour des plai-
sirs el des divertissements du monde, si na-
turel à l'homme corrompu, se réveille el se
l'ait sentir à ceux, mêmes qui gardent quel-
que règlement dans leur conduite, je paisse
persuadera ceux qui m'écoulenl, l" que tous
les plaisirs en géi eral ne conviennent point
au chrétien qui y a renonce : '2 qu'il y en a
be;ucoup, donl l'usage passe pour innocent
dans le monde, qu'un chrétien ne peut pas
prendre sans se rendr coupable : .'{ enfin
quelesl l'usage réglé qu'un chrétien doil fait*.
de ceux mêmes qui lui sont permi».
Voilà, mes frères, trois propositions que
2C9
SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA QMNQUAGESIME.
270
uous examinerons dans ce discours. Don-
nez-moi, ô mon Dieu ! les lumières néces-
saires pour les bien exposer et pour les
bien établir : Domine, ut videam : je vous le
demande par l'intercession de Marie. Ave,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Tous les plaisirs en général ne convien-
nent pas à un chrétien qui y a renoncé. Celle
vérité, mes frères, est si certaine, qu'il ne
faudrait pas se mettre en peine de la prou-
ver, si le chrétien connaissait bien qui lie est
la nature de son êire, quelle est la qualité de
sa vie, et qu: lie est la dignité de sa fin ; mais
parce qu'il n'y a presque rien qu'il sache
moins que ce qui regarde son état par rap-
port à Jésus-Christ, il faut le lui rclracer en
peu de paroles, et pour le convaincre que
les plaisirs ne lui conviennent plus, je vais
lui faire voir d'où il sort, où il esl, où il va.
Voici, mes frères, une excellente défini-
tion des chrétiens r,ue l'apôtre saint Paul
nous donne, qui renferme le système de la
rédemption. Le chrétien est un homme af-
franchi de l'esclavage du péché par Jésus-
Christ et devenu esclave de la justice par
Jé>us-Christ. Or, pour bien entrer dans celle
idée, il faut, mes frères, vous proposer le
système de la rédemption renfermé dans qua-
tre vérités. 1° L'homme, en perdant la jus-
lice, s'était livré à la mort et à la nécessité
de souffrir éternellement. 2* Le Sauveur du
monde l'a relevé de celle chute et la déli-
vré de cette fatale nécessité. Le voilà délivré
du péché et de ses suites, mais comment?
c'est la troisième vérité. 3° Le Sauveur du
monde a pris sur lui par amour la peine que
l'homme coupable devait souffrir ; il a satis-
fait pour lui à son Père par le mérite de sa
mort qui était infini, mais à quelles condi-
tions ? les voici ; c'est la quatrième vérité.
&■" C'est à condition que l'homme prendrait
part aux souffrances du Sauveur, et que, dé-
livré de la mort et des peines éternelles par
son amour, il n'irait à la gloire de la vie fu-
ture que par le chemin des souffrances de la
vie présente que le Sauveur lui a lui-même
tracé.
Voilà, mes frères, le système de la ré-
demption, l'idée de l'être du chrétien et sa
définition, affranchi de l'esclavage du péché
par Jésus-Christ, et devenu esclave de lajus-
lice par Jesus-Christ.
Cela étant posé, je dis, mes frères, que si
je considère d'où sort le chrétien, les plai-
sirs ne lui conviennent en aucune façon. Il
sort de l'abîme de la mort éternelle, pour
entrer dans la vie de la grâce par le mérite
de la mort d'un Dieu, qui lui donne cel être
de grâce. Le chrétien esl donc proprement
U(l enfant et une production de la morl de
Jésus-Chris'. Aussi, mes frères, saint Paul
dit-il à tous les chrétiens qu'ils sonl morts,
et que leur vie esl cachée avec Jésus-Christ
dans Dieu ; comme s'il voulait dire que ce
n'est pas ici proprement leur vie, et qu'ils
n'ont rien à chercher en ce monde que les
maux et les afflictions, comme Jésus-Christ.
Lu effet, le baptême par lequel nous rece-
vons la vie est une véritable mort; c'est
pourquoi saint Paul dit qu'en le recevant
nous avons été ensevelis avec Jésus-Christ
pour représenter sa mort; c'est-à-dire que
comme il est mort véritablement, et qu'il a
perdu la vie naturelle pour nous donner la
vie de la grâce, il faut que nous mourions
véritablement au péché et à l'amour du
monde pour recevoir celle vie sainte qui
nous unit véritablement à lui, et c'est pour
cola qu'on nous demande, avant que de nous
donner le baptême, si nous ne renonçons
pas à Salan, au monde et à ses pompes.
Nous sommes donc morts au monde et à
ses plaisirs par le baptême et par la nature
de l'être que nous y recevons, et nous de-
vons être pour les plaisirs du monde dans
l'insensibilité des morts quant aux affections
du cœur, si nous ne pouvons pas l'être ab-
solument quant aux sentiments, c'est-à-dire
que s'il esl impossible de ne les pas sentir, il
nous est défendu de les aimer.
Voilà l'état du chrétien, voilà d'où il sort,
le voilà considéré du côté d'un Dieu mort
pour lui, et ne vivant que par sa mort. Les
plaisirs ne convienneut-ils pas bien à un
homme dans cet étal, qui doit n'être pas plus
touché qu'un morl de toutes les choses du
monde, et qui doit é:re bien aise qu'on le re-
garde comme un homme qui n'est bon à rien
quand il s'agit des plaisirs du monde ; ce que
je viens de vous dire vous découvre déjà
quelle doit être sa vie, ce Dieu de qui il l'a
reçue lui a marqué à quoi il la doit occuper.
Si quelqu'un veut venir après moi, dit Jé-
sus-Christ, qu'il renonce à soi-même, qu'il
porte sa croix tous les jours, et qu'il me
suive. Combaltre en soi toutes les inclina-
tions d'Adam, crucifier sans cesse sa chair et
sa cupidité, voilà l'emploi de la vie d'un
chrétien. V ous pleurerez et vous gémirez, vous
autres, et le monde sera dans la joie, voilà la
vie d'un chrétien.
Ceux qui appartiennent à Jésus-C/irist ont
crucifié leur ciiair avec ses passions et ses dé~
sirs déréglés, dit saint Paul ; c'est par là
qu'on reconnaîtra le chrétien qui est à Jé-
sus-Christ, c'est-à-dire qui vit de l'esprit de
Jésus-Christ : et son emploi est de marquer
en lui ce caractère de mort, en prenant soiu
de crucifier sa chair et de combattre en tou-
tes chose; ses désirs déréglés. Les plaisirs ne
conviennent-ils pas bien encore à un homme
sur qui toutes ces obligations-là tombent,
qui d'ailleurs se doit regarder sur la terre
non- seulement comme un étranger, mais
comme un homme banni et exilé, qui soupire
incessamment après sa patrie, après son
partage, après son héritage, après ses véri-
tables biens, qui n'a sur la terre que le. s gé-
missements en partage pour pleurer son
bannissement ? C'est ce qui fait dire à saint
Augustin qu'il ne nous appartient pas en un
sens 1res véritable de chanter les louanges
de Dieu C'était, dit-il, l'occupation d'Adam
dans le temps de son innoce ic ! il était :. eu-
roux, et il possédait Dieu ; nui ses enfants
sont malheureux, parce qu'ils en sont sé-
parés. Ainsi il ne leur convient que de gé-
271
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
171
mir. Co n'csl pas proprement à eoi à clian-
ter les louanges du Seigneur dans une Irrc
étrangère : (Juomodo cantabimui eanticum
Ijomiiu in terra aliéna t Comment pouvons-
nous chanter dans une terre étrangère? Mais
ils ne sont pas seulement dans une terre
étrangère, ils sont dans un pays ennemi, où
règne le prince du monde, qui n'a d'autre
point de vue que celui de les perdre, de les
détourner du chemin qui les ramène à leur
pairie, et de conomprela fidélité qu'ils doi-
vent à leur souverain. C'est pour cela que
ses sujets, les amateurs du monde, qui sont
les habitants de celle terre, dil saint Augus-
tin, leur présentent le fruit du pays, les dé-
lices de cette vie, et qu'ils les invitent à en
goûter avec eux. Ces fruits sont empoison-
nés comme celui qui corrompit nos premiers
parents. Si nous en goûtons, nous nous ar-
rêterons sur la (erre, nous nous fixerons de
cœur el d'affection où nous ne devons que
passer ; nou ferons notre patrie du lieu de
notre exil, el c'est là sans doute le plus
grand de tous les maux qui puissent nous
aniver.
Aussi est-ce pour l'éviter qu'il nous est
recommandé dans l'Ecriture de veiller, de
marcher toujours avec circonspection, de
ne nous point arrêter, de ne prendre les
choses qu'en passant.
C'est pour cela que les saints onl renoncé
à la joie et au repos de ce monde, jusqu'à
craindre d'élre trop bien couchés, trop bien
assis, trop bien nourris, de peur de se repo-
ser sur la terre. C'est pour cela que saint
Paul veut, dil saint Chrysoslome, que non-
seulement nous ne recherchions pas les plai-
sirs ni la délicatesse, mais même que nous
ayons une sainte haidiesse et une certaine
joie dans les maux qui peuvent abréger la
vie, comme élanl ce qui peut contribuer à
nous délivrer plus tôt de ce lieu de misère.
Il veut que, bien loin d'aimer la vie présente
pour les plaisirs, nous apprenions à la souf-
frir avec patience, comme un mal pénible
et nécessaire, afin de rejeter la joie et d'ai-
mer les maux qui la peuvent accourcir.
Voilà l'idée du christianisme ; mais, ô mon
Dieu ! où en est la pratique? Donuez-nous-
la, Seigneur ; pénéirez-nous d'une vue elfi-
cace de nos devoirs. Domine, ut videam :
Seigneur, faites que je voie, el faites par \ o-
tre grâce que nous soyons en effet ce que
nous devons être.
Ah 1 mes frères, quand on regarde les
choses par ces vues, et qu'on entre un peU
dans les principes de la religion, on voit
bien que les plaisirs ne conviennent point à
un chrétien 1
Mais ne nous arrêtons pas là: pour nous
en convaincre parfaitement, ne nous conten-
ions pas de considérer d'où nous sommes
sorlis ni où nous sommes ; voyons où nous
allons et si c'est par la voie des plaisirs
qu'on y peut arriver. Voici , mes frères, ce
que saint Paul nous enseigne. C'eut, dit-il,
par beaucoup de peines et d'afflictions (juc nous
devons ender dans le royaume de Dieu. Le
royaume des deux se prend par violence,
r' a sont les violents ejui l'en/portent, dit
Jésus-Chrisi lui-même. Celte parole est lerri-
ur les âmes lâches et qui ne songent
qu'A satisfaire leurs inclinations; elle est
cependant capitale dans la religion. Nous
n'avons [ oint d'autre voie pour aller à l'é-
ternité bienheureuse que le travail, que la
souffrante, que l'anéantissement ; je ne m'ar-
rêterai pas à multiplier les lémo.gnages de
l'Ecriture qui prouvent celle vérité fonda-
mentale delà religion ; je vous prie seulement
d'appliquer ici un des principes qu<* j'ai établis
d'abord, en vous traçant le système de la
rédemption.
Le Sauveur du monde nous a délivrés de
la mort cl nous a rendu le droit à la gloire
que nous avions perdu par le péché, mais
c'est à condition que nous ne pourrions y
aller que par le chemin des souffrances
qu'il nous a (racé et qu'il a lenu lui-même.
Il n'y a donc plus d'autre voie que celle-là
depuis que l'homme esl devenu l'ennemi de
Dieu, el que Dieu s'est rendu le Sauveur de
l'homme. Celle gloire que nous espérons, el
à laquelle nul ne veut renoncer, quelquedé-
réglée que soit sa vie, est un héritage qu'il a
acquis par sa mort el qu'il adesline à ses en-
fants. Or, ses enfants sont ceux qui onl re-
noncé aux fausses joies du monde, el qui
portent sa croix après lui ; car Dieu châlit
celui qu'il aime, dit l'Apôtre, et il fiappe de
renjes tous ceux qu'il reçoit au nombre de ses
enfants. Si donc vous n'avez point de pari à
sa croix et à ses souffrances, si vous n'êtes
pas châtiés, vous n'êtes donc pas des enfants lé«
gi limes. Après cela, pouvons-nous être étonnés
qu'il dise que ceux qui pleurent sont bienheu-
reux, parce qu'il seront consolés, el qu'au con-
traire il prononce malédiction sur ceux qui
rient maintenant, parce qu'ils seront réduits
aux pleurs et aux larmes dans l'éternité ?
Mais finissons cette première partie. Ne
voilà-t-il pas, mes frères, assez de raisons
pour vous convaincre que le plaisir ne con-
vient nullement au chrétien, soit qu'on con-
sidère ce qu'il a été, ce qu'il est ce qu'il dé-
sire d'être? Rien ne l'invite à la joie: ni le
lieu où il est, ni le temps de la vie qu'il
passe, ni le sujet qui excite ordinairement la
joie des hommes. O mon Dieu ! donnez-nous
le véritable esprit de notre sainte religion.
Si nous l'avions, mes frères, nous n'aurions
pas de peine à nous laisser convaincre qu'il
y a beaucoup de plaisirs, qui passent pour
innocents dans l'usage du monde, qu'an chré-
lien ne peul prendre sans se rendre coupable;
c'est la deuxième partie.
DEUXIEME PARTIE.
De tous les plaisirs qui passent pour inno-
cents dans l'usage du monde , j'en choisis
trois qui me paraissent les plus communs,
dont je vais vous découvrir la malignité, en
vous montrant en même temps qu'un chré-
tien ne peul les prendre sans se rendre cou-
pable.
Nous parlons quelquefois contre les spec-
tacles, contre le bal, les danses, el enfla
coulrc les jeux de hasard ; mais comme ce
275
SEKMQN POUR LE DIMANCHE DE LA QU1NQUAGESIME.
274
n'est qu'en passant, ce que nous disons fait
peu d'impression. 11 est donc à propos de
découvrir toute la malignité de tous ces
fruits de l'iniquité. ïl n'y a pas de temps ni
d'occasion plus propre à le faire que celle-
ci ; car c'est dans ces jours d'assemblées et
de joie qu'on pense principalement à pren-
dre ces sortes de divertissements pernicieux.
A l'égard des spectacles, c'est un divertis-
sement dont l'usage ne peut être permis à
un chrétien ; et voici, mes frères, les fonde-
ments que j'ai pour les condamner : tous
les saints Pères l'ont toujours interdit aux
chrétiens; ils ont toujours eu raison de le
leur défendre.
Depuis Tertullien qui a commencé à paraî-
tre en l'an 19i, vers la fin du deuxième siècle,
jusqu'à saint Bernard qui est le dernier des
Pères, qui vivait au douzième siècle, pas un
des Pères n'a parlé de ce divertissement que
comme d'un poison pour les chrétiens. De-
puis saint Bernard jusqu'à nous, on ne
trouvera pas un seul auteur ecclésiastique
qui ail dit que ce divertissement fût sans pé-
ril, et qu'un chrétien qui veut vivre selon
l'Evangile le pût prendre légitimement et ordi-
nairement. Je dis plus : qu'on consulte qui
on voudra, on ne trouvera personne qui
ose signer que la comédie et l'opéra peuvent
être un divertissement innocent et permis à
Un chrétien.
J'ajoute à tout cela que ceux qui n'osent
retrancher ce divertissement aux personnes
qui les consultent, et qui, par ignorance,
par lâcheté, par complaisance ou par in-
térêt, craignent de le condamner absolument,
disent tous que c'est mieux fait de s'en abs-
tenir, que l'usage en est dangereux, et que
souvent il produit de déplorables effets. D'où
je conclus que ce divertissement ne peut être
permis à un chrétien, puisque les saints Pè-
res en ont toujours interdit l'usage, et que
dans le plus grand relâchement il a toujours
été regardé comme très-dangereux.
Mais si les saints Pères l'ont toujours dé-
fendu, ils ont toujours eu raison de le faire,
les intérêts de la religion les ont portés à
employer leur zèle contre ce divertissement
qui la détruit. Car, mes frères, la religion
peut être attaquée de trois différentes ma-
nières, dans son auteur qui est Dieu, dans
sa doctrine qui est l'Evangile, dans ses sujets
qui sont les chrétiens.
La religion a été attaquée dans son auteur
par les païens et les idolâtres qui se sont fait
des dieux pour les adorer. Elle a été atta-
quée dans sa doctrine par les hérétiques qui
se sont fait une créance et formé des
lois contre les siennes. Elle l'a été dans ses
sujets par les tyrans qui ont tourmenté les
chrétiens pour les arracher des aulels du vrai
Dieu, et pour les détourner de la pratique de
sa loi. Or, mes frères, ceux qui onl lu les ou-
vrages de Tertullien contre les spectacles, et
ceux de saint Cyprien, qui \ivail dans le
même siècle, environ vingt-huit ans après,
ce que saint Augustin a cent sur le même
suj> l en mille endroits de ses ouvrages vers
U lia du quatrième siècle; ce que dit saint
Chrysostome, environ dans le même temps,
ve«s la fin du quatrième et au commence-
ment du cinquième, reconnaissent que tout
ce qu'ils ont dit roule sur ce qu'ils pré-
tendent que les spectacles réunissaient toute
la malignité de ces trois ennemis de la reli-
gion, puisqu'on y rend une espèce de culte
au démon, en y étalant ses pompes, que l'on
y enseigne une doctrine et des maximes tout
opposées à l'Evangile, et que l'on y débauche
les sujets du Seigneur par ies charmes et par
les plaisirs qui leur inspirent l'amour du mon-
de, et qui les rendent prévaricateurs et vio-
lateurs des vœux et des promesses de leur
bap'.ême. Eh ! qu'on ne nous dise pas que les
raisons des samts Pères contre les spec-
tacles ne subsistent plus, qu'on a épuré la
comédie, que l'on a pris soin, dans ces der-
niers temps, de rendre honnête ce qui ne
l'était pas dans ces temps anciens ; car c'est
dire que le poison qui se donnait alors à
découvert se donne à présent dans un breu-
vage agréable et sous des fleurs; c'est-à-dire
que le démon, plus rusé qu'autrefois, a trou-
vé ou a formé des gens qui, pour rendre son
culte plus praticable, en ont ôlé l'horreur ,
et qui, pour étendre son empire et multi-
plier ses sujets, ont trouvé le secret d'ouvrir
la porte de son temple à mille gens à qui la
bienséance et l'honnêteté en fermait l'entrée;
et en effet on ne fait nlus difficulté d'aller en-
tendre ce qui corrompt le cœur, parce qu'on
ditqu'on n'y voit rien qui blesselesyeux.Non,
mes frères, il n'y a aucune différence entre les
speciacles anciens et ceux d'aujourd'hui, eu
égird aux déplorables effets qu'ils produi-
sent. On y étale les pompes du monde et de
Salan comme autrefois ; ou y débite peut-
être plus finement une détestable doctrine,
toute contraire à celle de l'Evangiie et de la
religion, et il n'est que trop vrai qu'on y
débauche les sujets de Dieu pour en faire des
idolâtres du monde. Mais parce qu'il y a mille
gens qui se croient en sûreté, au milieu do
ces dangers, en prétendant ne point ressen-
tir ces effets et être tournés de telle manière
que ce poison qui peut en gâter d'autres est
pour eux sans malignité, et qu'il pourrait
peut-être absolument se faire que cela serait
vrai de quelque particulier, et qu'ainsi ou
pourrait conclure que celle sorte de divertis-
sement ne devrait être interdit qu'à ceux qui
ne pourraient le prendre sans danger, voici
une raison qui me paraît si forte pour eu
interdire l'usage à tout chrétien, que je ne
crois pas qu'on puisse n'être point convain-
cu, après y avoir réfléchi, qu'on ne peut le
prendre sans se rendre coupable.
Il n'y a point de salut sans la charité; elle
a deux objets, Dieu et le prochain. Nous ne
saurions être sauvés sans aimer Dieu plus
que nous-mêmes, et le prochain comme nous-
mêmes : voilà notre foi. L'amour du prochain
est donc sur la même ligne que celui que je
me dois à moi-même. Je ne m'aime qu'autant
que j'aime mon salut et que je hais tout ce
qui y est contraire; je n'aime donc mon
prochain qu'autant que j'aime son salut et
que je hais tout ce qui y est contraire.
27:.
OKATEURS SACRES. DOM JEHOME.
27G
Celte obligation d'aimer le s;ilut de son
prochain est telle, qu'à l'exception de mon
salut propre, que je ne dois p;is exposer pour
le Bien, je suis obligé de donner tout ce qui
est à moi pour le salut de mon frère, et jus-
qu'à ma vie même, s'il est nécessaire de la
donner pour le sauver ; ceci est sans dif-
liculté.
Or voici ce que l'ait un chrétien qui pré-
tend faire son divertissement des spectacle-. :
il renverse toute l'économie de la charité
chrétienne, et il en viole le précepte de la
manière du monde la plus indigne de la reli-
gion; il sacrifie le salut de son frère à son
plaisir, lui qui est obligé de donner sa vie
même dans la nécessité pour le sauver, s'il
ne peut l'être qu'en l'exposant ; il contri-
bue à entretenir le comédien et l'acteur de
l'opéra dans une profession qui le dégrade de
la qualité de chrétien en quelque sorte, qui
le fait renoncer à l'avantage d'être membre
de Jésus-Christ pour en faire un ministre du
démon, puisque les pasteurs de l'Eglise ne
les regardent point comme des ouailles , et
qu'ils leur refusent le pain de la vie même à
la mort, s'ils ne promettent de se reconnaî-
tre par acte public, de quitter le parti du dé-
mon et de rentrer dans celui de Jés.us-Christ
qu'ils ont lâchement abandonné. Après cela
vous croyez prendr.eavec innocence un diver-
tisscmentqui coûte si cher au malheurcuxqui
vous le donne? Vous sacrifiez à votre plaisir
cette âme rachetée du sangd'un Dieu? et vous
estimez moins que votre joie et votre passe-
temps ce qui a coûté la vie d'un Dieu? Voir
Jésus-Christ mourir pour le salut de ses pro-
pres ennemis , et ne vouloir pas se priver
d'un divertissement pour le s., lut de son fière,
quel effroyable aveuglement !
Ah! chrétiens, souvenez-vous que celui à
qui la perte de son frère ne paraît rien est
dans un grand danger de se perdre lui-même,
s'il n'est pas déjà perdu par l'extinction de la
charité. Je vous laisse, mes frères , faire ré-
flexion sur cette raison que je viens de vous
exposer.
Il faut diredes danses etdu bal ce que no is
venons de (iiie des spcclac.es. Tous les saints
Pères qui en ont parlé ont regardé les bals
et les danses comme les principales parties
de ces pernicieux divertissements ; ils ont
toujours envisagé ces plaisirs comme oppo-
sés a l'esprit du christianisme et à la dignité
de la religion chrétienne.
Je ne vous rapporierai pas en détail ce que
saint Clément d'Alexandrie, Tertullien, saint
Cyprien, saint Augustin et saint Chrysostome
ont dit contre ces divertissements pernicieux;
mais je vais vous diic en abrégé le fond de
leurs raisons, et ce qu'il y a de plus essentiel
dans les motifs importants qu'ils ont eus de
les condamner.
1" Us ont regardé la danse comme un reste
dn paganisme, ils l'ont considérée dans sou
origine comme une espèce d'idolâtrie; et en
effet l'idolâtrie publique dont il est parlé
dans L'Ecriture est celle où le peuple adora
le veau d'or, cl qui lut accompagnée des
danses , ce qui leur fait dire que la danse
des gens du monde est dans son principe fille
de I idolâtrie | et que , l'une et rentre avant
eu une même origine, les chrétiens sont
obligés d'y renoncer, attendu que ce qui n'a
aucune ntilité réelle, que ce qui ne pcul ser-
vir qu'à l'amour du monde et à corromi i
les mœurs, doit être interdit à un chrétien ,
et, ( omme le dit Tertullien, ce qui a Oé dans
son commencement consacre à l'idolâtrie i -
lient la tache de sa profanation.
2° Ils ont donc regardé la danse comme
l'ouvrage du mond • el comme une partie es-
sentielle de ses pompes, auxquelles nous
avons renoncé par notre baptême, que nous
ne pouvons plus pi en. Ire sans nous rendre
prévaricateurs de nos promesses el de nos
vœux. Ces divertissements , selon saini Au-
guslin , sont les dangereuses persécutions
que le démon emploie pour nous faire quit-
ter le parti de Dieu.
:i° Us ont prétendu que la danse n'inspire
qu'un mauvais amour et ne serl qu'à cor-
rompre la pureté. Hue voy-z-vous dans ces
abominables assemblées de bals et de dans.
Qu'y dites-vous ? Qu'y faites-vous qui n'ins-
pire pis l'impureté? les suites en sont ef-
froyables.
Ce sont là à peu près les raisons que les
Pères ont alléguées contre les danses, et c'est
sur ces raisons que l'Eglise les a tant de fois
défendues à ses enfants. D'où je conclus
qu'un chrétien ne peul pas prendre ce diver-
tissement sans se rendre coupable. Aussi .
mes frè:es, le Sage nous donne-t-il cet avis,
de ne nous pas trouver avec une femme qi i
danse, de peur que nous ne périssions;
comme s'il voulait nous faire entendre qu'il
y a un poison dans ce divertissement qui a
la force de tuer. On ne peut s'exposer au
péril de se perJrc, sans péché : l'expérience
ne fait que trop voir que cet avis est véri-
table, songez y. De là je conclus que c'est
un désordre digne d'élre pleuré par tous les
justes , de voir ces danses et ces bals faire
aujourd'hui une partie des noces des chré-
tiens, el que ceux qui on: reçu un très-grand
sacre lient, comme l'appelle sain'. Paul . as-
semblent leurs amis pour en faire presque
toujours la profanation avec plus de pompe,
par l'usage <t'un divertissement si dan
reux. Ah 1 tiignile du christianisme , on ne
vous connaît plus! De là je conclus que c'est
une chose dopiorablc , selon les obligations
du christianisme , qu'on se fasse un devoir
dans des familles chrétiennes de faite donner
des leçons réglées pour la danse à déjeunes
enfants , et de former dans des àmos pures
des inclinations qui les porteront probable-
ment , un jour . à des plaisirs criminels.
.l'avoue qu'on peut et même qu'on doit leur
apprendre à êlre dans une contenance con-
venable et décente. La religion n'exclut ni
I s grâce- innocentes ni la bienséance; mais
si Icn danses ont clé si sagement el si sou-
vent défendues par les Pères et par les con-
ciles, pourquoi des pères t I des mère- cli ■<■-
liens, qui ne doivent songer qu'au salul de
leurs cillants, souffriront-ils qu'on leur eu
donne des premiers préceptes ? Faites-j ré-
SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA QUINQUAGESIME
277
flexion , mes frères. L'apprentissage d'un
exercice criminel ne peut jamais être inno-
cent, et souvenez-vous, mères chrétiennes,
de ce qu'a dit saint Ambroise à l'occasion de
la fille d'Hérodiade : Qu'une mère adultère
apprenne, si elle veut, à sa fille à danser:
mais pour une mère chrétienne, il faut qu'elle
apprenne à la sienne, non pas la danse, mais
la religion et la piété. Vous pouvez f.iire ap-
prendre à vos enfants à bien marcher, à se
tenir droits , mais jamais d'assemblée de
danses chez des chrétiens ! Formez le corps,
à la bonne heure ! donnez-lui de la grâce ,
mais jamais aux dépens de l'âme.
Enfin, mes frères, le jeu , considéré comme
remplissant la vie des gens du monde et dont
il es! pour ainsi dire la plus sérieuse occu-
pation , ne peut pas être un divertissement
légitime pour un chrétien. Les saints Pères
l'ont condamné , l'Eglise l'a frappé d'ana-
thème; elle nous défemi par ses lois de don-
ner les sacrements à ceux qui tiennent des
lieux ouverts où on donne à jouer publique-
ment. Les ordonnances civiles condamnent
ceu\ qui les tiennent ; mais allons au fond
et aux raisons solides que les Pères, les con-
ciles et les magistrats ont eues de condam-
ner ce divertissement. Il y a trois choses à
considérer : le jeu en soi, le gain du jeu ,
les suites du jeu. En soi il ne vaut rien,
quand il passe l'amusement sage et mesuré
que l'on se doit à soi-même ; le gain qu'on
y lait est illicite , les suites en sont ef-
froyables.
En premier lien il ne vaut rien en soi et il
porte sa condamnation quand il est considé-
rable et f. cquent. Vous ne pouvez jouer , si
ce n'est j.otir vous délasser véritablement,
qu'en usant ma! à propos de deux choses que
l'on peut dire qui ne sont point à vous, dans
un très-bon sens. 1° Le temps de la vie qui
se passe en parties de jeu nous est donné
pour faire notre salut ; si vous êtes justes ,
il faut acquérir le ciel par les bonnes œuvres,
et ne pas donner au jeu un temps si pré-
cieux ; si vous êtes pécheurs, le jeu vous est
interdit ; le temps si court de la vie nous est
donné pour nous convertir, et non pas pour
faire une occupation sérieuse de ce qui ne
peut être tout au plus qu'un délassement.
2° Le bien et les sommes que \ous expo-
sez au jeu, quand elles sont considérables ,
ne sont point à vous ; ou c'est votre néces-
saire , ou c'est votre superflu : si c'est votre
nécessaire, vous ôlez à votre famille ce qui
lui appartient , vous la ruinez et vous ne le
pouvez pas , parce que vous n'en êtes pas le
maître; m c'e-t votre superflu , il est aux
pauvres. Dit a leur a assigné leur subsistance
là-dessus. Quelle cruauté déjouer la vie des
misérables ! Prenez garde , Dieu aura son
retour sur la vôtre.
En second lieu , le gain du jeu n'est point
légitime. Souvent t'est un enfant qui expose
un bien dont il n'a pas la disposition, contre
lequel on peut revenir. C'est un homme qui
doit et qui joue le bien de ses créanciers ;
c'est une femme qui joue à l'insu et contre
le gré de son mari qui s'en désespère. Vous
278
ne pouvez pas profiter de son injustice , le
droit que vous acquérez sur ccqu'elle expose
injustement n'est pas légitime. Mais j'ajoute
que quand même on n'exposerait au jeu que
ce qu'on y peut exposer, ce n'est point un
titre pour acquérir, et sans faire attention
que l'on n'a point d'action en justice pour le
gain du jeu , selon Dieu , l'homme ne doit
gagner son pain qu'à la sueur de son front.
Un gain légitime doit être le fruit d'un tra-
vail légitime, et pour un chrétien est-ce un
travail que le jeu? Peut-il y avoir de la jus-
tice dans un exercice défendu par les lois
divines, ecclésiastiques et civiles? Ainsi,
mes frères , un homme qui fait profession
d'être joueur, ou qui s'est enrichi dans le
jeu, ne doit pas vivre du bien qu'il a acquis,
il faut qu'il le donne aux pauvres. Le bien
acquis parle péché ne doit pas servir à nous
faire vivre plus à notre aise; il n'est pas
juste qu'un homme soit plus heureux selon
le monde par ce qui l'a rendu criminel de-
vant Dieu, et que ce qui doit faire sa dam-
nation, s'il ne fait pénitence , soit la source
de sa félicité en cette vie. Delà concluez que
tous les gens qui ont acquis du bien par le
péché ne sont pas seulement obligés de quit-
ter le péché, qui a été la source de leur gain,
mais qu'ils doivent renoncer à leur gain. Si
cependant ils étaient à un tel point de pau-
vreté qu'ils ne pussent vivre d'autre chose,
alors ils pourraient prendre le nécessaire, en
faisant pénitence.
En troisième lieu, enfin , tes suites du jeu
sont effroyables : 1° la perle du temps, 2° la
ruine des affaires et de sa famille , 3" l'inca-
pacité où se réduisent les joueurs pour tous
les emplois ; car on ne veut d'eux en aucun
endroit, personne ne s'y fie, on leur retire
toutes les affaires et avec raison ; 4° les in-
trigues du jeu, les engagements funestes
qu'il attire : on se laisse perdre avec une
femme pour gagner d'un autre côté, on lui
gagne son bien pour la réduire à la néces-
sité de composer; 5" l'asservissement indigne
d'un homme non-seulement chrétien , mais
même raisonnable , qui est là dans une ap-
plication inquiète et fatigante , dans une at-
tention agitée , les yeux sur trois dés qu'il
regarde comme les instruments et le mobile
de son sort , tout transporté , tout hors de
lui-même, jusqu'à ce qu'il voie la décision
de ce qu'il attend. S'il gagne, il est transporté
par les mouvements d'une fausse joie; s'il
perd , il s'abandonne aux emportements
d'une véritable fureur ; il blasphème, il brise
tout ce qu'il trouve sous sa main , il est hors
de lui-même , il fait peur. Est-ce là un di-
vertissement? Voilà donc les suites du jeu ,
on commence par peu et on s'engage insen-
siblement. En vérité un chrétien peut-il
prendre ces sortes de divertissements sans se
rendre coupable.' Ajoutons un mot de l'u-
sage qu'il doit faire des plaisirs qui lui sont
permis : c'esl la troisième partie.
TROISIÈME runii:.
Ma dernière proposition renferme trois
choses qu'il faudrait exposer si j'en avais le
m
ORATEURS SACRES. DO.M JEROME.
28Q
temps : 1° la qualité dos divertissements qui
soul permis à un chrétien ; 2" la fin qu'il doit
se proposer en les prenant; 3e le temps de
les prendre et celui qu'il y doit donner.
A l'égard delà qualité, il faut que lea diver-
tissements d'un chrétien soient dignes de lui
et qu'ils ne soie ni pas indignes de Dieu, c'est-
à-dire,!" qu'il puisse les prendre sans désho-
norer sa qualité de chrétien, de frère de Jé-
sus-Christel d'enfant de Dieu; 2° que l'usage
lui en puisse être rapporté : car un chrétien
qui est tout à Dieu ne doit jamais agir que
pour Dieu ; ainsi une couvi rsation réglée ,
une mu' ique chrétienne, un jeu d'adresse ,
Dne* promenade , ce sont des divertissements
qu'un chrétien peut prendre avec innocence»
La fin qu'il s'y doit proposer ne doit jamais
être le plaisir attaché au divertissement,
mais le besoin qui en rend l'usage néces-
saire. Ce doit être le délassement d'un esprit
fatigué à qui on les permet, comme on donne
des remèdes au corps pour le soulager dans
ses maladies. C'est l'idée que les Pères nous
donnent sur les divertissements permis au
chrétien ; par où vous voyez , mes frères ,
que comme on ne considère pas les remèdes
pour eux-mêmes, mais pour l'effet qu'ils pro-
duisent, qu'on a toujours quelque répugnance
à en user, et qu'il n'y a que la nécessité qui
contraigne à les prendre, on doit se régler
de même dans l'usage des divertissements ,
si on veut en user en bon chrétien : car de
rechercher le plaisir pour le plaisir et en
faire sa fin., rien n'est plus contraire à l'obli-
g lion de renonrer à soi-même, qui est l'âme
des vertus chrétiennes.
A l'égard du temps et de la durée, il faut
le régler sur le même principe , c'est-à-dire,
qu'il faut donner au divertissement celui
qu'on donne à l'usage des remèdes, et aucun,
si on peut • car comme ceux qui s'habituent
à prendre des remèdes usent leur corps ,
ruinent leur tempérament et n'ont jamais de
sanié, un chrétien qui passe sa vie dans les
délices et dans les plaisirs n'a ni force ni vi-
gueur selon l'esprit. Il est toujours languis-
sant sous le joug de ses passions ; c'est un
misérable qui traîne une vie sujette à autant
de maladies qu'il a de désirs déréglés : ce
n'est pas là être un chrétien, c'est être un es-
clave du démon.
Si quelqu'un de vous , mes frères, se sent
touché des vérités que j'ai exposées dans ce
discours, et si Jésus-Christ 1 i a fait com-
prendre que ni les plaisirs ni la joie du
monde ne conviennent point à un chrétien,
que ceux qu'il a regardés comme innoce ts
sont pernicieux et qu'il doit même garder
une nès-sage précaution dans l'usage de
ceux qui peuvent lui être permis , qu'il est
heureux 1 Le Sauveur du monde fait pour lui
dans ce moment ce qu'il a fait autrefois pour
l'aveugle de l'Evangile. Qu'il lasse donc
maintenant à son tour, à l'égard du Sau-
veur, ce que fit cet aveugle après sa guérisou :
11 le suivit , dit l'Evangile, rendant grâces à
Dieu ; ce qui nous apprend , selon saint
Chrysoslomc , qu'il n'y a point de meilleure
marque du sentiment que nous avons des
miséricordes du Sauveur, que de marcher
sur ses pas et d'aller à lui par !a voie qu'il
nous a trac. e.
Ainsi , focs frères , il faut donc que celui
qui se sent louché renon e à la fausse joie
du monde et qu'il ne prenne aucune part à
celle qui s'offre à lui dans ces jours de plai-
sir. Rien n'est si opposé à toute l'ancienne
discipline de l'Eglise, à l'esprit de la religion,
que la profanation qu'on lait d'un temps qui
a toujours été consacré à la pratique des
bonnes œuvres. Je n'ai pas le loisir de vous
rapporter quels étaient les exercices des
chrétiens, même jusqu'au temps de saint
Charles dans le dernier siècle , depuis la
Septuagésime jusqu'au carême : ils étaient
bien différents de ceux que la corruption et
le relâchement ont introduits depuis.
Je vous prie seulement de faire celle ré-
flexion, s'il est à propos de se préparer à la
pénitence par l'usage de la joie et des plai-
sirs; si c'est se bien disposer à recevoir la
miséricorde que nous demandons dans le
carême, que de commettre de nouveaux pé-
chés en satisfaisant les désirs déréglés de son
cœur et en s'abanuonn tnt à ses passions.
Non, mes très chers frères, il n'y a point de
temps moins propre à prendre des divertis-
sements, même permis, que celui-ci, où nous
devons nous préparer à la pénitence que
nous allons commencer, à la mémoire de
la passion du S luveur du monde, que nous
soleniiisons à la fin du carême , en achevant
notre pénitence, et à la grâce de la résur-
rection qui doit être le fruit de notre péni-
tence.
Mon Dieu , le monde ne vous connaît pas.
Domine, ut videam , ouvrez-nous ies yeux
sur nos obligations , faites que nous vous
connaissions et que nous agissions confor-
mément à cette connaissance. C'eslceque je
vous souhaite. Ainsi soil-il.
SERMON
POUR LE IOLR DES CENDRES.
Sur la pensée de la mort.
Memenio, liomo, quia pulvis es, cl la |iul\ereni rêver-
ions.
Souvient-loi, o homme, que lu n'es que cendre, el que lu
retourneras en cendre [Office d*jowr\.
Faut- il le dire aux hommes à des jours
précis, et est-il nécessaire qu'il y ait des
temps désignés pour les avertir qu'il faut
mourir? Tout ce qui nous environne ne nous
le dit-il pas ,:ss z? .\o,i, chrétiens, ce n'est
pas précisément pour nous avertir, ni pour
nous convaincre de celte nécessité, dont
nous sommes assez persuadés, que l'Eglise
nous dit tous les ans à l'ouverture de la
quarantaine que nous commençons aujour-
d'hui; Votu n'êtes <,ur poudre, et tous retour-
nerez en pou<lrc ; mais c'est p.'Ur nous obliger
de tirer de celle nécessité inévitable 1 s con-
séquences que nous n'en tirons point . Ou'il
faille mourir, tout le inonde le sail; bi D
mourir, tout le monde l'opère; s'y bien pré-
parer, c'est ce qu'on néglige. Voilé pourtant
la conséquence naturelle de ces deux propo-
sitions dont on convient, cl qu'on ne lire
281
SERMON I POUR LE JOUR DES CENDRES.
282
presque jamais. Cependant c'est la seule
voie d'assurer son salut, selon toute l'ana-
logie de la foi et de la religion. On demeure
sur ce point dans une stupidité et dans une
inaction qui ne se comprend point: et voilà,
mes frères, la pratique dans laquelle je vou-
drais aujourd'hui vous apprendre à entrer,
pour entrer moi-même dans l'esprit de
l'Eglise, et joindre mes faibles efforts à la
voix de cette mère charitable qui dit à ses
enfants : Souvenez-vous que vous n'êtes que
poudre , et que vous retournerez en poudre.
Je voudrais donner dans ce discours l'idée
d'une certaine préparation à la mort qui en-
trât dans tous les mouvements de notre vie,
et qui, sans en troubler ni l'ordre, ni les jus-
tes engagements, ni même les plaisirs inno-
cents et réglés, uous pût mettre en étal d'en
attendre la fin avec tranquillité, et de la
voir approcher avec amour, comme un pas-
sage à la vie bienheureuse que nous atten-
dons.
Or, celte préparation consiste en deux
choses qui feront le partage de mou discours :
la première est d'avoir toujours présente
l'idée de la mort : premier point ; la seconde,
c'est de régler tous les mouvements de noire
vie sur l'idée de la mort : second point.
Heureux, mes très-chors frères, si de l'a-
vis important que l'Eglise nous donne au-
jourd'hui : Mémento , hemo, nous appre-
nions à tirer ces conséquences si nécessai-
res, de ne perdre jamais de vue la pensée de
la mort, dérégler notre vie sur la pensée de
la mort. Par là nous serions dans l'état où
doit vivre un homme qui doit mourir comme
un chrétien, qui doit vivre toujours. Deman-
dons l'assistance du Saint-Esprit. Ave, Ma-
ria.
PREMIÈRE PARTIE.
11 y a longtemps que, pour faire connaître
aux hommes la nécessité de ne perdre ja-
mais l'idée de la mort, l'Ecriture leur a dit :
Souvenez-vous de votre fin dernière, et vous
ne pécherez jamais ; mais il y a longtemps
aussi que les hommes négligent cet avertis-
sement si nécessaire, et qu'aveuglés sur leurs
vérilaîdes intérêts, ils perdent, en rejetant
celle pensée, on des plus grands remèdes à
leurs maux, et un des moyens les plus effi-
caees pour assurer leur salut éternel. Leur
mécompte sur cet article si important vient
des vues différentes qu'ils onl sur la mort,
plus fausses les unes que les autres : 1"
quelquefois ils rejettent celle pensée comme
incommode, cl parce qu'elle leur représente
toujours ce qu'ils ne voudraient voir jamais ;
bien loin de s'en entretenir, ils fo l leurs
efforts pour en éloigner jusqu'à l'idée même;
2° ce qui lait qu'ils négligent davantage celle
pen-éc, c'esi qu'ils n'en connaissent pas l'u-
tilité, et, se persuadant mal à propos que la
mort, qui est la destruction de la vie, ne
doit rien avoir do commun avec clic, ils
croient qu'il suffit d'y penser quand il faut
mourir: 3" ils regardent celte application
comme impossible, et dans la variété des
ouins qui les occupent et qui les partagent,
ils ne croient pas qu'il soit possible de cou-
server toujours une idée qu'on perd quel-
quefois même dans le repos de la solitude et
dans la plus profonde tranquillité. Essayons
de dissiper ces erreurs,, et de faire voir à
l'homme combien il est séduit par ces faus-
ses idées, afin que, l'ayant convaincu de la
nécessité de penser à la mort, nous n'ayons
plus qu'à lui apprendre la manière de le
faire facilement.
lu 11 est vrai, mes chers frères, que la
pensée de la mort est incommode, et je con-
viens avec vous que l'Ecriture même l'a re-
connu. 0 mort 1 que ton souvenir est amer!
nous dit-elle; mais je ne pense pas qu'un
chrétien qui croit une autre vie et qui songe
à son salul veuille parler ainsi aux condi-
tions que l'Ecriture semble l'accorder, car
elle ajoute, à un homme qui vit en paix ait
milieu de ses biens ; par où il paraît que l'E-
criture ne permet de parler ainsi qu'à ceux
qui mettent tout leur bonheur dans la pos-
session des biens présents, et qui, renonçant
à tous les avantages de la vie éternelle et
bienheureuse, s'en veulent tenir à ceux de
celte vie mortelle et passagère. Mais, mes
frères, n'outrons rien, parlons avec préci-
sion : tous ceux que l'idée delà mort effraye
ne sont pas du nombre de ces malheureux
qui renoncent au salut éternel, et qui, no
s'altachanl qu'au présent, veulent bien aban-
donner le futur au hasard : je reconnais
avec vous que dans un certain sens l'idée do
la mort n'accommode presque personne, et
qu'elle fait de terribles impressions, aussi
bien sur ces pécheurs attachés aux seuls
biens de la terre, que sur ces justes à qui la
foi a déjà appris à mépriser ce qu'elle en-
lève.
Or, mes frères, recherchons ensemble le
vrai principe de cette crainte, pour essayer,
non pas d'en guérir l'homme absolument ;
car, outre que je ne crois pas qu'il fût aisé
et peut-être possible d'y réussir, je suis per-
suadé qu'il n'est pas nécessaire de le faire ;
mais pour apprendre à nous servir avanta-
geusement de cette crainte et à faire entrer
dans l'ouvrage de noire salut ce qui est
réellement incommode à nos passions, je dis
plus, ce qui est combattu et rejeté par les
inclinations dont nous sommes plus vive-
ment touchés dans notre état présent.
Pour cela, mes frères, il faut se représen-
ter deux choses : la première, c'est l'état où
fut l'homme avant son péché, et la seconde,
c'est celui où il est aujourd'hui. Autrefois il
fut innocent, c'esl ainsi que Dieu le créa ; et
durant cet état heureux, sa chair, soumise à
son esprit, et son cspr.1 à Dieu, formait par
celle soumission une certaine harmonie qui
lui rendait la vie non-seulement douce et
charmante, mais encore innocente cl agréa-
ble à Dieu. Alors l'idée de la mort était hor-
rib'c de toutes façons, parce qu'elle ne pou-
vait être que la destruction d'une vie cou-
for. ne à sa volonté et aux desseins de Dieu.
Elle ne pouvait que finir une vie toute pure,
en rompant la paix et l'union entre une âme
et un corps qui tous deux étaient saints :
28?
ORATLl'RS SACRES. I>()M JEROME.
2X4
aussi ne put-elle entrer dans le paradis ter-
restre, parce qu'elle éiait un châtiment, et
l'homme qui n'en avail entendu parler d mis
cl" lien que comme d'une menace, n'en sen-
tit les trilles efl'ets qu'après en avoir élé
chassé comme un criminel. .Mais ce change-
ment dans son élat n'en fil point dans ses in-
clinations, et c'est où nous sommes à pré-
sent • I perdit l'innocence de la vie, mail il
en conserva l'amour; cl comme si l'homme
eût continué à être heureux, quoiqu'il fût
corrompu et sujet à mille misères, il n'en re-
garda la fin qu'avec horreur.
Ces sentiments, qui sont passés de notre
premier père dans ses enfants, s'y fortifient
à proportion que leur loi est plus faible. Ils
aiment la vie, toute fragile et toute miséra-
ble qu'elle est; et les justes mêmes sont vive-
ment frappés de la crainte de la voir finir,
quoiqu'ils sachent qu'elle doit être pour eux
le commencement d'une vie plus heureuse.
Dieu a voulu que cet ordre fût établi, afin
que nous puissions lui faire un sacrifice qui
nous fût utile, d'une nécessité qui nous est
devenue inévitable, et qu'en soumettant les
sentiments d'une nature aveugle, qui aime
toujours ce qu'elle ne devrait pins aimer,
aux vues de la foi, qui nous apprend à sa-
crifier ce que nous aimons mal, nous pus-
sions faire entrer dans l'ordre de notre sa-
lut ce qui est une suite nécessaire du pre-
mier péché.
Cette crainte de la mort, mes frères (en- .
trez bien dans ceci), qui est naturelle dans
son principe, et une peine du péché dans ,
l'ordre de Dieu, se trouvera donc presque
toujours dans tous les hommes, selon qu'ils
aimeront plus ou moins la vie qu'elle leur
fait perdre. Elle se trouvera même dans les
saints qui ne l'aiment que dans l'ordre de
Dieu. Jésus-Chrisl môme en a élé touché,
pour apprendre à ceux qui en sont agites
qu'elle n'est pas criminelle en elle-même,
mais qu'elle peut entrer dans leur pénitence
et contribuer à l'ouvrage de leur salut. Ainsi,
mes très-chers frè; es, regardant la mort dans
cette vue, hien loin qu'on doi\e rejeter l'idée
de la mort comme incommode, à cause de la
crainte cl du liuuble qu'elle excite dans
l'âme, il faut l'entretenir dans notre esprit,
cl la ménager avec sagesse, à cause des biens
qu'elle peut nous faire-
Car enfin, mes frères, il faut mourir, pul-
vis es. Rejetez-en la pensée tant qu'il vous
plaira, servez-vous de toutes sortes de moyens
pour l'éloigner, vous ne sauriez empêche/
que la mort n'arrive, elle qui esl hien plus
terrible que la pensée de la moi t. Le torrent
du monde qui court toujours vous eut; aine.
Nous mourons tous, et nous nous écoulons
sur la terre comme des eaux qui ne revien-
nent plus. On ilira demain de vous et de moi
ce que nous disons aujourd'hui d'un autre
qui vivait hier avec nous. Cet homme, qui
prêchait celle année en telle église esl mort,
il est passé. Nous sommes dans celle lie
comme un homme qui, voyagent sur mer,
dépend du v. isseau dans lequel il esl en
fermé : quoi qu'il fasse, il marche toujours ;
qu'il se tienne debout, qu'il s'a- m ,|
m, inge, qu'il repose, qu'il parle, qu'il ne
fasse rien, il avance toujours dans ia route,
et son voyage ne dépend ni de sa pensée ni
de ses réflexions.
Il en est de même de nous : quoi que nous
fassions, nous avançons toujours vers noire
(in; nos années qui passent aussi bien du-
rant le sommeil que dans le travail, m
entraînent insensiblement vers le tombeau,
et sans qu'il soit née ■ ia i que nous y pen-
sions, nous ne laissons pas que d'arriver SU
terme. Les païens mêmes ne nous ont-iK
dit que nous; commençons de mourir en nais-
sant, p tree que nous ne naissons que pour
mourir '.' Kl en effet ne pouvons-nous pas
dire avec saint Augustin qu'Adam es' mort
au même moment qu'il a mangé d i fruit
défendu, selon la menace que Dieu lui avait
faite? car son corps ayant élé frappé en
même len ps d'une corruption mortelle, qui
l'a altéré dans toutes ses parties, tout le
reste de sa vie n'a plus é^é qu'une Bourse non
interrompue »ers la mort, où il esl enfin ar-
rivé au moment que Dieu avait marq e. Kl
qu'est-ce, selon saint Augustin, que la vie
des enfanta de ce coupable, sinon une mala-
die <]ui commence au moment qu'ils '.lais-
sent, et qui ne finit que quand ils meurent?
Il ne faut qu'être raisonnable | our se dire
souvent à soi-même : Si la mort esl inév ila-
b!e, comme je ne puis pas en douter, c'est
en vain que j'en rejette la pensée, puisqu'en
l'éloignant de mon esprit je ne m'éloigne pas
de la mort, ou je ne l'eloignc pas de nui.
Mais , me direz-vous , en rejetant celte
pensée, j'éloigne ce qu m'incommode, et je
m'épargne toujours un chagrin qui vient
troubler lu repos de ma vie. A cela je réponds
trois choses : 1 c'est que nous ne pouvons
l'élo guer si absolument qu'elle ne se pré-
sente malgré nous, et souvent qu'elle ne
vienne troubler nos plaisirs malgré tous nos
soins ; 2° c'est que si vous ri g.irdez ce trou-
ble eu Jésus-Christ, vous le trouvera urée-
avantageux : car comme il procède de la
crainte de la mort, et que la mort esl une
peine de notre péché et la consommation de
notre pénitence en celle \ie, chaque I
qu'un chrétien frappé de celte crainte se
soumet aux ordres de Dieu et ace pie sa
mort, il meurt eu quelque lac n. et mull'.
plie le sacrifice de sa vie. qu'il ne peut faire
qu'une fois; 3° c'est qu'après tout un s'ac-
coutume à celle pensée ; l'habitude à son
entretenir en efface l'horreur. La peur de In
mort esl une vraie crainte d'enfnil, qui
tremble en voyant un masque, et qui s'ap-
proche de la flamme sans rrayeur. Nous crai-
gnons la mort : ce fantôme, quoique mépri-
sable, nous donne de l'horreur, et le péché,
qui est si terrible, qui brûle et qui consume
notre âme, ne nous donne pas la mo ndre
pe ir. Mais après tout la peur d • la mon
procé le que d'ignoram e ; car qn'eet-ci jue
mourir, c'esi | ropremenl quitter ses èse-
menlS. Le corps est connue le vêlement de
l'Ame que nous reprendrons un j m plus
éclatant cl plein de gloire. Celle iuce v ( as-
285
SERMON I POUR LE JOUR DES CENDRES.
28G
sûrement belle et bien solide; mais pour y
bien entrer, prenez garde qu'il y a certains
objets que le chrétien ne doit jamais regar-
der seuls : il ne doit jamais rrgarder ses pé-
chés, sans jeter les yeux en même temps sur
le sang de Jésus-Christ, où il trouve de quoi
se purifier ; il ne doit jamais séparer la misé-
ricorde de Dieu de sa justice ; ainsi jamais il
ne doit regarder la mort sans jeter les yeux
sur la vie éternelle qui doit la suivre. La
erainle qui pouvait le troubler est modérée
par l'espérance qui le console, et parla il ne
lui reste de cette crainte qu'autant qu'il en
est besoin pour le conserver dans un certain
état de vigilance, si recommandé par le Sei-
gneur dans l'Evangile, et qui le garantit de
ce malheur si terrible, mais si commun, d'ê-
tre frappé de la crainte et du coup en même
temps. Ainsi, comme l'éclair nous avertit
avant que le tonnerre tombe, et peut quel-
quefois nous donner le temps de nous mettre
à couvert, heureux celui que celte crainte
réveille, et qui s'en sert pour n'être pas sur-
pris !
2U Après ce que je viens de dire, je ne
saurais croire qu'un chrétien veuille rejeter
la pensée de la mort à cause du trouble qu'il
peut en recevoir, à moins qu'il ne fût assez
déraisonnable pour dire qu'il ne voudrait
pas d'un remède qui doit lui conserver la
vie, parce qu'il ressentirait quelque petit-dé-
goût ou quelque légère amertume c:i le pre-
nant. C'est une erreur épouvantable de dire
qu'il suffit d'y penser quand il faut mourir,
el que la mort éiant la destruction de notre
vie, elle ne doit avoir rien de commun avec
elle. Ne vous y trompez point, chrétiens, car
on ne se trompe qu'une fois sur cet impor-
tant article : si la mort est la destruction de
la vie dans un sens, elle en est la perfection
dans un autre.
Pour entrer comme il faut dans ceci, re-
marquez, mes frères, qu'il y a dans le chré-
tien, 1" la vie de la nature qui fait l'homme
et l'enfant d'Adam; 2" la vie de la grâce, qui
fait le chrétien, le juste et l'enfant de Dieu;
3 la yie de la gloire, qui fait le bienheureux
et qui est en nous par le droit que nous y
donne la qualité d'enfant de Dieu, que nous
avons reçue à notre baptême.
Or, chrétiens, pour arriver à la possession
de celte vie de la gloire, qui n'est en nous
ici-bas (iue par l'espérance, il faut vivrede la
vie de la grâce, et retracer celle de Jésus-
Christ qui ne reconnaît pour prédestinés à la
gloire que ceux qui ont porté son image sur
la terre. C'est ce qui ne se peut faire qu'en
détruisant la vie des sens, qu'en nous sépa-
rant du inonde, qu'en renonçant à son propre
esprit. Hél quel peut être ie moyen le plus
efficace pour détruire en nous l'amour du
monde, que la pensée de la mort ! car si nous
ne nous occupons que de la pensée de la
vie présente, nous perdons les vues do l'éter-
nité. Renonçant à la vie de l'esprit, nous
nous abîmons dans celle des sens, et effaçant
en nous l'image du nouvel homme. Dieu' ne
verra plus en nous que celle de l'homme
corrompu.
N'est-ce pas là ce que l'Ecriture veut nous
apprendre, lorsqu'elle nous rapporte le lan-
gage de ceux qui n'avaient nulle vuesur l'é-
ternité. Ne pensons, disent-ils, qu'à boire et
à manger, puisque nous mourrons demain.
C'est ce discours déplorable que fait précisé-
ment un homme qui rejette la pensée de la
mort et qui ne se remplit que de l'idée des
choses présentes : il s'aveugle, il se perd de
vue, et, ne songeant plus qu'il est destiné à
vivre toujours avec Dieu, il ne s'occupe que
du soin de vivre un moment avec le monde.
Au contraire, un chrétien qui pense à la
mort, qui considère cette défaillance conti-
nuelle et successive de son être, qui regarde
la vie qui le soutient, par le moyen d'un feu
naturel, comme la lumière d'une lampe qui
meurt en dépérissant peu à peu, à mesure
qu'elle luit, s'apprend à mépriser une vie
qu'il voit périr. 11 combat les désirs déréglés
de la conserver, et en jetant les yeux de la
foi sur une autre beaucoup plus heureuse
qui lui est promise, il travaille à s'en rendre
digne en détruisant la vie des sens, afin quo
quand la mort viendra pour achever de dé-
truire cette vie mortelle, elle le trouve en état
d'aller prendre possession de celle qu'il at-
tendait.
Il faut donc qu'un chrétien ne perde ja-
mais celte pensée, qu'il ait toujours la mort
présente, et qu'il fasse sa devise de celte pa-«
rôle de saint Paul : Quolidic morior.
3" Maisle moyen, dit-on, d'avoir toujours
cette pensée dans l'esprit au milieu des af-
faires qui nous occupent? Il faudrait lout
abandonner, et, 9 'enfonçant dans la solitude,
ne regarder plus que le tombeau. Mes frères,
ne nous jetons point dans ces extrémités ,
n'outrons rien, s'il vous plaît. Je ne saurais
nier que ceuxqui sont débarrassés de tous les
soins du monde, et qui n'emploient plus leur
vie qu'à l'usage précis pour lequel Dieu nous
l'a donnée, c'esl-à-uirc, à se rendre dignes
de la vie éternelle, comme les solitaires qui
sont uniquement occupés de ces soins, no
soient les plus heureux; mais comme tout le
monde ne peul pas être dans la même situa-
tion, il y a des manières différentes de con-
venir dans les choses essentielles pour lous
les étals, et comme le Seigneur, qui dit que
nous ne saurions être ses disciples si nous
ne portons toujours notre croix en marchant
après lui, a pris soin d'attacher des croix à
lous les étals, afin qu'il pût avoir des disci-
ples dans chaque condition, de même cetio
pensée de la mort si salutaire pour nous ra-
mener à nous-mêmes, si nécessaire pour
nous entretenir dans les vues de notre être
pour le temps et pour l'éternité, peut se for-
mer partout. Les images de la mort sont ex-
posées partout, et nous ne saurions jeter les
yeux eu nul endroit qu'ello ne vienne se pré-
senter aussitôt à nous.
Voici donc la manière de conserver celte
pensée au milieu de ses occupations; il n'y
a qu'un moment que je vous disais que le
chrétien est dans celle vie comme un homme
dans un vaisseau. Représentez-vous donc
que, contraint ;!o relâcher, il descend à lerre
S87
ORATEl'RS SACHES. I)OM JEROME.
288
pour se délasser dos agitations de la mer et
respirer un air plus pur ; il se promène le
long 'lu rivage, j'où il ne ft'é!oigne jamais,
ou s'il s'en éloigne, il ne pense qu'à se rem-
barquer ; dans la crainte d'é:re surpris, il
retourne la té!e de temps en temps vers le
vaisseau, pour voir si on ne mel p as ;i la
voile. C'est ainsi, chrétiens, que nous devons
agir : notre vie n'est qu'un passage , c'est
une navigation ; notre unique affaire c'est
d'arriver au port et d'y arriver heureuse-
ment. Il y a des emplois qui nous occupent
durant cette navigation, et même légitime-
ment : ce serait assurément un mal que de
se tenir à ne rien faire ; il y a même de cer-
tains délassements nécessaires après un tra-
vail fort et laborieux, qu'on ne peut con-
damner ; mais il faut se souvenir que Dieu
est le pilote qui peut nous faire partir quand
il lui plaira; et aGn d'éviter la surprise, il
faut de temps en temps jeter les yeux du côté
du vaisseau, c'est-à-dire qu'au milieu de nos
occupations il faut se rappeler la pensée de
la mort. La Providence nous facilite cette
pratique, en mettant de tous côtés l'image
de la mort sous nos yeux. Ces cérémonies
lugubres que vous trouvez dans les églises
sans les aller chercher, les pompes funèbres
qui vous arrêtent dans les rues, les mon-
ceaux d'ossements, les sépulcres sur lesquels
vous passez, les épitaphes exposées à vos
yeux, qui vous apprennent qu'un tel est
mort jeune, l'autre dans un âge plus avancé,
celui-ci dans les fonctions de la magistra-
ture, cet autre dans l'emploi des armes, ne
sont-ce pas autant d'objets que les yeux
ne peuvent éviter, et dont l'esprit peut tirer
des pensées fort utiles à l'âme? Ainsi, mes
frères, parmi les engagements qui nous oc-
cupent, au milieu des soins, des affaires, de
l'attention que nous donnons aux choses
présentes, Dieu nous offre des images capa-
bles de nous rappeler dans nous-mêmes, et
de nous faire penser à notre condition mor-
telle. Les portraits de vos ancêtres que vous
conservez chèrement, leurs noms que vous
portez et dont vous tirez en partie votre
gloire, leurs successions dont vous êtes les
maîtres, leurs maisons que vous habitez,
tout cela ne vous apprend-il pas, si vous
voulez l'entendre, que, comme ils vous ont
fait place, il faudra que vous la fassiez bien-
tôt à d'autres qui vous suivent. Car enfin la
vie de nos pères est passée, la nôtre s'écoule
et finira bientôt, ceux qui nous doivent sui-
vre mourront pareillement : de sorte que
les vies des hommes se succèdent incessam-
ment les unes aux autres, et se terminant
toutes par la mort, elles ressemblent aux va-
gues de la mer qui se suivent et qui roulent
les unes sur les autres par un mouvement
perpétuel et réglé, jusqu'à ce qu'elles soient
arrivées sur le rivage où elles se brisent ; ce
qui fait dire si à propos à saint Augustin
que le monde, à proprement parler, ou plu-
tôt la vie présente, n'est que l'entrée des
hommes dans un lieu où ils ne doivent pas
demeurer, et la sortie de ce lieu d'exil et de
misères. Vos propres enfants qui croissent
sous vos yeux sont pour vous des imagei de
mort. Le soin de les placer dantdei charges
dont |'acbal vous dépouille d'une partie dfl
roi biens ne vous avertit-il pas que <l.ins
peu vous serez dépouillé du reste? Cei 'ou-
trais de mariage dressés par rapport i la vie
sont remplis de cas de mort, et où l'on |
à se quitter lorsqu'on paraît n'être occupé
que du soin de l'établir. Chaque empli i M
présente-t-il pas une idée de mort à celui qui
le remplit? Un savant attaché sur ses livres
ne voit-il pas une image de la mort en par-
courant les ouvrages d'un auteur qui n'est
pins? Un juge qui condamne un coupable ne
doit-il pas se dire à lui-même qu'il faut crain-
dre la sentence d'un plus grand jutre i qui il
doit répondre de ses jugements, et de qui il sera
peut-être condamné demain, et sans appel?
En voilà assez, chrétiens, pour vous convain-
cre que rien n'est plus aisé , comme rien
n'est plus utile, que de. s'entretenir dans les
pensées de la mort; mais il ne suffit pas de
rouler simplement ces pensées dans son es-
prit, il faut qu'elles servent à régler les mou-
vements de notre vie; car c'est là précisément
le motif qui oblige l'Eglise de nous les propo-
ser, Mémento, horno, c'est aussi ce que nous
allons vous marquer dans la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Ce serait en vain, mes frères, qu'un chré-
tien aurait toujours présente la pensée de
la mort, s'il ne s'appliquait pas en même
temps à régler tous les mouvements de sa
vie sur cette pensée, et je l'estimerais mal-
heureux si , négligeant de sonner à la vie
future, il avait toujours devant les yeux une
idée importune, qui ne servirait qu'à trou-
bler toutes les joies de la vie présente, il est
donc néeessaire que le désir de l'éternité
bienheureuse joigne ces deux choses en lui,
je veux dire que l'idée de la mort lui soit
toujours présente, et qu'il règle tous ses mou-
vements sur cette idée , afin qu'il vive de
telle manière qu'il soit toujours en état d'at-
tendre la mort avec tranquillité, sans rien
négliger des affaires justes et raisonnables
qui doivent l'occuper durant cette vie. Or,
pour arriver à cet état, il faut supposer
comme une chose hors de doute que toutes
nos entreprises ont trois rapports : le pre-
mier, à la mort dans l'ordre naturel; le se-
cond, au jugement qui doit la suivie dans
l'ordre de Dieu, et le troisième, à l'éternité.
Car, mes très-chers frères, toutes nos entre-
prises seront terminées par la mort; elles
seront examinées au jugement de Dieu, et
elles Dons conduiront à une éternité de biens
ou de maux, selon qu'elles seront trouvées
à ce jugement.
Que doit donc faire un chrétien qui n v eut
rien risquer dans la grande affaire de son sa-
lut, et qui veut vivre comme un homme qui
doit mourir? 11 faut qu'il se represe. te trois
choses essentielles au bon reniement de sa
vie : 1 qu'il ne peut aller loin, et que toutes
ses entreprises seront bientôt renversées par
la mort ; ~2" qu'il faudra dans peu rendre
compte au Seigneur, nou -seulement de ses
«h
SERMON I POUR LE JOUR DES CENDRES.
2!J0
entreprises, mais même de ses intentions les
plus secrètes; 3° qu'enfin il se prépare par
ses actions, par ses entreprises, par sa con-
duite, une éternité qui sera réglée par la na-
ture de ses œuvres.
Ah 1 chrétiens , les beaux et les solides
principes pour régler sa vie! Il faut que je
meure, j'ai un compte à rendre à Dieu, et
mon éternité sera telle qu'aura été ma viel
Qu'arrivc-t-il en réglant .-a vie sur ces prin-
cipes ? 1° que l'idée de la mort modérera
tous les desseins de fortune, d'établissement,
de grandeur, et retiendra l'homme dans les
bornes d'une juste médiocrité et de la modes-
lie chrétienne ; 2° que la crainte des juge-
ments de Dieu lui f< ra rejeter toutes les voies
injustes de réussir dans ce qu'il désire, et
arrêtera l'impétuosité de ses passions ; 3° que
la vue de l'éternité le fera entrer dans la
pratique du bien, et lui donnera de l'amour
pour les vertus. Développons un peu ces
idées, et apprenons d'abord à regarder nos
entreprises par leur durée, et à nous dire à
nous-mêmes, dans les projets que nous fe-
rons : Après tout, ceci finira; et quand même
je réussirais dans ce que j'entreprends, ce
qui n'est pas certain, cela n'ira pas loin. Re-
marquez que , dans l'éloge que l'Ecriture
fait d'un grand roi, elle nous dit qu'il vit la
fin des temps; et c'est, mes frères, ce que je
souhaiterais qu'un chrétien vît toujours, car
cette pensée de la fin des choses élève l'esprit
au-dessus du monde et rend le cœur capable
de grandes choses. Je ne voudrais pas ce-
pendant qu'un chrétien se bornât à regarder
la fin des choses dans cette destruction gé-
nérale qui doit tout consumer ; car comme
nos entreprises, dans le train ordinaire, du-
rent plus que nous, et que nous laissons sur
la terre les édifices que nous avons élevés,
les biens que nous avons acquis, les familles
que nous avons établies, cette vue de la fin
des choses par rapport à elles-mêmes ne me
paraît pas assez intéressante. Je voudrais
donc qu'il regardât souvent la courte durée
de ses entreprises par rapport à lui-même ;
car comme les choses sont faites pour nous
et non pas nous pour elles, nous en senti-
rons mieux, la courte durée, en faisant une
solide réflexion sur le peu de temps que nous
avons à en jouir.
C'est ici un des plus grands points de la
sagesse de l'homme chrétien, de ne se pas
laisser surprendre à l'illusion dont le démon
se sert pour le tromper, en le flattant de vi-
vre longtemps ; car maintenant il ne dit plus
aux hommes, pour les perdre , ce qu'il dit
au premier pour l'abuser; il lui promit qu'il
ne mourrait point, et il lui était alors facile
de le lui faire croire, puisque, outre qu'il
avait été formé pour ne point mourir, et qu'on
se laisse convaincre aisément de ce qu'on
souhaite, c'est qu'étant le premier homme,
il n'avait vu mourir personne. Il est vrai
que Dieu 1 avait assuré qu'il mourrait s'il
violait son commandement ; le serpent ce-
pendant l'assurait du contraire; sa femme,
dans qui le discours du serpent aval jeté un
doute violent, le sollicitait, et toutes ces ap-
parences fortifièrent la tentation» Il crut donc
qu'il ne mourrait point; telle fut la manière
dont le serpent le séduisit ; mais maintenant
que nous savons tous, et par une longue ex-
périence, qu'il faut mourir, et qu'on meurt
effectivement et en tout temps, et à tout âge,
le démon nous dit que, n'ayant pas été de
ceux qui ont été emportés dans la jeunesse,
et que notre tempérament étant vigoureux,
nous serons du nombre de ceux qui ne quit-
tent la vie que quand il est absolument im-
possible de tenir davantage.
Ainsi il nous montre une longue suite
d'années , à peu près comme on nous fait
voir les perspectives qui nous découvrent
une belle et vaste campagne, sans nous aver-
tir que ce ne sont que des traits trompeurs
d'une toile ou d'une muraille qui va nous
arrêter à quatre pas. Il nous flatte d'une lon-
gue vie, sans nous dire qu'elle peut être ter-
minée dans un moment, et qu'il n'y a rien
de si incertain que sa durée. Que doit donc
faire un homme sage pour éviter l'illusion
dans une affaire aussi importante? Le voici,
mes (rès-chers frères : 1° 11 faut qu'il consi-
dère d'une part combien on vit dans le train
ordinaire, et jusqu'où peuvent aller les plus
robustes et les plus forts; 2° il faut ensuite
qu'il examine combien il a vécu; 3" qu'il re-
garde combien il peut espérer de vivre en-
core, même en se flattant; et qu'enfin il se
dise à lui-même : On vil pour l'ordinaire
jusqu'à soixante-dix ans, allons jusqu'à qua-
tre-vingts ans ; peu y arrivent, mais on y ar-
rive quelquefois. J'en ai déjà passé cin-
quante, je ne puis espérer d'en vivre encore
autant, mais en me flattant, je peux encore
compter sur quarante ; rien cependant n'est
plus incertain que celte espérance, il en faut
convenir. Est-il temps de songer à s'établir,
quand ou n'a plus qu'une vingtaine d'années
à vivre? un homme qui assiste à un specta-
cle n'aurait-il pas perdu l'esprit s'il voulait
faire bâtir une maison pour le voir plus com-
modément? Et qu'est-ce que c'est que tout
ceci, sinon un spectacle exposé à mes yeux,
qui va disparaître dans un moment? Prœterit
figura hujus mundi, la figure do ce monde
passe. Ce spectacle va être enlevé dans un
instant. Qu'est-ce donc que vingt années?
Qu'est-ce que c'est même que mille ans, se-
lon le langage de l'Ecriture? Mille ans sont
devant vos yeux, Seigneur, comme le jour
d'hier qui est passé, dit un prophète. Eh bien 1
quand je serai un peu plus haut, serai-je
plus heureux? Quand je serai un peu plus
bas, en serai-je beaucoup plus mal? Quand
je pourrais parvenir à la plus haute fortune,
ce qui est très-incertain, combien tout cela
durcra-l-il? Que sont devenus tous ceux que
j'ai connus, qui semblaient élrc arrivés au
comble des grandeurs du siècle? Tout est
passé. La mort est inévitable , l'heure est
certaine, le jugement sans appel, l'éternité
sans fin. Quelles vues, ô mon Dieu I cl on n'y
pense pas ! Croyez-moi , mes très-chers frè-
res, » elle pensée est bien capable d'arrêter
un homme, de le faire rentrer dans lui-même,
de le retenir dans les bornes de la modéra-
291
ORATEURS SACRES. DuM JEROME.
iron rhrétienne, et enfin de l'obliger de se
■ lire à lui-même : Je suis bien insensé «le
courir après du venl el de la ramée, et de
poursuit re des biens itnaginain s, qui ne font
que passer comme des fanlôm s, et qui nous
laissent les mains villes, comme les son ses
de la nuit. Je ne dis pas, chrétiens, que cette
pensée doive vous empêcher de travailler
dans la condition où la Providence vous a
placés, ni de songer à l'établissement d'une
famille dont Dieu vous a chargés; mais avec
cette pensée on travaille en ehréli ns, avec
moins d'attache, d'avidité, d'empressement :
on pense à soi, on règle ses affaires sur son
salut, on fait attention miip ses entreprises,
on examine la nature de ses affaires, par
rapport au jugement qui suit la mort, et au
compte qu'il en faudra rendre au Seigneur.
C'est la seconde vue que doit avoir un
homme chrétien qui veut régler les mouve-
ments de sa vie sur la pensée de la mort : il
regarde ses plans, ses entreprises, ses pro-
jets, non-seulement du côté de la mort qui
doit tout dissiper, mais du côté du jugement
qui doit la suivre, Pour bien entrer dans
cette seconde vue. il faut établir quelques
principes qui appartiennent à la foi : lu que
nous ne sommes sur la terre que pour y opé-
rer notre salut; 2" qu'il faut le faire dans la
profession réglée où la Providence nous a at-
tachés; 3' que notre sanctification se fera en
remplissant les devoirs de notre profession ;
t° que les devoirs sont renfermés dans les
rèjjle- que Dieu a prescrites dans ses Ecrilu-
res pour ceux de cette profession ; 5° que le
jugement de chaque chrétien ne sera qu'un
examen de la conduite de sa vie, par rapport
à ces règles, suivi d'une sentence rigoureuse.
Cela étant ainsi, le chrétien qui pense au
jugement n'y pense que pour le prévenir, et
le prévenir, c'est se juger soi-même, en se
renfermant dans les justes règles de son état.
Dieu, mes frères, prend plaisir à nous voir
prévenir les rigueurs de sa justice, et rien
ne lui est plus agréable qu'un homme qui
examine sa conduite, qui entre en compte
avec lui-même, qui remarque ses péchés, qui
les confesse, qui les punit, qui les efface, et
qui ôte à cette justice les sujets de ses juge-
ments et de ses vengeances. Rien n'est si
agréable à ses yeux qu'un chrétien rempli
de l'idée du compte qu'il lui doit rendre de
sa vie, et appliqué à en mesurer tous les
mouvements, par les lègles qu'il lui a pres-
crites dans si s Kcrilures : cette idée n'empê-
che point un homme de travailler, mais elle
fait qu'il travaille plus chrétiennement, plus
solidement, [dus sûrement. Celle pensée
n'est point contraire aux affaires temporel-
les, quand elles sont bonnes; elle n'est con-
traire qu'aux mauvaises cl à celles qu'on ne
lait que par des voies injustes.
(Juand un homme est occupé de cette pen-
sée, il prévient l'examen el le jugement qu'il
appréhende, par celui qu'il fan lui-même de
toutes les choses qu'on lui propose. Il ne
donne ni dans toutes les vues, ni dans toutes
les impressions que le monde reçoit. Il ne
se règle pas sur le jugement des hommes qui
poui il .lient, ni sur des règles arbitrait
qui ne sont établies que sur l'autorité di s
hommes; mais il se règle sur la parole du
Seigneur qui le confondra : il ne regarda
pas si une allairc est honnête selon le monde,
m lis il examine si elle est juste: il se met
bien dans l'esprit qu'elle ne le peut être -i
elle n'est conforme à la loi el à la parole do
Seigneur. Ainsi on ne voit point dans la con-
duite de cet homme d'équivoques, d ^ur-
piises, de duplicité, de mauvaise lui : tout
est franc, lout <st ouvert, tout e-t siinèrc
dans ses manières et dans son procé lé. Ah !
chrétiens, que cet état est lu ureux '. ./ mar-
chais, A\\ David, dan* l'innoceneede mon <■
un milieu dr ma maison. Quel repos I Quelle
tranquillité ! Quelle paix! Ouelle assurai
pour le temps et pour l'éternité dans une
pareille conduite! Ce/ut qui marche simple-
ment, dit le Sage, marche avec assurance. Une
conduite réglée sur ces principes mène à l'é-
ternité bienheureuse, où on n'arrive que
par la pratique des bonnes œuvres, et où elle
conduit ceux qui soi t assez sages et assez
heureux pour la suivre. C'est là enfin la der-
nière vue qu'un chrétien doit prendre pour
régler sa vie sur la pensée de la mort ; car
comme nous devons êlre jugés sur nos ac-
tions, il faut compter que nulle de nos ou-
vres ne périt, et que telles que nous les fai-
sons à présent, telles nous les trouverons i
noti" mort. Elles passent présentement de
notre esprit, elles s'évanouissent dès qu'elles
sont faites, elles s'elTacent de notre mémoire :
on ne se souvient plus, d'une année à une
autre, des pensées et des sentiments qu'on
forma hier; mais cependant tout cela de-
meure fixe : l'Eglise nous en avertit, pour
nous faire songer à ce jugement lerril.le,
lorsqu'elle nous voit occupés de l'idée ce la
mort dans le temps où nou-. nous as embloni
pour rendre les derniers devoirs à nos amis :
Liber scriplus proferctur. Le livre qui est
écrit sera ouvert, nous dit-elle. Non, mes
frères, nos œuvres ne périssent point: comme
c'est par 1rs bonnes œuvres que Dieu a ré-
solu de mettre le sceau à notre prédestina-
tion,et que c'est sur les mauvaises qu'il nous
condamnera, t* utes ces œuvres doivent être
regardées comme une semence que nous
jetons en terre durant notre vie, qui est le
temps de semer, et elle lever i au lemps de no-
tre mort, qui est celui de la moisson. C'est
la pensée de s tint Paul, qui ditsi précisément
aux Calâtes : Xe vous y trompez pas, on ne
se moque pas de Dieu; l homme ne recueillera
que ce (ju'il aura semé.
C'est donc ici la dernière attention que
doit faire un chrétien quand il | ense à régler
sa vie sur la pensée de la mort. Il regarde
ses oeuvres par rapport à l'éternité, il les
regarde par les vues de la foi, suivant les
expressions de l'Ecriture dont nous venons
de nous servir, comme la semence qui pro-
duira la moisson dont il doit se nourrir du-
rant toute l'éternité.
In chrétien prend donc soin de faire choix
du grain qu'il doit Berner par rapport à la
moisson qu'il doit faire, et comme le compte
•293
SERMON H POUR LE MERCREDI DES CENDRES.
BS4
qu'il doit rendre de sa conduite au tribunal du
Seigneur, qu'il ne peut éviter, l'oblige à pren-
dre garde de ne rien faire qui mérite sa con-
damnation, les vues de l'éternité, qui doit
être réglée sur la nature de ses œuvres, le
rendent attentif à n'en faire que de celles
qui peuvent le rendre heureux, et à mulli-
plier les actions qui ont la charité pour prin-
cipe, l'Evangile pour règle, et la gloire de
liirv pour fin. Semblable, dit saint Chryso-
slome. à un homme qui, ne demeurant dans
lin pays qu'en passant pour aller s'établir
dans un autre où il doit demeurer toujours,
fait marcher devant lui ce qu'il a de plus pré-
cieux et transporte ses meilleurs effets dans
le lieu de sa résidence, de même le chrétien
convaincu »,»« celui qui sème dans l'esprit
recueillera la vie éternelle, comme pari-' saint
Paul, fait marcher devant lui l'aumône, les
jeûnes, la pénitence, la mortification des sens,
la retraite, le silence,- les retranchements:
il met à profit les pertes, les maladies, les
contradictions, tous les fâcheux effets de la
malignité des hommes, de leur injustice, de
leur mauvaise loi, de leur perfidie; il fait
entrer l'esprit du christianisme dans toutes
les souffrances qui ne sont pas même de son
choix, et, par un art excellent que la charité
nous enseigne, il change en or pour l'éter-
nité ce qui n'est que delà l>oue dais le temps.
Heureux c;jlui qui sait ainsi régler sa vie,
et qui, entrant dans le sens des paroles dont
l'Eglise se sert pour faire l'ouverture de ce
temps favorable et de ces jours de salut :
Souvenez-vous, ô homme, que vous n'êtes
que poussière : Mémento, liomo, quia pulvis
es, en sait tirer les conséquences 1
Heureux celui qui, prenant soin de s'en-
tretenir dans la pensée de la mort, règle sa
vie sur celte pensée, et se met en état d'at-
tendre la fin de ses jours avec tranquillité,
de voir approcher la mort sans frayeur, et de
la recevoir avec amour, comme un passage
à la vie bienheureuse que nous attendons 1
Ah! mes frères, qu'il est heureux de savoir
éviter, dans la surprise de ce moment terri-
ble et imprévu, les troubles et les agitations
d'une conscience mal réglée ! Mes frères,
songez-y, représentez-vous ce qui s'offrira
tout d'un coup à vos yeux dans le moment
fatal et décisif de votre éternité; car voici ce
qui s'offrira alors a vous:l° l'étal où vous vous
trouverez dans ce moment vous découvrira
les illusions de votre état passé, tout sera
fini pour vous; 2° tous les désordres de voire
vie se présenteront en foule à votre esprit,
pour vous faire sentir plus vivement les
justes motifs de votre crainte présente : vous
ne dérouvrirez de tous côtés que des sujets
de condamnation ; 8U votre sort futur, mais
prochain, qui \ous fera entrevoir votre mal-
heur pour l'éternité et les supplices qui vous
attendent, ne montrera rien que d'affreux.
Songez-y donc, mes Irès-chers frères, tra-
vaillez à éviter celle terrible et déplorable
surprise, dans laquelle on ne tombe qu'une
fois, et d'où on ne se relève jamais. Mourons
à nous-mêmes par la pensée de la mort, afin
que nous ne mourions pas pour l'éternité.
Nous essayerons, en traitant les devoirs du
christianisme dans le cours de celte qua-
rantaine, de vous apprendre à vivre comme
des enfants de Dieu, élus en Jésus-Christ et
destinés parses méritesà vivreloujours. C'est
ce que je vous souhaite.
AUTRE SERMON
POUR LE MERCREDI DES CENDRES.
Sur la cérémonie.
Etat du pécheur en lui-même.
Mémento, ho no, quia pulvis es, et in pulverem rever-
teris
0 homme, souviens-toi que lu n'es que poudre , el que lu
retourneras en poudre (Ojjice du jour).
Comme il n'y a aucune cérémonie de l'E-
glise qui ne soit établie dans la vue de nous
instruire, j'ai cru, mes frères, que nous ne
pouvions mieux faire dans ce discours que
de nous appliquer à reconnaître ce qu'elle
veut nous enseigner par la cérémonie des
cendres qu'elle vient de mettre sur la tète de
ses enfanls.
Nous voyons dans l'Ecriture que l'usage
en a souvent été mystérieux : quelquefois
elles ont été employées pour marquer la co-
lère de Dieu, comme lorsqu'il commanda à
Moïse et à Aaron de prendre plein leurs
mains de cendres, et de les jeter en l'air
contre Pharaon. 11 en est de même de la con-
duite des peuples de Béthulie sous Judith, et
des Juifs sous Mardochée, qui se couvrirent
la têle de cendres pour obtenir miséricorde
de Dieu. D'autres fois elles ont servi pour
apaiser la colère de Dieu, comme nous voyons
par le conseil que les prophètes donnèrent
aux Juifs en plusieurs endroits de se couvrir
de cendres el de recourir à Dieu dans cet état
pour le fléchir.
C'est ce qui fait, mes frères, que quand je
les regarde aujourd'hui dans les mains des
ministres de l'Eglise qui les appliquent sur
la tête des chrétiens, il me semble qu'elles
signifient encore la même chose, et c'est,
seion moi, la raison de l'usage que l'Eglise
en lait dans celte cérémonie. Elle les répand
sur la tête de ses enfants, comme si elle leur
disait : Pécheurs, vous qui n'êtes que cen-
dre, et qui osez combattre la volonté de votre
Dieu, souvenez-vous qu'il est prêt à vous
réduire en cendre. Mais en même temps
qu'elle les menace, elle les console, et, pre-
nant ces paroles dans le sens de la miséri-
corde de son époux, au nom duquel elle les
prononce, elle leur dit encore : Souvenez-
vous que, quoique vous soyez moins que de
la poussière, vous pouvez néanmoins apai-
ser la colère de Dieu irrité par vos crimes,
si vous avez recours à la pénitence, et que
vous vouliez vous couvrir de cendres; car
c'est à quoi je vous invile en les répandant
sur vos têtes.
Voilà, mes frères, l'esprit de la cérémonie
qui nous assemble. Je m arrête donc à con-
sidérer deux choses dans les cendres qu'on
nous met sur la têle pour en expliquer le
mystère : la première, ce qu'elles sont en
elics-méines ; la seconde, ce qu'elles opèrent
par l'usage qu'on en fait.
iM
OHATEl'KS SACHES. DOM JEROME.
m
Si nous les considérons dans ce qu'elles
sont, elles ne me paraissent que le reste d'un
corps consumé par le feu, et une légère sub-
stance qui peul cire dissipée par le moindre
venl; si nous considérons ce qu'elles opèrent
par l'usage qu'on en lait ordinairement, il
me paraît qu'elles servent à 61er les plus
grandes lâches et à purifier les choses souil-
lées; c'est même l'osage auquel l'Ecriture les
destine en ordonnant que l'on nettoie les au-
tels avec la cendre.
Quand je m'arrête à ce qu'elles sont, et
que |e vois l'Eglise les mettre sur la têle du
pécheur, je comprends qu'elle ne les y met
que pour l'obliger à reconnaître ce qu'il est
devenu par son péché : c'est ce que nous ex-
pliquerons dans la première partie; quand je
m'arrête à ce qu'elles opèrent, je comprends
que l'Eglise ne les met sur la têle du pé-
cheur que pour lui apprendre ce qu'il peut
devenir par la pénitence : ce sera l'objet de
la seconde partie.
Entrons dans l'esprit de l'Eglise, appre-
nons à connaître ce que nous sommes de-
venus par le péché et ce que nous pouvons
devenir par la pénitence. Adressons-nous au
Saint-Esprit par l'intercession de Marie. Ave,
Maria
PREMIÈRE PARTIE.
11 n'y a rien, mes frères, qui nous marque
mieux l'état du pécheur, et qui soit plus pro-
pre à nous en faire comprendre la misère,
que les cendres que l'Eglise met aujourd'hui
sur la tête de ceux qu'elle considère sous
cette qualité : c'est pourquoi Dieu, voulant
faire connaître à l'homme ce qu'il était de-
venu par son péché, se sert de la comparai-
son de la poussière et de la cendre pour lui
donner une juste idée de ce qu'il est devenu :
il lui Fait un grand détail de toutes les misè-
res qu'il s'est attirées par son péché; et pour
lui donner une idée qui les renferme toutes,
il se sert de celte expression : Vous n'êtes
que poudre. Ceux qui ont parlé par son es-
prit ont suivi ces expressions : Job compare
toute la grandeur humaine à la poussière et
à la cendre ; le prophèle-roi, en marquant la
différence des justes et des pécheurs, com-
pare les uns aux arbres plantés sur les eaux
courantes et qui portent leurs fruits en leur
temps, et les autres à la poussière que le
vent emporte de dessus la terre. Appliquons-
nous, mes frères, à en reconnaître la ju -
tesse, et, développant le mystère que l'Eglise
nous propose aujourd'hui dans la cérémonie
des cendres, faisons voir au pécheur ce qu'il
est dans l'état du péché.
Pour le faire d'une manière sensible, per-
mettez-moi de considérer dans les cendres,
1" leur substance ; 2° leur figure.
Or, pour expliquer l'idée que j'ai formée,
je dis que leur substance ne doit être regar-
dée pour ainsi dire que comme un néant, et
que leur figure n'est presque pour ainsi dire
que l'effet d'une imagination qui se joue , et
même je ne sais si l'on peut véritablement
appeler une substance cc.qui n'est propre-
ment que les restes d'une substance consu-
mée par le feu; car rien n'approche davan-
tage do né 'ni que la cendre : c'est la der-
nière chose qui demeure après la destruc-
tion du corps d'où elle est tirée, et elle ne
peut plus être i ban ée en autre chose qu'en
ce qu'elle e I ; c'est donc l'image la plus s li-
sible et ia pi s naturelle du néant. En effet,
si vous considérez la grandeur et la magni-
ficence d'un bâtiment et la multitude des cho-
ses qu'il contenait avant que le feu l'eût dé-
truit, et que vous regardiez les cendres qui
demeurent après la consommation, vous «se-
rez obligés de convenir qu'il esl réduit à i ien.
Ainsi on peut dire, dans un sens très-vérita-
ble, que la cendre n'est rien, ou que, si c'est
quelque chose, c'est l'image du néant. Ce-
pendant, dans ce monceau de cendres qui
n'est rien, et qui n'est éclairé que par la
lueur mourante du feu qui va s'éteindre, les
hommes trouvent quelquefois différentes li-
gures de choses : ils y voient ce qui n'est pas,
et par le feu de leur imagination ils se trom-
pent eux-mêmes et ils prennent plaisir à s'a-
buser. Or voilà ton image, pécheur, et c'est
ton crime qui a mis celle ressemblance entre
la cendre et toi. Tu n'es donc qu'un néant
dans l'état du péché; mais, ne connaissant
pas la misère de ton imagination, tu l'abuses
sous de trompeuses apparences, et lu le
flattes malheureusement d'un espoir qui te
trahira.
Essayons donc aujourd'hui de t'ouvrir les
yeux en suivant les intentions de l'Eglise,
et, imitant le roi des Ninivites, qui s'assit
sur la cendre pour prêcher la pénitence, ar-
rêtons, pour ainsi dire, sur nos létes celles
que les ministres de l'Eglise viennent d'y
mettre, pour reconnaître ce que nous som-
mes et pour apprendre à devenir ce que nous
pouvons êlrc.
Je ne sais, mes frères, si vous ne me dés-
approuvez pas d'avoir comparé le pécheur
à la cendre, puisque les justes mêmes n'ont
pas cru se déshonorer en s'y comparant :
Je parlerai à mon Seigneur, quoique je ne
sois que poudre et que cendre, disait autrefois
Abraham à Dieu. Il esl vrai qu'on peut dire
qu'il parlait de son corps, qui n'est que pous-
sière et que cendre, dans les justes couine
dans les pécheurs, ou que, se regardant par
rapport à Dieu, sa justice personnelle ne l i
paraissait que de la cendre, en comparaison
de la souveraine sainteté.
Mais le pécheur n'est que poussière, de
quelque façon qu'il se regarde ; c'est un
néant partout, et sans parler de ce qui lui
esl commun avec les justes du côte de son
élre, je ne m'arrête qu'à ce qu'il se procure
lui-même par son péché, n'y avant point vé-
ritablement, dans un sens, d'autre néant
que celui-là. C'est ce qu'il sera lac. le de
comprendre, si nous établissons une fois ce
principe de la foi, qu'il n'y a point d'autre
vie que la vie de la grâce, la vie naturelle
n'étant rien, si elle ne sert à celle-ci, cl la
vie éternelle n'étant auire chose que la vie
de la grâce dans sa consom nation.
Ce principe étant établi, il n'est pas diffi-
cile de faire voir au pécheur qu'il est reduil
297
SERMON II POUR LE MERCREDI DES CENDRES.
298
dans le néant, et que la cendre qu'on lui
met aujourd'hui sur la tête est un symbole
admirable de l'état de misère et d'anéàntis-
semenl où il est réduit par son péché : il n'y
a\ mes frères, qu'à faire réflexion sur ce
qu'il était avant son péché, où il est tombé
par son péché, en quel état il est réduit par
son péché.
Pour faire comprendre au pécheur ce qu'il
était avant son crime, il faudrait lui décrire
les grandeurs de la grâce chrétienne et les
effets merveilleux de son baptême, et c'est,
mes frères, ce qui n'est pas facile à faire,
parce qu'à peine le peut- on comprendre,
dit saint Augustin. Par cette grâce nous som-
mes faits participants de la nature divine :
c'est sur cela que saint Denis appelle un
homme qui a reçu le baptême, déitié, ce qui
est exactement vrai, puisque par la grâce
de son baptême il est tellement uni à Dieu,
et Dieu tellement uni à lui, que Dieu de-
meure en lui, et il demeure en Dieu. Il se
fait dans son âme, par la grâce et par la
charité, ce qui s'est fait en quelque sorte
dans l'humanité sainte par la vertu de l'u-
nion hypostatique; et c'est ce qui fait dire à
saint Augustin en tant d'endroits que nous
sommes faits saints dans le baptême par la
même sainteté qui a rendu saint Jésus-Christ
même; nous sommes les membres, et il est
notre chef, et l'onction de la tête est répan-
due sur les parties du corps.
C'est là le mystère que nous enseigne le
chrême que l'Eglise applique sur le sommet
de la tête des enfants dans le baptême; car
de même que Notre-Scigneur est devenu
christ et oint à l'instant qu'il a été conçu
dans le sein de la Vierge, parce que celle
sainte humanité unie au Verbe a reçu l'onc-
tion de la grâce et de la divinité même, dont
elle fut toute pénétrée dès ce moment et pour
toujours, ainsi le chrétien par son baptême
est uni au corps de Jésus-Christ, il reçoit
l'onction de la grâce qui est s.i charité, et
avec la charité le Saint-Esprit, et avec le
Saint-Esprit toute la divinité qui demeure et
qui habite en lui : Mansioncm upud eum fa-
ciemus.
11 est donc rendu participant de la vie de
Dieu, et celte grâce, dit saint Thomas, est
comme une autre âme surnaturelle ajoutée
à son âme : c'est pourquoi Dieu est appelé
l'âme de noire âme ; car comme notre corps
vil de noire âme, de même c'est de cette âme
divine que coulent en nous toutes les habi-
tudes surnaturelles des vertus; et comme
toutes les puissances naturelles coulent en
nous, pour ainsi dire, de la substance de no-
tre âme, on peut dire du chrétien que quand
il agit, c'est Dieu qui agit en lui ; quand il
prie, c'est Dieu qui prie en lui.
Par là je découvre la grandeur du chré-
tien ; par la grâce de Jésus-Christ il vit de la
vie de Dieu, il agil par le principe de la vie
de Dieu, et il a droit de se reposer dans la
vie de Dieu. Mais que lui arrive-l-il par son
péché? 11 éteint en lui le principe de la viede
Dieu, il se réduit dans l'impuissance malheu-
reuse d'agir par lo principe de vie, et il se
OllATElKS SACRÉS. XXX.
dépouille du droit qu'il a à l'héritage éter-
nel. Le grand édifice de sa prédestination
élevé sur les mérites du sang d'un Dieu, qui
lui donnela qualité de son fils adoplif, tout ce
grand édifice est consumé par le feu du pé-
ché, et il se trouve réduit dans un néant
plus déplorable que n'est celui où paraît à
nos yeux un superbe et magnifique palais
que le feu a dévoré et dont il ne reste plus
que la cendre.
Dans cet état le pécheur n'est plus que
cendre : Mémento, homo, quia pulvis en;
car, comme dit saint Grégoire, que signifie
la poussière, sinon les pécheurs?et d'où vient
qu'il les appelle ainsi, si ce n'est parce que,
n'étant point affermis par le poids de la rai-
son et de la foi, le moindre vent des tenta-
tions les enlève?
Voilà l'état du pécheur : il devient le jouet
de ses passions, et il est continuellement
battu par les désirs déréglés de son cœur :
tantôt élevé par l'ambition, tantôt aballu par
la tristesse, quelquefois violemment agité
par la colère, d'autres fois languissant dans
l'oisiveté; enfin il est semblable à ces tour-
billons de poussière que le vent agile, qui
tournent et qui n'avancent point, etqui, après
avoir incommodé ceux qu'ils ont enveloppés,
sont dissipés par le même vent qui les a éle-
vés, sans qu'il en reste rien.
C'est l'image des impies qui ne marchent
point dans les voies droites de la vérité et du
la justice, mais qui tournent incessamment
autour d'un cercle formé par leurs passions,
par l'illusion et par l'erreur, et qui enfin
comme la poussière sont enlevés tout d'un
coup de dessus la terre et dissipés par le
vent : Tanquum pulvis quem projicit vcnlus
a facie terrœ.
Peut-on abaisser davantage l'homme pé-
cheur? mais peut-on donner une idée trop
basse de ce qui n'csl rien? Néanmoins, mes
frères, celte cendre s'élève contre Dieu;
celte poussière gonflée d'orgueil se flatte de
pouvoir travailler, quand il lui plaira, à
l'ouvrage de son salut ; elle se figure des for-
ces et des ressources qu'elle n'a point : res-
source dans l'espérance de vivre, fausse et
illusoire; ressource dans une certaine ten-
dresse de cœur et de désir de salul, encore
plus fausse et plus dangereuse; ressource
dans une idée de la miséricorde de Dieu,
aussi fausse et aussi téméraire que les deux
autres. Le pécheur, trompé par son imagina-
tion, croit voir dans toutes ces ressources
des fondements d'espérance pour son salut,
qui ne sont réellemi nt que dans sa seule ima-
gination : ainsi le pécheur, privé de la vie
et réduit par ses habitudes dans l'impuis-
sance morale de faire le bien pour se réta-
blir, se flatte néanmoins d'une vaine espé-
rance, el s'abuse malheureusement par ce
faux espoir.
C'est encore par celle illusion qu'il doit
se reconnaître dans la cendre qu'on lui met
sur la tête; car, ainsi que nous le disions il
n'y a qu'un moment, comme dans un mon-
ceau de cendre, qui n'est éclaiié que par l.i
lueur mourante d'un feu qui in s'éteindre,
10
ORATEURS SACRES. f>O.M JEROME.
l'imagination q i s'abuse elle-même nous
fait voirdes Bgores qni n'y sont point, ainsi,
mes frères, ce pécheur qui n'est plus qu'un
mooceaa «le cendre animé par on rayon de
vie qni va se dissiper, se Halte limerai
ment dans l'affaire de son salut, et se nour-
rit d'une espérance qui n'est propre qu'a le
séduire. O homme 1 souviens-toi done qu,:
tu n'es que cendre; ta vie te trompe, ion
cœur te séduit, et tu te sers de ton Dieu même
pour l'abuser. Car remarquez, mes frères,
que !c pécheur compte sur le temps pour
faire pénitence, sur le changement de son
c or pou la faire sincèrement, et sur la
grâce de Jésus-Christ pour opérer ce chan-
gement; et voici l'illusion du pécheur qui se
Halte d'une espérance sans fondement, et qui
voit ce qui n'est point.
Comme il jouit encore de la vie, il espère
d'en jou r longtemps ; comme il se sent de la
force et de la vigueur, il regarde la mort
dans un point de vue très-éloigné, et il ne
peut croire qu'il est en péril de mourir bien-
tôt : ainsi il remet à faire dans un temps in-
certain ce qu'il devrait commencer dans le
temps dont il jouit : il se promet une longue
suite d'années, il se figure une longue vie
vers la fin de laquelle il se propose de met-
tre quelques moments en réserve pour son-
ger à l'affaire de soi; salut; et il ne pense
pas que, tandis qu'il dispose dans son ima-
gination d'un temps qui ne lui appartient
point, sa vie, comme parie l'Ecriture, n'est
qu'une vapeur qui paraît un peu de temps,
et qui disparaît aussi à l'heure qu'il y pense
le moins. Ceci est d'expérience; profitez,
mes très-chers frères, du malheur d'autrui,
réveillez-vous.
Un autre mauvais office que lui rend son
imagination abusée, e' qui regarde ses in-
clinations, c'est que son cœur le séduit : il
croit y voir ce qui n'y est point, il se rassure
sur un certain désir de salut qui n'est qu'un
effet de l'amour que tous les hommes ont na-
turellement pour la félicité, et sur une idée
de ne vouloir pas finir sa vie dans les pra-
tiques ni dans les engagements qui l'ont oc-
cupé, et de changer sur la fin de ses jours de
conduite, de sentiments et d'inclinations :
idée qui n'est qu'une tromperie du cœur
pour s'abuser lui-même et pour apaiser par
là sa conscience ; tout cela séduit le pécheur
en lui montrant des ressources et des espé-
rances aussi fragiles, et moins solides en-
core que celles qu'il établit sur la longueur
de la vie.
Car, mes frères, il lui arrive plutôt de vi-
vre que de changer les inclinations de son
cœur et les sentiments qui ont réglé toute sa
vie. Mon Dieu, nenous laissons point séduire
par le vain espoir de changer quand il nous
plaira 1 Que cette fausse tendresse sur l'ar-
ticle du salut ne nous trompe point; car
' elle nous conduira infailliblement, à une in-
sensibilité qui nous mettra dans l'impuissance
de quitter notre pèche et de ehanger nos in-
clinations. Les inclinations nous font agir.
les actions forment en nous les habitudes,
les habitudes nous engagent dans une espèce
de nécessité qui nous arrête dans le mal
d'une manière a n'en poinoir plus sorlir.
Saint Augustin explique admirablement toot
rogrès de l'iniquité: il dit que d'abord
nations qui se forment de notre cor-
ruption ne sont que comme des vapeurs lé-
gères que le moindre rayon de soleil peut
dissiper : quand elles p ! 11 ut au\ actions,
; est comme de la neige, un rayon un peu
plus fort peut la fondre; quand elles sont
passées en habitudes, elles deviennent comme
de la glace formée par un froid extrême, un
rayon plus ardent la surmonte encore, et
lorsqu'il a agi quelque temps dessus, nous
la voyons fondre à nos yeux: mais quand
1'babttude est invétérée, le cœur devient
comm du cristal qui ne peut plus se résou-
dre en eau; il devient endurci, rien ne peut
le toucher, et il est moralement impossible
qu'il sorte de cet état malheureux. Ne vous
fiez donc pas à cette idée de changement,
ci tte espérance est vaine, votre cœur s'en-
durcira, vous périrez, parce que vous avez
voulu vous tenir dans le péril, dit le Sage,
et vous ne connaîtrez votre malheur que
quand vous ne pourrez plus y remédier.
Je sais que le pécheur se flatte de la m lé-
ricordedeson Dieu, et c'est justemei.t pour
achever de le séduire qu'il se propose cette
dernière idée d'une grâce qui le convertira.
Car, mes frères, quoiqu'il soit certain qu'il
n'y a nul état dans cette vie où l'on ne
puisse espérer et compter sur la miséricorde
de Dieu, et ou il ne puisse faire ressentir les
effets de sa grâce, il est vrai cependant qu'il
faut convenir de certains principes indubi-
tables parmi les théologiens: c'est qu'encore
qu'il y ait une grâce suffisante et ordinaire
pour tous les hommes rachetés du sang de
Jésus-Christ, il est pourtant certain qu'il y
a des pécheurs à qui les grâces ordinaire- ne
suffisent pas, il leur faut des grâces extra-
ordinaires pour les convertir : il n'est pas
sûr que Dieu leur accorde ces grâces extra-
ordinaires, parce qu'ils se sont rendus in-
dignes de sa miséricorde. L'Ecriture ne nous
dit-elle pas que Dieu a des jours de miséri-
corde auxquels il pardonne au pécheur,
mais qu'il a aussi des jours de colère aux-
quels il ne lui pardonne pas? Ainsi, mes
frères, il n'est pas sûr que Dieu nous donne
ces grandes grâces absolument nécessaires
pour fondre un cœur de cristal et de roche,
pour changer des habitudes invétérées et
pour opérer le plus grand miracle de sa
grâce.
Mais ce qu'il y a de plus sûr, c'est que le
moyen le plus certain pour s'en rendre In-
digne, c'est de mépriser toutes les grâces
ordinaires qu'il nous fait dans la roe de
celle dont nous nous Hâtions; car il n'y a
rien de si contraire au bon sens que de se
llalter que ce Dieu que nous outrageons
tous les jours de propos délibéré fera pour
nous, quand nous ne pourrons plus l'outra-
ger, tout ce qu'il peut faire de plus considé-
rable. Reconnaissons donc, mes frères, que
toutes ces idées d'espérances sont vaines,
qu'elles sont semblables à ces ligures que
50)
SERMON POUR LE JEUDI D'APRES LES CENDRES.
l'imagination se représente flans un mon-
ceau de cendres qu'un peu de vent dissipe
en un instant; et après avoir regardé ces
cendres qu'on nous met sur la têle dans ce
qu'elles sont en elles-mêmes, e( nous y être
reconnus, regardons-nous dans ce qu'elles
opèrent par l'usage qu'on en fait, et appre-
nons ce que nous pouvons devenir par la
pénitence : c'esl le sujet de mon second
point.
SECONDE PARTIE,
Quoiqu'il soit vrai, mes très-chers frères,
qu'on ne puisse trop parler de la vertu cl de
la force de la pénitence, soit à cause qu'on
publie la miséricorde de Dieu en le faisant,
parce qu'il en est l'auteur, et que c'est lui
qui nous la donne, soit à cause qu'on con-
sole l'homme pécheur par celle voie, Dieu
la lui ayant donnée, dit sainl Augustin, de
peur que le désespoir n'accroisse et ne mul-
tiplie ses péchés, je crois néanmoins qu'il
esl plus ulile de vous animer à l'enlrepren-
dre, que de vous en décrire la force et la
verlu ; car que pourrais-je vous diresurcette
matière que la loi chrétienne ne vous ail
déjà appris? Mais quelle confusion pour vous
si, en étant instruits, vous négligez de re-
courir à ce remède !
La pénitence rétablit en nous l'innocence
que le péché nous a ôlée; vous l'avez per-
due et vous ne songez pas à la recouvrer :
la pénitence efface les péchés, et nous déli-
vre des délies que nous avons contractées ;
vous en êtes chargés, el vous ne songez pas
à les payer. La pénitence, par une légère sa-
tisfaction, suspend l'arrêt de mort qui nous
menace ; par des larmes et par des soupirs
elle apaisa la colère d'un Dieu, et par des
peines qui ne peuvent durer tout au plus
qu'autant que notre vie, elle nous en épar-
gne de cruelles qui ne doivent finir jamais.
Enfin, mes frères, la pénitence nous pu-
rifie, elle nous rétablit dans notre étal, elle
nous fait renaître, dit saint Ambroise, par
une renaissance qu'on doit appeler une ré-
surrection, el elle place au rang des vierges
celui qui s'était souillé parmi les adultère-;.
Voilà quelle esl la vertu de la pénitence, qui
n'en a point d'autre que celle du sang de
Jésus-Chrisl. Elle nous est figurée par les
cendres que l'Eglise nous met sur la tête,
pour nous apprendre que comme les cen-
tres purifient les choses souillées et leur ren-
dent leur première beauté, ainsi la péni-
tente nous rétablit dans l'état d'où nous som-
mes déchus : elle nous rend la vie, elle nous
met en état d'agir par principe de vie el elle
nous redonne non-seulement le droit à la
gloire, mais elle nous en ouvre le chemin
et nous y conduit. Quand vos péchés, dit le
Seigneur, seraient comme ircarlate, ils devien-
dront blancs comme In neige.
Vous n'ignorez pas toutes ces choses, mes
cher» frères, cl c'esl ce qui fait que je ne
m'étends pas davantage ; mais comme on ne
les sait qu'à sa condamnation lorsqu'on n'a-
git pas selon la connaissance qu'on en a, je
veux vous convaincre d'embrasser celte pé-
nitence dont vo.is connaissez la vertu, et
dont vous ne devez pas ignorer la néeessité.
il y faut exhorter les pécheurs en tout
temps ; mais on ne peut le faire plus à pro-
pos qu'en celui-ci, que saint Augusliu ap-
pelle des jours saints et précieux. En
effet, Dieu a des jours de miséricorde et des
jours de colère, el nous commençons au-
jourd'hui ces jours heureux où tout contri-
bue à nous assurer des effets de sa miséri-
corde. Profitons de l'occasion qu'il nous pré-
sente. Toute l'Eglise gémit dans ce saint
temps, elle est dans les larmes et dans la
pénitence, elle redouble ses prières, elle de-
mande miséricorde pour ses enfants, et Jé-
sus-Chrisl, qui est son chef, va se mettre à
sa tète pour la conduire dans le désert prier
et jeûner avec elle. Voilà, mes frères, le
temps de la miséricorde: Dieu pou rail-il re-
fuser quelque chose à des suppliants péné-
trés de son amour? y a-t-il quelque maladie,
quelque invétérée qu'elle puisse être, que la
vertu de la pénitence ne guérisse ?
Ne laissons donc pas échapper ce temps
précieux el favoraide, mes très-chers frères,
ne passons pas ce carême, comme nous en
avons passé tant d'autres, sans profiter de
la miséricorde que Dieu nous offre ; joignons-
nous à l'Eglise pour prier, et prions avec
elle pour obtenir grâce; jeûnons avec elle,
et tâchons de profiter de lous les moyens
qu'elle nous donne pour nous réconcilier
avec Dieu. De mon côté, je n'oubl-'erai rien
( autant que Dieu m'en rendra capable) pour
vous y conduire, pour vous marquer les rè-
gles de vos engagements et les obligations de
vos états, pour vous enseigner la manière
de faire pénitence et de vous sanctifier dans
vos conditions. Priez pour moi, mes frères,
et demandez à Dieu qu'il mette dans ma
bouche les paroles de votre salut. La seule
chose que je me propose, si Dieu m'en rend
capable, c'est de vous instruire sans vous
troubler, de vous corriger sans vous déses-
pérer, et de vous régler sans vous flatter:
c'esl là où se terminent toutes mes vue».
Que Dieu bénisse mes travaux, afin qu'ils
puissent vous servir à mériter le ciel. Je
vous le souhaite, etc. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE .IIÎU01 D'APRES LES CENDRES.
Des devoirs envers les domestiques.
Domine, (.uer meus iacei in domo paralvticus. et maie
tomuelur.
Seigneur, fai chez mol un serviteur malade d'une uara-
lijste qui le tourmente fort {Matlli., VIII, 0).
Après les louanges que le Sauveur du monde
donne au eenlenier de notre évangile, je ne
craindrai pas de le proposer pour modèle
aux chrétiens, el ils ne doivent point avoir
de honle d'apprendre d'un infidèle de qui Jé-
sus-Christ a loue hautement la piété, quelle
doit être la conduite d'un maître chrétien à
l'égard de es domestiques. Les obligations
qui le lient à ceux qui le servent sont très-
grandes, et j'ajoute très-relevées dans l'ordre
de Dieu; mais la négligence qu'on apporte à
remplir les engagements dam lesquels ou
303
ORATEURS SAl EtES M)M JKROME.
entre par ces obligations est si déplorable,
que j'ai cru qu'il sérail très-utile de vous
parler aujourd'hui de celle matière.
Chacun se trouve bien d'être maître, ceux
qui ne le sont pas font tout ce qu'ils peuvent
pour le devenir, ccu\ qui le sont se glori-
fient de l'être; mail peu s'appliquent à con-
naître les obligations de cet état, ei moins
encore pensent solidement à s'en acquitter.
Cependant l'ignorance de ces obligations im-
portantes n'excuse pas ceux qui les ont con-
tractées; ils doivent s'instruire de leurs de-
voirs , et la négligence à les remplir dans
ceux qui les connaissent esl suffisante pour
les perdre éternellement.
Essayons donc de traiter aujourd'hui celle
matière de telle sorle qu'en instruisant les
uns dans ces devoirs, nous proposions aux
autres l'exemple de ce centenier de l'Evan-
gile de qui le Sauveur du monde a admire la
foi et qui produit aux maîtres chrétiens un
modèle si excellent de la justice et de la
charité qu'ils doivent à leurs domestiques;
nous apprendrons à ceux-ci en [tassant leurs
devoirs envers leurs maîtres : ainsi je rédui-
rai toute cette matière à deux propositions.
1* Un maître chrétien est lié à sou domesti-
que par des obligations très -pressantes,
mais qu'on ne veut point reconnaître: pre-
mier point ; 2° en conséquence de ces obli-
gations , un maître chrétien entre dans des
engagements à l'égard de son domestique
qu'on ne songe point à remplir : second
point. En deux mois, ce que c'est qu'un maî-
tre chrétien dans l'ordre de Dieu : première
partie; ce qu'il doit à son domestique, s'il
veut ne pas violer cet ordre sur lequel il
sera jugé : seconde partie. Demandons l'as-
sistance du ciel. Ave, Maria.
: 'RI Mil RI PARTIE.
Pour prendre une idée précise de l'étal
d'un maître chrétien dans l'ordre de Dieu, et
entrer naturellement dans celle des obliga-
tions qui le lient à son domestique, il est
nécessaire d'établir, 1° que Dieu esl égale-
ment le maître, le souverain el le père de
ceux qui leur sont soumis : cette proposition
appartient à la foi; elle est de l'apôtre saint
Paul, qui l'a établie dans son Epitrc aux
Epbésiens, comme un fondement solide des
devoirs des maîtres à l'égard «le leurs do-
mestiques. Vous avez, leur dit-il, les uns et
les autres un maître commun dans le ciel,
qui n'aura point d'égard à la condition des
personnes; nous tirerons dans un moment la
conséquence de ce principe: première vérité.
2° L'inégalité des conditions qui fait les
souverains cl les sujets, les maîtres et les
serviteurs, les riches et les pauvres, n'est
point un effet du hasard ni de la fortune :
tout cela esl réglé dans l'ordre de !a Provi-
dence. Voici comme parle le Saint-Esprit
par la bouche du Sage : Le riche et le pauvre
se sont rencontres, et le Seigneur est le crài-
teur de l'un et de l'autre; c'est Dieu lui-même
qui vous a placé dans celte condition , vous
J eles par son ordre: seconde veiné.
3 Dans chacune de ces conditions établies
'0»
par la Providence, il y a des devoirs essen-
ln ls qui en font la perfection quand ou les
accomplit, et le désordre quand on l<
glige; el c'est à l'accomplissement de ces de-
voirs que l'apôtre saint Paul exhorte les
chrétiens de 1 hessalonique : Nous vous ex-
hortons, dit-il, de vous appliquer chacun a te
ijur. tous are: à faire, el qu'il répète t <•-
fortement dans le dernier chapitre de la se-
conde lettre aux Corinthiens; et même jui-
(jui-là qu'il exhorte les iidèles de cette Eglise
d'éviter la conversation de ceuv qui ne tra-
vaillent pas, el de se séparer de ceux qui ne
s'appliquent pas à remplir les devoirs de leur
état. C'est à quoi on ne pense guère dans le
monde, cependant c'est en cela que consiste
la vraie piété; connaître ses devoirs et les
remplir : troisième vérité.
Ces principes étant établis, nous allons re-
conoaîlre les obligations qui lient l^s m
chré iens à leurs domestiques, en réfléchissant
sur les desseins que Dieu s'esl proposés dans
celle diversité de conditions qu'il a établies
dans le monde comme maître et souverain ;
sur les besoins mutuels où les hommes se
trouvent suivant l'ordre de ses desseins; en-
fin sur les devoirs dont chaque condition esl
chargée selon cet ordre de Dieu, pour sub-
venir à ces besoins mutuels. Je ne prétends
pas regarder ici les desseins de Dieu dans
cet ordre purement naturel qui ne nous
montre que la beauté de l'univers dans la
variété des conditions qui le composent, ou
sa magnificence dans les utilités du com-
merce qui l'enrichissent ; mais je les regarde
dans cel ordre naturel formé par son amour,
et dans les vues de sa miséricorde qui a réglé
toutes choses pour sa gloire et pour le salut
de ses enfants.
Or, mes frères, il me semble que les des-
seins que Dieu a eus en formant le monde
dans cette variété d'états cl de conditions,
qui met les uns dans l'élévation et les a lies
dans l'abaissement, a été que les hommes
apprissent à le connaître, quoiqu'il affectât
de se cacher à eux pour exercer leur foi et
pour la couronner; el qu'aussi il a voulu
unir les hommes les uns aux autres par les liens
d'un amour devenu comme nécessaire par celle
subordination qui les rend dépendants les
uns des autres. Terlullien nous explique ce
premier dessein de Dieu par des paroles
qui semblent renfermer un paradoxe, il se
fait connaître, dit-il, quoiqu'on ne le voie pas,
et il se rend invisible, quoiqu'on le voie. Eu
effet, quiconque regardera l'ordre de l'uni-
vers dans les différentes espèces de créatu-
res, qui sont toutes les ouvrages de Dieu,
dans leurs mouvements et dans leur durée,
reconnaîtra non-seulement l'existence, mais
la puissance, la grandeur el la majesté de
Dieu qui les a faites, qui les souticut, el qui
se montre suffisamment en elles el par elles.
N'est-ce pas ce que saint Paul a voulu ap-
prendre aux Romains, lorsqu'il dit que de-
puis la création du monde, les perfections
invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et
sa diviuiic deviennent visibles par la con-
naissance, que les créatures nou> eu don-
'Mi
SERMON POUR LE JEUDI
nent? Et il tire de cet argument une preuve
de l'existence de Dieu suffisante pour rendre
inexcusables à son jugement ceux qui ne s'y
rendent pas. C'est ce qui a fait appeler si à
propos l'univers et toutes les créatures qu'il
renferme, l'évangile des philosophes et des
païens, par lequel Dieu leur est annoncé.
Mais quiconque considérera, non pas les
créatures insensibles, mais l'homme pour
qui eiles ont été faites, l'homme qui est le
chef-d'œuvre de ce divin ouvrier, l'homme
qui est son enfant , de qui il se dit en mille
endroits le tendre Père, l'homme pour le-
quel il a donné la vie de son Fils, et qui
verra un homme au-dessus d'un autre hom-
me qui n'est pas plus que lui, considérant
cet homme placé dans un état si différent de
celui d'un autre, dans une condition si oppo-
sée, l'un souverain et l'autre son esclave,
l'un dans l'élévation, et l'autre dans l'abais-
sement, l'un possédant tout, et l'autre
n'ayant rien: ah! il reconnaîtra que Dieu
étant également. père de celui qui est misé-
rable et de celui qui est heureux, également
maître des biens et des conditions qui les
distinguent et qui mettent en eux une diffé-
rence si sensible, n'a pas fait l'un pour le
sacrifier à l'autre, puisque c'est lui qui a créé
les unset les autres. Il reconnaîtra qu'il y a ici
quelque mystère, et qu'il veut se rendre visi-
ble etinvisible tout ensembledansl'unetdans
l'autre. En effet, mes frères, il se rend visible
au malheureux dans la personne qui estau-
dessus de lui, parce qu'il la charge du soin de
le soulager. Cependant il demeure invisible,
parce que tout se fait par des voies très-sen-
sibles et par des moyens tout humains; il
se rend visible en quelque sorte à celui qui
est heureux et dans l'élévation, par la loi
qu'il lui impose de soulager les misérables,
et il se cache aussi en quelque façon sous
ces avantages humains qu'il tire de l'accom-
plissement de cette loi, parles services que
lui rend celui qu'il soulage : ainsi il se mon-
tre à ceux qui regardent sa conduite avec
une certaine attention, et il se cache aux
superbes qui ne veulent pas voir les princi-
pes que nous avons établis, et qui ne jugent
des choses que par des vues basses que leur
suggèrent leur orgueil et leurs passions.
Ajoutons à cela qu'il veut encore par ce
moyen rendre l'amour comme nécessaire
entre les hommes en les mettant dans une
dépendance mutuelle les uns des autres,
et les lier d'abord dans la société humaine
pour les préparer à une alliance que la cha-
rité doit rendre toute sainte. C'est pour cela
que je vous ai «lit qu'il fallait faire deux ré-
flexions sur les besoins dans lesquels les
hommes tombaient selon l'ordre des desseins
de Dieu ; car, mes frères, retenez bien cette
venté, s'il vous plaît: il n'y a que Dieu seul
qui n'ait aucun besoinde ceux qui le servent,
et qui soit un Seigneur absolument indépen-
dant de ses sujets et de ses serviteurs. Tous
les hommes, de quelque condition qu'ils
puisent être, sont dépondants les uns des
autres. Ecoulez parler saint Augustin sur le
psaume LXIX. Mes frères, dit ce K.unl doc
D'APRES LES CENDRES. 366
leur, vous n'èles pas absolument ni pleine-
ment les maîtres de vos serviteurs. D|où
vient cela? c'est que vou.î êtes tous deux
créatures de Dieu, cl que devant ses yeux
vous êtes dans une parfaite égalité. Souve-
nez-vous de nos principes, vous êtes diffé-
rents dans l'ordre présent; vous faites chacun
un personnage dans l'économie de ses des-
seins, vous représentez un maître et vous
l'êtes en effet ; mais vous ne l'êtes pas plei-
nement ni indépendamment. Votre domes-
tique représente un serviteur et un sujet,
mais quand l'ordre présent sera accompli,
vous vous trouverez égaux, et le plus grand
du monde est-il sorli de cette vie, il ne sera
pas autre que le plus misérable de tous les
hommes. Ainsi donc dès à présent il n'est
pas plus devant Dion qu'il sera alors ; vous
êtes égaux aux yeux de Dieu, et aucun de
vous n'est ni véritablement maître ni vérita-
blement serviteur. De plus, avec toule cette
différence que Dieu a mise entre vous et vo-
tre domestique dans l'ordre présent, vous
êtes néanmoins dans une dépendance mu-
luelle si véritable et si réelle, que si votre
domestique a besoin de vous pour sa nourri-
ture et pour sa vie, vous avez besoin de lui
pour une infinité de choses où son secours
vous est nécessaire. Par là nous pouvons
dire avec toute assurance et dans le vrai,
que les plus grands seigneurs et les plus
puissants monarques sont plus dépendants
que les autres, parce que, formant de plus
grandes entreprises, ils ont besoin de plus
de secours. Us dépendent pour la guerre des
soldats et des capitaines qui les défendent et.
qui les font triompher de leurs ennemis. Ils
dépendent pour le commerce des négociants
qui enrichissent leurs sujets, et par leurs
sujets leurs personnes. Us dépendent poui'
la police qui règle leurs royaumes, et qui en
fait des Etals heureux, des magistrats et
des officiers qui tiennent la main à l'obser-
vation des lois qu'ils y ont établies; ce qui
en passant vous doit donner une faible idéo
des grandeurs du monde, puisqu'elles ne
sont, à proprement parler, qu'une extension
de dépendance, et une servitude réelle que
les hommes ont relevée par quelque sorte
d'honneur el de prérogatives qu'ils y ont at-
taché;. Mais prenons des exemples plus
communs: le grand éclat de. ces conditions
éminentes nous empêche d'en voir la dépen-
dance, ceux menus qui les possèdent n'en
connaissent pas la servitude, parce qu'elle
es! adoucie p;;r tant d'agréments pour IV.-
monr-propre, qu'à peine peut-elle s'y faire
sentir un moment. Nuis la considérons
mieux dans une condition médiocre, où nous
expérimentons tous les jours (pie si nos do-
mestiques ont besoin de nous, nous avons
besoin d'eux, et que s'ils ne peuvent se pas-
ser de nous pour vivre, nous ne pouvons
pas noi! plus nous passer d'eux pour vivre
commodément et dans la bienséance de notre
étal: nul n'est donc, absolument parlant,
serviteur.
Or, mes frères, il était nécessaire que cela
fût ainsi: 9«lon l'ordre des desseins de Dieu.
507
OISATKUHS SACHES. OOM JEltOMK.
30fJ
il fallait que h s bommea sentissent des be-
soins mutuels, afin que chacun glorifiât Dieu
dam sou état; que celui qui eil heureux re-
coiuiûi lu faiblesse de son bonheur par les
besoins qu'il y ressent et par les dépendan-
ces qu'il lui laisse. H fallait qu'il y eût des
besoins mutuels, afin que la providence de
Dieu parût, elle qui met abondamment dans
la main des uns ce qui manque a la néces-
sité des autres. Il fallait qu'il y eût des be-
soins mutuels, afin que la nécessité récipro-
que liât les hommes d'affection ; que le ser-
viteur regardât son maître comme son père,
que le maître regardât sou serviteur comme
son enfant. 11 fallait enfin qu'il y eût des be-
soins mutuels, pour que la foi du domesti-
que fût éprouvée, et qu'il apprît à connaître
et à servir Dieu dans la personne de celui
qui est chargé de prendre soin de sa subsis-
tance et de sa vie.
Nous le dirons bientôt, il faut que le maî-
tre se regarde comme dépositaire des biens
de Dieu, et comme le •. érilable ministre de
ses desseins. C'est, mes frères, ce que j ap-
pelle le devoir essentiel du maître chrétien,
d'où il faut prend te l'idée précise de cet état,
et par où nous achèverons de prouver que
les maîtres sont lié j à leurs domestiques par
des obligations indispensables. Toutes les
vérités que nous venons d'exposer me font
comprendre qu'un maître chrétien est pro-
prement l'homme de Dieu choisi par sa pro-
vidence pour exécuter les desseins qu'il a
formés sur tous ceux qui sont sous sa dé-
pendance et qui composent la famille dont il
est le chef. C'est l'idée exacte que nous de-
vons en avoir; la condition d'un maître
chrétien , c'est un pur ministère1 qu'il lient
de la main de Dieu; son autorité et sa puis-
sance sont une participation de l'autorité
souveraine de celui qui est seul maître par
sa nature.
Ces choses, mes frères, ne sont pas des
imaginations de l'homme, ce sont des vérités
divines ; et quoique la concupiscence , l'or-
gueil et l'amour-propre aient répandu sur
notre esprii des nuages qui nous empéchi ni
de les voir clairement , elles n'en sont pas
moins réelles : voici comme l'Ecriture et les
Pères ont parlé sur celte matière.
Vous, maîtres, dit saint Paul, témoigin z de
l'affection à vos serviteurs, sachant que vous
avez les uns et les autres un Maître commun
dan:: le ciel; vous n'avez donc, vous, maîtres,
qu'une autorité soumise, qu'un pur minis-
tère. Voilà comme parle l'Écriture; et voici
comme saint Augustin s'exprime : Dans la
maison d'i.n juste qui vit par la foi et qui se
regarde ù i-Las comme un étranger, celui </ui
commande ne commnde }>as par une passion
de dominer, mais par un dessein de, servir. Ce
n'est pas par un sentiment d'orgueil pou
lever au-dessus désunir* s, ruais par un senti-
ment île l/ienvi illance et dans la vue d'aider
ceux (jui lui sont soumis et de leur faire du
bien. Ce sainl docteur n'a donc regardé un
maître chrétien que comme l'Immole de
Dieu, chargé île sa pari d'un ministère qui le
lie à ceux qui dépendent de lui. C'est donc
une vérité certaine et solidement établie ; de
là , mes frères , quelles conséquences en
faut-il lirer? Les voici : 1 C'est que, comme
vous tenez toute cette puissance et celte auto-
rité de Dieu, vous ne la pouvez posséder lé-
gitimement qu'aux condition! que Dieu vous
l'a donnée; v .us ne pouvez en user que
pour les fins que Dieu lui-même vous g pres-
crites : cela est constant. Ainsi, lorsque »ous
regardez extérieurement le rang où Dieu
vous a mis, et que vous fait s r< ndre ce qui
est dû à ce rang, vous devez, par une vue in-
térieure, solide et véritable, reconnaître qm
vous n'avez rien naturellement aa-dessus de
vos domestiques, que le droit, non pas prin-
cipalement de vous faire obéir, mais de fair :
obéir à Dieu, el élre en élat de répondre que
c'est pour Deu que v ous commande!, et que
vous avez en vue dans vos commaudem'nls
la gloire de Dieu el le bien de ceux qui vous
sont soumis. 2° Vous devez penser que c'est
sur vous que Dieu se repose jour tous les
besoins de vos dom sliques, et que c'est entre
vos mains qu'il a mis tous les moyens néces-
saires pour les soulager; car, encore une
fois, qu'étes-vous comme maîtres et comme
puissants ? vous êtes les ministres des lilM -
lités du grand maître et de l'unique souve-
rain. Les biens qu'il donne se réduisent à
deux espèces différentes, ceux du temps et
ceux de l'éternité, lea passagers et les éter-
nels, ceux qui sont communs aux bons et
aux méchants, et ceux qui ne sont destinés
que pour les justes. Il donne les uns immé-
diatement par lui-même, et il met les autres
entre les mains de ses ministres pour les
distribuer en son nom, par ses ordres et
suivant les règles qu'il a prescrites. Ce do-
mestique qui manque des choses nécessaires
à sa subsistance vous isi envoyé par sa pro-
vidence afin de les obtenir de vous ; c'esl par
ces besoins qu'il vous est assujetti, il ne vous
regarderait pas s'il n'en était pressé; il espère
par ses services obtenir de vous ce qui lui
manque, il attend de Dieu la sanctification
de son âme et le repos éternel ; et il attend
de vous ce qui le peut retirer de sa misère
et lui rendre la \ie supportable, et c'est mit
vous que Dieu se repose pour ces sec ours.
,'J" Enfin vous devez donc examiner avec
beaucoup d'attention jusqu'où peut aller le
bien que vous devez faire: car \ous êtes
obligés de l'aire celui que voua ; ouvez : si
vous pouvez beaucoup, vos obligations crois-
sait selon la mesure de votre pouvoir; si
vous pouvez peu. Dieu ne demande que peu
e vous; mais si \ous ne faites rien, vous
C inhaliez les desseins de Dieu, vous abusez
du ministère qu'il vous a confie, vous vous
servei du pouvoir et du bien qu'il vous a
confiés contre lui-même, el vous méritez qu'il
VOUS traite romme un roi traiterait un sujel
qui voudrait se rendre maître d'une place
qu'il lu: aurai! confiée pour \ ron-erv er son
autorité. Ces principes poses , et qu'on ne
peut révoqner en doute, où en •< ni eeai
qui, regardant leurs biens , leur fortune et
leur autorité comme des apanages de leur
naissance ou le fruit d'un travail qu'on ue
509
SERMON POUR LE JEUDI D'APRES LES CENDRES.
510
peut condamner, croient se pouvoir rendre
le centre de tous ces avantages, et s'imagi-
nent que, (ont étant pour eux, tout doit
leur être sacrifié; qui regardent un domesti-
que comme un esclave, un chrétien comme
une bête, un enfant de Dieu comme tin ani-
mal de service ; qui forcent à devenir crimi-
nel celui que Dieu leur envoie pour qu'ils
l'empêchent d'être malheureux, et qui, après
avoir épuisé les forces du corps de ce do-
mestique , l'exposent à mourir sans avoir
connu ni Dieu ni la religion, et sans savoir
où prendre de quoi soulager les incommodi-
tés d'une vieillesse que les travaux du ser-
vice ont avancée, et que la pauvreté rend in-
supportable. Ah 1 Seigneur, quels dispensa-
teurs de vos biens ! Quels ministres de vos
libéralités ! Quels agents de votre providence,
et que le nombre est petit de ceux qui savent
ce que c'est que d'être maître, et maître
chrétien, c'est-à-dire selon l'ordre de Dieu 1
J'ai pris soin de vous tracer une légère
idée des obligaiions qui lient un maître chré-
tien à son domestique. Il faut vous tracer
l'engagement où il est à l'égard de ce do-
mestique, en conséquence de ses obliga-
tions : vous savez ce que c'est qu'un maître
chrétien dans l'ordre de Dieu , apprenez
maintenant ce qu'il doit à ce domestique, s'il
ne veut pas violer cet ordre sur lequel il
sera jugé: c'est mon second point.
SECONDE PARTIE.
L'auteur de l'Ecclésiastique nous a marqué
tous les engagements où sont les maîtres
chrétiens à I égard de leurs domestiques dans
(es trois paroles : punis, disciplina, opus. Le
pain, la correction elle travail sont dus à
l'esclave ; la condition d'esclave ne se trouve
plus dans le christianisme ; ceux qui nous
servent sont des hommes libres, rachetés
par le sang adorable de Jésus-Christ et
ayant droit à la même gloire que nous ; voici
donc le scr.s qu'il faut "donner à ces paroles,
et la nature de ves devoirs : panis ; vous de-
vez à votre domestique la subsistance, pre-
mier devoir ; vous lui devez une éducation
qui réponde à sa religion ; disciplina, second
devoir : vous lui devez un emploi et des occu-
pations par lesquelles il s'acquitte de son
devoir; opus, troisième et dernier devoir:
ce sent là, maîtres chrétiens, vos obliga-
tions et des engagements indispensables
dans l'ordre de votre salut: il dépend en
partie du soin que vous aurez pris de vous
en acquitter, et afin que vous n'en doutiez
pas, ces devoirs sont fondés sur les obliga-
tions essentielles ie votre état de maîtres dans
l'ordre de Dieu ; car. suivant cet ordre lixe
et invariable, et que rien ne saurait changer,
voici, encore une fois, l'idée de vos obliga-
tions, et ce que vous êtes à l'égard de vos
domestiques, selon l'ordre éîabli par celui
qui est également votre maître et le leur.
1" Vous êtes les dispensateurs de.; fonds
que Dieu a destinés pour leur subsistance,
e'csl le fondement de votre premier devoir à
leur égard; punis, un entretien qui con-
vienne à leur élat de serviteur. 2* Vous êtes
les dépositaires des secours que Dieu leur a
préparés pour leur sanctification. C'est le
fondement de votre deuxième devoir à leur
égard : disciplina, une éducation qui ré-
ponde à leur religion de chrétien. 3° Vous
êtes les modérateurs des travaux où leur
condition les engage ; opus, c'est le fonde-
ment de votre troisième devoir à leur égard ;
des emplois et des occupations pour remplir
leur état de serviteurs et de domestiques.
Ces principes établis, entrons maintenant
dans le détail de ces devoirs; considérons-en
l'étendue et apprenons à les remplir. Or il y
a plusieurs obligations renfermées dans l'é-
tendue du premier devoir., suivant les sens
différents que les saints Pères et les interprè-
tes de l'Ecriture ont donnés au terme de
pain. D'abord vous devez à vos domestiques
la nourriture et l'entretien, ceci est fondé sur
ces paroles du XXVe chapitre du Deuléro-
nome : Vous ne lierez point la bouche du
bœuf qui foule vos grains dans retire ; ce qui
veut dire que celui qui travaille mérite qu'on
le nourrisse ; et saint Paul nous dit dans la
première aux Corinthiens , chapitre IX :
Croyez-vous que Dieu se mette en peine de ce
qui regarde les bœufs ? N'est-ce pas plutôt
pour nous-mêmes qu'il a fait celte ordon-
nance? II est vrai que saint Paul parle du
travail des ministres de l'Evangile qui leur
donne droit sur les biens de ceux pour le sa-
lut desquels ils sont occupés ; mais on peut
aussi très-naturellement appliquer ce pas-
sage au droit que vos serviîeurs, qui travail-
lent pour vous, ont sur des biens dont vous
n'êtes que les dépositaires et les dispensa-
teurs, et sur lesquels Dieu votis a chargés de
leur fournir la nourriture et l'entretien.
Cette nourriture et cet en: retien doivent
convenir à leur état de serviteur, c'est ce
que signifie cette expression panis dont le
Saint-Esprit s'est servi. Car comme le bœuf
qui foule la gerbe ne prend que le nécessaire
sans délicatesse, et se contente du grain qu'il
trouve sous ses pieds , on ne doit que le né-
cessaire à des domestiques, et ils ne peuvent
exiger davantage. Qu'ils se ressouviennent
de leur état, qui est un état d'humilité qu'ils
doivent aimer, et dans lequel ils douent
apprendre à glorifier Dieu , comme nous le
dirons dans tout le reste de ce discours, où
nous unirons les devoirs d s domestiques à
ceux des maîtres, y ayant une relation na-
turelle enîre les uns et les autres. Il faut
donc leur donner le nécessaire modeste-
ment, mais honnêtement, de peur que, les
traitant avec avarice et avec dureté, ils ne
tombent dans le libertinage. La chaiité vous
doit faire prévenir ces désordres, vous y
trouverez même votre intérêt ; mais la justice
vous oblige de. fournir à leurs besoins.
De plus, comme ce terme de pain, panis,
se doit entendre des gages qu'ils acquièrent
liar leur travail cl de la récompense qu'ils
méritent par leur fidélité d.ins leur service,
il faut voir de quelle manière l'Ecriture'
sainte s'explique sur cette matière. Celui, dit
l'auteur de l'Ecclésiastique, '/ni arrache ù un
homme le pain qu'il a gagne par son travail
est comme celui qui assassine son prochain.
-Il
ORATEURS SACRES. MO M JEROME.
"I
Sachez, dit saint Jacques , que le salaire que
vous fuites perdre à vus domestiques i rie con-
tre vous, ri que leurs cris montent jusqu'aux
oreilles du Dieu des (innées, C'est donc BIM
chose horrible que de retenir le salaire des
domestiques ; cependant combien y a-t-il do
maisons où on ne les paye point, d'où ils ne
peuvent sortir pour se retirer, et se luire un
petit établissement avec les fruits de quinze
ou vingt années de service ! Combien d'au-
tres cherchent querelle à leurs domestiques
en les niellant dehors pour les frustrer de
leurs gages ! On les rend responsables de ce
qui sou\cnt n'est pas sur leur compte, ou
dont ils n'étaient point chargés, ou qu'on
n'est point certain qu'il se soit perdu par
leur faute. N'est-ce pas là une injustice
criante? Car quelle, juste raison pourriez-
vous alléguer de retenir une dette certaine
pour un dommage incertain ? les soupçons
et les défiances peuvent-ils être un juste
titre pour les priver de ce que vous leur avez
promis lorsqu'ils se sont engagés à votre
service , et de ce qu'ils ont acquis en vous
servant?
Rendez-leur donc justice, vous contre qui
ils n'osent ni ne peuvent la demander. Crai-
gnez celui qui les vengera, devant qui vous
allez être égaux dans un moment, et qui
vous châtiera éternellementcomme d'injustes
dispensateurs d'un fonds commun, dont vous
vous êtes rendus propriétaires contre ses in-
tentions, au préjudice de ceux qui étaient
ses enfants comme vous.
Croyez-moi , mes frères, payez les pages
de vos domestiques tous les ans, à moins
qu'ils ne vous prient de les leur conserver.
Ne les laissez point accumuler ; on se réduit
quelquefois dans une espèce d'impuissance,
pour n'avoir pas gardé d'ordre dans ses
affaires ; et cette raison là, bien loin de vous
justifier devant Dieu, vous rend encore plus
criminels. Payez-les tous les ans, et quand
ils vous servent avec fidélité et avec amour,
ajoutez-y quelques petites récompenses ; re-
tranchez-la s'ils se relâchent, vous les ani-
merez par là à faire leur devoir. Qu'importe
par où l'amour de la vertu entre dans le
cœur, pourvu qu'il y soit?
Par ce mot punis les Pères ont entendu l'as-
sistance qu'on doit aux domestiques dans
leurs maladies. Oui, mes frères, vous éles
obligés de les assister : la raison de celle
obligation est qu'ils sont à vous et qu'ils vous
appartiennent; et si vous avez soin de vos
chevaux et de vos chiens malades parce qu'ils
sont à vous, si vous les nourrissez, si vous
cherchez des remèdes pour les guérir, à plus
forte raison devez-vous exercer la charité et
la justice envers des hommes vos semblables
et vos frères qui vous servent et qui sont
tombés malades à voire service. C'est donc
une cruauté insupportable de chasser un do-
mestique malade, et de lui refuser les ali-
ments et les remèdes nécessaires à sa guéri-
son, tandis que vous les prodiguez pour de
vils animaux.
Kt ne pensez pas en être quittes devant
Oieit en 'es envoyant dans des hôpitaux où
vous les recommandez, et où on n'ose pas
vous refuser une place parce que vous avez
«le l'autorité. Les hôpitaux ne sont établis
que pour les pauvres abandonnés el qui n'ont
pas d'autres ressources; les domestiques qui
vous servent actuellement ne sont pas de ce
nombre : faites réflexion que par là vous
manquez à un devoir essentiel de votre état
de maître et de dispensateur des fonds que
Dieu a mis enlre vos mains; caries biens que
vous possédez par un effet de la disposition
et de la volonté de Dieu, sont un fonds assi-
gné à tous c ■•( ux qui sont dan. la misère; mais
c'est une ressource pour ce domestique dans
sa maladie, sur laquelle il a acquis un droit
privilégié, en se liant à vous comme maître,
par les services qu'il vous a rendus el par
ceux qu'il est disposé de vous rendre. Que
faites-vous donc lorsque vous l'envoyez dans
un hôpital ? vous lui refusez ce que vous lui
devez légitimement, et vous ôlez a un pauvre
qui n'a point de maître la place qui lui ap-
partient et que Dieu lui a destinée. Ainsi vous
faites injustice à l'un el à l'antre; vous man-
quez au devoir de votre état, et vous trou-
blez l'ordre de Dieu. On ne pense point à ce
devoir, on songe à se décharger , et on ne
voit point au contraire qu'on atti;e par là
sur sa personne et sur sa maison la colère et
l'indignation du Seigneur.
L'Ecriture sainte rapporte que les Amalé-
cites, ayant surpris Siceleg en l'absence de
David , enlevèrent ce qu'il y avait de plus
précieux , emmenèrent les hommes el les
femmes en captivité , et mirent le feu à la
ville. Ce prince trouva à son retour le reste
de ce peuple dans une c msternalion effroya-
ble : saisi lui-même d'une douleur extrême,
il consulta Dieu et résolut de poursuivre ces
brigands avec six cents hommes. Sur leur
chemin ils rencontrèrent un homme malade
à qui ils donnèrent à boire cl à manger, et
le conduisirent à David. Qui es-tu? lui de-
manda ce prince. Je suis, répondit-il , un
Egyptien, esclave d'un Atnalêeite, qui m'a'. un-
donna ily a trois jours parce que je suis tombé
malade. Pourrai»-tu nous conduire à leur
camp, reprit David? Oui, seigneur. Avecie
tjuide il joignit les Amalécites, qui. en ré-
jouissance d !S pillages qu'ils remportaient
des terres des Philistins et de Juda, buvaient
et mangeaient épais dans la campagne. Da-
vid les attaqua, les tailla en pièces , reprit
tout le butin (l les captifs, parmi lesquels
étaient ses deux femmes.
Ainsi, mes frères, Dieu vengea l'inhuma-
nité de ce maître barbare qui avait abandonné
son serviteur malade, et toute l'armée fut dé-
faite par un petit nombre de gens qui trou-
vèrent ce domestique, laisse comme une bêle
dans la campagne sans aucune compassion
pour sa misère*
Ah! qu'il y a de gens qui ressemblent en
leurs manières à ces Amalécites ! on va cher-
cher bien loin la cause des malheurs qui ac-
cablent une famille, et on ne voit poiut que
c'est le violement de certains devoirs qu'on
ne veut pas connaître, quoique essentiels
dans l'ordre de Dieu : c'est l'effet d'une iu-
;i5
SERMON POUR LE JEUDI D'APRES LES CENDRES.
3U
justice sur laquelle on ne fait point d'atten-
tion, parce qu'elle regarde des gens de qui
on ne tient aucun compte et qu'on estime
moins que des bêles : mais Dieu, qui les re-
garde autrement que vous, et aux yeux de
qui le maître est souvent moindre que le ser-
viteur, prend leur cause en main, se venge
de vos injustices dès cette vie, et vous dé-
pouille des biens dont vous n'avez pas usé
selon les règles qu'il vous a prescrites.
Détournez, mes frères, de dessus vos fa-
milles les effets de cette indignation du Sei-
gneur, suivez l'exemple du centenicr de no-
tre évangile : il ne met pas son serviteur à la
porte, il ne l'envoie pas à l'hôpital, quelque
incommode et à charge que lui soit sa para-
lysie : il le garde dans sa maison , il le fait
traiter dans sa maladie, et après avoir épuisé
les remèdes humains, il prie ses amis d'inter-
céder pour lui auprès du Sauveur du monde,
qui faisait alors de grands miracles : il y
vient lui-même. Voilà, mes frères, l'exemple
que vous donne un homme de guerre, il y a
des gens de bien dans toute profession : ce
qu'un idolâtre qui ne connaissait point Jé-
sus-Christ fit peut-être alors par des motifs
de compassion, d'intérêt, d'honneur, d'ami-
tié, faites-le par des vues de religion, de cha-
rité, de justice et d'obéissance aux lois de
l'Evangile.
La charité vous oblige pour l'exemple
d'aller aux hôpitaux et d'aller visiter les pau-
vres de votre paroisse; mais quand vos do-
mestiques sont malades, la justice vous oblige
d'en avoir soin. Alors faites vos hôpitaux de
leurs chambres; vous serez là plus en as-
surance et moins exposés à la vainc gloire :
toutes les œuvres extérieure s et éclatantes
sont peu de chose devant Dieu, si elles ne
procèdent d'un fonds de charité sincère qui
vous porte à remplir vos devoirs , c'est-à-
dire ceux qui sont essentiels à votre état.
Enfin le mol panis s'entend d'un établisse-
ment qu'on doit procurer aux domestiques
qui ont servi fidèlement etavec affection. Ceci
n'a pas tant l'air d'une obligation et d'un de-
voir, que d'un avantage et d'une gloire atta-
chée à la condition d'un maître qui a entre
ses mains de quoi faire aisément la fortune
d'un homme et l'établir dans une espèce de
repos. Y a-t-il rien de plus touchant que
d'entendre dire : Je suis redevable de mon
établissement et de ma fortune à un maître
que j'ai servi ? Y a-t-il rien de plus grand que
de rendre un homme coulent, de le combler
de joie, de prévenir ses besoins, de le mettre
en état d'êlre heureux? C'est par là qu'an
maître se rend semblable à Dieu en quelque
sorte dans l'ordre naturel. Faire du bien !
non, mes frères, rien n'est si digne d'un chré-
tien que celle disposition généreuse, tendre
cl bienfaisante, qui lui fait mellre son bon-
heur à procurer celui des personnes qui lui
■ont soumises dans l'ordre de Dieu. Rien au
contraire n'est si indigne d'un enfant de Dieu,
que d'abandonner des serviteurs de qui on a
consommé la jeunesse et la force. Il est vieux,
il est usé, il n'est bon à rien; qu'en faire?
C'est justement par là qu'il mérite que vous
en preniez soin. Etablissez-le, soyez son pro-
tecteur, ne le laissez point tomber dans la
pauvreté; que ce domestique qui vous a servi
fidèlement vous soit cher comme votre âme :
Sit tibi dilectus quasi anima tua. Voilà les
sens à peu près que les saints Pères ont don-
nés à cette première parole du Sage, partis,
et l'étendue du premier devoir d'un maître
chrétien à l'égard de sesdomestiques. Voyons
le second, qui consiste dans l'éducation : di-
sciplina.
Celui-ci, mes frères, est d'autant plus élevé
au-dessus du premier, qu'il regarde l'âme,
qui est infiniment plus noble que le corps,
et que le salut du domestique en dépend, ce
qui n'entre point en comparaison avec sa
nourriture et son établissement. Saint Au-
gustin veut que nous imitions les anciens
patriarches. Selon le témoignage de l'Ecri-
ture, ils ne mettaient de différence entre
leurs enfants et leurs esclaves que pour ce
qui concernait les biens temporels, car ils
les aimaient tous également en Dieu de qui
nous attendons les biens éternels; ce qui est
tellement conforme à l'ordre naturel, dit ce
Père, que le nom de père de famille est venu
de là, nom que les méchants mêmes affec-
taient; car on ne s'avise pas de dire maître
de famille, mais père : ainsi ceux qui sont
vraiment pères de famille ont un soin égal
que tous ceux de leur maison : domestiques
aussi bien qu'enfants, servent et honorent
Dieu.
Or vos domesliques sont à vous : ils vous
doivent regarder comme leur père, parce que
Dieu se sert de vous pour les délivrer de
l'ignorance et du péché, et pour leur donner
la vie de l'âme. C'est par là, maîtres chré-
tiens, que votre état est bien relevé, mais
vous ne vous avisez guère de le regarder de
ce côté-là ; ce sont des grandeurs très-émi-
nentes dans l'ordre de Dieu, mais très-petites
dans votre eslime. C'est par là que vous êtes
les dépositaires des secours que Dieu a pré-
parés à ces hommes pour leur sanctification ;
car pour l'ordinaire ce sont des gens qui
sortent jeunes de leurs provinces, de dessous
la conduite d'un père et d'une mère qui ne
leur ont donné nulle éducation. S'ils sont
baptisés, ils ne connaissent ni Dieu ni la reli-
gion, ils ont besoin de toutes sortes d'instruc-
lions; et Dieu, qui vous les envoie comme
dépositaires des secours qu'il leur a prépa-
rés, vous charge du soin de les leur donner,
et dans l'instant qu'ils sont liés à vous par
l'engagement qu'ils se sonl fait de vous ser-
vir, vous regardez-vous comme obligés de
les garantir de la mort du péché, de l'igno-
rance etdc la corruption? Voilà l'obligation,
en voici retendue.
Vous devez donc les faire instruire si vous
ne le faites pas vous-même, leur faire ap-
prendre à connaître Dieu, à l'aimer, à l'a-
dorer et à le servir; les faire instruire exac-
tement sur Ions les devoirs du chrétien et
sur ceux de leur état; envoyez-les aux in-
structions qui se font dans la paroisse. Et
vous, gens de qualité, qui avez un grand
nombre de domestiques, ayez un ecclésias-
SIS
OHATEURS BAGRK8. I>0\| jr.HOMF-
S1G
tique de la paroisse qui vienne instruire \os
gens chez vous. Vous devez I s envoyer à la
messe de p.iroisse. aux proues, aux prédica-
tions, et leur donner le loi ir de vaquer à
ces devoirs. Vous devez les assembler pour
prier Dieu en votre présence et avec vous
au moins le soir: tenir la nain pour qu'ils
se confessent souvent, qu'ils gardent le ca-
rême, qu'ils sanctifient le dimanche et les
fêles; où en êtes-vons sur cet article? Vous
ne vous embarrassez guère s'ils connussent
Dieu, s'ils le servent, s'ils \w sont fidèles,
pourvu qu'ils vous servent: mais il viendra
un temps où vous connaîtrez ce que c'est que
d'avoir été maîtres comme vous l'avez été.
Vous devez les édifier par votre conduite,
ne rien faire vous-même ni ne rien souffrir
qui puisse leur êlre une occasion de péché.
Souvenez-vous de ce qu'a dit Jésus-Christ
contre ceux qui sont des sujel ; de chute et
de scandale à ces petits qui croient en lui.
Mais, ô mon Dieu! qu'est-ce que c'est que la
plupart des maisons des grands, sinon le
cenlre de tout^ sorte de scandales, le irône
où régnent le monde, le vice et la corrup-
tion! Hélas 1 bien loin qu'ils y trouvent des
ressources contre l'ignorance et le péché,
c'est là où l'on réussit en peu de temps à
leur effacer toutes les idées du bien, et où
tout les porte à se corrompre. Ainsi, bien
loin ('e trouver des maîtres qui les préser-
vent de la mort, ils tombent entre les mains
de cens qui font eux-mêmes ou qui souffrent
qu'on fasse chez eux tout ce qui peut leur
faire perdre la vie de l'âme; bien loin de leur
fournir des moyens pour se sanctifier, on
leur apprend à se pervertir et on leur montre
les voies de se perdre. Mais, par la grâce de
Jésus-Christ, toutes les maisons ne sont pas
dans le même désordre : il y a des familles
chrétiennes où Jésus-Christ est connu et
servi, et où l'on apprend à le connaître et à
le servir à ceux qui les composent. Il faut
prendre garde à bien choisir ceux qu'on
admet (liez soi, suivant ce que dit le Pro-
phète : Je ne me servais que de ceux qui mar-
chaient dans rinnocence ; et souvenez-vous
qu'un domestique vicieux fera plus de mal
en un mois de résidence dans votre maison,
soit à vos enfants, soit aux autres, que
l'homme le plus sage ne leur fera de bien en
dix années.
Mais quand leurs fautes ne sont que des
faiblesses, vous leur devez la correction pour
les retirer de leurs défauts; il no faut point
user de mollesse ni se rebuter de leurs
plaintes et de leurs murmures; car comme
ce n'est pas être bienfaisant, dit saint Au-
gustin , que d'aider une personne pour
perdre un plus grand bien, ce n'est pas être
un innocent que de la laisser tomber dans
un plus grand mal sous ombre de lui en
épargner un petit. Bnfin, s'ils ne se corrigent
pas, chassez-les, de peur qu'ils ne gâtent les
autres; ils n'ont plus à faire avec vous, du
moment que, ne leur étant plus utiles pour
leur salut, ils peuvent eux-mêmes devenir
un obstacle à celui des autres. Il nous reste
à exposer le sens et l'étendue de la troisième
parole de rBocléefaetJqae, tara rtw. Vous
devez les tenir dans des occupations par les-
quelles ils s'acquittent de leur-, devoirs, car
vous êtes les modérateurs des travail 1 <»ù
leurs conditions les engagent : cette dernière
réflexion regarde les dosnealiqe <t au ant que
vous.
A leur égard, voici ce qu'ils doivent sa-
voir : ils doivent vous servir, et ils n'a» quer-
n ut de droit sur tous les avantagea qu'ils
peuvent tirer de vous, qu'en vous servant
selon l'ordre de Dieu, qui les J oblige ex-
pressément : et voici, selon saint Paul,
connue ils dosent servir : 1° d'il e manière
respectueuse et même avec crainte; ± • acè*
renient et de bonne foi; 3° d'une maniera
toujours égale et uniforme, soit qu'on les
observe, soit qu'on les abandonne à leur
bonne foi, parce qu'ils ne doivent pas servir
comme s'ils s'avaient en vue que de plaira
aux hommes, mais comme serviteurs de
Jésus-Christ; \° d'une manière pleine d'af-
fection, se soutenant par la vue de Jésus-
Christ, qui doit être leur motif dins leurs
mouvements, et par celle de la récompense
qu'il leur prépare, qui doit couronner leurs
travaux. Voilà les motifs qui dohcnl vous
animer dans les services que vous êtes
obligés de rendre à vos maîtres, vous, chré-
tiens, que la Pro\idence a fait naitre dans
la dépendance, et v;>us, maître-, ce sont ceux
qui doivent vous rendre attentifs à les tenir
appliqués à ce travail, dans lequel ils trou-
veront leur sanctification, et non pas préci-
sément l'utilité que vous en relirez, ni l'a-
vantage d'être servi. .Mais s uvcuez-voiis que
c'est abuser du pouvoir que vous avez sur
eux de les accabler de travail el de les
surcharger comme des bêles. Ayez de l'huma-
nité, ce sont vos frères, et que les travaux
que vous exigerez d'eux puissent servir à
leur sanctification, c'est-à-dire qu'il s soient de
telle nature qu'ils puissent les porter au
bien, et qu'ils puissent honorer Dieu en les
faisant, ce qui exclut tout ce que vous exigez
d'eux en les rendant les instruments de vos
passions, et ce que vous ne pouvez faire
vous-même sans offenser la majci lé de Dieu.
Surtout dans les temps où ils n 'au. ont peint
à vous servir, occupez-les à quelque ouvrage
utile; car l'oisiveté est la m'rr de loti
cet, et principalement pour les personnes
dont la science n'est pas le partage.
Souvener-VOUS que vous repondrez au ju-
gement de Dieu de les avoir exposés aux éc-
rasions de pécher : par exemple, à combien
de péchés n'exp isez-vous pis vos gens en
les laissant trois ou quatre heures à la porte
des spectacles, d'une maison où vous allez
jouer? Les désordres qui arrivent de là sont
infinis. Vous n'avez du monde que pour vous
suivie, me direz-vous, vous n'irez pasaenls:
d'accord : mais faut-il que vous alliez dans
ces lieux, et que, sans compter le mal que
vous faites vous-mêmes en y allant, vous
vous chargiez encore de celui que Ce omet-
tent les gens par qui vous vous y faites suivre?
Qoel abîme I Ah! mes frères, c'e-l uneelïrova-
ble chose, selon les vues de la foi, que d'être
Si-
sermon POUR LE VENDREDI D'APRES LES CENDRES.
118
grand seigneur ! Que Dieu vous ouvre les
yeux !
De plus, dans les travaux auxquels vous
les appliquerez, ayez égard à leurs avanta-
ges ; qu'ils apprennent en vous servant des
choses qui puissent leur être utiles dans la
sui!e, qui les rendent propres à servir les
autres et qui les perfectionnent dans leurs
talents. Enfin, pour ceux qui n'ont point de
travaux particuliers, comme les domestiques
des jeunes gens, occupez-les, comme on fait
dans les maisons chrétiennes, en les faisant
travailler à des ouvrages qui puissent leur
servir; à lire, à écrire. Mai< finissons. Sou-
venez-vous donc que vous êtes liés à vos do-
mestiques par des obligations irès-précises,
et qu'en vertu de ces obligations vous êtes
entrés avec eux dans des engagements dont
Dieu vous demandera compte et sur lesquels
vous serez jugés : ceci est très-important ,
on n'y pense pourtant point. Instruisez-vous
sur cet article, afin d'en remplir les devoirs
et de vous assurer les récompenses que le
seul et unique Maître souverain prépare à
ceux qui les auront remplis. Ainsi soil-il.
SERMON
POUR LE VENDREDI D'APRES LES CENDRES.
Conserver la charité fraternelle.
Ego anteni dico vobis, diligite inimicos vestros
El moi je vous dis, aimez vos ennemis (Maillt., V, 44).
Je n'entreprends pas d'établir la nécessité
du précepte d'aimer ses ennemis; elle l'est
suffisamment par l'autorité de Jésus-Christ.
qui nous en a fait une loi dans ces paroles
de mon texte. Il ne s'agit pas non plus de
vous en montrer l'utilité : c'est par là que
nous conservons la charité, sans laquelle il
n'y a point de salut. Il s'agit d'aller à la fin
de ce précepte, qui est d'établir la paix et de
la faire régner parmi les chrétiens, en sorte
qu'ils soient tous unis par le lien de l'amour
fraternel.
Ain i, mes frères, mon dessein n'est pas
aujourd'hui de vous convaincre que vous
devez aimer vos ennemis; mais je veux es-
sayer de vous apprendre à n'en point faire,
et à conserver la paix et la charité avec tout
le monde. Pour cela je vais vous proposer
deux moyens qui feront le partage de mon
distours : le premier, de ne jamais rien faire
volontairement qui puisse déplaire au pro-
chain : première partie; le srcoi.d, tic ne se
pas offenser aisément de ce que son prochain
l'ait cl qui peut nous déplaire : seconde
partie.
Beaucoup de délicatesse sur le chapitre du
prochain, et peu sur soi-même. Vous verrez
que celte attention forme un certain tempé-
rament mêlé d'humilité, de patience et de
charité, piopre à nous faire vivre en paix
avec tout le monde, et à conserver la charité
fraternelle qui nous est si recommandée.
Demandons l'assistance du ciel. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
L'apôtre saint Paul nous averti! dans le
X 1 1 1 *-• chapitre aux Romains que l'amour
qu'on a pour le prochain ne permetpas qu'où
lui fasse aucun mal; rar il est impossible
que celui qui aime sincèrement son prochain
attente en aucune manière à sa vie, à son
honneur, à ses biens et à son repos. C'est,
mes frères, sur ce fondement et sur ce prin-
cipe de saint Paul que j'établis le premier
moyen que je vous propose pour conserver
la charité avec nos frères, qui consiste à ne
faire jamais rien volontairement qui puisse
leur déplaire.
Il faut, mes très-chers frères, être exacts
dans les moindres choses sur cette matière,
si nous voulons conserver la charité et ne
nous point attirer d'ennemis. Car nous som-
mes d'une délicatesse si grande et si étrange
les uns pour les autres, que les plus légères
rencontres, des riens, nous exposent à per-
dre le bien inestimable de la charité et de la
paix; et si nous voulons examiner sérieuse-
ment les sources et l'origine de la plupart des
différends qui divisent non- seulement les
particuliers, mais les familles et les royaumes
entiers, nous trouverons que ce ne sont son-
vent que des défauts d'honnêteté, de petits
refroidissements, des soupçons, un malen-
tendu, des entêtements, une fausse gloire,
des intérêts plus frivoles que l'on ne peut
dire; de sorte qu'il n'y a rien de si vrai que
d'avancer qu'il en est à peu près des maladies
de l'âme qui en attaquent la vie, qui n'est
autre que la charité, comme de celles du
corps: quoique celles-ci ne soient pas toutes
mortelles de leur nature, elles peuvent le de-
venir si on les irrite et qu'on les envenime.
La gangrène peut se mettre à la moindre
égralignure, si des humeurs malignes se jet-
tent sur cette partie blessée, et par là nous
causer la mort par une plaie que nous avions
regardée comme une bagatelle. De même le
moindre mécontentement nue l'on aura don-
né à quelqu'un, soit par quoique défaut do
zèle dans la défense de ses intérêts, soit par
quelque contradiction imprudente, peut être
cause de la mort de son âme et de la nôtre,
parre que ce léger refroidissement peut être
le principed'une aigreurqui pourra augmen-
ter dans la suite, jusqu'à éteindre la charité
en lui et en nous.
Il faut donc que ces considérations nous
obligent à veiller extrêmement sur nous-mê-
mes, pour ne rien faire qui déplaise au pro-
chain. Ce qui produit ordinairement l'indif-
férence, l'aigreur et la haine, c'est, ou qu'on
attaque le prochain dans ses intérêts , ou
qu'on le contredit dans ses sentiments , ou
qu'on le combat dans ses passions. Il faut,
mes frères , si nous voulons ne nous point
faire d'ennemis et conserver la charité et la
paix avec nos frères, avoir une attention
particulière, l°à ne l'attaquer presque ja-
mais dans ses intérêts ; 1' à ne le pas con-
tredire facilement dans ses sentiments ; 3° à
ne le pas combattre témérairement dans ses
passions : c'est une excellente conduite pour
ni" lui déplaire jamais et pour le ménager.
Eclaircissons un peu ces règles , afin d'aller
au-devant de toutes les difficultés qu'on
pourrait trouver dans leur pratique.
31!)
ORATF.l'RSSAWF/v DO M JEROME.
ylO
A l'égard de la première , qui est de n'at-
taquer presque jamais le prochain dan^ w s
intérêt»., je découvre des difficultés immen-
ses, et je ne doute pas qu'on ne me dite
d'abord : Si nous n'attaquons jamais per-
sonne dans ses intérêts , nous perdrons tou-
jours infailliblement les nôtres; et qu'on ne
me fasse ensuite celle question : Ne peut-on
jamais plaider sans perdre la charité?
Il faudrait des discours entiers pour bien
résoudre ces questions importantes et pour
donner sur cette" matière tous les éclaircis-
sements nécessaires , selon les principes de
la religion ; mais je me contenterai d'y ré-
pondre en marquant toutes les mesures
qu'on doit garder pour ménager la paix et la
charité chrétienne, qu'il ne faut jamais per-
dre, pour quelques intérêts que ce soit . Eta-
blissons donc tout ce qu'on peut dire sur
celle matière, qui est très-importante.
1° H n'est pas absolument défendu de pi i-
der; 2° on ne plaide presque jamais sans un
très-grand péril pour la charité-, 3° on doit
faire chrétiennement toutes les démarches
nécessaires pour éviter les procès ; 4" il faut
prendre de grandes mesures quand on est
forcé de plaider.
Et d'abord on ne peut nier qu'à prendre
la chose absolument, il ne soit permis de
plaider, parce qu'en effet le procès, quand il
est juste, est autorisé non-seulement par les
lois civiles, mais par la droile raison et par
la loi de Dieu.
C'est la droile raison et la loi de Dieu qui
ordonnent qu'il y ait des juges dans les
royaumes, pour arrêter la cupidité et les en-
treprises des grands, qui oppriment les pau-
vres et les faibles. Qui pourrait dire en effet
qu'il serait illicite de mener l'injustice et la
violence au pied du trône? Il n'est donc
pas absolument défendu de plaider , cela est
hors de doute, mais on ne le fait presque ja-
mais sans un très-grand péril.
C'est ce qui vous paraîtra sans difficulté ,
si vous me permettez de vous faire remar-
quer le motif qui vous fait entreprendre les
procès , la disposition du cœur de ceux qui
plaident, la conduite qu'ils gardent en plai-
dant , le scandale qu'ils donnent, et enfin le
temps qu'ils y perdent. Examinons toutes
ces choses, vous verrez qu'il est vrai qu'elles
nous exposent souvent à une espèce de né-
cessité de perdre la charité.
Le motif qui nous porte à entreprendre
presque tous les procès, c'est assurément la
cupidité et l'amour des biens de la terre;
c'e>l le désir d'en avoir, c'est l'attachement
à ceux qu'on possède, c'est l'envie de les
augmenter. Car, mes frères, on verrait bien
peu de procès, si on était dans celte indiffé-
rence que Jésus-Christ demande de ses disci-
ples, qu'on regardât les biens de la terre
avec les vues de la foi , qu'on songeât aux
leçons que le Sauveur nous a faites dans l'E-
vangile, lorsqu'il nous a donné pour règle et
pour maxime de notre conduite d'éviter toute
contestation , d'offrir notre manteau à ceux
qui veulent nous ôler notre robe , de ne
point résister au mal qu'on nous veut faire,
de ne point intenter de procès pour r
\ reries biens qu'on nous a enlevés.
Je sais fort bien, mes frères, que les paro-
les * 1 ii Sauveur ne renferment qu'un conseil
qu'il propose aux chrétiens , et qu'on est
obligé en conscience de conserver son bien]
mais je sais aussi que dans la préparation
du cœur les chrétiens doivent recevoir ce
conseil comme un commandement , c'e-t-a-
dire que non-seulement ils doivent être dans
une volonté sincère d'abandonner leurs
biens aussitôt qu'ils connaissent que Dieu le
demande d'eux, mais qu'il faut encore, lors-
qu'ils sont contraints de s'opposer aux des-
seins de ceux qui leur veulent ôler ce qui
leur appartient , qu'ils soient aussi détaches
de leurs intérêts par leurs dispositions inté-
rieures, que si réellement ils en avaient
abandonné la conservation et la dei
Jugez , mes frères , si celte préparation du
cœur est ordinairement celle d'un homme
qui défend ce bien auquel il est attaché. La
cupidité est l'ennemie de la charité et la
ruine du «alut; mais comme on s'abuse faci-
lement sur celte matière, le prétexte de sou-
tenir une affaire juste , de ne demander que
ce qui est légitimement à nous, et de ne sol-
liciter les juges que pour faire cesser une
vexation que l'on souffre , nous empêche de
voir au dedans de nous-mêmes les désordres
de la cupidité, qui nous anime et qui ruine
la charité. Il faut donc nous la découvrir par
quelque chose de plus sensible, et pour cela
examinons la disposition du cœur où on est
pour l'ordinaire en plaidant.
Avouons-le , la haine, l'envie, l'aigreur
éclatent dans l'usage où l'on est de se dé-
chirer l'un l'autre, et de débi'er mille médi-
sances contre ses parties. On va fouiller
dans les cendres des morts pour y réveiller
une houle oubliée et en couvrir le front des
vivants : on recherche toutes les affaires les
plus secrètes d'une famille pour la décrier,
quoique cela ne serve de rien à l'affaire dont
il s'agit; mais, par une erreur intolérable, on
se croit tout permis ; voilà nos dispositions,
où est la charité ?
De plus, quel est le procédé qu'on garde ,
c'esl ordinairement d'user de toutes sortes
de finesses et de déguisements, c'est de tâ-
cher de se surprendre l'un l'autre eu se ten-
dant des pièges, en multipliant les procédu-
res, en corrompant les juges , si on peut, en
donnant à de mauvaises affaires un tour qui
les rend d'abord douteuses , et en achevant
de les rendre bonnes par des sublililés qui
peuvent abuser les hommes , mais qui nous
rendent plus criminels devant Dieu, et qui
nous laissent dans l'obligation de restituer ,
ce qu'on ne fait jamais, et ce qu'on ne peut
manquer à faire sans se perdre essentielle-
ment. Or ce bien que vous emportez par
une subtilité , par une équivoque , par un
tour que vous donnez à une affaire ou par
la prévarication des juges à qui vous cachez
quelque circonstance , ce bien-là n'est point
à vous; il vous sera peut-être donne par le
jugement des hommes . il vous sera rede-
mandé au jugement de Dieu. Ce bien-là que
521
SERMON POUR LE VENDREDI D'APRES LES CENDRES.
322
vous laissez dans voire famille est un poi-
son qui lue l'âme de ceux à qui vous le lais-
sez ; car il porte avec lui une obligation de
restituer, dont vos enfants s'acquitteront
encore moins que vous. Quel abîme, ô mon
Dieu ! et quel effroyable aveuglement pour
des biens qui périront demain, et qu'on pré-
fère aux biens éternels!
D'ailleurs le scandale qu'on donne est tel
qu'on engage ses amis dans sa passion : il
faut qu'ils cessent de voir ceux avec qui
nous sommes en procès, et qu'ils rompent
toute société avec eux , s'ils veulent conser-
ver notre amitié. H faut qu'un tel soit dans
mes intérêts et dans mes sentiments, dit un
homme qui est en procès , c'est-à-dire qu'il
reçoive le venin de ma passion.
Le mauvais procédé que l'on garde contre
ceux avec qui l'on plaide leur est une occa-
sion de scandale : ils se croient permis de
faire contre nous ce que nous faisons contre
eux, et par là le chemin est ouvert aux hai-
nes, aux médisances, aux injustices, aux
recommandations criminelles et détestables.
On emploie auprès des juges des gens qui
leur sont des occasions de péché ; on com-
munique son venin^aux avocats, qu'on rend
les instruments de sa passion ; on les engage
de lâcher une infinité de traits contre l'hon-
neur de nos adversaires , et dont le public
est aussi blessé par les impressions qu'il re-
çoit de ces médisances que par les jugements
qu'elles lui donnent lieu de faire, quoique
les avocats soient obligés de ne point servir
la passion de leurs clients, ni d'employer
des paroles injurieuses dans leurs plaidoyers,
ni de ne rien avancer conlre l'honneur des
parties, à moins qu'il ne s'agisse d'un point
essentiel à leurs causes.
La doclrine de saint Augustin est admira-
ble sur cet article : il suppose comme un fait
constant, dans sa lettre à Macédonius, vice-
roi d'Afrique , qu'un avocat est obligé de
restituer ce qu'il a reçu pour avoir donné un
b.in tour à une mauvaise affaire et avoir em-
porté une cause injuste. Mais où trouve-t-on,
mes frères, entre ceux qui font la profession
d'avocats , de procureurs , etc., ou qui l'ont
faile, des gens qui aienlassez de droiture pour
dire à une partie : Voilà l'argent que vous m'a-
vez donné pour vous avoir fait gagner une
mauvaise cause; rendez à votre parlie ce que
vous lui avez enlevé par mon ministère?
Cependant, lorsque ceux de cette profes-
sion qui n'ont pas reçu dans l'ordre revien-
nent à eux et veulent faire une sérieuse
pénitence, il faut qu'ils en passent par là, et
quand la parlie refuse de profiter de l'avis et
de rendre ce qu'elle a acquis par un procès
injuste, l'avocat ne doit point profiter de ce
qu'il a eu pour récompense d'avoir appuyé
l'iniquité ; car il n'y a personne d'assez mau-
vais sens pour prétendre qu'on ne doive res-
tituer que ce qu'on a volé en secret, et non
pas ce qu'on a enlevé publiquement dans lo
sanctuaire même de la justice, où l'on punit
les autres crimes, et qu'on n'a ohlenu qu'en
[rompant le juge et en éludant les lois.
Lnfin le temps qu'on y emploie et qu'on y
perd est quelque chose de si considérable ,
que c'est à la matière que nous traitons que
saint Augustin applique le conseil de saint
Paul aux Ephésiens , de racheter le temps.
Cédez, dit saint Augustin , une partie de ce
qu'on vous demande, afin de vous exempter
de plaider , et achetez ainsi , en cédant une
partie de ce qui est à vous , le lemps que
vous emploieriez à la défendre, et que le
procès que vous entreprendriez vous enlè-
verait. Comptez , dit ce Père , cet échange
pour beaucoup : car le temps de la vie ne
nous est pas donné pour défendre au prix de
notre repos et de l'application que nous de-
vons donner à l'affaire de notre salut , des
biens périssables qu'il faudra nécessairement
abandonner à la mort.
On ne saurait assez déplorer sur ce point-
ci en particulier l'aveuglement de ceux qui
passent des vingt et des trente années dans
la poursuite d'un procès, où ils perdent leur
temps, leurs biens el très-souvent leur sa-
lut. Solliciteurs et gens qui trouvez des ex-
pédients pour plaider, vous pouvez dire :
J'ai travaillé toute ma vie à entretenir la di-
vision entre ceux parmi lesquels vous étiez
venu , ô mon Dieu ! établir la paix , et que
vous avez souhaité si ardemment d'y voir
régner. Mais on ne saurait regarder sans
indignation des ecclésiastiques et quelque-
fois des religieux qui se chargent de sollici-
ter les affaires de leurs parents et de leurs
amis , qui pour cela abandonnent sans scru-
pule ou leur résidence ou leur retraite , et
donnant à ces indignes emplois toute leur
industrie, tout leur lemps, toute leur vigilan-
ce , se laissent emporter au torrent des sol-
licitations et des affaires avec une telle rapi-
dité, qu'ils ne se donnent pas le loisir de
faire sur eux-mêmes, ni sur leurs obligations
qu'ils oublient, la moindre réflexion qui leur
puisse être utile pour le salut.
Jugez donc, mes frères, par toul ce que
nous venons de dire , si on ne s'expose pas
à un très-grand péril en plaidant, si la cha-
rité ne court pas de très-grands risques , et
si enfin l'Apôtre n'a pas raison de dire :
C'est déjà un grand mal parmi vous de ce que
vous avez des procès les uns contre les autres.
De là , mes frères , il est facile de conclure
que nous devons tout employer avant que
d'entreprendre un procès pour les affaires
même les plus justes. C'est pour cela que
sainl Paul ajoute : Pourquoi ne souffrez-vous
pas plutôt qu'on vous fasse tort ? Ainsi , mes
frères, un chrétien qui veut remplir son de-
voir doit redemander ce qui lui appartient ,
et représenter son droit doucement, il doit
remontrer ou par lui-même ou par ses amis
l'injustice du procédé qu'on garde avec lui.
Il doit rechercher toutes sortes de voies d'ac-
commodement et d'arbitrage, en relâchant
de ses biens et de ses intérêts pour rendre
l'accommodement plus facile , et acheter la
paix sans blesser la justice qu'il se doit, par
toulcs les voies qui peuvent se présenter.
J'ajouterai encore que quand l'avantage
.qui reviendrait du gain d'une affaire n'est
pas de conséquence, cl que le dommage
338
OIIATKI US SACRES. 1>0M JEROME.
•11101) recevra celui qui la perdrait serait
considérable pour lui, la charité nous doit
souvent faire abandonner noi intén ts, parte
qu'elle court risque dan lc-> procès, et (|ue
rien n'est plus opposé à l'esprit de Jésus-
Chrisl. Dieu se plaint par Isaïe (]ue ceux de
son peuple qui jeûnaient avec exactitude ne
laissaient pas d'exiger avec rigueur de leurs
débiteurs ce qui leur était dû. Dieu rejette
leurs jeûnes à cause de celle flurelé; cepen-
dant nous voyons à présent des dévols qui
tiennent la même conduite, et qui préten-
dent qu'on ne peut pas les blâmer d'être
sévères et même cruels à l'égard de et u\
qui leur sont redevables, parce qu'ils ne font
que poursuivre leurs droits et qu'ils ne de-
mandent que ce qui est juste, ne considérant
pas qu'ils blessent la justice chrétienne, en
ce qu'ils ne veulent rien céder de leurs
droits, et qu'ils préfèrent leurs intérêts par-
ticuliers à la charité.
Je m'attends que vous allez me dire que
les ecclésiastiques et les religieux plaident
comme les autres, et qu'ils redemandent ce
qui leur est dû avec autant de dureté que
les gens du monde. Je vous avoue de bonne
foi que celle conduite est scandaleuse, mais
comme il se passe bien des choses dans les
communautés qui ne dépendent pas des par-
ticuliers, et sur quoi on ne les consulte pas,
faites-moi l'honneur de me croire quand je
vous assure qu'il y en a même plusieurs qui
les condamnent sans les pouvoir empêcher.
J'avoue, mes frères, que c'est une chose
honteuse de voir que ceux qui font profes-
sion de mépriser les biens de la terre les
défendent avec plus de chaleur et quelque-
fois par les mêmes voies que ceux qui ne
s'en peuvent passer par les engagements de
leur condition.
Ce n'est pourtant pas qu'il soit absolu-
ment défendu à des religieux, d'avoir quel-
quefois des procès, pour des raison; impor-
tantes, pour éviter des dommages et des
pertes considérables , pour se tirer d'une
oppression violente, pour arrêter le cours
de quelque injustice, et pour empêcher l'e
d'une entreprise capable de ruiner le bien
d'une communauté et d'en troubler le repos :
de même que dans le monde, quand vous
avez affaire à des gens qui abusent de votre
bonté, qui vous insultent parce qu'ils savent
que vous craignez Dieu, il est permis de
plaider, après avoir cherché toutes les voies
d'accommodement, n'entrant dans les procès
que par contrainte, conservant la charité
dans son cœur, la témoignant par toutes
sortes de bonnes manières, gardant exacte-
ment la justice dans toutes les démarches.
Je crois qu'avec de semblables dispositions
un n'attttque point le prochain dans ses inté-
rêts. Au contraire on lui fait du bien en
l'avertissant de son injustice, el en essayant
de le rappeler à lui-même pour l'obliger de
rendre ce qui n'est point a lui. Mais venons
à la seconde manière de blesser le prochain,
que lacharilô ne souffre point, c'est lorsque
nous entreprenons de le contredire dans ses
geuliuieuts.
Il n'y a point d'homme qui n'aime ses
opinions, el que le fonds de la cupidité ne
porte à vouloir régner sur les esprits îles
autres. Or il y règne en quelque sorte par
la créance qu'on donne a ses sentiments, cl
c'est une espèce d'empire dont l'orgueil se
repaît, que de voir un chacun applaudir à
ses opinions. Ainsi il est bien ai>.e qu'on
ajoute foi à une nouvelle qu'il débite, et qu'il
croit soutenir en étalant ses conjectures
dans une conversation, et quoique l'objet
soit de peu de conséquence, si néanmoins
vous venez à le contredire dans ses senti-
ments, vous le blessez, el voici pourquoi.
C'< si que vous ne sauriez le combattre
sans lui faire sentir en même temps que
vous avez plus de lumières que lui, de sorte
que vous le représentez à lui-même sous
une idée qui lui déplaît. Vous lui montrai
son erreur, cela l'humilie. Vous vous pré-
sentez à lui sous une idée qui le choque, qui
l'irrite el qui excite sa jalousie en le convain-
cant que vous jugez plus sainement que lui :
ainsi vous détruisez son petit empire, <t
voilà cet homme qui s'applaudissait à lui-
même dans la flatteuse idée de régner sur
les autres, qui en voit régner un autre sur
lui.
Qu'arrive-l-il de là? il commence dès ce
moment à vous regarder comme son concur-
rent. Son esprit s'aigrit contre vous, il cher-
chera à vous contredire en tout ce qu'il
pourra, la charité s'altérera de part et d'au-
tre , et vous sortirez tous les deux de la
conversation moins disposés à vous aimer
que vous ne l'étiez en y entrant. Cette ma-
ligne disposition croîtra à proportion que
l'objet de la dispute lui paraîtra plus de
conséquence : si c'esï quelque point qui re-
garde la doctrine, il s'en lera un point d'hon-
neur ; si c'est quelque pratique qui regarde
la piélé, selon son sens, il s'en fera un point
de religion. Si ce sont des opinions delen lues
par un corps où il est lie, il s'en fera un de-
voir; de sorte que, ses idée* animant sa cu-
pidité et servant de prétexte à son ressenti-
ment, il poussera sa haine contre vous san>
scrupule, parce qu'il ne la regardera que com-
me un zèle qu'il doit à la défense de la justice
et de la vérité; et vous qui avez occasionne
celle animosiie par votre contradiction indis-
crète, vous serez responsable devant Di
des désordres qui s'ensuivront.
Mais cet homme est dans l'erreur, dinv-
vous. Tour vous répondre-, mes frères il y a
plusieurs choses à considérer : ou ce sont de
ces erreurs dangereuses qui regardent la re-
ligion, la loi. les bonnes mœurs : il est abso-
lument nécessaire de s'y opposer; il faut
réprimer les libertins, les impies, les blas-
phémateurs, les médisants déclares qui dé-
chirent les souverains, les prélats, les servi-
teurs de Dieu; ils ne veulent point avoir de
paii avec personne, il n'en faut point avoir
avec eux. Ou ces erreurs ne sont pas de
conséquence : très-souvent il ne faut rien
dire. Le Sauveur de nos Ames ne s'est atta-
che qu à combattre les erreurs qui regardent
Dieu et les moyens du salut. Il savait tout,
m
SERMON POUR LE VENDREDI D'APRES LES CENDUES.
52G
et néanmoins il n'a pas entrepris de redresser
les hommes dans les égarements où ils étaient
sur les effets de la nature, sur l'éloquence,
sur des erreurs de fait dont les histoires
étaient remplies; et comaieles hommes n'ai-
ment pas à être contredits, il faut pren-
dre garde à n'en venir là que bien à propos;
car en voulant quelquefois les combattre sur
des choses humaines, indifférentes et de peu
de conséquence, nous les aigrissons contre
nous, et nous nous mettons hors d'état de
les servir utilement dans des occasions essen-
tielles; mais si ces erreurs peuvent avoir des
suitesdecoi!séquence,ily a plusieurs choses à
observer. l°S'ilestdangereuxdelaisser passer
un tel sentiment: car quelquefois l'envie na-
turelle et maligne que nous avons de repren-
dre, ou l'attachement que nous avons pour
un sentiment que les autres combattent,
nous fait voir du danger où i! n'y en a point,
et nous nous engageons dans des contesta-
tions qui ruinent la charité, plus par l'amour
de nos propres pensées et de nos opinions
que par celui de la vérité, ou par le désir
sincère d'être utile au prochain. 2° Il faut
considérer si la personne est d'un rang, d'un
âge à bien prendre ce que nous lui dirons ;
car si elle est beaucoup plus âgée que nous,
si elle est d'une condition beaucoup plus
éminente, si elle a des avantages qui lui
donnent une créance plu ; entière dans l'es-
prit de ceux qui sont présents, et qu'elle pa-
raisse disposée à soutenir ses sentiments avec
obstination ; ce que vous lui direz l'irritera,
elle entraînera tous les autres dans ses sen-
timents, vous vous aigrirez peut-être vous-
même, vous perdrez le respect, vous vous
attirerez des alfaires ; la charité sera détruite,
et la vérité méprisée. 3° II faut au si consi-
dérer vous-même quelles sont vos disposi-
tions; car si vous n'avez pas de ces qualités
même extérieures qui attirent la créance,
que vous soyez suspect, il vaut mieux gar-
der te silence pour l'intérêt de la charité et
pour celui de la vérité. 4" Quand vous auriez
tous les avantages possibles, il faut encore
étudier les manières de contredire les senti-
ments d'aulrui. Il faut éviter les airs cho-
quants, impérieux, décisifs, qui humilient
et qui irritent ; c'est bien assez qu'un homme
soit obligé de reconnaître qu'il était dans
l'erreur, sans vouloir le dominer avec em-
pire et triompher de son aveu. La charité
est douce, elle prend toutes sortes de mesu-
res et de manières pour ménager le prochain
sans le rabaisser. Voilà tout ce qu'il y a à
remarquer sur cet article.
Il n'y a plus que le chapitre des passions,
c'est-à-dire des inclinations des hommes où
la charité nous oblige d'avoir des ménage-
ments, pour ne pas entreprendre de les com-
battre témérairement : mais comme ce troi-
sième devoir a beaucoup de rapport avec le
second, je me contenterai seulement de dire
que si les liassions des autres sont des pé-
( liés ou de simples défauts, la charité nous
oblige a garder différentes mesures. En effet,
quoique ce soient des péchés cl souvent
même des emportements qui sonl quelque-
fois suivis de scandale, on n'est pas toujours
obligé de les combattre, il suffit de n'y pas
contribuer pour n'en être pas coupable; car
pour les combattre il faut prendre garde si
les £ens sont en état de bien prendre nos
oppositions, si ce que nous leur dirons ne
les portera pointa quelques extrémités, et si
le mal que nous avons lieu d'en craindre
n'est point plus grand que le bien que nous
leur voulons procurer; car alors il faut les
souffrirenpalienceetavec charité, prier pour
eux, et attendre une circonstance favorable
de parler utilement.
Que si ces passions ne sont que de sim-
ples défauts, il faut encore prendre différen-
tes mesures pour conserver la charité. A
l'égard de ceux qui sont au-dessus de nous
soit par l'âge, soit par la condition, soit par
le mérite, il ne nous appartient pas de les
reprendre. A l'égard de ceux qui sont nos
égaux, il y a toujours plus d'humilité et sou-
vent même plus de charité à les souffrir; car
saint Paul nous recommande de porter les
fardeaux les uns des autres, si nous voulons
accomplir la loi de Jésus-Christ, et la loi de
Jésus-Christ est la charité. Nous souffrons
des défauts de nos frères, ils souffrent des
nôtres, et si l'on voulait secombattre l'un l'au-
tre sur ses défauts, notre vie ne serait qu'une
guerre perpétuelle. Enfin, à l'égard des per-
sonnes qui sont au-dessous de nous et même
dont nous avons la charge, comme des mè-
res à l'égard de leurs filles, des maîtres et des
maîtresses à l'égard de leurs domestiques,
il faut beaucoup de discrétion; car il faut
distinguer entre les choses de surprise et
celles qui sonl d'habitude. Il faut considérer
le tempérament et l'impétuosité du naturel,
l'âge et la légèreté de l'esprit, la nature des
choses, leur peu de conséquence, les temps,
les lieux et les occasions : tout cela justifie
extrêmement de certaines actions. Un jeune
homme n'a pas toute la telenue d'un homme
âgé; une fille qui est encore jeune n'a pas
tout l'éloignemenl pour lesajusteraenls,pour
les plaisirs, pour le monde, que la maturité
de l'âge et les réflexions pourront lui donner
un jour : c'est vouloir rompre la paix et
troubier le repos de sa famille, que d'être
incessamment après eux et de les chicaner
sur la moindre chose.
Vous êtes chargé de leur éducation : d'ac-
cord; mais prenez garde qu'il y a souvent plus
d'humeur et de chagrin dans vos répréheu-
sions que de véritable désir de vous acquit-
ter de votre devoir. Vous les aigrissez
contre vous, ils vous aiment moins, ils se
font un plaisir de votre éloiguemenl cl un
supplice de votre présence. La charité s'af-
faiblit, et ils sont moins disposés à recevoir
de bons avis et de solides conseils, parce
qu'ils sonl rebutés de vos censures aigres et
perpétuelles. 11 y a de certains défauts atta-
chés à l'âge et au tempérament, qui sont
dans le train de vie, comme des hôtelleries
sur une roule : tous ceux qui voyagent par
ce chemin logent toujours dan-, le même
endroit : vous avez passé par là, on vous
527
ORAThUltS SACHES. l>OM JEROME
a soufTcrl ; les antres y passent, il faut les
souffrir.
Enfin, nies Irès-chers frères, il faut loul
faire pour conserver la pais el a charité :
c'est la vie de l'âme, mille fois plus pré-
cieuse que celle du corps. Nous ménageons
tout pour la conservation de notre vie, ne
négligeons rien pour conserver la charité.
Ne manquons à aucun des devoirs de l'honnê-
teté etdelabienséaiicequi servent;-! entretenir
la paix, parmi les hommes; mais si nous
prenons garde à ne rien faire qui leur dé-
plaise, il ne faut pas s'offenser aisément de
ce qu'ils font et qui peut uous déplaire. C'est
le second moyen d'entretenir la charité, et
la seconde partie de ce discours.
SECONDE PARTIE
Le second moyen dont j'ai a \ous entrete-
nir n'est pas moins important que le pre-
mier, pour conserver la charité fraternelle
el ne se point faire d'ennemis. Car en vain
emploierions-nous tous nos efforts pour
éviter de déplaire à nos frères, si nous ne
nous app.iquious à les souffrir lorsqu'ils
nous déplaisent ou qu'ils manquent à notre
égard.
Il faut donc, mes frères, que l'amour de la
charité et de la paix nous oblige à nous gué-
rir d'une fausse délicatesse qui nous rend
très-sensibles aux défauts d'autrui, et qui,
par l'impression de cette sensibilité dange-
reuse, nous refroidit à leur égard et nous
fait prendre des manières qui ruinent la cha-
rité. Pour cela il ne faudrait qu'un peu de
patience, un peu d'humilité el un peu de
raison, pour considérer en chrétien com-
bien les choses qui nous blessent sont légè-
re», et combien il y a de faiblesse à en pa-
raître blessés. Or, mes frères, dans le grand
nombre de ces sortes de choses, je nvarrê-
lerai à celles dont on se plaint plus ordinai-
rement, et qui renferment toutes les autres
dont on peut se plaindre. Elles se réduisent
ordinairement, ou aux manières qui nous
déplaisent, ou aux paroles qui nous offen-
sent, ou aux jugements qui nous blessent.
Tout cela est si peu de chose qu'il faut être
bien malheureux et bien aveugles pour en
prendre occasion de nous refroidir à l'égard
de notre prochain, et souvent de perdre le
bien inestimable de la charité.
A l'égard des manières, elles nous déplai-
sent pour l'ordinaire, ou quand il y a de l'in-
civilité, ou quand elles marquent de l'in-
différence, ou quand elles font paraître quel-
que mépris pour nous.
Nous ne voyons autre chose dans le
monde que des gens qui s'étudient et qui
s'examinent les uns les autres jusque dans
les moindres mouvements, pour reconnaître
si on ne manque point à ce qu'ils prétendent
leur être du : si on manque à leur rendre
une visite, si on passe devant eux, si dans
une conversation ou porte la parole à d'au-
tres qu'ils croient au-dessous d'eux, enfin si
on oublie a leur rendre quelqu'un de ces de-
voirs que la civilité a établis parmi le*
hommes, L'inattention la plus légère suffit
pour qu'il» vous observent sur tout, pour
mépriser tout ce que vous direz, et pour vi-
vre avec vouid'uui' Façon aigre et tout op-
posée à la charité. Mon Dieu, que nuus soin-
mes misérables 1 nous demandons des civi-
lités et des respects ; oulie qu'ils ne nou»(
sont pas dus, et que pro' remenl ce ne soril '
que des remèdes à notre faiblesse, c'est qu'a
parler de bonne loi il n'y en a guère de sin-
cères. Ce n'est qu'un certain jargon, un pelit
rôle de paroles apprises par cœur, qu'on va
répéter partout, el qu'on n'a pas plutôt
achevé de prononcer à celui qui les a enten-
dues et qui les a prises pour lui , qu'on Ml
prêt à le tourner en ridicule, aussitôt qu'il
ne peut plus nous entendre. Voilà pourtant
ce qui nous amuse, cl le défaut de ces sortes
de choses que nous connaissons vaines est
capable de nous irriter contre ceux qui y
manquent, et de nous faire perdre le bien
inestimable de la charité.
Mais le manquement a ces devoirs, me
direz-vous , marque une cei laine indiffé-
rence pour nous qui nous déplaît. Hél sa-
vez-vous, mon frère, que cette indifférence
dont vous vous plaignez est la plu» avanta-
geuse situation d'esprit où le prochain
puisse être à votre égard ? Son amour et -
applications vous occupent souvent contre
votre devoir et vous détournent de Dieu ; sa
haine vous irrite et vous fail perdre la cha-
rité; mais celle indifférence qui tient le mi-
lieu entre l'un et l'autre vous laisse d'une
part dans la liberté d'aller à Dieu, el de l'au-
tre en état d'exercer la charité sans intérêt.
Qu'un chrétien serait heureux cl que sa dis-
position serait souhaitable, s'il n'avait ja-
mais dans sa conduite aucun égard à la dis
position des autres, et qui, sans se mètre en
peine s'il en esl aimé ou s'il en est h i . le-
rait toujours dans la vue de Dieu, et par
l'amour de la charité el de la paix, ce qui
serait nécessaire pour être aime ou pour
n'être point haï !
Car comme la vraie valeur consiste i
faire sans témoins et dans l'obscurité i
qu'on serait capable de faire a la vue de tout
le moude , ainsi la véritable fidélité pour
Dieu et l'amour sincère de son devoir se
montreraient par celle indifférence pour loul
ce qui n'est pas Dieu, et ce serait la être un
vrai et un parlait chrétien. Cet homme n'au-
rait nul égard ni à l'indifférence, ni à l'in-
civilité, ni uièine au mépris qu'on pourrait
avoir pour lui. Connue il ne regarderait que
Dieu et son devoir, il trouverait sa récom-
pense et sa gloire a plaire à l'un et a faire
l'autre. Mes frères, demandons celle dispo-
sition à Dieu, car c'est lui seul qui don.ie
celte paix que les hommes ne peuvent
donner.
Pour ce qui esl des paroles, elles nous
déplaisent, ou quand il y a de la brusquerie
qui nous choque, ou bien des railleries qui
nous offensent. Or, mes Irères. pour préve-
nir les mauvais effets que l'une et l'autre de
ces choses peuvent produire au préjudice de
la charité, il faut considérer que les brus-
queries qui nous choquent sont souveut des
329
SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE DE CAREME
effets involontaires d'une méchante humeur
qui domine celui qui nous les a faites, et
qu'il en a très-souvent de la honte quand il
vient à y réfléchir. Il est plus digne de notre
pitié que de notre colère, et il n'y a rien de
si déraisonnable que de vouloir perdre la
raison, pour se venger d'un autre qui n'en a
point.
Pour les railleries , je tombe d'accord
qu'elles blessent très-souvent : c'est une
peste dans la société qu'un railleur perpé-
tuel, et un chrétien qui veut vivre selon ses
obligations doit éviter les railleries piquan-
tes, comme un très-grand mal. Mais après
tout nous ne pouvons les empêcher absolu-
ment : tant que les hommes s'aimeront eux-
mêmes, ils auront de l'envie les uns contre
les autres, ils se piqueront, ils se rabaisse-
ront, ils se déchireront les uns les autres par
des coups de langue. Les princes et les
grands seigneurs n'en sont pas même
exempts : ceux qui viennent de leur rendre
les plus profonds respects se moquent d'eux
en les contrefaisant, les raillent dès qu'ils ne
les voient plus, et souvent leur lâchent le
couplet de chanson.
C'est ainsi que se joue la comédie du
monde : tout s'y passe en grimaces, et c'est
une espèce d'extravagance que de se persua-
der qu'on aura pour nous une conduite par-
ticulière. Après tout, si on nous raille quel-
quefois, souvent nous le méritons. Il y a
souvent tant de petitesse, tant de badineries,
tant de légèreté, tant de misère dans notre
conduite, que nous ne devons pas être sur-
pris lorsqu'on les remarque, ni étonnés lors-
que les hommes, qui sont pleins de malignité,
en raillent quand ils les ont remarquées.
Croyons seulement qu'on nous épargne sur
bien des articles ; apprenons à nous corriger
de nos défauts ou à gémir devant Dieude ceux
d'autrui ; ne nous faisons jamais de plaisir
de leurs blessures, et ne perdons point la
charité, parce qu'ils n'en ont point.
Mais des paroles , ajoute-t-on , passent
bien vite, il n'en est pas de même des juge-
ments fixes qui nous blessent et qui nous
déshonorent. Mais, hélas ! il ne faut guère
plus d'attention pour en connaître la fai-
blesse, l'impuissance et la vanité. Car ou ces
jugemeuts et ce qu'on dit de nous sont faux,
ou ils sont vrais. S'ils sont vrais, n'est-ce pas
une chose terrible que nous ne nous mettions
pas en peine d'être pauvres et dénués de
tout devant Dieu, et que nous soyons si sen-
sibles aux pensées que les hommes ont de
nous? Pouvons-nous témoigner davantage
combien nous estimons les hommes plus
que Dieu, en paraissant indifférents à ses ju-
gements, et si sensibles à ceux des créatu-
res? Y a-t-il rien de plus horrible que de ne
se pas soucier de déplaire à Dieu, pourvu
qu'on ne déplaise pas aux hommes? Ah!
mes frères, humilions-nous. Si ces jugements
sont faux, pourquoi le témoignage de noire
conscience et le jugement solide que Dieu
fait de nous, ne nous consolent-ils pas? Si
les hommes nous traitent avec injustice sur
ce qu'ils ne connaissent pas, combien y a-l-
Oratf.i'rs sacrés. XXX.
530
il en nous de défauts secrets qui méritent le
traitement dont nous nous plaignons juste-
ment à d'autres égards? Le Sauveur de nos
âmes a-t-il été traité d'une autre manière,
et pouvons-nous nous plaindre quand on
nous traitera comme lui?
Demandons-lui donc, mes frères, qu'il
change notre cœur et qu'il nous donne la pa-
tience et un peu de cette raison qui procède
de la foi, et qui nous fasse regarder les cho-
ses comme nous devons, afin de nous les
faire estimer ce qu'elles valent. N'oubliez
rien pour ne point déplaire au prochain, ne
l'attaquez jamais avec témérité ni dans ses
intérêts, ni dans ses sentiments, ni dans ses
passions.
Etudiez-vous dans votre façon de vivre,
dans vos discours, dans vos gestes même,
de ne blesser jamais personne. Les gens du
monde sont si circonspects auprès des grands
dont ils dépendent ou de qui ils attendent
quelque bienfait ! Il n'y a rien de si honnête,
rien de si complaisant que toutes leurs ma-
nières. Ah 1 mes frères, faisons pour la cha-
rité ce qu'ils font pour un misérablelnterêt.
Ménageons autant nos frères, qui sont nos
supérieurs, selon saint Paul, qu'ils ména-
gent ceux de qui ils croient dépendre. Sou-
venons-nous de ce que l'Apôtre recommande
aux chrétiens, de faire toutes choses pour
vivre en paix avec tout le monde.
Ainsi on ne peut ni on ne doit dire ■ Je ne
me mets pas en peine si je suis mal ou bien
avec telle personne : c'est ne pas connaître
le fond de la religion, ni l'essence de la cha-
rité chrétienne, qui fait tout et qui souhaite
tout pour le bien de la paix , quand il n'y a
rien de contraire à la vérité et à la justice.
Mais parce que nous no sommes pas maî-
tres de changer la disposition des autres, et
que, quelque chose que nous puissions faire,
il y aura toujours des antipathies, des hu-
meurs brusques, des railleries, des incivili-
tés, des médisances, de faux jugements, de-
mandons à Dieu qu'il nous rende insensibles
à ces sortes de choses, qu'il mette en nous la
patience, l'humilité, les vues de la foi, qu'il
nous fasse envisager les choses d'une ma-
nière chrétienne et tranquille, qu'il nous
donne une crainte salutaire de nous attirer
l'inimitié de nos frères, de perdre la charité
que nous devons à notre prochain, et cet
amour mutuel qui nous lasse passer nos
jours dans une paix qui soit le commence-
ment de celle dont nous jouirons dans le
ciel, et que je vous souhaite. Ainsi soitil.
SERMON
POUR LE PREMIER DIMANCHE DE CARÊME.
Homélie. — .Sur la tentation.
Ductus est Jésus in deserltfm a spirilu.
L'esprit mena Jésus dans le désert (Matlli., IV, 1).
Le Sauveur du monde venait d'être bap-
tisé par saint Jean, et il était sorti du Jour-
dain plein du Saint-Esprit, selon le témoi-
gnage de saint Luc, lorsque cet esprit dont il
était rempli le conduisit dans le désert qui
était proche du Jourdain. Or, mes frères, cq
il
TÔ1
ORATEURS SACRES HOM JEROME.
3T3
qui se passe ici à l'égard la Saavear est, ce
me semble, une excellente expression de la
conduite que Dieu lient but une âme qui
pense à faire pénitence, cl dans laquelle il
en a l'orme le désir.
J'j vois les mouvements de l'esprit de Dieu
qui conduit d'ahord cette âme dans la soli-
tude : conduite marquée par rentrée de Jé-
sus-Christ au désert. le vois la force de l'es-
prit de Dieu qui soutient celte âme dans les
«'preuves où elle est exposée : conduite an-
noncée par la tentation de Jésus-Christ dans
le désert. J<> vois enfin la douceur de l'esprit
de Dieu qui console celte âme dans ses ten-
tations et dant ses peines par les soins que
les anges prennent de Jésus-Christ dans le
«Jésci t : c'osl à celte idée que je m'arrête pour
vous expliquer toutes les parties de l'évan-
gile que l'Eglise nous propose aujourd'hui,
et que je réduirai aux mouvements des trois
différents esprits dont il parie, et qui agis-
sent sur Jésus-Christ. L'Espril-Saint le con-
duit, l'esprit malin le tente, et enfin les es-
prits célesles le servent.
Voilà, mes frères, la lettre de noire évan-
gile, et en voici le sens : point de véritable
pénitence sans retraite et sans solitude ;
point de retraite et de solitede sans épreu-
ves cl sans tentations; point de tentations et
point d'épreuves sans consolations et sa:is
secours. Si donc, mes frères, nous voulons
songer à faire une sincère pénitence dans ce
temps si favorable où l'Eglise la commence,
à l'exemple et sous la conduite de son chef,
qui est Jésus-Chris!, apprenons à entrer dans
la retraite qui nous convient.
Jésus-Christ est conduit dans le désert :
première partie; préparons-nous à la tenta-
tion qui nous attend : Jésus-Christ est lente
par le diable ; deuxième partie; soulenons-
nous par l'espérance de la consolation qui
ne peut nous manquer : les anges viennent
pour secourir Jésus-Christ : troisième par-
tie. C'est lout ce qui est renfermé dans notre
évangile, que nous expliquerons après avoir
imploré l'assistance et les lumières de PEs-
prit-Sainl par l'intercession de Marie. Ave,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Il est à propos, mes frères, de vous dire
d'abord que je ne prétends pas restreindre aux
seuls pénitents l'exemple que le Sauveur
du monde nous donne aujourd'hui dans l'E-
vangile. 11 regarde les justes, et il les re-
garde même précisément; car quiconque a
reçu l'esprit de Dieu a un grand amour pour
la retraite : il regarde le monde avec mé-
pris, et il n'a que de l'horreur pour l'esprit
du monde, parce qu'il sera toujours inallia-
l)lc avec celui de Dieu.
C'est la disposition où la grâce du baptême
doit mettre tout chrétien ; mais comme il
est rare d'en trouver qui suivent ces impres-
sions, ce n'est point à ces justes dont le nom-
bre- est si petit que je veux persuader la né-
cessité de la retraite, qu'ils aiment et qu'ils
pratiquent, c'est à ceux qui, ayant perdu
relie justice, songent à la recouvrer parla
pénitence, que je propose l'exemple du Sau-
veur du monde, et je veux leur faire voir,
1" la nécessité de celte retraite et de cette -
p'iratiou du monde, sans laquelle lli m- p
vcnl être de véritables pénitents : _'
c'esl que celte retraite et cette séparation du
monde pour un homme qui y est lié par sa
condition et par ses emplois; 'A je \e \
leur tracer la pratique de la retraite sur l'i-
dée que nous leur en aurons donnée, et leur
fournir les moyens d'y entrer et de s'y >-ou-
tenir.
Nécessité de la retraite, nature de la re-
traite, pratique de la retraite sur l'exemple
de Jésus-Christ conduit au désert par l'Es-
prit-Saint : voilà tout mon dessein.
Une faut point sortir de notre évangile
pour chercher des preuves delà nécessite
de celle retraite et de cette séparation du
monde, sans laquelle le pécheur qui cher-
che à se convertir ne peut devenir un péni-
tent.
Jésus-Chrisi sorlaitdes eaux du Jourdain,
figure du baptême et de la pénitence, quand
la voix du ciel fit entendre ces paroles :
Ce>(mon Fils bien-uimé. Alors, dit sainl
Matthieu, c'est-à-dire sans délai, sans retar-
dement, dan, l'instant même, il est conduit
par l'esprit, dit le même évangéliste, l'esprit
le chassa, dil sainl .Marc, il fui poussé par
l'esprit, dit saint Luc; et où est -il conduit,
poussé, chassé ? dans le dé.<crt, disent les
trois évangélistes.
Quelle induction devons-nous tirer de to:;l
ceci ? la voici : Jésus-rhrist est reconnu ] ar
la voix du ciel pour le Fils de Dieu, qui lui
plaît uniquement, en qui il a mis toute son
affection ; les âmes sortent des eaux du bap-
tême, et les vrais pénitents entrent dans celte
filiation divine annoncée par la voix du
i iel, et font partie de ce Fils en qui le Père
éternel a placé toutes ses complaisances. Ils
sont animés du même esprit; c'est par l'opé-
ra ;on de ecl esprit en eux qu'ils deviennent
les enfants de Dieu ; car c'est cet esprit, dit
saint Paul , qui rend témoignage que nous
sommes les enfants de Dieu.
Or, dès que cel esprit esi en nous, il doit
y opérer ce qu'il a produit en Jésus-Christ.
11 la conduit dans le désert, il doit donc nous
conduire dans la retraite. 11 ne peut donc y
avoir de véritable justice, ni de véritable
conversion, qui ne soit opérée par l'esprit
de Dieu et par la charité qui nous élève à la
filiation divine. Cet esprit saint arrache au
monde ceux qu'il unit à Dieu: il les conduit, il
les pousse, il les chasse dans le désert maigre
leur résistance et leur opposition, quelagràrc
leur fait surmonter. Je dois donc juger de la
conversion par l'impression de cel esprit qui
la forme, et de sa sincérité parla rafle du
monde, parla séparation, par la retraite. Ou
elle sera i ntière, je jugerai que la conver-
sion est plein;1 : où elle sera imparfaite, je
juger, i que la conversion c^t faible; ou Je
ne verrai ni fuite, ni séparation, ni retraite,
je dirai hardiment et arec assurance qu'il n'y
a point de conversion, et que ce qui \ arait
tel au jugement des hommes n'a que Pappa-
3:s
SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE DE CAREME.
354
rente d'une conversion et n'est point un ou-
vrage de l'esprit de Dieu.
Mais si la vérité cl l'essence de la conver-
sion supposent la nécessité de la séparation
et de la fuite du monde, la conservation de
cette grâce qui nous convertit et sa perfection
est une autre preuve essentielle de la néces-
sité de cette retraite.
Les saints Pères n'ont point eu deux sen-
timents sur cette matière : ils sont tous con-
venus"de celte vérité (que la seule raison et
le bon sens nous apprendraient, quand la
loi et la parole de Dieu ne le feraient pris),
qui consiste à savoir que les plaies de l'âme
ne se peuvent guérir que dans la retraite, et
qu'il faut à cet effet se détacher du monde,
fuir les occasions, se séparer des personnes
qui ont causé noire chute, pour nous atta-
cher à Dieu qui est noire médecin, et pour
nous appliquer aux saints exercices qu'il
nous a prescrits, et qui sont les remèdes
nécessaires pour guérir les plaies du péché,
qu'il nous a pardonné p;:r la grâce de la pé-
nitence qui nous a rendu la vie, et pour en-
tretenir cl fortifier celte vie nouvelle en nous.
Entrons un peu dans les raisons que les
Pères ont eues de nous ordonner la retraite,
elles sont très-importantes. En effet, n'est-il
pas juslc que celui qui a abusé des créatures
en soit privé? qu'on chasse du monde et
qu'on dépouille de ses biens celui qui, en
n y ant reçu l'usage de Dieu, ne s'en est ser-
vi que pour l'offenser? La Justice humaine
n'ôle-t-clle pas l'autorité à un homme qui l'a
employée contre les intentions cl les intérêts
ilu souverain qui la lui a confiée? C'est dôrtC
une règle certaine que l'homme os; déchu
par son péché du droit de jouir des biens
dont l'usage lui était permis dans son inno-
cence; et cette règle est conforme à la con-
duite de Dieu en vers notre premier père après
son péché, il chassa Adam du paradis de dé-
lices, il le condamna à gagner son pain à la
sueur de son front, afin, dit saint Augustin,
qu'il affligeât par un travail continuel le
corps qui s'étail révolté conlre son esprit,
et qu'ayant été chassé si justement d'un sé-
jour si heureux, il se rendît digne d'y rentrer
un jour par le mérite et la satisfaction de sa
pénitence.
Mais si cet homme dont le cœur a suivi
les attraits du monde est capable de se lais-
ser séduire une seconde fois, y a-t-il rien de
plus important pour son salut que de s'éloi-
gner, que de fuir ce qui a causé sa chute?
lit qui est-ce qui ne comprend pas le danger
que court un COBUT en qui les passions sont
encore vives, et à la veille de voir renaître
des affections vicieuses qu'il a à peine com-
battues, s'il demeure parmi des objets qui
vont exciter des désirs capables de surmon-
ter sans beaucoup de peine cette volonté nou-
velle qui vient d'être formée dans le com-
mencement de sa conversion? Ahl mes f;è-
res, quand un homme est délivré d'une fièvre
mortelle, el que les restes de sa maladie le
tiennent dans la langueur el dans|a crainte
d'-uno rechute, il prend toutes sortes de pré-
oaulions, il évite jusqu'aux moindres baga-
telles qui lui peuvent nuire; toute son atten-
tion est de se priver de tout ce qui lui plaît
et lé ilatte, dès qu'il peut renouveler sa ma-
ladie, et de prendre tous les remèdes, quelque
amers, quelque dégoûtants qu'ils soient, dès
lors qu'ils sont nécessaires pour une guéri-
son parfaite. Pourquoi ne faisons-nous pas
pour la vie de notre âme et pour l'éternité
bienheureuse ce que le sens commun nous
dicte pjur le soulagement du corps et pour
la conservation d'une vie qui dure si peu?
Où en sommes-nous? Où est noire foi, ô
mon Dieu! Quoi 1 faut-il que nous ne soyons
occupés que du soin d'une vie animale qui
va finir malgré toutes nos précautions, et
que nous négligions la vie de notre âme qui
doit durer toujours, tandis qu'il ne tient
qu'à nous de la rendre heureuse pendant
toute l'éternitél
Par où prétendons- nous conserver la
grâce de la vie nouvelle que nous avons re-
çue dans notre conversion, si ce n'est en
nous attachant à celui qui en a été l'auteur
par sa miséricorde? Il a parlé au cœur de
Jérusalem, dit son prophète, il lui a dit que
ses maux sont finis, que ses iniquités sont
pardonnées, qu'elle a reçu de la main du Sei-
gneur une doub'e grâce pour l'expiation de
tous ses péchés; mais qu'ajoute-t-il? On a
entendu la voix (le celui qui crie dans le dé-
sert: Préparez la voie du Seigneur, rendez
droits ses sentiers dans la solitude, où celui
qui a parlé à votre cœur et qui s'est l'ait en-
tendre à vos oreilles vous apprendra les voies
qu'il faut tenir, et vous conduira dans les
sentiers de la justice.
C'est dans le même dessein qu'il invile sou
peuple à fuir du milieu de Babylone; c'est
par l'éloignemenl de celte ville criminelle
qu'on distingue ce peuple choisi. Dès qu'oit
est assez heureux d'être d« ce nombre, on
court pour entendre sa voix dans la soli-
tude, où il dit par un autre prophète qu'il
parlera au cœur de celui qu'il aura attiré dou-
cement à lui.
Comptez donc, mes Ircs-chers frères, que
sans la retraite les conversions qu'on pré-
tend être véritables ne sont qu'en paroles et
en idées, ou qu'elles ne sont que superficiel-
les el passagères. Nous en avons l'expérience,
cl tous ces projets magnifiques qnc l'on
forme dans sa conversion pour l'amende*
ment de sa vie se terminent presque toujours
à des rechutes encore plus dangereuses et
plus mortelles que le premier état d'où l'on
.s'était efforcé de sortir. C'est donc une né-
cessité de se retirer et de se séparer du
inonde, si vous voulez conserver la t:râce de
la conversion et être de véritables pénitents
Mais qu'est-ce que c'est qtic cette retraite et
celte séparation du monde pour un homme
qui y est lié par sa condition et par ses em-
plois? Pour bien éclaircir ce point très-im-
portant, il faut établir des principes dans
lesquels je vous prie de bien entrer. Les
voici.
ïe dis donc qu'à proprement parler un
chréli u n'a plus rien de commun avec lo
monde; il y a renoncé, il devrait s'en tenir
335
OU Vin RS sU'-RLS. DOM JP.ROME.
éloigné, '•' ne point entretenir «lo commerce
avec lui, sM était possible. Mais comme 1 é-
i.ii des conditions réglées par la Providence
l'y tient nécessairement, et qu'il y est lié par
des besoins, par des engagements, par îles
dépendances qu'il ne peut et qu'il ne doit pas
rompre, l'usage des biens du monde ne lui
est pas défendu, le commerce avec ceux qui
forment le mon. le ne lui est pas interdit; il
peut vivre avec eux et garder ses liaisons
ot ses richesses ; mais c'est à condition néan-
moins d'aimer Jésus-Christ par-dessus tout,
de ne mettre sa confiance qu'en lui seul, et
non pas dans des biens périssables, de se
faire volontiers de ses richesses un trésor
dans le ciel, d'être prêt à les abandonner
dès qu'il ne pourra plus les conserver sans
perdre Jésus-Christ, de renoncer même à
son père, à sa mère, à ses enfants et à sa
propre femme, dès qu'ils lui sont un obsta-
cle à son salut. Car sans ce.tie disposition,
lorsqu'on déclare et qu'on proleste que l'on
renonce au monde, ce n'est renoncer au
monde que de bouche, et non pas en effet.
Ceci va si loin, et est, nies frères, d'une si
importante nécessité, que lorsqu'un homme
reconnaît que la société du monde l'entraîne
dans le mal, :\u\\ ne peut résister à la tenta-
tion des r:cl:esses, et qu'elles sont des occa-
sions de péché invincibles à sa faiblesse, il
est dans une obligation indispensable de
quitter le monde et d'abandonner ses biens.
Il doit renoncer à tout dès qu'il ne peut con-
server rien sans perdre Jésus-Christ, et,
comme dit saini Grégoire, la fuite extérieure
et la séparation du monde par un renonce-
ment réel, qui n'est qu'un conseil en général,
devient un précepte dans celte occasion et
dans ces circonstances.
De cette doctrine des Pères comprenons
qu'il y a deux sortes de retraites et de sépa-
rations du monde : une de précepte cl de né-
cessité absolue, sans laquelle point de salut;
celle qui consiste dans le dégagement du
cœur, qui fait que le ebrélien use du monde
sans s'y attacher, aimant J sus-Christ par-
dessus tout, et mettant sa confiance unique-
ment en lui. L'autre de conseil et de perfec-
tion : elle consiste dans le renoncement réel
à tous les biens du monde, dans la fuite et
la séparation effective qu'un plus grand
amour pour Jésus-Christ inspire, et que la
crainte de se corrompre par l'usage de ce
qui est permis fait regarder comme néces-
saire. Or, quand le momie a séduit le cœur
du chrétien jusqu'à lui faire abandonner Jé-
sus-Christ plutôt que de perdre ses biens, il
doit se délier beaucoup de ce qui s'appelle
disposition et préparation de cœur; car
comme il a été trompé par son pr >pre cœur,
il est bien à craindre que la retraite que je
viens d'appeler de précepte, qui suffit pour
un juste, ne suffise pas entièrement pour
un pénitent. Celle que nous avons appelée
de conseil devient donc quelquefois néces-
saire pour lui : ainsi la retraite qui lui con-
vient, et que Dieu demande, ne consiste pis
toujours dans un simple dégagement de cœur
de ce qui est bon en soi et mauvais pour
lui, mais souvent dans une séparation réelle
de ce qui n <orrompu le cœur : le bon usage
ne subit plus, il faut aller jusqu'à la priva-
Lion
Vous entendrez peut-être mieux ces \éri-
lés par les règles que je vais roui propo-
ser, qui renferment ce que j'appelle la pra-
tique de la retraite, et qui apprendront aux
pénitents les moyens d'y entrer et de s'y
soutenir.
Il faut bien s'assurer de la retraite inté-
rieure, c'est-à-dire de celle du cœur; elle est
nécessaire et essentielle, sans elle il ne peut
y a\oir de pénitence véritable. Ceci, mes
frères, est capital : il faut sortir de ce cœur
criminel, il faut fuir ce cœur corrompu, il
faut qu'il soit changé, qu'il soit brisé, qu'il
soit détruit entièrement, cl que l'amour de
Dieu crée en nous un cœur pur; c:r il u'j a
que lui qui renouvelle au fond de nos entrai!-
les ecl esprit de droiture et de justice qui
fait les véritables pénitents : c'csl l'ouvrage
de son esprit.
Mais comme le cœur de l'homme est un
abîme que la seule lumière de Dieu peut son-
der, il faut que nous soyons dans une conti-
nuelle inquiétude sur ce changement si né-
cessaire, sur ce renouvellement si essentiel,
que nous ne nous lassions jamais de demander à
Dieu qu'il sonde lui-même notre cœur, de
peur que, ne nous connaissant pas assez
nous-mêmes, nous ne nous reposions sur
une fausse et dangereuse sécurité. Nous de-
vons donc lui dire tous les jours, comme le
sainl roi pénitent: Mon Dieu, éprouvez-moi
et sondez mon cœur ; interroyez-moi, et con-
naissez les sentiers par lesquels je marche;
voyez si la voie de l'iniquité se trouve en moi,
et conduisez-moi dans la voie éternelle, l.e
moyeu de s'en assurer autant qu'on le peut,
c'est de passer de cette première règle à la
seconde que voici.
Il faut ne rien ménager dans l'abandon-
nement réel cl effectif de tout ce qui a cor-
compu le cœur, il faut quitter absolument et
fuir sans délai tout ce qui nous éloigne de
Dieu. Cette seconde règle est pour le moins
aussi importante que la première, car on ne
peut juger que le cœur est changé que par
ce second degré de fuite et de retraite ; et en
effet, quand on n'a pas le courag :loi-
gher de l'objet et de l'occasion de son péché,
il est sûr que le mauvais amour \it toujours
dans le cœur, et qu'on est encore esclave de
la passion qui nous a rendu coupab'c. Ne
ménagez donc rien; quiltez votre charge, si,
incapable d'en remplir les devoirs, elle est
pour vous une occasion prochaine de com-
mettre le péché; vous ne devez l'occuper ou
y être attaché qu'autant qu'elle est pour
vous un moyen d'aller à Dieu et d'opérer
votre salut ; si elle y est un obstacle, ce ne s.o
donc que des vues d'intérêt et de fa ire
qui vous y retiennent; quels motifs I quelle
suite! une source féconde de mil le péchés et une
voie (faillible de condamnation. Quittez,
n'bésilez point : Dieu, pour qui vous fuyez,
aura soin de voire famille.
Rompez dès aujourd'hui tout commerce avec
337
SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE DE CAREME.
558
ees personnes qui ont été cause de vos ini-
quités; fuyez-les, fermez-leur toutes les
avenues de voire maison. Toutes les raisons
du monde, toutes tes considérations humaines
n'ont rien que de faible et de frivole contre
la prudence de l'Evangile et les solides inté-
rêts du salut. Si une fois le cœur est changé,
et que cet heureux changement ail opéré
dans vous ce second degré de fuite, vous
vous entretiendrez dans une certaine dispo-
sition d'esprit renfermée dans une troisième
règle qui est comme la perfection de la re-
traite dont je parle, ot le fruit des deux au-
tres pratiques que je viens de vous pro-
poser.
Elle consiste dans une certaine applica-
tion à profiler sagement, avec ardeur elavec
une espèce d'avidité, de toutes les occasions
d'augmenter sa retraite, et à suivre. avec foi,
avec amour et avec reconnaissance , lous
les événements par lesquels Dieu, qui veille
à notre salut, nous fournit les moyens de
fuir et de nous séparer entièrement du
monde.
Les désagréments que vous y recevez, les
pertes que vous y essuyez, le renversement
de vos projets, les obstacles invincibles que
la Providence oppose à votre établissement
temporel et à l'accomplissement de vos dé-
sirs, ne sont-ce pas autant de voies que Dieu
vous ouvre pour vous en retirer? Donnez
ce que vous ne pouvez pas sauver; ne cou-
rez pas avec obstination ;iprès ce qui vous
fuit; écoutez la voix de Dieu qui vous parle
par cet événement. Le monde vous rejette,
quittez le monde; un emploi vous manque,
reconnaissez que c'est Dieu qui ne veut pas
que vous vous engagiez plus avant dans le
monde; regardez toute celte conduite par
les yeux de la foi ; ne vous estimez pas mal-
heureux de rester en arrière tandis que d'au-
tres s'avancent qui ne le méritent peut-être
pas tant que vous, tout cela ne se l'ail pas
sans raison. Vous savez quelles sont les sui-
tes des engagements du monde; votre expé-
rience a dû vous l'apprendre : ce mauvais
succès est un effet des soins de Dieu pour
votre salut; laissez-vous conduire par sa
providence : il fait pour vous ce que le pro-
phète Osée dit qu'il fera en faveur de son
peuple, qui suivait les voies de l'idolâtrie,
pour le ramener à son culte. Je m'en vais
fermer son chemin, dit-il, avec une haie d'é-
pines ; comme s'il voulait dire : Je vous ren-
drai la voie du monde dure et pénible.
Jérusalem poursuivra ceux qu'elle aimait, et
elle ne les pourra atteindre ; elle les cher-
chera, et elle ne les trouvera point jusqu'à ce
qu'elle soit réduite à dire : Il faut que j'aille
retrouver mon époux, parce que fêlais alors
plus heureuse que je ne le suis maintenant. Je
ferai cesser tous ses cantiques de joie, ses jours
solennels, son sabbat et toutes ses fêtes. Après
cela néanmoins je l'attirerai doucement à
moi, je la mènerai dans la solitude et je lui
parlerai au cœur. Ne voyez-vous pas, mes
très-chers frères, dans ces expressions de
l'esprit de Dieu, une idée naturelle de la
conduite qu'il tient sur nous en faisant par
des voies humaines tout ce qu'il faut pour
nous dégager du monde ?
Je voudrais que ceux qui y sont retenus
par des engagements chrétiens et qu'ils ne
peuvent rompre voulussent vivre selon les
règles que je viens de tracer, dans celte
idée de la retraite et de la solitude qui con-
vient à tout le monde, où l'esprit de Dieu
conduit les véritables pénitents, où néan-
moins nous ne devons pas nous flatter d'une
fausse tranquillité, et où au contraire il faut
nous préparer à la tentation qui nous at-
tend; car Jésu'-Christ est tenté dans le dé-
sert par le malin esprit : c'est le s-jjet du deu-
xième point.
DEUXIÈME PARTIE.
Il faut expliquer d'abord ce que c'est que
d'être tenté et pourquoi le Sauveur du monde
l'a été. Nous dirons ensuite que tout chré-
tien et tout pénitent qui pense à suivre Jé-
sus-Christ dans le désert de la manière que
nous venons de marquer doit s'attendre à la
tentation. Nous expliquerons les différentes
tentations qu'il doit craindre en expliquant
celle que le démon emploie contre Jésus-
Christ. Enfin nous apprendronslesmoyeus de
vaincre les tentations en expliquant les ré-
ponses du Sauveur du monde au démon :
c'est touie la matière de cette deuxième par-
tie tirée de l'Evangile.
La tentation peut se prendre de deux dif-
férentes façons : ou comme une épreuve
dont on se sert pour découvrir quelque
chose qu'on veut savoir, ou comme une sol-
licitation qu'on emploie auprès d'un homme
pour le porter à ce qu'on souhaite de lui.
La première sorte de tentation convient à
Dieu, non qu'il ail besoin d'aucune épreuve
pour s'assurer de ce qu'il ne sait pas, mais
afin que l'homme se conduise lui-même par
l'épreuve où il le met, ou que les hommes ap-
prennent de lui ce qu'ils ne savaient pas, en
le voyant sortir de l'épreuve où il a été ex-
posé. C'est dans ce sens, selon saint Augus-
tin, que l'Ecriture dit que Dieu tenta Abra-
ham en lui commandant d'immoW r son fils ;
car Die;:, dilce saint docteur, n'avait pas be-
soin de celle épreuve pour connaître quel
était le cœur de ce patriarche, et si Abra-
ham se connaissait bien lui-même, nous do le
connaissions pas. li fallait que sa fidélité pa-
rût ou pour lui-même, ou an moins pour
nous : pour lui-même, afin qu'il sût combien
il avait sujet de rendre grâces à Dieu; pour
nous, afin que nous fussions instruits, ou de
ce que nous avons à demander à Dieu, ou de
ce que nous avons a imiter en ce saint pa-
triarche. C'est dans ce sens que l'Ecriture
dit quelquefois que Dieu lente les hommes.
La seconde sorte de tentation ne convient
qu'au démon; car il est dit dans les mêmes
Ecritures que Dieu ne lente personne, c'est-
à-dire, comme l'explique saint Augustin, de
cette sorte de tentation qui peut nuire; mais
pour le démon, il est appelé le testateur,
c'est-à-dire celui de qui l'exercice et la prin-
cipale occupation est de solliciter les hum-
ilies au péch .
s:.')
ORATEURS SACRES. DO\I JF.IU'Ml .
340
Ce n'est pas que le démon ne lente aussi
dans le premier sens que nous venons de
donner au terme de lentalion, c'est-à-dire
qu'il n'emploie des moyens pour découvrir
ce qu'il ne sait point, et c'est ce que vous al-
lez voir dans les raisons pour lesquelles lo
Sauveur du monde a v< ul:i être tenté.
Le Père éternel venait de l'appeler son
Fils aux bords du Jourdain, et le Saint-Es-
pril était descendu sur lui sous une forme
visible; mais toutes ces preuves de la divi-
nité étaient contre-balancées par les infirmi-
tés de l'humanité, et entre autres par la laim
qu'il endura ; près ce jeûne de quarante
jours, de sorte que l'auge superbe, ne pouvant
accommoder ces bassesses de la nature hu-
maine avec les grandeurs de la nature di-
vine, s'adressa à lui < n la manière que ie
raconte notre évangile, afin de le tenter et
de découvrir s'il était le véritable Fils de
Dieu.
Il raisonnait de cette manière : Si c'est vé-
ritablement le Fils de Dieu, il ne se laissera
pas mourir de faim, puisqu'il a la puissance
de changer ces pierres en pain; d'un autre
côté, s'il ne le fait pas, sans doute il n'est pas
le Fils de Dieu, l'ar là cette tentation est
une épreuve dont il se sert pour découvrir
ce qu'il veut savoir; mais en même temps
c'est une sollicitation au péché ; car il veut le
faire tomber dans la vaine gloire, en lui per-
suadant de faire un miracle sans nécessité,
ou dans la défiance des soins de Dieu sur lui,
qui l'abandonne dans un extrême besoin ,
et qui l'expose au péril de mourir de faim.
Le Sauveur du monde est donc tenté par
le démon des deux différentes manières dont
nous avons expliqué la tentation, avec cette
différence que toutes ces tentations n'ont été
qu'extérieures, et n'ont fait aucune impres-
sion sur l'esprit ni sur le cœur de Jésus-
Christ. H était incapable de sentir au dedans
de lui aucun mouvement qui pût le porter
au mal qui lui était suggéré au dehors, par
où la tentation qui n'est d'abord qu'exté-
rieure devient intérieure et fait ses impres-
sions sur le cœur. C'est, mes frères, à cette
double tentation que se doit attendre tout
chrétien qui suit Jésus-Christ et tout pénitent
qui pense à la retraite et à la séparation du
monde, et c'est notre troisième réflexion.
Car comme le chrétien pénitent veut se ti-
rer de l'esclavage du démon, rompre les liens
qui l'attachent au monde, renoncer à l'ini-
quité et marcher dans les voies de la iustire,
le démon ne manque jamais de le tenter,
c'est-à-dire de le mettre à l'épreuve pour re-
connaître si c'est tout de bon qu'il l'aban-
donne, s'il est vrai qu'il quille le monde de
bonne foi et qu'il renonce au commerce de
l'iniquité poursuivre les sentiers delà vertu.
Alors le démon se sert de tout pour s'assu-
rer de la sincérité do notre résolution. Nos
amis, nos proches, nos parents, les faux sa-
ges du monde sont ceux qu'il emploie pour
nous éprouver et nous interroger sur nos
desseins, afin de les pénétrer : différentes
tentations que le démon emploie, c'est no-
tre quatrième réflexion.
I il-il possible, vous disent de fauv amis,
que vous prétendiez rompre avec tout le
monde ei mener une vie chagrine, sans
société, sans pl.,isir.->? Vous ne soutiendrez
jamais ce projet.
Une famille ambitieuse et intéressée se
tourmente de voir un homme qui, se livrant
autrefois au soin de ses affaires temporel!
sans songer à celle de son salut, veut penser
à présent à cet unique nécessaire; qu'il ne
veut plus se charger de toutes sortes d'alTaires
comme auparavant; qu'il n'en veut même
entreprendre de bonne, qu'autant qu'elles iu-
le détourneront plus de la principale et de la
seule que nous ayons sur la terre.
Quoi donc 1 lui disent sa femme , ses
proches, voulez-vous tout abandonner? Que
deviendra votre famille , si vous ue vous
occupez pas? Est-il temps de vous retirer
quand vous êles encore dans la force et dans
les occasions de travailler utilement pour
vos enfants? Qui vous a mis ces pensées-là
dans l'esprit? Est-ce que Dieu peut exiger
que vous renonciez à l'établissement de la
famille qu'il vous a donnée?
Ainsi parlaient les gendres de Lot lorsqu'il
leur proposa de se retirer de Sodome. Us
traitèrent de rêverie le conseil qu'il leur
donnait; mais les anges, voyant qu'il différait
toujours, le prirent par la main avec sa femme,
le conduisirent hors de la ville, et lui dirent :
Sauvez votre vie. Heureux <eux à qui le
Seigneur envoie des anges, c'est-à-dire des
ministres de sa parole pour leur faire une
sainte violence , afin qu'ils s'éloignent des
lieux et des occasions où leur salut est eu
danger 1
Que les amis du monde , dos parents et
nos proches sont pour l'ordinaire de mauvais
conseillers dans l'affaire du salut ! C'est d'eux
que le démon s > sert d'abord pour éprouver
notre Fermeté et sonder notre cœur. Ce n'est
pas, pourtant que nous devions espérer d'éviter
la tentation entièrement par cét'e. fuite; car
quand le démon reconnaît que la résolution
est prise de l'abandonner, que c'est tout de
bon qu'on pense à renoncer au monde , alors
il sollicite, il remue les passions pour empê-
cher l'exécution de ces desseins, et il l'ail
tous ses efforts pour retenir so;s son empire
les sujets qui lui veulent échapper. Il passe
d.' celle première épreuve , qui u'e>l en
quelque façon qu'extérieure , à la tentation
intérieure , dont les différents degrés sont
marqués dans notre évangile : car Jt.-us-
Christ ayant jeûne (fumante jours et quai an. e
nuits.il eut faim, et le tentateur, Rapprochant
de lui, lui dit : Commandez i/ue ces pierret te
chanijent en pain.
Celte première tentation intérieure à l'égard
des hommes est, selon les Pères, une tenta-
lion de voluplé. Ce jeûne dans Jésus-Christ
est une ligure de la privation du plaisir: celle
faim qui se fait sentir après quelque temps
est un désir de reprendre ce qu'on a quille;
celle sollicitation que le démon fait de < dan-
ger les pierres en paie est celle si ggestion
, extérieure qui représenté le plaisir qui passe
dans L'Ame , qui y excite l'inclination inté-
«!
341
SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE DE CAREME.
rieure pour la volupté, et qui porte le cœur
à la désirer.
Voicidoncla première tcntaiion intérieure,
à laquelle un homme qui pense à se retirer
pour faire pénitence doit se préparer d'abord :
c'est, mes frères , la crainte de vivre sans
plaisirs. S'en priver pour quelque temps ,
passe; on jeûnera bien quelque temps, mais
la faim se fait sentir après le jeûne, le désir
revient après la privation. Toujours sans
plaisirs, ne faisant plus ce qu'on avait ac-
coutumé de faire, faisant toujours ce qu'on
n'a jamais fait, voilà une privation et une
contrainte qui effrayent : forte tentation pour
ceux qui commencent. Ah! combien y en
a-t-il que la crainte de vivre sans plaisirs a
détournés de se donner à Dieu! Combien en
détourne-t-elle encore tous les jours! Ecou-
tons saint Augustin, il parle sur cette matière
avec cette noble simplicité qui règne dans
ses Confessions. Je comprends bien que tout
fait peur à qui ne connaît d'autres plaisirs
que ceux du péché, quand on pense à s'en
retirer. Plus j'approchais de ce moment où je
devais être tout autre que je n'avais été, dit ce
grand homme en parlant de lui-même, plus
je me trouvais saisi d'une crainte que me
donnait la vue d'un tel changement. Ceux
avec qui l'amitié me liait depuis fort long-
temps me venaient dire : Quoi! vous nous
quitterez , et dès ce moment nous ne vous se-
rons plus rien? Dès ce moment telle et telle
chose vous sera interdite pour jamais ? La
voix tyrannique de l'habitude me disait en-
core : Croyez-vous donc vous pouvoir passer
de ces sortes de plaisirs'/ Mais qu'est-ce que
ces plaisirs? Tout y était misérable et honteux;
et. cependant j'hésitais encore. Tant il est vrai
que la vue de la contrainte et l'appréhension
de rester sans plaisirs arrêtent la plupart des
hommes et les empêchent de suivre Jésus-
Christ dans le désert.
Nous reviendrons dans un moment à la
réponse que Jésus-Christ fait au démon :
elle renferme un remède admirable contre
la tcntaiion de la volupté; mais auparavant
examinons un peu les termes dont le dé-
mon se sert lui-même dans sa proposition ,
et voyons si nous ne trouvons point dans ses
propres paroles de quoi rendre vaine et
inutile la tentation qui nous effraye, et ap-
prenons à vaincre les tentations : c'est noîro
cinquième réflexion.
Le tentateur, s'approchant de Jésus-Christ,
lui dit : Commandez que ces pierres devien-
nent du pain.
Il y a, ce me semble, deux choses à consi-
dérer dans ces paroles. L'action qu'il propose
renferme un changement d'une substance en
une autre : convertir des pierres en pain; et
le fruit et l'avantage de ce changement :
Jésus-Christ apaisera sa faim. Sur quoi je dis
que quand le démon nous tente par la vo-
lupté, il nous propose de changer des pierres
en pain, c'est-à-dire qu'il veut nous obliger
à faire un changement conlre l'ordre de Dieu,
qui nous engage à de grands travaux, c: d'où
n«us ne devons tirer qu'une légère satisfac-
tion.
Parlons sans allégorie, mes chers frères ,
et disons, en nous attachant au sens naturel
de ces paroles, que pour résister à la tenta-
tion de la volupté et du plaisir, il ne faut que
considérer la faiblesse de cet attrait et le
comprendre. Je vous renvoie à votre expé-
rience pour vous faire avouer ce que les
plaisirs coûtent , et le peu que valent des
plaisirs qui coûîent si cher.
Si nous examinons la réponse du Sauveur
du monde au démon, nous apprendrons qu'il
y a une nourriture pour le chrétien qui se
donne à Dieu, qui n'est pas connue de ceux
qui ne se nourrissent que du pain des pé-
cheurs. Oui, rnrs frères , l'homme ne vit pas
seulement de pain, mais de tout ce qui sort de
la bouche de Dieu , c'est-à-dire de tout ce
qu'il plaît à Dion delui donner. Dieu ne laisse
pas sans consolation et sans plaisirs ceux
qui quilt ni les fausses joies delà terre pour
le suivre dans la solitude. Sa parole est pour
eux une abondante et délicieuse source.
Il y a , dit saint Augustin, dans les livres
saints des délices inexprimables. Croirail-on
en trouver dans les festins, dans la bonne
chère , dans les divertissements et dans les
folies du théâtre, et que l'on n'en trouve
point dans les saintes Ecritures? Que ce
jugement serait peu solide! L'âme qui s'é-
lève au-dessus de ces bassesses, et qui goûte
ces autres plaisirs ineffables de la parole de
Dieu, dit sans crainte avec le Prophète, parce
qu'elle le dit avec vérité : Les injustes m'ont
raconté leurs plaisirs, mais ils ne sont point
comparables à votre loi. Que vos paroles ma
sont douces! elles le sont plus que le miel ne
l'est à ma bouche. Mais elles ne sont douces,
mes chers frères, qu'à mesure qu'elles pénè-
trent au dedans; elles ne se goûtent que de
cette manière : en effet le sentiment de l'in-
telligence elle goût propre pour discerner la
vérité est au fond de l'âme.
Mais remarquez que pour goûter cette
douceur il faut, 1° que le cœur ne soit point
corrompu par la malice du péché : car comme
les viandes les plus délicates paraissentamères
à ceux à qui la lièvre fait perdre le goût, do
même le pain de la vérité paraît amer à ceux
à qui l'amour des choses du monde ôte I ;
goût de celles de Dieu.
2" Il faut que , quoique celle parole soit
accompagnée d'un a si grande, douceur, on ne
la goûte pas aussitôt qu'on commence à s'y
appliquer. Dieu éprouve notre amour, notre
constance et notre lidélilé. Purifions donc,
notre cœur, clayons un peu de patience,
nous goûterons les délices célestes , et nous
apprendrons par noire expérience qu'un
homme qui se relire du monde pour suivre
les mouvements de l'esprit do Dieu qui l'ap-
pelle dans la retraite, y trouve des plaisirs
plus solides que ceux qu'il abandonne.
TBOISIKMB PAHTIB.
. Ce serait ici le lieu de vous parler des mo-
tifs qui doivent vous soutenir par l'espérance
de la consolation qui ne peut vous manquer;
mais je vois bien que nous n'en aurons pas
le temps. Heureux si déjà u us ayons pu
oiiATEUHS SACRES. iio.M JEROME.
i*
mettre le chrétien en état de ne pas craindre
ce qui l'empêche de foire le premier pas pour
suivre Jésus-Christ dam le désert de la ma-
nière qui lui convient! Disons cependant un
mot de la consolation solide que vous pou-
vez trouver dans la pénitence.
Ce n'est donc pas seulement celte privation
de plaisirs qui cllïa y e d'abord : c'est une cer-
taine contrainte où on se va mettre en ne
faisant plus ce qu'on avait accoutumé de
faire , en se liant à certains exercices qui
tiennent dans une gène incommode; mais il
ne faut qu'un moment pour dissiper celle
crainte : car il faut reconnaître , 1° que
l'homme ne saurait être indépendant; il ne
peut, quoi qu'il fasse, se dispenser d'être
esclave. En refusant de se soumettre à Dieu,
que fàit-il autre chose que de ne pas servir
un bon maître? mais il ne peut se mettre eu
état de ne point servir absolument, car il faut
nécessairement que celui qui refuse d'être
esclave de la charité le soit de l'iniquité.
2" Que l'homme est créé pour être heureux :
il ne peut trouver son repos dans lui-même,
il faut donc qu'il le cherche hors de lui : or
il est nécessaire qu'il soit esclave des choses
dans la possession desquelles il prétend trou-
ver son bonheur : ainsi, si vous mettez votre
félicité dans la possession des choses de la
terre, vous leur servirez, vous en serez es-
clave; si vous la mettez dans les biens éter-
nels, vous servirez Dieu, et vous serez es-
clave de la justice et de la loi.
L'appréhension de la contrainte, la crainte
de perdre les plaisirs dont vous jouissez, vous
empêchent donc de suivre Jésus-Christ dans
le désert et de prendre le joug du Seigneur;
mais que faites-vous? vous refusez de servit-
un bon maître pour demeurer soumis à un
tyran; vous croyez qu'en vous retirant de
I)ieu pour vivre au gré de vos passions, vous
serez heureux; il n'en sera rien : il est im-
possible qu'en quittant la source de la félicité
vous soyez heureux , je veux dire pleine-
ment, avec paix , avec tranquillité. Je m'eu
rapporte à vous-mêmes dans ce moment :
étes-vous libres dans vos conditions , sans
dépendance dans votre fortune , sans con-
trainte dans vos désirs, sans opposition dans
vos desseins? Avez-vous tout ce que vous
souhaitez? ne vous manque-t-il rien? Si
même tous vos souhaits sont remplis, votre
cœur et votre esprit sont-ils pleinement
tranquilles, sans nouveaux désirs, sans scru-
pules, sans remords? S'il en reste, point de
bonheur entier; car la félicité est un étal par-
fait par l'assemblage de tous les biens; s'il
en manque un seul, vous ne pouvez pas être
heureux.
Mais, me direz-vous, scrai-jc absolument
libre en changeant de conduite, cl ne scrai-je
plus esclave en me soumettant au joug de
Jésus-Christ? Oui, vous le serez encore; mais
vous étiez esclave de l'iniquité , et vous le
serez de la charité. Vous serviez des créa-
tures qui sont faites pour vous , et de qui
vous êtes le souverain, et vous sen irei Dieu
pour qui vous êtes fait, et de qui vous êtes
la créature. Vous suiviez des lois dures qui
vous conduisaient à la mort par les chemins
de l'iniquité; *uus en suivrez tVagréablea é
l'esprit, qui vous conduiront a la ne par les
sentiers de la justice; cl parce que celle ser-
vitude qui nous lient sous la dépendance de
Dieu est notre condition, c'est en elle aussi
que consiste notre bonheur pré*<eDt. Aus<i ,
lanl que nous nous tenons dans cette dépen-
dance, nous nous trouvons dans un étal qui
unit l'esclavage avec la liberté. Nous ne pou-
vons pas dire absolument que nous soyons
libres, parce <|uc nous obéissons ; nous ne
pouvons pas dire aussi que nous soyons es-
claves, parce que le plaisr et l'onction nous
font trouver tout agréable. Iles Irères, il faut
goûter de ces fruits de la retraile et de la dé-
pendance pour en ressentir la douceur.
Fiez-vous-en a saint Augustin : il a senti
les difficultés qui vous effrayent, il a com-
battu contre la pensée de la retraile qui vous
rebute : la crainte d'être sans plaisirs lui a
fait résister à l'espril de Dieu, et il a fallu
que cet esprit l'ail chassé dacs le désert.
Combien trouvai-je tout d'un coup de dou-
ceur (dit-il dans le neuvième livre de ses
Confessions) à me .«errer de celles que f avais
cherchées jusqu'alors dans les amusements du
siècle! Car au lieu qu'un moment auparavant
j'étais dans une crainte effroyable de les per-
dre, je me faisais un plaisir d'y renoncer et
de les quitter, parce que vous les chassiez de
mon cœur, douceur souveraine, solide et vé~
rituble! et que vous y entriez en leur place, 6
mon Dieu!
Nous ne saurions aller plus loin dans l'ex-
plication des autres parties de notre évan-
gile; ce sera bien assez si nous avons pu
mettre le chrétien qui pense à faire pénitence
en état de se retirer du monde, à l'exemple
de Jésus-Christ, et de mépriser la tentation
que l'ennemi de notre salut oppose à ce des-
sein.
.Mais, ô mon Dieu ! c'est l'ouvrage de votre
esprit. Faites donc qu'il le produise en nous ;
qu'il nous arrache au monde, à qui nous
tenons si étroitement et si indignement ,
après y avoir renoncé par notre baptême;
qu'il nous chasse dans le désert, et qu'il nous
conduise dans celte retraite et dans celte so-
litude intérieure où, travaillant à nous puri-
fier, nous nous préparerons à goûter les dou-
ceurs qu'on trome dans la méditation de
vos paroles, qui nourriront notre âme plus
délicieusement encore que toutes les voluptés
de la terre ne peuvent faire. C'est ce que
nous vous demandons, au nom du l'ère, etc.
Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE lundi DE la l'in Mii.ui; IBNUMI M
CARÈMK.
De la tentation.
Duclus esl Jésus a s|>iritu in dcscrium , Si laMaNUV a
diabolo.
L'espril mena Ji'sus dans le désert , afin qu'il y fût Un'.c
par le démon (Matlh., IV, l).
Il ne faut pas espérer de passer celle vie
sans être exposé à la tentation, après ce que
: l'évangile da jour d'hier nous i apporte de la
„ conduite de l'Esprit-Saiot sur la personne du
545
SERMON POUR LE -LUNDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
34t>
Sauveur du monde. C'est une nécessité telle-
ment liée avec l'état et la condition des hom-
mes, que l'Ecriture, selon la remarque de
saint Grégoire, ne dit pas seulement que la
vie y est exposée, mais qu'elle est elle-même
une tentation.
11 est vrai que l'homme trouve les moyens
de vaincre la tentation dans la tentation
même; mais s'il veut se rendre attentif à
examiner d'une part la nature des objets
dont le démon se sert pour exciter les pas-
sions, et de l'aulre les conditions sur les-
quelles il lui promet de les satisfaire, cet
examen peut beaucoup servir à rendre ses
eflbrls impuissants, et à conduire le chré-
tien à cet élat de piété et de paix qu'il ne
peut trouver qu'en demeurant dans l'ordre
de Dieu et en méprisant tout ce que le monde
lui offre pour l'en retirer. C'est cet examen
qui va /aire le sujet de ce discours , et puis-
que le démon tente le Sauveur de nos âmes
par la volupté et par l'ambition, reconnais-
sons que ce sont les deux grandes voies dont
l'esprit séducteur se sert ordinairement pour
tenler les hommes du siècle, pour les retirer
de l'ordre de Dieu, et pour les jeter dans des
agitations violentes où ils perdent le repos
de la vie présente et l'espérance de celui de
la vie future.
Faisons donc voir : 1° la faiblesse de l'at-
trait du plaisir marquée dans les paroles
mêmes du démon ; Die ut lapides isti panes
fiant : première partie; 2° la faiblesse de l'at-
trait des grandeurs renfermée dans les con-
ditions sous lesquelles il les promet : Hœc
omnia tibi dabo, si cadens adoraveris me:
seconde partie.
C'est par ces deux réflexions que je veux
apprendre au chrésien à mépriser les tenta-
tions du démon et à les vaincre, mais tou-
jours par le secours de la grâce de Jésus-
Christ, que je demande par l'intercession de
Marie. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Dieu n'a pas créé l'homme pour être sou-
mis à la misère, et la terre aurait toujours
été pour lui un lieu de plaisir s'il eût été
toujours innocent ; sans mourir et sans avoir
souffert, il aurait été transféré du paradis
de délices où Dieu l'avait placé, dans le bon-
heur éternel. Mais étant tombé volontaire-
ment de l'état d'innocence et de bonheur
dans lequel Dieu l'avait formé, il s'est trouvé
réduit à la misère; la terre ne lui produit
plus que des ronces et des épines, et ce n'est
plus sur la terre qu'il doit jouir des délices
et du plaisir. Il est vrai que celte justice que
Dieu exerce sur lui est tempérée par de fa-
vorables conditions; car en le rendant misé-
rable il ne lui ôle pas l'espérance de la féli-
cité, il ne fait qu'en transférer la jouissanco
dans l'autre vie, et par la courte privation
de quelques plaisirs qui n'en ont que le nom,
il lui en promet d'éternels.
Le malheur de l'homme est de ne pas vou-
loir s'accommoder à celte sage disposition,
et c'est le faible dont le démon se sert pour
le tenter en le retirant de l'ordre de Dieu; il
réveille dans l'homme le désir naturel qu'il
a pour le plaisir, en lui montrant des objets
qui flattent ses sens, et, se prévalant de l'a-
mour qu'il conserve pour la félicité, il lui
fait croire qu'il la rencontrera dans la jouis-
sance des objets qu'il lui a montrés : de sorle
j que l'homme, oubliant l'état de sa condition
présente, veut être heureux contre l'ordre
de Dieu; se laissant tromper à de fausses
[ apparences dont le démon se sert pour l'atti-
rer, il cherche toujours ce qu'il ne rencontre
jamais; enfin, malheureux dans tous les
temps, il perd le droit à la félicité éternelle
en poursuivant une félicité imaginaire dont
il ne jouit point.
Trop heureux si je pouvais aujourd'hui
vous obliger à réfléchir sérieusement sur ce
que l'expérience vous apprend tous les jours,
et vous convaincre, en examinant les pa-
roles mêmes du démon, que celui qui vous
tente ne cherche qu'à vous séduire. En effet,
rapporte l'Evangile, le tentateur, s'appro-
chant de lui, lui dit : Commandez que ces pier-
res se changent en pain. L'action qu'il propose
renferme le changement d'une substance en
une autre : de convertir des pierres en pain.
Sa proposition est la même toutes les fois
qu'il nous tente par la volupté, et qu'il es-
saye de nous tirer de l'ordre de Dieu par l'at-
trait du plaisir : il nous propose de changer
des pierres en pain, c'est-à-dire, mes frères,
qu'il veut nous obliger à faire un change-
ment contre l'ordre de Dieu, qui nous engage
à de grands travaux, et dont nous ne devons
tirer qu'un profit léger et qu'une faible sa-
tisfaction.
Parlons maintenant sans allégorie, et di-
sons, en nous attachant au sens de ces pa-
roles, que pour résister à la tentation de la
volupté et du plaisir, il ne faut que considé-
rer la faiblesse de cet attrait; et pour com-
prendre ce que j'avance ici, je vous ramène
à votre expérience, gens du siècle, pour vous
faire avouer que les plaisirs coûtent, et qu'ils
valent peu après avoir coûté beaucoup. Je
suis très-persuadé que nous désirerions peu
de choses avec ardeur, si nous connaissions
parfaitement ce que nous désirons et combien
il y a d'erreur, de passion et d'aveuglement
dans nos désirs.
C'est au prix de vos biens, de votre repos,
de votre santé et de votre salut que vous
achetez le plaisir; et comme si vous ne vi-
viez que pour le plaisir, c'est à celte idole
que vous immolez tout. La bonne chère, les
jeux, les divertissements, la débauche vous
engagent dans de grandes dépenses, vous ne
retenez que par des chaînes d'or les objets
de vos passions captifs sous vos désirs. On
s'épuise bientôt quand on veut renverser
l'ordre de la nature pour se procurer dans
une saison des mets qu'elle ne veut produire
que dans une autre; on .n'épargne rien quand
on veut séduire l'innocence et corrompre la
fidélité; car voilà les plaisirs du monde, et
on ne voit que trop de gens qui n'ont pas
même le nécessaire dans leurs besoins, pour
n'avoir pas voulu se modérer dans leurs
plaisirs.
317
OHATEURS SACRES. l)OM JI-.ltOME.
548
N'est-ce pas encore pont M jouir que l'on
sacrifie sa santé? d'où viennent les ineom*
modîtés qui rendent la vie si désagréable,
ces maladies douloureuses (|iii durent quel-
quefois toute la vie, quoiqu'on les ait prises
de fort bonne heure, et qui donnent des re-
pentira inutiles cl des chagrins mortels' I n
vérité, est-ce aimer la vie que de s'exposer,
pour quelques années de plaisir, à mourir
tous les jours durant un fort long temps, et à
(rainer une vie languissante telle ojne la
mènent ceux qui sont frappés des mal.idi s
dont je viens de parler? maladies qui ne sont
pas seulement douloureuses et cruelles pour
leurs personnes , mais contagieuses pour
ceux qui les approchent, et qui, en dédui-
sant leur santé, éteignent leur famille.
La bonne chère n'est-elle pas une vraie
fatigue du corps et une honteuse agitation
de l'âme? Quels mouvements ne se donne-I-
on pas la veille d'une fête el d'un divertisse-
ment! combien de soin pour s'y préparer 1 On
souffre mille incommodités pendant qu'elle
dure, et on en sort presque toujours accable
de lassitude et de chagrin.
Les engagements, les pratiques secrètes,
les commerces que l'on veut couvrir remuent
mille passions pour en contenter une seule,
et ne donnent pas un moment de repos. Que
d'égards, que de précautions, que de feintes
et d'arliûces pour se cacher I quelle crainte
n'a-t-on pas de la colère d'une mère, de la
violence d'un maii, des reproches, du bruit
et de la révolte de toute une famille I Combien
d'inquiétudes, de chagrins, de soupçons, de
jalousies tant qu'un commerce dure! Quelle
rage, quelle fureur, quand il est rompu par
l'infidélité, elquel désespoir quand il devient
public!
Toutes ces choses-là , qui sont mêlées
dans ce que vous appelez des plaisirs, sont
comme autant de pointes aiguës qui vous
piquent sans cesse, et qui vous obligent
quelquefois de vous plaindre du malheur de
votre condilion; mais, comme dit si bien le
saint homme Jol>, en parlant de ceux dont
il fait la description, chapitre 111, ils se ré-
jouissent parmi tout cela, et ils se figurent
îles plaisirs au milieu des épines. Les char-
mes que vous trouvez dans les voluptés de
celle vie vous rendent comme insensibles
aux peines que vous y endurez. Vous êlo*
comme enivrés d'absinlhe : or, remarquez
qu'il y a dans ce breuvage la substance et
la vapeur; la substance a une amertume qui
pique, el la vapeur est une fumée qui assou-
pit. Les idées i\e> plaisirs blessent, mais ils
enivrent, et l'ivresse empêche qu'on ne res-
sente l'amcrlume, on ne veut pas qu'il y en
ail. Los choses que vous souffrez pour les
plaisirs de celle vie sont très-amères; et
néanmoins l'aveuglement de votre cupidité,
l'amour déréglé du plaisir, ainsi qu'une
ivresse et une aliénation d'esprit , vous Oient
le sentiment de celle amertume.
Il n'est pas nécessaire de tomber dans ces
grands e\cés pour se détourner des \oies du
salut. Sans s'engager dans les désordres dont
nous avous tracé uuc légère idée, il sullil
pour se ; erdre de mener une vie molle, oi-
sive, i ituptueose. La vie chrétienne est une
rieuse, pénitente, laborieuse. Ne vous
inslrolrec-vons jamais par votre propre ex-
périence ? \<>us sacrifiez vos biens, voire
honneur, votre sanlé, votre repos pour des
plaisirs dont vous ne jouissez jamais tran
quillement; vous aspirez au salut éternel,
on ne l'acquiert point, mes frères, en com-
battant l'ordre de Dieu, en violant ses com-
mandemenis, en méprisant se* exem II
rejetant ses instructions ; el c'e^t de lou* nu
crimes qu'un chrétien se rend coupable,
lorsque, dans le désir de se rendre béerons
sur la lerre, il donne dans tous les plaisirs,
il éloigne toutes les peines, il ne pense qu'à
conlenler ses sens el à éviler tout ce qui peut
le faire souffrir.
Les plaisirs coûtent donc bien cher, puis-
qu'on les achète aux dépens des biens, de la
santé, du repos et même du salut ; mais que
valent donc des plaisirs qui coûtent si cher,
et quelle douceur goûle-t-on dans l'usage de
ces délices auxquelles on sacriûe lout?
Je ne sais si l'on s en doit rapporter à vo-
tre témoignage, vous qui les goûtez, gens du
siècle; car comme vous en êtes enivrés,
vous n'êtes pas en état d'eu juger. Li I hom-
mes, dit saint Grégoire, qui sont altérés du
plaisir du monde, souffrent une infinité de
peines et d'inquiétudes pour en jouir, de
sorte que ce qu'ils boivent est très-amer;
niais, pareequ'ils avaient avec beaucoup d'a-
vidité, et qu'ils sont enivrés de celte ab-
sinihe mortelle, l'ivresse ne leur permet pas
<ie ressentir assez vivement quel esl le mal
de cette amertume. Ils en sont donc de mau-
vais juges. Cependant, quoi qu'ils en puis-
sent dire, ils ne sauraient disconvenir que
s'ils trouvent quelque douceur dans leur
usage, cette douceur ne dure qu'un instant.
Je ne le prends pas, si vous voulez, du colé
du plaisir même, quoiqu'il soit vrai qu'é-
tant précédé d'un désir qui agite l'âme, et
suivi d'un chagrin de le voir finir qui la
trouble toujours, il consiste dans un certain
point de jouissance qui le fait échapper quand
on croit le tenir ; mais je le prends du côté
de la vie qu'il faut posséder pour en jouir,
el qui est si courte, que loul ce qui est me-
suré par sa durée ne doit être compte pour
rien quand on juge, des choses a\ec rais. m.
Je prends donc un homme jouissant de
tous les plaisirs de 1 1 vie : c'est une qualité
qu'un peut donner à lout homme qui a
longtemps le train du monde, el je lui de-
mande combien il eu a joui. S'il oie de sa
via l'enfance où on ne les connaît pas, la
vieillesse où on les regrette, la maladie où
on les rebute, le sommeil où on ne les sent
point, les chagrins et les afflictions OÙ ils
nous dégoûtent, ce qu'ils coulent à acqué-
rir, el ce qu'on souffre quand on n'en jouit
plus, sur ce pied-là il trouvera que d'une vie
de trente années, il n'en aura pas eu (rois
où il ail goûte de vrai plaisir; cl pour cela
sacrifier lout sans ménager son propre >a-
lull De bonne loi, il ne faul qu'un peu de
raison pour rejeter le démon quand il uoUS
34«>
SERMON POPR LE LUNDI DE L\ PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
350
tonte parle plaisir, et un retour sur ce que
le plaisir nous coûte ne devrait-il pas être
plus que suffisant pour résister à la force
de cel atlrait ?
Mais, ô mon Dieu! que feront ces ré-
flexions, si elles ne sont animées et soute-
nues de votre grâce? à quoi servi; ont-elles,
si elles ne sont produites en nous par cet es-
prit qui conduit aujourd'hui le Sauveur du
monde au désert? Car les hommes, dit saint
Grégoire, sont semblables à ces animaux
qui, accoutumés au travail, y reviennent
sans qu'on les y force : quand une fois ils,
sont engagés dans la servitude du monde, ils
s'accoutument tellement à ces peines et à
ces fatigues, que, bien loin de s'en éloigner
par es sortes de réflexions, ils se chagri-
nent de n'y être pas, et le long usage qui de-
vrait les avoir dégoûtés de ces travaux leur
y fait trouver un plaisir auquel ils ne peu-
vent plus renoncer. 11 ne faut pas cependant
que cette dangereuse disposition nous oblige
d'abandonner de tels malades ; peut-être
que quelques-uns voudront guérir : ainsi,
après avoir donné des secours contre la ten-
tation du plaisir, donnons-en contre celle de
l'ambition : c'est le second point.
SECONDE PARTIE.
Les désirs de l'ambition succèdent pour
l'ordinaire à ceux du plaisir, et nous voyons
assez souvent qu'après qu'un homme s'est
lassé dans les délices d'une vie molle et vo-
luptueuse, il songe à s'établir dans le monde.
En sortant des dérèglements d'une jeunesse
emportée, il se livre aux désirs d'une ambi-
tion qui le dévore; et ainsi, toujours es-
clave de ses passions, qui se succèdent les
unes aux autres, le démon le domine tou-
jours, et se servant de différents attraits
pur le soumettre à sa tyrannie, il le tient
dans un asservissement d'autant plus déplo-
rable qu'il est volontaire.
C'est contre cette seconde tentation qu'il
faut essayer de lui fournir des armes, et afin
qu'elles soient de même nature que celles
que nous lui avons données contre la pre-
mière, il faut faire réflexion sur les paroles
mêmes du démon, cl lui faire voir la fai-
blesse de l'attrait des grandeurs dont il se
sert pour le tenter, renfermée dans les con-
ditions sous lesquelles il les lui promet. Le
diable, dit l'évangéliste, le transporta encore
sur une montagne fort haute, et lui montrant
tons les royaumes du monde et la gloire qui
les accompagne, il lui dit : Je vous donnerai
toutes ces choses, si en vous prosternant de-
vant moi vous m'adorez. C'est la condition
qu'il y met, car il veut se faire des adora-
teurs, il veut former sa religion, et il a tou-
jours dans le cœur de se rendre semblable à
Dieu.
Mais comme il continue à tenter les chré-
tiens de la même manière par le ministère
du :110ml" cl des hommes qui sont à lui, il
faut apprendre à lui résister; car il y a en-
core aujourd'hui des personnes qui disent
de sa part : Nous vous donnerons tout ciq
que vous voyez, si vous voulez vous pros-
terner pour nous adorer. Ces personnes, dit
saint Chrysostome, paraissent des hommes
au dehors; mais ils sont en effet les instru-
ments du démon. Pour résister donc à celte
seconde tentation, il faut, comme nous l'a-
vons remarqué dans le premier point, con-
sidérer la faiblesse de l'ai Irait dans ces pa-
roles mêmes : Je vous donnerai, dit-il, toutes
ces choses, si en vous prosternant devant
moi vous ni1 adorez. Examinons cette pro-
messe, et ayons recours à l'expérience el à
la foi. Voici trois propositions indubitables,
qui nous découvrent la faiblesse de cet at-
trait :
1° C'est qu'il ne promet toutes ces choses
qu'à condition qu'on l'adorera : quelle hor-
reur 1 Le Sauveur en est frappé si vivement,
qu'il ne peut garder la modération qu'il avait
eue jusqu'alors ; ici il chasse le démon : Re-
tirez-vous de moi ! 2° C'est que le démon
n'accorde pas toujours ces choses, quoiqu'on
l'adore ; car outre qu'il n'en est pas le mai-
tre, el qu'il n'en peut disposer que par l'or-
dre de Dieu, il ne donne pas toutes les cho-
ses dont il pourrait disposer et qu'il promet,
car il est l'esprit de mensonge. 3° C'est que,
supposé qu'ii les accorde, il ne vous restera
à la fin de votre vie que le crime de l'avoir
adoré. Tout finira, ces biens périront, vous
mourrez, et vous ne conserverez de votre
prévarication que l'infidélité et le crime ;
c'est là uniquement tout ce qui vous res-
tera.
Raisonnons, chrétiens, sur ces trois pro-
positions, dont l'expérience nous découvre
la vérité, et pour reconnaître la faiblesse de
i'altrait des grandeurs, des richesses, des di-
gnités el de la gloire du monde dont le dé-
mon se sert pour nous tenter, disons-nous à
nous-mêmes : Mais s'il ne les promet qu'à
condition qu'on l'adorera, n'est-ce pas un
crime à un chrétien de se soumettre à ado-
rer le démon ? S'il ne les accorde pas tou-
jours, quoiqu'on l'adore, n'est-ce pas un
aveuglement terrible à un chrétien que de
s'exposer à ce crime au hasard de n'en tirer
aucun avantage? et si même en me les ac-
cordant il ne me restera à la fin de la vie que
le crime de l'avoir adoré, quel sera mon dé-
sespoir, lorsque, étant abandonné de toutes
choses, je ne verrai plus devant moi que
mon crime, et je connaîtrai mon erreur
quand il ne sera plus temps de la réparer 1
Ces réflexions suffisent pour faire connaître
la faiblesse do l'attrait des grandeurs, et il
n'en faut pas davantage à un chrétien qui
pense sérieusement, pour lui faire mépriser
des avantages et des biens qu'il ne peut dé-
sirer qu'avec beaucoup de honte, poursui-
vre qu'avec incertitude et acquérir qu'en
faisant une perle irréparable.
Non, mes frères, ni le démon, ni le monde
qui est son ministre, ne promet les gran-
deurs qu'à condition qu'on l'adorera. L'a-
poire saint Paul n'appelle-l-il pas du nom
d'idolâtrie l'amour que nous avons pour ol-
le ■ ? Et les saints Pères ne nous enseignent-
ils pas que si los devoirs que les hommes
leur rendent ne sont pas précisément tels
564
ORATEURS SACRKS. DOM JKROML.
;ii
quc le culte qu'on rend à la Divinité, ils
leur consacrent néanmoins ce qui ne doit
être que pour elle seule? Comment lionore-
t-on et adore-t-on Dieu? c'est en l'aimant,
non colitur nisi amando; cl comment l'aime-
t-on de toutes ses pensées, de toutes ses af-
fections? c'est en lui rapportant tous ses
soins et toutes ses occupations, et c'est là
précisément le culte qu'on rend aux gran-
deurs humaines. On leur donne toutes les
pensées de son esprit, tous les désirs de son
cœur, toutes les affections de son âme ; on
se contente de rendre à Dieu de temps en
temps quelques devoirs légers cl extérieurs
où le cœur n'a point de part et n'entre pres-
que pour rien.
Jugez-vous par votre conduite, gens du
siècle, et vous reconnaîtrez que vous avez
passé avec le monde la convention que le
démon propose au Sauveur dans cet évan-
gile : Je vous donnerai toutes ces choses, si
en vous prosternant devant moi vous m'ado-
rez. Que faites-vous tous les jours en vous
attachant auprès d'un prince ou d'un mi-
nistre que vous croyez capable de satisfaire
votre avarice, de conlenler votre ambition
et d'établir votre fortune? Ne vous rendez-
vous pas dépendants de ses volontés, sou-
mis à son humeur, esclaves de son caprice,
victimes de ses passions, approbateurs de ses
désordres et complices de ses iniquités?
N'est-ce pas là, mes frères, vous prosterner
aux pieds d'une idole pour l'adorer, dans la
vue d'en obtenir ce que vous espérez? La
honte de cotte conduite ne vous fait-elle pas
rentrer dans vous-mêmes? Faut-il que vous
soyez esclaves de votre ambition, au préju-
dice de ce que vous avez de plus précieux,
et que vo\is vous immoliez vous-mêmes à
un autre malgré les lumières de votre rai-
son qui vous y fait découvrir mille défauts
et qui vous oblige de le mépriser en secret
dans le moment même que vous l'adorez en
public? C'esl une chose bien honteuse que
de se laisser dominer par l'amour de ce qui
est périssable, quand on sait qu'on est im-
mortel , de ramper sur la terre quand on
peut s'élever dans le ciel, et de se rendre
esclave des hommes quand on est destiné à
régner avec Dieu.
Mais après tous ces sacriBces, après tou-
tes ces dégradations indignes d'un chrétien,
étes-vous assurés de réussir? Ne savez-vous
pas que le démon est l'esprit de mensonge,
que le inonde est un trompeur, et que s'il ne
promet ce qui Halle votre ambition qu'à con-
dition qu'on l'adorera, il ne l'accorde pas
toujours quoiqu'on l'adore? Je n'en veux
pas d'aulrepreuveque celle que votre propre
expérience vous fournit. Comme elle est
plus sensible, elle est plus convaincante, et
vous pouvez juger de L'infidélité du monde
en rélléchissant sur la dureté qu'il a pour
vous.
lin effet, qu'avez-vous avancé depuis tant
d'années d'adoration, d'esclavage et de ser-
vitude? A la cour on vous oublie, dans la
guerre vous .vous ruinez, dans les affaires
on vous supplante. Combien u'a-t-on pas \u
dans tons les siècles de gens semblables a
l'impie Achab, qui, après avoir dépouillé la
maison de Dieu, < 'esl-à-dire oté au Seigneur
ce qu'ils ont porté BUI pieds des idoles dont
ils redoutaient la colère ou de qui ils vou-
laient gagner la faveur, ont enfin luecoml
Le monde, qui est le ministre de Satan, sera
toujours semblable à Holopherne, minisire
de Nabuchodonosor, qui fut un prince cruel.
Les hommes vont au-devant de lui, comme
les peuples de Réthulie allèrent au-devant
de cet impitoyable ministre : comme eux ils
le couronneront en l'adorant; comme eux ils
feront leurs efforts pour l'adoucir par leur
musique et par leur chant en le comblant
de louanges, en flattant ses désirs, en applau-
dissant à ses passions; mais il sera toujours
dur et insensible, jamais il ne se laissera flé-
chir. Mes frères, prenez garde que l'appui sur
lequel vous vous reposez ne vous manque
j>ar les disgrâces qui lui peu\cnt arriver.
Combien voit-on de gens s'être attachés à la
fortune des puissances de la terre, et qui ont
été ensevelis dans la même infortune qui a
précipité ces bras de chair sur lesquels ils
s'appuyaient !
11 est vrai qu'il est des siècles où la justice
règne, et que nous vivons dans un temps où
les puissances ont les yeux ouverts pour
chercher le mérite et couronner la vertu ;
mais après tout, ces puissances ne pement
point changer la nature des choses, ni aller
contre les ordres de Dieu. Si vous vous ren-
dez esclave de celte fortune dont les princes
peuvent être les auteurs, si vous faites ré-
gner dans votre cœur l'amour des choses qui
la forment, si vous abandonnez Dieu pour la
terre, si vous adorez le monde et ses biens,
quelle que puisse être votre élévation, il ne
vous restera à la fin de votre vie que le crime
de les avoir adorés.
Jugez quel sera votre désespoir, lorsque,
étant abandonnés de tout, vous ne verrez plus
que votre crime, et vous reconnaîtrez totre
erreur quand il ne sera plus temps de la ré-
parer. Celledernière réflexion est pénétrante,
et je suis fâché de ne la pouvoir toucher au-
jourd'hui qu'en passant. Comme donc tous
les biens qui composent et qui forment votre
fortune sont périssables, ils périroul; comme
vous êtes mortels, vous qui eu jouissez, vous
mourrez; et un jour, qui n'est peut-être pis
bien loin, viendra où vous direz : De quoi
nous a servi notre orgueil, et qu'avons-nous
tiré de la vaine ostentation de nos richesses?
Tout vous échappera dans ce moment : le
prince n'aura plus de sujets, le plus riche
de tous les hommes sera aussi pauvre que
le dernier des esclaves, et les richesse! étant
évanouies, leurs malheureux adorateurs ne
verront plus que le crime de les avoir ado-
rées.
Si c'est à cette terrible et inévitable ca-
tastrophe que doit se terminer toute l'ambi-
tion des hommes, il n'en faut pas datants S
pour rendre vains les efforts du démon quand
il se sert de l'ambition pour nous tenter. Dans
le moment do voire mort, votre âme se truu-
•vera seule devant Dieu, sans autre relation
55'
SERMON POUR LE MARDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
354
qu'à lui, sans autre liaison qu'avec lui, loute
nue, revêtue de ses seules iniquités. Repré-
sentez-vous le moment de la mortd'un grand,
d'un riche, d'un homme à qui le démon a
tenu ce discours : Je vous donnerai toutes ces
choses si vous voulez m'adorer; qu'est deve-
nue loute cette grandeur ?
Scrvez-vousdoncdecesréflexions, mes très-
chers frères, pour combattre les efforts du
démon, soit qu'il travaille à vous attirer, soit
qu'il veuille vous retenir.
Si vous n'êtes pas dans le monde, que le
plaisir ne vous y engage pas; il coûte trop,
et il vaut trop peu. Que l'ambition ne vous
y attire point : c'est un crime d'adorer le
démon, c'est une folie de l'adorer au hasard,
et le sujet d'un désespoir éternel lorsqu'on a
eu la faiblesse de l'adorer.
Que si vous habitez dans la Babylonc du
inonde, fasse le ciel que ces lumières éclai-
rent les ténèbres de vos âmes, et que l'amer-
tume d'avoir vécu dans ces égarements vous
fasse goûler avec plus de reconnaissance et
plus de joie la bonté du libérateur qui veut
vous délivrer par sa grâce, à laquelle il
faut recourir et que je vous souhaite. Ainsi
soit-il.
SERMON
POUR LE MARDI DE LA PREMIÈRE SEMAINE
DE CARÊME.
Sur les devoirs des pères et mères envers leurs
enfants.
Miserere mei, Domine fili David: filia mea maie a dœ-
monio vexatur.
Seigneur, fils de David, ayez pilié de moi : ma fille est
misérablement tourmentée par le démon (Matth., XV, 22).
Quiconque ne connaîtrait pas l'amour
d'une mère pour son enfant devrait être sur-
pris des paroles de la Chananéenne, et on
aurait de la peine à comprendre comment elle
est elle-même un objet de pitié pour le Sau-
veur du monde, parce que sa fille est misé-
rablement tourmentée par le démon; mais
quiconque saura rjuel doit être l'amour d'une
mère chrétienne pour le salut de son enfant
sera surpris de l'insensibilité de la plupart
de celles qui, ayant des enfanls en plus grand
danger que la fille de la Chananéenne, ne
songenl pas à faire tous leurs efforts pour les
en retirer.
Voici donc, mes frères, tout le plan de ce
discours : je vais vous apprendre que celte
insensibilité des mères chrétiennes et cette
stupidité dans une affaire aussi importante
pour leur salut cl poureclui de leurs enfa'nls
procèdent de l'ignorance où elles sont, 1° du
danger de leurs enfants, qui sont tourmentés
du démon saiii qu'elles le sachent; 21 du re-
mède à ce mal, qui est entre leurs mains ;
'.)" de l'intérêt qu'elles ont dans le danger de
leurs enfants, et combien il leur est impor-
tant de n'être pas la cause de leur chute.
Ainsi j'ai cru que, pour les réveiller de
cet assoupissement et pour les rendre sen-
sibles à des intérêts si importants, je devais
faire voir dans ce discours, 1° le malheur des
enfanls qui sont lourmenlés par le démon :
première partie; 2 le remède à ce malheur :
deuxième partie; 3° l'obligation l'appliquer
ce remède : troisième partie.
C'est pour instruire les mères chrétiennes
que nous faisons ce discours. Demandons
l'assistance du ciel par le secours de la plus
sainte mère qui fut jamais. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Ne vous paraît-il pas étrange, pères et
mères chrétiens, de m'entendre dire que la
plupart de vos enfanls sont misérablement
tourmentés par le démon, comme la fille de
la Chananéenne, et ne croyez-vous pas que
c'est outrer les choses que de faire d'abord
une. semblable proposition?
Ecoutez ce que dit saint Augustin, et après
que je vous aurai exposé les preuves de ma
proposition par lesparolesdecesaintdocteur,
et raisonné sur des principes de foi, j'espère
de vous rendre si sensible ce que j'avance,
que vous ne pourrez vous dispenser, si vous
êtes véritablement pères et mères de vos
enfants selon l'esprit, et non pas seulement
selon la chair, de gémir sur leur malheur et
de travailler à éviter celui qui vous menace.
11 arrive quatre choses dans la formation
des hommes, dit saint Augustin : le père en-
gendre le corps, Dieu crée son âme, le péché
la corrompt, et le démon la possède. Il paraît
donc d'abord que vos enfants tombent sous
l'empire du démon dès le moment de leur
naissance, et que devenir homme et être pos-
sédé du démon, c'est la même chose dans la
voie ordinaire; et n'est-ce pas ce que l'A-
pôtre nous apprend lorsqu'il nous appelle
des enfants de ténèbres et de colère? Les
exorcismes que la sainte Eglise fait sur les
enfants avant que de leur conférer le bap-
tême ne nous montrent-ils pas qu'ils sont
en la possession du démon, puisqu'elle le
chasse pour y préparer la demeure de Jésus-
Christ? Le Sauveur du monde y vient par le
baptême, il y demeure par la grâce. De morts
qu'ils étaient, il les rend vivants; d'enfants
de ténèbres, ils deviennent enfants de lu-
mière, et Jésus-Christ les retirant de dessous
l'empire du démon, avec lequel ils étaient
destinés ta l'enfer, les adopte et leur donne
droit à son héritage éternel, c'est-à-dire à la
gloire.
Il faudrait pénétrer dans le fond de l'âme
et découvrir ce qui s'y passe, pour pouvoir
dire exactement combien peu dure cet heu-
reux étal, qui finit bientôt, dans la plupart
des hommes, par la perle de la grâce du
baptême qui en est la source et le fondement.
Car, hélas! mes frères, on peut assurer har-
diment que dans la plupart les premiers soins
de leurs parents, le premier usage de leur
liberté, le premier office que le monde leur
rend, c'est de leur faire perdre l'innocence et
de chasser Dieu de leur cœur.
L'état de notre naissance en Jésus-Christ
nedure pour l'ordinaire guèredavantage que
dura l'état d'innocence, c'est-à-dire que la
plupart des hommes emploient le premier
usage de leur liberté à perdre la grâce de
leur baptême, cl qu'ils renoncent à la qua-
lité d'enfunts de Dieu -pour redevenir les
583
ORATEURS SACRES. ItOM JEROME.
i;r,
enfants cl les esclaves du démon, aussitô
q no par eux-mêmes ils sont capables de f.iirc
usage de lour esprit ol do leur ( <our.
Ce qu'il y a d'étrange, c'e^l que lotit ceci
se passe d'une manière insensible, et que ce
meurtre de l'a Me, cet asservissement a l'em-
pire du démon, ne se font point sentir. La
mort de l'âme ne rend pas ses sujets immo-
biles à nos yeux comme la mort du corps;
elle ne les rend pas des objets d'horreur; ils
vivent, ils conversent, ils rient avec nous,
et souvent le coup qui les lue leur attire nos
louanges, notre estime, notre admiration et
noire amour.
Mais, pères et mères chrétiens, si ces
morts terribles et détestables commencent
pour l'ordinaire dans l'Intérieur de vos fa-
milles, si vous y livrez vous-mêmes vos en-
fants, si vous en êtes les meurtriers après en
avoir été les pères, et qu'après tout nous ne
puissions pas vous rendre ces morts sensi-
bles, ne serait-ce pas beaucoup si nous vous
faisions voir la réalité de cette mort, et si
nous vous découvrions <lc quelle manière
elle arrive?
Or, que cette mort soit réelle, il est aisé de
le démontrer ; la preuve dépend de deux
principes, l'on de foi, et l'autre d'expérience.
La foi nous enseigne que celui qui perd la
grâce de son baptême redevient esclave du
démon ; quoiqu'il ait été régénéré en Jésus-
Christ, il rentre sous celle domination mal-
heureuse : car, comme dit l'apôtre saint Pier-
re, Quiconque est vaincu est l'esclave du
vainqueur. Vous êtes esclaves de celui que
vous servez, dit saint Paul ; et cet esclavage
est d'autant plus terrible qu'il est volontaire
et du choix de celui qui s'y soumet. Il est
d'autan! plus terrible que le choix de ce nou-
veau et détestable maître ne se peut faire
qu'en se rendant coupable de perfidie à l'é-
gard du parti qu'on a choisi et auquel on
s'est attaché par un engagement solennel.
11 est encore certain que cette grâce reçue
dans le baptême a besoin d'être entretenue
et comme fomentée dans l'âme d'un enfant
qui l'a reçue, et qu'il ne peul recevoir celle
assistance et ce secours que par les soins
d'un père et d'une mère chrétiens et dune
bonne éducation : la grâce a ses degrés com-
me la nature, l'homme chrétien a ses âges
comme l'homme charnel, dit saint Augustin,
et comme nous voyons qu'un enfant nouvel-
lement né perdrait bientôt la vie qu'il aurait
reçue si on l'abandonnait après sa naissance
et qu'on l'exposât à toutes les injures de l'air
et à l'intempérie des saisons, de même la vie
de Jésus-Christ formée en nous par le baptê-
me est bientôt éteinte quand on ne prend
pas soin de l'y conserver et de la fomenter
par une éducation chrétienne, de L'augmen-
ter par les soins, de nourrir ce nouvel hom-
me intérieur qui est enfant, de le soutenir,
ce nouvel homme, par le lait d'une sainte
doctrine, de le garantir de l'air con agiras
du inonde, et d'empêcher qu'il ne voie ou
qu'il n'entende quelque chose qui puisse don-
ner atteinte à celle rie nouvellement fort» B.
Test pourquoi, mes frères, chaque mère
chrétienne doit être à l'égard de ses enfanis,
dans la disposition où saint Paul dit aui Gfl
laies qu'il etail à leur égard : il faul qu'elles
soirnl toujours dans l'inquiétude de l enfan-
tement, jusqu ,i ce qu'elle! voient Jésus-
Christ forme en ras, c'est-à-dire, agissant
en eux parla foi, par l'espérance el par la
charité.
Vois*, mes frères, ce que la foi nous rend
Certain ; mais n'est-il pas encore aussi sûr
par l'expérience qu'il n'y a rien de plus p
gligé qu'' cette éducation chrétienne 7 A pei-
ne en connaîl-on les obligations. In père el
une mère ne se regardent que dans un cer-
tain ordre naturel par rapport à leurs en-
fants : ils croient avoir satisfait à toutes
leurs obligations quand ils leur ont amassé
du bien, qu'ils les ont élevés dans la bien-
séance et dans l'honnêteté, qu'ils les nul
avancés dans les éludes, qu'ils les ont ren-
dus dignes d'exercer avec honneur les char-
ges et les emplois qu'ils leur destinent, et
qu'ils leur ont procuré des alliances hono-
rables. On appelle un homme qui en u>e
ainsi un bon père, et un enfani heureux
quand il lombe en de semblables mains ;
mais, ô mon Dieu ! ouvrons on peu les yeux.
A quoi tous ces soins-là se terminent-ils?
Au monde, à la terre, à la vie présente, au
temps. Ce père dans tous ces mouvements-
là n'a en vue que l'établissement de son en-
fant. Tout se termine à la terre, à une for-
tune qui durera peut-être vingt, peut-élre
trente ans, comme si cet enfant n'était que
pour le monde, comme s'il n'y avait point
d'autre félicité pour lui, et voilà cet enfant
livré au monde. lÀsl-ce là en bonne foi, mes
frères, une éducation telle qu'on la doit don-
ner à un chrétien destiné pour le ciel, à qui
le monde et la fortune ne doivent servir que
de moyen pour y arriver, et qu'il est obligé
de fouler aux pieds el d'abandonner quand
ils deviennent un obstacle à son salut et à
sa fin ? Un père et une mère ne se regardent
presque jamais dans l'ordre surnaturel el du
côté de 1 âme : ils ne comprennent point que
Dieu les associe avec lui dans l'ouvrage de
la prédestination et du salut de leurs enfants,
qu'il les a rendus les dépositaires de sa grâ-
ce, el que, pouvant lui seul faire le salul de
ses élus, parce que véritablement ce aalal est
son ouvrage, il a voulu que, comme il se lait
pendant celle \ie par l'alliance des œuvres
avec la foi, il se commençât pendant l'en-
fance par l'alliance de l'éducation avec la
grâce du baptême.
Il y aurait une infinité de raisons à don-
ner de celte conduite de Dieu, qui marque sa
miséricorde par la facilité qu'il a \oulu don-
ner à l'homme pour son salut, el avec com-
bien de justice il le condamne lorsqu'il l'a
négligé. Mais tenons-nous-en à notre sujet;
il suflit que nous fassions voir ;in\ pères et
aux mères chrétiens comment l'ieu les asso-
cie à l'ouvrage du salul de leurs enfants;
comment il leur abandonne ces jeunes âmes
ci ces jeunes niante;., comme une terre où il
vient de r. pandre la semence de l'éternité,
afin qu ils la cultivent : comment elle ne peut
SERMON POUR LE MARDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
558
y cire conservée que par leurs soins, et
qu'elle y meurt misérablement quand ils la
négligent.
Que ces pères et ces mères me disent main-
tenant quelle est l'application qu'ils ont don-
née et qu'ils donnent à ces devoirs si impor-
tants ; qu'ils nous disent s'ils ont seulement
connu celte obligation, et si, s'élevant au-
dessus des vues de la terre et du monde, ils
ont regardé leurs enfants dans cet ordre de
Dieu. Qu'ils reconnaissent donc ici leur né-
gligence, mais qu'ils reconnaissent que la
plupart de leurs enfants, ayant perdu la
grâce de leur baptême en acquérant l'usage
de la raison, sont tombés sous la puissance
flu démon , qui les tourmente misérable-
ment.
Nous voyons les effets sensibles de celle
possession tous les jours, mais nous ne re-
montons jamais jusqu'à la source, et c'est
notre amour-propre qui nous la cache, de
peur de nous i onfondre en nous ia décou-
vrant ; mais pour vous la faire voir, il faut
vous faire observer en quoi consiste cette
possession. Elle consiste , mes très-chers
fi ères , dans l'asservissement de l'âme au
démon par le péché, dans la soumission à ses
lois; car, comme nous l'avons dit avec saint
Paul, vous êtes l'esclavedeceluiquevous servez.
Il ne faut donc pas s'attendre à voir les effets
de celte malheureuse possession par les agi-
tations du corps, c'est par le dérèglement
des passions ; ce n'est pas par des mouve-
ments contraires aux lois de la nature, c'est
par une conduite opposée à la loi de Dieu.
Ainsi, pères et mères, quand vous vous
plaignez des emportements d'un enfant, que
vous lui voyez passer trente années dans la
débauche, dissiper son bien, se marier con-
tre votre gré, vous outrager en votre per-
sonne, vous déshonorer dans votre réputa-
tion , dites alors qu'il est tourmenté par le
démon, mais demandez à Dieu, comme la
Ghananéenne, qu'il ait pitié de vous. Si vous
remontiez jusqu'à la source de ces désor-
dres, vous seriez pour la plupart obligés de
dire comme ce père à qui Jésus-Christ de-
mandait depuis combien de temps son fiis
était agité du démon, cl qui lui répondit que
c'était dès son enfance; car il est souvent
vrai que les dérèglements dont vous vous
plaignez sont les suites déplorables de la
perte de l'innocence du baptême, qui s'est
laite dans voire maison, dans votre sein, par
votre négligence et souvent par votre mi-
nistère.
Voilà donc cette possession et ses effets ;
voilà de quelle manière la plupart des enfants
sont tourmentés par le démon comme la tille
de la Chananécnne.
Mais parce que ce n'est pas assez de dé-
couvrir des maux si nous n'en donnons les
remèdes, et que même ces remèdes ne pour-
raient pas être appliqués si utilement si uous
ne découvrions la source des maux, mar-
quons ici par quels degrés le démon ren re
dans une âme d'où il a été chassé par le
baptême, et comment il s'en remet en pos-
'on pour )a tourmenter ensuite miséra-
blement par le dérèglement des passions,
par le désordre de ia conduite et par une vie
tout opposée aux engagements du bap-
tême.
Je trouve trois différentes voies qui rou-
vrent l'entrée au démon et par lesquelles il
revient dans l'âme pour la tourmenter : la
concupiscence, les préventions et l'exemple.
La concupiscence, qui demeure après le bap-
tême et qui est favorable au démon, incline
l'âme du côté du mal; les préventions la sé-
duisent en faveur du monde, et enfin l'exem-
ple l'entraîne dans le désordre.
L'homme, formé pour être heureux, dé-
sire de l'être. Ce bonheur, avant sa chute,
consistait en deux choses : dans l'éloigne-
ment du mal et de la douleur, et dans la
jouissance du repos, du plaisir et de la oaix.
L'homme, déchu par le péché de cette jouis-
sance du plaisir, n'est plus que dans l'espé-
rance durant celle vie. Il ne veut point se
résoudre à aitendre, il veut goûter du plai-
sir dès à présent; il cherche, il trouve des
apparences, il se laisse prendre à ce qui le
touche : première source de chute, première
voie qui fait rentrer le démon dans une
âme.
Celte première corruption intérieure, qui
est la concupiscence, s'unit avec une autre
qui est extérieure, et qui n'est nuire chose
que les préventions et les préjugés du monde.
L'une fait chercher l'autre, qui s offre et se
présente. Mais avant d'aller plus loin, il faut
entendre ce que signifie ce mot de concu-
piscence, qu'on ne prend ordinairement que
pour les désirs déréglés de la chair, et qui
néanmoins s'étend beaucoup plus loin ; car,
selon l'idée que nous en donne saint Augus^
tin, c'est, à proprement parler, un certain
poids que le péché laisse en nous, par lequel
l'âme est inclinée et penche vers la terre, où
elle est toujours prêle à s'attacher par le
désir de jouir des créatures; c'est un certain
fond de corruption que les théologiens ap-
pellent l'amorce du péché, c'est-à-dire une
inclination qui porte l'homme à désirer ce
que Dieu défend et à rejeter ce qu'il com-
mande ; c'est comme une espèce de forge al-
lumée en nous par le feu du péché, d'où sor-
tent les armes malheureuses des passions
dont le démon se sert pour nous engager à
détruire nous-mêmes noire innocence; c'est
un feu tout prêt à s'allumer, dans lequel il
souffle incessamment pour causer en nous
ces ardeurs qui nous portent avec tant de
véhémence vers les objets qui nous plai-
sent.
Voilà la disposition où nous sommes tous
après le baptême. Avec un fonds naturel
très-susceptible de la corruption dont le
monde est rempli, les préventions qui nous
parlent en sa laveur nous séduisent bien
vile. Etant reçues dans ce mauvais fond, un
enfant ne voit et n'entend rien qui m> lui
parle on faveur du monde, vers lequel son
âme penche et est toujours prête à s'engager
par le désir. H ne voit que des objet-, qui
flattent ses sens, il n'entend que des discours
qui sout capables de lui persuader que la
-.:.'•
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
9M
souveraine félicité consiste dan9 la jouis-
sance de ce que le monde promet : ju;;ez des
ra*a:^cs que ces secours, unis à la COOCD-
pisccncc, peuvent produire dans une âme
qu'elle lient toute penchée du côté de la terre
et du monde.
C'est là, mes frères , ce que j'appelle les
préventions qui séduisent un jeune cœur.
Hé! comment pourrait-il s'en défendre, puis-
que nous-mêmes, avec tout le secours que
nous avons et qu'il n'a pas, nous avons bien
de la peine à nous en garantir? Comment
voulez-vous qu'il n'estime pas le monde et
tout ce que le monde prometVSon propre fonds
l'en sollicite : vos discours, vos souhaits, vos
approbations, vos projets, vos manières, vos
chagrins même, tout parle en sa faveur.
Il estime donc ce que vous estimez, il désire
ce qu'il estime, il aime ce qu'il désire, et c'est
cet amour qui le perd, car il consacre à ce
monde les premiers mouvements de son
cœur, et il en chasse Dieu pour qui il est
créé et à qui il avait été consacré par le bap-
tême.
Dès qu'il a fait un pas dans le monde, il se
laisse emporter où le torrent de la coutume
et de l'exemple entraîne tous ceux qu'une
éducation chrétienne n'a pas fortifiés : ainsi
vous les voyez bientôt livrés à toutes sortes
d'excès, agités par leurs passions, plus mal-
heureux que la fille de la Chananéenne,
parce que c'est leur âme qui est tourmentée
par le démon ; mais ne vous effrayez pas,
vous avez dans les mains les remèdes à ces
maux, pères et mères chrétiens ; ce qu'il y a
de triste, c'est que vous ne pensez pas à
vous en servir : je vais vous les exposer dans
la deuxième partie de ce discours.
DEUXIÈME PARTIE.
Puisque nous avons remarqué que le dé-
mon se remet en possession de l'âme d'où il
a été chassé par le baptême, en y retournant
par trois voies qui lui en ouvrent le chemin,
il est facile de comprendre que le soin des
mères chrétiennes les doit appliquer à fermer
ces trois voies au démon et à conserver la
grâce du baptême dans leurs enfants, 1" par
le soin de combattre la concupiscence dans
ses premiers mouvements; "2° par le soin de
verser de bonnes impressions dans leurs es-
prits contre les préventions ; 3° par le soin
de les engager comme naturellement dans le
bien par de bons exemples, de leur cacher le
monde et de les cacher eux-mêmes aux yeux
du monde.
Ajoutons un quatrième moyen, qui est un
moyen général de réussir et sans lequel on
ne peut réussir, qui est de recourir à Dieu
par la prière. Nous parlerons plus particu-
lièrement de la prière et du recours à Dieu
par les gémissements, lorsque nous marque-
rons ce qu'on peut faire pour réparer les
défauts do l'éducation quand on a manqué
de la donner à ses enfants et qu'on les voit
tourmentés misérablement par le démon dans
un âge où ils ne sont plus sous la conduite
des pères et mères.
Contentons-nous de vous dire seulement que
vous ne devez jamais manquer d'offrir vos
enfants à Dieu, et de lui demander tous les
ioori qu'il les conserve dans la grâce de leur
baptême. Une illustre princesse, c'était sainte
Elisabeth, allait à l'église dès qu'elle se trou-
vait enceinte, et offrait à Dieu le fruit de ses
entrailles, faisant continuellement d< s \<iux
pour qu'il pût recevoir la çrâce du baptême,
et elle les continuait toujours pour obtenir
de Dieu qu'il la lui conservât. Ce doit être
là une des principales dévolions d'une mère
chrétienne. Une foule de femmes saintes et
illustres nous en ont donné l'exemple; et en
vérité, être chargé de l'éducation d'un en-
fant, être dépositaire de la grâce de Jésus-
Christ, avoir son salut entre les mains, ce
salut duquel on doit répondre à Dieu, c'est
quelque chose d'assez important pour re-
courir souvent à lui par la prière et lui de-
mander continuellement qu'il nous aide par
sa miséricorde à nous acquitter d'une obli-
gation si fort élevée au-dessus de nos forces.
Le moyen est donc entre vos mains : l'avez
vous fait? le faites-vous?
'. Vous devez vous appliquer à réprimer les
premiers mouvements de la concupiscence
qui paraissent dans les enfants : la ven-
geance dans leurs petits ressentiments, la
gourmandise dans leurs avidités, l'orgueil
dans leurs obstinations, et toutes les autres
petites étincelles qui sortent de celte four-
naise de tous les vices, ainsi que nous ve-
nons d'appeler la concupiscence, qui n'est
pas encore assez allumée pour causer des
incendies , mais qui les causera si vous
n'amortissez pas ces petites ardeurs nais-
santes.
Il faut pour celade la force, dit saint Iiernard;
il ne faul pas se laisser vaincre par un faux
amour pourses enfants, qui vous porteàleur
pardonner tout à cause delà faiblesse de leur
âge, car ils savent bien qu'ils font mal. S'ils
ne le savaient pas, ils ne se cacheraient pas
pour le faire, ils ne rougiraient point quand
on les en reprend. Il faut donc les punir pour
réprimer ces premiers mouvements, et leur
faire sentir par la punition leurs devoirs,
s'ils ne sont pas capables de les comprendre
par raison. 11 faut de la discrétion dans les
punitions, mais aussi il ne faut point de fai-
blesse. Ayez de la tendresse, mais défiez-
vous du faux, amour; surtout ne faites rien
ni par emportement ni par humeur.
Kn second lieu vous devez preudre soin de
verser de bonnes impressions dans leur es-
prit, pour les garantir des préventions qui
peuvent les séduire. 11 faut commencer par
leur donner une grande idée de la religion:
de Dieu, qui en est l'auteur; de sa puissance,
qui nous a créés; de sa miséricorde, qui
nous a rachetés; de sa honte, qui nous a
destinés pour la gloire.
Il faut leur faire entendre que le ciel, qu'il
nous a promis, doit être la récompense des
bonnes œuvres, qu'elles doivent être produi-
tes par l'amour de Dieu, et qu'elles consis-
tent dans la pratique de sa loi; il faut leur
apprendre ce qu'elle ordonne et ce qu'elle
détend, leur donner de l'amour pour l'un et
de l'horreur pour l'autre, leur faire entendre
3G1
GERMON POUR LE MARDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
5Ca
qu'il est bien plus facile et plus honnête de
l'aire ce que Dieu commande que de faire ce
qu'il défend, leur proposer la conduite des
saints et les difficultés qu'ils ont surmontées,
l'éternité de cette gloire et de ses plaisirs, la
courte durée de celle de la terre et sa fin iné-
vitable par la mort, les châtiments que Dieu
prépare aux prévaricateurs de sa loi; leur
représenter l'enfer et ses horreurs, qu'on ne
peut fuir quand on tombe dans le péché.
Il faut leur insinuer qu'on est attaqué par
des tentations quand on marche dans les
voies de Dieu, que le monde parmi lequel on
a à vivre est tout plein de sujets révoltés
contre Dieu, qu'il faut les éviter comme ses
ennemis, qu'ils enseignent et pratiquent des
maximes contraires à sa loi, qui leur sont
inspirées par le démon , auquel ils obéis-
sent; que, comme nous sommes misérables
et que sans la grâce nous serions du nombre
de ses ennemis, nous nous sentons portes à
suivre ces détestables maximes par un mau-
vais fonds qui est en nous, mais qu'il faut
résister à ces tentations et intérieures et ex-
térieures, en recourant à Dieu par la prière,
par la lecture et la méditation des saintes
Ecritures, par la fréquentation des sacre-
n.ents, dont il faut leur exposer la force et la
vertu, par la retraite, par la société des gens
de bien, avantage qu'il leur faut procurer de
bonne heure.
Il faut réduire les principales vérités de la
religion à des maximes générales, courtes,
faciles, qu'on leur répète souvent pour les
leur mettre dans l'esprit, sans les rebuter. Ce
furent de semblables impressions , versées
dès la jeunesse dans l'âme du vénérable
Elcazar, qui le rendirent intrépide à la vue
de la mort, et qui l'obligèrent de s'y livrer
plutôt que d'être infidèle à la loi de son Dieu.
Ces impressions, qu'il avait reçues dès son
bas âge , le défendirent dans sa vieillesse
contre la sollicitation de ses faux amis.
Ce furent encore de semblables impres-
sions, versées dans l'âme de la chaste Su-
Banne, qui lui firent mépriser les sollicita-
tions, les menaces et les dangers où la jeta
la passion des deux vieillards qui, n'ayant
pu lui ravir l'honneur, attentèrent à sa vie.
L'Ecriture nous en rend un témoignage for-
mel : elle dit que ses parents étaient des
gens justes , qui , s'acquitlant des devoirs de
leur condition, lui avaient appris, en l'ins-
truisant selon la loi, à ne pas craindre la
mort quand il s'agissait de perdre l'inno-
cence et la grâce de Dieu.
Croyez-vous, pères et mères, que de sem-
blables impressions, versées dans l'âme de
vos enfants avec le même esprit, ne produi-
raient pas de semblables effets? Vous avez
dû le faire, vous l'avez pu : l'avez-vous fait?
Examinez-vous là-dessus.
En troisième lieu, vous devez les engager
dans le bien comme naturellement, par de
bons exemples, leur cacher le monde et les
cacher eux-mêmes à ses yeux. Comme co
devoir est un des plus importants de votre
état, il renferme aussi un des moyens les
plus efficaces pour réussir à retenir vos en-
OllATF.CRS SVCRÉS. XXX.
fants dans le devoir et à les former au bien.
Car, mes frères, la coutume et non pas la
raison est la règle de la conduite de la plu-
part des hommes, et surtout ils font tout ce
qu'ils voient faire, sans trop se soucier de ce
qu'on doit faire ni si les autres font bien : de
sorte qu'ils suivent dans leurs mœurs et
dans leurs opinions la mode qu'ils trouvent
établie , comme ils la suivent dans leurs
habits. ,
Or, mes frères, si cela est vrai des hom-
mes formés, qui se devraient conduire par
la raison, cela l'est encore davantage pour
des enfants qui n'en ont point, et qui natu-
rellement imitent ce qu'ils voient faire.
Comme ils ne voient que vous, ils n'ont puint
d'autre modèle que celui que vous leur don-
nez : le respect, la crainte, l'amour, le be-
soin qu'ils ont de vous, tout les porte à se
former sur vous; et si un ancien Père a dit
autrefois que ce que nous entendions dire et
ce que nous voyions lai. c souvent acquérait
la force et l'autorité d'une loi pour nous,
l'expérience ne nous fait-elle pas voir tous
les jours que nous nous conformons aux
mœurs de nos amis et que nous ressemblons
à ceux avec qui nous vivons?
Il dépend donc de vous en partie de former
les mœurs de vos enfants par les vôtres, et do
les prévenir contre la force du mauvais
exemple en les établissant dans la pratique
du bien par la loi des exemples qui ne leur
montrent que la vertu.
Vous devez leur cacher le monde et les
cacher eux-mêmes à ses yeux. Qu'est-ce que
de les cacher au monde? C'est de ne pas
souffrir qu'ils en goûtent les plaisirs, qu'ils
en voient les pompes et la vanité; ou du
moins, si on la leur montre en partie et si on
leur en parle, comme cela est même néces-
saire à un certain âge, c'est de leur en mon-
trer en même temps tout le faux, tout le
puéril, en un mot le mauvais côté, qui est
toujours le côté vrai. Qu'est-ce que de les
cacher aux yeux du monde? C'est ne pas
souffrir que ceux avec qui ils sont liés leur
en inspirent l'amour , en leur parlant des
choses qui s'y passent, en les louant de leur
beauté, de leur bonne grâce, de leur esprit ,
de leurs ajustements.
Mais, ô mon Dieu! que ce langage est peu
entendu des pères et des mères! Ils produi-
sent leurs enfants au monde, ils se réjouis-
sent quand ils les voient propres pour y
réussir; ils tirent vanité des applaudisse-
ments que le monde donne à des qualités
naissantes, qui peut-être seront la cause de
leur damnation. Une mère qui ne peut plus
être du monde p.ir elle-même continue à en
être par sa fille : elle s'en sert pour attirer
du monde chez elle, et, semblable â ces gens
dont il est parlé dans les Actes, qui s'irritè-
rent contre l'apôtre saint Paul, qui chassa
un esprit de python, c'est-à-dire do devine-
resse, qui était dans une fille qui leur appar-
tenait et qui, attirant beaucoup de monde,
chez eux, leur apportait un fort grand gain;
elle fait commerce de la beauté, de l'esprit,
de l'enjouement et des autres qualités d'un
M
OKATKl'RS SACRES. t)0\! JEROME.
enfant, funestes, à l'innocence et dangereuses
pour son salut, et quand on entreprend de
parler contre les jeux, les danses, les assem-
blées, les parties de plaisir où ces dangereu-
ses qualités s'étalent avi c pompe et avec
éclat, on nous traite comme le furent saint
Paul et Silas : Ces /tommes troublent toute
notre ville ; ce sont des Juifs qui veulent in-
troduire une manière de vie qu'il ne nous est
pas permis, à nous qui sommes Romains, de
recevoir et de suivre. Voila le langage que
tiennent contre les ministres de Jésus-Christ
qui ont un peu d'exactitude les pères et les
mères qui sont du monde et qui veulent que
leurs enfants en soient : Vous vous troublez
par votre sévérité; ce que vous nous dites
n'est bon que pour vous qui êtes hors du
monde , mais il est impraticable pour les
gens qui en sont.
Vous voyez donc , pères et mères , que
vous avez des moyens en main pour empê-
cher le retour du démon dans l'âme de vos
enfants, et que vous ne vous en servez pas,
du moins pour la plupart. Vous contribuez
donc à les mettre dans un état plus miséra-
ble que celui de la fille de la Chananéenne.
Est-il possible que vous ne connaissiez pas
l'intérêt que vous avez dans leur perte?
Essayons de vous le faire sentir dans la troi
sième partie de ce discours.
TROISIÈME PARTIE.
Il ue faut, mes frères, que le seul exemple
du châtiment de Dieu sur la personne du
grand prêtre Héli pour vous faire compren-
dre combien vos intérêts sont mêlés avec
ceux de vos enfants, et que vous ne sauriez
les exposer à la possession du démon, en né-
gligeant leur éducation, sans vous exposer à
une damnation éternelle.
Ce grand prêtre était d'une vertu recon-
nue, et si la Providence ne l'eût pas fait père
de deux enfants, la justice de Dieu n'eût
peut-être ri«3n trouvé en sa personne di. ne
de châtiment ; mais il eut de l'indifférence
pour l'éducation de ses enfants, comme la
plupart des hommes. Qu'arriva-t-il, nies frè-
res? Dieu permit qu'il fût affligé par de très-
grandes disgrâces : ces deux mêmes enfants
furent lues a la guerre, et enGn ce vénérable
vieillard, tombant de sa chaire, se tua misé-
rablement; et c'est ainsi que Dieu mit quel-
que proportion entre son châtiment et son
crime, et lit connaître qu'il mourait pour
n'avoir pas dignement occupé celte chaire,
en négligeant ics obligations que la qualité
de maître de ses enfants lui imposait.
S'il vous faut des raisons particulières
pour vous convaincre que cette sévérité de la
justice de Dieu est équitable, sachez qu'en
manquant à ce d voir vous avez exposé la
grâce que Jésus-Christ avait mise dans l'âme
de vos enfants par le baptême: que vous
avez violé es ordres que la Providence avait
établis pour le salut de vos enfants ; que
vous avez abandonné ceux dont il voulait
que vous fussiez les prolecteurs : car c'esi la
qualité qu'on pcul donner à un père cl a une
mère chrétiens : Jésus-Christ lear confie
élus; et qu'enfin rou« :.v< ■/ VÎO é une obi
tion essentielle de votre état de père et de
rnère.
En voilà assez pour vous faire lentir l'in-
térêt que vous avez dans le danger de vos
enfants, puisque v us en répon Irez sur votre
salut. Mais, me direz-vons, \ a-i-il point «te
moyen de réparer les tautes que j'ai faites
dans l'éducation de mes enfants? Il- ion
eux, ils ne sonl plus sous ma conduite. Je
suis peut-être cause, pour ne les avoir pas
bien élevés, des péchés qu'il- commettent ai.
jourd'hui : faut-il que je périsse, et n'y t-t-il
point de miséricorde pour moi? N'outrons
rien, mes frères, en cette vie il n'y a point
de péché dont nous ne puissions obtenir mi-
séricorde. Il faut, 1* comme la Chananéenne
de notre évangile, que vous recouriei à Jc-
sus-Clirisl et que vous lui disiez a\ec larmes
et avec gémissements : Mon i'ieu, ayez com-
passion de moi; ne m'imputez pas les péchés
de mes enfants, dans lesquels j'ai tant de
part à cause de la négligence et de la fai-
blesse que j'ai eues dans leur éducation ! Ce
n'est pas sans raison que saint Paul dit que
la vie d'une veuve chrétienne doit être une
vie de larmes et de gémissements : elle a or-
dinairement bien des fautes à pleurer, et si
elle examine avec soin tous les manque-
ments qui lui sonl arrivés dans la pratique
de ses devoirs, elle ne saurait assez gémir.
Mais souvenez-vous que Dieu ne se coutente
pas de larmes stériles ni d'inutiles gémisse-
ments : faites-en une sérieuse pénitence.
2° Essayez, par toutes sortes de voies de
douceur et de charité, de donner avec adresse
de bons conseils à vos enfants, à qui vous
avez manqué de donner l'éducation que vous
leur deviez. Essayez de leur inspirer l'amour
du bien et de les retirer du monde et du mal,
en prenant garde cependant de les irriter
contre vous, ^'il vous reste encore du bien à
1< ur faire, s'ils espèrent quelque chose de
vous, servez-vous de ce moyen pour vous
faire écouter : l'intérêt rend les gens atten-
tifs et dociles. Priez incessamment , et faites
prier et pour eux et j ur vous. Quand même
vous leur auriez donne une éducation extrê-
mement chrétienne, ne manques jamais à ce
voir. Job vous en a donne un admirable
exemple; car quoiqu'il eût irès-bien élevé
ses enfants, jusque-là même, comme le re-
marque saint Grégoire, que dans tous les
f, slins qu'ils firent ensemble ils ne péchèrent
point, ni dans leurs actions, ni dans leurs
discours, il disail n aiuuoins. en offrant tous
les jours à Dieu des sacrifices : Pestf-étre
qu'ils ont péché et qu'ils n'onl pas béni Di< u
dans leur cœur. Ce saint homme a»ait soin,
"comme vous voyez, de purifier jusqu'à leur
cœur et à leurs pensées, et pour des enfants
qui n'étaient plus sous sa conduite et qui
étaient engagés dans le marias .Quedirojtf à
cela d s p< res el des mères chrétiens qui ne
connaissent pas seulement les ouvres exté-
rieures de ceux qui leur sonl soumis '.'Ouelles
excuses pourront-ils trouver, eux qui ne -o
mettent nullement en peine des plaies que
SERMON PUlit LE JEUDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
*'i>5
ceux qui sont soumis à leur conduite ont
contractées par leurs actions?
3° 11 faut que les pères et mères fassent en
sorte que les enfants de leurs enfants ne
soient pas négligés, qu'ils leur procurent de
leurs père et mère une meilleure éducation
que celle qu'ils leur ont donnée ; qu'ils pren-
nent soin qu'on mette auprès d'eux des maî-
tres excellents pour la piété, la capacité, la
sagesse, la raison et la douceur. 11 n'y a
point d'emploi ni plus grand ni plus difûcile,
que celui de former l'esprit et le cœur et de
régler la conduite d'un jeune homme. Il faut
qu'ils fassent mettre leurs petites filles dans
des monastères , mais bien choisis , et où
la vanité, la mollesse, l'ambition n'entrent
point.
k" 11 faut qu'ils contribuent, selon leurs
moyens, à entretenir les écoles de charité
des paroisses où on élève les enfants pau-
vres : à payer les honoraires de ceux qui
leur font les catéchismes et qui les instrui-
senl; enfin qu'Usaient recours à la miséri-
corde de Dieu, qu'ils gémissent devant Dieu,
en faisant ce que je viens de marquer, et
qu'ils espèrent qu'il leur fera miséricorde.
Par rapport aux enfants qui reconnaissent
que leurs pères et mères les ont négligés, et
qu'ils n'en ont reçu nulle éducation, l8 il
faut qu'ils tâchent par la lecture des bons li-
vres à se remplir des vérités qui regardent
leur salut, cl à s'instruire des devoirs de leur
état , qu'on a négligé de leur apprendre;
2° qu'ils aienl recours à leurs pasteurs, qui
sont les pères de leurs âmes, à des gens sa-
ges et éclairés, qui suppléeront par leur ins-
truction au défaut do leur éducation ; 3' si
Dieu les a engagés dans le mariage, et qu'ils
deviennent pères, il faut qu'ils prennent
garde à ne pas tomber dans la même faute
à l'égard de leurs enfants, qu'on a commise
à leur égard.
Ainsi, mes frères, que chacun tâche d'ac-
complir ses devoirs et de réparer ses fautes,
c'est le vrai moyen d'être en grâce avec
Dieu et d'attendre avec confiance la misé-
ricorde que je vous souhaite. Ainsi soil-il.
SERMON
POUIl LE JEUDI DU LA r-REMIKRK SEMAINE
DE CARÊME.
Sur la prière.
Mulior ('.liati,iii;r:i cla n:» vit dicens : Mis porc mei, l)o-
mine, liii Davi i , Olia mea maie ;i dœraonto vexatur.
emme cliananéenne s'écria, en disant : Seigneur, (ils
de David, uyet pitié de moi, ma fille eu misêrubtemenl
l ihitt. niée pir le détuon (Munit., XV, 22).
Les saints Pères ont toujours considéré la
conduite de celle femme chananeenue, dont
nous parle l'évangile de ce jour, comme un
rare exemple de plusieurs vertus, que le
Sauveur du monde expos lit à nu> yeux pour
nous Instruire. Les uns ont admiré cette foi
vive qui la fait recourir à Jésus-Christ dans
sa misère; les autres ont été charmés de
celte patience héroïque qui lui fait souffrir
tous les rebuts du Sauveur du monde qui
pénible la rejeter; d'autres enfin ont admiré
jGo
celle humilité profonde qui lui fail recevoir
les mépris que le Sauveur du monde fait
d'elle, nomsetilcmenl sans s'en plaindre,
mais même y ajoutant les traits les plus op-
posés à l'orgueil naturel. Toutes ces vertus
sont admirables, mes frères, et il n'y a rien
que de rare dans la conduite do cette illus-
tre femme; mais comme toutes ces vertus
n'ont paru que dans l'exercice, de la prière,
et qu'elles n'ont été que des accompagne-
ments qui l'ont rendue parfaite, parlons de
sa prière et des vertus qui l'ont accom-
pagnée.
Apprenons donc dans ce discours, 1" qu'il
faut prier : première parliej2° comment il
faut prier : seconde partie. Apprenons de
l'exemple de la Chananéenne la nécessité de
la prière, et la manière de prier comme il
faut; ne soyons pas honteux d'apprendre
d'une païenne comment i! faut accomplir un
des plus importants devoirs de la religion.
Demandons l'assistance du Saint-Esprit.
Ave, Maria.
PREMIERE PARTIE.
Je trouve deux raisons qui On! obligé la
Chananéenne d'avoir recours à Jésus-Christ,
et qui sont pour tous les chrétiens les deux
fondements de ia prière : la première a été
le sentiment et la vue do sa misère; la se-
conde a été l'espérance en la vertu de Jésus-
Christ qui pouvait la soulager. Depuis long-
temps sa fil'e gémissait sous l'empire du dé-
mon qui la tourmentait, sans que tous les
remèdes humains lui eussent été d'aucun se-
cours. La réputation des prodiges qu'opérait
Jésus-Christ lui inspire une vive confiance
que lui seul guérira sa fille malade. Elle
vient, mes frères, dit l'Evangile, le trouver
vers Tyr et Sidon, et. comme un autre
Abraham docile à la voix de Dieu, elle sort,
elle s'éloigne de son pays, mais elle ne lo
quitte que pour prier Jésus-Christ, et l»o
prier d'une manière si efficace, que nous de-
vons dire qu'elle n'en sort que par une se-
crète prévention de la grâce; car elle pri>,
et la prière, selon saint Augustin, est le pre-
mier fruit de la foi. Celle femme sort donc
d'un pays idolâtre, pressée par sa misère, sol-
licitée par la réputation de Jésus-Christ, et
persuadée qu'il peut ia soulager. Elle prie,
ci elle crie en priant. Or, mes frère , les mo-
lifsqui ont engagé cette femme à recourir à
la prière sont les mêmes qui nous prouvent
la nécessité de prier. Il faut prier, mes frères,
et pour vous on convaincre j'établis trois
principes tirés de l'Ecriture sainte, d'où nous
tirerons celte conséquence : Donc il faut
prier.
1° Nous sommes dans la misère; 2" il n'y
a que la grâce de Jésus-Christ cl que la puis-
sance du Rédempteur qui puisse soulager no-
tre misère; >i" le Rédempteur n'accorde du
soulagement à notre mi-ère qu'à la prière.
Et d'abord nous ne pouvons disconvenir que
nous ne soyons dans la misère : c'est le fon-
dement de la nécessité de la prière. Dans l'é-
tal d'innocence l'homme n'aurait prie qu'en
louant Dieu : depuis le péché nous ne devons
B07
ORATEURS SACRES. ROM IKIIOMI..
plus prier qu'en gémissant. Saint Augustin
nous dit qu il n'y aura pins de prière dans
l'antre vie, parce qu'il n'y aura plui île ten-
tation, el que nous ne serons plus dans L'at-
tente du bien qui nous est promis. Nous le
verrons ce bien el nous le posséderons. Le
même Père nous faii comprendre encore la
nécessité de prier dans celle vallée de mi-
sère , en se faisant celle question à lui-
même : Pourquoi la prière convient-elle par-
ticulièrement aux veuves? C'est, dit-il, à
cause qu'elles sont ordinairement privées
de loul secours cl de toute consolation hu-
maine. Ainsi , ajoute-il , toute âme qui ,
comme elle le doit sentir, se trouve aban-
donnée et sans consolation ici-bas où nous
sommes éloignés du Seigneur el comme bors
de notre pairie, doit se lrou\cr aussi sans
doule dans une espèce de viduilé, dans la-
quelle elle doit prendre Dieu pour son défen-
seur et pour son appui, el elle ne doit point
cesser d'implorer sa protection et son se-
cours par de ferventes prières.
Or, mes frères, voilà notre étal, il n'y a
donc aucun de nous qui ne doive dire : .S'ei-
yneur, ayez pitié de moi, mon âme est extrê-
mement malade el tourmentée par le démon.
En effet, nous pouvons considérer le chré-
tien, 1* ou dans l'état du péché, 2" ou nou-
vellement converti , 3° ou dans cel état de
justification qu'on peut appeler un élal par-
fait, par la conservation de l'innocence du
baptême, ou par la réparation d'une péni-
tence accomplie. Or, dans tous ces états, je
dis que l'homme est dans la misère, selon
l'expression de 1 Ecriture. Dans l'étal du pé-
ché, c'est la misère même. Voici comme en
parle le Prophète : Je suis enfoncé dans un
abîme de boue, où je ne trouve point de fond ;
mes os se sont séché s comme un foyer oit le
feu brûle sans cesse; j'ai été frappé comme
l'herbe, el mon cœur est devenu sec; la pour-
riture et la corruption se sont formées dans
mes plaies. Voilà quelle csl la misère de
l'homme dans l'état du péché.
Que si la miséricorde de Dieu a déchiré en
l'homme cette cédule du péché, cette coulpe
qui nous rend dignes de la damnation, si
elle nous a retirés de l'empire du démon par
l'effusion de sa suinte grâce et de sa charité
divine, elle n'a pas détruit les restes du même
péché; ils subsistent, ils tiennent encore no-
tre âme dans les liens cl dans une guerre
continuelle. C'est, mes frères, ce que les
nouveaux pénilcnts ne ressentent que trop,
par les combats que leur livre la mémoire des
faux plaisirs passés, et les chaînes invisibles
qui les attachent encore malgré eux au\
créatures qu'ils ont aimées, les attirent vers
elles, leur inspirent des affections criminel-
tes, et leur causent des tentations terribles ;
par là ils sentent quelle est leur misère. Lu
crainte el le f]'roi, dit le saint roi David, m'ont
surpris, et je me suis plongé dans la misère, je
mis continuellement tout courbé, je marche
tout le jour avec un visnt/c triste; voilà la mi-
sère de l'homme converti.
Celui qui est justifié, ou parce qu'il a con-
servé la grâce de son baptême, ou parce qu'il
l'a recouvrée par une sincère pénit nce, < -t
encore dans la misère: il esl sur la terre, il
csl dans un corps do mort, ion .une Ml noie
à une chair qui est une source inépuisable
de misère. Ecoutez ce que dit saint l'aul :
Lorsque je veux faire le bien, je trouve
m oi une lui qui s'y o]>pose, parce que le mat
réside en moi : car je me plais dan» la loi d<"
Dieu selon l'homme intérieur, c'es'-a- ire.
Ion saint Augustin, selon l'homme renou-
velé, el c'est l'effet de la grâce de Jésus-
Christ; mais je sens une autre M dan» les
membres de mon corps; malheureux que je
suis! qui me délivrera de ce corps de m
Voilà la misère de l'homme même justifié,
qui ne l'est jamais, pour ainsi dire, dans ce
bas monde qu'imparfaitement, parce qu'il < -t
t. ujours expose à mille infirmi es el à mille
périls de perdre la giâre. C'est là sa misère ;
ce qui fait dire au Prophète que les pins j ri-
tes même n ont rien d ms leur chair qui soil
sain. Etrange composé que l'homme, qui est
en même temps chair et esprit, sainteté et
corruption, \ ie et mort ! Le chrétien est com-
posé de deux hommes. Jésus-Christ, qui y
demeure par la foi, l'excite au bien par la
grâce ; l'homme de péché, qui y habile par la
concupiscence, le porte au mal par sa vo-
lonté charnelle. Qu'il est aise de concevoir
par ces idées la nécessité de la prière ! Quelle
humiliation à un enfant de Dieu de sentir la
concupiscence, d'en souffrir la violence, et
d'y être assujetti toute sa vie! Mais, mes frè-
res, l'Apôtre qui nous décrit cette misère
nous marque en même temps à qui nous de-
vons avoir recours pour en êlre soulages;
car, après avoir dit, Qui me délivrera ue ce
corps de mort? il ajoute : ce sera la grâce de
Dieu par Jésus-Christ; c'est mon second
principe. Il n'y a que la grâce de Jésus-Christ
qui puisse nous tirer de noire misère et nous
soulager.
En effet, mes frères, noire force consiste
à n'espérer qu'en Dieu, cl à n'attendre rien
de lui que par Jésus-Christ, qui nous a été
donné pour être notre sagesse, notre justice,
notre sanctification et notre rédcmplion.
Quelle misère pour l'homme ! manquer de
tout, el ne savoir ni ce qu'il doit demander,
ni comment il le faul demander! Il n'y a que
la grâce qui nous convertit quand nous som-
mes pécheurs; c'esl la grâce qui nous change
le cceur; le changement ducœur. c'est sa cou
version, el la conversion du cœur est le plu*
grand ouvrage de la grâce.
Mais comme il n'y a que ia charité qui
convertisse parfaitement, c'esi elle qui for-
tifie les nouveaux pénitents, el qui les sou-
lage dans les misères où ils sont exposes par
les tentations. Car, mes frères, pi eue/ bien
garde que la force de cette loi du péché qui
demeure dans l'âme, après même M justifi-
cation, ne peul élre détruite que par les
effusions du saint amour. L'homme n'offenso
Dieu qu'en aimant les créatures : comme il
ne s'est engagé dans leur captivité qu'en
multipliant les mouvements de ce premier
amour, qui a commencé son crime, il ne se
rétablit dans la sainteté qu". n commençant
360
SERMON POUR LE JEUDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
570
d'aimer Dieu, comme la source de tout bien :
et comme ses misères ne diminuent qu'à
proportion que Dieu fait croître en lui son
amour, et qu'il n'y a que la grâce du Sau-
veur qui soit capable de le soulager, de
même c'est elle qui fait persévérer le juste
qui a été justifié ; c'est par elle, c'est avec
elle qu'il fait le bien, et il a besoin de son
secours pour chaque action et pour surmon-
ter les oppositions que ce corps de mort,
qui est la source de toutes ses misères, forme
à l'exercice du bien. En un mot, il ne peut
vaincre la moindre tentation, sans un se-
cours particulier de cette grâce qui le l'ait
triompher de ses ennemis.
Ce principe étant supposé, ajoutons que
celtegràce, absolument nécessaireàl homme
en quelque état qu'on le regarde, est accor-
dée à l;i prière, et que comme l'état du jusle
même consiste à ne s'attribuer aucun bien,
à se sentir capable de tout mal, à triompher
d'un ennemi domestique qui ne laisse pas un
moment de repos ou d'assurance, et à dé-
pendre à chaque moment d'une grâce qui
n'est pas due et dont on est indigne, on voit
évidemment les raisons pour lesquelles la
prière nousest si souvent recommandée dans
l'Ecriture.
Le Fils de Dieu nous dit qu'il faut tou-
jours prier et ne se point lasser de prier,
qu'il faut toujours veiller en priant pour
éviter tous les maux, afin que nous connais-
sions que s'il nous excite si souvent à la
prière, c'est pane qu'elle est le canal par
lequel il a résolu de nous accorder les grâ-
ces dont nous avons incessamment besoin.
Voici comme il parle dans saint Matthieu :
C'eut pourquoi je vous dis que quoi que ce
soit que vous demandiez dans la prière, croyez
que vous l'obtiendrez, et il vous sera accordé;
dans saint Luc : Quiconque demande reçoit;
et dans saint Jean : En vérité, en vérité je
vous le dis, tout ce que vous demanderez à
mon Père en mon nom, il vous le donnera.
D'où il est aisé de conclure que le salut de
l'homme, en quelque état qu'il se trouve,
soit de péché, soit de justice, dépend de l'exer-
cice continuel de la prière, et c'est ce qui
en marque démonslrativement la nécessité.
Le pé.heur n'obtient donc la grâce de sa
conversion que par la prière; mais le pé-
cheur, dira-t-on, peul-il prier ? Hé 1 qui peut
en douter, mes frères, lorsque la miséricorde
de Dieu l'a prévenu? Saint Augustin avance
trois propositions sur celle matière, qui mé-
ritent loutc voire attention. 1 Nul, dit-il, ne
revient du péché à la grâce, s'il n'est appelé
de Dieu. 2* Quoiqu'un pécheur ait été appelé
de Dieu, il ne peut rien faire pour son salut
s'il n'est pas assisté par la grâce. 3" Dieu ne
donne cette grâce qu'à celui qui la demande.
Remarquez bien, mes frères, la doctrine de
saint Augustin sur celle matière, par la-
quelle je vais achever de vous convaincre de
la nécessité de la prière.
Dans toule la suite des grâces que Dieu
nous accorde libéralement pour notre salut,
il y en a toujours -une qu'il nous donne sans
que nous l'ayons méritée et sans que nous
la lui demandions, parce qu'elle nous est
donnée pour demander, et cette grâce est la
foi. La foi est donc donnée à celui qui ne
prie pas, parce qu'elle est donnée aGn qu'on
prie. Mais comme il y a une grâce de Dieu
donnée sans qu'on la lui demande, telle
qu'esi celle du commencement de la foi, il
faut aussi convenir que toutes les autres
grâces de Dieu, comme la justification, la
charité, l'humilité, la continence, l'accrois-
sement de la foi, ne sonl données qu'à celui
qui prie et selon la mesure de sa prière ;
Dieu n'accorde pas les grâces qu'il nous a
préparées sans que nous priions, et quoi-
qu'il le puisse faire absolument, il ne le fait
pas ordinairement, parce qu'il veut nous
obliger de prier, 1° pour exiger de nous
l'honneur qui lui est dû et que nous lui
rendons par la prière, qui est un acle de re-
ligion ; 2] afin de nous tenir dans l'humilité,
et que nous reconnaissions que nous tenons
tout de lui ; 3° pour exciter en nous le désir
de sa grâce et de ses biens, la prière étant
l'effet de ce désir.
Dieu veut bien nous accorder des grâces,
dil saint Augustin, mais il ne les accorde
qu'à celui qui les lui demande, de peur d'ex-
poser sa grâce au mépris de celui qui ne la
lui demande pas. Ainsi la prière est le moyen
de les recevoir toutes ; c'est le canal par le-
quel il faut nécessairement qu'elles décou-
lent de Dieu sur nous. Toule la vie chré-
tienne n'est de la part de Dieu qu'une con-
tinuelle effusion de son amour dans l'âme
de l'homme, et de la part de l'homme ce
n'est qu'un regard perpétuel vers Dieu, et
une continuelle invocation de sa grâce par
les désirs de son cœur.
Il est vrai que Dieu ne nous donne pas
tout d'un coup d'une manière détaillée tou-
tes les vertus dont nous avons besoin pour
lui être agréables ; mais je puis dire qu'il
nous les donne toules dans le principe qui
est la prière, et quand il en allume le désir
en nous, qui est la source de la prière, il
nous donne tout avec lui. Que conclurons-
nous maintenant de nos principes ? Nous
sommes tous dans la misère, il n'y a que
la grâce de Jésus-Christ cl la vertu du Ré-
dempteur qui puissent nous soulager ; nous
n'obtenons celle grâce et ce secours que par
la prière. Que faul-il conclure, mes frères,
sinon qu'il faut prier, ou que nous ne sen-
tons pas notre misère, ce qui est un mal-
heur terrible ; ou que si nous la sentons,
nous ne voulons pas en sorlir, et que nous
nous glorifions dans noire pauvreté? Or
celle disposition nous rend, selon saint Au-
gustin, abominables aux yeux de Dieu ; car
quand l'homme est misérable, et qu'il est
humble, comme celte Femme de notre évan-
gile, sa p.iuvrelé excile la compassion de
Dieu, et son humilité la mérite ; mais quand
l'hommo est tout ensemble et pauvre et su-
perbe, Dieu n'a poinl pitié de lui comme
pauvre, parce qu'il ne peul le souffrir comme
superbe.
Supposons donc que nous nous connais-
sions pauvres et misérables devant Dieu,
571
0l;\ïï.UUS SACHES. DOM JEROME.
•■72
gopposons que nous voulions élrc soulagés
dans noire misère, en cas que nous vou-
lions recourir i DU u par la i>ri*'rc pour
a soulagés, et que nous soyons p.irl.i ite-
uicnl ■ onvaiims if «• la nécessité d'y recou-
rir, pouvoz-v mis me demander maintenant
quand il f.iut prier et ce qu'il faut demander
en priant ?
En effet il faul toujours prier, mes frères,
puisque notre misère nous presse toujours.
Marque-t-on à un mendiant accablé par sa
pauvreté quand il doil demander du pain ?
Il crie toujours, il prie toujours, il s'expose
toujours. C'est là l'éial véritable de l'homme
ea. celle vie, dit saint Augustin: vous êtes
pauvres et mendiants des biens du ciel, il ne
faul donc pas demander quand il faul prier,
comme on ne doit pas demander quand il
faut aimer; il faul faire l'un el l'autre tou-
jours; car comme c'est l'amour qui nous
fait prier et qui forme en nous le désir de
Dieu et de ses biens, désir qui est l'essence
de la prière ; comme il faut aimer toujours,
c'est-à-dire être dans la disposition de ne
rien faire contre la volonté de Dieu, il faut
prier toujours, c'est-à-dire faire toutes nos
actions selon sa volonté, en désirant tou-
jours sa grâce. On ne demande pas quand
une femme est obi gée d'aimer son mari, ni
un enfant d'aimer son père ; ainsi, mes frè-
res, ne nous arrêtons point à ces questions
inutiles.
ïl faut prier toujours, parce que nous
sommes toujours misérables et que nous
avons toujours besoin de la grâce de Jésus-
Christ : si nous ne prions pas, c'est que
nous ne sentons pas notre misère, et c'est
un grand malheur. La mesure de notre
prière doit être prise sur la mesure de notre
besoin; et la vie chrétienne ne doit être
qu'un regard continuel de l'homme vers
Dieu, et une continuelle invocation de sa
grâce ; ce qui vous marque tout ensemble
et combien vous devez prier, et ce que vous
devez demander.
Oui, mes frères, il faut demander la grâce
de Jésus-Christ : 1" pour connaître sa vo-
lonté ; 2° pour l'exécuter en tout s choses;
car quand nous sommes abandonnés à la
nôtre, nous sommes abandonné:; à notre
propre misère. Il n'est pas défendu cepen-
dant de demander des choses temporelles,
car il n'est pas contre l'ordre de vouloir
avoir le nécessaire ; mais il faut loujoins les
demander d'une manière subordonnée et
dans la vue de son salut, du salut du pro-
chain et de la gloire de Dieu. Si ce- condi-
tions manquent dans nos prières pour obte-
nir les choses temporelles, l'on n'est plus
dans l'ordre de D.cu. En un mot, le prin<
général est qu'on ne doil rien désirer en
cette vie que par rapport à l'autre; il faut
donc prier, m s frères : voyons maintenant
comment il faut pi ier.
SBOOHOB PARTII-:
Après vous avoir convaincus de la né-
cessite de la prière, il faut maintenant vous
marquer la manière de la faire chrétienne-
ment. Ce sera la femme de notre évangile
qui nous instruira par *on exemple, et qui,
après nous avoir ens< igné qu'il faul pi
par le recours qu'elle a eu à léaus-Cbrist
dans sa misère, nous enseignera.
cou ni il l ut prier, par les dén i
le a faites auprès de Jésus-Christ.
.Mais avâot que d'aller plus avant, il me
semble qu'il est nécessaire de vous expliquer
ce que c'est que la prier- chrétienne, al
comment on (Toit entendre l'obligation de
prier toujours, afin qu'ensuite nous puissi'
mieux vous faire comprendre la aine t de
prier chrétiennement. H n'y a rien où 'ou
se trompe davantage parmi le monde et d i
le vulgaire, que daiu> l'idée de la | re-
tienne : on s'imagine que la prière consiste
dans la récitation d'un grand bmm biv de
paroles saintes consacrées par l'Eglise se
le nom de prière, el c'est en cela (lue 1' u
s'abuse : car il y a bien de la différence entre
dire des prières cl prier.
Le Fils de Dieu aous commande de prier,
in. is il nous défend de dire eu priant beau-
coup de paroles : \oici comme il parle on
saint Matthieu : y usez paid umgi indnêmhn
de paroles dans vos prières, comme l<s païens.
Ce n'est pas assurément que le Seigneur
condamne les offices publics qui se font dans
l'église; mais il condamne l'abus qu'on en
fait, Terreur de ceux qui croient prier, en
disant un grand nombre de paroles saintes
sans attention , et sans ressentir le moindre
mouvement de componction dans l ! c;eur. U
condamne ceux quis'assujel issent à dire un
gran ; nombre de prières, et qui ne se cou-
cheraient pas , pour quelque raison que ce-
fût, sans les avoir récitées; mail qui pour
l'ordinaire ne les disent que ; our s'en dé-
charger, qui sortent de celle prière connue
ils y sont entrés | el qui lie pensent poini |
purifier leur cœur. Voilà ce que le Fils de
Dieu condamne.
Apprenez aujourd'hui, mes frères, qu'il y
a (rois sortes de prières, celle de la bouche,
celle de l'esprit et celle du cour, (".elles de. la
bouche et de l'esprit sans celle du cœur ne
valent rien; mais celle du cœur sanctifie
celles de la bouche et de l'esprit. Combien de
gens s'imaginent que l'oraison consiste dans
une certaine méthode de médit.: sur les
mystères, par les rè.les qui non- n 'lit
à tormer des pensées qui, se bu I les
unes aux autres, nous font passer une heure
en la présence d i Di< u , à la fin de laquelle
nous nous trouvons aussi *up rbes , tussi
vains, aussi sensuels, aussi attachés aux
t botes de 1,: terre , a si fiers el aussi i
portés qu'auparavant! C'est lien là, i
frères, tomber dans le désordre des païens
condamne par le 1 ils de Dieu, qui défend tion-
seulemenl l'abondance des paroles v ai s
prononcées sans attention, mais encore celle
des paroles mentales formées sans affection
et sans piele.
Car prenez-y garde, mes frères, vous qui
peut-être vous appliquez à l'oraison meu-
la e, VOUS trouverez que vous étudies aussi
bieu les paroles de votre esprit que celles
37:.
SERMON POUR LE JEUDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
57 4
de vofre bouche. Voiis cherchez insensi-
blement et sans vous en apercevoir, com-
ment vous pouvez vous expliquer à Dieu;
vous vous appliquez plutôt à arranger
vos pensées, afin que vous ayez de quoi
remplir une heure selon votre projet, qu'à
purifier votre cœur ; mais ce n'est pas là
prier, c'est se satisfaire soi-même, et il arrive
souvent que la prétendue dévote sait par où
elle prendra congé de Dieu avant que d'avoir
commencé à lui parler. Voici donc l'idée de
la prière ; elle est l'ouvrage du cœur ; c'est
pourquoi saint Augustin l'appelle le cri du
cœur et le désir du cœur.
L'oraison ne consiste par. dans ces métho-
des de préludes, de considérations, de ré-
flexions, d'affections, de colloques ; ce n'est
pas que je les condamne, à Dieu ne plaise 1
les saints Pères les ont enseignées: elles
servent à quelques bonnes âtnes, elles peu-
vent servira les enflammer du désir des
choses de Dieu, elles peuvent servir à leur
mettre devant les yeux ce qu'elles doivent
désirer et demande!- ; mais ce que je blâme ,
c'est qu'on fasse consister l'oraison à s'atta-
cher scrupuleusement à l'observation de
ces règles , et qu'on croie non-seulement
n'avoir pas bien prié y i l'on n'a suivi ces mé-
thodes, mais même qu'il est impossible de
bien prier en ne les suivant pas.
D'où il arrive qu'on se fait de la prière un
exercice long à apprendre et difficile à pra-
tiquer; que la plupart des chrétiens regardent
l'exercice de I oraison comme quelque chose
qui n'es! propre que pour les gens d'esprit
ou jour des personnes retirées du monde, et
que les personnes du commun, ne pouvant
pas s'embarrasser dans ces sortes de prati-
ques difficiles de prier, se dispensent de le
Faire. C'est ainsi que le démon rend la prière,
ou superstitieuse, en la mettant dans des
choses purement extérieures, ou impossible
à de certaines gens, en la plaçant dans des
méthodes qu'ils ne peuvent suivre; et c'est
là peut-être la plus dangereuse tentation
que le démon nous puisse livrer ; car comme
il voit que tout notre salut dépend de la
prière et de l'oraison fréquente et assidue
qu'il n'en faut pas séparer, il travaille par sa
ruse et par sa malignité à nous détourner de
Ce devoir, et pour y réussir il nous en rend
l'cccrcicc difficile, il nous persuadequ'il n'est
praticable que pour les religieux, les reli-
gieuses, pourdes personnes retirées du monde,
pour des gens qui ont de grandes lumiè-
res et beaucoup d'esprit, mais qu'il est
impraticable pour les simples femmes, pour
l'artisan, pour le négociant, pour l'homme
qui a de grandes affaires, pour une femme
qui a un grand nombre d'enfants à élever.
Voilà l'artificedu démon par lequel il nous
oie le moyen d'être soulagés dans nos misè-
res cl d'obtenir la grâce de Jésus-Christ pour
faire le bien et pour éviter le mal qu'il nous
fait faire infailliblement lorsque nous som-
mes destitués de ce secours. Détrompons-
nous, mes liès-cliers frères, de cette erreur
si pernicieuse à notre salut. La prière ne
se fait point par paroles, mais par désirs ;
elle ne consiste point en de belles pen-
sées, mais en de saintes affections; ce n'est
point l'ouvrage de l'esprit humain, mais de
l'esprit de Dieu qui prie en nous. La prière,
dit saint Augustin, est une sorte d'affaire qui
se traite plutôt par des gémissements et des
larmes que par des paroles. On ne demande
point pour cela des pratiques étudiées, ni
des règles humaines, quoique, comme j'ai
déjà dit, on ne doive pas les rejeter , non
plus que les paroles qui sont nécessaires,
selon saint Augustin, pour nous remettre
dans l'es; rit te que nous avons à demander ;
mais on demande la simplicité et la com-
ponction.
11 n'y a point d'homme accablé d'affaires,
de femme chargée d'enfanls, d'artisan, de
domestique.de femme de village, qui ne puisse
dire du fond du cœur et avec un sentiment vif,
intérieur et profond : Mon Dieu, faites-moi
miséricorde ! voilà comme prie la Chananéen-
ne ; mon Dieu, convertissez mon cœur 1
mon Dieu, faites-moi haïr le péché ! Mon
Dieu, faites-moi garder vos commandements!
mon Dieu, faites-moi» marcher dans vos
voies 1 mon Dieu , donnez-moi votre grâce
pour vaincre les tentations de mes ennemis,
et avoir la vie éternelle ! Voilà prier, mes
f ères, voilà faire l'oraison ; car enfin, rete-
nez-le bien, voici, selon saint Augustin, ce
que c'est que la prière. Prier beaucoup, dit
ce Père, c'est frapper longtemps, et par les
élans d'une véritable piété, à la porte de celui
yue nous prions. Faisons donc souvent et du
fond du cœur des élévations de cœur à Dieu
cl à Jésus-Christ. Un désir continuel, formé
par la charité, soutenu par la foi, nourri par
l'espérance, est une prière continuelle ; et
c'est uniquement par l'ardeur du désir que
se mesurent nos prières.
Car encore un coup, prier n'est rien au-
tre chose que d'exposer nos désirs à quel-
qu'un qui puisse nous donner ce que nous
désirons ; si nous les exposons à un homme,
nous prions un homme ; si nous les expo-
sons à Dieu, nous prions Dieu. Si les désirs
que nous exposons à Dieu sont des désirs
des biens terrestres, nous prions Dieu de
nous les donner, mais nous n'invoquons pas
Dieu ; prenez garde à cette différence, parce
que ce n'est pas Dieu alors que nous dési-
rons faire venir à nous, ce qui s'appelle l'in-
voquer, ce sont les biens de la terre ; et cello
prière ne vient point du Saint-Esprit, mais
du monde et de la convoitise du monde qui
est en nous, à moins que nous ne deman-
dions des choses temporelles selon l'ordre
de notre salut, et qu'elles n'aient une liai-
son bien marquée avec les choses éternelles.
Mais au contraire, si nos désirs -ont des
biens eélestes, alors non-seulement nous
prions Dieu, mais nous invoquons Dieu. La
prière de la foi, la prière chrétienne est donc
le désir d s choses d'en haut, que nous expo-
sons à Dieu. Ce désir est la voix cl le lan-
gage par lequel le cœur parle à so i Dieu,
et quand ce di sir est ardent, il s'appelle le
cri du rii'ii . Vous voyez par là comment on
doit entendre l'obligation de prier toujours ;
57;
OltAILL'riS SACKI-.S. l»OM Jl l'.OMK
"
car celui qui désire toujours les choses d'i u
haut, qui ne regarde que Dieu et les choses
éternelles, prie toujours. Ce principe étant
supposé , tirons-en des conséquences qui
nous apprendront de quelle manière il faut
prier, et exposons en peu de paroles ce que
l'Evangile nous rapporte des dispositions de
la Chananéenne aux pieds de Jésus-Christ.
1° La prière n'étant que le désir de notre
cœur pour les choses d'en haut, il faut être
persuadé que celui à qui nous exposons no-
tre désir peut et veut nous accorder ce que
nous désirons ; 2° il ne faut pas se rebuter des
re;ardemenls qu'il y apporte ; .'{u il faut être
persuadé que nous ne méritons point de l'ob-
tenir, que c'est une grande roisérico' de qu'il
nous lait quand il nous accorde ce que nous
lui demandons. Ce sont les dispositions que
les saints Pères ont admirées dans celte fem-
me païenne de notre évangile. On doil admi-
rer sa fui, sa patience, sou humilité. Supposé
donc que vous sachiez ce que c'est que
prier, il faut que la foi accompagne votre
prière, que la patience la soutienne et que
l'humilité la couronne. C'est ainsi que prie
la Chananéenne, et c'est la manière de prier
chrétiennement.
Sa foi paraît en ce qu'elle a cru que Jé-
sus-Christ pouvait guérir sa fille malgré la
longueur et la violence de son mal, malgré
l'inutilité de tous les autres remèdes , et
malgré la répugnance qu'elle avait comme
païenne de croire en Jésus-Christ. Elle vient
à lui, et elle croit fortement qu'il guérira
sa fille.
Voilà, mes frères, la première dispo-
sition avec laquelle il faut prier. Quelque
chose que vous lui demandiez dans la prière,
vous l'obtiendrez si vous le demandez avec
foi, dit le Fils de Dieu. Or, mes frères, cette
foi n'est pas seulement une foi spéculative,
c'est une foi pratique, qui non-seulement
nous fait croire que Dieu peut nous accor-
der les choses que nous lui demandons,
mais qui produit une certaine confiance dans
notre cœur, et qui nous met dans une espé-
rance certaine d'ohlenir de la miséricorde de
Dieu ce <iue nous lui demandons par Jésus-
Christ. C'est ce que nous enseigne l'apôtre
saint Jacques, lorsqu'il dit qui/ demande
avec foi sans aucun doute. Ainsi, chrétiens,
quand nous commençons nos prières, pour
demander à Dieu la conversion de notre
cœur, que nous lui disons comme le publi-
cain : Mon Dieu, ayez pitié de moi, qui suis un
pécheur, croyons fermement qu'il nous fera
miséricorde; quelque invétérée que soit la
plaie de notre péché, il la guérira, mes Irè-
res, si nous le demandons avec foi; il le
peut, car il est tout-puissant; il le veut, car
il est bon; enfin il le fera, car il l'a promis
cl il est fidèle.
Croyez donc, chrétiens, et appuyez votre
foi et votre confiance sur sa puissance, sur
sa miséricorde et sur sa parole. Il n'y a que
votre indignité qui puisse vous faire crain-
dre; c'est en vue de celte indignité que vous
devez souffrir en patience les rebuts de Dieu
cl lu retardement qu'il apporte à vous ac-
corder ce que vous lui demandez; c>8t !e
second exemple que nous donne l'illustre
femme de notre é\ ingile.
Sa patience parait, dit laint Jérôme, en <e
qu'elle a soullert tant de rebuts du Fils de
Dieu. Ah ! mes frères, ce qui lait que nous
n'obtenons pas de Dieu ce que nous lui de-
mandons, c est que nous nous lassons de de*
mander. Nous sommes impatients dans I i
prière, nous nous plaignons qu'il nous irai e
comme celle femme de l'Evangile, qu'il ne
répond point aux demandes que nous lui
faisons. Mais s'il nous traite comme • I ■,
c'est à nous d'en user comme elle a fait,
puisqu'il nous la propose pour modèle. Il
ne faut point se lasser de demander. Mes
frères, pouvons-nous nous plaindre des re-
tardement* (iue Dieu apporte à nous accor-
der ce que nous lui demandons, si nous con-
sidérons ce que nous sommes, ce qu'il < »t,
et combien esl grande la chose que nous lui
demandons ?
Nous sommes des misérables, des ingrats,
des perfides dignes des supplices éternels.
Nous demandons grâce à Dieu, lui que n us
avons mille fois abandonné, méprisé, vendu.
Nous lui demandons sa grâce, son amiiié,
son paradis, et nous «-ommes surpris de ce
qu'en punition de notre infidélité il souffre
que nous lui demandions quelque temps ce
que nous avons perdu par notre I iule, et ce
que nous ne pouvons plus attendre que de
sa miséricorde infinie. Celui qui cherche
un trésor ne se lasse point, son espéram-e
le soutient. Que de persévérance auprès
d'un juge pour obtenir justice! et on se dé-
courage en priant Dieu I Il semble qu'il ne
soit pas assez grand pour être prié avec
une persévérance respectueuse, ou qu ie
que nous demandons ne soit pas assez im-
portant pour être attendu ai ec patience.
Comme Dieu peut nous refuser ce quo
nous lui demandons, il esl juste qu'il ne l'ac-
corde qu'au temps qu'ilest marqué. Souffrons
donc les retardement?, dont il plait à Dieu
d'user avant que de nous exaucer dans les
justes prières que nous lui faisons. 1° U le
fait, chrétiens, afin que. priant longtemps,
vous fassiez plus d'estime d'une chose qui
vous a coûté beaucoup, et que vous conser-
viez avec plus de soin une grâce que vous
n'avez obtenue qu'après de longues prier s.
2° Il le fait, parce que souvent les choses
que vous demande/ ne vous sont pas propres
dans le temps que vous les lui demandez. Il
attend, pour vous les accorder, de certaines
circonstances qui sont avantageuses pour le
salut, et que lui seul connaît. 3° 11 le fait,
afin que par l'exercice de votre foi et de vo-
tre persévérance dans la prière, votre cœur
s'ouvre par ces différents cris que TOUS pous-
se/ vers lui, cl qu'étant comme di aie,
comme plus ouvert, plus étendu, il soit ca-
pable de recevoir une plus grande grâce. »
Il le fait, afin que ce retardement vous ob i
géant de rentrer en vous-même, vous exa-
miniez avec plus de soin quelle est la dis-
position de votre cœur, cl s'il n'y a rien qui
s'oppose à l'exécution de ses devoirs, o
377
SERMON POUR .LE SAMEDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
378
Enfin il le fait, aGn de vous obliger de reve-
nir plus souvent à lui, et pour vous contrain-
dre pour ainsi dire à former une espèce de
familiarité par l'assiduité de vos prières.
Rien n'est plus naturel à l'homme que
l'impatience, puisqu'il est superbe et préci-
pité dans ses désirs, et rien n'est plus inju-
rieux à Dieu que cette précipitation, qui
semble lui imposer des lois en même temps
que l'on implore sa clémence, et qui veut
changer en une espèce de servitude cette
bonté toute gratuite par laquelle il nous pro-
met de nous faire grâce.
Le vrai fidèle ne se lasse pns, dit l'Ecri-
ture; il sait que, comme Dieu pourrait ne
lui point accorder ce qu'il lui demande, il
est juste qu'il ne le lui donne qu'au moment
qu'il a marqué. Par celle humble attente des
promesses de Dieu, il rend hommage à sa
souveraine volonté, qui est entièrement in-
dépendante de sa créature, et qui dispense
ses faveurs à qui il veut, au moment et se-
lon la mesure qu'il lui plaît. Ne vous lassez
donc pas, chrétiens, mais humiliez-vous
dans ces retardements, et contraignez Dieu
par votre humilité à faire ce qu'il semble re-
fuser à votre persévérance.
C'est le troisième exemple que nous donne
la Chananéenne, elle s'humilie plus que le
Fils de Dieu ne la rabaisse.
Ah 1 mes frères, nous ne saurions trop
nous humilier dans la prière. L'Eglise, toute
sainte qu'elle est, s'humilie en priant; elle
ne demande rien par elle-même, ellp finit
toutes ses prières par Jésus-Christ. Recon-
naissons que nous ne sommes que des néants
devant Dieu, indignes d'obtenir quelque
chose que ce soit par nous-mêmes, mais at-
tendons tout de celte victime qui prie pour
nous auprès de son Père.
Prions donc, mes frères, prions beaucoup,
puisque nous n'avons que ce moyen d'ob-
tenir le secours de la grâce de Jésus-Christ,
sans laquelle nous ne pouvons rien; prions
toujours, désirons toujours les choses éter-
nelles et la grâce de Jésus-Christ. Prions
avec foi, avec patience, avec humilité, avec
espérance, et soyez sûrs que Dieu vous fera
miséricorde. C'est ce que je vous souhaite.
Ainsi soit-il.
SERMON
l'Ol II LE SAMEDI DE LA PII KM II. Il 12 SEMAINE
DB CABÊUE.
Sur la çjloire étemelle.
Transfigurants est antn eos.
il fui trmufiguré devant eux (Muitli., XVII, 2).
C'est avec grande raison que le Père éter-
nel nous commande dans cet évangile d'é-
couler ce Fils bien-aimé qui se transfigure
Cil présence, de ses apôtres, puisque c'esl
un excellent maître, et que personne n'a
jamais l'ail uni: leçon plus complète ut plus
achevée que celle qu'il fait aujourd'hui sur
le Tliabor. Vous comprenez sans douic, par
ce que je \icns de vous élire, que je veux
vous parler de la gloire éternelle à laquelle
nous aspirons tous. Il la montre dans sa
transfiguration , cl il nous la promet en
même lemps en la faisant éclater sur lui,
parce qu'étant notre chef il nous assure par
là que, comme ses membres, nous avons
droit d'y prétendre.
Mais il ne suffit pas que nous soyons as-
surés de l'existence de celte gloire, si nous
ignorons le chemin pour y arriver. Il nous
l'enseigne, mes frères, et comme il se pré-
sente des obstacles qui peuvent nous en dé-
tourner, il nous les découvre aujourd'hui.
C'est ce qui rend accomplie la leçon qu'il
nous fait dans notre évangile. Il n'y a pas
une parole dont le sens n'ait rapport à l'idée
que je vous donne.
Arrêtons-nous particulièrement à trois
circonstances sur lesquelles j'établirai les
trois propositions de ce discours : 1° A ce
qui s'accomplit sur la personne de Jésus-
Christ : il est transfiguré en présence de ses
disciples, il nous montre en sa personne une
expression et une idée de celle gloire que
nous attendons; 2' à l'entretien de Jésus-
Christ avec Moïse et Flie, dans lequel il
parle des souffrances qu'il allait endurer
dans Jérusalem, nous enseignant par là que
la croix est le chemin de la gloire, et que les
souffrances nous en rendent dignes; 3* au
jugement des évangélistes sur les paroles dei
saint Pierre : Seigneur, nous sommes bien ici*
qui tombent d'accord qu'il ne savait ce qu'il
disait, par où ils nous découvrent les obsta-
cles qui nous détournent de la gloire, qui
sont de vouloir être heureux en celle vie et
d'éloigner les souffrances et la croix.
Ces trois choses réunies composent une
leçon admirable pour tous les chrétiens sur
le sujet de la gloire éternelle, elle leur en-
seigne le chemin, elle leur en découvre les
obstacles.
Ainsi, mes frères, tenons-nous assurés de
la gloire, sur la transfiguration du Sauveur:
premier point; instruisons-nous de la voie
qui y conduit dans l'entretien de Moïse et
d'Flie : deuxième point; profitons de l'er-
reur de saint Pierre pour i viler les égare-
ments qui nous en pourraient délourner :
troisième point. C'est à quoi se réduit la
leçon renfermée dans cet évangile, que nous
exposerons après avoir imploré le secours
du ciel. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
C'est seulement pour notre consolation, et
pour nous donner le plaisir qu'on ressent
toujours en parlant des biens qu'on attend,
que je veux faire réflexion sur quelques cir-
constances de l'Evangile, qui nous assure
de la gloire que nous espérons; car il n'esl
pas nécessaire d'entreprendre de prouver
lexisteuce et la réalité de celte gloire, qui
est aussi liée avec la connaissance de noire
être qu'avec celle do l'être de Dieu. Fn effet
ces langueurs secrètes de noire âme, ces
abattements intérieurs, ces dégoûts involon-
taires dans la jouissance des biens présents,
sont des preuves de l'existence des biens fu-
turs, et nous ne saurions connaître l'immoi'-
(alité de nolro âme sans conclure qu'il y a do*
ORATEURS SACHES. DOM JEROME,
ui sont
580
Siens de même nature qu'elle- qai
irc •
Comment justifierions - nom a un nntre
côté la conduite d'un Dion de qui la n;iture
n'est que justice et que bonté, si nous le
regardions comme abandonnant ses réatu-
res au hasard, souffrant les méchants dans
la prospérité et dans les honneurs, cl laissant
les justes dans la misère et dans l'oppression,
si nous n'étions persuadés qu'il y a d'autres
biens que ceux de la terre pour ses élus, et
qu'il les afflige dans les choses liasses et pé-
rissables, parce qu'il connaît 1 i valeur infi-
nie du prix dont il les doit récompenser
dans l'éternité? Mais sans nous étendre
lur ces grandes preuves de la gloire que
nous attendons, je me resserre dans celle que
l'Evangile nous fournit, et comme nous nous
tommes proposé d'en examiner toutes les
parties, commençons.
Je vois trois circonstances dans cet évan-
gile qui m'assurent de la réalité de la gl< ire
que nous attendons par Jésus-Christ : ce qui
se fait sur sa personne; le soin qu'il prend
d'y appeler Moïse et Elie pour les en rendre
témoins ; la manière dont il ordonne a ses
disciples de publier ce mystère.
11 est nécessaire de supposer d abord une
des grandes vérités de la religion, qui est
souvent répétée par saint Augustin, cl qui
sert à entrer dans la connaissance de la plus
grande partie des mystères qui regardent
l'Homme-Dieu: c'est que le Sauv- ur ne
forme qu'un corps avec les chrétiens, dont
il est le chef, et que comme lui et les siens
ne composent qu'un seul Christ parfait et
accompli, il y a dans tout ce qui le regarde
une relation à ses membres; de sorte qu on
doit dire qu'encore que dans tous les mou-
vements du Sauveur il y ait quelque chose
qui lui soit propre, ils conviennent tous du
moins sous quelque rapport à ses élus.
C'est ce qu'il est facile de reraarqu r dans
ce qui lui arrive aujourd'hui. Le Sauveur est
transfiguré en présence de ses disciples,
c'est-à-dire, mes frères, que, laissant répan-
dre sur son corps la gloire dont son âme
jouissait, et qu'il retenait durant le cours do
sa vie mortelle pour être en état d'accomplir
les desseins qui regardaient son incarnation,
il parut à leurs yeux revêtu de l'éclat de la
gloire éternelle, et tel qu'il paraîtra au jour
du jugement. Cette action ne fut proprement
qu'une cessation de miracles : il avait voile
sa gloire pendant qu il était sur la terre,
semblable en quelque sorte aux princes de
la terre dont il est le maître et le roi, qui
dans le combat ne portent point les marques
de leur dignité royale, et qui s habillent
comme le reste des soldats, mais bien diffé-
rent de ces princes qui no se déguisent de la
sorte que de peur de s'attirer sur eux, s ils
étaient reconnus, les eflorts de leurs enne-
mis; Jésus-Christ au contraire se voila ici-
bas, de peur que l'éclat de sa majesté ne mit
d'abord tous ses ennemis en fuite et n épou-
vantât les siens.
Or , dans cette action du Sauveur du
monde, il y a deux choses, l'une regarde pré-
ienl lésos-Cbrist, et c'est le cl ai gemenl
qai se fait sur sa nature humaine, qui quoi-
qo mortelle et passible, parait néanui ini
revêtue de la clarté des corps glorieoi : r ia«
Ire qui nous regarde, et i 'est BC«
que nous recevons de l'existence de lagjoire
éternelle, qu'il promet à tous ses dis<i| I
et qu'il rend sensibl â Cl ni qu'il appelli
cette action, où il leur déc >uvre ce que tous
doivent al eudre cou, me i - i ml n i, par
ce qui parait sur lui-même ci. mine leur chef.
Il leur donne donc une idée et une ;
rance de cette tram g ration glorieuse qui
changera ce corps mortel, et le ren Ira con-
forme au corps glorieux de Jésus-Chris',
puisque ce qui s'accomplit en Jésus-Christ
dans celte rencontre est moins un n
(îue la manifestation de la gloire qui lui était
naturelle. C'est l'idée que lous les Pères nous
donnent de celle action, et ils la regardent
comme un moyen que Jésus-Ch i^t a choisi
I our assurer ses discip'es delà gloire f ture.
Saint Rernard nous enseigne que cette gloire
qui couvre Jésus-Christ sur le Thabo. est la
même dont il sera environné après sa résur-
rection, que celte gloire dont il es' revêtu
est celle qui nous est destinée, et que l'éclat
n'en est exposé à nos yeux sur le Thabor
que pour nous en assurer un jour la posses-
sion. ,, ..
Ajoutez que Jésus-Christ veut que Moïse
et Elie soient présents à cette action, afin
de rendre encore plus certaine cette assu-
rance qu'il nous donne en la personne do-
ses apôtres. Car, mes frères, les Juifs, qui
l'accusaient d'être un violateur de la loi et
usurpateur de la gloire de son Père,
un .
n'auraient pas manque de convaincre ses
apôtres de la fausseté de la doctrine de leur
maître, ou au moins de rendre celte action
suspecte, quand ses disciples l'auraient pu-
bliée. Us auraient dit qu'il avait usé d'arti-
fices pour les surprendre, cl que celle gloire
n'était qu'une illusion. Il fallait donc que
Jésus-Christ se fit reconnaître pour le Fils
de Dieu en établissant une loi nouvelle.
Or. Moïse avait intérêt à conserver la loi
ancienne , et Elie à soutenir la gloire de
Dieu; car Moïse ayant donné la loi, les
Juifs ne pouvaient pas dire que ce saint
prophète eût voulu rendre témoignage a
vertu d'un homme qui la violait, ei qu'il
cûl honoré de sa présence l'ennemi déclare
des ordres qu'il avait autrefois publiés de la
pari de Dion. D'un autre côte. Elie. qui avait
été brûlé d'un zèle si ardent pour la gloireet
le service de Dieu, n'aurait pas rendu témoi-
gnage à Jésus-Christ, ni obéi à ses ordre ,
l'eût regardé comme un homme oppos
Dieu, qui eût voulu se ren Ire égal à lui. et
usurper injustement une gloire dont ce pro-
phète avait été si jalout durant sa rie.
Ces arguments, qui confirment I assurance
cl la solidité de la gloire que le Sauveur
nous montre sur le Thabor, sont de saint
Chrrsostomc, et il ajoute que dans ce mo-
ment il voulut l'aire connaître qu il était le
maître de la vie et de la mort, qu il dominait
dans le ciel et daus les enfers, cl qu'il pre-
581
SERMON POUR LE SAMEDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
ES
naît des témoins de sa gloire parmi les vi-
vants en la personne d'Elio, et parmi les
morts en celle de Moïse. Saint Thomas dit
que le soin qu'il prit d'assembler ces deux
prophètes et ces trois disciples sur le Tha-
bor, fui pour nous apprendre que comme,
lorsqu'il lit son entrée dans la ville de Jéru-
salem où il devait être immolé, il y avait des
troupes qui le précédaient et d'autres qui le
suivaient, pour marquer qu'il était le Sau-
veur de tous, et que ceux qui étaient morts
avant lui, comme ceux qui mourraient après,
n'élaient sauvés que par sa mon, de même
dans l'action qu'il a choisie pour assurer les
hommes de la réalité de la gloire, il veut
qu'il y ait des hommes qui l'avaient précédé
en la personne de Moïse et d'Elie, et des
hommes qui ledevaientsuivre en la personne
de ses disciples, pour nous faire entendre
qu'en donnant des assurances de sa gloire en
la présence de ces deux sortes de personnes,
elle était préparée pour tous , et que tous
ceux qui lui appartiennent y sont véritable-
ment appelés.
Les apôtres, qui avaient été les témoins et
qui avaient reçu les assurances de la gloire,
eurent ordre d'en assurer les autres, et de
leur apprendre ce qui s'était passé dans celle
action, afin qu'ils le publiassent à loute la
terre ; aussi sainl Pierre dit-il dans sa seconde
Epîtrc canonique : Ce ne sont point des fables
ni des fictions ingénieuses que nous vous ra-
contons, car nous avons été les spectateurs de
sa majesté, et vous entendîmes nous-mêmes
cette voix qui venait du cid , lorsque nous
étions avec lui sur la sainte montagne.
11 est vrai que Jésus-Christ commanda à
ses apôtres de ne parler à personne de cette
vision jusqu'à ce que le Fils de l'homme fût
ressuscité d'entre les morts. Les Pères en
rendent différentes raisons qui regardent les
Juifs el l'étal où était alors la religion que
Jésus-Christ venait établir pour nous.
Pour nous, contentons-nous seulement de
faire une réflexion qui nous regarde : c'est
qu'en commandant de publier ce qu'ils ont
vu, il nous apprend que nous avons droit à
la gloire qu'il leur a montrée; autrement
quelle serait la nécessité de nous en rendre
témoignage? Recevons-le donc ce témoi-
gnage comme la preuve de cette gloire; le
Sauveur en est revêtu, nous avons part à ce.
qui le louche, le Père éternel publie qu'il est
son fils, Moïse el Elie y sont présents, il or-
donne à ses disciples de la publier ; tenons-
nous donc certains de cette gloire autorisée
par tant de témoignages ; mais comme les
disciples n'ont ordre de. ne la publier qu'a-
près que le Fils de l'homme sera ressuscité
d'entre les morts , apprenons de là que ,
comme sa mort a précédé sa résurrection, et
qu'il n'est entré en possession de celle
gloire qu'il nous montre sur le Thabor,
qu'après avoir passé par les souffrances
qu'il doit endurer sur le Calvaire, nous n'y
arriverons que par la croix ; c'est la seule
vo e qui y conduise, cl c'est ce dont il fut
question dans l'entretien qu'eurent avec lui
Moïse et Elie, comme nous allons le voir
dans la deuxième partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Quand les saints Pères ont réfléchi sur la
seconde circonstance de notre évangile, qui
doit servir de matière à la deuxième partie
de ce discours, ils l'ont regardée comme
une marque des soins que Jésus-Christ a
pris d'instruire e! d'enseigner ses disciples,
et dans leurs personnes tous les chrétiens. Il
a voulu les instruire, lorsque, dans une ac-
tion où il donnait des preuves de sa gloire,
il ne parle que des douleurs de sa passion,
et leur apprendre par là qu'il y avait une
liaison aussi nécessaire entre les souffrances
et la gloire, qu'il y en a entre les moyens
et la fin. Il leur fait voir ce qui les attend, il
leur montre ce qu'ils doivent espérer, mais
il leur enseigne en même temps les moyens
pour y arriver, et il leur déclare les condi-
tions sous lesquelles il donnera ce qu'il a
montré.
En effet, quel rapport et quelle convenance
y aurait-il entre un spectacle tout de gloire
et tout brillant d'éclal, et un entrelien dans
lequel on ne parle que de souffrances, de
passion et de mort? H a donc voulu les ani-
mer à embrasser ces moyens en choisissant
Moïse el Elie, pour faire avec eux cet entre-
tien si plein de mystères et d'instruction ;
car comme les apôtres, ainsi que tous les
Juifs, étaient remplis de la grande idée du
zèle de ces deux personnes qui avaient tant
travaillé pour la gloire de Dieu, et tant
souffert pour ses intérêts, l'un sous Pharaon,
et l'autre sou s Achab, il voulait leur appren-
dre, en les choisissant pour assister à une
action où sa gloire ne devait paraître qu'un
moment, qu'il fallait souffrir beaucoup pour
se rendre digne d'une gloire qui ne devait
Onir jamais, el que le zè!e qu'ils avaient fait
paraître dans un temps de faiblesse, de lan-
gueur, d'incertitude, d'obscurité, comme ce-
lui où ils avaient vécu, devait être un motif
pour nous animer dans un temps de force,
de certitude et d'assurance.
Or, mes frères, si nous ne voulons pas que
tout ce qui se passe dans cet entrelien soil
une raison pour nous confondre cl pour nous
condamner, après en avoir ainsi expliqué le
mystère par les pensées et les lumières des
saints Pères, entrons dans la preuve de la
vérité qu'il nous enseigne, et convainquons-
nous qu'il n'y a point d'autre voie que celle
des souffrances pour arriver à la gloire que
Jésus-Christ nous découvre et qu'il nous
promet.
Il faut ne pas entendre la religion, selon
saint Augustin, pour pouvoir douter de celte
vérité. Quiconque saura ce qu'Adam a fait
dans le monde, et ce que Jésus-Christ y est
venu faire, comprendra facilement qu'on ne
va plus à la gloire que par les souffrances ;
Adam, par sa désobéissance, avait perdu cet
état de félicité et de bonheur dans lequel
Di.u avait placé l'homme dans sa création ;
on devait aller à la gloire par la félicité, et la
jouissance des avantages de la tic présente
ORATKIJItS SACRES. DON! JEROME
»l
étail le chemin qui nous conduisait à la pos-
session de Ceux de la vie future ; ma S, m >l
frères, cet état n'a pas duré longtemps : le
péché d'Adam nous en a l'ail déchoir, et I in-
fidélité qu'il a eue pour un Dieu qui l'avait
comblé de liions nous aurait plongés dans des
misères éternelles, si la boulé de ce même
Dieu ne l'avail porlé à nous fournir des
moyens pour nous en délivrer.
Le moyen dont il s'est servi a été de nous
donner un second homme capable de réta-
blir ce que l'autre avait ruiné, mais qui, en
se rendant notre Rédempteur, et en nous re-
donnant par sa rédemption les droits à la
gloire que nous avions perdus par l'infidélité
du premier, devenait le maître des condi-
tions auxquelles il fallait l'acquérir, el se
réservait à nous marquer le chemin qu'il
fallait suivre pour y arriver, el comme il est
la source de la vie, el que nous ne la pou-
vons recevoir que de lui, il est aussi la lu-
mière, et c'est par lui que nous apprenons
le chemin qu'il faut tenir pour arriver à la
perfection et à la consommation de cette vie.
C'est pour cela qu'il est appelé chez les pro-
fihètes, le précepteur des hommes, le maître
des peuples, la voie qui conduit à la vie , et
que le Père élernel , rendant témoignage à
sa mission dans cet évangile, nous ordonne
de l'écouler.
Remarquons donc que ce témoignage du
Père étemel porte sur la gloire dont il est
environné, et sur l'entretien qu'il a avec
Moïse et Llie; car le Père éternel dit qu'il
est son Fils, et par là il nous assure que ce
n'est point ici une illusion, que cette gloire
qui brille aux yeux des apôtres est solide et
réelie, et qu'étant son Fils il ne peut nous
tromper ; mais il ajoute qu'il faut l'écouter,
parce que c'est de lui que nous devons ap-
prendre la voie pour arriver à celte gloire
qu'il nous a découverte pour nous animer :
et il nous fait ce coininamlcment dans le
temps qu'il vient de finir un entretien avec
Moïse et Elie, où il n'a parlé que de ses souf-
frances el de sa passion, pour nous appren-
dre qu'on ne peut y arriver que par celle
voie.
Consultons donc ce divin maître que le
ciel nous donne. 11 ne nous enseigne rien
autre chose dans tout le corps de sa doctrine:
yrous pleurerez et vous gémirez, vous mures ;
et le monde sera dans la joie, dit-il; eous se-
rez dans la tristesse, mais votre tristesse se
changera en joie. En un mot tous ceux qui
sont à lui ont crucifié leur chair avec leurs
passions el leurs désirs déréglés.
C'est donc là la voie qu'il nous a ensei-
gnée pour arriver à la gloire, c'est à ces con-
ditions qu'il nous la promet. El en vérité y
a-t-il rien de plus juste que ces conditions ?
vous avez abusé de la félicite, vous on soie/
privés sur la terre. Connue pécheurs, vous
devriez être livrés à la douleur pour tou-
jours : je vous en relire pour l'éternité en la
prenant sur moi-même, mais à condition que
vous y serez exposés durant le temps de
celle vie, que les peines et les douleurs qui
en sonl inséparables vous seront précieuses,
que la joie el les plaisirs qui s'y rencontr
rous leront suspects, el que vous porterez
avec patience les chagrins delà vie que vous
tarez morne reçus avec arnour. que vous
n'en rechercherez jamais les déliées avec
dérèglement, et que vouspasserezautravers
de ceux qui s'y présenteront sans vous y at-
tacher.
Non. mes frères, rien do plus raisonnable
que ces conditions : vous devenez les enfants
de Dieu par adoption, vous êtes les héritiers
comme enfants ; vous devez donc prendra
les charges de la succession, et les voilà.
Quand nous n'aurions pas perdu les droits à
la gloire éternelle par le crime de notre pre-
mier père, Dieu ne pouvait-il pas nous !a
faire acheter par le mépris dis biens pré-
sents, el ne l'avait-il pas mise d'abord au
prix de l'obéissance qu'il exigea du premier
homme ?
Tout le commerce de celle vie n'est qu un
échange perpétuel de ce que nous avons
contre ce que nous n'avons pas et ce que
nous désirons d'avoir; tout coûte ici-bas
jusqu'aux moindres choses, tout s'achète
chèrement dans ce monde, et nous ferons
difficulté de sacrifier la jouissance d'un plai-
sir léger, court, interrompu et défectueux,
pour nous acquérir la possession d'une féli-
cité telle que celle de la gloire qui ne doit
point finir, doit nous c mnaissons la valeur,
et à l'espérance de laquelle personne ne veut
renoncer.
.Mais pour vous soutenir et vous encoura-
ger, considérez la grandeur de cet héritage,
laites une comparaison entre ce que roua
souffrez et ce que vous acquérez en souf-
frant. La peine est légère, el Dieu lui-même
en est pourtant la récompens . Oui, je souf-
frirai un moment, et je serai heureux dans
l'éternité; les hommes me feront souffrir, et
un Dieu me couronnera : ..jouions à lout
ceci que, comme affranchis de Jesus-Christ
par la rédemption, nous sommes nécessaire-
ment obligés de tenir les conditions qu'il a
mises au salut qu'il nous a mérité, et aux-
quelles il s'o«t lui-même soumis, en n'arri-
vant à la gloire que par sa passion ; et con.
cluons avec saint Augustin que la croix est
le chemin du ciel; qu'en rejetant les souf-
frances nous renonçons à l'héritage éternel,
et qu'il ne recev ra au nombre de ses enfan l
que ceux qui auront passé par celle voie.
puisque, n'avani qu'un Fils unique qui était
innocent, il a voulu qu'il y passât.
Prenez donc garde, chrétiens, à ne pas
donner dans cette illusion si commune, si
agréable, mais si dangereuse, qu'on peut
être heureux dans colle vie avec le monde,
et dans l'autre avec Jesus-Christ ; c'est l'er-
reur de saint Pierre condamnée par lesévan-
gélistes, que nous allons examiner dans la
troisième partie.
TB II! Il Ml l'AUTIE
Il n'y a point de chrétien qui ne soit con-
vaincu de la solidité de la gloire future, cl
qui n'espère d'en jouir. Il n'y en a guère qui
ne sachent qu'il faut souffrir pour y arrive/;
385
SERMON POUR LE SAMEDI DE LA PREMIERE SEMAINE DE CAREME.
38(i
mais il y en a pou qui tirent de ces vérités
les conséquences qu'il en faut tirer. Or, mes
frères, l'assurance du bonheur de la vie fu-
ture doit, 1° nous en inspirer le désir, qui
ne peut être en nous sans nous donner du
dégoût, ou du mépris, ou au moins de l'in-
différence pour la vie présente : situation
que saint Paul exige des chrétiens. C'est, dit
saint Augustin, l'état d'un juste qui souffre
le monde et qui ne l'aime pas.
2° La vue de la nécessité de souffrir pour
arriver au bonheur de cette vie future doit
nous faire rechercher les souffrances avec
ardeur, ou les recevoir avec joie, ou au
moins nous les faire porter avec patience et
avec résignaiion ; c'est le dernier degré. Mais
qu'arrive-t-il, mes frères? Nous croyons vo-
lontiers l'excellence, la grandeur et l'éier-
nilé des biens futurs ; cette idée est agréable,
il est doux de se la représenter quelquefois,
c'est un soulagement dans les chagrins de
notre étal présent ; cependant nous croyons
tellement cette vie future, que nous donnons
tous nos soins à la vie présente. Nous croyons
qu'il faut souffrir en celte vie, mais nous le
croyons de telle manière que, sans vouloir
passer outre , nous nous en tenons à la
créance seule, et pendant que nous nous
disons convaincus de la nécessité de souffrir,
nous faisons tous nos efforts pour rendre
celle vie agréable et pour en éloigner tous
les chagrins.
Voilà, mes frères, l'erreur de saint Pierre
condamnée par les évangélistes ; car que
dit cet apôtre? 1" il dit : Nous sommes bien
ici. Oubliant le bonheur de la vie future, et
se voulant attacher à celui de la vie pré-
sente, il est charmé par l'éclat d'une gloire
passagère qui ne brillait à ses yeux que
pour lui donner une idée de la gloire et la
lui faire désirer. 2" Il dit: Faisons ici trois
lentes. Dans la vue de se mettre à couvert
de tout ce qui pouvait troubler la douceur
qu'il espérait goûter, et dans la jouissance
de cette gloire qu'il avait vue, il oublie qu'il
fallait, passer par les souffrances pour arri-
ver à la possession de celle que celle-ci
signifiait.
Ainsi cet apôtre est condamné par les
évangélistes. Il ne savait, est-il dit, ce qu'il
disait. 11 était donc dans l'erreur, et certai-
nement nous le serons de même si , comme
cet apôtre, nous croyons qu'il est possible
d'être heureux en celle vie avec le monde,
et dans l'autre avec Jésus-Christ. C'est ne
point connaître le chrétien, et n'avoir nulle
idée de l'ordre que Dieu a établi, que de
vouloir jouir du repos cl delà gloire avant
les travaux et les souffrances. Or, mes frères,
combien de chrétiens qui s'abusent comme
cetapôtrel On ne peut être néanmoins dans
celle erreur sans s'égarer de la voie qui con-
duit à la félicité éternelle. Il ne suffit pas de
la connaître et de la croire, il faut la désirer,
et ou ne peut la désirer véritablement que
ce désir ne produise deux effets.
1° Un dégoût pour la vie présente, qui
nous retient dans la misère et qui retarde
notre bonheur; 2 un amour pour les peines
et les incommodités de cette vie, qui sont les
voies et les moyens pour arriver au bonheur
de l'autre. Et en vérité, pouvons-nous dire
que nous nous regardons comme des étran-
gers et des exilés sur la terre, quand nous
ne pensons qu'à nous y établir par des al-
liances, par des charges, par de nouvelles
acquisitions de biens ou d'honneurs, par des
bâtiments? quand vous regardez comme le
seul objet, ou du moins comme le plus vif
de vos désirs, la prospérité de votre famille,
le bon état de vos affaires, la beauté, l'agré-
ment et la commodité de vos logements, la
propreté et la délicatesse de votre table, la
force et la vigueur de votre santé? Ne pou-
vez-vous pas dire comme cet apôtre qui «c
trompe : ISous sommes bien ici, et véritable-
ment ne le pensez-vous pas ? Oui , mal-
heureusement pour vous, cela est ainsi, et
ce sentiment-là est véritablement dans votre
cœur.
Il est vrai qu'il arrive quelquefois que
vous tenez un langage contraire, lorsque
vous demandez à Dieu que son royaume ar-
rive ; mais voire cœur, qui est sincère, dé-
ment votre langue, car en demandant que le
règne de Dieu arrive, c'est demander la lin
de celte vie, et vous ne voulez pas qu'elle
unisse. La seule idée que cette fin doit arri-
ver vous trouble et vous agite ; vous la re-
jetez comme quelque chose d'importun, vous
ne voulez pas qu'on vous en parle ; et, eni-
vrés de ces douceurs de la vie présente ,
vous ne voulez entendre parler de celles de
la vie future que pour vous flatter agréable-
ment de l'espérance de passer de douceur en
douceur, el o'être heureux dans l'autre vie
après l'avoir été dans celle-ci.
La sincérité et la bonne foi de votre cœur
sur cet article se découvrenl par votre con-
duite, et il paraît que vous vous trouvez bien
ici et que vous ne pensez point à l'autre vie,
puisque vous ne donnez vos soins qu'à celle-
ci, que vous ne travaillez qu'à la rendre
longue el heureuse , par l'assemblage de
tous les biens que vous pouvez vous procu-
rer, et par l'éloignemenl de tous les maux
qu'il est en votre pouvoir d'éviter.
S'il arrive malgré vous que les chagrins
cl les peines vous attaquent, vous gémissez,
mais, comme dit saint Augustin, en versant
des larmes qui sont aussi criminelles que
votre joie, parce qu'elles coulent de la même
source , et qu'après avoir joui du monde,
pendant que le monde vous aimait, vous
l'aimez encore lorsque vous n'êtes plus rien
pour lui.
Voilà, mes frères, comme nous sommes
faits pour la plupart. Nous connaissons qu'il
y a une gloire éternelle, et nous ne pensons
non plus à nous en rendre digues que si
nous é.ions persuadés qu'il n'y en a point.
Nous sommes convaincus qu'on n'y va que
par la voie des souffrances, et nous les évi-
tons comme de grands maux. Nous nous
aveuglons au milieu de nos lumières , et
faisant profession d'écouter la vérité qui
nous instruit, nous suivons l'erreur qui
nous égare ; nous ne sommes chrétiens quo
r,K?
ORATEURS BACRÊS. DOM
de boucha ci en paroles, et nous jouîmes
paYeni de m ur cl l'effet.
Oncle sera II conclusion (le ce discours .'
de demander à Dieu qu'en nous renouvelant
l'idée de la glaire, il en nette l'amour de s
notre cœur, mais coi amour effectif qui mus
en lasse senlir la privation, qui nous fi'
regarder la vie présente comme un bannis-
sement de notre patrie et comme un retar-
dement de notre félicité ; que cet amour
nous ronde les douceurs de celle rje su pec-
les, parce qu'elles ne sont propres qu'à nous
y attacher , qu'il nous en fasse aimer les
peines, parce qu'elles nous en donnent du
dégoût, ei que sans elles nous ne saurions
désirer véritablement les eboses d'en haut.
Dieu ne donne cette gloire qu'à ses enfants,
et ses enfants ne sont reconnus que par ce
caractère; car, comme dit le saint apôtre:
Si vous n'avez pas de part à la croix et à M
souffrance, vous êtes les enfants d'un adultère,
et non pas des enfants légitimes.
Que celte parole est terrible pour ceux
qui ne pensent qu'à la vie présente et à la
joie, et qu'elle renverse bien les faux princi-
pes de ceux qui se flattent de pouvoir élre
heureux en celte vie avec le monde, et dans
l'autre avec Jésus-Christ !
Mes frères, le Sauveur du monde est des-
cendu du Thabor pour monter sur le Cal-
vaire, et c'est de dessus la montagne des O i-
viers qu'il monte d ms le sein de son Père :
il faut le suivre partout, si nous voulons al-
ler où il est. C'est ce que je vous souhaite.
Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE DE CAUÊME.
Ecouter Jésus-Christ comme notre unique
docteur.
Hic est Filius meus dileclus in quo milii boue roni[>la-
cui ; ipsuffi aii'liie.
C'est mon i'ila bkn-aimé, dans lequel j'ai mis toute mon
affection; écoulez-le (ttallh., XVII, G).
C'est aujourd'hui, mes frères, que la pro-
phétie d'Isaïe esl accomplie, où Dier. promet-
tait à son peuple que celui qui l'instruirait ne
disparaîtrait plus de devant lui, et que ses
jeux verraient le maître qui l'enseignerait.
// vous dira, ajoute le prophète , c'est ici lu
voie, marchez dans le chemin sans vous dé-
tourner ni à droite ni à gauche, lit c'est au-
jourd'hui que le l'ère éternel nous le montra
sur le Thabor.
Il y a trois choses, mes frères, à considé-
rer dans les paroles d'Isaïe, qu il faut appli-
quer à Jésus-Christ, de qui elles se doivent
entendre, et dont nous devons tirer les ins-
tructions qui feront le sujel de ce discours.
I.a première, c'est que Dieu donnera un
maître à son peuple, il le lui promet : la
condc, c'est que ce maître lui enseignera le
chemin, il l'en assure ; la troisième, c'est
qu'il faut marcher dans le chemin qu'il en-
seignera sans se détourner ni à droite ni à
gauche, il le lui recommande. Or Jésus-
Christ est ce maître promis qui nous en-
seignera et que nous devons suivre ; car en
vain nous enseignerait-il ai non ai*
\ Kl
Disons donc, mes frères, en partageant De
discours i que léeoa-Guriet esl
que maître, et que nous n'eu d< tint
consulter d'autres : première pai
non ne • inmcs ses discii. les qu'autant <
nous réglons notre con luite sur si ères
et sur la foi : deuxième partie ; 3 enfin de
quelle manier, il le faut consulter, pour en-
tée,- connaissance de la Fai et s.' t
gler sur ses lumières : troisième partie. Ces
ileux d' i nieres parties n'en feront qu'une.
Demandons les lumières du Saint-Esprit.
Ave, Maria.
PHKMlÈllE PAKTIE.
Ce qui se passe sur le Thabor, mes M
esl une preuve de ma première proposition.
Moïse et Eiic paraissent à co é de Jésus-
Christ dans le miracle de la transfiguration,
parce que la loi et les prophètes rendent té-
moignage au Messie que le Père éternel de-
vait nous envoyer ; mais après que le Père
éternel a parlé du milieu de la nuée, el qu'il a
dit àtous les hommes en la personne des trois
a poire*, témoins de celte merveille, que i
son Fils bien-aimé, et que c'est lui qu il faut
écouler, Moïse el Clie ne paraissent plusja
loi et les prophètes se retirent, et non n'a-
vons plus d'autre maître que Jésus-Chrisl.
Aussi l'apôtre saint Paul dW aux I
chap. I, que Dieu ayant parlé plusieurs fois
à nos pères en diverses manières p ir les pro-
phètes, nous a parlé en ces derniers temps par
son luis. El cerles, mes frères, quel esl ce
Fils, si ce n'est celui que Moïse avait promis
que Dieu enverrait, el dont Dieu lui-même
a dit : le voilà, écoutez-le. Y.:us ne roui
l'as que Dieu vous parlât dans sa maji -
le voilà qui s'esi re\ élu de votre chair, pour
se remire à portée de votre faiblesse. Il pos-
sède la vertu de tous les autres propb*
qui n'ont été que ses figures; il a plus
zèle qu'Elie, il a plus de douceur que Moi c :
il ne vous pariera i i dans le Teu ni parmi les
tonne res,'ni travers ces nues qui épou-
vantent et qui effrayent. Le Seigneur vous
suscitera un prophète comme moi, de votre
natiun <t d'entre vos frères; cesl lui que vous
écoulerez.
Dieu ne nous parle plus que par son Fils,
cl c'est lui que nous devons regarder comme
noire unique maître; vous n'avez donc
qu'un docteur et qu un maître, qui esl Jé-
sus Christ , el i est tellement s lire,
que nous ne pouvons en avoir un autre i
il n'y a que de lui qu'il soil dit qu'»7 sel la
vraie lumière qui illumine tout homm
dans le monde. Il n'y a que Un qui pu
dire : Je suis la lumière du i.onde. e'es
dire, comme l'expliquent les sainls Pères,
que nous n'avons de vraie lumière pour le
salut que par le Fils de Dieu, qui est la lu-
mière souveraine, originale ci rabstanti
ci partout où il n'est point, régnent et do-
minent les ténèbres de l'erreur, du péché et
de la mort.
Cela -tant supposé comme une écrite fon-
589
SERMON POUR LE DEUXIEME DIMANCHE DE CAREME.
damenlale de notre religion, je dis, mes frè-
res, que nous ne devons uniquement con-
sulter que Jésus-Christ; c'est l'importante
instruction que je lire de cette vérité. Saint
Pierre nous l'a enseignée, par la réponse
qu'il fit au Sauveur du monde, lorsque Jé-
sus-Christ, voyant un nombre de ses disci-
ples qui se retiraient de sa suite, il demanda
aux douze apôtres : Et vous, ne voulez-vous
point aussi me quitter? Saint Pierre lui ré-
pondit : A qui irions-nous, Seigneur? Vous
avez les paroles de la rie éternelle. Ce qui
nous apprend qu'il n'y a nul maître sem-
blable à Jésus-Christ, et que sou école est
celle de la vie éternelle. Il est vrai que Jé-
sus-Christ nous dit dans l'Evangile que sa
doctrine n'est pas sa doctrine, mais c'est
pour nous apprendre que, comme Dieu, il
reçoit du Père éternel sa na'ure, et par con-
séquent si doctrine, sa science et sa sagesse,
qui sont en Dieu sa nature- même; et ceci
prouve qu'il n'y a dans l'Eglise qu'une source
de doctrine qui vient de Dieu par Jesus-
Christ et qui est répandue par lui dans ses
apôtres et dans les pasteurs.
Ainsi il n'y a que lui qui soit pasteur et
maître, nous ne connaissons la vérité que
par li lumière que Dieu nous donne. Les
divers partages qu'il en fait aux hommes
sont ce qui fait qu'il y en a de plus intelli-
gents les uns que les autres, et la mesure
même que Dieu en donne à chaque homme
a besoin d'être continuellement conduite
par la grâce. Sans celte lumière notre rai-
son serait un principe d'erreur; en nous
faisant éviter un inconvénient, elle nous
engagerait dans un autre.
Nous sommes donc dans une dépendance
totale de Dieu pour nous comluire avec sa-
gesse. Sans lui nous ne pouvons que nous
égarer. De là je conclus que nous ne devons
consulter que Jésus-Christ. A qui irions-
nous, Seigneur, sans vous? Enseignez-moi
donc à faire votre toloité, car vous êtes mon
Dieu. Or, mes frères, il faut expliquer cette
pioposilion, et marquer ce qu'on doit enten-
dre par l'obligation de ne consulter que Jé-
sus-Christ. On n'entend pas par là qu'il faille
s'en tenir à la simple prière, ni à la seule
lecture de l'Ecriture sans la tradition.
A Dieu ne plaise que nous rejetions la tra-
dition, qui est celle chaîne qui, ayant com-
mencé par Jésus-Christ et par les apôtres,
lie tous les âges de l'Eglise par une suite
non interrompue ! C'est à elle qu'il faut re-
courir , et au consentement unanime des
saints Pires, pour l'intelligence de l'Ecri-
ture, et pour régler les difficultés sur les-
quelles m is o .sullons Jésus-Christ. Nous
n'entendons pas non plus qu'il ne faille pas
consulter ni les docteurs, ni les pasteurs, ni
les évéques, ni les personnes pleines de l'es-
prit de Dieu et de la doctrine de l'Eglise, ni
enfin les supérieurs que Dieu nous a don-
nés.
A Dieu ne plaise que nous pensions à
troubler l'ordre si divinement établi par la
Providence, dont l'observation est si néces-
saire, et sans lequel nous ne pourrions évi-
ter de tomber dans l'illusion et dans un dé-
sordre capable de nous perdre ! Jésus-Chri t
nous enseigne une conduite bien différente
de celle-ci dans l'Evangile. Il donne aux
Juifs un avis très-important : en leur défen-
dant de mépriser leurs pasteurs, il ne se
contente pas de leur recommander ce point,
il le pratique lui-même, puisqu'il ne prive
pas même du pouvoir d'enseigner leurs
docteurs, tout corrompus qu'ils étaient. Il
veut qu'on les respecte, à cause de ce siège
d'honneur dans lequel ils sont assis, et de la
doctrine sainte qu'ils enseignent.
Mais si le Sauveur donne cette autorité
aux ministres de la loi de Moïse, que di-
rons-nous des ministres de la loi de grâce
et des pasteurs de son Eglise? de quelle ma-
léilietion ne se rendraient pas dignes ceux
qui détourneraient leur peuple de la soumis-
sion, de la dépendance et de la confiance
qu'ils doivent avoir en eux? Saint Bernard
a trop recommandé celle soumission à ses
enfants, pour que ceux qui le sont vérita-
blement soient seulement capables d'y don-
ner la moindre atteinte. Il faut demeurer
dans la subordination, et y tenir attachés
ceux qui s'adressent à nous, dit ce Père si
plein de respect pour la sainte hiérarchie de
l'Eglise.
Voici donc ce que nous entendons, mes
frères, lorsque nous disons qu'il faut con-
sulter Jésus-Christ seul, c'est que quoique
nous le consultions par la prière, par la
lecture de l'Ecriture sainte, par la tradi-
tion, nous ne devons consulter que Jésus-
Christ, c'est-à-dire ne chercher qu'à con-
naître sa volonté, parce qu'elle seule doit
être la règle de notre conduite, comme la
vérité seule qui peut nous régler.
Ainsi , lorsque , dans la recherche que
nous faisons de la vérité seule, sans aucune
duplicité de cœur, nous consultons ou l'E-
criture, ou les saints Pères, ou les ministres
de Jésus-Christ, s ins dessein de les détour-
ner au gré de nos passions, ni de trouver en
eux des approbateurs des désirs déréglés do
notre cœur, mais dans une sincère intention
d'apprendre à connaître la volonté de Dieu,
cela s'appelle, mes frères, ne consulter que
Jésus-Christ.
Jésus-Christ est le Pasteur unique ; tous
les vrais pasteurs ne sont qu'un pasteur avec
lui, il parle seul par la bouche de tous ; car
tous les saints Pères, ces maîtres si sages et
si éclairés, n'ont fait que suivre ce Pasteur
unique, cl ils ont conservé sans mélange de
nouveauté la vérité ancienne qui leur était
venue de Jésus-Christ par les apôtres. Ils
ont enseigné dans l'Eglise ce qu'ils avaient
appris, et ils ont hissé à leurs enfants ce
qu'ils avaient reçu de leurs pères. Toute vé-
rité vient de Jésus-Christ, et ainsi lorsque
nous ne recherchons que la vérité, nous ne
consultons que Jésus-Christ; car il n'y a
qu'un Christ formé des chrétiens et du Sau-
veur.
H n'y a qu'un docteur dans l'Eglise for-
mée des pasteurs et de Jésus-Christ, comme
il n'y a qu'un sacerdoce, dit saint Cyprien,
39t
ORATEURS SACRF.S. nn.M JEROME.
m
qu'un adorateur, qu'un pasteur, qu'an ma -
ire, tout est renfermé dans l'unité de Jéi us-
Christ. Il n'y a encore nue fois qu'une source
<!c doctrine qui vient de Dieu par Jésus-
Christ.
De là, mes frères, jugez de re discours or-
dinaire; on dii quelquefois : Ce prédicateur
ne dit rien que de commun. Kt c'est là sa
gloire, Car il ne doit y avoir rien de si com-
mun parmi les chrétiens que l'Evangile, l'E-
criture sainte et la religion; et c'est là toute
la science d'un prédicateur. Malheur à ceux
qui prêchent aulre chose et qui entretien-
nent les disciples de Jesus-Christ de leurs
imaginations! Si je pouvais composer mes
discours des seules p rôles de l'Ecriture, ah 1
mes frères, qu'ils seraient beaux 1 C'est à
quoi les ministres de l'Evangile se doivent
app iquer. Ils parlent au nom de Jé»us-
Christ, ils le doivent faire selon son esprit.
Pierre baptise, mais c'est au nom de Jésus -
Christ, et c'est Jésus-Christ seul qui bap-
tise. C'est pourquoi saint Augustin ne veut
pas que les hommes qui enseignent les au-
tres se donnent l'avantage de dire qu'ils en
sont les maîtres; car lorsque ceux qui nous
écoulent sont persuadés de ce que nous di-
sons, cela ne vient pas de nos paroles, mais
de la \érilé qui éclaire l'homme intérieur,
et que nous contemplons par un œil secret
que nous avons au fond de notre âme. Ne
pensez pas, mes frères, dit ce Père dans le
troisième traité sur l'Epître de saint Jean,
qu'aucun homme apprenne quoi que ce soit
d'an autre homme : nous pouvons bien aver-
tir extérieurement par le bruit de notre
voix , mais ce bruit est inutile et ne fait
rien, si nous n'avons au dedans celui qui
enseigne.
Voulez-vous vous'en convaincre? Vous en-
tendez la prédication que je vous fais; com-
bien de personnes sortiront-elles d'ici aussi
peu touchées qu'elles y sont eniréesl Ce-
pendant j'aurai parlé à tout le monde, mais
ceux qui ne sont pas instruits par l'onction
secrète, ceux auxquels l'esprit de Dieu ne
parle point dans le cœur, ne remporteront
rien. Les discours et les exhortations exté-
rieures sont des secours et des avertisse-
ments; mais celui qui enseigne les âmes a
sa chaire dans le ciel, et c'est Jésus-Christ. 11
y a un nombre qui profile, mais ce nombre
qui profite est le plus petit, le nombre qui
écoule est le plus grand. Toute la ville d'An-
tioche s'assemble pour entendre Paul et Bar-
nabe, mais peu embrassent la foi.
Voilà donc, mes frères, une vérité incon-
testable, que Jésus-Christ est noire unique
Maître, et que nous ne devons consulter que
lui; d'où je conclus, pour notre instruction,
qu'il y a une obligation mutuelle à ne con-
sulter que Jésus-Christ, et pour ceuv. à qui
on a recours, afin d'apprendre sa volonté, et
pour ceux qui la veulent savoir. De là nais-
sent deux conséquences nécessaires , l'une
pour le ministre de la vérité qui est consulté,
l'autre pour le fidèle qui consulte.
La première conséquence qu'il en faut ti-
rer à l'égard des ministres de la parole, c'est
qu'ils doivent consulter eux-mêmes '
Chris! avant que de répon Ire. On n'entend
que lui sur la montagne, il ne faut donc | ar-
lerqne son langage; car si je substitue le
mien au sien, je forme un nouvel obstacle
qui empêche qu'il ne soit écoulé.
Il est donc vrai, mes frères, cl il n'en faut
pas douter, que, dans le désir de connaître
la volonté de Dieu, nous pouvons el nous
devons nous adresser à .es ministres, qui
soat les canaux par lesquels il se communi-
que à nous, el le! h.m-> dont il se mi pour
déclarer sa volonté à ceux qui cherchent la
vérité avec un cour droit : el qu'il \ a pour
les ministres de Jésus-Chrisl une obligation
indispensable de consulter Dieu avant qu'on
les consulte. Car si c'est lui qui e>l la source
de toute venté, où la peuvcr.l-il- prendra
leurs? Il y a donc pour eux une obligation
essentielle de se remplir de la science de
l'Eglise, c'est-à-dire de l'Ecriture, des saints
Pères, des canons et des conciles, de la
science, des règles de la conscience, de l'es-
prit de la religion et de ses vérité-. : en un
i jot ils doivent ne rien dire d'eux-mêmes, dit
saint Augustin ; il faut qu'ils suive 'ils (ra-
ces de ceux qui les ont précédés, c'est-à-dire
des saints Pères; ils sont o igés de fonder
toujours leurs sentiments et leurs résolutions
sur leur autorité : c'est lavis important que
donne saint Jérôme à ceux qui sont ministres
de la vérité.
Il fautdonc qu'un ministre de Jésus-Chrisl
dépende de Jésus-Christ eu tout. C'est en son
nom qu'il parle, c'est selon son esprit et s m
langage qu'il doit parle/, c'est à Jésus -Christ
à lui ouvrir la bouche, el non pas a la va-
nité el à l'ambition. Il est envoyé de sa part,
il doit recevoir de Jésus-Christ ce qu'il dit,
non par une nouvelle révélation, mais par
la prière. Il r.c s'agit pas d'agir en enthou-
siaste et en illuminé; ce n'est ni I goût ni
le sentiment qui doit conduire : le bon sens,
éclairé par la science, est le mobile de tout
ministre de Jésus-Christ qui veut bien déci-
der : l'étude de l'Ecriture sainte et des saints
IV res doit guider ses décisions. Il doit ensei-
gner la doctrine de Jésus-Christ, il doit an-
noncer des choses et non pas des paroles, des
instructions et non pas des déclamations; il
doil instruire et non pas divertir par de vai-
nes expressions et par des pensées curieuses;
en un mot, il doit dépendre de Jésus-Chrisi
en tout, c'est la première conséquence que
nous avons tirée a l'égard des ministres de
la vérité.
La seconde, qui regarde !e lidèle qui con-
sulte, vous regarde, mes frères, et comme
nous ne devons parler que d'après Jésus-
Christ, vous ne devez consulter que lui : c'est
le sujet de la deuxième partie.
DBt XIBMB e \hi m .
Pour consulter de bonne foi el entrer dans
la doctrine de Jésus-Christ en vrai disciple
du Saineurdumonde.il faut, 1 avoir de
certaines disposition- ; 2 lever les obstacles
qui se présentent; 3" suivre des règles juste!
et précises.
393
SERMON POUR LE DEUXIEME DIMANCHE DE CAREME.
594
La première disposition c'est de reconnaî-
tre le besoin qu'on a de recourir à Jésus-
Christ, et de considérer ce qu'il est et ce que
nous sommes. Il faut dire ce que saint Paul
disait dans ses Epîtres aux fidèles : Autrefois
vous étiez lumière par votre baptême; â pré-
sent vous êtes ténèbres par vos péchés, par
vos passions, par vos préventions; vous êtes
dans l'égarement, dans l'erreur, vous mar-
chez comme des aveugles, vous marchez
comme si vous n'aviez point des yeux, vous
vous heurtez en plein midi comme si vous
étiez dans les ténèbres. Voilà l'état de l'hom-
me éloigné de son Dieu, qui suit les maxi-
mes corrompues qui régnent dans le monde,
les mouvements de ses passions, les fausses
lumières de sa raison corrompue ; il se heurte
en plein midi, c'est-à-dire au milieu des lu-
mières de l'Evangile et de la religion.
C'est dans cette vue de notre égarement et
de nos ténèbres qu'il faut reconnaître la né-
cessité où nous sommes de retourner à Jé-
sus-Christ; car nous vivons avec des gens
qui travaillent continuellement à établir le
règne du mensonge et à s'opposera celui de
la vérité, et nous voyons régner partout les
ténèbres et l'aveuglement. Ce n'estdonc qu'en
Jésus-Christ qu'on peut trouver la vérité, la
voie et la vie ; c'est à lui qu'il faut aller, c'est
lui seul qui nous peut éclairer : Seigneur,
c'est vous qui faites lutte ma lampe, éclairez
mes ténèbres. Il faut donc se bien convaincre
deces deux vérités, et entrer dans la seconde
disposition, qui est plus difficile que la pre-
mière; car l'on convient aisément qu'on est
aveugle, c'est un langage qui ne coûte rien
à tenir, mais tel connaît sa misère et ses té-
nèbres qui n'en veut pas sortir.
Il faut, pour entrer dans la seconde dispo-
sition, vouloir être éclairé et renoncer à une
volonté corrompue qui s'oppose à la lumière;
car il est dit que le Seigneur a envoyé ses
prophètes pour éclairer ses serviteurs, et
qu'ils n'ont pas voulu l'être. Ils se sont ca-
chés au fond des prisons, ils ont eu peur de
voir la lumière qui les aurait éclairés; ils se
sont renfermes, comme dit saint Jérôme, dans
les ténèbres de leur cœur et dans leurs pen-
sées malignes et criminelles, comme dans
l'obscurité d'une prison. Or, on regarderait
assurément comme insensé un homme qui,
lorsqu'on le voudrait retirer du fond d'un
cachot, rejetterait cetle grâce et préférerait la
captivité et les ténèbres à la lumière. On ne
voit point d'exemple dans le monde d'une
folie si étonnante, et cependant dans l'ordre
du salut rien de si commun. 11 y a des mala-
dies dont on ne veut pas guérir.
Qu'il y a de gens, mes frères, qui se-
raient convertis, éclairés, sains et guéris,
s'ils n'avaient pas appréhendé de; l'être ! Le
jeune homme de l'Evangile fait paraître une
belle disposition en demandant ce qu'il faut
faire pour être sauvé; cependant il ne dési-
rait pas sincèrement d'être parlait. Tous les
jours nous faisons de malheureuses expé-
riences de cette disposition, nous sommes
attristés quand on nous découvre la vérité,
lorsqu'elle blesse nos passions. Ces passions
OlUTEMlS SACRÉS. XXX
font sur l'esprit ce qu'un nuage fait sur les
yeux, et il faut que ce nuage soit dissipé par
la grâce de Jésus-Christ. Car comme ce n'est
pas assez d'avoir des yeux bien sains pour
voir les objets, et qu'il 'aut encore que la lu-
mière les éclaire, de même il ne suffit pas
que noire cœur soit sans passions, il faut un
certain degré de lumière vive et ardente pour
former celte bonne volonté qui fait voir et
aimer ce qu'elle découvre. C'est l'impureté
de la terre qui fournit la matière des nuages,
comme c'est l'impureté du cœur, causée par
le mauvais amour, qui forme les nuages qui
empêchent de découvrir la vérité. Mais si la
volonté est saine, droite et sincère, vous le
connaîtrez par l'application à ôler les obsta-
cles qui vous empêchent de recourir à la lu-
mière et de rechercher la vérité dans Jésus-
Christ : troisième disposition dont l'examen
forme notre seconde réflexion.
En effet, le premier obstacle qu'il faut le-
ver, c'est la négligence effroyable dans l'af-
faire de notre salut. Nous connaissons notre
aveuglement, nous savons que notre con-
duite n'est pas réglée, nous voulons sortir
de cette langueur, et la négligence nous fait
différer de jour en jour : nos affaires, nos
engagements, nos occupations, un surcroît
d'accablement, une timidité, une noncha-
lance, l'âge, les sociétés, le quartier où on
loge, l'espérance de changer et de se dé-
payser, tout cela fait toujours remettre ; le
temps de la vie se passe, la mort vient et elle
nous emporte avec le regret et souvent avec
le désespoir de ne pouvoir plus faire, quand
nous pensons le vouloir, ce que nous avons
toujours différé d'entreprendre quand nous
l'avons pu. Il y a une certaine paresse qui
nous empêche de faire tout ce que nous pou-
vons pour notre salut, qui est un péché
morte!, et il y a bien des gens qui sont dans
cet état sans le connaître, qui y persévèrent
et qui s'y perdront.
Il faut donc lever cet obstacle par la vue
de l'importance du salut. Il faut se sauver,
mes chers frères, il ne s'agit que de ce point-
là. C'est un effroyable aveuglement que de
négliger le seul nécessaire, et la paresse qui
nous empêche, comme nous venons de le
dire, de faire tout ce que nous pouvons pour
nous sauver, est un état de damnation où
bien des gens sont sans y faire réflexion.
Le second obstacle est celui de trouver la
vérité. On s'imagine des difficultés à appren-
dre ce qu'il faut faire dans son état et dans
les engagements du monde, au milieu de tant
de contestations et de diversités d'opinions.
Les uns approuvent ce que les autres con-
damnent; les uns soutiennent que le bal, les
danses, les spectacles, les plaisirs, les jeux,
la magnificence dans les habits, sont des cho-
ses dangereuses à un homme qui veut vivre
chrétiennement et qu'il n'y peut preudre
part; d'auires sont plus commodes, et ne
condamnent pas absolument tout ce dont
nous venons de parler.
Que faire dans cette variélé de sentiments
et d'avis? c'est, mes frères, une grande ten-
tation et un grand sujet de gémissement do
OltAfKI'KS SACRES. KO.M JUIOUI..
Z%
voir les ténèbres répandues ■■ur les vérités et
les règles les ploi certaines delà mofale.i
pendant on peut «lire que ce n'est point là
Une raison pour demeurer dans l'égarement
c( pour s'abandonner aux désirs de sa cupi-
dité. Ce n'est pas tant la difficulté de décou-
vrir la vérité qui nous empêche de la cher-
cher, que la crainte de la trouver qui nous
en détourne, e.'esl une secrète opposition
formée par nos passions contre la nécessité
d'en embrasser les voies.
Examinons-nous : nous nous dérobons à
nous-mêmes, et nous sommes les dupes de
notre cœur, si j'ose parler ainsi. Que faut-il
donc faire? il faut chercher la vérité, sincè-
rement. Un cœur double mérite d'être rejeté
et de ne pas découvrir la lumière ; mais il est
impossible qu'elle se cache à ceux qui l'ai-
ment sincèrement: car Dieu ferait plutôt un
miracle pour faire connaître la vérité à ceux
qui la recherchent sans partage et sans au-
tre intérêt que celui de la trouver, plutôt que
de i ermetlre qu'ils fussent trompés.
Le troisième obstacle est une fausse sécu-
rité et une vaine présomption de suivre la
vérité; rien n'est si dangereux que la pré-
somption de se croire en assurance. En vé-
rité, est-ce agir sagement que de prendre
son parti, que d'appuyer son état, son éta-
blissement, les règles de sa vie, sur de dan-
gereuses probabilités, sur des apparences de
vrai, sur la coutume, sur l'exemple des gens
du monde, souvent qu'on méprise et de qui
on ne voudrait pas prendre conseil?
Voyez ce qui arrive aux pharisiens et aux
Juifs dans l'Evangile: ils disent aifîrmalive-
ment et d'un air décisif, en parlant de Jésus-
Christ, qu'il n'est pas le Messie ; ils en don-
nent la raison, ils la tirent même des Ecri-
tures : Pour nous, disent-ils, nous savons
biin d'où est celui-ci, au lieu que quand le
Christ viendra, personne ne saura d'où il est.
Quelle présomption ! et combien de fois ne
croit-on pas être fort intelligent dans les Ecri-
tures et dans les voies de Dieu, lorsqu'on est
dans un aveuglement aussi grand que celui
des Juifs 1 Ils confondaient les deux naissan-
ces du Fils de Dieu, et, sans penser à celte
génération éternelle, qu'on ne peut connaî-
tre, dont il est parlé dans les prophètes, ils
s'en tiennent à sa naissance temporelle. C'est
là où est leur mécompte et leur présomp-
tion, et c'est par où nous leur ressemblons
quelquefois, en donnant aux Ecritures et à
la loi un sens favorable à nos passions, et
en demeurant en repos sur ces éq ivoques
et sur ces pernicieuses interprétations.
Examinez donc vos voies, faites une dis-
cussion exacte de tout ce que vous avez pris
pour cerla:n, sans l'avoir bien examine. Nous
avez cru jusqu'ici que, pourvu que vous
confessiez vos péchés dans la disposition de
faire la pénitence qui vous serait enjointe,
sans penser à changer votre cœur, c'eiail là
ce qui s'appelait faire pénitence; que l'on
pouvait avoir plusieurs b néficei sans au-
cune chaige particulière, comme on pouvait
avoir plusieurs terres; qu'il était permis de
passer uuc partie de sa vie dans le jeu oi.
dans l'oisiveté, »t que l'on pouvait rendre
■aspects les sentim >nls el la coi duite d'an-
trui sur le rapport de gens qui paraissent
avoir quelque probité.
Il faut donc rentier sérieusement en soi-
méme, se défaire de tontes œs pi renliofw,
examiner une bonne fois tous les principes
qu'on s'est faits ou qu'on a suivis parce
qu'ils nous accommodaient ou parce qu'on
le- a trouvés établis. En effet, avez-w - <!■ s
assurances si certaines pour le> suivr. n .1-
vcz-vous pas, au contraire, des lois q u vous
les défendent? Une foule de gens - - <{ ui
pensent autrement, uuc multitude de saints
qui ont leiiu une voie loul opposée, tout
cela n'est-il pas capable de troubler un peu
votre tranquillité? Quel rapport de la loi de
Jésus-Christ, de sa doctrine, de m-
ples, de sa conduite avec la vôtre.' Ah! qu'il
y aura de difîéreuce enlie ies vues que vous
aurez à ia mort cl celles que vous avez à
présent 1
Mes frères, prenez le plus sûr; à quoi cela
va-t-il? à vous dépouiller un peu plus tôt
de ce qu'il faudra perdre nécessairement.
Vous mourrez demain, el pour qui seront
tous vos biens? Mais, après avoir ôle les
obstacles qui nous empêchent de chercher
la vérité , il faut suivre des règles pour la
trouver. *
Première règle : il faut recourir à Dieu
par la prière. Dites-lui donc de tout votre
cœur : Seiyneur, enseignez-moi à faire votre
volonté, parce que vous éles mon Dieu; Sei-
gneur, que votre volonté soit fnile. C'est la
rè^le que Jésus-Christ nous enseigne lui-
même.
Deuxième règle: il faut lire les Ecritures,
le» ouvrages des saints Pères, qui sont les dé-
positaires de la vérité, s'instruire des devoirs
d'un chrétien, des obligations de notre eiat,
des obligations d'uu juge, d'un père et d'une
mère, des enfants, des maîtres, des grands
seigneurs. Nous parlons a Dieu ; ar la prière,
et il nous répond par l'Ecriture. In juge
consulte les lois ; un philosophe, les auteurs
de sa profession ; un chrétien doit de mémo
consulter l'Ecriture.
Troisième règle : il faut écouter le cri de
sa conscience. Dieu parlepard s événements,
el il forme en même temps dans le cœur des
sentiments propres à nous faire entendre sa
voix, si nous y donnions de l'atten ion. U a
coutume de se faire entendre par plusieurs
circonstances particulières, par de certains
événements de notre fie, par de certaines
affaires que nous regardions comme infail-
libles, qui ne réussissent pis, par le renver-
sement de nos projets et de nos desseins, où
reluisent des marques visibles de sa volonté,
et en même lemps il excite daus le fond du
cœur de certaines e lions pour nous dis-
poser à faire ce qu'il désire de nous, el par
! squelles il surmonte dans notre ca'ur toutes
les répugnances que la crainte de nous en-
gager pourrait tonner dans nos esprits.
Mus nous n'écoulons poinl notreconscience,
el il y a uuc infinité de langages que les
hommes soûl coupables de ue poiut euleu
507
SERMON POUR LE LUNDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DU CAREME.
598
dre, parce que c'est leur cupidité qui les en
empêche. Ces langages sont clairs en eux-
mêmes, mais les hommes forment des nua-
ges pour n'y rien comprendre. Une mort su-
bite, un renversement de fortune, la conver-
sion d'un liherlin, la chute de ceux qui pa-
raissaient les plus affermis dans la piété; en
un mot, comme tout est muet pour ceux qui
n'écoutent que les sens, tout parle pour ceux
que la foi rend attentifs à Dieu. Suivez l'exem-
ple de Samuel : il est averti par une voix, et
dites à Dieu comme lui : Parlez, Seigneur,
voire serviteur écoute.
Quatrième règle : il faut consulter les mi-
nistres de Jésus-Christ pour apprendre à
connaître la volonté de Dieu et à y entrer.
Il faut chercher les plus gens de bien, ceux
qui sont pleins de l'esprit de Dieu, remplis de
la science de l'Eglise, c'est-à-dire de qui les
décisions et les règles sont tirées de l'Evan-
gile, de la discipline de l'Eglise; ceux qui
sont les plus sévères, non d'une sévérité af-
fectée, mais d'une sévérité sage, mesurée,
judicieuse, charitable, qui aille à détruire les
passions, l'amour du monde et de nous-
mêmes.
Quand la gangrène et la corruption sont
dans une plaie, le meilleur chirurgien est
celui qui coupe beaucoup et qui n'est point
amolli par les cris du malade. Nous sommes
tous pleins de corruption, le désordre est
dans toutes les affections de notre cœur.
Que nous sommes donc redevables à ceux
qui arrachent et qui retranchent le mauvais
amour qui corrompt tout, qui déracinent cet
orgueil, cet amour de soi-même, qui damne
tant de gens et dont on ne s'accuse point 1
Si le feu était près de prendre dans votre mai-
son, vous plaindriez-vous d'un homme qui
viendrait interrompre votre sommeil pour
vous en avertir? Ne le regarderiez-vous pas
au contraire comme un ami? Hé ! mes frères,
le feu de la justice de Dieu va vous consu-
mer, et vous vous liez avec des gens qui l'ont
ce qu'ils peuvent pour vous empêcher d'y
penser ! Que deviendront ces faux amis dans
le moment d ■ votre mort, qui n'est peut-être
pas éloignée ? Aimez donc ces véritables amis
qui ne peuvent se résoudre à vous voir pé-
rir.
Nous finissons par relie dernière règle.
Quand il s'agit, nies frères, de prendre une
résolution sur une difficulté, voici la manière
de consulter dans les doutes qui naissent sur
les obligations chrétiennes. L'Eglise nous
renvoie a ce qui a été déterminé par le< sen-,
liments et la conduite des saints en de pareils
cas. Si on ne trouve point ce qu'on cherche,
elle consent qu'on interroge les docteurs.
Mais elle vcul que ces docteurs qu'elle pcç-
met de consulter préfèrent la gloire de Dieu
à tous les intérêts temporels. Surtout ne
nous flattons d'aucune assurance, si nous
suivons dans noire conduite des maximes
qui ne sont pas entièrement conformes à la
loi de Dieu, qui est notre règle, et c'est en
vain que nous nous flattons d'arriver à la
gloire que les saints possèdent, si nous no
marchons pas sur les vestiges qu'ils nous
ont laissés pou,- y aller.
Car, mes frères, retenez bien cet avis :
dans les .sffaires d'importance, où il n'est
pas permis de risquer, il faut prendre tou-
jours le plus sûr. Or il n'est pas permis de
ri querdans l'affaire du salut, puisqu'elle est
sans contredit la plus importante qu'un
chré'ien puisse avoir; il faut donc toujours
prendre le parti le plus sûr, et suivre, la voie
qui est reconnue pour !a plus certaine, et
c'est assurément la voie étroite; c'est donc
celle-là qu'il faut suivre.
Personne ne disconvient que la voi >
étroite ne conduise à Dieu, et que c'est par
elle qu'on va à la gloire sûrement. Une infi-
nité de gens au contraire doutent au moins
qu'on y puisse aller par la voie des plaisirs,
de la vie molle et voluptueuse, et, en sui-
vant les règles et les maximes du monde, il
faut mille distinctions, mille subtilités, mille
ménagements, pour faire que ces règles et
ces maximes puissent avoir un certain air
de vérité qui nous mette en repos ; et après
tout cela il se trouve encore une infinité
de gens qui condamnent ces règles et ces
maximes. Ceux qui les défendent, au con-
traire, avouent qu'on peut mieux faire, et
qu'il y a plus de sûreté à se régler sur les
maximes de l'Evangile et à suivre la voie
étroite.
Il faut donc vouloir risquer son salut en
ne prenant pas le plus sûr, ou prendre le
plus sûr en embrassant la voie étroite. De
là concluez, mes frères, que de deux senti-
monts qu'on me proposera, quand j'aurai
consulté celui qui aura plus de rapport avec
ce que Jésus-Christ enseigne, et qui me fera
marcher dans la voie éîroile, ce sera te plus
sûr, et par conséquent celui que doit pren-
dre un chrétien, qui ne doit penser qu'à mou-
rir, et qui ne doit point songer à s'établir
ici-bas.
J'espère, mes frères, que si vous entrez
dans les dispositions que j'ai essayé de vous
marquer, et que si vous suivez ces règles,
vous trouverez la \ érilé ; que votre conduite
sera réglée sur la loi ; que Jésus-Christ vous
reconnaîtra pour ses disciples, et qu'il vous
donnera la récompense qu'il a préparée à
ceux qui le suivent : c'est ce queje vous sou-
haite. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE LUNDI DK LA DEUXIÈME SEMAINE
DE CARÊME.
De la mort dans le péché, parce qu'il est juste
que Dieu abandonne ceux qui virent dans
le péché, et quiconque Dieu abandonne
meurt infailliblement dans ce péché.
EgO v;iflo, r|iia>roiis me, et in percato vesiro moriemini.
Je m'éh vais , voua me chercherez, et tout mourrez datis
votre péché (Joan., VIII, 21).
Il n'y a que deux choses dans ces paroles
de l'Evangile, mais elles renferment, mes
très-chers frères, le plus terrible effet de la
justice de Dieu sur nous : la première, c'est
l'éloignement de Dieu et le délaissement du
398
OKATKIRS SACRES. DOM JfJtOMI-:.
4i»0
chrétien : Je m'en tait; la seconde, e*esl l'en*
durcissement du chrétien < i ta mort dans le
péché : Et vous mourrez dans votre péché.
l'iicn n'est pli. s terrible pour un chrétien que
l'abandonnement de Dieu, et rien n'est plus
certain pour lui que 1 i mort dans le péché,
si Dieu l'a une fois abandonné.
On convient aisément de ces vérités, quand
on lesregaide en général ou quand on les
applique aOX Juifs, pour qui elles ont
premièrement dites. On y reconnaît bien
quelque chose de terrible, mais l'horreur de
ces terribles vérités ne produit pas tout l'ef-
fet qu'elles devraient produire , parce qu'on
néglige de s'en faire l'application , et qu'on
ne se dit pas à soi-même : C'est moi que
Dieu menace des mêmes châtiments qu'il a
fait ressentir aux Juifs , et peut-être \a-l-il
dans un moment exécuter les menaces qu'il
me fait en leur personne.
C'est de celte manière, mes très-chers frè-
res, que j'ai dessein de vous les exposer au-
jourd'hui ; je veux vous montrer comme des
Vérités incontestables les principes qui sont
renfermés dans ces paroles du Sauveur, pour
vous les appliquer par des conséquences
aussi incontestables que les vérités mêmes
dont elles sont la suite. Voici les paroles du
Bauveur du monde : Je m'en vais, et vous
mourrez dans votre péché, et voici les vérités
qu'elles renferment :
1° Que celui qui veut vivre dans son péché
mérite que Dieu l'abandonne : première par-
tie ; 2" que celui que Dieu abandonne
mourra infailliblement dans son péché : se-
conde partie. D'où je tire cette conséquence,
par une application de ces vérités à l'état où
se trouvent les chrétiens , que comme il y a
peu de chrétiens qui ne vivent pas dans le
péché, il y a un très-grand nombre de chré-
tiens qui meurent dans le péché. Aujour-
d'hui, mes frères, nous nous contenterons
d'établir les deux premières vérités renfer-
mées dans les paroles du Sauveur du monde,
et nous réserverons à en tirer les conséquen-
ces et à nous en faire l'application dans un
autre discours , afin de traiter cette matière
avec plus d'étendue.
Demandons l'assistance du ciel par l'en-
tremise de Marie. Ave, Maria.
PREùlKRE PARTIE.
La première vérité qui est renfermée dans
les paroles du Sauveur du monde est si cer-
taine et d'une évidence si sensible , qu'il ne
serait menu: p as nécessaire de la prouver;
car qui ne demeurera pas d'accord qu'un
chrétien qui veut vivre dans le péché mérite
que Dieu l'abandonne, s'il fait réllexion sur
ce que mérite l'opposition de la volonté
d'une créature à celle de Dieu, le violentent
de ses lois, le mépris <le ses menaces, l'abus
de ses grâces , enfin l'injuste préférence du
néant des choses présentes et périssables
aux trésors immenses des biens futurs et
éternels? Mais s'il n'est pas nécessaire de
démontrer une vente si évidente par elle-
même , il est à propos de la mettre dans un
certain jour, qui nous fasse voir la justice
de Dieu dans sa < ouluile , et l'iniquité du
pécheur qui s'attire volontairement le plus
terrible elTct de sa colère.
Or, mes frères, pour bien entrer dans
cette vue , il faut que nous établissions une
comparaison entre les Juifs et nous qui
nous fisse trouver dans la conduite que
Dieu doit tenir à notre égard la même équité
que nous trouvons dans celle qu'il a tenue à
l'égard des Juifs. Les i bâtiments dont Dieu a
puni leur infidélité sont des figures de ceux
qu'il prépare a la notre , et ils doivent croî-
tre â proportion que les circonstances ren-
dent I infidélité plus énorme. Cela étant
ainsi, examinons la menace que le Sauveur
du monde fait aujourd'hui aux Juifs dans
notre évangile , lu raison qu'il a eue de la
leur faire , les effets de cette menace dans
son exécution ; et nous verrons qu'il nous
fait la même menace , qu'il nous la fait avec
plus de raison , et qu'il exécute par consé-
quent avec plus de justice , par rapport à
nous, la menace qu'il fait aux Juifs de les
abandonner.
En effet , comment celte séparation du
Sauveur du monde est-elle une menace pour
les Juifs? c'esl , mes frères, parce que sa
présence, ses discours, ses miracles, ses ver-
tus étaient autant de preuves de sa mission ;
c'étaient autant de lumières qui leur décou-
vraient qu'il était le Messie, qu'ils fermaient
les yeux â ces lumières, et qu'ils laissaient
passer le temps qu'il leur avait donné pour
en profiter; c* lui de sa vie finissant , et lui
se retirant d'eux par sa mort, qui approchait,
il les devait abandonner à leur dureté et à
leur obstination. C'est là proprement, selon
saint Augustin , le péché que Jésus-Christ
leur reprochait : St je n'étais pas venu, et que
je ne leur eusse point parlé, ils n'aurait nt
point de péché; mais maintenant Us sont sans
excuse de leur péché.
Voilà, mes frères , leur péché : leur obsti-
nation a été la cause de l'abandonnement qui
les a engagés ensuite dans cet aveuglement.
Elle leur a fait regarder comme un ennemi
celui qui leur enseignait la vérité. Elle les
a jetés dans cette ingratitude qui les a por-
tés à donner la mort à leur bienfaiteur.
Voilà par où ils se sont attiré l'effet de la
menace du Sauveur : Je m'en vais , rt vous
mourrez dans votre péché; et telle est la jus-
lice de Dieu dans sa conduite. Or nous n'a-
vons maintenant qu'à nous faire l'applica-
tion de tout ce que nous venons de dire des
Juifs, et nous serons persuadés que celui
qui veut vivre dans son poché mérite que
Dieu l'abandonne.
Le Sauveur du monde nous menace comme
il a menacé les Juifs , et il n'y a pas un de
nous, mes frères, à qui il soit arrive de tom-
ber dans le péché mortel une seule fois, qui
ne doive craindre par conséquent et écouter
en tremblant celte parole : Je ■»*«■ vais.
No.:s sommes donc menaces également, puis-
que celle menace nous regarde comme les
Juifs, ci plus que les Juifs : mais nous som-
mes menacés avec beaucoup plus de raison,
car le péché des chrétiens est bien plus graud
401 SERMON POUR LE LUNDI DE LA
que celui des Juifs. L'obstination des chré-
tiens est bien plus volontaire, et leur ingra-
titude est bien plus énorme. Les Juifs sont
abandonnés pour un moindre péché que ce-
lui des chrétiens ; il n'y a donc point de chré-
tien qui veuille vivre dans son péché, qui ne
; mérite que Dieu l'abandonne : cette consé-
quence est infaillible , puisque le péché du
chrétien est plus grand sans comparaison
que celui des Juifs.
Mais pour le prouver il n'y a qu'à faire
réflexion que nous sommes plus méchants
qu'eux , si nous ne les surpassons pas en- .
core : le crime redouble d'énormité à pro-
portion que celui qui le commet est dans un
état plus saint. Or toute justice vient de Jé-
sus-Christ : plus nous sommes unis à lui ,
plus nous devons être saints, le chrétien plus
que le juif, le religieux plus que le séculier,
le prêtre plus que celui qui n'est pas honoré
du sacerdoce. C'est pourquoi les saints nous {
ont dit tant de fois qu'il ne fallait pas regar-
der les fautes des chrétiens comme de simples
péchés, mais comme des crimes qui en renfer-
maient plusieurs autres. Tous les péchés qui;
corrompen ll'eprit, ceux qui sou illent le corps,,
ceux qui blessent la société établie par Jésus- ,
Christ parmi les hommes , ont donc des de-
grés d'iniquité dans les chrétiens qui les,
rendent bien plus énormes.
Un chrétien ne peut aimer le monde, ni sui-
vre les œuvres et les pompes de Satan, sans
tomber dans une espèce d'apostasie spiri- ;
tuelle contre la foi , parce qu'il renonce par '
son action au culte du vrai Dieu, qu'il avait ''
embrassé, pour servir le diable. C'est une;
espèce d'idolâtrie , puisque c'est rendre à lai
créature et au démon dans la créature l'hon-
neur qui n'est dû qu'à Dieu seul , en le lui •'
rendant contre ses propres lumières. Les!
chrétiens ne peuvent tomber dans des péchés
qui souillent le corps sans commettre une
espèce de sacrilège, parce que ces péchés :
violent la sainteté du sacrement de Jésus-
Christ, c'est-à-dire du baptême, et profanent \
le temple de Dieu. Ils ne peuvent commettre
de ces péchés de violence qui blessent la so- ;
ciété, sans attaquer celui qui en est l'auteur, •
sans l'aire des plaies aux membres du corps
mystique dont Jésus-Christ est le chef, sans
le blesser lui-même , puisqu'il dit en tant
d'endroits qu'il souffre dans la personne de ■
ses membres, et sans troubler la paix d'un
royaume que le Sauveur du monde a acquis
par son sang.
Enfin le chrétien ne commet point de crime
qui ne renferme un adultère, puisqu'il n'y a
point d'âme chrétienne qui ne soit devenue
l'épouse de Jesus-Christ par son baptême. Il
n'en commet point qui ne le rende un perfide
devant Dieu, puisqu'il manque à la parole
qu'il lui a donnée dans son baptême de mou-
rir plutôt que de violer le n oindre de ses
commandements. Quels sont donc les crimes
du chrétien , à considérer la sainteté de son
étal , son union à Jésus-Christ , ses engage-
in nls avec Dieu? Jugez-en, mes .frères, sur
celle règle, et voyez combien ses péchés sur-
DLUXIEME SEMAINE DE CAREME.
402
passent ceux des Juifs et quelle vengeance
Dieu en doil tirer.
Que dirons-nous maintenant de l'obstina-
tion avec laquelle le chrétien persévère dans
un état si déplorable , où il se jette par son
propre choix ? Nous dirons que son obsti-
nation est bien plus volontaire que celle des
Juifs.
En effet les Juifs ne connaissaient point
les mystères que Dieu voulait accomplir par
Jésus-Christ ; ils ne connaissaient pas même
absolument Jésus-Christ , ni pour le Fils de
Dieu, ni pour le Messie; c'esl ce que l'Apô-
tre nous fait entendre, quand il dit que s'ils
eussent connu cette sagesse, ils n'eussent ja-
mais crucifié le Seigneur de la gloire. Mais
pour nous, mes frères, nous connaissons les
mystères de cette sagesse cachée, nous con-
naissons Jésus-Christ, par qui Dieu les a ac-
complis, et nous savons de plus qu'ils n'ont
. été accomplis que pour nous.
Nous ne saurions donc alléguer l'igno-
irance pour nous excuser dans nos péchés ;
c'est la malice seule qui nous les fait com-
Imcttre, c'est la corruption de notre cœur qui
nous y engage; nous fermons les yeux aux
^lumières de la foK nous ne voulons point con-
naître les œuvres éclatantes de la Divinité,
!et nous sommes du nombre de ces malheu-
reux dont parle l'Apôtre, qui pèchent volon-
tairement après avoir reçu la connaissance
de la vérité , et pour qui il n'y a plus désor-
mais d'hostie pour les péchés : car rien n'ir-
rite Dieu davantage que l'ingratitude et le
mépris de la grâce reçue ; et pour compren-
dre jusqu'où la pousse le chrétien qui veut
[Vivre dans son péché, i! ne faut que suivre
H'Apôtre dans ce qu'il continue de nous dire
dans son Epître aux Hébreux. : Celui, dit-il,
qui viole la loi de Moïse est condamné sans
miséricorde à mort, sur la déposition de deux
ou trois témoins ; combien donc croyez-vous
que celui-là sera jugé digne d'un plus grand
châtiment qui aura foulé aux pieds le Fils de
Dieu, qui aura tenu pour vil et profane le
sang de l'alliance , par lequel il avait été
sanctifié, et qui aura fait outrage à l'esprit de
la grâce?
Je sais bien, mes frères, que, selon le sen-
timent de très-savants théologiens, ces paro-
les semblent ne se devoir entendre que de
l'aposlasie parfaite de la religion et de la
foi en Jésus-Christ, qui renferme form Ile-
ment toutes les profanations dont parle saint
Paul; mais , outre qu'il y a une espèce d'a-
postasie dans chaque péché mortel , comme
nous l'avons établi il n'y a qu'un mo-nent, il
est certain que le chrétien qui demeure dans
l'habitude du péché mortel , quand ce serait
même dans une certaine vue de n'y pas de-
meurer, de ne pas y vouloir persévérer jus-
qu'à la fin, cl avec espérant c d'en sortir dans
un certain temps , il est , dis-jc, certain que
ce chrétien tombe dans toutes les profana-
tions marquées par saint Paul.
Il foule aux pieds le Fils de Dieu, en mé-
prisant toute la vertu de son incarnation et
en s'opposant autant qu'il est en lui à l'ac-
complissement de ses grands desseins , qui
403
OltATElItS SACRES. D ,\| JEltOME.
il)*
regardent la gloire de bou Père, le talut de.,
nommes et le rétablissement de i'empin de
Dieu, qu'il a eu en, vue en se faisant homme.
Jl lient pour vil et profane le sang de l'al-
liance par lequel il avait été sanctifié , i n
méprisant le fruit de la mort de Jous-Christ,
qui n'a souffert que pour expier le pêche ;
en détruisant en lui-même la sanctification
d'' sou lime, opérée par le baptême dont elle
est l'ouvrage, ce que saint Paul appelle ex-
poser le Sauveur à l'ignominie ; et en lui im-
posant, autant qu'il est en lui, une nouvelle
nécessité de mourir, ce que saint Paul ap-
pelle crucifier de nouveau Jésus-Christ.
Enfin il fait outragé à l'esprit de la grâce, en
demeurant dans l'état du péché sous /espé-
rance de la trouver toujours, lorsque, après
avoir erré tout à loisir dans les v.,ics du
monde, après avoir satisfait les désirs déré-
glés de son cœur et contenté toutes ses pas-
sions , il lui plaiia de retourner à Dieu
comme au seul parti qui lui reste à prendre.
C'est là , mes frères , le plus grand outrage
qu'on puisse faire à l'esprit de la grâce; car
c'est se vouloir servir d'elle contre l'inten-
tion de celui qui en est l'auteur, qui nous l'a
méritée par sa mort, et qui ne nous la donne
que pour nous faire mourir au péché, en
voulant nous servir d'elle pour vivre dans
l'habitude du péché.
Que doit donc attendre un chrétien qui a
passé une grande partie de sa vie dans cet
état, et qui a poussé l'ingratitude envers
Dieu jusqu'à cet excès d'insolence ? L'apôtre
saint Paul nous le n. arque , dans son Epilre
aux Hébreux , par une comparaison dont
l'application nous devrait tous faire trem-
bler.
Quand une terre , dit cet apôtre, souvent
abreuvée des eaux de la pluie qui y tombe ,
ne produit que des ronces et des épines , elle
est eu aversion à son maitre, cHe est mena-
cée de sa malédiction, et à la fin il y met le
feu. Voilà, mes frères, le sort aussi bien que
la peinture de ce chrétien ingrat , et Dieu
veuille que ce ne soit pas celui de la plupart
de ceux qui m' écoutent I
Appelés à la connaissance du vrai Dieu
par sa miséricorde , régénérés par la grâce
de Jésus-Christ , sanctifiés par le baptême ,
instruits par l'Evangile , fortifiés par les sa-
crements, animes par les exemples, pressés
par les grâces intérieures, chrétiens ingrats,
reconnaissez-vous. Vous méprisez celui qui
vous a comhlés de biens , vous l'outragez
dans son sacrifice, dans sa parole , dans ses
sacrements, dans sa propre personne; chré-
tiens qui voulez vivre dans votre péché, re-
connaissez-vous dans cette image. Vous ne
produisez pour tous fruits des soins qu'il
prend de vous que l'ambition, l'impur. , .
l'injustice, Pinsensibililé, l'avarice, la médi-
sance; après cela n'esl-il pas juste que \
soyez abandonnes de celui <iue v u;s mépri-
sez avec lant d'insolence, et qu'il ne vous
fasse nulle miséricorde .' Aussi i sl-il certain
que comme vous avez mérité que 1) < u \>u>
a bandonue, parce que vous voulez vivredans
ie péché, le chrétien mourra infailliblement
dans s m péché s'il esi abandonné de Dieu :
I li seconde vérité renfermée dans les
paroles du Sauveur du monde, et la deuxième
partie de ce discours.
DEUXIÈME PA»TIK.
Je dis, mes frères, que celui que Dieu aban-
donne mourra dans son péché infailliblement,
et non pas nécessairement ; car nous ne ou-
naissuns pas des pécheurs en cette vie, quel-
que abandonnés qu'ils puissent j r qui
Dieu ne répande encore quelques grâces, et
imu-. n'en c< nnaissons point non plui dequi
la volonté soit dans une impuissance absolue
de correspondre aux bons mouvements et
aux lumières qui leur sont donnés ; mais
comme il n'y a qu'un mira» le dans l'ordre de
la grâce qui puisse retirer un homme de l'é-
tal déplorable par lequel il a mérité par ses
injustices que Dieu se relire de lui et qu'il
l'abandonne, nous ne devons pas nous y at-
tendre , et c'est une effroyable témérité que
de compter sur ce que Dieu ne nous a point
promis, quoiqu'il lui soit arrivé quelquefois
de le faire, par cette puissance extraordi-
naire qui n'agit pas souvent.
En elfet . Die i tient deux sortes de con-
duite dans l'ordre de la grâce , comme dans
celui de la naiure : il y a une conduite mira-
culeuse et extraordinaire dont il use envers
qui il lui plaît, et sans autre engagement que
celui de faire paraître sa puissance abs due
quand il veut ; il y a une conduite réglée et
ordinaire dont il use envers tous , à laquelle
il s'est comme lié par Tordre qu'il lui a plu
de mettre dans les différents êtres : ainsi ,
par exemple, il prend des pains dans le dé-
sert , il les multiplie dans ses mains , et il
nourrit d'une substance qu'il produit par sa
seule vertu une multitude de peuple qui l'a-
vait suivi ; voilà un effet de cette conduite
miraculeuse.
De même, en un sens , il nourrit tous les
hommes comme il a nourri ce peuple; mais
il les nourrit du fruit de leurs travaux, el des
semences qu'ils ont répandues sur la terre
il en produit des moissons qui fournis») ni
régulièrement à tous leurs besoins : voilà
un effet deceite conduite ordinaire et réglée.
Dans l'ordre de la grâce, il convertit Saul
en un moment, et d'un persécuteur il en lait
un apôtre ; il change le cœur d'un larron à
l'extrémité de sa \ie, et d'un scélérat il eu
fait un saint: voilà un effet de va conduite
extraordinaire et miraculeuse, dont il use
quand il veut , envers qui il lui plaîi.
Dans la conduite ordinaire il verse la grâce
dans le cœur du chrétien , comme un
mence divine qu'il doit cultiver par ses soins :
il faut que par cette grâce il combatte ce qui
s'oppose en lui à l'établissement du règne de
Dieu ; il faut que par une j remière Victoire
il se rende di ne d'un nouveau secours qui
lui en l'as e remporter une plus gr nde , et
qu'ainsi . de misant ja-u à peu les ennen is
du repue de Dieu , il le rende le malin
soin de s<i ii , rjpur.
i 'est sur celle dernière idée de la conduite
de Dieu qu'un doit dire, mes frères, que celui
m
SERMON POUR LE LUNDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DE CAREME.
406
qui l';i forcé de l'abandonner en voulant
vivre dans son péché monrra infailliblement
dans le péché, et en voici la raison : il s'est
non-seulement fortifié par les obstacles qui
s'opposaient à sa conversion , mais il a en-
core affaibli tous les secours qui la pou-
vaient opérer. H faut donc qu'il périsse in-
failliblement dans le péché. Ce qui n'eût
peut-être été d'abord qu'un effet de la fai-
blesse de l'homme est devenu dans la suite
un ouvrage de sa malignité et un choix libre
et volontaire de sa corruption. Ce péché est
devenu une habitude par l'amour déterminé
de son objet ; cette habitude s'est comme
changée en la nature même de l'homme.
C'est ce que saint Augustin nous explique
si bien, lorsqu'il dit que , les péchés crois-
sant toujours, on tombe dans des crimes qui
s'accumulent si fort, qu'ils submergent l'âme,
etqu'alors l'homme se trouve dans une néces-
sité inévitable de pécher. D'ailleurs le dé-
mon , qui ne l'attaquait d'abord que comme
ennemi, le domine ensuite en vainqueur et
le menace comme un esclave.
Que fait un homme en effet qui vit et qui
persévère dans le mal , sinon de former une
prison à sa propre conscience, en sorte qu'il
est comme enfermé dans la corruption de son
cœur qui le presse? et c'est ainsi que cet
homme travaille à sa perte en fortifiant tous
les obstacles qui s'opposent à sa conversion,
et si Dieu par un juste jugement l'ayant
abandonné à son iniquité et à son propre
aveuglement, il s'est renfermé dans lui-même
comme dans une prison , assurez-vous qu'il
n'en sortira plus, parce qu'il est indigne de
la grâce qui lui ferait trouver des moyens
de se délivrer, et qu'il a affaibli, par un effet
du même aveuglement et de la même iniquité,
le reste des secours que Dieu lui donne.
La beauté de la vertu ni la difformité du
vice qu'il entrevoit encore ne le touchent
point, tfes passions lui font également ap-
préhender la pratique de l'un et la privation
de l'autre ; il s'élève contre les instructions
qu'on lui donne, il rend inutiles les remèdes
que Dieu a établis dans son Eglise, il ne pro-
fite point des afflictions que Dieu lui envoie
pour se faire connaître à lui-même, par la
considération de sa faiblesse et de sa mort
même ; il n'est point effrayé par la crainte
des jugements de Dieu , dont l'idée frappe
encore; son esprit; il combat cette crainte,
comme une timidité honteuse et capable
d'ailleurs de troubler son repos ; il ferme l'o-
reille à la paro.e de Dieu qu'il vient en-
tendre, il méprise les conseils qu'on lui
donne, il s'en lit nt aux maximes pernicieuses
du monde corrompu , pour lesquelles il s'est
déclare, et la crainte qu'on lui reproche
Qu'il n'est pas ferme dans ses principes lui
fail rejeter avec affectation tout ce qui semble
les combattre.
Les fléaux, les disgrâces, les perles, les af-
flictions que Dieu lui envoie pour le dégoû-
ter tiu monde, ne servent quâ L'y engager
davantage ou à le rendre plu> criminel ; car
ou il l'abandonne à des blasphèmes, ou il
s'anime à la vengeance, ou il cherche des
moyens d'adoucir ses chagrins par de nou-
veaux crimes et de réparer ses pertes par de
nouvelles injustices. Il méprise la prière , il
rejette toutes les bonnes œuvres ; comme il
est sans pitié pour lui-même, il est sans mi-
séricorde pour les autres, et il mérite que
Dieu n'en ait plus pour lui.
Ainsi, mes frères , ce malheureux affaiblit
tellement tous les secours que Dieu lui donne
encore pour l'exciter à faire ce qu'il pour-
rail et pour le préparer à en recevoir de plus
forts, qu'enfin, si nous ne disons pas qu'il
n'en reçoit plus absolument, ils sont si ra-
res , ils sont si faibles , ils sont si languis-
sants, qu'avec de tels secours il mourra in-
failliblement dans son péché ; car, pour bri-
ser les chaînes dont il s'est chargé, pour dé-
truire la prison où il s'est renfermé lui-
même , il faudrait que Dieu sortît de cette
conduite ordinaire et réglée à laquelle il lui
a plu de se lier; et par où ce malheureux
peut-il prétendre que Dieu le fera pour lui?
ou plutôt que u'a-t-il pas fait pour s'en ren-
dre indigne ?
Réunissons toutes les vérités que nous
avons exposées dans ce discours, et con-
cluons qu'il n'y a rien de si juste que cet
éloignement de Dieu et les suites terribles
de cet éloignement. Vous voulez vivre dans
votre péché, qui est mille fois plus énorme
que celui des Juifs; il s'est éloigné d'eux, il
s'éloignera de vous; ils sont morts dans leurs
péchés, vous mourrez donc dans le vôtre.
Ce que Dieu fait pour vous inviter à la pé-
nitence ne sert qu'à vous retenir dans vos
désordres; sa bonté même l'obligera donc un
jour à vous punir : car comme ceux qui use-
ront bien des richesses de sa bonté trou-
veront leur salut dans sa patience, ceux au
contraire qui en abuseront y trouveront un
redoublement de supplices.
11 est vrai , mes frères, que Dieu est bon ;
mais si nous abusons de sa patience, ce sera
celte patience même qui nous punira, et rien
ne justifie plus la conduite de Dieu dans l'a-
bandounement du chrétien. Car qu'anïve-
t-il lorsqueDieu nous supporte dans nos ini-
quités et qu'il ne nous châtie pas selon nos
crimes? Il arrive, dit saint Pau! , que nous
nous amassons un trésor de colore pour le
jour de la manifestation du juste jugement de
Dieu : trésor de colère, au reste , où il ré-
serve tous les effets de son indignation et
tous les châtiments que vous ave/ mérités'
par vos péchés. En effet , pbuvez-vous croire
que tant de crimes puissent demeurer im-
punis ? Il les réserve dans ses trésors , e(
comme les richesses qu'on réserve sont ca-
chées, les châtiments sont cachés sous cette
patience méprisée. Il ne punit pas, il souffre,
et c'est ce qui nous trompe ; car ce trésor sera
ouvert en un moment, et tout cela par. îlra
Prenez garde que saint Paul n'appelle pas
sans sujet un trésor de colère celte patience
méprisée; cela veut dire que, comme les tré-
sors sont ordin ircment cachés, cette eot t
de Dieu est cachée sous cette patience aux
yeux de l'impénitent qui les ferme, pour ne
pas connaître celui qui ne le châtie point, et
407
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
«IX
qui néanmoins ne châlic jamais d'une ma-
Dière plus terrible et plu> redoutable que
quand il affecte (le ne point châtier. Compre-
nez bien ceci, mes frères : l'endurcissement
du cœur du pécheur ne se fait point par la
puissance de Dieu, mais il se l'orme au con-
traire par son indulgence et par la grande
douceur dont il agit envers les pécheurs :
ainsi, quand il dit dans l'Ecriture qu'il a en-
durci Pharaon, c'a été par sa patience.
En effet, quand Dieu l'a frappé de quel-
ques plaies, il s'est repenti dans le moment,
au lieu que quand il recevait de sa part
un traitement plus favorable, il s'enflait d'or-
gueil.
Mais peut-être me direz-vous : Pourquoi
l'a— t— il endurci? 11 l'a fait, vous répondrai-je,
parce que Pharaon, par la multitude de ses
péchés, a mérité d'être châtié, non comme
un enfant, pour sa propre correction, mais
d'élre endurci pour sa perte, comme un eu-
nemi.
Voilà, mes frères, ce qui nous arrive :
nous avons méprisé les grâces de Dieu, nous
avons fermé notre cœur à toutes les voies
différentes dont il s'est servi pour nous ap-
peler à lui. Ni ses faveurs, ni ses châtiments
ne nous ont point touchés-, ingrats dans les
biens qu'il lui a plu de nous faire, impatients
dans les disgrâces dont il a voulu se servir
pour nous uétacherdu monde et nous rame-
ner à lui, il nous abandonne à nous-mêmes,
et nous laisse remplir ce trésor de colère
que uous ne voyons pas à présent, parce que
nous vivons dans la fausse joie que nos pas-
sions nous donnent, mais qui paraîtra telle
qu'elle est au jour de sa colère et de la ma-
nifestation de son juste jugement.
Vous voyez tousles jours que lorsque vous
traitez trop doucement vos propres enfants,
et que vous leur pardonnez autant de fois
qu'ils font des fautes, ils deviennent par
celte indulgence tellement insupportables,
que vous êtes contraints de leur en Taire des
reproches et de leur dire : C'est moi qui vous
ai fait ce que vous êtes ; malheureux, si je
ne vous avais pas traités avec tant de dou-
ceur, vous ne seriez pas devenus si inso-
lents ; c'est la faute que j'ai faite dont je porte
la peine.
Or, mes frères, vous leur parlez de cette
sorte, non pour leur dire que vous soyez
l'auteur deleur malice, ou que vous leur ayez
inspiré cet orgueil qu'ils font paraître dans
leurs réponses pleines d'arrogance , mais
parce qu'ils se sont endurcis en abusant de
la grande bonté et du trop d'indulgence que
vous avez eu pour eux. C'est ainsi que Dieu
en use avec nous. Moins il nous châtie quand
nous sommes pécheurs, et plus nous devons
craindre sa patience ; c'esi la plus grande
punition qu'il nous puisse fairo ressentir :
et si nous prospérons en vivant dans le
crime, c'est une preuve presque certaine que
nous mourrons dans noire péché.
Quelles conséquences tirerons-nous de
l'exposition de ces vérités si terribles, mais
si certaines ? Les voici, mes frères. Trem-
blons tous faut que nous sommes , si nous
avons commis un seul péché mortel ,
puisqu'il n'en faut pas davantage pour nous
perdre éternellement : car enlin considérez
la mesure des péchés de ceux que Dieu par
sa miséricorde a élevés à un état plus saint
et plus relevé que celui des autres. L'ange
et le premier homme sont des exemples qui
devraient faire frémir. 11 n'y a rien de plus
saint que l'état d'un chrétien, et rien par
conséquent qui mérite tant les effets de la
colère de Dieu, que la profanation de cet état
si élevé.
Si depuis longtemps nous vivons dans
l'habitude du péché, quelle doit donc être
notre frayeur ! car nous n'avons nul droit à
la grâce de Dieu, il ne nous doit rien que la
damnation, et mourant dans cet état nous
mourrons dans notre péché.
Que celui qui a confessé son péché n'y re-
tourne donc plus; qu'il espère que Dieu lui
a pardonné, s'il unit la pratique de toutes
les bonnes œuvres avec un cœur vivement
contrit; mais que ceux qui ne fonl point pé-
nitence, qui vivent dans la joie, que Dieu
n'afflige point, sentent que cette prospérité
est à craindre et qu'elle est bien dangereuse.
Dieu est juste, le péché doit être puni ; s'il
ne l'est point en cette vie , il le sera en
l'autre.
Recourons donc sans délai , mes frères, à
la miséricorde de Dieu ; ne nous servons pas
de la patience qu'il a eue jusqu'ici pour per-
sévérer dans nos crimes ; mais servons-nous-
en pour retourner à lui et pour trouver no-
tre salut dans sa bonté ; songeons à faire
pénitence et à nous châtier nous-mêmes, de
peur que le défaut de ces châtiments ne soit
une marque de sa colère et de notre répro-
bation. Défions-nous de la prospérité du
monde ; troublons-la par les larmes de la
pénitence ; craignons ce que dit saint Jérô-
me, que cette dangereuse tranquillité ue
soit un indice de la plus horrible tempête.
Servons-nous îles moyens communs et géné-
raux que Dieu nous laisse pour la détour-
ner, en rappelant sa grâce et son amour.
Pleurons, jeûnons, prions, achetons la mi-
séricorde par celle que nous ferons aux mi-
sérables. EnOn. n'oublions rien pour empê-
cher que Dieu ne nous abandonne, et ne né-
gligeons rien pour recouvrer sa grâce : c'est
ce que je vous souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
TOIR LE MAR01 DE LA DEUXIÈME SEMAINE
DE CARÉMI .
Sur le malheur de l'état des riches selon te
monde qui jouissent de leur abondance.
Homo quidam eratdives, et eral quidam mendicus Do-
mine. Latarus.
Il i/ avait un lu mine riche; il y avait atusi wi pauvre ap-
pels ïa:u>r [Luc., Ml, 19,
L'évangile que l'Eglise nous proposera
dans peu de jours et dont je prends mon
texte, nous présente, mes frères, deux ob-
jets : un riche cl un pauvre, un pécheur et
un juste ; l'un dans l'abondance , l'autre
dans une extrême nécessité; l'un dans les dé-
lices, l'autre dans les souffrances; l'un daus
409
SERMON POUR LE MARDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DE CAREME.
410
l'enfer après sa mort, et l'autre dans le sein
d'Abraham.
Ces objets si différents, la disposition si
opposée de ce pécheur et de ce juste, la con-
duite si extraordinaire que la Providence
tient à leur égard, ce jugement si terrible
rendu contre le riche, la fin si heureuse du
pauvre, tout cela, mes frères, nous fournit
une ample matière. Il faut essayer de la ré-
duire à un certain point qui renferme tout
ce qui est contenu dans cet évangile, et qui
nous conduise à la fin qu'il paraît que ie
Sauveur du monde s'est proposée. Or, mes
frères, il me semble que le Sauveur nenous
a tracé l'histoire des péchés de ce riche, et
celle de la justice de ce pauvre, que pour
nous mettre dans l'état où saint Paul dit que
la miséricorde divine l'avait mis : Je sais vi-
vre pauvrement , je sais vivre dans l'abon-
dance, disait-il. 11 faut donc, en exposant cet
évangile, apprendre à ceux qui sont dans la
prospérité le moyen de ne pas s'y perdre
comme ce mauvais riche, et donner quelque
consolation à ceux qui sont dans la misère
et dans l'affliction.
Dans ce discours nous établirons les véri-
tés qui nous donneront une idée du danger
que courent les pécheurs dans la prospérité
parcelle du mauvais riche : première partie ;
dans la seconde, nous appliquerons ces vé-
rités, quelque tristes qu'elles soient pour
les riches, afin de les instruire ou au moins
de les confondre dans leur malheureuse
prospérité : seconde partie. Dans l'une et
dans l'autre le pauvre trouvera des motifs
de se consoler dans ses afflictions par l'espé-
rance du bonheur que la pauvreté a mérité
au Lazare. C'estlamatièrede votre attention,
demandons les lumières du ciel..4ve , Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour nous donner une juste idée de l'état
des pécheurs dans la prospérité, sur celle de
ce mauvais riche de l'Evangile, qui puisse
Consoler les justes dans leurs afflictions et
leur faire porter avec patience les épreuves
ou il plaît à Dieu de les mettre, il est néces-
saire d'établir quatre importantes vérités qui
nous serviront de règles pour juger de cet
état, et nous en verrons des preuves dans
le riche de l'Evangile.
1° Toute l'Ecriture est pleine d'expressions
qui forment des préjugés funestes contre
1 état des riches et contre la prospérité de
celte vie ; 2° le fondement de ces préjugés
est établi sur la difficulté réelle de faire son
salut dans la prospérité et dans l'état des
riches; 31 la preuve de celle difficulté se
tire des crimes ordinaires et presque inévi-
tables où tombent les riches, et où la prospé-
rité les jette; k" souvent Dieu punit ces
crimes dès cette vie, ou s'il en réserve les
châtiments pour l'autre, sa justice prépare
des supplices éternels à ceux qui ont abusé
de leur prospérité cl de leurs richesses.
Etablissons, mes frères, ces quatre véri-
tés, et ensuite nous dirons ce que c'est que
cet état des riches si agréable aux sens, si
recherché des hommes avec tant d'ardeur,
si périlleux, si méprisable en lui-même, et
quelle doit être la consolation des justes,
lorsqu'au milieu de leurs afflictions ils consi-
dèrent cet état dans les vues de la foi.
Je commence par la première vérité, et je
dis que l'Ecriture est pleine d'expressions
qui forment des préjugés funestes contre
l'état des riches et contre la prospérité de
cette vie. C'est déjà assurément un puissant
préjugé contre cet état, que les richesses et
les biens temporels qui en font l'avantage se
trouvent entre les mains des méchants. C'est
une marque de leur peu de valeur, et que
Dieu ne les estime guère, puisqu'il les donne
à ses ennemis. 11 nous a comblés en Jésus-
Christ de toutes sortes de biens spirituels
pour le ciel, il n'est point parlé de grâces
temporelles, elles sont d'ordinaire abandon-
nées aux réprouvés : étrange préjugé si nous
avions la foi. Il n'y a que les biens spirituels,
les biens célestes et les biens éternels, qui
soient le partage des élus et des prédestinés.
C'est un grand préjugé contre cet état des
richesses, que le Fils de Dieu venant au
monde ne l'ait pas choisi : Vous savez quelle
a été la bonté de Noire-Seigneur Jésus-Christ,
dit saint Paul, qui étant riche s'est rendu
pauvre pour l'amour de nous; terrible préjugé
contre la prospérité du monde 1 Dominus, qui
in nullis divitiis invenitur, semper pauperes
justificat , divites prœdamnat : Jésus-Christ
prend partout le parti des pauvres, et il est
toujours disposé à condamner les riches.
Ce n'est pas, mes frères, que l'étal des
riches soit pernicieux absolument par lui-
même. A Dieu ne plaise que nous parlions
ainsi 1 car ce pauvre qui est enlevé par les
anges après sa mort est porté dans le sein
d'Abraham, comme dans le lieu de repos. Or
Abraham était un homme riche. Ce ne sont
donc pas les richesses qu'on blâme précisé-
ment. Lazare est riche en Dieu comme
Abraham, dit saint Augustin, et Abraham
est pauvre comme Lazare, de cœur et de vo-
lonté. Dieu ne rejette pas les puissants, dit
Job, étant puissant lui-même ; la puissance
et les richesses viennent de lui, et elles sont
bonnes dans leur principe; mais la corrup-
tion de notre cœur en lait une source de dés-
ordres, et c'est, mes frères, celte malice et
celte corruption du cœur qui attirent la ma-
lédiction de Dieu, et qui l'obligent à se servir
d'expressions qui forment des préjugés si fu-
nestes contre l'état des riches et contre la
prospérité temporelle de cette vie. Malheur à
vous, riches, parce que vous avez votre con-
solution! Malheur à vous, qui êtes rassasiés!
Malheur à vous, qui riez maintenant ! Malheur
à vous, lorsque les hommes diront du bien de
vous! C'est ainsi que parle l'Ecriture.
Mais, mes frères, voyons quel est le fon-
dement de ces préjugés, et pourquoi l'Ecri-
ture se sert de semblables expressions en
parlant des riches et de ceux qui vivent dans
la prospérité du siècle. C'est qu'il y a de très-
réelles, de très-grandes et de très-etonnantes
difficultés pour faire son salut dans cel état :
c'est ma seconde vérité.
Voici comme parle l'Ecriture : // est bien
l\\
ORATF.I'RS SACRES. DCM JEROMI ,
411
difficile qu'un riche entre d ns le roijanme du
ciel, j* i mis le dis encore une foi", il est otite
aisé qu'un chant> un passe par le trou du g
aiguille, qu'un riche entre dan< le royaume de
Dteu. VA dans un autre endroit qui prouve
cette vérité par un exemple : Un jeune
homme s'approche du Sauveur du monde, <t
lui demande : Quel bien faut-il que je fus >■
pour acquérir la vie éternelle? Jésus-t hrist
lui répondit : Gardez les commandements.
Mais, Seigneur, lui répondit ce jeune homme,
je les ai gardés tous dès ma jeunesse; que me
rcste-t-il encore à faire '.' Jésus lui dit : Si vous
voulez être parfait, allez, vemlez ce que vous
avez, et donnez-le aux pauvres. Ce jeune
homme à ces paroles s'en alla triste , parce
qu'il avait de grands biens.
Considérez, mes frères, les dispositions de
oe jeune homme, et vous verrez quel est
l'obstacle que les richesses apportent au
salut et à la perfection. Il avait gardé les
commandements de Dieu, et vécu dans une
espèce de justice qui fait dire à l'evangé-
liste saint Marc que Jésus-Christ, jetant la
vue sur lui, l'aima. Il désirait d'arriver à la
vie éternelle, il se met en devoir d'en ap-
prendre le chemin, il s'adresse à celui qui
pouvait le lai enseigner, et il n'est parlé que
de lui qui soit venu à Jésus-Christ pour lui
faire une telle demande, et qui ne fût conduit
par aurun autre motif que par celui du salut.
Cependant l'amour de ses richesses l'emporte
sur toutes ses bonnes dispositions et les rend
inutiles. Ah! mes frères, que les richesses
forment un grand obstacle au salut! Mais
d'où vient cette difficulté du salut dans les
richesses? le voici.
L'amour déréglé de l'homme fait, ou qu'il
se lie à ses biens pour le plaisir, ou qu'il lie
ses biens à lui par orgueil et par ambition.
L'homme s'aim" et cherche à se satisfaire
dans cet amour par la jouissance des créa-
tures, c'est-à-dire de tous les biens qui peu-
vent contenter son avarice, son ambition, sa
volupté; c'est là son péché et la source de ^a
damnation : car il doit aimer Dieu plus que
toutes choses, et rapporter l'usage de tout à
sa gloire; de sorte qu'on doit juger des | é-
rils d'un étal pour le salut à proportion
qu'il fournit plus ou moins de moyens de sa-
tisfaire cet amour, et c'est par là que celui
des richesses est si dangereux; car, nous
rendant maîtres des biens de la terre, il
soumet toutes les créatures à nos désirs.
Toutes choses, dit le Sage, obéissent à l'ar-
gent, parce qu'il donne à c lui qui le possède
un pouvoir général de satisfaire ses pas-
sions. C'est là véritablement le Dieu du siècle
que toutes les créatures adorent, à qui per-
sonne ne résiste, et sous l'empire duquel
tout le monde se soumet aveuglement. Si
donc vous unissez un grand amour de soi-
méme, tel qu'il est dans l'homme , et de
grands moyens de se satisfaire, tels que les
richesses les fournissent, vous formerez de
très-grandes difficultés pour le salut.
Reprenons la comparai ton dont le Sauveur
du monde s'est servi pour nous faire cotrt-
nrendre la difficulté du salut dans l'et.il des
riclic-, et cx| liqunns-la pour vous faire en-
t'cr dam < ■ lie importante vérité. Il non- dit
qu'il est plus aise qu'un «ha 'au passe \ r
le trou d'une aiguiÛe, qu'un riche entre .1
le royaume de Dieu ; c Ysl-a-dire, que c'est
un miracle de 1 1 gr& e de lésas-Christ,
nous devons attendre de celui iam qui n
ne | ou vous rien pour notre salut; ei 1
qui doit consoler les buriibb- et confondre
les orgueilleux. Plusieurs traduisent le mot
de chaîne iu par celui de câble, mais le sens
de la comparaison est toujours le même,
un câble est un cordage compose d'un très-
grand nombre de lils, qui, tournés les uns sur
ies autres, forment un corps dur et <-olide.
Représentez-vous donc, mes tr i-ehers
frères, l'image d'un riche : c'est un chrétien
qui ne devrait que passer légèrement sur la
mer, mah qu'une infinité de passion», il en-
gagements, d'occupations, de désirs, de pro-
jets et de vues, lient et attachent à la terre,
rendent coupable et éloignent du salut; car
il est constant, dit saint Augustin, que les
riches sont exposés à plus de péchés, étant
plus engagés dans les affaires, dans les p
sirs, dans les emplois du monde, ayant l'ad-
ministration et la dispensationde plus grands
biens. Par là il est aisé de comprendr q
y contractent plus de péchés: voilà leur état,
et voici la difficulté du salut dans cet état.
En effet, il n'est pas absolument impos-
sible qu'un câble passe par le trou d'une
aiguille; mais prenez garde qu'il n'y a qu'un
moyen pour y réussir, c'est de désunir et de
séparer toutes les petites ficelles qui le com-
posent, et de le réduire à un étal de simpli-
cité et de petitesse proportionnée à l'espace
par lequel on veut le faire passer, ce qui est
assurément un travail long et difficile, et
même le câble cesse proprement d'être ce
qu'il était.
Or, mes frères, quelle étonnante difficulté
quand il s'agit de rompre les liaisons d'un
riche avec les créatures, ces engagements à
la terre, ces désirs pour le bien, l'amour dé-
réglé de lui-même, rattachement à sa for-
tune, pour le réduire à la simplicité des
pauvres d'esprit, n'aimant plus son bien que
par rapport a Dieu, le regardant comme un
dépôt dont il doit rendre compte, étouffant
tous ses désirs au lieu de les multiplier, et
ne mettant à ses désirs d'autre mesure que
la pure nécessité de son état dans l'usage
qu'il en doit faire! car sans cela il ne peut
entrer dans le royaume de Dieu, comme le
câble dans sa grosseur ne peut p isser par le
trou de l'aiguille. Lire riche, mon Dieu]
quelle difficulté pour le salut! Mais on ne se
contente pas d'être criminel par la seule pos-
session de ses richesses, la prospérité ictte
dans des crimes presque inévitables, et c'est
la troisième vérit" dont je dois vous parler :
a oici comme je l'établis.
L'Apôtre dit dans son Epltre a Timothée
que cruT qui veu eut d venir riches loml ■ t
dans la tentation et dam du diab e,
ci se' livrent à divers déêirê inutiles et perni-
cieux qui ]>rt cipilent les hommes dans l'abime
4r
SERMON POUR LE MARDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DE CAREME.
AU
déperdition; sur quoi, mes frères, je raisonne
ainsi: S'il est vrai que le seul désir des riches-
ses est unegrandetentation etun piégedu dia-
ble qui en fait tomber plusieurs dans la per-
dition, que doit-il arriver quand on les pos-
sédera avec cet amour déréglé qui en rend le
seul désir criminel ? On ne les désire que
dans la vue de se satisfaire; on se satisfera
donc indubitablement quand on les possédera;
aussi voyons-nous que l'Evangile ne met
point de différence entre être riche de cette
manière et être pécheur réellement. 11 ne
faut point aller chercher d'autres crimes des
riches que ceux que.Iésus-Christ allègue pour
la condamnationdecelui dontil cstparlé dans
l'Evat gile. Il était riche, voilà son crime,
c'est-à-dire, il a aimé ses richesses d'un
amour déréglé ; il était riche dans le cœur.
Or, qui peut douler que ce ne soit là un pé-
ché, puisque cette disposition est opposée à
l'esprit de la religion ? premier péché du ri-
che, le repos dans ses richesses.
En effet, mes frères, pouvez-vous bien com-
prendre qu'ayant un Sauveur, en la personne
de Jésus-Christ, qui nous a rachetés parle
dépouillement de toutes choses et par uneex-
trême pauvreté , nous puissions prétendre
au salut sans nulle pratique de pauvreté?
Cela est-il possible? 11 y a donc nécessai-
rement une pauvreté qui convient à tout
chrétien et qui est nécessaire pour le sa-
lut. Mais quelle est cette pauvreté? Ce n'est
pas celle qui réduit l'homme à la nécessité,
comme les misérables ; ce n'est pas celle
qui le réduit au dépouillement et à la dé-
sappmpriation , comme les religieux ; m lis
c'est celle qui réduit le chrétien à ne point
désirer les richesses quand il en manque et
qu'il a !e nécessaire, ou à ne les point aimer
quand il les po sède ; c'est celle que nous ap-
pelons pauvreté d'esprit, qui consiste à ai-
mer la privation des riches-es en vue de son
salut, et à n'en point aimer la possession;
sans cela il n'y a point de salut.
Le royaume de Dieu n'est promis qu'aux
pauvres d'esprit, et on ne peut assez répéter
cette vérité aux riches, afin qu'ils ne se
trompent point et qu'on ne les abuse pas.
Le câble ne passe point par le trou de l'ai-
guille, ni le riche n'entre point dans le ciel;
non pas qu'on ne puisse y entrer en possédant
les richesses, mais il y faut entrer par la
pauvreté. 11 est difficile d'être pauvre de cette
manière dans les richesses, et d'aimer la pau-
vreté dans l'abondance. Cette disposition est
très-rare, c'est une grande grâce de Jésus-
Christ.
Ainsi, riches, prenez-y garde : vous serez
coupahlesdu premiercrimedu mauvais riche,
si vous aimez vos richesses et si l'amour de
la pauvreté n'est pas dans votre cœur. Sur-
tout ne croyez jamais qu'il y soit, tant que
vous chercherez avec inquiétude à multi-
plier vos biens, tant que vous ne songerez
qu'à augmenter voire fortune, tant que vous
ne vous appliquerez <|u'à accumuler terre
sur terre, maisons sur maisons, contrais sur
contrats. Comment peut-on croire que vous
n'aimez point ce que. vous poursuivez, je ne
dis pas par des voies injustes, mais par des
empressements indignes d'un chrétien ? Com-
menlcroira-t-on que vous aimez ce que vous
évitez par toutes sortes desoins, je veux
dire, cette pauvreté, dont le seul nom nous
fait trembler?
Cet amour des richesses engendre bientôt
un second crime que l'Evangile reproche au
mauvais riche : c'est le mauvais usage ries
richesses, car dès qu'on les aime d'un amour
déréglé, on ne s'en sert d'ordinaire que cri-
minellement. La raison en est évidente, l'a-
mour réglé des richesses étant un amour qui
vient de Dieu, on en rapporte presque tou-
jours l'usage à Dieu; comme au contraire
l'amour déréglé des richesses étant un
amour qui vient de nous, c'est-à-dire de l'a-
mour de nous-mêmes, l'usage n'en est com-
munément réglé que par notre cupidité, qui
les emploie à satisfaire les désirs déréglés de
notre cœur et à contenter nos passions.
Vous voyez, mes frères, quel est l'usage
que ce riche fait de ses biens : il était vêtu de
pourpre et de lin, et il se traitait magnifique-
ment tous les jours. Mais est-ce là un péché?
Oui, mes frères, vous ne sauriez en douter,
puisqu'il est condamné pour cela, puisque
saint l'aul ordonne aux riches de n'être point
orgueilleux, puisque saint Jacques leur dit:
Vous avez vécu sur la terre dans les délices
et dans le luxe, vous vous êtes engraissés
comme des victimes préparées pour le jour du
sacrifice. Il suffit donc rie vivre dans la bonne
chère et dans le luxe, pour se rendre une
victime éternelle de la justice de Dieu.
Mais c'était son bien qu'il mangeait, et
que deviendront ceux qui volent celui d'au-
tiui, ceux qui entretiennent leur luxe aux
dépens de leurs créanciers ? où sera leur
ressource, si celui-ci est damné, quoiqu'il
n'ait mangé que son bien? Oui, mes frères,
ce n'était que son bien qu'il mangeait, et
voici une vérité que vous ne voulez pas com-
prendre et qui damnera presque tous les ri-
ches : c'est que vos richesses ne sont pas des
titres pour augmenter vos dépenses, mais ce
sont des obligations réelles et indispensables
de- multiplier vos bonnes œuvres; de sorte
que dans des conditions qui sont égales,
unies à des richesses qui ne le sont point,
l'esprit du christianisme ne. veut pas que les
dépenses soient inégales. 11 est permis à la
vérité, mes frères, et il est juste d'observer
une bienséance dans son état ; mais cette
bienséance doit être réglée, non pas par la
quantité des biens, non par notre <upidité,
mais par l'esprit du christianisme; non par
les méchantes maximes du siècle, mais par
les règles de l'Evangile; non par l'exemple
des hommes emportés par la vanité et pur
l'amour d'eux-mêmes, mais par celui des
gens de notre condition qui sont modérés et
chrétiens. Car si on suit d'autres règles, et
qu'il soit permis d'égaler ses dépenses à son
bien, on tombera dans le troisième crime du
m lirais riche, qui est l'oubli du pauvre et
l'insensibilité pour sa misère. Ah! mes Irères,
ce péché est bien plus grand qu'on ne se
l'imagine. La cupidité nous en cache Ténor-
4M ORATEURS SACRES. DON JEROME-
«nité, parce qu'il est commun, et peut-être,
bien loin de l'avoir en horreur, vous ne le
regardez pas même comme un péché. Or
cet oubli du pauvre renferme trois choses;
écoulez-les, riches de la terre.
La première, c'est le violement d'un pré-
cepte qui vous regarde, et dont l'observation
est essentielle dans votre étal. Le nécessaire
est ,i vous, mais il y a obligation de donner
le superflu aux. pauvres. C'est un précepte
bien formel dans l'Ecriture, et ce sera un
des principaux articles sur lesquels les chré-
liens seront jugés, et c'est une vérité de foi.
Dieu dit à son peuple dans le Deuléro-
nome : // ne se trouvera parmi vous aucun
pauvre, ni aucun mendiant, afin que le Sei-
gneur votre Dieu vous bénisse. Si chacun
donnait ce qu'il peut donner, et qu'on se
rendît justice, il n'y en aurait point parmi
vous; car Dieu, qui a pourvu à tout, a ré-
pandu sur la lerre autant de bien qu'il en
faut pour la subsistance des hommes, mais
les uns se l'approprient au préjudice des
autres.
La doctrine de l'Ancien Testament se
trouve confirmée dans le Nouveau ; car
comme c'est le même Dieu qui est l'auteurde
l'un et de l'autre, il a établi la chai ité dans
tous les deux. Ainsi il dit en saint Luc :
Donnez l'aumône de ce que vous avez de su-
perflu. Ordonnez aux riches, dit saint Paul,
d'être charitables et bienfaisants. Voilà ce
qu'on leur prescrit, non par des lois tempo-
relles qui peuvent changer, mais par des lois
fixes, invariables et éternelles. C'est donc
un grand péché que de les violer. N'en dou-
tez pas, riches du monde, car c'est une in-
justice et un larcin que vous faites aux pau-
vres si vous y manquez.
La seconde chose renfermée dans ce pé-
ché, c'est que vos biens ne sont point à vous,
dit Job : ils appartiennent à Dieu. H y a une
pauvreté essentielle à la créature, qui la
suit au milieu des plus grandes richesses,
et elle consiste en ce que tout ce que vous
croyez posséder ne peut vous appartenir
souverainement. Dieu y a un droit inaliéna-
ble, par lequel il nous les Ole quand il lui
plaît; et ce qui est bien plus considérable,
il nous ôle nous-mêmes à ces biens, en nous
retirant la vie quand il le veut. Or, mes frè-
res, en vertu de ce droit, il a assigné l'entre-
tien du pauvre, qui est son enfant comme
nous, sur le superflu du bien dont il uous a
rendus les possesseurs, de sorte que quand
vous le lui refusez, c'est un larcin que vous
lui faites.
C'est pourquoi saint l'aul, recommandant
aux riches d'assister les pauvres, se sert
d'un terme qui veut dire partager. Oui, le
superflu de notre bien est la part du pauvre,
dont nous ne sommes que les dépositaires,
et quand vous lui refusez l'aumône, vous
lui ôlez sa part d'un patrimoine qui est com-
mun entre lui et vous, et qui lui est assigné
sur votre abondance. C'est donc un larcin
que vous lui faites, et Dieu s'en vengera ;
car ce riche impitoyable vomira 1rs richesse»
qu'il a dévorées, et le Seigneur, dit Job, les
416
retirera hors de ses entrailles , parce qu'il n'a
]j>is relevé lu maison du pauvre.
h'nlin la troisième chose qui est renfer-
mée dans l'oubli du pauvre, c'est le défaut
de pitié pour votre propre âme, et un t< rri-
ble aveuglement dans l'affaire de votre s ilu: ;
car les riches doivent savoir que le priai i| ,il
moyen que Dieu leur donne pour obtenir le
don de la pénitence, c'est l'aumône, c'est de
se faire des intercesseurs auprès de lui, dans
la personne des pauvres qu'ils assistent.
Ainsi se retrancher ce moyen, soit eu D'as-
sistant point les pauvres, soit en les assistant
mal, ce qui arrive, ou lorsqu'on fait l'.iu-
mône sans charité, qu'on donne, non parce
qu'on aime le pauvre, mais parce qu'on a
honte de refuser, ou lorsqu'on la fait sans
humilité, ne considérant pas qu'on a plus
de besoins devant Dieu que le pauvre n'a de
nécessité, et que les misères de notre âme
sont plus grandes incomparablement que
celles de sa fortune; soit enfin lorsqu'on ne
proportionne pas le secours qu'on lui donne
au besoin qu'il a, aux moyens que nous pos-
sédons et à la multitude des péchés que nous
devons racheter par cette voie : se remm-
ener, dis-je, ce moyen, c'est être sans pitié
pour son âme, c'est renoncer à la voie du
salut que Dieu vous a ouverte dans votre
état, riches du monde ; c'est vous perdre de
gaieté de cœur. Ce péché-là en vérité ne mé-
rite-t-il pas bien que Dieu nous punisse?
C'est la quatrième vérité que j'ai à établir.
Il est certain que Dieu permet quelquefois
que ceux qui ont été durs envers les pau-
vres, et qui ont abusé de leur prospérité,
tombent eux-mêmes dans la misère dès cette
vie, pour donner aux autres des marques
éclatantes de sa justice, quoique les hommes
s'aveuglent pour ne pas voir ces exemples,
qui les instruisent de ce qu'ils ne reuli nt
pas apprendre. Des expériences si sensibles
ne les effrayent point, ils entrent froidement
dans ces mêmes postes d'où ils ont vu tom-
ber tant d'autres, et ils y montent par les mê-
mes voies.
Ainsi on rejette sur d'autres causes ces
renversements de fortune, ces chutes, ces
humiliations par lesquelles Dieu punit la
dureté cl l'insolence des mauvais riches :
mais comme ce malheur n'arrive pas tou-
jours, et qu'il en traile plusieurs comme ce-
lui de l'Kvangile, qu'il a laisse jouir de sa
fortune jusqu'à la mort sans le châtier de
son insolence et de sa dureté, il remet à leur
faire sentir dans l'autre monde les effets de
sa colère, qu'ils ne sauraient éviter. Voilà,
mes frères, d'importantes vérités, qui doi-
vent nous donner une juste idée do la condi-
tion des riches, si on la regarde dans lis
vues de la toi: mais qu'est-ce qu'un riche,
qu'est-ce qu'un homme dans la prospérité du
monde, si on applique ces principes it ces
ventes à son état?
C'est, mes frères, ce qu'il faut que nous
fassions a présent, pour qu'il ne manque
rien à l'idée que nous voulons vous donuer
de la condition d'uu riche et de toute sa
417
prospérité
cours.
SERMON POUR LE MARDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DE CAREME.
4!8
c'est la seconde partie de ce dis-
SECONDE PARTIE.
Si nous appliquons à l'état d'un riche dans
la prospérité du monde les vérités que nous
venons d'établir, nous trouverons, mes frè-
res, par les principes de la foi, que c'est un
homme attaché à une condition terrible pour
ses dangers, méprisable dans ses biens,
courte dans sa durée, déplorable dans sa fin.
Ces quatre choses, bien considérées, sont
propres à consoler les justes dans l'affliction,
61 elles ne le sont pas moins à instruire les
pécheurs ou à les confondre dans leur mal-
heureuse prospérité.
Première condition d'un riche , état de
firospérité terrible dans ses dangers : c'est
a conclusion des trois premières vérités que
je viens d'établir. Car, mes frères, quicon-
que considérera avec attention les préjugés
terribles que l'Ecriture nous fournit contre
cet état, suivant la première vérité que j'ai
établie, les difficultés pour le salut qui sont
attachées à cet état, que j'ai exposées dans
ma seconde vérité, et enfin les péchés dont
on ne s'exempte point dans cet état, suivant
ma troisième vérité, comprendra sans doute
que saint Jacques a eu raison de dire aux
riches : Pleurez, poussez des cris comme des
hurlements, dans la vue des misères qui doi-
vent fondre sur vous. Mais quiconque fera
réflexion sur la manière dont les riches écou-
tent les paroles de cet apôtre, et le peu d'im-
pression qu'elles font sur leurs esprits, com-
prendra encore bien mieux combien est ter-
rible le péril où leur état les expose.
Car enfin, mes frères, être en péril, c'est
quelque chose ; mais encore peut-on l'éviter
quand on le connaît; y être et ne le savoir
pas, c'est être en quelque sorte hors d'espé-
rance d'en être délivré, sans une espèce de
miracle; mais être en péril, et le connaître
sans en être touché, se croire en assurance
au milieu du danger, s'irriter contre ceux
qui nous en avertissent, c'est le danger lui-
même. Abraham, dans notre évangile, ré-
pond au mauvais riche qu'un mort ne serait
pas capable de les ébranler, quand il revien-
drait pour leur dire ce qu'ils souffrent dans
les enfers.
C'est pourtant la disposition malheureuse
de la plupart des riches; car où en trouve-
t-on qui soupirent dans leur état, qui gémis-
sent à la vue de leur misère, qui en sentent
le poids, qui pensent à s'en décharger, qui
s'alfligenl quand leurs biens augmentent, et
à qui la prospérité fasse peur ? Ne voyons-
nous pas tout le contraire, mes très-chers
frères? L'amour de leurs richesses est une
espèce d'ensorcellement qui leur ferme les
yeux pour ne pas voir le péril où ils sont, et
qui les rend sourds pour ne pas entendre la
voix du Seigneur qui leur parle par l'Ecri-
ture. Ils se croient en assurance dans les
plus grands dangers; ils se ferment, parleur
orgueil, par leur présomption et par leur
fausse sécurité, les trésors de la miséricorde
de Dieu qui peut les sauver. Ali 1 mes frères,
que cet état est donc terrible pour ses dan-
gers ! mais qu'il est, méprisable dans ses
biens ! seconde vérité.
11 n'en faut point chercher d'autres preu-
ves que ce que l'Evangile nous dit des biens
dont ce riche malheureux a joui durant sa
vie, et par lesquels son état est distingué de
celui du pauvre qui était couché à sa porte.
11 était vêtu magnifiquement, il tennit une
grande table; c'est tout ce que l'Evangile
nous rapporte de sa prétendue félicité. L'es-
prit de Dieu qui parle est aussi exact à nous
dire les avantages de sa condition qu'il l'a
été à nous raconter ses péchés. N'ajoutons
donc rien à l'idée qu'il nous a donnée de son
bonheur, comme nous n'avons rien ajouté à
celle qu'il nous a donnée de ses crimes; et
en effet, mes frères, à parler proprement,
toute la différence de l'état d'un riche et de
celui d'un pauvre, tous les avantages de l'un
sur l'autre ne consistent qu'à avoir avec plus
d'abondance ce qui est nécessaire à la vie.
Entiez bien dans cette pensée, mes frères,
et connaissez une bonne fois ce que c'est que
ces biens pour lesquels on se doune tant de
peine, et combien ils sont méprisables en
eux-mêmes. De quel avantage jouit un
homme très-riche, dont un autre ne jouisse
pas dans une fortune très-médiocre, dont le
pauvre même ne jouisse pas, dans le peu que
le riche lui donne de son superflu? Le pau-
vre a faim et le riche aussi ; le pauvre se
nourrit, le riche de même : mais le pauvre
se rassasie de viandes communes, et le riche
de mets exquis; le pauvre est néanmoins
rassasié comme le riche, sa santé est aussi
bonne et souvent meilleure que celle de l'au-
tre. Ils possèdent donc tous deux le même
bien, avec cette différence que le pauvre a
fait moins de frais pour l'acquérir, et qu'il
trouve plus aisément dans un repas frugal
tout ce que le riche cherche dans les festins
magnifiques, et ce qu'il a de la peine à trou-
ver avec beaucoup de dépense.
Vous voyez donc que la condition des
riches, cette prétendue félicité de leur état,
ce grand fracas des biens de la fortune, se
terminent à fort peu de chose, et que, dans
une condition médiocre et même pauvre, on
jouit avec tranquillité des seuls vrais biens
que les richesses peuvent produire. Car, pour
pousser encore plus loin la pensée de saint
Augustin sur cette matière, et vous donner
une'juste idée des richesses, apprenez, mes
frères, que les biens de la terre ne sont dans
l'institution de Dieu que des remèdes natu-
rels aux maladies du péché. Le manger est
le remède de la faim ; le boire est celui de la
soif, le sommeil est le remède de la lassitude,
le vêlement celui du froid : ainsi, mes frères,
quand je vois tant d'appareil pour le repas
d'un homme et pour le reste des choses qui
regardent le nécessaire à la vie, je me dis à
moi-même : Il faut que la maladie de cet
homme-là soit bien plus grande que la
mienne, puisque pour le guérir il faut tant
de choses dont je ne me suis jamais servi ;
ou s'il fait tout ce fracas par ostentation,
celte vanité me parait aussi ridicule que celle
4M
ORATI l RS SACHES. DOM JEIW)\'I
MO
d'un malade qui, D'ayant besoin que d'un»!
médei ine, en ferait préparer une quantité
dans d. s vases différents.
Ou'} a i-il donc de considérable dans une
fortune qui nous confond avec lei autres
dans les vrais biens qu'elle peut produire,
ou qui ne nous en distingue que p ir des en-
droits qui nous rendent effectivement, ou
plus malheureux, ou plus ridicules?
C'est, oies frères, en réduisant la fortune
des riches à ce point-là. qui est le vrai, qu'elle
nous doit paraître méprisable. Car, comme
saint Jérôme le disait autrefois, si .Moïse
avait réduit en poudre le tcau d'or , et
si, ayant jeté cette poudre dans l'eau, il l'a-
vait fait boire aux entants d Israël, c'était
pour leur en donner du mépris, et leur faire
connaître qu'ils avaient été insensés de ren-
dre à une chose si vile le culte qui n'est dû
qu'à Dieu. En vérité, l'effet des grands biens
et tout le fruit qu'on en retire doivent les
rendre bien méprisables. La démonstration
que je viens de faire, et le jugement que je
porte de ceux qui sont ensorcelés par l'a-
mour des richesses, et que l'état des grandes
conditions éblouit, paraîtront peut-être sin-
guliers; mais j'ai une troisième chose à dire
sur les a\antages prétendus de la condition
des riches, qui peuvent se procurer parleurs
biens tous les plaisirs qu'ils s'imaginent ,
c'est que cette condition et ce bonheur sont
de très-courte durée.
Vous êtes hommes comme les autres, ri-
ches de la terre, heureux selon le monde;
vous êtes hommes, ainsi vous voyez par ex-
périence combien la vie est courte, et il n'est
pas nécessaire de vous le prouver; mais ce
qu'il y a de particulier pour vous, c'est que
vos richesses qui vous font aimer la vie con-
tribuent à vous la faire perdre plus tôt que
les autres. Vous vous faites un poison de ce
que Dieu vous a donné pour la conserver, et
pendant que la tempérance fait vivre les pau-
vres de longues années, les excès de la vo-
lupté avancent vos jours et vous détruisent :
ce qui faisait dire si agréablement à saint
Jérôme que les mets grossiers dont on se
nourrit dans la solitude n'ont pas le goût des
nôtres, mais aussi qu'ils n'en ont pas la ma-
lignité.
Mais ajoutons que, quelque longue que
puisse être la vie des riches, il est vrai de
dire qu'elle est déplorable dans sa fin. Or,
mes frères, cette lin se peut considérer ou
dans ce qui la précède ou dans ce qui la
suit. Ce qui la précède, c'est la perle de tous
les biens dont ils ont joui dans cette vie; ce
qui la suit, c'est le sentiment de tous les
tourments qui les attendent dans l'autre.
Y a-t-il rien de plus déplorable que l'état
d'un homme qui se voit au milieu de sa fa-
mille, maître de grands biens, revêtu de di-
gnités, comblé d'honneurs, et qui pense que
dans un moment tout cela disparaîtra pour
ne revenir jamais? Quelle peut être la vio-
lence que souffre un homme qui se sent ar-
rache du monde, où il est attache par es
lit us les plus agréables et les plus forts !
que41c ragol quel désespoir !
Les considération! de la religion ne sont
guère capables de consoler cet homme ricl
car. ue les ayant pas écoutée! pendaoi la >ie,
difficilement les écoutera-t-il à la mort; et
quand même l'accablement de la maladie le
rendrait insensible à eette séparation, com-
me il arrive souvent, il mourra sans violen-
ce, mail que suivra-t-il ;iprès sa mort? il
aura l'enfer pour sépulture.
Je ne veux point vous faire d'autre des-
cription des tourments qu'il endure que
celle qui nous est tracée dans l'Evangile.
L'enfer est préparé pour sa d< meure, en quit-
tant celle superbe maison qu'il habitait ; la
flamme lui lient lieu <ie la pourpre, dont il
était revêtu , el la fumée noircit ce corps qui
étail délicatement enveloppé dans le lin. D'or-
gueilleux qu'il étail en méprisant le pauvre,
il devient pauvre lui-même el mendiant a
son tour, et il est obligé d'avoir recours à
Lazare, qu'il voit dans le sein d'Abraham,
el à qui il demande une goutte d'eau pour
rairaîcliir sa langue, parce qu'il souffre
d'extrêmes tourments dans la flamme qui le
dévore. Mais comme il a délaissé le pauvre
dans sa misère , le pauvre l'abandonne dans
ses tourments, et lui laisse sentir les funes-
tes productions des biens qu'il avait pris
pour son partage. Abraham, qui insulte à
ce choix d'une manière cruelle, lui apprend
qu'il ne doil pas espérer de voir ces tour-
ments finir : Mon fils , souvenez-vous que
vous avez reçu vos biens duns cette vie, et que
Lazare n'y a eu que des maux ; c'est pourquoi
il est maintenant dans la joie, el vous êtes
dans les tourments.
Telle est la tin déplorable de la condition
des riches qui le sont comme celui de notre
évangile , el doul le nombre esl plus grand
qu'on ne s'imagine. Or, mes frères, com
on est toujours en danger de devenir mau-
vais riche dès qu'on est riche, souvent ■/-
vous de tout ce que nous venons de vous
annoncer.
Mais vous, justes, que Dieu laisse dans
l'affliction , et qu'il expose aux misères de
celle vie, vous qu'il relient dans un élat que
le monde méprise , apprenez à mépriser la
grandeur du monde el à estimer la médio-
crité de votre étal. On ne peut être grand,
on ne peul être ric::e sans être exposé à
d'étrange! dangers, car la condition de ceux
qui le sonl est terrible pour ses périls. N'est-
ce donc pas un grand avantage que de se
voir dans un elal plus sûr par lui-même, el
qui expose notre salul à moins de. dangers?
Mais, me direz - vous , il nous expose à
beaucoup de misères, et le monde n'a que
des duretés pour nous. Vous êtes exclus de
ses honneurs, de ses plaisirs et de ses lu
pendant que les méchants les possèdent.
Que celte différence ne vous trouble pu,
vous la verrez bientôt finir: un moment de
patience, et vous vous trouverez dans l'éga-
lité : la mort \a dissiper tout cet éclat qui
environne le riche ; elle finira les misères
qui vous accablent , et dans un instant ou
oe distinguera plus celui qui était le maître
de tant de biens d'avec celui qui ne les pws-
621
SERMON POUR LE JEUDI DE LA
sédnit point. Que cette mort qui doit vous
égaler en détruisant tout ce qui vous distin-
gue , doit faire aussi dans votre esprit des
impressions hien différentes de celles qu'el-
le fera dans l'esprit des riches 1 Ils la re-
gardent avec horreur, parce qu'elle viendra
leur annoncer la fin d'une félicité préten-
due qu'ils ont à peine possédée , et le com-
mencement d'un état malheureux qui durera
toujours; et vous, la recevant avec tran-
quillité, vous la regarderez comme celle qui
va vous mettre en possession des fruits
abondants d'une fv licite éternele , dont les
misères passagères de cette vie si courte
ont été les semences.
Mais finissons , mes chers frères. Saint
Chrysostome exhortait autrefois les chré-
tiens à avoir l'histoire de ces deux hommes
de l'Evangile peinte dans leurs maisons, afin
qu'ils s'instruisissent, par la vue fréquente
d'un sort si différent, des desseins de Dieu
sur eux , dans l'inégalité des conditions où
la Providence les a placés.
Pour vous , si vous ne faites pas peindre
cette histoire pour en orner vos maisons,
ce qui conviendrait bien mieux que tant de
tableaux profanes et quelquefois impudiques
qu'on y voit avec scandale, et qui font une
partie du luxe des mauvais riches, impri-
mez-la dans votre esprit et rappelez-la sou-
vent à votre mémoire.
La félicité du riche a passé bien vite, et
il est tombé dans la damnation éternelle ; la
misère du pauvre n'a pas duré plus long-
temps , et il est placé dans le sein d'Abra-
ham. Dans un moment , riches de la terre,
toute votre félicité n'aura rien déplus réel
que celle de ce mauvais riche ; quelle estime
en devez-vous faire? dans un moment,
justes affligés, vos misères peuvent être chan-
gées en des joies divines et éternelles; com-
bien doivent-elles vous être précieuses!
Mais vous qui êtes riches, vous pouvez
avoir part aux fruits de ces misères , sans
renoncer à l'état où la Providence vous a
mis. C'est en les estimant dans votre cœur,
c'est en y entrant par une tendre compas-
sion, c'est en soulageant les pauvres par
une libéralité chrétienne. Représentez-vous
donc ce pauvre dans la gloire , et apprenez
qu'on n'y va que par la pauvreté ; regardant
sa misère en la personne des pauvres qui
sont auprès de vous , dépouillez-vous pour
les revêtir; soyez pauvres avec eux et de
cœur et de volonté , si vous voulez être ri-
ches dans le royaume de Dieu comme La-
zare , car ce royaume n'est promis qu'aux
pauvres.
Seigneur, nous vous faisons aujourd'hui
la demande du Sage, daus la prière que nous
vous adressons : Ne nous donnez ni la pau-
vreté , ni les richesses , de peur quêtant ras-
sasiés des biens de celte vie, nous ne soyons
tentés de vous renoncer, et de dire : Qui est
le Seigneur ? ou qu'étant contraints par la
pauvreté, nous ne soyons lentes de murmurer
contre votre saint nom. Eloignez-nous de
ces deux extrémités, qui exposent les hom-
mes à de si grandes tentations. Ne nous ré-
DEUXIEME SEMAINE DE CAREME. VA
duisez pas dans celle affreuse mendicité qui
fait souvent perdre la crainte de Dieu et des
hommes. Ne nous mettez pas dans cette
dangereuse abondance qui porte l'homme à
vous oublier.
Donnez-nous cette richesse des vrais chré-
tiens qui consiste à avoir peu , à ne rien dé-
sirer, et à n'être ardents et avides que du
seul bien qui peut remplir le cœur. Rendez-
nous les maîtres de ce cœur, et remplissez-
le de plus eu plus des effets de votre misé-
ricorde , afin qu'étant notre conducteur et
notre guide, nous passions de telle sorte par
les biens temporels et périssables, que nous
ne perdions pas les éternels. C'est , mes frè-
res, ce que je vous souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE JEUDI DE LA DEUXIÈME SEMAINE
DE CARÊME.
Des supplices du pécheur.
Mortuus esidives, et sepullus est in inferno.
Le riche mourut, et il fui enseveli dans l'enfer (Luc,
XVI, 22).
Tout ce que l'Evangile nous dit de ce mau-
vais riche dont l'Iîglise nous expose aujour-
d'hui l'histoire ou la parabole, se rapporte à
ce qu'il souffre dans les enfers et à ce qui
lui a mérité ses souffrances. C'est aussi ce à
quoi je veux m'attacher dans ce discours;
j'ai dessein de vous faire voir les peines
de ce misérable et les crimes de ce pécheur.
11 souffre, et il souffre cruellement ; c'est
ce que nous apprenons de sa propre bouche :
Crncior in hac (lamma ; il a été riche, et il a
vêtu en riche ; c'est tout ce que l'Evangile
nous rapporte de son péché : Erat dives, in-
duebatur purpura et bysso, et epulabntur qtio-
tidie splendide. Regardons-le dans l'éternité
avant que de le considérer dans le temps :
c'est ce qui formera les deux parties de ce
discours, afin qu'étant frappés de l'horreur
de ses peines, nous pensions plus sérieuse-
ment à éviter les désordres de sa conduite.
Il élève les yeux au ciel dans l'état où il est,
dit l'Evangile, mais il les élève inutilement,
parce qu'il n'y a plus de grâce pour lui. Pour
nous, mes frères, qui sommes persuadés que
Dieu ne la refuse jamais dans cette vie à
ceux qui la lui demandent par son esprit,
adressons-nous à lui par Marie, pour obte-
nir celle dont nous avons besoin. Ave ,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
L'Evangile nous exprime toutes les quali-
tés et toutes les circonstances des peines que
souffre le mauvais riche dans l'enfer. 1° Elles
sont cruelles ; 2" elles sont éternelles ; 3° elles
sont de son choix : la peine de l'enfer est le
châtiment du péché, et on n'a commis le pé-
ché que par sa volonté.
La théologie nous apprend à distinguer la
peine du dam, qu'elle fait répondre à l'aver-
sion de Dieu qui est reiilVrn.ee dans le péché,
et la peine du sens, qu'elle fait répondre à
l'attachement de la créature ; c'est-à-dire,
mes frères, qu'une âme ijui est séparée de
Dieu dans le temps par le péché en est se-
m ORATEURS SACRES. DOM JEROME
parée pour l'éternité, et qu'ayant recherché
et joui d'un plaisir illicite, ti.ius l'usage qu'elle
a f.iit «le la créature contre l'ordre de Dieu,
elle est punie et châtiée par des peines sen-
sibles dans l'éternité.
Mais à quoi me suis-je engagé quand je
vous ai promis d'exprimer cette première
peine qui consiste dans la privation de Dieu?
Puer ego sum, et nescio loijui. i'our le faire,
il faudrait que je comprisse moi-même et
que je fusse capable de vous faire com-
prendre ce que c'est que Dieu; car la pri-
vation et la perte d'un bien ne se peut com-
prendre qu'en comprenant la grandeur du
bien qu'on a perdu. Or, mes frères, nous ne
comprenons pas ce que c'est que Dieu, et
l'idée que nous en avons étant faible, celle
que nous nous formons de sa perle n'est pas
capable de nous toucher. D'ailleurs, comme
dans cette vie nous en supportons la priva-
tion sans douleur, nous nous accoutumons
à juger de l'une par l'autre, et, ne ressen-
tant point sa perle dans le temps, nous som-
mes peu touchés de ce qu'on nous dit de
l'éternité.
Essayons néanmoins de faire comprendre
la peine de celte privation, et pour cela il
faut se représenter la disposition de l'àme
du mauvais riche dans l'étal où la mort s'em-
pare de lui. Elle n'est autre chose que la sé-
paration de l'âme d'avec le corps. Prenons
donc cette âme dans le moment de cette sé-
paration : elle n'est plus unie au corps sen-
suel et voluptueux de ce mauvais riche; elle
n'est plus enivrée de délices , ni plongée
dans les plaisirs qu'elle goûtait par son corps
dont elle est séparée ; il est dans le tombeau
et elle dans l'enfer. Dans ce moment tout a
cessé d'être pour elle ; il n'y a plus ni ciel,
ni terre, ni richesses, ni hommes, ni domes-
tiques, ni parents, ni amis; elle se trouve
en un instant dans une épouvantable pau-
vreté par la perte universelle de tous ses
biens, dans une affreuse solitude par la lin
subite de toute sorte de société, dans une dé-
solation effroyable par la séparation de tout
ce qui était capable de la consoler.
Cette âme, dans cet état, n'a plus de liai-
son qu'avec Dieu, elle ne voit plus que lui;
elle est son ouvrage et il est salin naturelle:
de sorte que par son propre poids, si j'ose
ainsi parler, elle est portée vers lui. Cette
inclination, ou, disons mieux, celte rapidité,
ne se fait pas sentir durant la vie ; elle est
arrêtée par son corps et par mille objets
présents qui la remplissent ; elle ne com-
prend pas quelle est sa tin, comme lors-
qu'elle ne voit plus que lui. et qu'elle n'est
plus distraite par les autres objets. Cette
âme n'a plus en soi que son être et son pé-
ché. Elle paraît devant Dieu, non-seulement
comme devant son principe , mais aussi
comme devant son juge. Celle inclination
naturelle qui la porle vers sa tin l'attire et
lui imprime un mouvement de désir, à peu
près comme nous voyons que l'aimant im-
prime un certain attrait dans l'aiguille qu'il
a touchée, et la met dans une agitation vio-
lente jusqu'à ce qu'elle y soit unie.
VA
Or, mes frères, celle âme, ainsi attirée
par son inclination naturelle et par l'im-
pression du désir de sa lin. se sent séparée
pour toujours de l'unique objet qui peut lui
donner du repos. Deux mouvements l'agi-
tenl donc eu même lemps : l'un qui l'attire,
l'antre qui la repousse. Elle connaît bien
qu elle ne peut être absolument sépar.
Dieu, qui est le principe de son e$m née : mais
en même temps elle sait bien qu'elle ne p ut
y être unie comme à sa (in, à laquelle elle a
renoncé par son péché. Elle demeure tou-
jours déchirée par ces deux mouvements,
l'un naturel, qu'elle sent malgré elle : elle
connaît pour son supplice que Dieu e-
fin, qu'il est le bien essentiel, dans la seule
jouissance duquel elle pourrait trouver son
repos ; elle sent une inclination de s'y unir
qui l'emporte avec une rapidité violente,
pendant que sa volonté excile un autre mou-
vement contraire à celui-ci, qui la relient, et
qui est une suite de celte aversion qu'elle a
conçue contre Dieu, lorsque par le péché
elle l'a quitté pour la créature. Car comme
la volonté demeure attachée au choix qu'elle
avait fait pendant que l'âme était unie au
corps, clic se trouve dans un état d'inflexi-
bilité quand l'âme a été séparée de son corps ;
et comme elle a voulu par le péché se sépa-
rer de lui pour s'attacher à la créature, et
qu'elle a été surprise dans cet état de rébel-
lion, elle veut encore s'en détacher pour ne
plus connaître sa perle et ne plus senlir la
violence de cette séparation. Voilà enGn d'où
provient celle haine naturelle de Dieu pour
le damné, et du damné pour Dieu. Dieu le
hait comme un rebelle à sa volonté, et il
hait Dieu comme ennemi de la sienne. L'op-
position constante de ces deux volontés met
l'âme dans un état de \ iolencé qui est la plus
grande peine qu'on puisse imaginer, puis-
que c'est vouloir toujours ce qui ne sera
jamais, et ne vouloir jamais ce qui sera tou-
jours.
En effet, mes frères, imaginez-vous la
chose du monde que vous ayez le plus ar-
demment désirée ; souvenez-vous de tous les
transports et de toutes les impatiences que
vous ont causés les relardements que l'on a
apportés à l'accomplissement de ce désir, des
inquiétudes et des chagrins que vous en
avez soufferts. Si quelqu'un, en vous faisant
de la valeur et du prix des choses que vous
souhaitiez un rapport qui eût augmenté
votre estime, vous eût dit en même temps :
C'est en vain que vous vous agitez, ce que
vous souhaitez n'arrivera jamais, quel n'eût
pas été votre supplice s'il eût fallu demeurer
toujours dans le désir ardent de l'obtenir et
dans l'impuissance de le posséder, sans que
rien au monde eût été capable de vous tenir
lieu de celle chose ardemment désirée, ou
d'en effacer l'idée incessamment présente a
votre esprit!
Voilà, mes frères, une légère idée de ce
que la théologie appelle la peine du dam, qui
repond à l'aversion de l'âme pour Dieu ;
mais comme l'àme a goûte par le corps des
plaisirs criminels dans l'usage déréglé des
42;:
SERMON POUR LE JEUDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DE CAREME.
426
créatures, quoiqu'elle dût rendre son corps
spirituel, bien loin de consentir à ses incli-
nations charnelles et corrompues, elle est
devenue charnelle elle-même , et la justice
de Dieu, qui se venge dans l'autre vie, veut
que le corps et elle soient tourmentés par le
feu : Crucior in hac flamma ; c'est ce qu'on
appelle la peine du sens.
Or, l'Evangile, qui nous fait voir la justice
et la sagesse de Dieu tout ensemble dans la
proportion entre les peines et les délices
criminelles du mauvais riche, nous dit que ,
pour le punir des excèsde sa bonne chère,
il est exposé à une soif excessive causée
par l'ardeur des flammes qui le dévorent.
11 demande à Abraham qu'il envoie Lazare,
afin qu'il trempe le bout de son doigt dans
l'eau pour lui rafraîchir la langue, parce
qu'il brûle, et qu'en punition des excès de
son luxe et de sa vanité dans les habits, il
est enveloppé dans une flamme qui lui fait
comme un vêtement de fèu.
L'Ecriture parle en effet quelquefois du
lieu où les damnés doivent souffrir ces hor-
ribles tourments, comme d'un étang en-
flammé au milieu duquel ils sont plongés ;
d'autres fois elle l'appelle le puits de l'abîme,
un lac rempli de mille horreurs que la colère
de Dieu a inventé pour se venger de ses
ennemis. C'est au milieu de ce lac qu'est
placé le mauvais riche de notre évangile ; sa
peau, tout ardente, est comme un va-e en-
flammé dans lequel sa chair, ses nerfs, ses
os , ses veines brûlent incessamment; son
sang et ses humeurs y bouillent, pour ainsi
dire, et son âme, qui est unie à toutes ses
parties qui souffrent, endure dans chacune
en particulier des maux qui passent infini-
ment tout ce que l'imagination nous en peut
représenter.
Saint Augustin et sain! Grégoire après lui
se servent d'une excellen tecomparaison pour
nous faire comprendre comment l'âme souf-
frira le tourment du feu, toute spirituelle
qu'elle est. Le feu, disent ces saints docteurs,
sera à l'égard de l'âme dans l'enfer ce que
son corps lui est sur la terre. Dieu lui for-
mera un corps de feu dans lequel elle sera
renfermée comme dans un corps de terre
qu'elle anime durant la vie. Comme elle est
lout entière dans le corps, et toute dans cha-
que partie qu'elle anime, elle sera toute dans
ce corps de feu, et toute dans chaque partie
de ce corps pour y souffrir partout.
Nous voyons l'union de notre âme avec
notre corps sans la comprendre; nous con-
naissons bien que , toute spirituelle qu'elle
est, elle souffre tous les maux du corps par
une suite i e cette union, sans savoir com-
ment. Or, ce (jue Dieu fait à présent pour
nous montrer sa puissance, il le fera alors
pour nous taire ressentir sa colère, et ce
qu'il y a «le terrible, c'est que les douleurs
que lame souffre présentement sont finies
par la mort, et celles-là ne le seront jamais.
En effet, l'âme dans celte vie est tellement
unie au corps, qu'elle cède aux grandes dou-
leurs et qu'elle se retire, parce que sa liai-
sou avec ses membres est maintenant si dé-
OiuTEtms sacrés. XXX.
licate, qu'elle ne peut soutenir longtemps
l'effort de ces douleurs aiguës ; mais alors
l'âme sera tellement jointe au corps, et ce
corps sera tel, que ce nœud ne pourra être
rompu par aucune douleur que ce soit. La
mort ne pourra plus la délivrer; la douleur
demeurera pour tourmenter l'âme, et l'âme
subsistera toujours pour sentir la douleur.
Ni l'une ni l'autre ne sera détruite, afin que
le supplice dure toujours.
Si vous me demandez maintenant comment
il se peut faire qu'un Dieu aussi juste que
le nôtre punisse d'un tourment si cruel et
durant toute l'éternité pour un péché qui
quelquefois n'est pas sorti du cœur où il a
été formé, qui n'a duré qu'autant de temps
qu'une action qui passe en un moment, et
qui n'a pu faire au prochain qu'un tort fini
et limité, je vous dirai avec tous les théolo-
giens qu'il n'y a rien de si juste que cette
conduite, parce qu'il faut considérer dans le
péché : 1° L'objet qu'il attaque, qui est Dieu :
son mérite infini demande une satisfaction
infinie ; c'est ce qui se voit par celle que son
propre Fils lui a présentée ; de sorte que le
pécheur qui renonce au mérite de cette sa-
tisfaction pour se remettre dans l'état où il
était avant qu'elle lut offerte, doit à la gran-
deur de Dieu une satisfaction infinie ; et
comme celle d'une créature ne peut être in-
ïînie en quelque sorte que par la durée, Dieu
s'en venge durant toute l'éternité. 2° En con-
sidérant l'homme qui offense Dieu , nous
trouverons que l'homme qui meurt pécheur
mérite d'être puni durant toute l'éternité,
parce que, comme dit saint Grégoire, Dieu
qui pénètre le cœur voit dans celui qui pè-
che une volonté déterminée à pécher tou-
jours s'il le pouvait, un attachement à l'ob-
jet de son crime qui lui l'ait souhaiter de vi-
vre toujours pour ne s'en séparer jamais.
Nonobstant toutes les défenses du premier
être, il meurt dans cet état. Cette volonté
qui est ennemie de Dieu, parce qu'elle est
fixée dans cette disposition, est donc éter-
nellement digne du châtiment que souffre le
damné. Enfin, Dieu qui est juste traite le
pécheur comme il a été traité lui-même :
l'homme a méprisé l'éternité des biens qui
lui était offerte à condition qu'il ne péchât
pas, il le châtie par une éternité de maux :
ce qui est d'autant plus juste qu'en mépri-
sant celte éternité de biens, c'est Dieu même
qu'il a méprisé.
Le mauvais riche ressentira la peine
cruelle de ses péchés, qui semblent n'avoir
été que les péchés d'un honnête homme se-
lon le monde, comme nous le dirons dans un
moment, et il la ressentira pendant toute l'é-
ternité, parce qu'il reconnaîtra toujours qu'il
souffre ses peines par son choix, puisqu'il
n'a péché que par une détermination libre
de sa volonté. Il verra son erreur dans ce
choix volontaire qu'il a l'ait des délices pas-
sagères de la vie prétente, malgré la connais-
sance qu'il avail de leur courte durée et lou«
les les lumières qu'il avait reçues pour évi-
ter les malheurs dont il ne sortira jamais.
Ainsi il se dira toujours à lui-même . J'ai ce
14
m
OlIA'lEtltS SACHES. DOM JEltOMI..
4..
que j'ai choisi, je suis ce que j'ai bien voulu
être, j'ai vécu selon les désirs déréglés de
mes passions, sans écouler les menaces d'un
châtiment éternel; j'ai joui du présent sans
me mettre en peine du futur; le présent a
passé, je savais qu'il passerait: le futur est
venu, je savais qu'il viendrait bientôt ; il dé-
pendait de moi de le rendre meilleur, je l'ai
négligé : il ne m'en reste que des regrets qui,
loin de changer mon sort, eu augmentent la
cruauté.
Voilà, me» frères, ce que je voulais vous
exposer du tourment de ce riche malheu-
reux : je souhaite qu'il fasse impression sur
vos esprits, et plus encore sur vos cœurs;
mais souvenez-vous qu'on le mérite pour
moins de chose que vous ne croyez : c'est ce
que nous allons voir en examinant son
crime dans la seconde partie de ce dis-
cours.
SECONDE PARTIE.
Quoique les tourments du mauvais riche,
que nous venons de décrire, soient effroya-
bles, il ne faut pourtant pas se former une
idée extraordinaire de ses péchés. Il n'a rien
fait que ce que nous voyons tous les jours,
et qui ne soit très-commun parmi les riches.
Cette réflexion doit nous effrayer, mes frè-
res ; car ses péchés sont d'autant plus terri-
bles, que, passant pour rien dans l'esprit de
la plupart des hommes, ils sont néanmoins
les seuls fondements de sa condamnation
dans le jugement de Jésus-Christ.
C'est la pensée de saint Augustin, qui nous
apprend à ne point chercher d'autres crimes
dans la vie du mauvais riche que ceux que
le Sauveur lui-même nous a marqués, ni
d'autre cause de sa perle étemelle que celle
qui est alléguée par la vérité même. L'Evan-
gile ne l'accuse point' d'avoir été un médi-
sant, ni d'avoir foulé les pauvres ; il était
riche, il l'était d'un bien qui lui appartenait
légitimement. Si vous voulez connaître son
péché, il faut vous en tenir à ce que Jésus-
Christ nous en a dit dans son Evangile. Il
était bien vêtu et faisait bonne chère, voilà
quel fut son crime. Qu'y a-t-il là dedans qui
ne soit pas reçu par la plus grande partie
des riches, et qui ne soit pas approuvé par
une conduite semblable à la sienne? Cdait
un homme qui aimait la vie, qui cherchait
à la passer agréablement, et qui contribuait
aux plaisirs des autres. Il est vrai qu'il ne
songeait pas à soulager les pauvres, il ne
s'embarrassait guère des affaires de son sa-
lut ni des obligations de la loi ; mais est-ce
que l'on est damné éternellement pour cela?
Aimer à être riche, à s'habiller magnifique-
ment, à faire bonne chère, et n'avoir pas soin
des pauvres, oui, mes frères, il faut renon-
cer à l'Evangile et à la religion, ou il faut
croire que cela suffit pour élre damne.
Mais pour expliquer la grandeur de son
péché, établissons ce principe essentiel, qu'ou-
tre les lois générales de la religion qui sont
communes à tous les états, il y en a de par-
ticulières à chaque condition qui ne sonl que
des moyens d'accomplir les lois générales,
ou pour mieux dire que les» 1 g - réoérale*
l'accommodait à chaque étal par des prati-
que-, propret et singulières, l'ar la vus
rOJCI que personne ne pouvant élre «au\é
MBl accomplir la loi, nul ne le peut élre
dans sa condition sans accomplir celles qui
lui sont propres.
Or, voici les lois de la condition des ri-
ches, marquées par saint Paul : Commandez,
d il- il a Timolhée, aux riches d* riciie point
.yiipcrUes, et de ne mettre point leur conlianec
en des richesses périssables et incertain' l ,
mais dans le Dieu vivant qui nous fournil
avec abondance ce qui est nécessaire à la v ie ;
qu'ils se rendent riches en bonnes œuvres,
afin de s'acquérir un trésor, et de s'établir un
fondement solide pour l'avenir, et par là
d'arriver à la véritable vie par le bon usage
de la vie présente. Or, mes frères, toutes ces
règles se réduisent à avoir Dieu présent, et
à le regarder comme auteur de sa fortune et
de son bien ; à consulter sa volonté pour l'u-
sage de ce bien : enGn à s'appliquer aux bon-
nes œuvres , et c'est ce qui fait que la prati-
que de ces règles est tellement nécessaire,
que sans elle il n'y a point de salut pour les
riches. Quelques voiles qu'ils recherchent
pour se couvrir et pour s'aveugler volontai-
rement eux-mêmes, et ne pas voir la vérité
qui leur parle par ce saint apôlre, ils ne se-
ront sauvés qu'en suivant ces divines règles.
C'est ce que Jésus-Christ nous découvre dans
la condamnation du mauvais riche, qui n'est
livré aux peines éternelles que pour la trans-
gression de ces lois.
Il a oublié Dieu, c'est la première circons-
tance de son péché , et ne se confiant qu'en
ses richesses, il s'est regardé au milieu de
ses biens avec orgueil , et il a cru être indé-
pendant. Or, c'est le péché ordinaire des ri-
ches. Les biens tournent presque toujours
les yeux de l'homme qui les possède du côté
de la terre, et ne lui permettent plus d'en re-
garder Dieu comme l'auteur. En effet un
homme qui est dans les richesses et dans
l'abondance , y est entré ou par une nais-
sance heureuse qui l'a mis au milieu des ri-
chesses, sans qu'il y ait pensé; il s'est trouvé
ce qu'il est, sans y avoir contribué en rien ;
ou bien sa fortune est son ouvrage, il la
lient de son travail et de sou industrie, il est
ce qu'il s'est fait. Or, l'homme, dans l'un ou
dans l'autre cas, a tellement les yeux atta-
chés a la lerre, qu'il ne les élève prpsquc
jamais jusqu'au ciel, pour reconnaître que
la source de ses biens est là, et que cal
Dieu qui l'a fait ce qu'il est. Il est tellement
enferme dans un certain cercle de causes
naturelles et humaines, qu'il n'en sort point.
Sa naissance, sa famille, ses riches succes-
sions, le crédit de ses parents, ses talents et
son industrie : c'est autour de tout cela qu'il
roule incessamment, saus penser que Dieu
est l'auteur de son êlrc cl de son bien. Sa
conduite marque bien qu'il est rempli de
ces sentiments et d'une fausse conlianec en
lui-même. Toutes ses espérance sont en son
bien : comme il n'a l'esprit rempli que de
vues humaines, il n'a recours qu'à des
429
SERMON POUR LE JEUDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DE CAREME.
430
moyens humains pour réussir dans les en-
treprises qu'il médite, et pour détourner les
maux qu'il craint.
Ainsi, mes frères, cet homme qui a déjà
du bien croit que , pourvu qu'il en ait da-
vantage, tout lui réussira , et que rien ne
sera capable de lui nuire; qu'avec du bien il
poussera ses enfants dans les grandes char-
ges, il établira sa maison, il deviendra ter-
rible à ses ennemis, il se mettra à couvert
de tous les coups de la fortune, il bravera
toutes les injures des temps. N'est-ce pas là
la façon de penser des gens qui ont de grands
biens? Est-ce à Dieu qu'ils ont recours, ou
bien à leur fortune ? Est-ce du ciel ou de la
terre qu'ils attendent leur protection ? Dieu
étant ainsi oublié, il ne faut pas s'étonner
si ce n'est pas lui qu'on consulte dans l'u-
sage des biens, dont à peine on veut le re-
connaître pour l'auteur et pour le conserva-
teur ; car on se regarde comme l'artisan de
sa fortune; on n'en cherche les sources que
dans des principes tout humains ; on ne
songe à en user qu'en suivant des règles tout
humaines; ainsi, mes frères, celle de ne
prendre dans ce bien que le pur nécessaire
à sa condition , celle de régler ce nécessaire
par les lumières saintes de la prudence chré-
tienne, ne sont point suivies.
C'est à quoi a manqué ce mauvais riche,
c'est à quoi manquent la plupart de ceux
qui le sont. Il était vêtu magnifiquement, et
il faisait bonne chère. Voilà l'usage que fait
de ses richesses un homme qui s'en croit le
maître et le souverain, et qui ne consulte
que lui-même et ses passions pour en user.
Tout est magnifique sur sa personne et sur
sa table; il donne à sa vanité ce qu'il y a de
plus précieux, et ne refuse rien à sa délica-
tesse. Il est également coupable par ses pro-
fusions et par son luxe ; il ne suit point cette
règle, si sagement établie par la Providence
pour la sanctification du riclte et pour le
soulagement du pauvre, de ne prendre que
le nécessaire dans sa condition. Il confond
ce superflu avec le nécessaire, et, sans exa-
miner son besoin, il va où le conduisent la
vanité et le plaisir. Enfin il ne considère pas
ce qu'il est , mais ce qu'il a ; il confond sa
qualité avec son bien ; il ne se règle plus sur
ce qu'il doit à sa condition, mais sur ce qu'il
peut par ses facultés ; et n'est-ce pas là, mes
frères, ce que nous voyons tous les jours
dans la conduite des riches qui ne peuvent
pas se laisser convaincre qu'ils ne sont pas
les maîtres absolus de leurs biens, mais qu'ils
n'en sont que Ie9 économes établis de la part
de Dieu? Se incsure-l-on par ce qu'on se doit,
ou bien par ce que l'on peut? Ne croit-on
pas être juste et ne faire tort à personne,
lorsque, oubliant les pauvres, on donne à
sa delicalesse et à son luxe ce qu'on leur re-
fuse? mais en vérité est-ce là faire un bon
usage de ses richesses? et que fait-on pour
établir ce fondement solide pour l'avenir, et
pour arriver à la véritable vie par le bon
usage de la vie présente? Quelle peut être
envers Dieu la piété d'un homme à qui les ri-
chesses le font oublier.
Jugez-vous , riches de la terre ; vous en
êtes si occupés , qu'à peine levez-vous les
yeux au ciel : les soins de vous rendre la vie
agréable emportent tout votre loisir, votre
vie se passe dans les occupations de ce misé-
rable de l'Evangile : lnduebatur.... epulaba-
tur. Après vous être appliqués à orner votre
corps, à embellir vos maisons , à chercher
vos plaisirs, à goûter les délices de la bonne
chère, vous donnez vos soins à vos affaires,
et votre vie roule ainsi. Quel est donc le
temps que vous prenez pour servir Dieu ?
Savez-vous qu'il attend de vous ce qu'il
n'exige pas des misérables , et que vous le
devez prier plus longtemps et plus souvent?
car le Seigneur, en vous donnant du bien, a
prétendu se faire en vous des adorateurs plus
fidèles et plus assidus. En effet, si l'Apôtre
dit que la vierge qui n'est point partagée par
les soins du mariage ne doit diviser ni son
cœur ni ses soins, mais les donner tous à se
rendre agréable à Dieu, je dis de même qu'un
homme que la Providence a dégagé des em-
barras du négoce et des soins qui l'appli-
quent au travail pour gagner de quoi vivre,
doit prier Dieu davantage qu'un autre. 11
vous a comme gagés pour le servir, il vous
donne les fruits de la terre sans travail, afin
qu'étant délivrés de ces soins vous vous ap-
pliquiez à le louer, à le bénir, à l'honorer, à
porter les autres à le faire par votre exem-
ple, et à lui faire rendre ces devoirs dans
vos maisons par ceux qui vous sont soumis.
Si nous passons de la piété qui regarde
Dieu à la pénitence qui est la voie du ciel,
où on ne peut arriver qu'en portant sa croix
avec Jésus-Christ , quels trésors les riches
s'acquerront- ils par l'exercice de cette
vertu ? Je ne veux pas parler des vices, des
excès et des emportements qu'on leur peut
reprocher ; je parle seulement de l'opposi-
tion qu'il y a entre la vie des riches et celle
de Jésus-Christ. Ne vous appliquez-vous pas
à écarter tous les maux de la vie et à vous
en procurer tous les biens? Ne fuyez-vous
pas jusqu'à la moindre incommodité des
saisons, et ne vous en donnez- vous pas tous
les plaisirs? Les mets les plus délicieux, les
vins les plus délicats et les plus fins, les mai-
sons les plus charmantes, les logements les
plus commodes , les ameublements les plus
précieux, ne sont-ce pas là les emplois les
plus légitimes que vous faites des biens que
Dieu vous a donnés? lnduebatur purpura,
epulabalur quotidic splendide. Hé ! mes frè-
res, ne reconnaissez-vous point qu'en vi-
vant ainsi vous combattez toutes les prati-
ques de la mortification, de la modestie, de
l'humilité chrétienne? Jésus-Christ a-t-il fait
une loi pour vous différente de celle de tous
les chrétiens? vous a-t-il enseigné un autre
chemin pour arriver à la gloire que celui
qu'il a suivi iui-même? Pouvcz-vous dire,
vivant dans les délices, que vous êtes les
membres d'un chef couronné d'épines .' Pou-
vez-vous dire, passant votre vie dans toutes
les commodités qui la rendent agréable, ou
dans des impalicticcs terribles quand il vous
arrive le moindre contre temps qui trouble
451
ORATKI RS SACRES l»OM JKROME.
■ri
votre tranquillité, que vous ('tes les disciples
d'un mallre qui a passé sa vie dam la pau-
vreté, dans la misère, dans les larmes et
dans L'exercice d'une patience invincible ?
Pouvez- VOUS espérer, en mourant sur un lil
de délices, après avoir passé une longue \ie
dans la joie, dans la prospérité et dans l'hon-
neur, d'aller prendre possession d'une gloire
que Jésus-Christ ne s'est acquise qu'en finis-
sant sur une croix une vie qu'il avait passée
dans la misère? Ou il y a pour vous un au-
tre Evangile, ou vous serez condamnés,
comme le mauvais riche, par L'Evangile qui:
nous avons reçu de Jésus-Christ. Morluus
est clives, et sepullus est in inferno. Eu vivant
ainsi, il n'a point eu de miséricorde pour les
pauvres . Plein d'indulgence pour lui-même,
il n'a eu que de la dnreté pour les malheu-
reux. Quoi I Dieu oublié, votre corps adoré
comme une idole et le pauvre rebuté, ne
sont-ce pas là assez de crimes pour mériter
une condamnation semblable à celle du
mauvais riche de l'Evangile?
Quelles sont donc les bonnes œuvres d'une
vie passée sans piété, sans pénitence et sans
miséricorde? Où sont les pauvres familles
que vous avez soutenues? où sont les mi-
sérables que vous avez soulagés? où sont
les malades que vous avez assistés? où sont
les captifs que vous avez rachetés? où sont
les orphelins à qui vous avez servi de père?
c'est ce que Dieu vous demandera, car c'est
ce qu'il attendait de vous comme riches. Il
veut que vous soyez riches en bonnes œu-
vres, à proportion que vous l'éles des biens
de la terre. Si vous avez ces richesses péris-
sables que sa providence donne, pourquoi
n'avez-vous pas les richesses saintes qu'on
acquiert par la libéralité chrétienne? Mais,
dites-vous, après vos dépenses faites, il ne
vous reste rien. Pensez-vous que cette rai-
son vous justifie ? ou plutôt ne comprenez-
vous pas qu'elle n'est suffisante que pour
vous condamner? Car c'est une preuve que,
manquant aux obligations de votre état,
vous n'avez pas consulté Dieu dans l'usage
que vous deviez faire des biens que vous
aviez reçus de lui. Vous avez confondu le
nécessaire avec le supcrlla, la famille avec
la condition, et, vous élevant avec fierté,
vous avez cru être les maîtres de votre for-
tune, et ne devoir consulter que le monde et
vos passions dans l'usage qu'il on fallait
faire. Ainsi vous avez employé les biens que
Dieu vous avait donnés pour acquérir la vie
éternelle, à rendre agréable cette vie d'un
moment; ne vous plaignez donc pas. viola-
teurs des lois de votre condition, dispensa-
teurs injustes des biens de Dieu, si, après
avoir joui des délices de la vie présente, il
vous abandonne aux supplices éternels de la
future. Souvenez-vous de ce que vous avez
reçu : Ilecordarc quia recepi-ii. Qu'on est
heureux, mes frères, quand, après avoir re-
connu qu'on mérite ce jugement, on poulie
détourner, cl qu'on a en main de quoi éviter
une si terrible condamnation I
C'est à quoi je vous exhorte, riches delà
terre, si vous avez été les imitateurs de ce-
lui de notre évangile. H ne fut pas un de ces
scélérats dont la conduite lait horreur. Il
oublia Dieu, et ne se confia que dans ses ri-
chesses; il négligea de suivre la volonté de
Dieu, et il ne consulta que les lois corrom-
pues du inonde dans l'usage de ces Lieu- li
négligea la pratique des bonnes SMVras, et,
insensible aux misères d'aulrui, il l'appliqua
à lui seul les richesses que Dieu lui avait
données pour acquérir le ciel en soulageant
les autres. Recourez donc à Dieu, el raeoa*
naissez-le pour l'auteur de votre fortune et
pour le maître de tout ce qui est entra vos
mains. Consultez-le dans l'usage que w,us
en devez laire, el rachetez vos pe liés par
l'aumône.
On ne vous fixe pas à des libéralités que
votre bien ne peut porter. Ne vous ex<
pas sur ce que vous no connaissez pas les
pauvres, et que les occasions vous raanqnei I
de faire l'aumône. Ils sont exposés a \o>
yeux, et comme ce mauvais riche ne pouvait
sortir de sa maison sans passer sur le ventre
du Lazare qui était couché à sa porte, en
quelque li«*u que vous alliez, vous trouve-
rez des misérables qui demandent votre se-
cours. Les hôpitaux en sont pleins, les pa-
roisses regorgent de pauvres, les greniers des
maisons des particuliers en crèvent, si j'ose
ainsi parler. Est-ce que vous notes pas cer-
tains de leurs misères, et que vous craignez
qu'il n'y ail de la feinte? Consultez vos pas-
teurs, vous verrez ce qu'ils vous diront de
la misère des paroisses; confiez-leur vos au-
mônes : voilà les moyens de racheter vos pé-
chés et d'éviter la condamnation du mauvais
riche. Je ne vous presse pas de faire l'au-
mône, tant pour l'intérêt des pauvre-, que
pour le vôtre. Dieu saura bien les faire sub-
sister si vous les abandonnez ; mais qui est-
ce qui vous retirera des mains de sa justice,
si vous vivez sans charité'.' Il peut en-
voyer un corbeau pour nourrir les pauvres,
comme il en envoya un à Elie ; mais le mau-
vais riche élève sa voix inutilement vers
Abraham. Personne ne viendra pour vous
délivrer ; songez-y donc, el méritez par là
le séjour éternel de Lazare: je vous le sou-
haite. Ainsi soit-il.
SERMON
POfR LE SAMEDI DE LA DEIXIKME SKVIAINE DE
CAU1M1 .
5ur la médisance.
Eltt Jésus ejiriens dxmonium, et illud erat niut'im
JëiUi chassa du corps d'un homme un démon qui était
muet (Luc, XI, U).
Le Sauveur du monde ayant fait un grand
nombre de miracles qui avaient excite I en-
vie et la jalousie des pharisiens contre lui, il
en lil un nouveau dans une maison de la Ca-
illée où il s'assembla une si grande loulo de
peuple, que ni lui ni ses disciples ne pou-
vaient prendre leur repas. On lui présenta
alors un possédé qui était aveugle et muet,
cl il le guérit. Tout le peuple, ravi en admi-
ralion, disait hautement ; N'est-ce pas /<; le
pis de David? Col applaudissement irrita de
i'ô
SERMON POUR LE SAMEDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DE CAREME.
434
nouveau des pharisiens et des docteurs de la
loi qui étaient venus de Jérusalem et qui fu-
rent présents à ce miracle, de sorte que, ne
pouvant supporter la gloire que s'acquérait
le Sauveur du monde, et ne pouvant d'un
autre côté nier la vérité du miracle qu'il ve-
nait de faire, ils eurent recours à l'artifice
ordinaire de l'orgueil, de l'envie, de la médi-
sance et de la calomnie. Ils dirent au peuple
que le Sauveur du monde était possédé du
démon, et qu'il ne chassait les démons que
par le prince des démons.
Or, mes frères, tout ce qui est renfermé
dans cet évangile n'est qu'une réfutation de
cette médisance. Jésus-Christ s'y applique à
les confondre et à leur faire voir que ce
qu'ils dirent se détruit de lui-même ; mais
comme il ne s'agit de rien moins entre nous
que de justifier le Sauveur du monde, j'ai
cru qu'il fallait, pour entrer dans l'esprit de
l'évangile de demain, et suivre la conduite
de Jésus-Christ, combattre la médisance, ce
vice si commun dans le commerce du monde.
Voici donc, mes frères, ce qui le distingue et
ce qui doit nouiJ en donner de l'horreur.
1° On commet ce crime avec plus de faci-
lité qu'aucun autre : première partie ; 2° il
produit des effets très-déplorables : deuxième
partie ; 3° on le répare plus difficilement que
tout autre : troisième partie.
Remarquez que la facilité qu'on a à le
commettre en augmente la malignité, que
les effets qu'il produit la découvrent, et en-
Gn que la difficulté de le réparer n'en ôte
pas l'obligation. Demandons le secours du
ciel. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Le premier caractère du péché de la mé-
disance, qui le distingue de tous les autres,
n'est pas un des moindres motifs qui nous en
doit inspirer de l'horreur : c'est, mes frères,
qu'étant un des plus considérables et des
plus dangereux péc hés, on le commet néan-
moins avec plus de facilité. Pour bien expli-
quer ceci, il faut établir ce principe, que
tous les hommes naissent avec une pente gé-
nérale vers tous les vices, et que la concu-
piscence laisse en nous le fond et la source
de tous les péchés ; c'est ce qui l'ait qu'il n'y
a point de péché, quelque énorme qu'il soit,
dans lequel le plus juste ne puisse tomber,
si Dieu l'abandonne à lui-même.
Ce mauvais fond est corrigé en nous par
le secours actuel que Dieu nous donne, et par
ceu\ qu'il promet à nos prières, à nos tra-
vaux et à notre vigilance; celle grâce du
Rédempteur, toujours nécessaire, toujours
nouvelle, nous fait triompher de la concu-
piscence, cl nous délivre de la tyrannie de
nos passions; mais ce qu'il y a de particulier
par rapport au vice dont nous parlons, c'est
que, le Créateur ayant mis dans chaque
homme des inclinations contraires à chaque
vice, comme des digues naturelles qui em-
pêchent le débordement de ces torrents, et
qui en suspendent la chute en quelque façon,
le seul vice de la médisance paraît excepté.
Ka effet, le» un* sont arrêtes par la pudeur,
les autres par la crainte de, la dépense, d'au-
tres par la vue des châtiments, quelques-uns
par la faiblesse naturelle et par les défauts
de tempérament, et d'autres par l'amour de
la santé; mais l'homme n'est combattu dans
le vice de la médisance par aucun endroit;
il ne rencontre aucun obstacle, tout l'excite,
tout lui est favorable. Après cela, peut-on
s'étonner s'il fait de si terribles débordements
dans le commerce du monde, et de si grands
ravages dans la société chrétienne? Peut-
être n'aviez-vous jamais regardé ce vice par
cet endroit. Oui, mes frères, nous y sommes
portés plus qu'à aucun autre, car la médi-
sance, qui est une production de l'envie, a
son principe dans l'orgueil, et il est très-vrai
que nous sommes pour l'ordinaire plus mé-
disants par vanité que par malice. Qu'est-ce
en effet qui irrite les pharisiens contre le
Sauveur du monde? ce sont les miracles
qu'il fait à leurs yeux : il vient de délivrer
ce possédé; sa réputation s'établit, la leur
diminue; on croit en lui, on les quitte; ils
sont superbes, envieux, et ils sont médisants.
La médisance est produite par l'envie, et l'en-
vie est produite par l'orgueil, et comme l'or-
gueil est l'amour de notre propre excellence,
et que l'envie n'est autre chose que la haine
de l'excellence d'aulrui, l'amour de notre ex-
cellence nous porle à haïr celle des autres,
elle nous incommode, elle nous donne du
prochain une idée qui ne nous plaît pas, et
elle affaiblit celle que nous nous sommes for-
mée de nous-mêmes. La médisance s'offre à
nous tout à propos comme un moyen natu-
rel pour diminuer le prochain, et pour nous
relever sur son abaissement; elle affaiblit
l'idée de son excellence, et elle grossit celle
de la nôtre; ainsi, comme nous avons tous
de l'orgueil, et que, selon saint Augustin, le
plus humble de tous les hommes n'est pas
celui qui n'en a point, car tous les hommes
en ont, mais celui qui eu a le moins, nous
sommes tous portés à la médisance plus ou
moins, et nous avons tous notre manière
d'abaisser les autres pour nous élever : hom-
mes, femmes, jeunes, vieux, sages et dévols,
ce vice est né avec nous, et s'il y a quelques
gens sages qui veillent assez sur eux-mêmes
pour s'abstenir de médire de ceux qui leur
déplaisent, il n'y en a guère qui ne soient
sensibles au plaisir d'entendre médire.
Avec cette disposition naturelle on tombe
dans ce péché le plus aisément du monde;
car il est encore différent des autres en cela,
qu'il n'en coûte rien pour le commettre, et
qu'on pense gagner beaucoup en le com-
mettant. Il ne faut ni dépense ni force pour
médire; on le fait en parlant, et c'est un
grand plaisir pour un homme superbe et lâ-
che de pouvoir se venger de son ennemi
sans être exposé aux ressentiments de sa
colère; c'est un grand plaisir pour un hom-
me rempli d'orgueil et de timidité, de pouvoir
censurer sans crainte la conduite de ceux
qui le gouvernent, décrier les plus justes,
déchirer les évêques, blâmer les princes,
condamner les ministres, parler avec har-
diesse de la vie etdes actions de c>ux qu'on
4r/. ORATEURS SACRES
doit approcher avec respect et qu'on ne regarde
qu'en tremblant. Il y a quelque chose de
plus, c'est que dans ce péché on se cache
son propre cœur plus facilement que dans un
autre, et on s'abuse en pensant se justifier,
soit par les intentions qu'on se propose,
soit par les manières dont on se sert. Nos
pharisiens s'imaginent qu'ils ont raison d'en
usercomme ils fontavecleSauveur duraonde,
ils tâchent de se persuader qu'ilesl l'ennemi
de la loi, pour justifier et même pour sanc-
tifier leur conduite par leurs intentions qu'ils
croient droites; il n'y a pasjusqu'aux louan-
ges qu'on donne à de certaines gens, qui ne
nous doivent être suspectes, car souvent ce
n'est pas le désir de leur rendre justice, mais
celui d'abaisser d'autres personnes qui nous
déplaisent, et dont le mérite peut êlre en con-
currence avec ceux-là.
Ainsi donc un dévot qui veut médire cher-
chera dans une intention prétendue bonne
un prétexte pour croire qu'il le fait sainte-
ment, et quand une fois il s'est bien persuadé
que c'est l'amour de la vérité et de la juslicc
qui l'anime, il va sans remords jusqu'au li-
belle diffamatoire, sur la bonne foi de son
intention. Que si un reste de pudeur ou l'a-
mour de lui-même lui fait encore garderquel-
ques mesures, elles ne sont plus que dans les
manières ; car, comme dit fort bien saint Ber-
nard, il y a deux sortes de médisance : les
uns vomissent avec une simplicité grossière
le venin de leur malice, et disent sans pu-
deur et sansarliGcetoutce qui leur vient dans
la bouche, et ils sontlesmoinsdangereux ; les
autres tâchentdecouvrir etde déguiser par le
fard d'une modestie feinte la malice qu'ils ont
conçue dans leur cœur. Vous les voyez, dit
ce Père, avec un extérieur affecté, un visage
triste, les yeux baissés, un ton de voix com-
patissant, produire au dehors la médisance,
et la rendre d'autant plus plausible qu'ils
font croire davantage à ceux qui les écou-
tent qu'ils !a publient malgré eux, et qu'elle
est l'effet plutôt d'une charité tendre et af-
fectueuse, que d'une animosité malicieuse.
J'en ai certes, dit l'un, beaucoup de douleur,
parce que je l'aime beaucoup; je n'ai pu le
faire revenir à lui-même sur ce sujet. 11 y a
bien longtemps que j'avais reconnu ce défaut
en lui, jamais on n'en eût rien su, si j'en
avais été instruit tout seul ; car volontiers je
ne me mêle pas des affaires d'autrui; cepen-
dant, puisque la chose est découverte par un
autre, je ne puis plus nier la vérité. Il faut,
dit un autre, que j'avoue, quoiqu'à regret,
que ce qu'on dit d'un tel est véritable; et il
ajoute : C'est grand dommage; car c'est une
personne qui d'ailleurs a de grands talents
et plusieurs bonnes qualités; mais pour en
parler franchement, il est gâté sur ce cha-
pitre, et on ne le peut excuser en ce point.
Voilà, mes frères, la description que saint
Bernard nous fait de cet homme qui s'abuse
lui-même, car il se remplit de l'idée, ou qu'il
DOM JEROME.
fait une bonne œuvre en commettant un pé-
ché, ou il s'imagine qu'on ne découvrit a pas sa
malignité sous la fausse apparence dont il
essaye de se couvrir; et tout cela se termine
à le rendre médisant et hypocrite tout à la
fois. .Mais ajoutons encore, pour fi ni . cette
première partie, qu'il n'y a point de crime
qui soit plus aisé a commettre que celui de
la nu -disant e, parce qu'il n'est point :
sairc de le cacher. Cette dangereuse lac II
que nous avons à le commettre peut nous
faire croire que ce qui est de soi-même éi
fendu selon la raison devient permis par la
coutume, comme dit saint (iré^oire : la li-
berté qu'où se donne de censurer la vie du
prochain, celte manière délirer tous les agi -
ments de la conversation en déchirant son
frère, et cet art malin de décrier sa conduite
avec esprit, tout cela a été l'horreur de la
médisance la plus cruelle, et en a fait un
commerce de plaisanterie et d'enjouement
auquel presque tout le monde applaudit. La
médisance est presque devenue le caractère
d'un honnête homme. Mes frère-s, où en som-
mes-nous? Gémissons; car nous voyons sur
cet article ce qu'a dit saint Augustin, que les
pèches, quelque grands qu'ils soient, passent
pour petits, ou même ne passent pas pour
péchés lorsqu'ils sont tournes en coutume,
et même on passe pour un sot quand on
veut les cacher. On se doit à soi-même et à
sa réputation de les commettre publique-
ment. Voilà la malheureuse facilité qui est
cause que l'on tombe dans ce péché plus ai-
sément que dans tout autre. La plupart des
péchés et des peines qui les suivent provien-
nent souvent d'une parole, et c'est avec jus-
tice que la médisance est condamnée, puis-
qu'elle détruit la charité et cause des inimi-
tiés mortelles. Dieu désire avec ardeur de
nous voir unis, et rien ne nous désunit tant
que les paroles libres. les railleries et ies
médisances. Voilà, mes frères, l'idée que
nous devons avoir de la médisance; celle
malheureuse facilité à commettre ce crime
qui le distingue de tous les autres nous doit
donc rendre plus vigilants et plus attentifs
sur nous-mêmes, afin de l'éviter. 11 faut nous
accoutumer à retrancher de nosconversaiions
tout ce qui peut avoir l'air de médisante, et
être extrêmement réservés sur tout ce qui
peut intéresser le prochain; car il n'est pas
difficile de passer d'une plaisanterie à une
vraie médisance. Il n'y a que deux occasions
dans lesquelles il «fit permit de dire du mal
de quelqu'un et île parler des désordres du
prochain : en premier lieu, lorsqu'on est
. obligé de conférer avec des personnes sages
pour délibérer avec elles de la manière dont
ou corrigera ceux qui ont commis quelques
fautes; c'est alors le désir de leur salut qui
nous oblige tle découvrir leurs fautes; mais
cela ne regarde i|ue les personnes qui sont
chargées devant Dru de la conduite de ceu \
dont J est question. Ln second lieu, loi >qu il
s'agît de pourvoir à la sûreté de ceu\ qu.,
ne connaissant point la malice et 1
ruplion d'un méchant homme, pourrairi.
fréquenter comme s'il était homme de bien.
Ainsi, suivant ces règles, celui qui, ouïr-
cas de celte nécessite, dit quelque i hose d'il i
autre, ou pour l'accuser, ou pour le blâmer,
est un médisant, quand même ce qu'il dirait
457
SERMON POUR LE SAMEDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DE CAREME.
438
serait vrai; car ici il n'est pas question de
ealomnie, mais de médisance.
Continuons à vous en donner de l'horreur,
et marquons quelles en sont les suites; car
il y en a de très-déplorables : c'est son second
caractère et la deuxième partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Pour bien décrire toutes les suites de la
médisance , il faut remarquer ce que ce pé-
ché a de particulier. Or le voici, mes frères :
c'est que du même coup dont celui qui le
commet se frappe lui-même , il blesse celui
qui est attaqué par sa médisance, et ceux qui
la lui entendent faire. La malignité même de
ses effets se porte jusqu'aux absents, qui ap-
prennent la médisance quand elle est faite.
Pendant que les autres péchés ne corrompent
tout au plus que le coupable et son complice,
celui-ci répand son venin partout ; et les
effets paraissent même plus étonnants à l'é-
gard de ceux qui entendent la médisance :
car après lout, qu'un homme se perde parce
qu'il le veut, il est dans la liberté de le faire;
qu'il se venge d'un homme qu'il croit son
ennemi, ses intérêts l'y portent : mais qu'il
perde les autres parce qu'il se veut perdre,
et qu'il engage dans les désordres de son pé-
ché ceux qui n'ont nulle part à ce qui le re-
garde, c'est , mes frères , ce qui me paraît
terrible dans ce péché , et c'est pourtant un
de ses effets. Celui qui inédit , dit le Sage, est
comme iin serpent qui mord en secret, et fait
pusscr son venin dans sa morsure Le médi-
sant répand donc son poison dans l'âme de
celui qui l'écoute; car quelle est son inten-
tion , dit saint Bernard, lorsqu'il débite sa
médisance , si ce n'est de rendre méprisable
celui qu'il a entrepris de décrier , et de faire
en sorte que ceux devant qui il en dit du
mal conçoivent du mépris et peut-être de la
haine dans leur cœur ? Et en vérité on n'a
pas beaucoup de peine à réussir; car natu-
rellement nous ne sommes pas trop portes à
avoir bonne opinion de notre prochain, et
l'amour-propre nous fait trouver un certain
plaisir dans l'humiliation d'autrui, qui nous
ouvre le cœur pour recevoir lout ce qui
peut donner atteinte à sa gloire, avec autant
de complaisance que si on nous élevait nous-
mêmes à proportion qu'on l'abaisse. Mais
prenez garde , s'il vous plaît, au progrès de
cr vice : ce venin n'a pas plutôt attaqué no-
tre cœur qu'il commence à produire son effet
par le mépris que nous concevons pour ceux
de qui nous avions de l'estime avant la mé-
disance. Nous nous servons ensuite de celte
idée qu'on vient de nous donner, pour juger
de leur conduite et même de leurs intentions
sur la parole d'un homme irrité; voilà le ju-
gement téméraire. Enfin il arrive souvent
que (elle idée règle notre conduite à leur
c^ard : nous agissons sur l'impression
que nous avons reçue et sur le jugement
que nous avons -formé, traitant mal les per-
sonnes dont on nous a mal parlé, prônant
des mesures contre elles, leur faisant des af-
faires. Et voilà l'injustice : car quand même
ce qu'on a dit pourrait être vrai, les choses
peuvent changer , et il n'est pas permis de
traiter comme un coupable celui qui est
peut-être innocent devant Dieu. Mais il y a
plus, nous devenons presque toujours mé-
disants nous-mêmes pour écouter un homme
qui l'est. La dangereuse crédulité de notre
âme, nous faisant prendre pour vrai ce qui
nous doit être toujours très-suspect, nous
fait très-souvent débiter pour certain ce qui
n'a ordinairement aucun fondement que la
passion de celui qui l'a inventé. Ainsi nous
voilà médisants nous-mêmes , et en répan-
dant le venin que nous avons reçu, nous in-
fectons tout le public. Dangereux piège 1 et
d'autant ph:s dangereux qu'on ne se trouve
presque en aucune conversaiion où il ne soit
tendu. Il n'y a point d'autre remède que celui
que le Sage nous donne. Le vent d'aquilon,
dit-il , dissipe la pluie , et le visage triste la
langue médisante. 11 faut prendre en cette
rencontre un visage sérieux, qui dans notre
silence même soit une secrète condamnation
de la médisance de ceux auxquels nous ne
pouvons pas nous opposer ouvertement, à
cause du respect que nous leur devons. Je
vous exhorte, mes très-chers frères, à garder
exactement cette règle comme la seule qui
puisse vous garantir du poison de la médi-
sance, et qui soit capable de la ruiner dans
son principe ; car ce qui irrite davantage la
passion de médire, c'est la pente naturelle
que les hommes ont à écouter ceux qui mé-
disent et à médire avec eux; au lieu que si
les médisants trouvaient quelque résistance
dans ceux qui les écoutent, ils verraient re-
tomber sur eux la honte qu'ils veulent attirer
sur les autres, et ils craindraient de se nuire
plus à eux-mêmes qu'à ceux qu'ils auraient
entrepris de décrier. C'était dans cet esprit-
là que saint Paul défendait aux chrétiens de
Corinthe de manger avec les médisants ; car
c'est en quelque façon approuver le crime
que d'entretenir quelque commerce avec les
vicieux. 11 n'est pas possible de rapporter
les différents et les déplorables effets que la
médisance produit sur ceux qu'elle décrie.
Ce qui est certain, c'est qu'il est indubitable
qu'elle ruine souvent la charité dans l'âme
de celui qu'on attaque; car un homme qui
se voit déchiré la perd ordinairement à l'é-
gard de celui qui le déchire, et quelque
vertu qu'on puisse avoir, on n'apprend guère
avec tranquillité les médisances qui nous
blessent et qui nous flétrissent. On doit en
général extrêmement éviter les rapports, do
peur d'irriter ceux de qui on les fait. Tout
le monde est plein de faux amis, qui, sous
prétexte de nous avertir de ce qu'on dit de
nous , nous irritent , mettent le poison dans
noire cœur et nous font perdre la charité.
Avez-vous entendu, dit l'Ecriture, une parole
contre votre prochain, faites-la mourir dans
vous. On ne peut pas dire , mes frères, jus-
qu'où peut aller le tort que la médisance fait
à un homme dans le commerce du monde ;
le désordre qu'elle cause dans ses affaires ,
la désolation où elle le met. Celui-ci, décrié
dans l'esprit de son maître , est chassé d'un
n
ORATEURS SACRES. DOM JKROME.
140
emploi qui faisait s<>n établissement, et sa
famille» qui est ruinée par ce renversement,
se trouve ensuite exposée à mille dangei s
pour le salut. Cet autre, rendu suspect par
la même \oie, n'entre point dans une charge
où il aurait fait un très-grand bien. Il de-
meure inutile, et le public privé du bien qu'il
aurait fait, soit dans l'Eglise, suit dans l'Etat.
Quels obstacles les médisances et les calom-
nies des pharisiens contre Jésus-Cbrist n'ouï—
elles pas apportés au fruit de la prédication du
Sauveur du monde! Combien de gens ont été
détournés de croire en lui par l'opposition
que les doc leurs de la loi , qui étaient en
crédit parmi les Juifs, paraissaient avoir
pour Sa personne et pour sa doctrine ! Quel
toi t ont-ils donc fait à ceux qui se seraient
convertis et aux Juifs ! Et quel tort la mé-
disance nu fait-elle pas tous les jours au
fruit <le la prédication de sa parole et de sa
doctrine! Quel abîme, ô mon Dieu ! funeste
médisance ! par là on met des divisions dans
des familles, on allume des haines qu'on ne
peut plus éteindre, et qui deviennent des
sources de damnation héréditaires dans des
maisons. .Mais, outre tous ces caractères qui
distinguent ce crime et que nous venons de
rapporter, il y a encore celui-ci, c'est qu'on
le répare plus difficilement que les autres,
quoique celte difficulté de le réparer n'en
ôle pourtant pas l'obligation. C'est le sujet
du troisième point. ,
TROISIÈME PARTIR.
Puisque nous avons marqué les effets de
la médisance qui en rendent les suites déplo-
rables, et que nous avons fait voir que le
même coup dont celui qui le commet se tue
lui-même, blesse mortellement celui de qui
il fait la médisance et ceux qui la lui enten-
dent faire, il faut que la réparation de ce pé-
ché, pour être parfaite, se porte sur ces me-
nu s effets, et que pour cela le médisant
change de conduite, que celui dont il médit
soit rétabli devant les hommes, et enfin que
le public soit désabuse.
Or, mes frères, les facilités que nous avons
à commettre ce péché, et dont nous avons
parlé. se changent en difficultés quand il en
faut faire pénitence, et ce qui rend sa nais—
sance aisée s'oppose à sa destruction. En
effet, il faut être bien vigilant pour ne pas se
laisser surprendre à une inclination qui est
née avec nous , qui est comme mêlée dans
les qualités du tempérament, cl qui Halte no-
tre amour-propre si délicatement, surtout
quand nous nous sommes laisses alierà ce
penchant, et que nous avons suivi cette pente
avec plaisir. 11 faut qu'un homme superbe
soit bien changé pour fermer les yeux sur
les faiblesses du prochain, et les tenir telle-
ment ouverts suc ses propres défaut*, que ,
toujours occupé de ses misères, il ne regarde
plus celle des autres. 11 faut un prodigieux
changement dans un homme du monde pour
l'obliger de luir les conversatioi s où l'on
médit ; ou bien il lui faut une grande force
pour les entretenir sans médire. Il faut nue
grande foi, et que les jugementl de Dieu
aient fait une forte impression sur nos esprits
pour regarder tfrex horreur ce que le monde
regarde avec complaisance, et pour détester
comme un crime digne de toute la colère de
Dieu ce qui nous attire l'approbation et les
applaudissements des hommes : oui, mes frè-
res, ces difficultés ont obligé les saints l'eres
à regarder le crime cl l'habitude de la mé-
disance comme une marque de réprobation,
et à nous faire remarquer que, dans le cours
de la passion du Sauveur , un disciple qui a
fui vient rejoindre son maître, un apôtre qui
l'a renié fait pénitence, un traître qui l'a
trahi se repent et s'étrangle lui-même pour
s'en punir ; mais que pas un des pharisiens
ne vient se dédire des médisance! qu'ils
avaient faites contre un innocent.
Pour ce qui regarde les intérêts de la per-
sonne qui a été ilélrie par la médisance, les
difficultés de la réparation sont encore plus
grandes. L'honneur est un sentiment si déli-
cat, qu'on ne guérit jamais parfaitement les
plaies qu'on lui a faites une fois, el que,
quelques soins que vous preniez de contre-
dire ce que vous avez dit, il demeure une
certaine tache, une certaine cicatrice sur ce-
lui de qui vous avez parlé, surloul si vous
êtes un homme d'autorité et de crédit. Il y a
de certaines impressions qui se font sur ceux
qui ont entendu ce que vous avez dit, elles
ne s'effacent jamais entièrement. On m'a dit
une chose contre une personne : j'ai tous les
sujets du monde de la croire fausse, je le
prouverais peut-être bien à une autre ; mais
je ne puis plus m'en convaincre si parfaite-
ment que celle idée ne se présente à moi tou-
tes les fois qu'on me parlera de cette per-
sonne, et il faut que la raison et la considé-
ration de la justice fassent de grands efforts
pour m'empêcher de ne pas me déterminer
sur son chapitre par cette idée qu'un tel
m'en a donnée. Mais allons plus loin : nous
ne voyons point d'hommes qui songent à
restituer à un autre ccqu'ils peuvenllui avoir
fait perdre par les mauvais discours qui ont
ruiné ses affaires et renversé sa fortune.
Nous n'en voyous point qui s'appliquent à
faire autant de bien sir tel article qu'ils peu-
vent avoir fait de mal ; ou n'en trouve pas
même qui pensent à connaître les mauvaises
suites que leurs médisances ont pu avoir, et
à rechercher les dommages qu'elle! ont pu
ai uir causes. On les regarde toujours comme
legèies. et ou ne se persuade jamais que ce
qui est léger puisse produire de grands et de
funestes effets : ainsi le prochain, flétri dans
son honneur, déchiré dans sa réputation,
détruit dans sa fortune par la médisante, de-
meure accable sous l'injustice ; t t celui qui
tombe dans ce vice demeure eu repos, sans
penser même qu'il est obligé de la reparer.
La doctrine de Jésus-lin isl est rejetée, sa
vertu rendue suspecte, ses miracles traites
comme des opérations de l'esprit malin, sa
personne attachée sur la croiv, et li s pbari-
Bieus s'apjil ludissenl du BU< ces de leurs mé-
disances. Vos » enlables disciples so.it liâtes
à peu près de même, 6 mon Dieu ! Les justes
sont opprimés par les méchants, et on ne
dl
SERMON POUR LE TROISIEME DIMANCHE DE CAREME.
442
songe pas à ce qu'on leur doit ; ces injustices
ont commencé avec le monde ; on se trompe
bien quand on espère de voir en cette vie
l'impiété humiliée el l'innocence victorieuse.
C'est un bien réservé pour l'éternité ; cepen-
dant, mes frères, cette réparation est néces-
saire pour opérer son salut.
Enfin ce qui rend la médisance si difficile
à réparer, c'est qu'on ne réussit pas ordinai-
rement à désabuser ceux devant qui elle a
été faite ; ils raillent souvent quand on en-
treprend de le faire, ils vous traitent de
scrupuleux, et il leur reste des impressions
dont vous n'êtes point le maître, quoique vous
en soyez les auteurs. Vous l'êtes bien moins
encore de celles qu'elles ont faites sur mille
autres personnes qui vous ont entendu mé-
dire, el c'est dans ce sens que le Sage com-
pare les paroles du médisant au vol des oi-
seaux ; car comme on ne peut arrêter les oi-
seaux quand ils sont en l'air, et qu'ils s'en-
volent sans qu'on sache où ils vont, ainsi une
parole qui déshonore la réputation du pro-
chain n'est plus en la puissance de celui qui
l'a dite. Elle se répand de tous côtés en un
instant par les divers rapports qu'on eu fait,
sans qu'on puisse prévoir les mauvais effets
qu'elle peut avoir. Mais quoi donc, me direz-
vous, il faut donc se désespérer quand on se
trouve coupable de beaucoup de médisances ?
Non, mes frères, mais la pénitence et la ré-
paration de ce péché sont très-difficiles. En
effet, quand on veut penser sérieusement à
la faire , il faut prendre toutes sortes de
moyens pour réparer le tort qu'on a fait au
prochain; il faut consulter vos pasteurs et
des j^ens sages et éclairés, pour examiner
avec eux la nature et le degré de votre pé-
ché, elles suites qu'il peut avoir eues, afin
d'y apporter le remède le plus convenable. 11
faut en faire pénitence en le détestant devant
Dieu, en cessant de le commettre, en évitant
les compagnies qui vous y engagent, en vous
retirant du grand monde, en gardant le si-
lence, eu ne vous occupant plus que de la
vue de vos misères, en fermant les yeux à
celles du prochain, en vous faisant une loi
de n'en parler jamais que pour en dire du
bien. Ces mêmes règles vous peuvent servir
pour vous empêcher de tomber dans ces
désordres, si ce n'est pas en vous un péché
d'habitude. Ayez une attention particulière
pour ne rien dire qui puisse offenser le pro-
chain ; que les malheureuses facilités qui
nous engagent dans ce péché augmentent
votre attention ; que les déplorables effets
qu'il produit vous en éloignent ; que l'extrême
difficulté de le réparer vous le fasse craindre.
Enfin aimons nos frères, vivons avec eux
dans la paix, c'est un commencement du bon-
heur éternel ; je vous le souhaite. Ainsi
soit-il.
SERMON
II II î.i; TROISIÈME DIMANCHE DE CAREME.
De l'amour de Dieu.
Omne rpgnuni ,n seipsuiu divin m desolabilnr.
Tout rmiuume (iivi.sii contre lui-même sera déiruil (Luc.
\I, 17). ' v
lé veux appliquer ceé paroles de l'Evan-
gile au cœur de l'homme, qui est si souvent
appelé le royaume de Dieu dans l'Ecriture,
et vous faire voir aujourd'hui comment la
division de ce royaume en cause la deslruc-
i lion. Celte division est produite par le par-
tage des affections du cœur, et lorsque
l'homme, qui se doit tout entier à Dieu, se
veut donner en partie à la créature, il tombe
dans cette division qui cause sa ruine : c'est
ce qu'il sera facile de vous faire voir. Mais
comme il ne suffit pas de découvrir à l'homme
les maux dont il est menacé, si en même
temps on ne lui en donne les remèdes, je
ne veux pas me contenter de vous dire qu'il
faut que l'homme n'aime que Dieu, et qu'il
est malheureux lorsqu'il aime autre chose :
je veux vous expliquer tout ce qui regarde
ce commandement de la loi nouvelle, autant
que Dieu m'enrendra capable, et je vaisdivi-
ser cette matière en quatre propositions.
Dans la première, je vous ferai voir que
l'homme est obligé d'aimer Dieu, et qu'il est
misérable quand il manque à cette obliga-
tion : première partie; 2" je vous découvrirai
en quoi consiste cet amour de Dieu, afin que
l'homme ne s'abuse pas en croyant l'avoir,
quand il ne l'a point : ce sera la seconde
partie.
Dans le discours suivant, nous ferons voir,
3° quelle doit être la mesure de cet amour;
4° enfin je vous donnerai des règles pourcon-
naflre si nous avons cet amour, et en quel
degré il est en nous.
Aujourd'hui nous n'examinerons donc que
les deux premières propositions. Demandons
l'assistance du ciel. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Tout le monde convient qu'il faut aimer
Dieu, mais peu de gens s'appliquent comme
ils le doivent à remplir ce lie obligation. Ainsi,
mes frères, mon dessein n'est pas propre-
ment d'établir ce premier devoir des chré-
tiens, qui n'est combattu de personne; mai»
je veux en combattre la négligence, et si je
vous montre les fondements de cette obliga-
tion dans la première partie de ce discours,
ce n'est que pour vous découvrir la terrible
condamnation que vous vous attirez en ne
vous appliquant pas à la remplir. Voici donc,
mes frères, les fondementsdeeelleobligation :
1° La nalure de l'être du chrétien : il n'est
fait que pour aimer Dieu ; 2° la perfection de
sou être : il ne la peut trouver que dans
l'exercice de cet amour; 3" le commandement
qui lui en est fait, qui ne lui laisse aucun
prétexte de s'en dispenser.
En effet , mes frères, nous ne connaissons
pas la nature de notre être comme chrétiens,
si nous ne savons pas que nous ne sommes
faits que pour aimer Dieu. C'est ce que saint
Augustinnousrépètecn tant d'endroits deses
admirables ouvrages. Toute la différence, dit
ce saint docteur, qu'il y a entre un Juif el un
chrétien, est formée par la crainte el par
l'amour : Soyez les imitateurs de Dieu, dit
saint l'aul, comme étant ses enfants bien-
uimés. Dieu a fait les créatures pour leur
faire porter les traits de ses divines perfec-
;»:,
ORATEl'RS SACRES. HOM JEROME.
141
lions, mais il a adopté ses enfants pour avoir
des objets et des imitateurs de son amour.
Or pour bien entendre eeci . il faut supposer
quelques vérités importantes.
Première vérité, c'est que l'homme en gé-
néral n'.i été fait que pour aimer Dieu : c'est
la fin que Dieu s est proposée dans sa créa-
tion, lui imprimant en lui les traits de sa
divinité, il a versé dans son cœur des étin-
celles de son amour. C'est, mes frères, ce
que nous enseigne le grand saint Rasile,
lorsqu'il dit que la charité que nous devons
avoir pour Dieu n'est pas une chose qui
s'enseigne, ni qui s'acquiert par une in-
struction étrangère, mais qu'à l'instant que
l'homme a été créé, notre constitution natu-
relle nous a donné une faculté raisonnable
qui nous fait trouver en nous-mêmes cette
inclination à aimer Dieu. Car comment pour-
rait-il se faire, ajoute-t-il, qu'étant portés
naturellement à aimer ce qui est aimable, et
ceux à qui nous avons obligation, nous eus-
sions manqué d'aimer Dieu à qui nous som-
mes infiniment obligés, et qui est infiniment
aimable?
Seconde vérité, c'est que le péché qui'a
corrompu l'homme a affaibli les perfections
qu'il avait reçues dans sa création. Il lui
reste à la vérité quelques lueurs qui luj font
reconnaître la grandeur de Dieu, mais il
ne lui reste aucune étincelle de ces divines
flammes qui le porte à l'aimer. De là vient
que nous avons vu des philosophes qui ont
eu quelques connaissances de Dieu, mais
qui n'ont jamais ni pratiqué ni enseigné son
amour.
Troisième vérité, c'est que lorsque Dieu a
voulu rétablir la loi de cet amour, il a com-
mencé cet ouvrage dansle premier testament,
où il a, dit saint Augustin, écrit sa loi sur
des labiés de pierre, afin que les Juifs, la
voyant devant leurs yeux, apprissent qu'elle
avait été écrite autrefois dans le cœur de
l'homme, afin qu'ils craignissent le péchéqui
l'avait effacée, et qu'ilsdèsirasscntlcKédemp-
teur qui devait venir la rétablir. C'est donc
par lui que cet ouvrage a été accompli ; c'est
cet homme nouveau qui est venu établir le
règne de l'amour de Dieu dans le monde;
c'est pourquoi saint Paul appelle son incar-
nation et sa venue au monde le grand mys-
tère de la piété : Magnum pietalis sacramen-
tum ; comme s'il voulait dire, le grand ou-
vrage de l'amour, le désir de rétablir le cœur
de l'homme, l'amour de Dieu pour l'homme
ne pouvant le porter à rien de plus grand
que de faire son Fils homme, et de nous
apprendre parla qu'il voulait que nous l'ai-
massions par son Fils et dans son Fils.
C'est, mes frères, celte dernière vérité
qui nous découvre la nature de notre être.
Comme chrétiens nous ne composons qu'une
seule et unique personne avec Jésus-Christ.
Tous les chrétiens, étant les membres d'un
corps mystique dont il est le chef, ne doivent
point avoir d'autre vie ni d'autre espril que
le aien, et -par conséquent d'autre être que
celui de Jésus-Christ. Si donc le Sauveur du
inonde a élé formé pour apaiser la colère
de Dieu et pour l'aimer, et si Dieu a
rassemblé tous les chrétiens dans son Fils
pour l'établir leur chef et ne former qu'un
corps d'eux tous, afin de ne voir en eux loua
que son Fils et que leur amour fût le même
que le sien, comme les actions du corps ne
sont pas différentes de celles du chef, l'être
du chrétien est donc un être d'amour, et il
n'est fait véritablement que pour aimer Dieu.
Voilà, mes frères, le premier fondement
de celle obligation indispensable; l'autre en
est une suite : car si le chrétien n'est fait que
pour aimer Dieu, il ne peut trouver la per-
fection de son élro que dans l'exercice de cet
amour, comme l'homme naturel ne trouve la
perfection de sa vie que dans les actions de
la vie même, par lesquelles il croit et s'avance
jusqu'à un âge formé et parfait. N'est-ce pas
ce que nous enseigne saint Paul, lorsqu'il
dit que nous sommes l'ouvrage de la grâce
du Sauveur, étant créés en Jésus-Christ
dans les bonnes œuvres, afin que nous y mar-
ehiont. Nous sommes donc son ouvrage,
élant créés en Jésus-Christ dans les bonnes
œuvres. Or qu'est-ce qu'être créé en Jésus-
Christ, sinon de n'avoir d'être, de vie, de sub-
sistance, de mouvement, d'opération qu'en
lui et par son esprit et sa grâce: en sorte
que, pratiquant la vérité par la charité, nous
croissions en toutes choses dans Jésus-Christ,
qui est notre chef, jusqu'à ce que nous par-
venions à l'état d'un homme par fait, à la mesure
de l'âge et de la plénitude, selon laquelle Jésus*
Christ doit être formé en nous?
Par où vous voyez, mes Irès-chers frères,
que l'Apôtre parle de la formation et de la
perfection de l'homme chrétien comme de
celle de l'homme naturel, et qu'ainsi on
doit dire que si l'homme naturel n'est formé
que pour vivre, et qu'il ne peut arriver qu'en
vivant à la perfection de son être, l'homme
chrétien qui est formé par la grâce pour aimer
Dieu par Jésus-Christ cl dans Jésus-Christ,
avec lequel il ne forme qu'un corps, ne peut
arriver à la perfection du christianisme que
par l'amour. De là saint Paul fait sorlir toutes
les vertus qui concourent à la perfection de
l'homme chrétien, de la charilé, comme de
leur source; et il renferme toute l'observation
de la loi dans l'amour. Voilà, mes frères, le
second fondement de l'obligation où nous
sommes tous d'aimer Dieu : non-seulement
nous ne pouvons arriver à la perfection que
par l'amour de Dieu, mais nous ne pouvons
vivre spirituellement qu'eu l'aimant.
Le troisième fondement de celle obligation
est établi sur le commandement que Dieu
nous a fait de l'aimer, qu'il appelle lui-même
le premier et le grand commandement. Mon
Dieu, dit saint Augustin, qui étes-vous et qui
suis- je pour m'honorer d'un commandement
aussi dons que celui de vous aimer, et pour ne
pas soutïrirque j'y manque, sans vous mettre
en colère contre moi, et sans me f.iire des
menâtes? N'esl-ce pas une assez grande mi-
sère de ne vous point aimer".' En nous faisant
ce commandement, il n'a donc songe qu'à
notre bien ; car, comme dit le même Père,
l'ulilile de tous ses préceptes n'eet que pour
SERMON POUR LE TROISIEME DIMANCHE DE CAREME.
445
nous. Dieu esl heureux sans que nous l'ai-
mions : mais nous ne saurions l'être sans
l'aimer. C'est pourquoi, voulant nous rendre
heureux, il nous fait une loi de cet amour.
Entrons un peu dans la considérai-ion de
cette tendre conduite deDieu sur nous: ilcon-
naîtl'inconstanceet lalégèrelédenotre cœur,
ilavoulule ûxerparun précepte, et donner à
l'homme le moyen de reconnaître par un seul
commandement tous les biens qu'il a reçus
de lui, qui sont en si grand nombre qu'il est
impossible de les compter, et dont la gran-
deur est si vaste, qu'un seul de ses bien-
faits le devait obliger à rendre toutes sortes
d'actions de grâces à son bienfaiteur. Tels
sont, par exemple, les soins qu'il a pris de
lui, depuis qu'il s'est laissé surprendre par
les artifices du serpent, et qu'il est tombé
dans le péché, et du péché dans la mort. Il
lui a donné la loi pour secours, les anges
pour guides, les prophètes pour maîtres. Il
a essayé d'arrêter par la terreur et par les
menaces l'inclination qu'il avait au mal. Il
a excité par les récompenses le penchant na-
turel qu'il pouvait avoir vers le bien; il s'est
servi de la mort de différentes personnes
pour le faire rentrer en lui-même. Tout cela
peut assurément rendre Dieu maître absolu
du coeur de l'homme; mais, outre le don
qu'il nou9 a fait de son Fils, qu'il a envoyé
pour nous retirer de la mort et pour nous
donner une nouvelle vie toute d'amour, il
veut encore nous lier à lui par un comman-
dement, et nous rendre l'obligation de l'aimer
indispensable, en faisant un précepte qui
renferme toute la loi. Aussi l'appelle-l-il le
premier et le plus grand de tous les précepics,
afin que, connaissant que nous ne pouvons
l'accomplir sans son secours, nous sachions
en même temps qu'il est prêt à nous l'accor-
der, puisqu'il nous oblige de l'accomplir par
un commandement exprès.
H rappelle le premier ci le plus grand de
tous les précoptes, afin de faire comprendre
à l'homme que s'il méprise tous les soins
qu'il a pris do se rendre aimable, et tous les
mouvements que sa tendresse l'engage à. se
donner pour gagner son cœur, il se revêtira
de toute sa puissance pour se venger de tous
ses mépris et de son ingratitude. Après vous
avoir découvert, mes très-clicrs frères, ces
fondements de l'obligation où nous sommes
d'aimer Dieu oldel'aimer sur toutes choses,
il n'est pas difficile de vous faire conclure
qu'un homme qui néglige de la remplir s'al-
lirc une effroyable condamnation, et com-
bien il se rend misérable en n'aimant pas
son Dieu. Quelle plus terrible condamna-
tion, en effet, que d'être frappé d'analhème
par un apôtre qui le fulmine contre ceux
qui n'aimrnt pas Jésus-Christ I Toutes les af-
fections étrangère!, dit saint Chrysoslomc,
nous séparent in visiblement de Dieu dès
celle vie. jusqu'à ci; qu'elles nous en sépa-
rent pour jamais dans l'autre. Quelle plus
terrible condamnation que d'être rejeté par
•Jésus-Christ, qui déclare indigne de lui celui
Oltl aime son père ou sa mère plus que lui I
Mais aussi, mes frères , quoi de plus digne
446
de cette condamnation qu'un homme qui,
comme dit le grand saint Basile, devient vo-
lontairement et par son choix un sujet de
confusion à Jésus-Christl car, selon la pen-
sée de ce Père, le démon, qui nous séduit
maintenant, et qui met tout en usage pour
nous faire oublier notre bienfaiteur par
l'attachement qu'il nous donne aux charmes
trompeurs de ce monde, ne manquera pas
d'insulter à notre perte et à notre condam-
nation, et de nous couvrir de honte au sortir
de cette vie, en nous reprochant devant
Dieu le mépris que nous avons fait de ses
bontés, et il fera gloire de nous convaincre
de désobéissance, d'infidélité et d'apostasie,
par le mépris que nous avons fait des com-
mandements de Dieu. J'avoue, dit ce grand
saint, que cette insolence outrageuse avec
laquelle il s'élèvera contre Dieu, et cette
gloire de notre ennemi, qui pourra se vanter
d'avoir été préféré, tout trompeur et tout
méchant qu'il est, à un Dieu qui nous a
comblés de se9 biens et qui n'a rien oublié
pour se faire aimer de nous, me paraît plus
insupportable que tous les tourments de
l'enfer, n'y ayant rien de plus horrible pour
un chrétien que d'avoir donné à l'ennemi
de Jésus-Christ l'occasion et la matière de
s'élever contre celui qui est mort et qui est
ressuscité pour nous, et à qui nous sommes
redevables de tout.
C'est néanmoins ce que nous faisons tous
les jours : nous préparons durant cette vie
à l'ennemi de Jésus-Christ le triomphe dont
il jouira à notre mort. Ceci est sensible, mes
frères, car comme nous ne saurions servir
deux maîtres, qu'il faut nécessairement que
l'un donne l'exclusion à l'autre, et que celui
que nous servons règne dans notre cœur et
que nous soyons à lui, ainsi, mes frères, l'en-
nemi de Jésus-Christ y règne, si, au préju-
dice de l'amour que nous lui devons, nous
sommes attachés aux créatures et aux faux
biens de ce monde trompeur. Au moment de
notre mort, montrant les armes dont il s'est
servi pour nous vaincre, il insultera à Jésus-
Christ, en lui faisant voir que les objets de
nos passions ont eu plus de charmes pour
notre cœur quelui-mêmeavec toute sa gloire.
Mon Dieu, de quelle condamnation un cœur
ne se sent-il pas digne par une si horrible
perfidie 1 Vous n'attendez pas à la punir dans
l'éternité, Seigneur, mon Dieu ; et le désir de
sauver cet homme qui veut se perdre en re-
jetant votre amour vous oblige à lui faire
ressentir dès celte vie la misère effroyable où
il s'engage lorsqu'il vous abandonne, en lui
faisant trouver sa peine dans les objets mê-
mes de son indigne amour.
C'est là l'effet d'un déplorablo aveugle-
ment, ô homme malheureux 1 de ne pas pro-
filer de cette conduite de ton Dieu, et de
vouloir être misérable dans le temps cl. dans
l'éternité, quand tu peux être heureux dans
l'un et dans l'autre eu aimant ton Dieu.
Saint Crégoirc, dans sou commentaire sur
Job, fait une belle distinction des œuvres dos
hommes. Il y a dans celle vie, dit < c saint
I pape, des actions laborieuses, il y en a de
U7
ORATF.UHS BACHES. DOM JEROME.
418
raines, mais il s'en trouve qui sonl tout en-
semble et vaincs et laborieuses. Supporter
les maux de la vie présente pour l'amour de
Dieu, c'est une chose pénible, mais qui n'est
pas vaine; s'abandonner aux voluptés par
un amour déréglé pour le siècle, c'est une
chose vaine qui n'est pas pénible ; mais
souffrir les maux et les disgrâces du monde
pour l'amour du monde, c'est assurément
une chose qui est tout ensemble et vaine et
laborieuse, puisque la peine et la douleur
de l'esprit ne sont point soulagées par la
consolation de la récompense. Le premier
état est celui des iustes qui craignent Dieu,
qui l'aiment et à qui tout est utile pour le
salut ; le second est celui des pécheurs livrés
à l'iniquité, qui n'aiment ni ne craignent
Dieu; le Iroisième est celui d'un irès-grand
nombre de gens qui ne sont pas absolument
livrés à l'iniqui'.é, mais qui sont remplis et
pénétrés de l'amour du monde ; en telle sorte
que, sans penser à Dieu, ils ne travaillent
qu'à s'en faire aimer, et ils ne songent qu'à
posséder ce monde et ses biens.
Or, mes frères, la vie de ces personnes est
tout ensemble et vaine et laborieuse. Elle
est vaine : car, hélas ! qu'est-ce que toute la
vie de l'homme du monde le plus occupé,
mais qui n'aime point Dieu? C'est une gran-
de fable et un long mensonge, dit saint Au-
gustin. Elle est laborieuse, et c'est l'effet de
l'indignation de Dieu dans celte vie, sur
l'homme qui lui ôte son cœur pour le donner
au monde. Je ne veux alléguer d'aulres
preuves que celle que votre propre expérien-
ce vous fournit. Appliquez-vous à vous-mê-
mes, mes très-chers frères, et considérez
quelle est la situation de votre cœur, tantôt
agile par de vaines jo'es, tantôt rempli de dé-
sirs qui lui font perdre le repos, tantôt ef-
frayé par des craintes sans fondement et sans
utilité.
Figurez-vous quelque étal que vous vou-
drez en cette vie, vous trou\erez qu'on n'y
peut avoir de repos, ni dans les petites ni
dans les grandes conditions. Elles sont tou-
tes sujettes à des peines et à des agitations
fâcheuses ; on n'y trouve point la tranquil-
lité qu'on y cherche. Les petites conditions
sonl exposées à l'injustice et à l'oppression,
et les grandes à l'envie et à la haine. Qui
voyez-vous ici dans l'abondance , s'écrie
saint Augustin? Personne ; l'abondance de
l'homme dans celte vie n'est que misère et
affliction. Plus les hommes sonl dans l'abon-
dance, plus ils sont dans le besoin, poursuit
ce saint docteur; car ils en sont plus déchi-
rés par leurs désirs, plus dissipés par leurs
passions, plus tourmentés par leurs craintes,
plus rongés par leurs chagrins. Ils désirent
ce qu'ils n'ont pas, ils n'aiment pas ce qu'ils
ont, et ce qu'ils ont et ce qu'ils aiment n'est
propre qu'à les tourmenter. Il faut que votre
misère soit bien pressante, puisque souvent,
lorsque vous êtes au milieu de ces agitations
cl environnés de périls, vous souhaitez la
mort, dit saint Chrysoslomc, et vous appelez
mille fois heureux ceux qui vivent daus la
solitude et dégagés du soin du monde.
Telle est et telle sera la misère, ô homme
qui refuses d'aimer Dieu, et qui donnes ton
cœur aux créatures! Car apprends aujour-
d'hui cette belle maxime de saint Augustin,
que la rentable félicité ne consiste pas abso-
lument a posséder ce qu'on aime, mais à ai-
mer ce qui doit être aimé.
C'est être misérable que d'aimer des cho-
ses nulsîbli s et mauvaises ; mais c'est être
encore plus misérable que de les avoir obte-
nues et de les aimer. Quoil chrétien, est-il
possible que tu veuilles passer ta vie dans
ces misères ? Car enfin I application acca-
blante et continuelle que l'on a vers ces dif-
férentes choses du siècle abrège et diminue
beaucoup cette vie, qui d'elle-même est si
courte ; et à la fin de ces applications si la-
borieuses, qu'arrive-t-il ? qu'ayant été raine
aussi bien que pénible, ce monde et tous ses
biens s'évanouiront, et tu demeureras seul
et dépouillé de toutes choses, livré à la juste
condamnation que Dieu prépare à ceux qui
ne l'ont point aimé.
Réveille-toi, chrétien, et ne sois pas assez
aveugle pour le précipiter dans des misères
éternelles. Eu supportant les misères prés lû-
tes, ressouviens-loi delà dignité de ton être ;
tu n'es formé que pour aimer Dieu ; pense
qu'il n'est rien de si doux que la voie quo
Jésus-Christ l'a ouverte pour arriver à la
perfection de l'être que lu liens de lui, puis-
que tu la trouveras dans l'exercice de l'a-
mour. Ecoute le Seigneur ton Dieu qui te
commande de l'aimer, et qui te menace si lu
refuses de le faire. Dis-lui donc avec saint
Augustin : O mon Dieu, pourquoi me mena-
cer si je ne vous aime pas ? Me faul-il d'au-
tres châtiments pour le défaut de cet amour,
que le défaut de mon amour même, et y a t-il
une plus effroyable misère pour un chrétien,
que celle de ne vous pas aimer, Seigneur !
C'est par là que je conclus qu'il faut aimer
Dieu, et c'est de l'idée juste de la nature de
cet amour que je vais vous entretenir dans
la seconde, partie de ce discours.
SECONOE PARTIE.
Ce sera le Seigneur lui-même qui nous
apprendra ce que c'est que de l'aimer, et
quelle est la nature de cel amour qu'il de-
mande de nous ; car on s'en forîM de tes-
fausses idées, et on se Halle quelquefois de
l'aimer quand on en est fort éloigné. Voici,
mes frères, comme il a parlé autrefois par la
bouche de Salomon. L'amour de Dieu, c'est
l'observation de ses lois; aimer Dieu, c'est
garder ses commandements. La Sagesse in-
carnée, dont celle de Salomon n'était que la
ligure, nous enseigne celle vérité, et nous la
repèle plusieurs fois dans l'Evangile de saint
Jean, le disciple et le docteur de l'amour.
Celui qui garde les commandements de Dieu
et qui les observe, c'est celui-là qui l'aime :
Jlœc est cliaritas Dci, ut mandata rjus furia-
us. L'amour de Dieu consiste donc a gar-
der ses commandements. Il y a, dit sainl Ba-
sile, une conuesilé et une union si parfaite
entre l'amour de Dieu et l'observation de ses
commandements, que Jvsus-Ohrisl deiifinu
W)
SERMON POUR LE TROISIEME DIMANCHE DE CAREME.
m
l'un par l'autre dans l'Evangile ; et en effet
l'un ne peut être sans l'autre. Nous ne pou-
vons aimer Dieu, sans accomplir ses com-
mandements, c'estlui-même qui ledit. Siquel-
qu'un m'aime, il gardera ma parole. Nous ne
pouvons accomplir ses commandements sans
qu'il nous donne son amour, qu'il vienne en
nous et qu'il y habite avec son Père ; c'est
ce qu'il continue de nous dire dans le même
endroit de l'Evangile : Mon Père l'aimera, et
nous ferons en lui notre demeure.
Ces trois choses-là sont inséparables : on
ne peut aimer Dieu sans garder ses comman-
dements, on ne peut avoir un vrai plaisir de
lui plaire sans l'aimer; et quand on l'aime
et qu'on garde ses commandements, il vient
en nous avec son Père et il y fait sa demeu-
re, c'est-à-dire, il augmente en nous cet
amour, en sorte qu'il fait que nous persévé-
rons dans l'observation de ses commande-
ments jusqu'à la fin. Voilà donc, mes frères,
l'idée juste de l'amour de Dieu, selon qu'il
nous l'a donnée lui-même. Aimer Dieu, c'est
garder ses commandements ; aimer Dieu,
c'est être dans une disposition sincère de lui
plaire en toutes choses et de ne lui déplaire
en aucune. Aimer Dieu, c'est le préférera
toutes choses, et à soi-même principalement,
en sorte que nous soyons prêts à sacrifier
tous nos désirs et toutes nos passions à sa
volonté. Aimer Dieu, c'est être prêt à perdre
plutôt les biens, l'honneur et même la vie,
que de violer le moindre de ses commande-
ments. Car enfin, mes très-chers frères, ce-
lui qui s'imagine qu'on peut aimer Dieu sans
garder ses commandements s'oppose for-
mellement aux paroles de la Vérité même.
Prenons donc une idée juste de cet amour,
pour ne nous pas tromper. Nous n'aimons
Dieu qu'autant que nous observons ses pré-
ceptes, et moins nous sommes fidèles dans
l'observance de ses préceptes, moins nous
avons d'amour pour lui. Mais il ne suffit pas
de vous avoir donné cette idée de l'amour
de Dieu, il la faut expliquer, et vous faire
sentir pourquoi l'Ecriture et les saints Pères
ont dit que l'observation de la loi et des pré-
ceptes est l'amour de Dieu ; car il n'est pas
vrai, absolument parlant, que cette obser-
vation soit l'amour, puisqu'un esclave peut
bien les observer pour quelque temps par
une crainte servile. La charité, dit saint Au-
gustin, nous est donnée indépendamment de
nous. Elle est répandue dans nos cœurs par
le Saint-Esprit, dit saint Paul, qui nous a
été donné; et quant à l'observation des pré-
ceptes, elle est de nous et de l'amour de Dieu
qui est en nous par le Saint-Esprit. Or, mes
frères, ce qui est produit par une chose n'est
pas la chose même : ainsi l'observation de
la loi étant le signe de l'amour, le signe est
pris pour la chose signifiée; mais l'observa-
tion de la loi étant, comme dit saint Rasile,
le propre effet, la production immédiate et
comme l'accomplissement de l'amour, la
cause et l'effet sont confondus, en sorte que
l'un est pris pour l'autre.
Par ou connaîlrai-jc donc que l'amour
de Dieu est dans un cœur, si ce n'est par le
signe qui me le montre ! car l'amour est
proprement une union de deux volontés.
Cette union est quelque chose de sensible,
et elle l'est par l'observation de la loi; car
prenez garde que la charité qui est répan-
due dans nos cœurs en renferme les désirs,
et en règle les affections, en sorte qu'elle
retranche toutes celles qui sont opposées
aux désirs et à la volonté de Dieu, pour
conformer la nôtre à la sienne. C'est pour-
quoi le précepte d'aimer Dieu ne s'accom-
plira dans toute son étendue que dans la
gloire, parce qu'il n'y aura proprement que
dans la gloire que notre volonté, dégagée de
toutes les impressions de la concupiscence,
n'aura plus d'opposition à celle de Dieu.
Or, mes frères, par où puis-je connaître
celte conformité de volonté, qui est l'ouvrage
principal de l'amour, si ce n'est par l'amour
même qui est l'accomplissement de la loi?
Par la loi de Dieu je connais sa volonté:
c'est la volonté de Dieu, par exemple, que
j'aime mon ennemi, que je lui fasse du bien;
ainsi celui qui doit être aimé a déclaré sa
volonté en imposant une loi pour qu'on
l'aime cet ennemi. Il faut donc que celui qui
doit aimer fasse voir que sa volonté est con-
forme à celle de Dieu. 11 faut qu'il aime cet
ennemi pour l'accomplissement de la loi
qu'il a reçue. Car si je découvre une conduite
contraire à la loi, je vois de l'opposition
dans les volontés, et par conséquent point
d'amour.
Ne nous abusons donc pas en nous repais-
sant de l'idée d'un faux amour qui ne consiste
qu'en paroles. L'amour de Dieu, mes frères,
n'est point oisif: il agit, et il agit fortement.
Trouvez-moi un homme qui ait de l'amour
pour la vie et qui ne fasse rien pour la con-
server, qui ait de l'amour pour les richesses
et qui ne se mette pas en peine d'en acqué-
rir, qui veuille convaincre un grand seigneur
et un ministre de sa fidélité el de l'attache-
ment (ju'il a pour lui, et qui tienne une con-
duite tout opposée à ce qu'il désire, et je
vous accorderai qu'on peut avoir de l'amour
pour Dieu sans observer sa loi. Mais sou-,
venez-vous, mes frères, de ce que dit saint
Jean Climaque, que celui qui se vante d'a-
voir de l'amour pour Dieu, et qui en même
temps a de la haine pour son frère, ressem-
blée celuiqui s'imagine ensonge qu'ilcourt:
toutes ces idées d'amour de Dieu, tous ces at-
tendrissemenlsde < œurqui nepassent jamais
l'imagination, sont autant de songes, selon
l'idée de cet excellent maître de la vie chré-
tienne, el d'autant plus dangereux qu'ils
nous entretiennent dans un sommeil qui
nous empêche d'agir, et d'où il est déplora-
ble de ne sortir qu'à la mort.
Car, mes très-chers frères, si c'est une
obligation indispensable pour le chrétien
d'aimer Dieu, si cet amour consiste dans
l'observation des commandements, sera-t-il
temps de penser à aimer Dieu quand il fau-
dra mourir ? Quelle marque donnerons-nous
de notre amour, lorsque, après avoir passé
notre vie non-seulement sans faire la vo-
lonté de Dieu, mais même sans la connaître,
i',\
onvil.l RS SACRES. DOM JERO
45i
nous loi demanderons son amour éternel
pour récompense d'avoir suivi nos passions
en loulei choses contre ses lois.'
Songeons donc, mes frères, à éviter la
terrible condamnation doni J)icu menace
il, -m s notre évangile ceux qui pensent-â div i-
>er son royaume eu partageant leur coeur
où il veui régner seul. .Mon Dieu, donnez-
nous de L'aversion pour lout ce qui n'est
pas vous el pour tout ce qui ne nous con-
duit pas à vous; faites que, pour votre
amour et par votre amour, nous accomplis-
sions vos divines lois; je vous le souhaiic.
Ainsi soil-il.
SERMON
POUR LE LUNOl DE LA TROISIÈME SEMAINE DE
CARÊME.
De l'amour de Dieu.
Omne regnum in seipsum divisuiu desobbilur.
Tout rounume divisé contre lui-même sera détruit (Luc . ,
XI, 17).
Il faut achever aujourd'hui, mes très-
chers frères, la matière dont nous commen-
çâmes à vous entretenir hier, et après vous
avoir fait voir que le chrétien doit donner
à Dieu son cœur tout entier, pour éviter
l'effroyable condamnation dont il se rend di-
gne en le voulant diviser, et vous avoir ex-
pliqué en quoi consiste cet amour que Dieu
demande de lui, il faut exposer dans ce dis-
cours les deux propositions qui nous restent
pour achever celte matière.
Je vais donc vous faire voir quelle doit
être la mesure de notre amour pour Dieu :
première partie; j'essayerai de vous don-
ner des règles pour connaître si cet amour
est en nous, et en quel degré il y est : se-
conde partie.
Demandons l'assistance du ciel. A ve, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
La vraie mesure de l'amour de Dieu, dit
saint Bernard, est de ne s'en point propo-
ser. En clïet, si nous examinons les termes
dont Dieu s'est servi lorsqu'il nous a fait ce
commandement, nous trouverons que saint
Bernard est entré, quand il nous a donné
celle règle, dans les intentions du Sauveur
du monde. Voici les termes du commande-
ment de Jésus-Christ : Vous aimerez le Sei-
gneur de tout votre cœur , de tout votre es-
prit et de toutes vos forces. Or, vous voyez
qu'il renferme lout, et qu'un chrétien qui
veut satisfaire au précepte dans toute son
étendue ne doit avoir aucun désir qui ne
soit pour Dieu, aucune pensée qui ne tende
à Dieu, et qu'il ne doit faire aucun mouve-
ment ni aucun usage de son âme, qui ne lui
soit consacré par la charité.
C'esl, mes frères, ce que saint Bernard
nous explique dans l'excellent traite qu'il
nous a laissé de l'amour de Dieu. Quand
Dieu nous a commandé, dil-il, de l'aimer de
tout noire cœur, de toute notre âme et de
toutes nos forces, voici quelle est l'étendue
qu'il a voulu donner à ce précepte. H a pré-
tendu que le chrétien l'aimât de lout ce qu'il
est, de tout ce qu'il sait, de tout ce qu'il peut.
Par l'obligation de l'aimer de tout ce qu'il
est, il découv rc au chrétien ce que nous vous
exposâmes hier, mes très-cberi frères, et ce
que nous répéterons encore dans un moment.
>u être est un être d'amour, qu'il ;
fait (jue pour aimer Dieu, et qu'il rend'
l'être qu'il a reçu de lui, s'il manque à l'ai-
mer. C'est ce que le Seigneur exprimi
l'obligation de l'aimer de lout son cnur,
pour nous faire entendre que comme le cour
est tellement le principe de la vie naturelle
de l'homme, qu'il entre dans toutes ses opé-
rations! l'amour de Dieu doit être de même
le principe de la vie du chrétien et animer
toutes les siennes.
Par l'obligation de l'aimer de lout ce
sait, saint liernard explique celle autre par-
tie du précepte qui regarde l'esprit, en ap-
prenant au chrétien que toutes les pensées
de son esprit doivent se rapporter à Dieu, et
qu'il ne lui est pas permis de s'appliquer à
aucun exercice de l'esprit, capable non-seu-
lement de le détourner de Dieu, mais même
qui ne puisse contribuer à l'accroissement
et à la perfection de cet amour.
Par l'obligation de l'aimer de lout ce qu'il
peut, saint Bernard explique cette dernière
partie du précepte, en nous montrant que
loulcs les actions du chrétien doivent être
des actions d'amour, c'est-à-dire produites
par amour et rapportées à la gloire de Dieu ;
qu'elles doivent être faites dans les vues du
plus grand et du plus parfait amour dont le
chrélien est capable, el qu'il n'y a rien qui
soit digne de Dieu, que ce qu'on fait avec
toute la vertu dont on est capable. Voilà, dit
saint Bernard, la règle que le chrélien se doit
prescrire dans son amour, aimer sans mesure :
car s'il est vrai que le chrétien n'a été formé
que pour aimer, el que.réuni à la personne de
Jésus-Christ comme le membre à son chef, il
ne compose avec lui qu'un corps mystique
dont l'amour de Dieu est tout l'exercici
est vrai qu'il ne puisse trouver la perfection
de cet être d'amour que dans l'exercice de
l'amour même, comme l'homme naturel ne
se perfectionne dans la vie qu'en passant par
des âges dii'érents et eu faisant des actions
de \ie qui le couduiscut à Page parfait;
quand un chrétien me demandera quelle doit
cire la mesure de son amour, je lui deman-
derai quelle est celle qu'il veut donner à sa
vie: je lui deaiaudcrai si, en se contentant
d'être vivant par sa naissance, il eût voulu
demeurer enfant sans aller plus loin; si,
étant homme, il ne désire pas de vivre le
plus qu'il pourra ; cl si , dans la disposition
de son cœur, il ne voudrait pas que la me-
sure de sa vie fût de n'en point avoir. Si cela
est ainsi, il est aisé de lui faire comprendre
qu'il ne doit point donner de bornes à son
amour; c ir nous sommes obligés, dit saint
Paul, de travailler sans cesse, jusqu'à ce que
nous soyons arrives à l'état d'un liommr par-
fait, à le mesure de l'Agt i ! de la pïinitudc qui
doit former JéiUS-Christ en n u<
De là j'apprends plusieurs vérités impor-
tâmes : 1 Que la vie de Jesus-Cbrisl est en
moi, cl que je ne forme qu'un corps avec lui;
1 que la perfection de cette vie n'est pas
153
SERMON POUR LE LUNDI DE LA TROISIEME SEMAINE DE CAREME.
AU
pour le temps, mais pour l'éternité; parce
que cet âge parfait et celte plénitude sont la
consommation de la charité et le parfait ac-
complissement du précepte d'aimer Dieu, ce
qui ne sera que dans le ciel ; qu'il faut que
je travaille continuellement à avancer dans
cet amour; que je ne dois pas me contenter
d'être un enfant dans celte vie divine, parce
que dès qu'on veut fixer cette vie à un cer-
tain degré, on l'éteint entièrement. Celui qui
n'avance point recule dans cette carrière, dit
saint Bernard. Ainsi je ne dois donner au-
cune limite à mon amour, el à quelque de-
gré de perfection que la miséricorde de Dieu
ait voulu que je le conduise, je dois toujours
désirer quelque chose de plus parfait, puis-
que je suis obligé de tendre à un degré de
plénitude que je ne trouverai point dans cette
vie mortelle.
C'est ce que saint Bernard nous a voulu
faire entendre quand il dit qu'un chrétien
qui veut remplir son devoir sur l'amour qu'il
doit à son Dieu comme sa vie, doit commen-
cer en l'aimant avec ardeur, qu'il doit conti-
nuer en l'aimant plus ardemment, et qu'il doit
finir en l'aimant très-ardemment. Ceci nous
donne une excellente idée de la vie chré-
tienne, qui ne doit être qu'un cercle d'actions
et de mouvements d'amour de Dieu, comme
la vie d'un homme du monde el d'un pécheur
n'est qu'un cercle d'actions et de mouve-
ments d'amour du monde.
Ceci nous apprend que saint Thomas a eu
raison de dire, que non-seulement un chré-
tien, mais même un homme ne peut com-
mencer sa vie raisonnable que par un mou-
vement d'amour de Dieu, s'il ne veut faire
une injure à son Créateur, et lui ôter son
cœur pour le donner à quelque créature, et
que ce progrès d'amour auquel nous sommes
obligés ne peut se fairesi nous n'aimons Dieu
dans une totalité qui donne l'exclusion à
toute mesure. Ceci nous apprend qu'il ne
faut pas réduire l'obligation d'aimer Dieu à
certains jours et à certaines conjonctures,
parce que celte obligation étant en quelque
sorle dans l'être du chrétien ce que la faculié
de raison est dans l'être de l'homme, il n'y a
aucun temps dans la vie du chrétien où il
puisse êlre sans aimer son Dieu, comme il
n'y a aucun temps dans celle de l'homme où
il puisse être sans raisonner.
Mais il faut donner, mes frères, quelques
éclaircissements à ces grandes vérités, pour
prévenir toutes les difficultés qu'on pourrait
avoir sur celte obligation d'aimer Dieu sans
mesure, en tout temps, et de tout notre
cœur. Car mon dessein n'est pas de dire par
la que le chrétien doil êlre dans l'exercice
continuel d'a< les d'amour de Dieu, et qu'il
quille tout autre emploi pour s'appliquer
sans relâche à produire de semblables actes:
Ce serait une illusion. Nous avons déjà dit
que l'amour de Dieu consiste dans l'observa-
tion de la loi, et qu'ainsi ne rien faire contre
la loi, c'est aimer Dieu. S'appliquer aux de-
voirs de la condition chrétienne et réglée où
la providence de Dieu nous a placés pour
plaire à Dieu qui nous y a mis, et le faire
avec charité et avec amour, c'est aimer Dieu.
Demeurer dans la soumission à tous ses
commandements, et ne pas persévérer dans
la transgression d'aucun, c'est aimer Dieu.
Les fautes mêmes d'infirmité et de faiblesse,
les manquements qui viennent de défaut de
vigilance et de surprise, n'empêchent pas
que le fond du cœur ne soit à Dieu.
Ceci, mes frères, nous apprend que ce
commandement qui demande une totalité
entière dans son accomplissement, s'arcom-
mode néanmoins avec notre infirmité pré-
sente. Dieu l'a publié dans toute son étendue,
non pas afin de nous obliger à son accom-
plissement dans toute l'étendue qu'il lui a
donnée, car cela est impossible à la faiblesse
présente, mais il a voulu nous apprendre où
nous devions tendre, dit saint Augustin, et
qu'élant destinés à l'aimer éternellement
dans la gloire, où ce précepte s'accomplira
dans toute sa plénitude, il fallait commencer
dès celte vie à l'aimer dans toute la pléni-
tude dont nous étions capables, et avancer
toujours dans cet amour, pour approcher
de la perfection à laquelle nous sommes ap-
pelés.
Ainsi, mes frères, il est très-vrai de dire
que nos faiblesses et nos infirmités ne dé-
truisent pas l'amour de Dieu. Il y a diffé-
rents états de faiblesse que l'Ecriture nous
montre dans des exemples frappants. Le pa-
ralytique est porté sur son lit, il se repose
et se plaît dans ses faiblesses; c'est là le
mauvais état. Jésus-Christ le guérit, il porte
son lit, il n'aime pas ses faiblesses, mais il les
supporte; c'est là un bon état. Enfin il parvient
àun état parfait, dans lequel pourtant il faut
veiller, de peur de se réconcilier avec ses fai-
blesses.Ainsi, bien loin que nos faiblesses et
nos infirmilés,étantà présent dans l'ordre do
Dieu, affaiblissent l'amour de Dieu, j'ose
dire au conlrairc que de s'humilier dans ses
faiblesses, de gémir dans ses infirmilés et de
les supporter sans les aimer, c'est aimer
Dieu. Mon Dieu, que vous êtes aimable dans
les facilités que vous donnez pour remplir
l'obligation de vous aimer 1
Cel amour entier que Dieu exige de nous
n'exclul pas celui que nous devons à notre
prochain, puisqu'au contraire celui que nous
devons à nos frères fait partie de celui qu'il
exige de nous. Le Sauveur nous dit dans
l'Evangile que ce second commandement est
semblable au premier, voulant nous faire
connaître qu'il y a une liaison si étroite en-
tre ces deux commandements, qu'on les
trouve unis l'un à l'autre; car l'amour de
Dieu doit êlre la fin de celui du prochain ; et
nous ne devons l'aimer que pour Dieu.
Saint Augustin nous explique ceci admi-
rablement, en distinguant deux sortes d'a-
mour. Il appelle l'un amour fixe, de repos et
de (in, c'est-à-dire un amour qui subsiste
toujours, dans lequel la créature doil se re-
poser ; il appelle l'autre un amour de passar/e
et de relation, c'est-à-dire qui nous conduit
à un autre amour, et dans lequel la créature
ne se doil pas fixer, parco qu il ne l'unit pas
à sa fin. Leprcmicr amour csl celui que nous
ISS
OHATEl'itS SALUES. DOM JEROME.
iv
devons à Dieu : lui seul est no're fin. cl l 'est
en lui seul que noire volonté doit s'arrêter.
Le sectOd amont est celui que nous (levons
à la créalure. Nous ne pouvons l'aimer lé-
gitimement que'pour Dieu. L'amour du pro-
chain doit être rapporlé à un autre qui lui
est supérieur cl qui doit régner dans notre
cœur et en régler tous les mouvements.
Voilà pourquoi saint Thomas, expliquantes
passage de la première Epître aux Corin-
thiens, où saint Paul nous dit que celui qui
se marie est divisé, nous avertit que celte di-
vision ne doit être que dans les devoirs ex-
térieurs, et qu'elle ne doit rien diminuer de
l'ardeur et de la fidélité avec laquelle nous
devons aller à notre fin principale qui est
Dieu, à qui tout doit être rapporté.
Il faut encore entendre parler le grand
saint Augustin sur cette matière dans le ser-
mon o49\ Ce saint docteur dislingue (rois
sortes d'amour: le premier c'est l'amour de
Dieu , Charitas diviua ; le second c'est l'a-
mour de la créature, mais un amour licite,
permis et réglé, Charitas humana licita ;
c'est relui qu'un mari porte à sa femme,
une mère à son enfant, un ami à son ami.
Cetamourest tellement permis que, quoique
ce ne soit pas un mérite particulier pour un
homme de l'avoir, parce qu'il est naturel
d'aimer son enfant, sa femme, son ami , celui
qui ne l'a pas mérite d'être condamné. Non
laudandtis est qui amat filios, sed datnnandus
est qui non amat. Aussi, mes frères, cet
amour-là se trouve-t-il entre les impies, les
infidèles et les païens.
Mais il n'en faut pas demeurer là. II y a
un troisième amour humain qui est défendu ,
Charitas humana illicita : c'est l'amour qui
attache un homme à la créature pour la dé-
baucher. Mettez, dit saint Augustin, l'amour
de Dieu entre l'amour défendu et l'amour
permis, et demandez à cet amour de Dieu
avec lequel des deux il veut se joindre pour
demeurer ensemble dans le même cœur, il
rejettera l'amour illicite avec lequel il ne
peut compatir, mais non pas l'amour humain
quand il est honnête, parce qu'il ne peut
même souffrir celui qui ne l'est pas, de même
qu'un homme qui a quelque reste d'amour
pour sa femme ne peut se résoudre à amener
dans sa maison une concubine qu'il voit en
secret. Ainsi, mes frères, l'amour de Dieu re-
jettera toujours l'amour défendu, mais il s'u-
nira avec l'amour permis ; d'où il faut con-
clure que l'amour de la créature, quand il
est réglé, n'est pas contraire à l'amour de
Dieu, quoiqu'il soil humain, puisqu'il fait al-
liance avec lui, et qu'il le perfectionne en s'y
unissant. Aimez donc, continue saint Augus-
tin, aimez vos enfants, aimez vos femmes,
aimez vos amis, et ne croyez pas que cet
amour soil contraire à celui que vous devez
à Dieu dans toule l'étendue que je viens
d'expliquer, quoiqu'il y ait encore quelque
faiblesse et quelque imperfection dans cet
amour, quoiqu'il y ait de l'humain et du sen-
sible dans votre tendresse.
Mais prenez garde que si on ne condamne
pas absolument celte sorte de faiblesse qui
procède d'un sentiment humain , on ai
tout ce qui va a donner a la créalure la
moindre préférence au-dessui deJésue*Cbi i^i :
car alors \ DOS soumettriez Dieu a la ( realure,
en la regardant comme voire On ; vous n'au-
riez plus pour elle cet amour de passage qui
lui convient, mais cet amour fixe et de repos
qui n'appartient qu'à Dieu. Aimez donc vo-
tre mari et vos enfants selon )ésUS-Cbrisl ;
n'aimez en eux que Jésus-Christ; haïsses
toul ce qu'il y a dans leur conduite d'opposé
à la volonté de Jésus-Christ: c'est là la di-
vine charité, et cet amour rentrera dans ce-
lui de Dieu, comme l'effet dans sa cause.
l'.ir là vous voyez que l'on ne donne point
de bornes à l'amour de Dieu, quoiqu'on
rende aux hommes tous les devoirs de l'a-
mour humain, parce qu'on rapporte tout à
Dieu et qu'on le regarde comme la fin de
toutes choses. Examinons maintenant quel-
les sont les règles sur lesquelles nous pou-
vons reconnaître si nous avons l'amour de
Dieu et en quel degré nous l'avons : c'est le
sujet du second point.
seconds: partie.
Je ne vais pas vous dire à chacun en par-
ticulier si \ous avez l'amour de Dieu, ni en
quel dégrevons l'avez; mais je vais vous
proposer des règles générales que vous pou-
vez vous appliquer pour connaître quelle
est votre disposition et où vous en êtes sur
cet article si important pour le salut. Elles
sont tirées de cet excellent livre de saint Au-
gustin de laDoctrinechrétienne; voici comme
il parle : Celui-là aime Lieu véritablement qui
a un amour bien régir ; celui-là ne l'aime pas
qui aime ce qui ne doit jias être aimé. Ainsi,
mes frères, celui-là l'aime qui n'aime pas
plus ce qui doit être aimé moins, qui n'aime
pas avec égalité ce qui doit être plus ou moins
aimé, et qui n'aime pas plus ou moins ce
qui doit être aimé également. Expliquons
tout ceci en le réduisant à trois propositions
claires et distinctes.
Celui qui aime ce qu'il ne doit point aimer
n'a pas l'amour de Dieu; celui qui aime ce
qu'il doit aimer a l'amour de Dieu: celui
qui, en aimant ce qu'il doit aimer, suit l'ordre
que Dieu lui prescrit, peut connaître en quel
degré est son amour. Voilà donc tout le sujet
de celle seconde partie.
Et d'abord celui-là n'aime pas Dieu qui
aime ce qu'il ne doit pas aimer, la raison en
est évidente : ce qu'il ne doit point aimer est
rejeté de Dieu et lui déplait absolument; or
il ne peut aimer ce que Dieu rejette et ce qui
lui déplaît, sans être dans une volonté oppo-
sée à celle de Dieu, ce qui est incompatible
avec l'amour. 11 esl certain qu'il y a des
choses que Dieu rejette et qui lui déplaisent:
ainsi un homme qui aime le monde et toutes
les choses qui sont du monde n'aime point
Dieu. Mais, me direz-vous, qu'est-ce qu'aimer
le monde, et d'où vient qu'en l'aimant on ne
peut aimer Dieu? Hien de plus important,
mes frères, que de le savoir, puisque nuire
salut dépend de celle haine et de cet amour.
Or, pour bien expliquer ceci, il faut d'à-
£.f>7
SERMON POUR LE LUNDI DE LA TROISIEME SEMAINE DE CAREME.
458
bord définir le monde et reconnaître ce que
c'est que ce monde que Dieu a déclaré son
ennemi en tant d'endroits de l'Ecriture.
Par ce monde, mes frères, nous n'enten-
dons pas ces maisons, ces villes, ces assem-
blées de gens que nous voyons; nous n'en-
tendons pas même ces hommes qui forment
ces assemblées, qui remplissent ces villes,
qui tiennent les premiers rangs, ou qui ne
tiennent que les derniers dans la république
et dans les royaumes. Les disciples du Fils
de Dieu demeuraient dans les villes, ils en-
traient dans les assemblées des hommes,
comme ils y entrent encore aujourd'hui, et
il y a des élus dans toutes les conditions,
comme il y a des réprouvés; l'Eglise est ré-
pandue dans tout le monde. Mais dans le
monde, il y a un monde, dit saint Augustin,
qui hait le monde et qui persécute le monde;
et voici comment ce saint docteur explique
ce paradoxe.
Du milieu de cette masse corrompue par
Adam, il s'élève un nombre de gens choisis
par la miséricorde de Dieu, qui, en vivant
selon l'esprit, en gardant ses commande-
ments, en marchant dans ses voies, en usant
de toutes les choses du monde selon sa vo-
lonté, forment le monde que saint Augustin
appelle le monde réconcilié, purifié et destiné
au salut. Ceux au contraire qui rejettent les
lumières de l'esprit de Dieu, qui violent ses
commandements et qui refusent de marcher
dans ses voies pour suivre celles de leurs
passions, demeurent volontairement dans la
corruption qu'ils ont tirée d'Adam, l'aug-
mentent par la leur propre, et, abusant de
toutes les choses du monde par l'usage qu'ils
en font contre la volonté de Dieu, forment
ce monde perdu, souillé et condamné : de
sorte que lorsque nous disons que le monde
est l'ennemi de Dieu, c'est de celui-là que
nous parlons, parce que ses sentiments sont
opposés à ceux de Dieu et à ceux du monde
saint qui lui appartient; car la justice et la
loi de Dieu règlent les sentiments du monde
qui appartient à Dieu, et au contraire le
monde perdu et réprouvé de Dieu suit les
désirs de ses passions déréglées, cl roule
dans l'assouvissement des trois concupis-
cences dont parle saint Jean.
Qu'est-ce donc, mes chers frères, que d'être
du monde? c'est aimer ce que le monde aime,
haïr ce qu'il hait, suivre ses sentiments, et
vivre selon ses principes. Par là vous vous
rendez ennemis de Dieu, car Dieu hait tout
ce que le monde aime, il aime tout ce qu'il
bail, et il y aura toujours une opposition
irréconciliable entre leurs sentiments et leurs
principes. Voilà donc, mes frères, une excel-
lente règle pour reconnaître si l'on aime
Dieu : il ne faut que s'examiner et se dire à
soi-même : J'appartiens à Dieu par mon bap-
tême, je suis de l'Eglise, je suis du monde
réconcilié; n'ai-je point d'amour pour les
choses que je ne dois point aimer, pour les
biens, pour les honneurs, pour les commo-
dité! de la vie, pour les plaisirs? Ne fais-jc
point de tout cela mon bonheur et mon re-
pos? Car l'amour de toutes ces choses est
Orateurs sacrks. XXX.
condamné par Jésus-Christ : j'y ai renoncé
par le baptême, qui m'a donné entrée dans
son Eglise et qui m'a associé au monde ré-
concilié.
Mais par où pourrai-je reconnaître si j'ai
l'amour de ces choses? sera-ce par la pos-
session? suis-je l'ennemi de Dieu parce que
j'ai des richesses, ou parce que ma condition
et ma naissance m'ont mis dans les honneurs
du monde? A Dieu ne plaise que nous avan-
cions ces principes 1 Je sais bien que l'état
des riches est dangereux, qu'on arrive diffi-
cilement au salut par la voie des honneurs;
mais je ne dis pas que cet état y soit absolu-
ment contraire. Si cela était, il faudrait le
quitter, et on ne pourrait jamais y faire son
salu!; mais il y a eu des riches qui se sont
sanctifiés dans les richesses. Ce n'est donc
pas pour être dans la possession des choses
que le monde aime qu'on est du monde,
comme on n'est pas à Jésus-Christ pour être
privé de cette possession : car un grand sei-
gneur peut être à Jésus-Christ dans la pos-
session de ces biens, et un religieux peut être
du monde après y avoir renoncé. Par où
connaîtrai-je donc si je suis l'ennemi de Jé-
sus-Christ et si j'ai l'amour de ces choses
dans le cœur? Sera-ce par le désir de con-
server les biens que j'ai, ou par les soins
que je me donne pour les augmenter?
Cet état, mes frères, est encore fort dange-
reux , et il approche davantage de l'amour
du inonde qui nous rend ennemis de Jésus-
Christ'; mais parce qu'il y a un désir réglé
de conserver son bien contre les injustices
et les violences de ceux qui veulent nous le
ravir, et une application à l'augmenter par
un travail chrétien et réglé par la justice, ce
désir et cette application ne sont pas encore
des marques certaines de cet amour du monde
qui nous rend ennemis de Jésus-Christ.
Voici donc, mes frères, à quoi vous recon-
naîtrez que vous avez l'amour du monde:
c'est, par exemple, lorsque, possédant ces
biens, vous en faites un usage contraire à la
volonté de Dieu, que vous n'êtes riches que
pour vous-mêmes, sans vouloir répandre de
vos richesses sur les autres, selon l'ordre de
Dieu. C'est lorsque, vous dépouillant de toute
sorte d'humanité à l'égard du pauvre, vous
vous rendez insensibles à sa misère sans la
soulager, ou bien que vous vous réduisez à
une impuissance criminelle de la soulager
autant que vous le devez, parce que vous
vous êtes fait une nécessité volontaire d'être
ambitieux, superbes et voluptueux. C'est
lorsque vous établissez votre félicité et votre,
bonheur dans la possession de vos richesses,
que vous vous en remplissez comme si elles
ne devaient jamais finir, que vous ne pensez
qu'à elles, que vous ressentez de l'horreur
pour tout ce qui n'est pas richesses ou gran-
deur, comme pour la pauvreté; que vous
méprisez l'humilité, que vous éloignez do
vous la mortification des sens. Ah ! c'est pour
lors que vous avez l'amour du monde et que
vous n'aimez point Dieu. Le Seigneur vous
regarde comme ses ennemis, et voici comme
il parle de vous dans son Evangile : Malheur
15
*50
OIUTI.l l!S SACRES. 1)0 M Jl.ltOME.
0
à vous, rit lies, parce que l oui et i \i$ !
Malheyt à voua uni nez maintenant ! Ualht
à vous, torique lee hommes il roui du bien de
tout '■ Vous avez l'amour du monde! el »•
j |es ennemis de Jésus -Christ lorsque,
pour contenter le désir d'augmenter vos
biens, vous prenez des voies injustes, lors-
que vous entiez dans des commerces d'usure,
lorsque vous vous absorbez totalement dans
les soins de la vie présente < l que vous né-
gligez les affaires de votre s. lut, lorsque,
dans la crainte de perdre les biens présents
ou de les voir diminuer, vous entreprenez
pu vous soutenez des procès injustes, lorsque
vous ne restituez pas les biens mal acquis,
cl que vous n'examinez pas avec soin si vous
devez en faire la restilulion, lorsque vous ne
payez pas vos dettes et que vous failcs souf-
frir le prochain en lui retenant ce qui est à
lui, pour ne pas voir diminuer vos biens en
le lui rendant.
Enfin, mes frères, tenez celle règle pour
certaine que vous aimez le monde, et que
par conséquent l'amour de Dieu n'est point
en vous, lorsque, pour les biens qu'on ap-
pelle du monde, ou pour les augmenter, ou
pour en user, vous violez la loi de Dieu; car
alors le monde triomphe dans votre cœur,
el Dieu en est rejeté. Voilà donc ce qu'il faut
que vous sachiez, el ce qui concerne la pre-
mière règle : vous aimez ce que vous ne devez
point aimer.
La seconde règle pour reconnaître si on
aime Dieu, c'est d'examiner si on aime ce
qu'on doit aimer. Or, mes frères, ce que nous
devons aimer, c'est Dieu môme, comme nous
vous l'avons fait voir; mais par où connaî-
trons-nous que nous aimons Dieu véritable-
ment? ce sera non-seulement en n'aimant
pas ce qu'il a condamné , c'est-à-dire le
inonde, comme nous venons de le dire, mais
encore en aimant ce qu'il a aimé. Car si l'a-
mour n'est qu'une union parfaite de volonté-,
il ne peut y avoir d'amour sincère et véritable
si nous ne haïssons ce que liait celui que nous
aimons, et si nous n'aimons pas ce qu'il
aime. Nous devons donc aimer ce que Dieu
a aimé et ce qu'il aime sur la lerre. Mais
qu'est-ce que Dieu a aimé et qu'aimc-i-il
sur la terre? Cette demande, mes frères, est
d'une grande étendue, el il faudrait dire bien
des choses pour y répondre entièrement;
mais contentons-nous de dire qu'il y a trois
choses auxquelles on peut rapporter l'amour
de Dieu, et sur lesquelles nous pouvons juger
du nôtre.
Dieu a aimé Jésus-Christ fait homme pour
sa gloire el pour notre rédemption; il aime
l'Eglise formée par son sang; il aime notre
salut, qui est le fruit de sa mort. Si donc nous
aimons Dieu, il faut que nous aimions ces
trois choses de la manière à peu près que
Dieu les a aimées.
Or, mes frères, aimez-vous Jésus-Christ ,
incitez-vous en lui loulc votre complaisant c
comme Dieu l'y a mise? Mon Dieu ! à peine
Jésus — Christ esl -il connu défi chrétiens.
Nous ne sommes capable d'aimer Dieu que
par Jésus-Christ, ni de Faire aucun bien que
par sa verln, et à peine recourons-no
lui. Il nous a été donne je ur eli e non
gesse, notre justice, notre justification, î.otre
sanctification et noire rédemption:
qui est la voie, la venté et I : vie : persOOM
ne va à son Père que par lui, el à peint: le
connaissons-nous. Nous nous formons dfS
ilées de dévotion chimériques et mal ré-
glées, el nous négligeons celai qui doit être
l'uniqne objet de celle d'an chrétien; car
nous ne devons aller à Dieu que par Jésus-
Christ, ni aux s.iinls que dans Jésus-Christ
et par Jesus-Christ.
Si nous aimions Jésus- Christ , nous aime-
rions sa croix, sa pau\ reté, ses humiliations,
et nous serions prêts à embrasser tous les
états de sa vie. Bien loin d'avoir de la i om-
pluisance en nous voyant dans des condi-
tions éminentes selon le monde, nous trem-
blerions «le nous voir où Jésus-Christ n'a
point voulu être, et d'où il a enseigné à ses
disciples de s'éloigner ; cl si la Provi
nous relient dans ces conditions, nous n'y
demeurerions qu'avec crainte et dans une
allenlion continuelle sur nous, pour éviter
les périls et pour attirer sur nous l'assis-
tance de Jésu^-Christ.
Jugez, mes frères, de votre amour pour
Jésus- Christ par celle légère idée que je
vous donne ; mais souvenez-vous que vous
ne sauriez aimer Dieu sans aimer Jesus-
Christ, ni aimer Jésus-Christ sans aimer ce
qu'il aime.
Or, l'objet de son amour a été son Eglise,
qu'il a formée par son sang, en le versant
pour la sanctification d'un nombre d'élus
qu'il a tirés de la masse de corruption où
tous les hommes étaient engagés par le pé-
ché d'Adam, et où ceux qui renoncent à la
ve.tu de ce sang verse pour leur salut de-
meurent par une nouvelle corruption qui
lei.r esl propre et particulière. Chrétiens,
aimez-vous celte Eglise sainte qui esl la fa-
mille de Jésus-Chrisl? En ressentez- ^>us
les maux? en procurez-vous la gloire? ai-
mez-vous sa discipline et ses saintes lois ?
les suivez-vous? ne vous en dispensez-vous
point avec scandale ou sans raison? Ne con-
tribuez-vous point, par votre avarice el par
votre ambition, à lui donner des ministres
qui la déshonorent, en employant votre cré-
dit el vos sollicitations pour en faire donner
les dignités cl les biens à des sujets qui en
sont incapables et propres à la scandaliser .'
Ministres de l'Eglise, aimez-vous l'Eglise ?
Avez-vous reçu la dignité e le rang que
vous y tenez dans les dispositions convena-
bles? V avez-vous eé appelés, ou vous y
êtes-vous ingérés de vous-mêmes par ambi-
tion ou pour vivre plus commodément? En
exercez-vous les fonctions selon son esprit
el selon les règles sacrées de sa discipline?
les savez-vous, et vous appbque/-v ou* à
les connaître ? El vous, mes frères, hono-
rez-vous ies ministres qui servent l'Eglise
avec zèle, el qui s'allèchent à sa discipline
ni a ses sain es lois? Ne cher, lu /-vous point
ceux qui se relâchent en laveur de vos pas-
sions, el ne contribuez-vous poinl à les met*
•il il
SERMON POUR LE LUNDI DE LA TROISIEME SEMAINE DE CAREME.
Wi
tre en crédit ou à les protéger dans leur re-
lâchement? vous soumettez-vous avec res-
pect et avec sincérité aux pasteurs qui la
gouvernent, et n'affectez-vous point de don-
ner dans des nouveautés, au préjudice de
leurs sentiments et au scandale des Gdèles ?
Enfin, mes très-chers frères, vous aimez-
vous vous-mêmes comme vous le devez ,
c'est-à-dire, aimez-vous votre saiut? le re-
gardez-vous comme votre plus importante
affaire, et embrassez-vous avec ardeur tous
les moyens d'y réussir ? Evitez-vous tous les
pièges que Jésus-Christ vous a découverts ?
suivez-vous toutes les impressions qu'il vous
donne, et êtes-vous prêts à tout sacrifier
pour votre âme, comme Jésus-Christ a donné
sa vie pour la racheter, après que vous l'a-
vez exposée à la mort éternelle par vos pé-
chés?
Voilà, mes frères, ce que Jésus-Christ
aime et ce que vous devez aimer si vous ai-
mez Jésus-Christ véritablement. Sans un
amour sincère pour ce que je viens de vous
dire, c'e«l en vain que nous nous flattons
d'aimer Dieu. Je dis, sans un amour sincère,
c'est-à-dire un amour agissant, et non pas
Un amour d'idée qui demeure dans notre
imagination, el qui ne règle point notre con-
duite: car comme Dieu ne s'est pas contenté
de former l'idée d'un Dieu homme pour sa
gloire et notre rédemption, mais que ce Dieu
homme a vécu avec nous et qu'il est mort
pour nous; comme il n'a pas seulement con-
çu l'idée d'une Eglise, mais qu'il l'a formée
par son sang, après l'avoir instruite par ses
prédications, éclairée par ses lumières, édi-
Gée par ses vertus, établie par ses miracles,
et animée par son esprit; comme il n'a pas
formé seulement un dessein sur noire salut,
mais qu'il a donné sa vie pour nous rache-
ter; comme il nous a tracé le chemin de la
gloire par sa conduite, qu'il nous soutient
dans celle vie par ses grâces et par tous les
autres moyens qu'il nous a fournis, cl des-
quels il a rendu son Eglie dépositaire pour
nous ies administrer ; il faut aussi, mes frèivs,
que notre conduite et noire vie rendent té-
moignage de la sincérité de noire amour pour
Jésus-Christ, pour l'Eglise et pour notre sa-
lut; autrement il n'y a point en nous d'a-
mour pour Dieu, et nous n'aimons pas ce
qu'il aime. Voilà donc, mes frères, les règles
par lesquelles nous pouvons connaître que
1 amour de Dieu esl en nous; en voici deux
autres par lesquelles nous pourrons connaî-
tre en quel degré il y est.
La première, c'est d'en juger par la fidé-
I te et l'exactitude que nous avons dans l'ob-
servation de ses commandements: car si cet
amour consiste dans l'observation de sesf
commandements, comme nous l'avons dit,
cet amour doit être plus ou moins parfait
dans ceux qui sont plus ou moins fidèles à
lesf observer. C'est là-dessus, mes frères,
qu'il faut nous juger. Avez-vous une souve-
raine horreur pour tout ce que Dieu défend,
el |i hésitez-vous jamais quand il s'agit de re-
jeter ce qui Halle vos passions, quand vous
y voyez quelque chose qui peut être con-
traire à la volonté de Dieu? Au contraire,
hésitez-vous, cherchez-vous des prétextes
el des interprétations à sa loi pour les expli-
quer selon les désirs déréglés de votre cœur?
Penchez-vous plutôt du côté de la loi dans
les choses qui ont quelque doule? Avez-
vous autant de vivacité, autant d'activité,
autant de vigilance pour plaire à Dieu dans
vos pensées, dans vos paroles, dans vos ac-
tions, dans vos affections, qu'en a un ma-
gistrat qui recherche une dignité supérieure,
qu'un militaire qui a besoin d'une pension
et qui la demande, qu'un ecclésiastique qui
désire et qui tache d'obtenir un bénéfice,
qu'un domestique qui cherche à entrer en
condition? Jugez-vous sur votre fidélité, sur
votre exactitude, sur votre zèle.
La seconde règle, qui est une suite de la
première, c'est de connaître si, dans l'amour
qu'on a pour Dieu, on y suit l'ordre de Dieu,
c'est-à-dire si, dans les choses qu'on peul
aimer pour lui, on n'aime pas moins ce qui
doit être aimé davantage, ou plus ce qui doit
l'être moins. Par exemple, nous devons ai-
mer notre vie, mais nous devons l'aimer
moins que Dieu; nous pouvons et nous de-
vons aimer noire corps, mais moins que no-
tre âme. 11 fauW donc nous juger selon cet
ordre ; car si nous avons plus de soin de no-
tre corps que de noire âme, et que nous né-
gligions noire salut plus que notre vie, en
supposant que cet amour ne nous engage à
rien contre notre âme ni contre notre sa'ut,
l'amour de Dieu est plus ou moins ardent,
selon le degré de notre fidélité et de notre
zèle.
Il y a donc des choses que nous devons
aimer avec inégalité, mais il y en a d'autres
que nous devons aimer également. Par
exemple, vous, pères et mères, vous devez
aimer vosenfanls avec égalité: si le caprice,
la passion, la complaisance vous en fait ai-
mer un plus que l'autre, el que, sans faire
de tort considérable à celui que vous aimez
moins, vous le négligiez cependant en plu-
sieurs choses, pour contenter vos sens et
votre humeur dans les soins empressés que
vous donnez à l'autre, vous ne suivez pas
l'ordre de Dieu, et votre amour est moins
parfait à proportion que vous vous en éloi-
gnez. Nous devons encore aimer tous nos
frères, mais inégalement: vous êtes plus re-
devables à vos proches qu'aux étrangers, à
vos domestiques qu'à ceux du dehors; ainsi
voire amour n'esl pas bien ré^lé lorsque
vous voulez faire pour les étrangers autant
que pour vos proches, et pour ceux du de-
hors autant que vous faites pour vos domes-
tiques.
Un homme donc aime Dieu quand il aime
cequ'il doit aimer, quand il n'aime ce qu'il
doit aimer que pour Dieu et dans l'ordre de
Dieu. Voilà les règles, mes très-chers frères,
par lesquelles nous pouvons reconnaître si
l'amour de Dieu est en nous et en quel de-
j;ré il y esl. Oui, mes frères, il faut aimer
Dieu. Une âme est misérable quand elle no
l'aime point. Cet amour consiste dans l'ob-
servation do sa loi, cl en vain nous Hâtions-
4CS
OKATEURS SACHES. DOM JEROME.
m
nous de l'aimer si nous ne sommes pas fi-
dèles à garder jusqu'au moindre <le ses com-
mandements. Nous ne devons point donner
de mesure à iclamour, il n'en a point donné
lui-même à celui qu'il a eu pour nous.
Reconnaissez donc, par les règles que je
viens de vous donner, en quel degré cet
amour est en vous. Enfin, si vous trouvez
dans votre co'ur la moindre étincelle de l'a-
inour (h; Dieu, ayez bien soin de l'y nourrir.
Appliquez-vous à l'aecroîtrc par d'humbles
Prières, par la douleur de la pénitence, par
amour de la justice, par la pratique des
bonnes œuvres, par une vie chrétienne et
réglée. Mon Dieu, donnez-nous votre amour,
afin que nous ne soyons jamais séparés de
vuus. C'est ce que je vous souhaite. Ainsi
soit-il.
SERMON
POUR LE MARDI DE I.A TROISIÈME SEMAINE
DE CAREME.
De la correction fraternelle.
Si peccaverit in te frater tuus, vade et corripe eurn.
Si voire frère a péché contre vous , allez le reprendre
[Uatth., Xvni, 15).
Cet évangile est la suite d'un discours que
fil le Sauveur du monde à ses disciples sur
le chemin de Capharnaùm, où, après leur
avoir donné plusieurs instructions sur ce
qu'ils devaient au prochain, il s'étend un
peu davantage sur ce qui regarde le pardon
des injures , et la manière dont il faut répon-
dre à ceux qui nous ont offensés, afin de les
faire rentrer dans leur devoir, et de les ra-
mener à celle union et à celle parfaite intel-
ligence qui doit élre enlre les chrétiens, eux
qui sont les enfants d'un même Père et frè-
res de Jésus-Christ.
lui effet tout ce qui est rapporlé dans cet
évangile nous conduit à cette fin ; car Jésus-
Christétablitd'abord l'obligation d'aller cher-
cher notre frère quand il a péché : Allez,
commandement qui nous oblige quelquefois
sous peine de péché. Ensuite il établit le
fruit de cette pratique : S'il vous écoute, s'il
reçoit bien votre charitable correction, vous
aurez gagné votre frère; il était perdu par
l'offense que la haine qu'il avait pour vous
lui avait fait commettre contre vous, et vous
l'aurez gagné en dissipant celte haine et en
le ramenant à vous par la charité.
Enfin il nous montre la sagesse et la me-
sure qu'il faut garder dans cette pratique :
S'il ne vous écoute point, prenez encore une
ou deux personnes, afin que la confusion lo
ramène p'us aisément. S'il ne vous écoule
point encore, dites-le ù f lù/lise. Ayez recours
aux pasteurs, avertissez-les de l'égarement et
du péril de votre frère. S'il n'écoute pas l'E-
glise même, et s'il persévère dans ses iniqui-
tés et dans des péchés scandaleux qui obli-
gent les pasteurs de lui refuser la communion
des fidèles, séparez-vous de lui, et n'ayez
plus avec lui de communications extérieu-
res, quoique vous deviez le regarder cl le
traiter avec charité.
\ oilà les fruits de cette charité cl de cello *
union à laquelle il \eut que chacun de ses
enfants contribue, l'un en faisant la correc-
tion, l'autre en la recevant avec humilité.
Saint Pierre dit ensuite a lésus-ChrisI : l'ar-
donnerai-je jusqu'à s^pt fois? Jésus lui ré-
pondit : Je ne vous dis pas Seulement l ]>t
fois, maiê septante fois sept fois. Oui, i I
frères, retenez -bien ce principe : la charité
n'a point de bornes quant à la préparation
du cœur, c'est-à-dire quant à l'oubli des in-
jures reçues; mais la justice donne des bor-
nes à la charité quant à la punition et aux
mesures qu'il faut prendre avec ceux qui
abusent de notre bonté, et qui ne craignent
pas de nous outrager parce que nous som-
mes charitables. Voilà ce qui est contenu
dans l'évangile de ce jour; nous en expli-
querons toutes les parties, en établissant les
trois propositions qui feront la matière de
ce discours. Il faut du zèle pour la correc-
tion de nos frères, mais il doil élre vrai, il
doit être sage, il doil élre modéré.
1° Il doit être vrai, car s'il n'y a point de
zèle dans le cœur, on néglige ce préceple :
première partie ; ± il doit élre sage, car s'il
n'y a point de sagesse el de discrétion dans
l'esprit, on viole ce précepte : deuxième par-
tie; 3 il doil être modéré, c.ir s'il n'y a poiut
d'agrément et do douceur dans les manières,
on outre le précepte : troisième parlie. Je
joindrai ces deuv dernières en une seule.
Voilà, mes frères, la manière de faire chré-
tiennement la correction fraternelle : vous
verrez les défauts dans lesquels on tombe,
ou en ne la faisant point, ou en la faisant
mal. Etudions les uns pour éviter les autres,
et demandons l'assistance du Saint-Esprit
par l'intercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
l.a première proposition que j'avance sur
la correction fraternelle, c'esl qu'il faut que
le zèle qui nous porte à la faire soit vrai,
parce que s'il n'y a point de zèle dans le
cœur du chrétien, il négligera ce préceple.
Or, nus frères, celle proposition renferme
deux choses qu'il faut expliquer pour la
bien entendre : le fondement du zèle qui
nous porte à corriger, c'est le précepte que
Jésus-Christ nous en a fait; et le fondement
de ce précepte de la loi nouvelle.ee qui nous
découvrira les raisons que Jesus-Christ a
eues de nous faire ce commandement.
Je dis donc que le fondement de ce zèle
est le préceple que Jésus-Clirist nous en a
fait. Oui, mes frères, le chrétien doit accom-
plir ce précepte, parce que .lesus-Christ le
lui a ordonné d'une manière si précise, qu'en
de certaines occasions il suffit de le négliger
pour perdre sa grâce et pour encourir son
indignation.
En effet, nous sommes quelquefois obi
sous peine de péché, de faire la correction
fraternelle. Je d,s quelquefois, el non pas
toujours, parce que ce précepte n'oblige
qu'en de certaines occasions. Je sais, par
exemple . que mon frère est tombé dans le
pèche, il est en péril ou d'y persévérer ou de
se perdre; personne ne l'a averti du danger
46'
SERMON POUR LE MARDI DE LA TROISIEME SEMAINE DE CAREME.
4CG
où il est, je ne vois personne qui le doive
faire, il ne me peut arriver aucun dommage
considérable en le faisant, et surtout j'ai lieu
d'espérer moralement que ma correction lui
sera utile : voilà l'occasion où le précepte
m'oblige sous peine de péché, et où le chré-
tien, soit inférieur, soit égal, soit supérieur,
doit s'animer à l'accomplir, de p,eur qu'il ne
s'attire l'indignation de celui qui a fait la loi.
Prenez garde, dit saint Augustin, de n'être ni
lâche à S l'égard du mal pour l'approuver, ni
négligent à le reprendre ; car il ne suffit pas
de dire : Je n'ai pas d'autorité sur cette per-
sonne-là, Dieu vous l'a donnée dès qu'il vous
commande de la reprendre. Voilà votre auto-
rité, vous l'avez même sur une personne plus
élevée que vous, si vous gardez les mesures
que l'Apôtre vous prescrit et que nous allons
vous marquer.
Mais, me direz-vous, on ne m'écoulcra
pas. Je réponds que si vous êtes dans l'obli-
gation de reprendre, supposé que cela ar-
rive, vous aurez toujours fait votre devoir;
car Dieu ne vous commande pas de changer
votre frère, mais de le reprendre. Mais celui
que je reprendrai se moquera de moi, mo
tournera en ridicule et me traitera de criti-
que indiscret; peut-être même l'exposerai-
je à faire des railleries qui lui feront com-
mettre un nouveau crime. En ce cas, mes
chers frères, si vous étiez absolument assu-
rés que cela dût être ainsi, vous feriez bien
de vous dispenser de le reprendre; cepen-
dant quelle assurance en avez-vous? La ma-
nière dont il recevra votre correction dépen-
dra beaucoup de celle dont vous la lui fe-
rez.
Enfin, ajoute-t-on, c'est une chose dange-
reuse et même désagréable de se charger de
reprendre. On ne sait comment s'y prendre:
le mondées! délicat, et d'ailleurs on a affaire
à des gens qui deviennent nos ennemis dèi
que vous vous déclarez contre leurs pas-
sions, qui en gardent des ressentiments et
qui s'en souviennent dans les occasions.
Mon Dieu! on n'a point tous ces égards
quand il s'agit de médire ou de dire un bon
mot : on ne craint point de s'attirer des en-
nemis pour contenter sa passion, et tout fait
peur quand il s'agit de. remplir son devoir.
Apprenez donc de saint Augustin qu'il ar-
rive souvent que, par une dangereuse dissi-
mulation, nous faisons semblant de ne pas
voir les fautes du prochain, pour n'être point
obligés de l'instruire, de le convertir, de le
reprendre ou même de le corriger; et nous
tombons dans cet écueil parce que nous
fuyons la peine, parce que nous n'avons pas
l'assurance de résister en face à ceux que
nous devons reprendre, parce que nous ap-
préhendons de les offenser, de crainte qu'ils
ne nous nuisent dans quelques biens tempo-
rels que notre convoitise veut encore acqué-
rir ou que notre faiblesse a peur de perdre.
Ainsi, poursuit saint Augustin, encore que
les gens de bien aient en horreur la vie des
méchants, et que c'est ce qui fuit qu'ils ne
tombent pas avec eux dans la damnation, tou-
tefois, parce qu'ils les épargnent dans leurs
offenses mortelles, c'est avec justice qu'ils se-
ront châtiés avec eux.
Voilà, mes frères, comme, a parlé saint
Augustin, et en voilà assez pour vous con-
vaincre qu'il faut s'appliquer avec zèle à
l'accomplissement de ce précepte. Mais .
comme il faut que ce zèle soit vrai, ce n'est
point assez, pour l'exciter en vous, que de
vous avoir montré qu'il est fondé sur un pré-
cepte qu'il faut accomplir : il faut aller plus
avant, et vous découvrir sur quoi ce pré-
cepte est fondé, afin que le zèle qui est excité
par le précepte soit conforme aux fonde-
ments du précepte même.
Pour vous faire entrer dans cette pensée,
il faut que vous appreniez que la charité qui
nous unit rend le péché de mon frère en un
sens le mien, comme le mal que souffre un
membre du corps est le mal de tout le corps
et de tous ses membres. La charité qui me
lie avec mon frère me fait connaître qu'il est
tombé dans la plus grande des misères, qu'il
a perdu son âme : de sorte que, souffrant
dans sa personne et pouvant le gagner par
ma correction , comme le Fils de Dieu me le
dit, je la lui dois, parce qu'il est perdu par
son néché, parce que je suis lié à lui par la
charité.
Voilà donc, mes frères, les deux fonde-
ments sur lesquels ce précepte de Jésus-
Christ est établi : la charité et la miséricorde ;
et il ne doit point y en avoir d'autre : car,
comme dit saint Augustin, si vous enlrepre-
nez de corriger votre frère parce que vous
êtes blessé par son péché, et que vous vous re-
cherchiez dans la correction que vous lui fai-
tes, vous faites mal; mais si vous n'avez que
l'amendement et le salut de votre frère en vue,
pour lors vous remplissez votre devoir. De là,
mes frères, vous voyez que des deux fonde-
ments de ce précepte il faut en tirer deux
règles infaillibles, par lesquelles nous pou-
vons reconnaître si ce zèle qui nous porte à
l'accomplir est vrai.
La première nous regarde, et c'est d'exa-
miner sincèrement devant Dieu si c'est réel-
lement la charité qui nous anime. Lorsquo
nous entreprenons de reprendre notre pro-
chain, il faut que ce soit la charité qui nous
fasse agir, et qu'elle soit véritablement dans
le cœur.
La seconde regarde le prochain, et c'est
d'examiner s'il est encore dans le péché, et
si cette misère qui excite notre miséricorde
est réelle, ou au moins si nous avons des
fondements raisonnables et solides pour le
croire. Il faut que ce soit la misère de mon
frère qui mette ma charité en mouvement, et
que réellement elle soit dans mon âme ; il n'y
a rien que les saints Pères nous recomman-
dent si fort que de nous bien éprouver nous-
mêmes, pour reconnaître si c'est la charité
et non pas l'amour-propre qui nous porte à
corriger notre frère. Venez, dit saint Bernard,
comme un véritable Samaritain, vous appli-
quer à guérir les plaies de votre frère, mais à
condition que votre remède sera composé de
deux amours : l'amour de votre frère fera en-
trer la douceur oUms la composition de votre
4G7
ORATKUtS SACHES. f>OM JEKOML
remède, et l'amour de Dieu y donnera la force.
Quand mus roulez corriger totn frère, df t
saint Augustin, oublie* l'injure que vous en
avez reçue, et ne VOUS $ armez (jue de la pluie
qu'il s'ist faite à lui-même en vous o/fensant.
Ainsi, mes frères, il n'y a que l'amour du
prochain qui doive BOUS animer à ce devoir,
et voici comme parle encore saint Augustin,
pour nous faire comprendre arec quel soin
nous devons nous examiner nous-mêmes de-
vant Dieu, pour reconnaître si c'est vérita-
blement cet amour <|ui nous fait agir : Vous
ne devez jamais entreprendre, dit-il, de corri-
ger les pêches d'autrui qu'aprii avoir sondé
votif- même votre conscience avec grand soin,
et qu'elle ne vous ait répondu clairement nue
vous n'agissez que par un pur amour de lui-
même. Voilà les règles, il faut nous les ap-
pliquer.
Si tes injures, continue ce 1 ère, ou les me-
naces et les persécutions de ceux que VOUS re-
prenez vous ont ulcéré l'esprit, quoique vous
espériez de les pouvoir quérir, il ne faut pas
néanmoins que vous entrepreniez de leur rien
repondre, jusqu'à ce que vous ayez première-
ment guéri le trouble de votre esprit i One
cette règle bien méditée devrait faire rentrer
en eux-mêmes ceux qui, ayant l'esprit dlc §
contre leur prochain par des injures souvent
chimériques, entreprennent non-seulement
de les reprendre dans le trouble de leur es-
prit, qui se manifeste toujours par la ma-
nière dont ils en parient et parce qu'ils n'eu
disent jamais de bien, mais même qui s'ex-
pliquent contre eux par des plaintes et des
invectives publiques, par des libelles et des
satires que la charité, disent-ils, leur arra-
che, afin de les charger de confusion, de leur
donner de l'horreur deux-mêmes, ei de les
obliger de retourner à Dicul Est-ce là en vé-
rité un ouvrage de la charité ou bien de la
vengeance? Cette conduite est-elle celle d'un
homme qui aime son prochain vêriiablc-
ment, ou de celui qui le hait comme son en-
nemi? Ecoutons encore ce qu'ajoute saint
Augustin : Tout ce que vous pourrez dire avec
vu esprit ému sera l'effet d'une impétuosité de
vengeance, et non pas un zèle pur de cor-
rection.
Commencez donc, mes frères, par corriger
les mauvaises dispositions de votre cœur;
car tant que votre esprit est ulcéré, ce n'est
pas l'intérêt du prochain, mais c'est le vôtre
qui vous fait agir; et ainsi, bien loin que
cette correction soit un remède pour le mal
de votre frère, comme le veut Jésus-Christ ,
qui vous ordonne de la lui faire, c'est un
poison qui envenime et qui augmente sa
plaie et la vôtre. Si donc la charité est en
vous, elle ne vous fera agir que sur un objet
solide Comme ce précepte est fonde sur la
miséricorde, ainsi que nous l'avons dit, il faut
que le prochain Soit vraiment tombé dans la
misère et qu'elle nous soit connue, pour
l'exercer à son égard; car il faut pour le
moins garder autant de mesure dans le sou-
lagement des misères spirituelles que dans
le soulagement des misères qui regardent le
corps.
Ainsi, comme on s'informe du bien ot
des facultés d'un homme, et qu'on veut
les connaître avant que de lui confier -on
argent et son bien, il faut île même que la
i i ère du prochain nous soil connue et que
nous avons lieu de ne pas douter qu'il soll
dans le péché, et dans un | éché qui poisse le
perdre, puisqu'il s'agit de le gagner n exer-
çant la correct ion rnvers lui. Il faut donc
bien prendre garde de reprendre un homme
d'une faute dont il s'esi corrigé, ni même de
la lui reprocher en le reprenant d'une autre
dont il serait véritablement coupabb . Enfin ,
mes hères, supposé que vo're zélé soil irai
et reconnu pour tel par les règles que je
viens de vous donner, il faut encore beau-
coup de sagesse dans la pratique de ce de-
voir, de peur qu'agissant avec indiscrétion
nous nous éloignions du but que nous de-
vons nous proposer, et qu'ainsi un zèle in-
discret ne nous fasse vu. 1er le précepte que
nous entreprenons d'accomplir aans sagesse :
c'est le sujet du second point.
SECONDE PARTIE.
Il faut, dit saint Bernard, que celui qui en-
treprend de corriger son frère compose ce re-
mède, qu'il prépure à son péché, de l'huile de
la miséricorde et du vin de la charité. .Mais co
n'est pas assez : II faut encore, ajoute ce
saint docteur, qu'il se Souvienne que s'il em-
ploie ce remède du Samaritain pour guérir les
plaies de son frère, il doit être lui-mime un
Samaritain, c'est-à-dire un homme plein de
sagesse, de circonspection et de ménagements ,
non-seulement dans la composition du rem
mais encore dans l'application. Ce s;:int. qui
s'est toujours méfié de ses propres lumières,
ne B'allacbant qu'à l'Ecriture ou à l'autorité
des saints Pères , a toujours usé de celle
même précaution dans de pareilles rencon-
tres. Ne croyez pus, dit-il, que je parle de
moi-même lorsque je vous lionne cet avis;
écoulez ce que demande le Prophète : Donnez-
moi , dit-il à Dieu, cette bonté et cette dou-
ceur qui procèdent de la miséricorde et de la
compassion envers mon frère. Donnez -moi
cette ferveur et ce zèle pour la discipline qui
procède de In charité. Donnez- moi cette
science, cette sagesse et cette circonspection si
nécessaire» pour n'être point affaibli pi.r la
compassion ni emporté par le zèle, mais pour
savoir m nager l'un et l'autre avec discrétion
pour l'utilité de mon pi ochain.
Et sans sortir de noire évangile, mes frè-
res, le Eils de Dieu lui-même, qui nous l'ail
ce commandement, ne nous marquc-t-il ;
combien il faut de sagesse et de discrétion
pour l'accomplir? 11 veut que la fonte se re-
présente en particulier, afin que la charité
qui nous fait désirer son amendement lui
épargne la confusion. S'iV ne tous écoute
pas, dit-il. i>renez encore avec tous une ou
deux personnes
Cependant, comme (oui ceci est : énéral,
passons à des vues particulières qui nous
mettent dans la pratique de cettt te si
nécessaire dans l'accomplissement d ce pré-
cepte, et sans laquelle ou le \ iole ~ '.nauc-
/m
SERMON POUR LE MARDI DE LA. TROISIEME SEMAINE DE CAREME.
470
ment. Or, mes frères, cette sagesse et celte
discrétion se doivent étendre sur celui qui
doit faire la correction : il faut qu'il examine
s'il est capable de la faire, et qu'il ne s'y en-
gage qu'avec sagesse. Sur le sujet qui le
porte à la faire, il faut qu'il examine s'il est
tel qu'il ne puisse s'en dispenser légiti-
mement.
Celui qui entreprend de faire la correction
à quelque autre se doit donc examiner d'a-
bord lui même, pour reconnaître s'il est ca-
pable de la faire; car tout le monde ne l'est
pas. Il faut, pour y réussir, une certaine au-
torité, qui n'est pas celle que nous donne le
droit on la juridiction que nous avons sur la
personne qu'il faut reprendre, mais qui vient
de l'estime que nous nous sommes acquise,
de l'âge, de l'expérience, du rang que nous
tenons, quelquefois même de l'air dont nous
disons les choses, de la majesté qui rè^ne
dans la physionomie, dans le ton, dans la
voix. Ainsi un homme qui ne s'est acquis
aucune estime, et qu'on ne connaît par au-
cun endroit, ne réussira guère dans les cor-
rections qu'il fera, et il courra risque; de
s'entendre dire : Qui êlcv-vous? Un homme
à qui le défaut de l'âge n'a pas encore donné
de l'expérience n'est pas propre à rendre cet
office de charité, non-seulement à ceux qui
ont plus d'expérience que lui, mais même
aux personnes lie son âge. Les gens de mau-
vaise mine, ceux qui parlent mal, sont pour
l'ordinaire d'infructueux censeurs d'autrui ,
et on ne peut dire comment les hommes se
laissent frapper par ces défauts sensibles et
fiar ces dehors désagréables qui entraînent
eur imagination, et combien il est vrai qu'ils
n'ont que du mépris pour les bonnes choses,
parte que la grâce et la manière ne les ac-
compagnent pas en les disant.
Il est donc nécessaire de s'examiner en
soi-même sur ces sortes de qualités et de
dispositions ; car comme on n'est obligé de
faire la correction qu'autant qu'on a une
certaine espérance d'y réussir, et que sou-
vent le succès dépend de ces sortes de qua-
lilés, la raison et la justice étant moins for-
tes que l'autorité et la créance qu'elle nous
donne , on ne doit point la faire quand on
ne les a point. Ajoutons encore une qualité
essentielle dans celui qui veut reprendre son
prochain , c'est qu'il soit innocent, et qu'on
ne puisse pas le reprendre lui-même, non-
seulement du défaut dont il veut corriger
son frère , mais de tout autre, s'il est possi-
ble. Car, mes frères, ce scroit Une charité
bien fausse, bien aveugle et bien mal réglée
dans un homme, de vouloir entreprendre de
taire la correction à un autre d'un défaut
dont il serait coupable lui-même : celle en-
treprise ne pourrait être regardée que com-
me un effet de l'orgueil de celui qui la for-
merait, lequel, étant aveugle sur ses propres
défauts, n'aurait les yeux ouverts que sur
ceux de .son frère. Elle nepourrait être qu'un
sujet de scandale pour les autres , qui en la
voyant ne la pourraient regarder que com-
me un effet de l' amour-propre de celui qui
ne la formerait que pour cacher les dérè-
glements de sa vie sous l'éclat d'une belle
doctrine débitée doctement, pour rechercher
de l'estime par des paroles, pendant qu'il
serait condamnable par ses actions.
Les personnes de ce caractère sont con-
damnées par l'Apôtre : Vous jugez les autres,
dit-il , et vous vous condamnez vous-mêmes,
puisque vous faites les mêmes choses que, vous
condamnez. H faut leur appliquer ce que dit
le Sauveur de nos âmes aux hypocrites :
Otez premièrement la poutre de votre œil, et
après cela vous verrez comment vous pourrez
tirer la paille de l'œil de votre frère. Il n'ep-
partient donc pas à ceux qui sont coupables
de défauts considérables d'en reprendre les
autres; il n'appartient pas à ceux qui , soit
dans leur vie particulière , soit dans l'usage
du bien de l'Eglise , soit dans leur conduite,
s'accommodent des maximes d'une doctrine
relâchée, de faire profession de blâmer ceux
qui les suivent.
Le Sauveur du inonde ne justifie pas la
femme adultère , mais il confond ceux qui,
n'étant pas justes, entreprennent de l'accu-
ser. // est bon rie condamner le mat, dit saint
Augustin , et de soutenir l'intérêt de la loi;
mais il faut que ceux qui veulent se servir de
la loi pour condamner les autres soient ex-
mêmes innocents. 11 faut donc , mes frères,
que la pru fence chrétienne nous applique à
nous-mêmes , avant que de penser aux au*
très. Le zHe de votre maison m'a dévoré, dit
le Prophète; mais le vrai zèle doit nous dé-
vorer nous-mêmes avant que de s'étendre
sur les autres; notre conscience doit se tour-
ner contre elle , même avant que de se répan-
dre ; et au lieu d'être douce envers clle-mêim
et rigoureuse envers les autres , elle doit au
contraire être rigoureuse envers soi et douce
envers les autres, dit saint Grégoire. On se
rit dans le monde avec raison des censures
de ceux dont on connaît ia vie peu édifiante,
et on n'a que du mépris pour des gens qui
s'imaginent qu'en reprenant les autres de
leurs fautes on en oubliera de très-grandes
qu'ils ont commises, et qu'en ne parlant que
de la discipline de l'Eglise on ne se souvien-
dra plus qu'ils ne se sont acquis le droit
d'en parler aux autres qu'en la violant eux-
mêmes.
Non, mes frères; une main souillée n'est
pas propre à nettoyer les ordures qui smit
tombées sur un vêlement, dit saint Grégoire.
Il faut être irrépréhensible pour reprendre
les autres, et quand on est soi-même coupa-
ble, je ne dis pas seulement de la faute qu'où
veut corriger, mais de toute autre considé-
rable qui peut être connue , il faul faire pé-
nitence et se taire. Que celui donc qui né-
glige la pratique de la verlu ne s'ingère pas
de corriger ni de reprendre les vices des au-
tres ; mais, mon Dieu! il faut peut-être que
je m'anéantisse moi-même , et que je me
confonde devant vous , en annonçant celle
vérité et en donnant cette règle aux autres.
Recourons tous à Jesus-Christ mes Irès-chers
(i ères; car quelque probité que nous parais-
sions avoir au-dessus du commun , parce
que nous savons juger des actions des au-
471
ORATEURS SACRES. UO M JEROME
1res , et que nous les condamnons soit en
public, soit en particulier, lorsqu'elles sont
mauvaises, nous ne laissons pas , avec tou-
tes nos lumières , de faire en plusieurs fa-
çons le mal que nous condamnons tous les
jours. Demandons à Dieu que la charité qui
nous fait parler couvre la multitude des pé-
chés dont nous sommes coupables. Mais ce
n'est pas assez que celui qui fait la correc-
tion agisse avec discrétion et avec sagesse
{iar rapport à lui , il faut en second lieu que
a prudence de celui qui doit reprendre un
autre examine si la faute est telle qu'il ne
puisse légitimement se dispenser de faire
cette correction.
Cet office de charité ne se rend guère sans
péril pour celui qui le fait et sans chagrin
pour celui qui le reçoit, de sorte que saint
Grégoire ne craint pas de dire que la correc-
tion nuit souvent à celui qui la veut faire,
et qu'e//e devient insupportable à celui qu'on
veut corriger; il faut donc qu'il n'y ait que
la nécessité qui nous y contraigne : ainsi il
faut voir si la faute dont il s'agit est consi-
dérable , et s'il y a du péril pour l'âme de
celui qui l'a commise; car il est dur de
se voir repris pour une bagatelle, et on attri-
bue souvent cette correction au chagrin de
celui qui la fait, et nullement à sa charité.
11 faut que la faute soit nouvelle , on au
moins que personne n'ait jamais repris celui
qui l'a commise. S'il a été repris par quel-
que autre, il n'aura pas plus de respect pour
vous : il faut reprendre en secret et avec de
grandes mesures , à moins que les fautes ne
fussent publiques et reconnues de tout le
monde, en sorte que personne n'en puisse
raisonnablement douter. On se trompe sou-
vent en ce point, on croit public ce qui n'est
connu que d'un très-petit nombre de gens,
et, par une correction faite indiscrètement,
on apprend à toute la terre ce qui n'était
connu que dans un petit canton , et on de-
vient non pas les censeurs charitables de
notre frère, mais des traîtres qui le désho-
norent.
Qu'il y a de mesures à garder, et qu'il
faut de sagesse, de charité , de discrétion, de
modération et de douceur pour faire la cor-
rection comme il faut! Mais achevons ce
discours, mes frères, et disons un mot de ce
qui en devrait faire la troisième partie, je
veux, dire la modération que l'on doit garder
dans la correction.
Cette modération et celle prudence sont
essentielles si l'on veut réussir à l'égard de la
personne qu'on veut reprendre. Or il y a beau-
coup de choses à observer sur cet article : il
faut prendre garde à la .situation de son esprit
eldeson humeur; car si elle est telle que vous
puissiez croire qu'il recevra mal votre cor-
rection et qu'il s'en irritera , vous ne devez
pas la lui faire, selon celle excellente règle
de saint Grégoire : Un homme de bien ne doit
pas, dit-il , appréhender les injures ni les ou-
trages d'un me haut qu'il a voulu corriger,
mais il doit seulement craindre de le /aire
devenir plus mauvais. Celle, prudence est
pléiucde charité : puisque vous voulez gué-
rir rolre frère, vous devez prendre garde de
ne pas aigrir son mal, on même de ne le pas
augmenter; et si vous l'irritez par votre
correction indiscrète, vous lui donnez des
sentiments de haine contre vous qu'il n'a-
vait pas auparavant.
Oui, mes frères, il faut user de celte pru-
il nce en ces occasions comme dans les ma-
ladies invétérées. On laisse quelquefois lan-
guir le corps dans de mauvaises humeurs
qu'on craint d'émouvoir avec trop de viva-
cité , et on se contente d'attendre une crise
provenant de causes supérieures , qu'on
étudie , afin de l'aider. Il faut prier, il faut
gémir devant Dieu , et souvent attendre eu
patience qu'il lui plaise d'agir par sa sainte
grâce, et seulement la seconder.
11 faut encore prendre garde à la condi-
tion et au rang des personnes ; car, quoique
je ne dise pas qu'on ne doive jamais re-
prendre les supérieurs ni ceux qui sont éle-
vés au-dessus de nous , puisque la charité
chrétienne, qui doit être le principe delà
correction , s'étend sur tous , et qu'en géné-
ral la misère du prochain qui en doit être
l'objet se trouve dans tous les états , néan-
moins je dis qu'il faul avoir de grands égards
pour ces personnes , et qu'il faul user de
grandes précautions quand il s'agil de re-
prendre ceux que la Providence a rendus
nos maîtres.
Voici le sentiment de saint Grégoire sur
cette matière. En écrivant à Félix, il lui dit
qu'il faut extrêmement prendre garde que s'il
arrive qu'il y ait quelque chose à censurer dans
la conduite des évêques et des supérieurs ec-
clésiastiques, il ne faut pas que les inférieur,
s'ingèrent témérairement de les reprendre,
qu'ils ne doivent jamais censurer leur con-
duite, beaucoup moins blâmer leurs allions,
ni les décrier dans l'esprit des peuples. Kl ce
saint pape en donne la raison : Souvent, dil-
ates personnes élevées en dignité, agissant
pour le bien des autres, commandent des cho-
ses que les inférieurs prennent pour des fau-
tes. Souvent les personnes fortes disent des
pétroles que les faibles osent blâmer parce
qu'ils ne les entendent pus.
C'est, poursuit ce saint pape, ce qui nous
est marqué par le penchemenl de l'arche dans
l'Ancien Testament; car Oza, l'ayant voulu
soutenir, parce qu'il croyait qu'elleallait tom-
ber, fut à l'heure même puni de mort. 11 eu
est quelquefois de même parmi nous: l'evé-
que qui remplit dignement son ministère,
étant souvent ébranlé par le trouble et le
désordre où il voit les peuples, se sent obli-
gé , par la seule considération de l'amour
qu il a pour eux, d'user de condescendance dans
sa conduite, et ce relâchement de force et de
rigueur, où il se laisse aller pour leur utilité
et leur bien, parait être une \raie chute aux
yeux des personnes moins habiles et moins
éclairées. 11 s'en trouve quelquefois alors
parmi les inférieurs qui y portent la main de
leur répréhension; quelques-uns par ressen-
timent, se servant de l'occasion pour se ven-
ger.; d'autres par orgueil, se croyant les seuls
sages: plusieurs par chagrin, n'approuvant
473
SERMON POUR LE MERCREDI DE LA TROISIEME SEMMNE DE CAREME.
47 4
jamais la conduite de leur prochain , et
d'autres enfin par ignorance , s'imaginant
que tout va périr. On se tourmente, on s'a-
gite, on écrit, pensant honorer Dieu en dés-
honorant ses ministres; et, semblables à ce
lévite téméraire qui étendit sa main pour
soutenir l'arche, ils ne meurent pas dans le
moment, mais ils sont exclus de la vie spiri-
tuelle par la perle de la charité, et peut-être
de la vie éternelle, s'ils ne songent à faire pé-
nitence du scandale qu'ils donnent à l'Eglise.
Concluons de tout ceci qu'il faut faire la
correction à nos frères , mais qu'il y a de
grandes mesures à garder pour la bien faire.
Ceux qui sont constitués en dignité tteivent
user de ménagements infinis pour reprendre
et pour instruire les autres; à plus forte rai-
son ceux qui ne sont pas dans de tels enga-
gements. 11 faut donc, pour la plupart de
nous, user de beaucoup de prudence pour
dissimuler des fautes qu'on ne peut corriger,
et pour les souffrir en ne faisant pas sem-
blant de les voir.
Appliquons-nous d'abord à nous-mêmes,
nous trouverons toujours de quoi corriger
dans nous en travaillant continuellement à
retrancher les vices qui y sont et à acquérir
les vertus qui n'y sont pas. Nous serons peut-
être arrêtés par la mort avant que d'être ar-
rivés à l'état où il faut être pour reprendre
les autres utilement; au moins est-il sûr que
si nous sommes enlevés en travaillant de
cette manière , c'est un moyen d'être reçus
dans la vie éternelle. Je vous la souhaite.
Ainsi soil-il.
SERMON
POUR LE MERCREDI DE LA TROISIEME SEMAINE
DE CARÊME.
De la vraie dévotion.
Populus hic labiis me honorât, cor autem eorum longe
est a me.
Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur esl éloiqnê
de moi (Matth., XV, 7).
Je n'entreprendrai pas de faire dans ce
discours le portrait des hypocrites et des faux
dévols, comme ces paroles du Sauveur que
j'ai prises pour mon texte semblent m'y en-
gager. Ces sortes de peintures <ui décrivent
le vice ne serveiU. le plus souvent qu'à nour-
rir la malignité du cœur des hommes, qui en
font les applications au préjudice de la cha-
rité, et qui dans les descriptions des crimes
se représentent presque toujours des cou-
pables auxquels le prédicateur n'a point
pensé.
J'aime donc mieux vous apprendre en
quoi consiste la rentable dévotion, que de
m 'attacher à décrire la fausse, que le Sau-
veur du monde condamne dans cet évangile.
L'une paraîtra assez par l'opposition de
l'autre, et on connaîtra suffisamment ce que
c'est que de n'être dévot que de nom, en ap-
prenant ce qu'il faut faire pour l'être en ef-
fet. Examinons donc dans ce discours ce
que c'est que d'être dévot solidement cl sin-
cèrement.
u C'est rendre à Dieu par amour un
culte réglé digne de sa grandeur : ce sera la
première partie ; 2° c'est s'appliquer avec
fidélité à l'œuvre qu'il nous a donnée: ce sera
la deuxième partie ; 3° c'est se soumettre
avec respect aux ordres de sa volonté , qu'il
nous marque quelquefois par des événements
imprévus que nous n'attendions pas : ce sera
la troisième partie.
Voilà, mes frères, si je ne me trompe,
l'idée d'une solide piété , capable de sancti-
fier toutes nos actions et de rendre chré-
tienne toute notre conduite.
Demandons à Dieu la grâce de parler
comme il faut de celte piélé solide, mais
principalement celle de la recevoir de sa
main dans notre cœur. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Il y a trois choses absolument nécessaires
pour que le culte que nous rendons à Dieu
soit digne de sa grandeur : notre intention
doit être pure, car Dieu veut être servi pour
lui-même, et nous ne devons avoir en vue
que sa gloire eu le servant ; noire culte doit
être réglé par sa volonté, volonté déclarée
dans les Ecritures ou expliquée par l'Eglise;
car il rejette celui qui n'a point d'autres rè-
gles que le caprice. Ce culte doit être uni-
forme et perpétuel ; car Dieu est toujours
digne de nos hommages, il ne faut jamais
cesser de le lui rendre. Voilà les trois con-
ditions capables de rendre notre culte digne
de la grandeur de Dieu.
Or, par rapport à la première condition,
mes frères, saint Augustin ne distingue poinj
la piété et la dévotion d'avec le culle de Dieu,
ni le culle de Dieu d'avec son amour. Qu'est-ca
àil-i\, que d'avoir de lapiélé, et qu'est-ce queser
vir Dieu, sinon l'aimer? Pour que le culte donc
que nous lui voulons rendrelui soit agréable,
il faut qu'il soit de la nature de l'amour qu'il
exige de nous. En un mot, il veut être servi
comme il veut être aimé, parce qu'on ne lo
sert qu'en l'aimant : ainsi il veut être servi
gratuitement, parce qu'il veut être aimé sans
intérêt, et c'est le fondement de la nécessité
de la pureté d'intention dans le service et
dans l'amour de Dieu.
11 faut maintenant, dit saint Augustin,
vous apprendre ce que c'est que de servir ci
d'aimer Dieu gratuitement, afin que nous sa
chions en quoi consiste et jusqu'où doit aller
cette pureté d'intention sans laquelle ni no
tre culte, ni notre amour ne peuvent être
agréables à Dieu. // ne veut pas être aimé,
dit-il, parce qu'il donne d'autres biens que lui,
mais parce qu'il se donne lui-même. Or , mes
frères, en appliquant au culle que nous de-
vons rendre à Dieu celte règle que saint Au-
gustin nous donne pour l'amour , j'apprends
une chose extrêmement importante pour ré-
gler les vues de notre piélé et pour perfec-
tionner l.i pureté de nos intentions : c'est
que je ne dois point avoir en vue, dans le
service que je ronds à Dieu, ni dans ma piélé,
si je veux que mes intentions soient pures,
d'autres biens que lui-même. La raison en
est évidente; car si dans l'amour et le ser-
vice que je lui rends j'ai en vue d'autres
biens que lui, ce n'est plus pour lui que je
Âin
CHAI. I US SACRES. I>0M JI-.ltOME.
470
l'aime et que je le sers, c'est pour ces autre*
biens que je regarde comme ma (in, et à la
possession (lesqiiels se lermineiil lOUtei les
vues de mon amour et tous les mouvements
de ma piété.
De là vous voyez que Dieu ne regarde ni
les hypocrites ni les mercenaires, c'est-
à-dire ceux qui le sert cal ou pour s'attirer
les louanges des hommes, et qui n'ont en
vue que leur propre gloire, ou seulement
pour acquérir les biens que Djeu répand sur
ceux qui n'ont en vue que leurs intérêts.
Quant aux premiers, qui sont 1rs hypocrites,
il est certain qu'il les regarde avec horreur,
car ils lui préfèrenl les homme';, ou ils se pféfè -
rent eux-mêmes à lui; ils n'ont de la régularité
dans leur conduite, et ils ne font les œuvres
de ceux qui servent Dieu, que dans la vue
d'être estimés des hommes et de s'attirer
une réputation utile à leurs desseins. Ce
n'est point Dieu qu'ils servent, ce sont les
hommes, et ils les lui préfèrent dans leur
cœur : ils ne servent Dieu que dans la vue
d'acquérir une fausse gloire et l'estime des
gens de bien; ce n'est point Dieu qu'ils ser-
vent, c'est eux-mêmes : ils se préfèrent à lui
dans leur cœur, et ils méritent d'en êirc re-
jetés avec horreur, comme il rejette les pha-
risiens de l'Evangile.
Pour les mercenaires, qui dans le service
qu'ils rendent à Dieu n'ont en vue que les
récompenses qu'ils en espèrent, il ne les re-
garde pas d'un œil plus favorable. C'est là
l'esprit des Juifs opposé à celui des chré-
tiens, qui est un esprit d'amour et de désin-
téressement. Expliquons-nous cependant,
car il y a une vue de cer ains biens même
temporels, laquelle étant réglée n'est point
contraire à la pureté d'intention nia l'amour
de Dieu, et qui entre, selon saint Bernard,
dans l'ordre de la charité. En effet, comme
dit si bien ce Père, il n'y aura jamais d'amour
de Dieu sur la terre qu'il n'y mire quelque
vue d'intérêt. Le point et le secret est que
cette vue soit réglée : or voici l'ordre qu'il
y met:
1° Il faut rejeter entièrement ce qui est
mauvais, comme de n'avoir en vue que d'ob-
tenir des biens temporels, et d'établir sa fin
et son repos dans le plaisir de les posséder,
sans penser aux biens éternels : celte vue
est détestable, il est inutile de le prouver. 2*
Il faut que le salut de l'âme soit préféré a
tontes eboses, et quoique nous puissions dé-
sirer les biens temporels dans l'ordre de Dieu
et dans la mesure de la nécessite, même les
lui demander dans nos piièrcs et avoir en
vue de les obtenir dans les exercices de no-
tre piété, il faut pourtant être disposé à les
sacrifier de bonne foi au salut de l'âme, s'il
était absolument nécessaire. 3" Il ne faut
désirer les biens temporels, par exemple,
la san'é, que pour servir Dieu et accomplir
sa loi. et les biens nécessaires à l'entretien
de la vie dans son état, que pour n'être pas
exposé aux dangereuses tentations de la
pauvreté; ainsi du reste. Qui, ml cela est
ainti réglé, dit saint Bernard* le. corps n'esi
regardé que pour Dieu, cl Dieu est regardé
pour lui-même» Ceci, mes frères. DOUS con-
duit à ce que je v iens de v ot:s dire qu'il fal-
lait considérer dans les paroles de saint Au-
gustin, pour apprendre à régler notre inten-
tion d.iiis le colle que nous devions rendre
à Dieu. Car ce sai ni docteur non dit con-
naître que ce désir des choses même tempo-
relles n'est pas contraire à celle pureté d'in-
tention quand il est rapporté à lui. Ainsi.
servir Dieu pour élrc sauvé, le servir pour
posséder la gloire, c'est le servir purement
pour lui-même, puisqu'on ne peut être eauvi
sans le posséder, ni le posséder sans être heu-
reux, dit saint Augustin; el c'est l'espérance
de ce bien infini qui doit nous animer et nous
soutenir dans tout ce que la piété el le désir
de sertir Dieu exigent de nous.
Mais il ne suffit pas d'avoir réglé le mo-
tif du culte que nous devons rendre à Dieu,
il faut en régler la qualité. Dieu, qui veut
êire servi pour lui-même, le veut élre selon
sa volonté, volonté qu'il nous a déclaréedanv
ses Ecritures, ou qu'il nous explique par l'E-
glise, qui en est l'interprète. Voici ce qu'il
nous enseigne dans saint Jean sur la qualité
de ce culte. Le temps est venu que les vrais
adorateurs adoreront le Père en esprit el en
vérité. Car ce sont là les adorateurs que le
Père cherche. 11 faut donc que ce culte soit
selon l'esprit, c'est-à-dire opposé 5 l'amour
des choses terrestres, par des vues spiri-
tuelles el dégagées d'intérêts, comme nous
venons de le dire. 11 faut qu'il soit selon la
vérité c'est-à-dire opposé à l'erreur : or celle
erreur, mes frères, peut se glisser dans notre
culte et dans nos pratiques de dévotion de
deux différentes façons, ou dans la nature
du culte même, ou dans la manière de rendre le
culte.
11 y a erreur dans la nature du culte, lors-
que nous nous attachons à des pratiques su-
perstitieuses, à des devoirs chimériques, à
des visions, à des nouveautés, enfin à toutes
sortes de pratiques que l'Eglise n'a point ap-
prouvées, qui ne sont point reçues par un
usage général, ni par un consentement una-
nime des pasteurs. Tenons-nous-en, mes
chers frères, aux usages de l'Eglise, ne
nous éloignons point de là, craignons l'illfh
bion el l'erreur. Quant aux nouvelles prati-
ques que l'on introduit, et dont on fait comme
de nouveaux sacrements, je ne Bannis les
approuver, quoique je ne m'en explique pas
aussi librement que je ferais si je ne crai-
gnais de donner lieu au scandale qu'en pour-
raient prendre certains esprits turbulents,
et même quelques personnes d'ailleurs ré-
gulières et pieuses; mais je ne puis suppor-
ter de voir que, pendant qu'on néglige des
choses salutaires que l'Ecriture prescrit,
tout soit plein d'institution humaine.
Saint Augustin avait extrêmement • cœur
de combattre les fausses dévotions : il s'en
explique admirablement dans la lettre qu'il
écrit ii à Anlonin ; il le congratule de ce que
sa dévotion est réglée, et il lui dit qu il u lu
el relu sa lettre avec beaucoup d'attention.
cl qu'il a eu une grande joie d v trouver dm
marques d'un cœur si chrétien ci si éloigne
477
SERMON POUR LE MERCREDI DE LA TROISIEME SEMAINE DE CAREME.
de la fausse piété de ces malheureux temps.
Mes frères, il y a eu des faux dévols dans
tous les siècles.
Que si tout est réglé dans la nature de no-
tre culte, il faut qu'il en soit de même dans
la manière de le rendre, et nous devons
prendre autant de soin d'éviter l'indiscré-
tion que la superstition dans nos pratiques
de piété, si nous voulons servir Dieu comme
il le désire. Car prenez garde, mes frères,
que tout ce qui est bon en soi ne doit pas se
pratiquer en tout temps, et ne convient pas
toujours à toutes sortes de personnes.
La condition d'an homme qui ne tient à
rien, nous dit saint Augustin, est bien diffé-
rente de celle d'une personne qui est avec une
autre en société, et en quelque sorte de dé-
pendance. C'est dans cette excellente lettre à
Edicia, où il reprend cette femme de s'être
engagée dans les pratiques indiscrètes d'une
prétendue dévotion contre la volonté de son
mari, ce qui avait causé de grands désordres
dans leur domestique. Prier beaucoup, c'est
une fort bonne chose et absolument néces-
saire; mais négliger les devoirs de son état,
sous prétexte de faire de longues prières,
c'est servir Dieu autrement qu'il ne désire
d'être servi. Un juge qui abandonnerait ses
affaires pour prier, une femme qui néglige-
rait son domestique pour faire de longues
oraisons, pécherait dans la manière de ren-
dre à Dieu le culte qui lui est dû, et serait
déréglée dans sa piété. Faire des aumônes,
soulager Jésus-Christ dans ses membres,
garder une grande modestie dans ses vête-
ments pour honorer l'humilité du Sauveur,
c'est une excellente pratique de piété; mais
donner l'aumône à l'insu de son mari, et
d'un bien qui n'est pas à nous; prendre un
habit fort distingué de celui des femmes ré-
glées de sa condition, c'est un dérèglement
dont saint Augustin se plaint dans la lettre
que j'ai déjà citée.
Il dit à Edicia : Vous êtes obligée de ne rien
faire sans la participation et contre la volonté
de votre mari, sur le sujet de l'aumône, quoi-
que ce soit une œuvre que Jésus-Christ nous
ait recommandée en tant d'endroits; et pour
vos habillements, ne vous écartez point de la
manière dont tes femmes chrétiennes de votre
condition s'habillent ; surtout point de sin-
gularité. Voilà quelle était la prudence et la
discrétion de saint Augustin. Entrer dans les
assemblées de piété, se rendre assidu aux
lieux où il y a des dévotions particulières,
cela est bon; mais, comme dit fort bien
saint Augustin, quoique tout ce qu'on voit
clairement n'attaquer ni la foi ni les bonnes
mat <rs puisse être reçu et même pratiqué, se-
lon que le bien de la société le demande, il
faut s'en tenir sur esta à ce que l'on trouve
établi parmi ceux avec qui l'on vit. 11 n'en
est pas.de même des pratiques auxquelles
on est obligé, et dont on ne doit point se
dispenser. Quitter sa paroisse, par exemple,
et n'y venir jamais ou presque jamais, pour
courir à des a^s mbléei ci à «les dérotions
étrangères, c'est un culte déréglé et qui ne
peut être agréable à Dieu.
Quel est donc le culte réel, véritable et
essentiel que Dieu exige de nous ? Le voici,
mes chers frères : prier Dieu au commence-
ment, au milieu et à la On de la journée ;
l'adorer tous les jours sur l'autel en s'offrant
à lui dans le sacrifice adorable de la messe;
se nourrir de sa parole dans la lecture de
l'Evangile; augmenter l'amour qu'on doit
avoir pour lui par de fréquentes élévations
de cœur vers lui; se fortifier par un usage
réglé des sacrements; régler sa conduite sur les
maximes de la loi qui regarde notre état;
ne rien faire contre la justice due au pro-
chain, aimer les pauvres et les soulager se-
lon son pouvoir , c'est l'idée de ce culte
réglé qu'on doit rendre à Dieu avec amour.
Ajoutons une troisième réflexion. Il faut
que l'uniformité rende notre culte tel qu'il
doit être : Dieu est toujours digne de nos hom-
mages, et nous nedevons jamais cesser de les
lui rendre. II n'y a rien, mes frères, qui soit si
contraire à la perfection de notre culte que
le défaut d'uniformité; car comme uu des
principaux motifs qui nous doit porter à le
rendre à Dieu, c'est, selon saint Augustin, la
reconnaissance que nous lui devons pour
ses bienfaits, le culte consiste dans la recon-
naissance^! la reconnaissance doit être réglée
sur les bienfaits ;les bien fai tsé! an t continuels,
leculte ne doit point cesser. Dieu necesse ja-
mais de nous combler de ses dons; il ne faut
donc jamais cesser un moment de l'en re-
mercier. C'est pourquoi saint Paul nous re-
commande de lui rendre grâces en tout
temps et -pour toutes choses. Ce devoir
ne nous oblige pas, sous prétexte de passer
notre vie en actions de grâces, de quitter
toutes sortes d'emplois pour ne nous appli-
quer qu'à ce seul exercice; mais il exige de
nous, après avoir réglé avec sagesse le culte
que nous devons rendre à Dieu par amour,
que nous continuions toujours à le lui ren-
dre, de telle manière que toutes nos œuvres
étant comme embaumées cl sanctifiées par
la veriu de ce culte réglé, elles forment un
corps d'actions de grâces que rien n'inter-
rompe jamais.
Eti effet, mes frères, ce n'est pas honorer
Dieu, ni le servir comme il veut l'être, que
de le faire seulement par rencontre, dans le
besoin et sans discrétion. Nous voyons tous
les jours des gens qui, à l'occasion d'une
mauvaise affaire, s'unissent entre eux pour
prier le Seigneur, parce qu'ils ont besoin de
son assistance. D'autres ont mal réussi dans
le monde, ils y ont reçu quelque chagrin
qui leur en donne du dégoût, ils forment des
projets desolilude et de retraite, ils embrassent
des exercices de piété; cela peut être bon.
Dieu permet quelquefois que le monde nous
rejette, pour nous mettre dans l'heureuse né-
cessité devenir à lui, mais il faut que ce soit
de bonne foi.
11 y a des gens que rien n'épouvante : ils
trouvent tout aisé dans le service do Dieu;
semblables à Ce disciple dont il est parlé dans
saint Marc, qui, entendant le bruit de ceux
qui conduisaient Jésus-Chri -l au Calvaire,
touché de l'injustice qu'on faisait i cet iano-
479
ORATEURS SACHES. DOM .11 ROME.
180
cent, quitta tout pour le suivre; ruai.-, les sol-
dais voulant se saisir de lui, comme disciple
de celui qu'ils emmenaient, il s'eufuii tout
nu, laissant ses vêlements entie les luains
de ceux qui voulaient l'arrêter. Il en est
souvent de même à noire égard : le cœur
est-il touché de crainte, de chagrin, de dé-
pit, de dégoût, 00 a recours à Dieu, rien n'ef-
fraye, on embrasse tout : grande réforme,
frand éclat; niais les choses viennent-elles
changer, on se réconcilie avec le monde,
on quitte sans honte tout ce qu'on avait em-
brassé saus discrétion. D'autres, un peu plus
décidés à suivre Jésus-Christ et plus dispo-
sés à la dévotion, veulent bien èlre à lui et
le suivre, mais à leur façon et selon leur vo-
lonté, et dès qu'on les contrarie cl qu'on les
veut lier au Sauveur pour faire l'œuvre qu'il
leur a ordonnée, ils fuient comme le disciple
dont nous venons de parler, ils demeurent
tout nus, c'est-à-dire dépouillés de toute sorte
de piété.
Il ne faut donc pas, mes frères , servir
Dieu par humeur , mais d'une manière
uniforme. 11 ne faut pas se former une
dévotion selon son caprice , mais s'atta-
cher à un culte réglé, que nous lui rendions
par amour, et qui sanctifie la fidélité avec
laquelle il se faut appliquer à l'œuvre qu'il
nous a donnée ; c'est la seconde qualité d'une
solide dévotion, et la deuxième partie de ce
discours.
DEUXIÈME PARTIE.
L'apôtre saint Paul nous recommande
particulièrement la manière de servir Dieu
et d'être dévot; nous en allons parler dans
cette deuxième partie : Nous vous prions,
mes très-chers frères, dit-il aux Ephésiens,
que chacun dans son état s'applique à ce qu'il
a à faire; et dans la première aux Corin-
thiens : Que chacun demeure dans l'état au-
quel il a été appelé ; car c'est en faisant son
ouvrage, c'est-à-dire en travaillant selon
Dieu dans la condition où sa providence
nous a placés, qu'on le sert d'une manière
qui lui est agréable et qui nous est utile.
Or, pour bien entendre ceci, il est impor-
tant de faire réflexion que nous devons con-
sidérer l'Eglise, qui est le monde choisi par
Jésus-Christ, comme la famille et la maison
de Dieu, dans laquelle tous les ebrétienssont
reçus, cl où ils doivent travailler pour le
bien et pour la gloire de celte famille sainte.
C'est ce qu'il nous représente en plusieurs
endroits de l'Ecriture, mais clairement dans
cette parabole des vignerons, dans laquelle
il est marqué qu'il envoie des ouvriers pour
travailler, et auxquels il promet des récom-
penses après leur travail : parabole qui est
la ligure de l'Eglise, qui est le royaume de
Dieu, parce qu'il y est connu, aimé et servi;
et qui est représentée par une vigne, parce
que c'est un lieu de travail où personne
ne doit être oisif.
Le père de famille promet des récompenses
à ceux qu'il y envoie, parce qu'il n'y a p linl
de place dans l'Eglise où l'homme, en tra-
vaillant par l'ordre de Dieu, ne se sanctifie
ce qui ne se doit pas- entendre seulement de
ceui 'jui travaillent dans l'Eglise, muom mi-
BÎstrel sa> rés qui sont digues d'un double
honneur, tomme parle saint l'aul.mais de
ions (eux qui, appartenant a l'Eglise par la
foi, travaillent dans la condition où ils sont
entres par la vocation de Dieu Cm prise | l s
poses, il est aisé de vous faire voir qu'on ne
sert Dieu d'une manière qui lui est agréable,
ei que l'on n'est véritablement dévot, que
lui -qu'on s'applique avec fidélité a l'œuvre
qu'il nous a donnée : et pour s'en convain-
cre il n'y a qu'à faire réflexion sur la vo-
lonté de Uieu, qui s'est proposé de former un
corps et une assemblée de fidèles qui, étant
animée de son esprit et n'agissant ijue par
ses mouvements, nous représente sur la
terre celte céleste Jérusalem dans laquelle il
règne et où il esl adoré. C'est ce que saint
Paul nous enseigne quand il dit qu'il s'est
livré lui-même pour se faire un peuple par-
ticulièrement consacré à son service, qui fût
fervent dans les bonnes œuvres. 11 veut que
ce corps soit parfait, et c'est celle perfection
qu'il a en vue, suivant ce que dit saint Paul,
qu'il veut notre propre sanctification.
La seconde chose sur laquelle il faut faire
réflexion, c'est sur les mojens qu'il a choi-
sis pour former ce corps, cl il l'a formé en
le composant de différentes parties, aux-
quelles il donne des fonctions propres, dont
l'accomplissement fait également la per-
fection du corps et des parlies qui le com-
posent.
Car il ne faut pas se persuader que la dif-
férence des conditions soit un effet du ha-
sard ; c'est, mes frères, une sage disposition
de la providence de notre Dieu pour le bien
général et pour celui des particuliers. L'un
nait roi, l'autre sujet: l'un nail riche, l'au-
tre pauvre. Le. Seigneur, dit le Sige. esl le
créateur d" l'un et de l'autre; il a fait l'un pour
l'antre. Ces hauts et ces bas dan» les condition*
sont de.< tons différents, dit saint Ambrois .
qui composent une musique et une harmonie
parfaite dont Dieu esl l'auleur. Chaque par-
lie a sa fonction, elle est parfaite en son
genre, et elle contribue à la perfection du
corps et à l'accomplissement des desseins de
Dieu.
La troisième chose sur laquelle il faut
faire réflexion, c'est sur la nécessité où Mus
sommes de nous tenir dans le po»te où Dieu
nous a mis, et de nous appliquer fidèlement
à l'œuvre qu'il nous a donnée. L'accomplis-
sement de ce devoir, mes frères, est une ex-
cellente dévotion : c'est une manière bien
sûre de servir Dieu comme il veut être servi,
que d'aimer son état, de ne le point changer,
d'en r mplir les fondions avec fidélité pour
contribuer à l'accomplissement des desseins
de Dieu ; de ne rien désirer, de ne rien de-
mander d'extraordinaire, ni au-dessus de
forces. 11 faut donc que chaque chrétien qui
est entre par la vocation de Dieu dans un étal
bon en lui-même considère CC qu'il est, ce
qu'on demande de lui, el qu'il s'applique à
remplir ses devoirs avec fidélité el avec ar-
deur.
Car en effet, que signifie le mol de dévot,
tôi
SERMON POUR LE MERCREDI DE LA TROISIEME SEMAINE DE CAREME.
m
quand on n'en abuse point? C'est un homme
dévoué, soumis, prompt à faire la volonté de
Dieu et à exécuter ses ordres dans le poste où
il l'a placé et dans les fonctions qu'il a bien
voulu lui confier dans le gouvernement et
dans la conduite de sa famille. Il faut donc
que cet homme reconnaisse quels sont les
engagements de son état, qu'il se persuade
que Dieu se repose sur lui des choses qui dé-
fiendenl de cet état et qui sont nécessaires à
a perfection du corps dont il fait partie, qu'il
s'applique exactement aux fonctions de cet
élat, et qu'il sache que c'est là sa dévotion et
le service que Dieu demande de lui, et non
pas un autre service.
C'est une des choses qu'on néglige le plus
que de connaître les obligations de son état.
La plupart des hommes vivent dans une igno-
rance effroyable des engagements de leur
condition; ils se règlent etse formentdes pra-
tiques de dévotion selon leur caprice, et veu-
lent servir Dieu selon leur volonté sans con-
sulter la sienne; ils lui rendent presque tou-
jours des services qu'il n'exige pas d'eux, et
ils ne s'appliquent presque jamais à faire les
choses pour lesquelles il les' a mis sur la
terre. Quel est le grand seigneur, le magis-
trat, le père et la mère de famille qui se soit
dit : Il faut que j'entre dans la connaissance
de mes obligations, et que j'apprenne ce que
Dieu demande de moi dans mon état? Car
après tout je ne suis pas dans cette condition
pour n'en recevoir que les honneurs et les
plaisirs; ce n'est pas assurément là le des-
sein de Dieu sur moi. Depuis le péché l'hom-
me est sur la terre pour travailler. N'esl-il
pas môme vrai, par tous les principes et par
l'analogie de la religion, que la grandeur des
l'ois mêmes n'est qu'un pur ministère, que le
ciel commet à une créature qui ne doit avoir
d'autre fin que la gloire de Dieu et l'avan-
lage spirituel et temporel des hommes ?
Il faut voir ce que dit saint Augustin, li-
vre V de la Cité de Dieu, sur les devoirs et
sur la vraie grandeur des rois et des souve-
rains. Ils ne sont pas heureux pour avoir
régné longtemps, pour être moris en paix,
pour avoir laissé leurs enfanls successeurs
de leur couronne, pour avoir remporté des
victoires, parce <}uc tous ces avantages leur
sont communs avec des rois impies ; mais
leur bonheur, leur devoir et leur gloire, c'est
de faire régner la justice, de n'êlre point en-
flés d'orgueil au milieu des respects qu'on
leur rend; c'est de soumettre leur puissance
à celle de Dieu, c'est de le craindre, de l'ai-
mer, de l'adorer, de le faire servir, de soute-
nir la gloire de son culte, de punir ceux qui
l'offensent, de soutenir ceux qui l'aiment,
enfin de n'employer leur pouvoir que pour sa
gloire et selon ses lois.
Chacun se doit donc dire à lai-même : C'est
une erreur grossière de croire que je ne sois
ici-bas que pour moi seul. H paraît évidem-
ment par l'ordre que Dieu a mis dans le
monde qu'il y a une dépendance mutuelle et
réciproque entre tous les hommes. Ainsi ,
dans ma condition, j'ai rapporta quelqu'un
cl quelqu'un a rapport à moi. S'il y a dans
mon état des droits, des avantages qui me
regardent, il y a aussi des obligations, des
engagements et des devoirs qui m'obligent
envers les autres. Voilà la première réflexion
que doit faire un chrétien.
En second lieu, il faut qu'il se dise, dans la
vue de ses obligations et de son rapport aux
autres : Comme Dieu, dans l'ordre de sa pro-
vidence, m'a chargé de rendre certains de-
voirs aux autres, il est certain qu'il se repose
sur moi de l'exécution des devoirs dont je
suis chargé par rapport à ceux dont je ré-
pondrai. Vous, grands seigneurs, par exem-
ple, vous devez faire honorer Dieu, vous de-
vez faire garder sa loi : l'Apôtre nous dit que
le prince est le ministre de Dieu pour porter
à faire le bien. Dieu se repose sur vous de
ces devoirs ; le public et le particulier ne
peuvent recevoir ce bien-là que de vous.
Vous, magistrats, vous devez faire exécuter
fidèlement les lois que le prince a établies.
Vous, juges, vous devez protéger la veuve et
l'orphelin, vous devez défendre l'innocent
contre la violence des puissants qui l'oppri-
ment. Vous, pères et mères, vous devez l'é-
ducation à vos enfanls; Dieu se repose sur
vous du soin de le faire connaître, aimer et
régner dans votre famille. Voilà l'office dont
il vous a chargés dans sa maison. Vous ne
serez des serviteurs fidèles qu'autant que
vous vous acquitterez exactement de ces de-
voirs.
C'est là l'objet de voire véritable dévo-
tion; car cette dévotion n'est autre chose
qu'une promptitude dans la volonté du chré-
tien à faire celle de Dieu. Le terme latin dé-
volus signifie dévoué, prêt à partir, toujours
en mouvement. Soyez donc ardents, atten-
tifs, vigilants pour les intérêts de sa gloire
dans l'ordre où il vous a placés. Ainsi, comme
il vous a marqué ce qu'il veut de vous en
vous mettant dans un état, vous ne serez ja-
mais solidement dévot que vous ne fassiez
votre capital d'accomplir les devoirs de votre
état.
La troisième chose que vous devez faire,
qui est la suite nécessaire des deux précé-
dentes, c'est de vous appliquer à accomplir
exactement les devoirs de votre élat ; car si
vous négligez la pratique de ces devoirs, vous
ruinez l'ordre de Dieu, et vous mettez le dé-
règlement dans su maison ; vos domestiques
font dans la vôtre ce que vous leur ordonnez :
s'ils n'exécutaient pas vos volontés, ou s'ils
s'ingéraient dans des emplois différents de
ceux que vous leur marquez, quel étrange
désordre ne serail-ce pas dans vos familles I
vous ne seriez poinl servis, et vous auriez
raison de vous plaindre.
Voilà, mes frères, le désordre que vous
causez dans la maison de Dieu, quand vous
ne vous appliquez pas à votre œuvre. Il se
repose sur vous, grands seigneurs, sur vous,
magistrats, sur vous, pères et mères, de ce
que d'autres que vous ne peuvent pas exé-
cuter.
Les désordres que vous voyez dans les
conditions sont des suiles de la négligence
que chacun apporte à l'œuvre que Dieu lui
483
ORVU i RS SACRKS. DOM IEROME.
a confiée. C'esl donc dans l'accomplissement
de cellfl ouvre que co sisle la solide dévo-
tion. Priez, mes frères, remplissez, comme
chrétiens, les engagements ou vous êies en-
vers l'église ; réglez selon votre élal le culte
qui est dû à Dieu, niais appliquez-vous, ci
rempli sapl ces devoir-, à l'aire votre CSUVre;
c'est le service qu'il demande de vous dans
sa maison. Vous ne devez point attendre de
récompense, si vous n'y avez point été fi-
dèles. Quand un homme •'» fait le contraire
de ce que vous lui avez ordonné, ne lui dites-
vous pas : Mon ami, ce n'est pas là ce que je
demandais de loi, demande la récompense a
celui que lu as servi ? Dieu en use de même
à noire égard, il ne nous veut récompenser
qu'. allant que nous avons fail l'œuvre qu'il
nous a commandée.
Ainsi, mes fières, noire salut dépend de là.
Je ne regarde poini la prédestination dans sa
cause, eîl est impénétrable, el ou s'y perd ;
je la regarde dans ses effets, qui sont évi-
dents. Je ne serai point sauvé si je ne lais
mon œuvre. Dieu ne récompense que ses ser-
viteurs, et je ne le serai qu'autant que je ferai
ce qu'il m'ordonne, cela est sûr : il ne faut
point quilier noire œuvre pour en faire une
autre, quelque éclit el quelque apparence de
bien que puisse avoir celle <|ue nous sommes
portés à entreprendre; ni l'âge, ni la pau-
vreté, ni les richesses, ni les affaires, ni la
guerre, ni le négoce, ni le gros travail, ni
quelque autre chose que ce puisse être, ne
nous empêchera jamais d élre véritablement
dévots et vertueux.
On a vu dans tous les siècles des vieillards,
des jeunes gens, des personnes mariées et
occupées de leurs enfants, des gens d'affai-
res, des soldais, des artisans qui se sont si-
gnalés par leurs vertus, qui ont été très-fi-
dèles à Dieu, et qui dans tous les temps et
dans toutes sortes d'emplois oui accompli s s
piéceples et l'ait sa volonté. Daniel était
jeune, Joseph était esclave, Aquila était ar-
tisan, Lydie était marchande, Corneille était
capitaine, le geôlier de saint Paul gouvernait
une prison, Timothce était presque toujours
malade, Onésime était non-scuicment es-
clave, mais fugitif ; cette différence d'états,
d'âge, de c .mplexiou n'a point empêché que
toutes ces personnes, hommes et femmes,
jeunes el vieux, esclaves et libres, officiers et
particuliers, n'aient servi Dieu sans sortir de
leurs conditions : au contraire, c'est leur fi-
délité à rendre à Dieu les services qu'il de-
mandait d'eux dans leur élal qui les a rendus
illustres dans l'Ecriture, et dignes délie pro-
posés pour exemple aux fidèles dans tous les
siècles ; et ce ne sera jamais que par une
pareille fidélité que vous vous sanctifierez
dans l'exercice d'une dévotion réglée sur
votre état el proportionnée à vos engage-
ments.
Je vous exhorte donc, mes Irès-chers frè-
res, de vous appliquer fidèlement à faire vo-
tre œuvre. Voyez ce que vous êtes dans le
monde, el quel esl l'emploi que Dieu vous a
donné dans sa maison. Tenez-vous là cl rem-
pli s /-eu les devoir», avec exactitude, avec
humilité, avec douceur, arec pal
Qu'on est dévot quand on vit de celle ma-
nière !
TROISIEME PARTIE.
Le troisième caractère de la dévotion,
pour qu'elle soit solide, c'est de se 10001 tire
avec respect aux or très de la volonté de
Dieu, qu il nous marque qui : Iquefois par des
événements imprévus. En effet, si nous tont-
ine- persu. des que Dieu règle lout dans sa
maison, et qu'il n'y arrive i en que par moi
ordre, nous devons le regarder dans toutes
sortes d'événements, et si nous lui soumbm
véritablement fidètee, il faut le servir de la
manière qu'il le veut être; car comme nous
prétendons avoir droit dans nos familles d'ô-
ter un domestique de son emploi pour l'oc-
cuper, quand il nous plaît, aux choses qui
nous pressent davantage, et comme c'esl
une grande louange que nous prétendons
lui donner quand nous disons : Il est à tout,
el à quelque chose qu'on l'emploie il fait de
bonne grâce et volontiers ce qu'on exige de
lui; ainsi, mes frères, Dieu éprouve notre
fidélité par des événements el des rem
très que nous n'attendions point. S'il nous
relire quelquefois de nos exercices ordinai-
res, et qu'il permette qu'on nous suscile de
mauvaises affaires, s'il nous expose à des
persécutions, s'il veut que nous quiltic
nos emplois pour faire autre chose, il faut
se soumettre à ses ordres, el tâcher de les
exécuter en paix : c'esl là la marque assu-
rée de notre fidélité, et une preuve qu.- nous
servons Dieu pour lui-même, et c'esl par là
qu'on recmnaîlra si vous êtes véritablement
serviteurs de Dieu, lorsqu'on verra que vous
éles livrés entièrement à la volonté de v
maître, et qu'il vous esl indiffèrent de faire
telle ou telle chose, pourvu que vous soyez
certains que vous faites sa volonté.
C'est là le caractère d'un bon servilcur: il
ne s'informe de rien que de connaître la vo-
lonté de son maître pour la faire sans rai-
sonner; c est là le caractère d'un vrai servi-
teur de Dieu et d'un homme véritablement
dévot : car c'est par là que nous nous dis-
tinguons de ce peuple que le Seigneur rejette
dans cet évangile, qui ne le sert que des lè-
vres, c'est-à-dire qui, faisant profession de
le servir, fait toujours sa volonté propre,
et qui ne veut jamais accomplir celle de
Dieu.
O mon Dieu ! éloignez de nous ce1 esprit
d'h} pocrisie que vous condamnez, faites que
nous vous rendions par amour un culte di-
gne de votre grandeur; appliquez-nous p ir
voire sainte grâce à l'œuvre que vous nous
avez donnée. Rendez-nous soumis à lous les
ordres de votre volonté adorable, afin qu'a-
près vous avoir servi sur la terre comme
vous voulez 1 elre, nous soyOOl rendus di-
gnes par votre miséricorde dos récompenses
qui vous voulez bien nous promollre. Je
vous les BOUbaile. Ainsi soil-il.
i85 SERMON POUR LE JEUDI DE LA 7
SERMON
POUR LE JEUDI DE LA TROISIÈME SEMAINE
DU CARÊME.
Sur l'usage des maladies.
Socms autem Simonis tenebatur maguis febribus.
La belle-mère de Simon avait mie (fraude fièvre (Luc.,
IV, 5d).
Si l'apôlrn saint Paul a dit autrefois que
ses infirmités faisaient sa gloire, et que, par
le bon usage de l'étal où la Providence l'a-
vait réduit, il trouvait sa force dans sa pro-
pre faibhsse, je puis bien dire la même
chose de la femme de cet évangile, et assu-
rer que sa maladie a clé la source de sa
gloire. Réduisons à trois choses tout ce qui
est rapporté dans l'Evangile. 1° Celte femme
souffre sans témoigner la moindre impa-
tience, et elle attend avec une tranquillité
admirabl i la venue de Jésus-Christ qu'elle
n'avait pas même demandée; 8° elle fait pa-
raître une fort grande indifférence pour ie
recouvrement de sa sanlé : ce n'esl pas elle
qui demande d'être guérie, ce sont ses amis
qui s'en mettent en peine; 3" elle emploie
ses forces rétablies à reconnaîtra la miséri-
corde de celui qui les lui a rendues, el elle
ne quitte le lit que pour servir le Sauveur
et ses disciples. Voilà, mes frères, tout ce
que la vertu chrétienne peut taire de plus
admirable dans une semblable occasion ; car
on peut distinguer trois étais dans la mala-
die qui nous exposent à différents périls et
qui demandent de nous différentes vertus :
il y a n ii élal fâcheux où, ressentant les dou-
leurs et les violences du mal, nouT avons
besoin de patience, parce que nou^ sommes
porlés à la révolte; il y a un état de lan-
gueur el incertain, où, nous trouvant entre
la mort el la vie, sans savoir quel doit être
le succès de notre mal, nous avons besoin
d'une force chrétienne pour nous abandon-
ner aux ordres de Dieu, parce qu'on est en
danger de tomber dans la mélancolie, et
quelquefois même dans une espèce de déses-
poir; il y a un élal agréable, c'esl celui du
rétablissement de la santé, où nous avons
besoin de l'esprit de reconnaissance, parce
qu'ordinairement nous oublions noire bien-
faiteur. Cette illustre malade de l'Evangile
nous donne un exemple merveilleux de
toutes ces verlus différentes : eilc est atta-
quée de la fièvre, elle supporte cet élal fâ-
cheux avec patience, elle ne sait si Dieu a
résolu de lui ôlcr la vie ou de lui rendre la
santé, elle accepte l'incertitude de cet état
avec soumission ; le Sauveur du monde lui
rend la sanlé, el par reconnaissance elle em-
ploie ses premiers moments à le servir. Ap-
prenons donc par son exemple, mes très-
chors frères, quand Dieu nous visite par les
maladies, que nous devons étie patients dans
la violence du mal : première partie; soumis
dans l'incertitude de l'événement : deuxième
parie, reconnaissants dans la guérison :
Iroi ièine partie.
On prie le Sauveur du monde pour obte-
nir de lui la santé de cette brame, prions-le
pour obtenir la grâce de profiler de l'cxein-
R01S1EME SEMAINE DE CAREME. 486
pie qu'elle nous a donné, c'est ce que je lui
demande par l'intercession de Marie. Ave,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
11 faut que l'homme chrétien abattu par
la maladie demande à Dieu la patience dans
ses douleurs, car c'est lui qui la donne,
comme toutes les autres vertus ; mais comme
il faut qu'il travaille de sa part à s'en ren-
dre digne en modérant l'impatience et en ar-
rêtant les emportements où la violence de
ses maux le pourrait porter, disons que deux
vues différentes doivent servir à le mettre
dans cette modération, et que pour éviter
l'emportement dans la douleur, il faut qu'il
considère ce qui lui est dû comme pécheur
et ce qu'il ne peut éviter comme juste.
Il est certain que toutes les maladies qui
nous accablent sont des suites du péché, et
que nous n'en ressentons les violences et les
douleurs que parce que nous sommes cou-
pables ; mais parce que tous les hommes ne
sont pas pécheurs dans le même degré, il y
a pour eux différents motifs de patience
dans la même vue du péché ; car, mes frères,
ou le péché est en nous, ou il règne en nous,
ou il a cessé d'y régner. Quand il est sim-
plement en nous, nous sommes pécheurs
sans être coupables ; quand il y règne, nous
sommes tout ensemble et coupables et pé-
cheurs ; quand il a cessé d'y régner, nous
cessons d'être coupables et nous demeurons
pécheurs.
Or, pour entendre ce que j'avance ici, il
faut reconnaître, avec saint Augustin et les
Pères, que le péché est dans lous les hom-
mes, puisque, nonobstant la régénération
du baptême, la concupiscence demeure en
nous, et elle est appelée péché, non parca
qu'elle nous sépare de Dieu, séparation qui
constitue réellement le péché, mais parce
qu'elle nous porte toujours à nous en sépa-
rer, et c'est ce poids dont nous avons expli-
qué les effets plusieurs fois. C'est ce qui fait
que saint Thomas remarque que l'Apôtre dit
bien aux Romains que puisqu'ils sont assez
heureux pour être morts au péché par la
profession du christianisme, iis ne doivent
plus souffrir que le pèche règne dans leur
corps mortel, mais qu'il ne dit pas qu'il ne
soit point en vous ; car, excepté Jesus-Christ,
en qui, par nature, il ne pouvait être, et
Marie, en qui il n'était poiul par grâce, il est
en nous lous; et c'est ce qui [ail dire à saint
Chrysosîome, à l'occasion de la fièvre, de la
femme dont nous parlons, que les justes ne
sont pas sans quelque émotion en ce monde.
Oui, mes frères, leur seul combat, qui doit
être continuel, leur cause souvent de l'agi-
tation, lors même que leur cœur est tout à
Dieu : ainsi chacun doit prier Jesus-Christ
qu'il guérisse sa fièvre; mais le péché règne
dans notre cœur lorsque nous obéissons aux
d rs déréglés de li concupiscence. \ oilà la
différence antre ces expressions: le péché
est simplement en nous, ou le pcciie règne
eu nous, et il ne cesse d'y régner que lors-
qu'après la conversion du cœur nous soi-
•ÏR7
ORATEURS SACHES. DO.M JLIUiUi:.
488
Ions de dessous son empire en demeurant
néanmoins redevables à la justice de Dieu.
Conformons-nous donc au\ différentes vues
que Dieu a dans les maladies qu'il nous <u-
voie.
I Quand nous sommes pécheurs sans être
coupables, et que le pérhé est en nous sans
y régner, Dieu nous envoie des m ;ladies
pour nous garantir de son malheureux em-
pire. 2" Quand nous sommes pécheurs et
coupables, et que le péché règne en nous,
il nous les envoie pour nous convertir. S*
Quand nous avons cessé d'être coupables en
demeurant pécheurs et redevables a sa justice
pour nous être soumis à ce malheureux rè-
gne, il nous les envoie pour nous purifler.
Luirons dans ces trois vues dilTérenlcs, et
nous y trouverons de grands motifs de pa-
tience dans nos maladies.
Eu effet, n'est-ce. pas une miséricorde de
Dieu bien marquée, lorsqu'il nous frappe
par la maladie pour nous garantir du péché,
cl que, pour prévenir la chule de nos âmes
et les engagements criminels à mille objets
qui causent la perte des hommes, il nous
réduit dans un état de langueur qui. affai-
blissant le corps, fortifie les lumières de
l'âme et la rend capable de juger des choses
sans prévention? C'est assurément la dispo-
sition la plus avantageuse et la plus sainte
où un chrétien puisse être; c'est un étal sé-
paré, pour ainsi dire, de la vie, où l'homme
est comme dépouillé de lui-même; ses pas-
sions sont presque anéanties; la vengeance,
la haine, l'ambition, la vanité, la sensualité
perdent leur force dans la maladie; l'homme
ne voit presque plus que sa misère, il recon-
naît le besoin qu'il a de Dieu, il y recourt et il
l'invoque comme par une heureuse néces-
sité. Cet état est aussi heureux pour lui que
peut l'être l'indifférence des hommes à son
égard ; leur amour nous aveugle, leur haine
nous irrite, leur indifférence nous laisse li-
bres. La santé nous attache aux biens pré-
sents, dont la jouissance nous aveugle ; la
mort nous en prive et nous rend incapa-
bles de sentiment et de mérite; la maladie
nous met au milieu. L'impression des biens
du monde n'est pas alors assez forte pour
aveugler ; mais il reste assez de lumières
quand votre grâce agit en nous, ô mon Dieu 1
pour nous faire regarder ces biens dans leur
jusle valeur.
Car, mes frères, dans la santé, dans la vi-
gueur, dans la jouissance des choses pré-
sentes et agréables à nos sens, nous ne som-
mes pas capables d'en bien juger ; le plaisir
nous emporte, et les délices d'un moment
nous font risquer sans crainte les peines
d'une éternilé et nous exposent au péril de
passer de l'état de la jouissance à celui de la
privation, sans avoir fait aucune réflexion
sur la différence épouvantable de ces deux
étals, qui se suivent néanmoins de .si près.
Que fait donc Dieu quand il nous aime? il
prévient ce malheur, en nous mettant par la
maladie entre la jouissance et la privation.
Un homme en effet qui esl abattu dans son
lit est comme dégagé de toutes les opinions
qui trompent les autres hommes: n'élant pas
dans la jouissance des choses, son esprit
n'( m pas enchanté par !<• charme qui accom-
pagne celle jouissance; il est. pour ainsi
dire, dans celle solitude OU Dieu parle au
cœur de la créature ; de là il regarde les
choses sans prévention, comme elles sont en
elles-mêmes ; il reconnaît la folie d< I ambi-
tion, et il v oit que tous les gran 's projets
qu'elle fait former se doivent terminer dans
ce lit où il est retenu; que tous I09 grai
desseins de fortune viendront se briser con-
tre cet écueil un peu plus tôt ou un peu plus
lard; il sent 1 impuissance des richesses <t
des biens, qui non-seulement ne peuvent le
tirer il où il est, mais même qui ne sont pas
capables d'adoucir les violences de ses dou-
leurs.
Voyez Anliochus frappé delà main de Dieu
et abattu par une maladie de langueur. Le
sommeil, dit-il, s'est éloigné de moi. mon cœur
est tout abattu, je me sens défaillir, lin gwl
abîme de tristesse me vois-je plongé, moi qui
étais auparavant si content et si chéri au mi-
lieu de la puissance gui m'enc ironnait I Cet
homme reconnaît la faiblesse de ses amis et
l'impuissance des grands de la terre, qui, avec
toute leur autorité et tout leur pouvoir, ne
sont capables que de compatir à son et il.
Voilà, dil un homme sage et qui profite de
la miséricorde de Dieu, ce que sont tous les
biens de la terre pour lesquels on sacrifie
tout, sans même épargner son salut, et qui,
vous abandonnant dans la nécessité, vous
font sentir leur impuissance d'une manière
d'autant plus cruelle que, les avant préférés
à toutes choses, vous ne découvrez qu'ils ne
sont bons à rien que lorsqu'il n'est plus temps
de réparer la faule que vous avez faite de"
vous y attacher. Là-dessus cet homme prend
des mesures : muni de ces réflexions, bien
loin de se plaindre de la maladie qui le re-
lient, il profile du temps qu'elle lui laisse,
et, recevant le mal que Dieu lui envoie comme
un effet de sa miséricorde, il reconnaît qu'il
en use à son égard comme un pasteur qui
voit une innocente brebis , attirée par la
beaulédes pâturages, bondir dans des champs
éloignés du bercail, et s'exposer au péril de
devenir la proie des loups. Que fait ce berger
charitable? il pique sa houlette, il prend une
motte de terre, il la jette sur sa brebis ; et com-
me si ce coup faisait rentrer en lui-même cet
animal innocent, il quille ces champs où il
s'égare, cl vient reprendre son rang dans le
troupeau sous la conduite de son pasleur.
C'est avec ce même dessein que Dieu nous
frappe quelquefois par la maladie : le charme
des plaisirs nous séduit, le torrent des affai-
res nous emporte, l'éclat des granleors nous
aveugle ; Dieu nous frappe pour nous faire
rentrer dans nous-mêmes, pour nous retirer
du péril où notre innocence courait risque,
et nous empêcher par là de joindre la qua-
lité de coupables à celle de pécheurs; et si
celte union malheureuse esl déjà faite, les
maladies qu'il nous envoie sont des moyens
donl il se sert pour nous convertir.
saint Chrysosiomc, dans quelque endroit
SERMON POUR LE JEUDI DE LA TROISIEME SEMAINE DE CAREME.
48!)
de ses ouvrages, regarde le Sauveur du
monde comme un général d'armée qui do-
mine sur toutes les créatures, sur la maladie
même et sur !a mort; elles obéissent à ses
ordres et combattent pour ses intérêts. On
peut donc dire que lorsque Dieu envoie des
maladies aux hommes en conséquence de
leurs péchés, il en use comme un général
d'armée qui envoie des soldats vivre à dis-
crétion chez des sujets rebelles. Il les afflige,
il les dépouille, il les réduit dans la misère
sans qu'on les plaigne, parce qu'ils se sont
attiré ces duretés par leur rébellion. Dieu en
use de même à l'égard des pécheurs, avec
celle différence que s'il les frappe, c'est pour
les guérir; s'il réduit le corps dans la lan-
gueur, c'est pour retirer l'âme de la servi-
tude du péché; s'il blesse la chair, c'est pour
sauver l'esprit ; ce qui fait dire à saint Am-
broise : Consolez-vous , la chair épargne
l'esprit, et les maux du corps sont la santé
de l'âme; mais comme il instruit l'un, par les
maladies, de la vanité des choses du monde,
il donne à l'autie les moyens de satisfaire à
sa justice pour les avoir poursuivies et ai-
mées avec dérèglement.
En effet, n'est-ce pas ainsi qu'il en use à
l'égard de Jonas? La tempête qui se forma
sur la mer n'était-elle pas une punition de
la désobéissance de ce prophète? Ce poisson,
que la Providence fit tenir prêt pour l'englou-
tir, n'était-il pas une retraite que Dieu lui
prépara, dans laquelle il eût le temps de son-
ger à lui? C'est ainsi que Dieu en use à l'é-
gard du chrétien eu qui le péché règne : la
maladie dont vous vous plaignez en est le
châtiment; c'est la punition des débauches et
des excès où la volupté vous a engagés, c'est
le châtiment des veilles et des fatigues crimi-
nelles que l'avarice et l'ambition vous ont fait
soutenir; il vous abat pour un temps, afin
que vous vous reconnaissiez dans cette re-
traite, et que, comme un autre Jonas, vous
changiez de conduite quand il vous aura re-
mis en liberté d'agir.
Car, mes frères, les pécheurs sont à peu
près comme ces frénétiques qui ne tombent
dans le repos et qui ne reprennent leur rai-
son qu'après que de violentes agitations ont
tout à fait épuisé leurs forces. Achevons celte
première partie, et disons que si le péché ne
règne plus et n'est plus dominant en nous, il
suffit qu'il y ait régné pour que Dieu ait droit
de nous châtier et que nous n'en ayons point
de nous plaindre; la souffrance est noire par-
tage comme pécheurs, c'est ce qui nous est
dû, cl comme justes c'est notre gloire.
lin effet, mes frères, si notre félicité dans
la gloire consiste à être semblables à Jésus-
Christ, durant cette vie elle consiste à voir
commencer en nous celte ressemblance ; car
on n'arrive à l'un que par l'autre. Celle image
si; fait à deux lois, elle s'ébauche en cette
vie et elle se finit dans l'autre; nous ne sau-
rions ressembler à Jésus-Christ sur la terre
que par la douleur, par la misère, par la
pauvreté; car c'a été proprement là sa na-
ture humaine, quoique dans le ciel il soitre-
Yèlu de gloire. Ainsi on peut dire que, pour
ORATEURS SACRÉS. XXX.
490
former en nous son image, il fait à notre
égard ce que les peintres font dans leurs ta-
bleaux. Celle vie est une ébauche, dont la
perfection ne peut se trouver que dans l'au-
tre; et comme les ébauches ne laissent pas
que d'être précieuses quoiqu'elles n'aient \
presque rien que de désagréables, pareequ'on
les regarde par rapport à ce qu'elles doivent
être, de même, mes frères, ces maladies qui
nous affligent commencent en nous l'image
de Jésus-Christ dès cette vie; et on pourrait
peut-être prendre en ce sens ces paroles de
saint Paul : Reformabit corpus humilitatis
nostrœ. Voilà l'ébauche, Jésus-Christ la forme
en nous par ce corps de misère, vil et abject:
Conjiguratum corpori claritatis suœ. Voilà la
fin du tableau et la perfection de sa ressem-
blance : il le rendra conforme à son corps
glorieux.
Apprenons à nous remplir de ces pensées:
Je ne suis frappé de la main du Seigneur
qu'afin que je puisse m'instruire de la va-
nité des choses présentes. Il n'appesantit sa
main sur moi que pour me fournir les moyens
d'éviter les coups terribles de cette justice
impitoyable qui punira durant toute l'éter-
nité ceux qui, n'étant pas plus coupables
que moi, sont passés sans réflexion et sans
péuilence de la jouissance à la privation des
choses dont j'ai abusé. Jésus-Christ forme
en moi son image, et quand je serais inno-
cent, ses coups sont précieux. L'or, quelque
pur qu'il puisse être, n'a de cours que quand
il est frappé au coin du prince, et un enfant
de Dieu n'est reçu dans son héritage qu'en
portant le signe de la croix. C'est par ces
vues qu'un chrétien doit se soutenir dans ce
premier état de sa maladie que j'ai appelé
fâcheux à cause des maux qu'il y ressent.
Voici la vue qu'il doit avoir dans celui que
j'ai appelé incertain : c'est le sujet du deuxiè-
me point.
DEUXIÈME PARTIE.
Pour contribuer à mettre l'esprit d'un chré-
tien dans une soumission parfaite aux ordres
de Dieu, et le retirer des inquiétudes qui l'a-
gitent dans l'incertitude du succès et de la
fin de la maladie qui l'accable, il faut consi-
dérer ce qui le tourmente, ce qui peut le con-
soler et ce qui doit le résoudre.
Ce n'est pas toujours l'amour de la vie
qui trouble l'homme et qui cause sa peine
dans l'incertitude du succès de sa maladie,
c'est quelquefois une fausse haine qu'il a
conçue contre elle, et dans laquelle il a placé
sa religion, mais qui est produite par l'a-
mour-propre. Quelquefois c'est un véritable
mépris qu'il a pour elle, qui est un effet ou
de sou zèle, ou de son caractère, ou de sa re-
ligion. Les hommes regardent la vie sous dif-
férentes faces : il y en a qui craignent la
mort et qui aiment la vie, d'autres qui crai-
gnent également et la vie et la mort, et enfin
d'autres qui craignent la vie et qui souhai-
tent la mort.
Celui qui se voit dans la jeunesse, dans les
biens, dans la prospérité, dans l'honneur,
craint de perdre la vie, cl sa crainte est uu
10
491
ORATEURS SACIlLS. DOM Jl.ltOMI.
'.•>>
effet de son amour pour elle, Vu autre se
voil avaucé en Ara, accablé par les infirmités,
pressé par la misère, dégoûté par mille dU«
grâces; il ne sait ce qu'ildoit souhaiter, parce
qu'il s'aime uniqueiiicul ; il ne veut pas vi-
vre, la vie le rebute parce qu'il est malheu-
reux; la mort lui l'ail peur, il ne sait pas
mourir parce qu'il n'est p;is chrétien; de
sorte qu'agite par mille inquiétudes il craint
de vivre par lâcheté, et il souhaite de mourir
par désespoir. Un autre, pénétré des senti-
ments de la religion, sentant déjà comme les
avant-goûts de l'éternité, instruit des misères
de la vie présente par son expérience, et ef-
frayé des dangers qu'on y court, désire d'en
sortir, parce qu'il la méprise et qu'il la craint.
Il s'écrie avec le l'rophète : lieu! milii, (/nia
incolatus meus pi olongalus est : Hélas ! que
mon exil est longl et avec l'Apôtre : Cupio
dissolvi et esse cum Cluisto : Je dés re mou-
rir pour être avec Jésus-Christ.
Ces trois vues excitent des mouvements
différents qui troublent ceux qui en sont agi-
tés :l'un regarde la vie avec tous ses charmes,
l'autre la voit avectoules ses misères, et l'au-
tre enfin en considère tous les dangers. Cha-
cun désire et craint à sa façon, et aucun ne
sachant ce qui arrivera, ils sont tous livres
aux troubles causés par celte incertitude, et
exposés aux suites fâcheuses qui peuvent en
arriver. 11 faut donc alors entier dans des
vues capables d'adoucir son inquiétude et de
calmer son esprit sur ce qui l'agile, et pour
cela il faut :
1° Que celui qui aimant la vie ne peut se
résoudre à la perdre, parce qu'il la regarde
avec tous ses charmes, la considère un peu
dans ce qui en rebute les autres; qu'il se re-
présente les changements terribles qui y ar-
rivent tous les jours, et que ce qu'il ne peut
se résoudre à quitter aujourd'hui lui paraî-
tra peut-être demain insupportable; mais en
élevant ses vues plus haut, et envisageant la
vie du côté de la religion, qu'il se défie de
cet amour qui l'attache si fortement à la terre,
et qu'il le regarde comme une source malheu-
reuse de crimes, et il recevra le soin que
Dieu prend de l'en séparer comme une mar-
que de la miséricorde qu'il veut lui faire.
2° Il faut que celui qui est rebuté delà vie
par les disgrâces qu'il a souffertes, considé-
rant qu'il n'y a personne qui les évite abso-
lument, elles ne peuvent pas être de longue
durée, et qu'il en peut faire un saint usage :
c'est un grand avantage pour lui de pouvoir
réparer tous les désordres de sa vie passée,
et s'assurer tous les avantages de l'éternité,
en souffrant encore quelque temps avec pa-
tience ce qu'il a supporté durant plusieurs
années sans utilité.
3" 11 faut que celui qui craint la vie, parce
qu'il désire le ciel, examine s'il en est digne,
considère ce qu'il a fait pour le mériter, et
s'applique enfin à recouuaître si celte crainte
des dangers qu'on court ici-bas, qu'il croit
être juste, n'est point au contraire une hou-
leuse lâcheté et un défaut de confiance en la
grâce du Seigneur, qui nous soutient tou-
jours daus les épreuves où il nous met.
C'est par ces vues qu'un chrétien peut se
consoler dans les inquiétudes qui l'agitent,
mais voici ce qui doit le résoudre : il faut
qu'il considère que quoiqu'il se tourmente il
ne saurait après tout changer l'état des cho-
ses m s'aNsurer sur ce qui est incertain, et
que, comme les désirs qu'il a pour la vie ne
peuvent pas différer sa mort d'un moment,
ceux qu'il a pour la mort ne sont pas capa-
bles de finir sa vie. Dieu, qui a préordontié
avant tous les temps ce qui doit arriver à
chacun des hommes, lui a prescrit des bonus
qu'il ne peut passer. Le nombre de nus mois
et de nos années est entre vos mains, 6 mon
Dieu! Vous avez marqué ces bornes que nous
ne pouvons puiser. 11 doit donc se tenir sou-
mis aux ordres de son souverain, de peur
que, formant des désirs contre la dépendance
où il doit être, il ne perde une plus heureuse
immortalité que celle que perdit Adam par
une semblable désobéissance.
Il faut, comme dit le Prophète, qu'il de-
meure assujetti à Dieu et qu'il le prie, qu'il
se tienne en repos dans un regard continuel
vers Dieu, attendant avec humilité le coup
qui doit lui ôler la vie ou bien la lui donner.
linfin, ce qui doit achever de le ré-oadre,
c'est ce que nous dit saint Paul aux Homains,
que nul de nous ne vit ni ne meurt pour soi-
même; mais soit que nous vivions, nous vi-
vons au Seigneur; soit que nous mourions,
nous mourons pour lui. Ainsi, nous ne de-
vons chercher dans la maladie que l'accom-
plissement de sa volonté, comme nous som-
mes tenus de faire celte volonté dans tout le
reste de notre vie. Il faut vivre s'il le veut,
il faut mourir s'il l'a ordonné; et comme
nous ne connaissons pas quelle est sa vo-
lonté, il faut attendre en paix qu'il nous la
déclare et se préparer à tout.
Que uolre cœur prenne donc une force
nouvelle et soit ferme dans l'attente du Sei-
gneur. Comme serviteur, que l'homme ne
refuse ni le travail ni les misères d'une vie
pénible ; mais aussi comme un serv iteur sage
et judicieux, qu'il apprenne à faire de sa vie
un sacrifice qui lui soit utile.
Ainsi, chrétiens, voulez-vous vivre? je ne
condamne pas ce désir; car vous pouvez vi-
vre pour Dieu : mais comme vous pouvez
mourir, et que l'événement de la maladie est
incertain, préparez-vous à tout, et attendez
en repos ce qu'il plaira à Dieu d'eu ordon-
ner. Voulez-vous mourir? eh bien, je ne con-
damne pas ce désir, vous pouvez mourir pour
Dieu ; mais comme vous pouvez revenir en
santé, attendez paisiblement que Dieu s'ex-
plique, ainsi que l'a attendu l'illustre femme
de notre évangile; et s'il vous renvoie la
santé, apprenez d'elle de quelle manière il
en faut user pour ne pas tomber daus l'in-
gratitude : c'est le troisième point.
TROISIÈME PARTIE.
11 y a trois degrés dans la recouuaissance
qui la rendent parfaite et qui mettent le chre-
1 tien dans trois différentes obligations, lors-
\ qu'après être sorti du péril de la mort il se
voit en étal de jouir de la \ le par le rétablis-
4§3
SERMON POUR LE JEUDI DE LA TROISIEME SEMAiNE DE CAREME.
494
sèment de sa santé. II doit publier le bienfait
et découvrir le bienfaiteur; il doit reconnaî-
tre le bienfaiteur et payer le bienfait; il doit
sanctifier le bienfait en l'employant selon la
volonté du bienfaiteur. Ceci posé, il est aisé
de faire voir que la plupart des hommes qui
reçoivent la santé de Dieu après une maladie
sont des ingrats; car ou ils ôtent à Dieu la
gloire de son bienfait, et, sans songer qu'ils
le tiennent de lui, ils l'attribuent à tout au-
tre cbose; ou ils manquent à lui en rendre
leur reconnaissance, et ils songent à s'ac-
quitter de tout autre devoir; ou bien enfin ils
s'en servent contre ses intentions et ne l'em-
ploient qu'à l'offenser.
En effet, n'est-ce pas aux remèdes hu-
mains , aux bons régimes , à la force du
tempérament ou à l'habileté du médecin
qu'on attribue presque toujours uniquement
la rétablissement de la santé? On n'élève
guère ses vues plus haut, et, demeurant dans
un certain cercle de causes naturelles et
sensibles, on ne se porte point vers Dieu par
la foi, pour reconnaître que c'est lui qui,
après avoir donné la vertu aux causes na-
turelles, veut encore par une nouvelle fa-
veur que leur application, qui a si souvent été
inulilcà d'autres, ne le soit pas pour nous ; car
c'est lui qui est l'auteur des remèdes qui nous
guérissent, et c'est lui qui permet que leur
application nous soit utile.
Ainsi, mes frères, un bon chrétien a re-
cours aux remèdes dans ses maladies; mais
comme il sait que tous ces remèdes ne feront
rien sans la bénédiction de Dieu, il élève ses
yeux quand ou les lui applique, il les re-
garde comme les instruments de la justice
ou de la bonté de Dieu, et quand leur appli-
cation a eu quelque succès, il sait l'attri-
buer à celui qui en est l'auteur; c'est là le
premier degré de reconnaissance.
Le second est d'aller immédiatement à lui
pour le remercier en lui consacrant le pre-
mier usage de nos forces. Ainsi cette illustre
malade de notre évangile consacre-l-elle ses
Premières forces au service deson bienfaiteur,
os premières vues sont de remercier nos
amis, de rendre les visites que nous avons
reçues, et de marquer notre reconnaissance
à ceux qui ont pris quelque soin de nous;
mais pour ce qui est de consacrera Dieu nos
premières forces, ce n'est point du tout ce
qui nous occupe : on ne revient à son ser-
vice que difficilement, et ce n'est qu'après
s'éire dispensé longtemps de toutes les lois
de l'Eglise, qui ne s'accomplissent qu'en
souffrant quelques peines; et n'étant sages
que de la prudence de la chair, nous ne
songeons qu'à en ménager les intérêts au
préjudice de tout le reste.
Celte illustre femme de l'Evangile ne se
Halle point : elle sortait d'une maladie con-
sidérable qui la tourmentait depuis long-
temps; sitôt qu'elle est guérie, elle se lève et
elle agit pour Dieu. Je sais bien qu'elle est gué-
rie par miracle, et que la même vertu du Sau-
veur qui l'avait guérie la soutenait; aussi,
mes frères, je ne demaude rien d'indiscret ni
d'outré : si Dieu veut que nous ayons recours
aux remèdes pour être guéri, il approuve
aussi que nous gardions des mesures pour
nous rétablir dans la- santé; mais un peu
plus de foi et moins de délicatesse l'honore-
rait davantage, et comme il faut qu'il donne
sa bénédiction aux remèdes pour qu'ils nous
guérissent, montrons donc plus de confiance
en lui quand il s'agit de nous rétablir.
La foi donne une certaine hardiesse que
la fausse raison condamne, et quand on a un
grand désir de jouir de Dieu, on ne ménage
pas sa vie avec tant de soin. Comme si nous
n'avions pas une âme à sauver, à sanctifier,
nous ne songeons qu'à guérir et à fortifier
le corps ; et comme s'il n'y avait point d'autre
vie à posséder après celle-ci, nous ne pen-
sons qu'à la prolonger. Où est donc la foi et
celle sainte hardiesse qui doit nous porter à
aimer et à chérir tout ce qui peut ébranler
et faire tomber cette prison de boue où notre
âme est captive?
Ce qu'il y a de plus dangereux, et cepen-
dant de plus ordinaire, c'est que, n'ayant
presque pas songé à reconnaître Dieu pour
l'auteur de notre guérison et de notre réta-
blissement, nous ne pensons point à em-
ployer selon sa volonté les forces qu'il nous a
rendues. Souvent nous faisons des projets
contre celte sainte volonté durant le cours
de nos maladies, et, nous plaignant de ce
qu'elles durent trop, nous prenons des me-
sures pour regagner le temps perdu.
Ainsi un homme soit de son lit plus avare,
parce qu'il veut regagner sa dépense et ré-
parer ses perles; et il en est de même de
toutes les autres passions : de sorte qu'au
lieu d'avoir profilé de sa maladie selon les
desseins de Dieu, elle n'a souvent servi qu'à
donner au malade plus d'amour pour le
monde. 11 n'emploie les forces qui lui sont
rendues qu'à contenter cet amour déréglé, cl
à poursuivre avec une nouvelle impétuosité
ce que la nécessité l'avait obligé d'interrom-
pre; et par là il fait paraître une ingratitude
extrême, en continu. ni à pécher après sa
guérison , comme si Dieu ne l'avait pas
frappé pour l'instruire.
11 en est tous les jours que Dieu frappe
par les maladies, qui tombent dans un état
encore plus mauvais que celui où ils étaient.
Evitons ces malheurs, mes très - chers frè-
res , et profilons de l'exemple que nous
donne celte femme de l'Evangile, Supportons
avec patience les maladies que Dieu nous
envoie ; elles nous purifient comme pécheurs
cl elles nous couronnent comme justes.
Aban.lounons-en le succès à la divine provi-
dence qui les permet. Un chrélien doit être
indifférent pour la vie et pour la mort, et il
ne doit vouloir que ce que Dieu a résolu.
S'il nous relire à lui, c'esl pour nous cou-
ronner en couronnant ses dons; s'il nous
rend la santé, employons-la à le servir, nous
le devons par reconnaissance.
Seigneur , rendez-nous attentifs à votre
voix, et pendant que vous nous visitez par
les infirmités et par les maladies, donnez-
nous votre sainte grâce pour profiter de la
conduite de votre miséricorde cl Je voire
40
OHATLLHS SACHES. ItOM JEKOME.
i'JG
justice à noire égard. Ouvrez nos yeux, afin
que nous voyions toujours que c'esl vous q;,i
agissez en nous, el que nous profilions des
coups si favorables de votre miséricorde et
de votre justice. Donnez-nous cette indiffé-
rence chrétienne qui nous nielle, en étal de
vivre pour vous, sans craindre la mort qui
conduit à vous. Donnez-nous le bon usage
de la santé el de nos forces; appliquez-nous
au bien. Enfin, faites, ô mon Dieu ! que nous
vous honorions également dans la maladie
et dans la santé: c'esl, mes frères, ce que je
vous souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE SAMEDI DE LA - TROISIEME SEMAINE
DE CAREME.
De la mort dans le péché, parce qu'il y a peu
de chrétiens qui ne vivent dans le péché.
Vado al cum qui me misit; quxretis me, et non inve-
niclis.
Je m'en vais vers celui qui m'a envoyé ; vous me cherche-
rez, mais vous ne me trouverez point (Joan., VII, 53, 5i).
Ces paroles de l'Evangile me rappellent
naturellement une matière que nous com-
mençâmes il y a quelque temps et que nous
n'avons pas achevée : c'est, mes frères, celle
del'abandonnement du pécheurqui veut vivre
dans le péché.
Puis donc que l'Evangile nous remet dans
le même sujet, reprenons la même matière,
et achevons ce que nous n'avons pas uni
dans le premier discours. Or, mes frères,
nous remarquâmes qu'il y avaii deux vérités
terribles renfermées dans les paroles du
Sauveur du monde : 1° que celui qui veut
vivre dans son péché mérite que Dieu l'a-
bandonne; 2° que celui que Bieu abandonne
mourra infailliblement dans son péché. De
là nous devions tirer une conséquence, par
une application de ces vérités à l'état où se
trouvent la plupart des chrétiens, que comme
il y en a peu qui ne vivent dans le péché, il
n'y en a presque point qui ne meurent dans
le péché ; mais les vérités générales nous
occupèrent, el nous n'en fîmes point l'appli-
cation; j'entreprends de la faire aujourd'hui,
et de vous montrer dans ce discours qu'il y
a peu de chrétiens qui ne vivent pas volon-
tairement dans le péché; parla vous sen-
tirez la vérité terrible de celle conclusion :
Donc un très-grand nombre de chrétiens
meurent infailliblement dans le péché.
Faites, Seigneur! que nous exposions si
efficacement des vérités si importantes, que
nous obligions les chrétiens à se reconnaître
el à quitter les péchés dans lesquels ils vi-
vent, de peur d'y mourir misérablement.
C'est la grâce que je vous demaude eu m'a-
dressaut à Marie. Ave, Maria.
PARTIE UNIQUE.
Je vous déclare, mes frères, que par les
chrétiens qui vivent volontairement dans le
péché je n'entends pas les hérétiques qui
sont séparés de Jésus-Christ, et de qni 1 1 sé-
paration porte une condamnation infaillible,
suivant les paroles de saint Jean : Celui qui
ne croit point est déjà condamne. Je n'entends
point non plus ces chrétiens malheureux qui
rivent dam des crimes grossiers qui nous
ferment la porta du ciel, suivant ( e> parok i
de saint Paul : Ai les jorniealeurs, m
adultères, ni les impudiques, ni le» abomina-
bles, ni Os voleurs, ni les avares, ni les h
gnes, ni les médisants, ni les ravisseurs du
bien d'autrui, ne seront point héritiers du
royaume de iJieu. Non. mes Irères, je ne parle
poinl de ceux qui vivent dans le pécn
dans les habitudes invétérées de ces grands
crimes.
Je parle de ceux qui passent pour honnê-
tes gens dans le monde el qui même sont
chrétiens selon les apparence*, mais qni ne
le sont pas devant Dieu, puisqu'ils rirent
volontairement dans des péchés capables de
les perdre. Or il y a peu de gens qui ne soient
de ce noiiibre-là, et chacun doit se faire en
particulier l'application de ces vérités gé
raies que nous avons établies dans notre
premier discours, où nous vous avons dé-
montré que celui qui veut vivre dans sou
péché mérite que Dieu l'abandonne.
Entrons dans la preuve de noire proposi-
tion, et établissons-la sur des priucipes et
sur des fondements qui rendent é\ idente celle
vérité, qu'il y a très-peu de chrétiens qui ne
vivent pas volontairement dans le pèche.
Qu'est-ce en effet que de vivre dans le pé-
ché? c'esl vivre dans un violemenl manifesta
des lois que Dieu a établies pour la sanctifi-
cation du chrétien, regardé et enrisagé dans
tous les engagements où il se peut Irouvi r.
Si donc je vous fais voir qu'il \ a très-peu de
chrétiens qui ne se trouvent dans le viole-
liient manifeste des lois de Dieu, n'aurai— je
pas raison de dire qu'il y a très-peu de chré-
tiens qui ne vivent dans le péché? Or, mes
frères, le péché n'est qu'un violement de la
loi de Dieu ; c'est un égarement , c'esl une
sortie hors des voies qu'il nous a tracées
pour marcher dans la justice, cela est cer-
tain ; ei pour vous faire voir que la plupart
des chrétiens se Irouvent dans ce violement
et dans cet égarement . il fiul vous exposer
les engagements différents où le chrétien se
peut trouver, les lois que Dieu a établies
pour le sanctifier dans ces engagements, et
les voies différentes qu'il lui a tracées pour
arriver, sans rompre ces engagements , à
l'éternelle félicite.
Prenez bien ces principes, je vous en prie.
Le chrétien peut être considéré dans sa per-
sonne comme un homme particulier, c est-à-
dire, eu égard à son étal de chrétien unique-
ment, comme un homme attaché à son em-
ploi et engage dans une condition qui a ses
deroirs propres et ses obligations particuliè-
res, comme lie aux hommes par la soen
que son être et l'état de ses affaires l'obli-
gent d'avoir avec eux.
Or, mes frères, col homme particulier,
quoique chrétien, a un fonds de corruption
contre lequel il fautqu'il combatte coplinucl-
lement, s'il veut travailler à sa sain tu
lion. Les eiats qu'il peut embrasser, quoi-
que légitimes el saints par eux-mêmes par
l'inslilulton de Dieu, qui en est l'auteur, soûl
4«)7
SERMON POUR LE SAMEDI DE LA
tous remplis demauvaises maximes inventées
par la cupidité des hommes, et l'on se con-
duit ordinairement sur ces maximes perni-
cieuses sans s'informer des lois que Dieu a
établies dans chaque état pour !a sûreté et
la sanctification de ceux qui l'embrassent.
Combien, ô mon Dieul y en a-t-il dans le
monde qui sachent marcher dans la vigilance
continuelle dont Dieu nous a donné les rè-
gles, et qui gardent les précautions exactes
et nécessaires pour ne s'y pas perdre!
Si je vous fais donc voirencoroune fois que
le chrétien, regardé comme un homme par-
ticulier, se livre à sa propre corruption sans
la combattre, que dans les emplois qu'il
embrasse il suit les maximes pernicieuses
de sa cupidité sans les examiner, et qu'il
reçoit tous les vices de la société sans les
craindre, ne vous auiai-je pas démontré
suffisamment qu'il y aHrès-peu de chrétiens
qui ne se trouvent pas dans un violement
manifeste des lois de Dieu, dans un abandon-
nèrent évident des voies qu'il nous a tracées
pour aller à lui, et qu'ainsi il y a très-peu
de chrétiens dans le monde qui ne vivent
volontairement dans le péché?
Or, pour vous prouver ce que j'avance ici,
nies chers frères, examinons le chrétien par
rapport aux engagements que je viens de
proposer, et nous verrons que par les pé-
chés que j'appellerai de tempérament les
particuliers sont presque tous livrés à leur
propre corruption et au violement des lois
que Dieu a établies pour leur sanctification;
que par les péchés d'état le chrétien embrasse
presque toutes les pernicieuses maximes
qui régnent dans la condition qu'il choisit ,
et rejette par conséquent les lois qu'on y
doit suivre ; que par les péchés que j'appelle
de société il ajoute à sa corruption propre
celle d'autrui , et méprise tous les remèdes
que Dieu a prescrits pour s'en garantir.
Et. d'abord examinons les péchés de tem-
pérament : mais, pour vous faire voir évi-
demment l'étal de tous les hommes à cet
égard, convenons de quelques vérités tirées
de l'Ecriture et du fond de la religion. Il est
certain que, nonobstant la régénération du
chrétien par le baptême, il reste en lui un
fonds de corruption qui fait que s'il est en-
fant de Dieu d'une part, il est en quelque
chose enfant du siècle de l'autre. Il n'appar-
tient pas uniquement à Jésus-Christ, on trouve
en lui deux hommes, le nouveau qui y de-
meure par la foi et qui y fait le bien par la
grâce, et le vieil homme qui y habile par la
concupiscence, et qui y agit par celle volonté
charnelle : première vérité.
Létal d'homme chrétien le met dans l'obli-
gation de combattre sans relâche contre ce
fonds de corruption el celte volonté char-
nelle, afin de donner l'avantage à l'homme
nouveau, à la foi et à la grâce par laqocllc il
habile en lui : seconde vérité.
Quoi que fisse le chrétien, il ne surmon-
tera point cet ennemi entièrement en cette
vie, car il ne pourra jamais dire qu'il n'y a
plus rien de corrompu en lui. Celle parfaite
régénération n'est que pour l'autre vie; nous
TROISIEME SEMAINE DE CAREME. 408
ne serons.dans cet état heureux que lorsque
l'homme sera pleinement établi dans l'adop-
tion, et qu'il ne lui restera plus rien de sa
qualité de pécheur. Alors la mort sera absor-
bée par une entière victoire-, et par rapport
à notre état présent, l'Apôtre ne demande
rien aux plus justes, sinon que le péché ne
règne point dans leur corps mortel; mais il
n'exige pas qu'il n'y soit point et qu'il n'y
vive pas : troisième vérité.
Enfin le fonds de corruption se fait sentir
en chacun de nous par certaines inclinations
vicieuses que j'appelle des péchés do tempé-
rament. En l'un c'est la colère, en l'autre l'a-
varice; en celui-ci l'impureté, en cet autre
c'est la paresse: quatrième vérité. C'est ce que
saint Augustin nous l'ait entendre quand il
dit que le premier péché qui nous domine est
le dernier que nous quittons. Ce péehé de
tempérament est ordinairement la cause de
tous les autres péchés qui régnent dans
l'homme. C'est le mauvais qui excite toutes
les passions : il donne presque toujours le
mouvement à tous nos désirs corrompus, et
c'est par lui que le vieil homme vit, agit et
règne en nous.
Cela étant supposé, mes frères, il est aisé
de tirer cette conséquence, que c'est en com-
battant ces inclinations vicieuses et ce péché
de tempérament que le chrétien trouvera sa
sanctification ; c'est par là qu'il travaillera à
dépouiller le vieil homme et à se revêtir du
nouveau; c'est par là qu'il fera triompher la
foi et la grâce de la concupiscence et de la
volonté charnelle; c'est par là qu'il établira
le règne Jésus-Christ el qu'il détruira celui
d'Adam.
Vous voyez donc que ce travail est pour
lui une obligation essentielle ; aussi est-ce
pour le soutenir que Dieu lui recommande la
vigilance, le courage, la persévérance; c'esl
pour le soutenir qu'il lui accorde tous ces se-
cours: car la grâce chrétienne est une grâce
de combat ; notre principal ennemi est an
dedans de nous-mêmes, el cet ennemi c'est lo
péché de tempérament. Si donc, au lieu de
combattre ce péché, le chrétien s'y aban-
donne, qu'arrive-t-il? il renonce en quel-
que sorte au bénéfice de la régénération, il
se remet sous la domination d'Adam, il rend
la grâce de Jésus-Christ inutile, il se livre au
dérèglement de la concupiscence. Les bonnes
œuvres qu'il pense faire lui donnent à la vé-
rilé les apparences du nouvel homme, mais
elles ne servent proprement qu'à mettre le
vieil homme plus en sûreté en le cachant.
Un tel chrétien en a le nom, mais il ne l'est
point en esprit et en vérité : semblable à ces
hypocrites que le Sauveurdu monde compare
à des sépulcres blanchis, qui au dehors pa-
raissent beaux aux yeux des hommes, mais
qui au dedans sont pleins d'ossements de
morts et de toutes sortes de pourriture.
V'oilà l'état d'un nombre infini de chrétiens
dans toutes conditions; car combien y en
a-t-il qui soient seulement instruits des vé-
rités générales que je viens de proposer, qui
connaissent la condition de l'hommechrélien
qui sachent quelles sont ses obligations? Ce-
499
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
noo
pendant on ne peut être sauvé sans èlro
chrétien, cl on n'est point chrétien sans en
connaître les obligations et sans les remplir.
Parmi ceux mêmes qui en sont instruits,
combien en trouverons-nous qui étudient
leur tempérament en chrétien et qui s'appli-
quent à connaître leur inclination domi-
nante? Combien moins y en a-l-il qui, après
l'avoir connue, aient pris une ferme résolu-
tion de la combattre? On avoue assez volon-
tiers qu'on est paresseux, fier et colère ; mais
on ne se détermine point à combattre! sa
hauteur, sa paresse, ses emportements. Com-
bien y en a-t-il qui, ayant pris celte résolu-
tion, aient pensé aux mesures nécessaires
pour y réussir, qui suivent ces mesures, qui
veillent sur leur conduite et qui se fassent
violence pour former en eux l'image de Jé-
sus-Christ, pour le faire régner en eux et
pour se rendre dignes de régner avec lui?
Le ciel ne s'acquiert que par la violence
qu'on fait à ses inclinations.
Quelle application ferons-nous présente-
ment, mes trè=-chers frères, de ces princi-
pes? C'est que presque tout le monde suit son
penchant et s'abandonne à sa passion do-
minante ; elle règle presque tous nos mou-
vements ; on l'excuse, ou la défend, on fait
tout ce qu'il faut pour la nourrir. Ceux qui
nous approchent et que l'intérêt attache à
nous dissimulent en notre présence ce qu'ils
en souffrent. Nous vivons paresseux, médi-
sants, emportés, et le péché règne en nous
sans que nous pensions non-seulement à le
combattre, mais même sans trop faire atten-
tion qu'il y soit. Jugez-vous, mes frères, sur
ces principes. Hélas! où en êtes-vous? Vous
trouverez, pour peu que vous vous exami-
niez, que la paresse vous a toujours rendus
cl vous rend encore comme immobiles ; que
la colère vous atransportés et vous transporte
encore lous les jours à des excès souvent
indécents, et ainsi du reste. Cependant un
chrétien doit être doux, vigilant et rempli
de toutes verlus. (les péchés sont capitaux,
c'est-à-dire qu'ils sont la source d'une infi-
nité d'autres. Ne les pas combattre, c'est dé-
truire en nous la grâce de Jésus Christ, c'est
empêcher notre sanctification, c'est abandon-
ner la voie et rejeter les moyens que Dieu
vous a tracés pour y arriver. Ainsi ce n'est
point Jésus-Christ qui viten vous, c'est Adam ;
il ne reconnaît point son image, c'est celle
du vieil homme. Celui qui nous règle nous
domine, celui qui nous domine est notre
maître, c'est à lui que nous appartenons.
Mes chers frères, faites une sérieuse at-
tention sur les dangers de cet étal : étal dans
lequel vous êtes, dans lequel vous \ivez
même depuis longtemps; vous vivez- donc
dans le péché.
examinons maintenant les péchés d'état;
mais établissons quelques vérités nécessaires
pour distinguer le péché d'avec l'étal, afin
qu'on ne croie pas que nous confondions ce
qui csl de Dieu avec ce qui est de l'homme
et du démon.
Les différentes conditions qui forment
l'état civil sonl des ouvrages de Dieu, et il
les a réglées par sa providence de telle sorte
que, contribuant à la beauté et à l'utilité des
royaumes, elles peuvent rendre non-seule-
menl heureux mais saints ceux qui les em-
brassent, s'ils suivent les lois que Dieu y a
établies pour leur sanctification. C'est ce
que le Sage nous enseigne dans s< s Prover-
bes : Le riche et le pauvre, dit-il, se sont ren-
contrés; le Seigneur est le créateur de l'un
et de l'autre. Voilà une première vérité.
Ce que je dis ici s'entend des conditions
qui sont bonnes par elles-mêmes; car il yen
a qui sont manvaiseï en elles-mêmes, et qui
ne sont que de pures inventions du demou ;
il n'est pas question de celles-là, elles por-
tent leur condamnation avec elles : seconde
vérité.
Comme le démon traverse tous les desseios
de Dieu sur ses élus, il a pris soin de répan-
dre un certain poison dans les conditions les
plus légitimes, donl il est difficile de se ga-
rantir ; ci c'est là cette ivraie semée par l'en-
nemi dans le champ du Seigneur ; car celte
parabole s'entend aussi bien des mœurs que
de la doctrine : troisième vérité.
Enfin, ce levain pour ainsi dire répandu
dans loutes les conditions rend tous les em-
plois dangereux; toutes les conditions sont
par là devenues suspectes, et on ne doit ni
les embrasser sans conseil, ni les exercer
qu'avec précaution : quatrième vérité.
V aiies-y réflexion , mes frères : on entre
dans les emplois souvent par un certain ar-
rangement d'événements et de choses dont
on ne peut pas dire la raison : on trouve une
occasion de s'établir dans un emploi, on le
prend sans autre vue que celle d'un établis-
sement; d'autres foTs c'est par une espèce de
suite de la naissance : on se trouve fils d'un
homme tout établi, on suit sa fortune et on
entre dans ses affaires; quelquefois c'est un
choix de l'avarice : on prend un état où l'on
croit faire de plus grands gains; foit souvent
un effet de l'ambition : on cherche à s'élever
cl à effacer l'obscurité de sa naissance par
l'éclat de la fortune. Or, mes frères, lout ceci
étant supposé, voici comme l'on tombe dans
les péchés de l'étal qu'on embrasse, et com-
ment on y vit sans s'en apercevoir.
Les motifs de notre entrée dans un étal el
les inclinations que nous y api ortons en y
entrant règlent nos mou\cmenls et détermi-
nent presque toute notre conduite dans l'em-
ploi que nous embrassons : ainsi, si c'est l'a-
varice qui nous y a fait entrer, nous em-
brasserons loutes les maximes qui sont pro-
pres à la satisfaire; si c'est l'ambition, nous
suivrons toutes celles qui la peuvent con-
tenter; si c'est la paresse, nous donnerons
dans toutes celles qui l.i llattent, et nous ne
manquerons pas de trouver dans tous les
états, quelque saints qu'ils soient, de CM
maximes pernicieuses qui s'accommodent
arec lis péchés de notre tempérament.
Car voici la liaison qui se rencontra cuire
ces deux sortes de pèches, et comment, selon
saint Augustin, ces deux »orles de corrup-
tions s'entr'aidenl mutuellement pour nous
engager dans le péché cl pour nous y faire
SOi
SERMON POUR LE SAMEDI DE LA TROISIEME SEMAINE DE CAREME.
vivre. Si vous avez pris soin, dit ce saint, de
soumettre le degré de corruption qui est en
vous (que nous avons appelé le péché de
tempérament), le monde et toute sa corrup-
tion ne pourra rien sur vous. Que peut en ef-
fet, mes Irès-chers frères, faire snr vous la
vue de l'intérêt et du gain, si vous avez
dompté l'avarice? Si vous ne l'avez pas sou-
mise et qu'elle domine encore en vous, la
vue du gain vous emportera, et vous suivrez
les voies propres à vous satisfaire. Il en sera
ainsi de toutes les autres passions, qui vous
feront agir dans les fonctions de l'état que
vous aurez embrassé, et qui vous feront re-
cevoir comme sûres toutes les maximes de
cet état qui auront du rapport avec elles.
Vous ne serez pas sans lumières sur la
fausseté de ces maximes, peut-être même
que vous ne les embrasserez pas d'abord
sans scrupule. Vous en verrez d'autres qui
sont plus conformes aux obligations d'un
chrétien et plus sûres pour le salut ; mais
parce qu'elles combattent vos passions, qu'el-
les contraignent votre penchant naturel ,
qu'elles détruisent vos intérêts, qu'elles s'op-
posent à votre ambition, vous chercherez
d'abord des raisons pour les rendre suspec-
tes ; ensuite, si vous n'en trouvez pas pour
les rejeter entièrement, vous n'en manque-
rez pas peur croire qu'on n'est pas obligé
de les suivre dans toute leur étendue ; ainsi
vous ne les condamnerez pas à la vérité,
mais vous ne les suivrez pas non plus, et
vous vous chargerez devant Dieu du hasard
et des suites de celles 'que vous embrasserez,
qui vous jetteront nécessairement dans ce
que j'appelle les péchés d état, dans lesquels
vivent la plupart des hommes.
Nous voyons tous les jours des personnes
qui entrent dans l'Eglise par des voies ana-
Ihémalisées par toute l'antiquité, qui en ac-
cumulent les biens et qui en usent en sui-
vant des maximes foudroyées par les saints
Pères et opposées à leurs principes et à la
perfection essentielle à cet état. Combien de
personnes de cette profession qui vivent dans
le péché 1 Nous voyons dans les cloîtres des
assemblées de personnes qui, s'y étant reti-
rées par piété, et après avoir promis à Dieu
d'y vivre d'une certaine manière, s'appli-
quent toute leur vie à chercher des prétextes
pour ne point faire ce qu'ils ont promis.
Combien y en a-t-il dans ces saintes retrai-
tes qui vivent tranquillement dans le péché I
Combien voyons-nous de désordres dans le
mariage 1 Combien ce sacrement si saint est-
il déshonoré par les vues qui le font embras-
ser, par les dispositions qu'on y apporte et
par l'usage qu'on en fait 1 Quelle effroyable
multitude de |échcs attachés par la corrup-
tion des hommes à cet état, dans lesquels
on vit sans vouloir les apercevoir! Quel mé-
pris un père, une mère, un maître n'a-t-il
pas pour les devoirs que le chrislianisme at-
tache à son état! Dans les pères, négli-
gence louchant l'éducation de ses enfants;
dans les femmes, abandonnement des soins
intérieurs du domestique; dans les maîtres,
violements continuels de la charité, do la
justice, de la douceur. Oui, mes frère9, il va
peu de chrétiens qui ne vivent dans le péché.
Où trouve-t-on des juges tels que ceux dont
la peinture nous est faite dans l'Exode, des
hommes fermes et courageux qui craignent
Dieu, qui aiment la justice et la vérité et qui
soient ennemis de l'avarice? Ne sait-on pas
accommoder la fermeté et le courage à l'é-
gard des misérables, avec la flexibilité et la
complaisance pour les grands? La crainte de
Dieu ne cède-t-elle pas à celle des puissan-
ces ? La justice et la vérité résistent-elles à
la faveur, et ne trouve-t-on pas mille ma-
nières de les sacrifier à son intérêt?
Comparez donc la conduite que vous te-
nez dans votre condition avec celle que la
religion et l'équité exigent de vous ; infor-
mez-vous de la doctrine et des sentiments
des saints Pères sur vos obligations ; exami-
nez quelle a été la vie de ceux qui se sont
sanctifiés dans cette condition, et vous n'au-
rez pas de peine à reconnaître que la plu-
part des hommes vivent dans de9 péchés sur
lesquels iis ne font point de réflexion, et sur
lesquels, prenez-y garde, l'ignorance ne
vous excusera nullement ; car un homme
est obligé de s'instruire de tous les devoirs de
son état.
Un chrétien est obligé de savoir que Jésus-
Christ a dit qu'il est la lumière du monde, et
que celui qui ne le suit pas marche néces-
sairement dans les ténèbres. Or celui qui
suit Jésus-Christ vit comme Jésus-Christ a
vécu, règle ses paroles, ses actions et sa vie,
sur sa loi et sur ses exemples. Qui ne suit
pas ces règles marche dans les ténèbres, et
ces ténèbres le conduisent à la mort. Le
chrétien est donc obligé d'examiner si les
maximes qu'il suit sont conformes à sa loi et
aux exemples de sa vie. Voilà des points es-
sentiels dans chaque état, et qu'on ne peut
négliger sons se perdre. Mon Dieul que le
nombre est grand de ceux qui vivent dans le
péché 1
Que dirons-nous maintenant des péchés
de société, c'est-à-dire de ceux dans lesquels
on tombe par la fréquentation des hommes
et dans le commerce du monde? Ils sont infi-
nis, et d'autant plus dangereux qu'à peine
les rcmarque-t-on. Pour en bien connaître
toute la grandeur, il faut les regarder dans
deux vues différentes : comme détruisant les
desseins que Dieu a eus en liant les hommes
par la société, et comme fournissant à en-
tretenir les péchés de tempérament et d'état.
Lu effet, les desseins que Dieu a eus en
liant les hommes par la société ont été, dans
l'œuvre du salut, qu'ils fussent à ceux avec
qui ils vivent la bonne odeur de Jésus-Christ,
comme parle saint Paul ; qu'ils s'excitassent
mutuellement cl qu'ils se portassent à l'ai-
mer ; car voici le fruit du commerce et de la
société des chrétiens, selon saint Augustin :
nous devons conduire à Dieu, qui est notre
souverain, ceux que nous aimons, et y être
conduits par ceux qui nous aiment. Sans
cela, quand il n'y a que de l'humain, toute
amitié et toute société est dangereuse.
Sur ces principes, mes chers frères, qu'est.
■ -.
OliXTKUns SACRES. I»UM JF.HOMI..
MM
ce que la société des hommes ? un commerce
de corruption dans lequel on se fournil mu-
tuellement de quoi se détourner de Dieu.
L'assemblée des hommes est comme un mon-
ceau de cadavres que l'on voit après une ba-
taille et d'où s'élèvent la puanteur et l'infec-
tion. Les hommes se patent les uns les
autres ; et, semblables à ces nuées noires qui
roulent dans l'air et qui ne se rassemblent
que pour causer de grands orages et de gran-
des inondations, nous ne nous assemblons
que pour grossir l'orage du péché, pour ré-
pandre partout un déluge de corruption, et
pour combattre non-seulement tous les des-
seins généraux que Dieu peut avoir eus en
établissant une société parmi les hommes,
mais aussi cens qu'il a eus pour la sanctifi-
cation des particuliers qui la composent, et
pour la sainteté des conditions où il les a
placés.
Car, mes frères, les péchés de société en-
tretiennent ceux de tempérament et d'état.
On peut dire môme, et c'est ce qu'il y a de
plus étrange, que ce qu'on regarde comme
des vertus dans la société produit ordinaire-
ment ce pernicieux effet. Ne regarde-t-on
pas comme des vertus de la société cet es-
prit de douceur qui trouve tout bien, ces ma-
nières complaisantes et toujours agréables,
ces airs honnêtes et un peu flatteurs, cette
loi que l'on s'est faite de ne jamais contre-
dire et d'approuver tout ce qui se passe sous
nos yeux? N'est-ce pas ainsi qu'on loue tou-
jours dans les autres les péchés de tempé-
rament: dans l'un l'amour de la'fausse gloire,
dans l'autre l'ambition, dans celui-ci l'ava-
rice, dans celui-là la prodigalité, et tout le
reste? N'est-ce pas par ces vertus de société
diaboliques aux yeux de Dieu, par ces louan-
ges pernicieuses que l'on cache à ceux avec
qui nous sommes en société ces vices qui
les déshonorent, et qu'on leur en ôtc toute
l'horreur? N'est-ce pas par là, mes frères,
qu'on applaudit à toutes les mauvaises maxi-
mes du siècle qui nous jettent dans les pé-
chés d'état, comme nous avons dit? On va
féliciter un homme qui est entré dans un bé-
néfice par des voies qui le rendent abomi-
nable devant Dieu; vos approbations lui fer-
ment les yeux sur l'indignité de son entrée,
et l'autorisent dans toutes les fausses maxi-
mes du monde qu'on approuve, et par là on
entretient les péchés d'étal et on prend part
à l'iniquité de ceux que l'on applaudit.
Ne vous y trompez pas, mes frères, saint
Paul nous dit que non-seulement ceux qui
commettent le péché sont dignes de mort, mais
aussi ceux qui approuvent ceux qui 1rs font;
car c'est se charger des péchés des autres
que d'y consentir, que de les approuver, que
de ne les pas empêcher quand on le peut, et
surtout lorsqu'on est revêtu du caractère
qui nous y oblige. La passion, l'intérêt, la
faiblesse, peuvent quelquefois entraîner
comme malgré soi dans le péché celui qui le
commet; mais dans celui qui applaudit, ces
motifs ne pouvant s'y trouver au moins que
faiblement, il faut qu'il y ait on amour du
péché bien criminel, ou une négligence bien
déplorable de son salut, pour s'exposer à
prendre pari au péché des autres en l'ap-
prouvant.
Mon Dieu! que les péchés de société -ont
en grand nombre et peu connu ! Car ne pes-
iez pas en être quille pour me dire: Il fau-
dra donc, selon vous, que je sois le c.n-eur
de tout le genre humain? Non, mai frères,
mais ne soyez pas l'a pprobaleur des désor-
dres des hommes, si \ous ne voulez pas en
êlre le complice. Si Dieu a puni quelquefois
la lâcheté de ceux qui n'ont pas repris avci
assez de forée ceux à qui ils devaient ce se-
cours, que fera-t-il donc à l'égard de ceux
qui ont applaudi aux désordres de leur- ir. -
res, et qui les ont entretenus dans les dé-
sordres par leurs complaisances et par leurs
flatteries?
Mais prenez garde, mes frères, que ce
n'est encore là qu'une espèce de ces péchés
que j'appelle de société, dont le nombre cal
infini et dans lesquels on tombe d une infi-
nité de manières. Je ne puis pas vous repré-
senter les railleries, les médisances, les faux
jugements, les injustices, les dérèglements
dans lesquels on s'engage pour complaire à
ceux avec qui on est obligé de vivre: je ne
puis vous représenter qu'en peu de mots
comment, sans mêmequele mauvais exemple
nous fasse tomber dans des désordres sem-
blables, et sans que nous y ayons part en
leur applaudissant, comment, dis-je, la seule
vue de ces désordres ne laisse pas qu le
nous être pernicieuse et de nous jeter dam
un état très-dangereux pour le silut.
C'est, mes frères, en nous persuadant que
nous sommes verlueux parce que nous ne
tombons pas dans les grands crimes que
nous voyons commettre à ceux avec qui
nous vivons; c'est en affaiblissant en nous
ces idées de la sainteté et de la vigilance
qu'exige la religion; c'est en faisant moins
d'état de nos fautes, parce qu'elles parais-
sent beaucoup moindres que les péchés que
l'on voit commettre dans le train ordinaire
du monde, ce qui fait que, nous tenant eu
assurance, nous ne songeons point à en gé-
mir et à en faire pénitence, et que nous ri-
vons dans le pèche tranquillement et sans
réllexion ; c'est enfin en nous contentant de
ne point commettre de péchés grossiers,
sans songer à entrer dans la pratique des
vertus et à faire les bonnes œuvres que Dieu
demande de nous dans notre état: ne consi-
dérant point que la justice chrétienne ne
consiste pas seulement à éviter le mal, mais
à faire le bien, et qu'il n'y a rien de plus
dangereux que l'état de celui qui dit: Je suis
rube, je suis comblé de biens et je n'ai be-
soin de rien.
Un des plus déplorables effets que la vue
de ces désordres produise en nous consiste
dans l'assurance que nous donne la compa-
raison de notre conduite avec celle des per-
sonnes vicieuses avec qui nous conversons.
Car, mes Ire res, la grande misère de l'homme
ne c insiste pas à cire pauvre et dépouillé, à
être par lui-même sujet au mensonge el au
pèche, c'est sou état; mais elle consiste à ne
5<iri
SERMON POUR LE QUATRIEME DIMANCHE DE CAREME.
ïiOG
pas connaître cette pauvreté, à se fermer les
, trésors de la miséricorde de Dieu par son or-
• gueil, et à se croire en assurance lorsqu'il
esl près de périr.
Voilà une espèce de péché d'omission des
plus dangereux entre ceux, que nous avons
appelés de société, parce que, n'ayant au-
cune crainte qui nous épouvante et qui nous
réveille, nous jouissons dans le monde d'une
réputation de probité et d'une estime qui
nous endorment et qui nous perdent. Or,
mes frères, qu'il y a de gens qui vivent dans
le péché sans y faire de réflexion 1 Que cotte
parole de saint Jean est véritable, que tout
le monde es! sous f empire du malin esprit!
Ce n'est point une hyperbole, c'est une vé-
rité qu'on découvrira facilement si on consi-
dère combien les péchés de tempérament, les
péchés d'état et les péchés de société se mul-
tiplient; si on considère que la plupart des
chrétiens regardés comme particuliers n'ap-
partiennent point à Jésus-Christ, mais à
Adam; qu'ils n'agissent point par les mou-
vements de l'homme nouveau, mais qu'ils
suivent presque en tout les inclinations du
vieil homme ; que dans les emplois que nous
embrassons, que d'ans les conditions où nous
sommes engagés, nous ne nous conduisons
point par les maximes de Jésus-Christ, mais
par celles du monde, nous no nous attachons
point aux règles qu'il nous a prescrites, mais
aux faux principes introduis dans notre
état par la cupidité; enfin que la société est
pour nous une source de corruption déplo-
rable qui nous jette dans une multitude de
péchés que nous avons de la peine à con-
naître, quand même nous nous y appliquons
attentivement.
Voilà, mes frères, ce que j'ai essayé de
vous découvrir dans ce discours ; tirez vous-
mêmes la conséquence: Donc un grand nom-
bre de chrétiens meurent infailliblement
dans le péché. Cependant soyez assurés que
nous n'avons rien dit qui approche de l'idée
qu'on doit avoir du règne du péché dans les
particuliers, dans les conditions, dans les so-
ciétés.
Humilions-nous donc, mes frères, appre-
nons à nous connaître, gémissons de notre
misère, craignons de mourir dans le péché,
car c'est la juste punition d'y avoir vécu;
recourons donc à celui qui seul peut donner
l'esprit de pénitence, pour nous faire sortir
des pièges du démon et nous faire marcher
dans les voies de la justice: c'est ce que je
vous souhaite. Ainsi soi t— il.
SERMON
POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME.
Sur l'aumône.
Accepit Jésus panes, et cum gratias cgisseï, distribnit
discutnbenlibus.
Jésus prit les pains, et après avoir rendu grâce» à Pieu,
il les distribua à ceux qui étaient assis (Joan., VI, tl).
L'action que fait le Sauveur du monde
dans cet évangile est un exemple admira-
ble pour vous, mes chers frères. Il se trouve
environné d'une multitude de peuple exposé
aux dernières extrémités par le défaut de
tout secours; il fait un miracle en leur fa-
veur, en prenant des pains qu'il muliplie, et
par là il fournit abondamment aux nécessi-
tés de ce peuple.
Mes frères, les pauvres nous environnent
de toutes parts, leur nombre se multiplie et
leur nécessité augmente tous les jours ; la
seule connaissance de leur besoin suffirait
pour nous porter à les soulager si nous
avions la foi de nos premiers pères. Vous
pouvez voir dans les Actes des apôtres com-
ment Ie9 premiers chrétiens secouraient leurs
frères qui étaient dans la misère.
Celte charité prévoyante, si digne des fi-
dèles qui avaient pris le nom de chrétiens,
est la condamnation de notre insensibilité.
Nous la voyons, cette misère, et nous n'en
sommes pas touchés ; l'amour de nous-mê-
mes et de nos commodités nous resserre sur
les besoins du prochain.
Mais puisque notre foi est si faible, tra-
vaillons à la fortifier en dissipant ce qui l'af-
faiblit , et pour nous mettre en état de pro-
fiter de la leçon que Jésus-Christ nous donne
dans l'Evangile , et de l'exemple des pre-
miers chrétiens.
Examinons les raisons ordinaires qu'on
allègue pour se dispenser de faire l'aumône,
et nous vous ferons voir qu'elles sont vai-
nes : première partie. Nous vous fourni-
rons des fonds pour satisfaire à c«tte obli-
gation , sans qu'il en coûte à la bienséance
chrétienne de votre état ; il en coûtera seu-
lement à vos passions qu'il faut combattre :
seconde partie.
Demandons à Dieu qu'il nous ouvre les
yeux, mais surtout qu'il louche nos cœurs,
car la volonté fait bien plus de résistance
contre la vérité que l'esprit. Changez-la, Sei-
gneur, cette volonté si rebelle au bien, vous
seul pouvez le faire par l'opération de votre
esprit -. nous vous demandons son assistance
par Marie. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Qu'il y a de chrétiens qui succombent à
l'épreuve où le Sauveur du monde voulut
mettre la foi et la confiance de son disciple,
lorsque, ayant jeté les yeux sur celte multi-
tude qui l'avait suivi dans le désert, il lui
dit : Où pourrions-nous acheter assez de pain
pour donner à manger à tout ce monde I
11 voulait, mes frères, élever la foi de ce
disciple , pour lui ôler les idées trop basses
et trop humaines de sa toute-puissance, en
lui faisant sentir la grandeur du besoin, et
par la soustraction des moyens humains,
lui donner et plus de foi et plus de confiance
en sa vertu. Or, mes frères, le monde est
rempli de chrétiens qui, perdant les vues de
la foi, ne s'occupent que de leur besoin et des
misères présentes, et, sans considérer la
bonté, la sagesse et la puissance de celui qui
a fait les lois, ils se croient dispensés de les
accomplir par de fausses raisons et sous le
faux prétexte d'une impuissance qu'ils allè-
guent.
C «si surtout dans l'accomplissement du
précepte de fairo l'aumône qu'on se rassure
.'.07
ORATEURS SACRES. I)OM JEROME.
r,o&
sur des raisons solides pour s'en dispenser,
el qu'on produit avec plus de confiance 1rs
impuissance* prétendues qui ne sont que do
vains prélcxles fournis par la cupidité.
Les temps sont fâcheux, ma famille est
grande, ma fortune est petite: voilà ce qu'on
allègue ordinairement.
Les temps sont fâcheux, dit-on, on n'est
point en état de faire l'aumône, c'est tout ce
qu'on peut faire que de vivre ; on ne reçoit
rien, les terres demeurent sans culture faute
de fermiers ; les maisons ne se louent point,
le revenu des charges diminue: le moyen
donc de faire l'aumône el d'assister cette
grande multitude de pauvres dont vous nous
parlez 1
Il y a bien des réponses à faire à celte
première raison. Que les temps d'aujour-
d'hui soient plu-; mauvais que ceux d'autre-
fois, je n'en conviens pas. et je vous ferai
voir dans un moment qu'il n'y paraît point.
D'ailleurs, comme dit saint Augustin, c'est
nous-mêmes qui rendons les temps mauvais
par les désirs déréglés de notre cupidité, qui
nous porte à souhaiter ce que nous n'avons
point, et à rejeter sur les temps ce qui man-
que à notre avarice ou à notre ambition.
Mais allons plus loin : par où pouvez-
vous nous faire voir que les temps sont
mauvais? Sera-ce par le retranchement du
luxe ? Voyons en quel état sont vos maisons.
Pour les meubles, on y voit les richesses de
toutes parts, l'argent est employé dans les
ustensiles les plus vils. Sera-ce dans vos
équipages? Les carrosses sont magnifiques,
les livrées sont pompeuses. Sera-ce par vos
tables ? Elles sont servies avec délicatesse el
avec superfiuité; les festins et les repas se
font toujours. Sera-ce par le retranchement
de vos plaisirs? Les spectacles ne désem-
plissent pas, le jeu roule toujours. Par où
donc nous ferez-vous voir que les temps
sont mauvais? Vous direz sans doute: Cet
homme ne sait point le monde ; car il s'en
faut bien que les choses aillent comme au-
trefois. On s'endette pour se soutenir, et on
se coule à fond pour sauver les dehors et
pour garder les apparences. Quelle plus
grande folie que celte conduite, mes chers
frères 1 Mais d'ailleurs n'est-ce pas une chose
horrible et qui crie vengeance devant Dieu,
que vous enveloppiez dans votre ruine des
familles que vous engagez dans votre dé-
pense, et que vous rendiez des innocents,
qui agissent de bonne foi, les victimes de vo-
tre ambition el de votre vanité ? Quoi donc I
pour garder les bienséances du monde, vous
violerez les lois du Seigneur? Mais suppo-
sons que les temps soient mauvais, qui est-
ce qui porte la dureté des temps avec plus
d'incommodité que les pauvres? Si les temps
sont mauvais pour vous qui avez du bien,
iis sont donc insupportables pour ceux qui
n'en onl point ? Si vous vous plaignez parce
que vous n'avez pas du superflu, il faut donc
que les pauvres périssent pour n'avoir pas
le nécessaire? Or, mes frères, quelle est l'o-
bligation de celui qui a du bien, sur L'arti-
cle de l'aumône, quand la nécessité est ex-
trême? Il faut donner non-seulement son su-
perllu, ce qui est d'obligation en tout temps,
mais dans ces occasions il faut aller jus-
qu'au nécessaire, non pas à la vérité jusqu'à
celui sans lequel vous ne pourriez subsister
ni vous ni votre famille, mais jusqu'à celui
duquel vous pouvez vous passer sans que
vous et votre famille en souffriez un dom-
mage considérable, enfin, pour le dire eu
un mol, de ce nécessaire qui n'est tel que
pour la bienséance de la vie. Mon Dieu, si
on voulait se faire justice à soi-même, et la
faire aux pauvres et à Jésus-Christ, qu'on
trouverait de superflu dans le nécessaire 1
qu'on trouverait à retrancher dans les cho-
ses qui passent pour nécessaires de néces-
sité de bienséance, et qui ne sont que des
effets de la vanité, du luxe et de la sensua-
lité! Avouez-le, mes chers frères, quelque
mauvais que soient les temps, quand il faut
faire une dépense pour satisfaire le luxe et
la vanité, y en a-t-il beaucoup entre vous
qui se contentent de cette raison? Vous fai-
tes des efforts, n'en faut-il donc point faire
pour votre salut? Chrétiens, où eit votre
foi? Cette première raison n'est donc pas so-
lide, la seconde ne vaut pas mieux.
Ma famille est grande et elle se multiplie tous
les jours. Il est vrai que vous en devez pren-
dre soin et pourvoir à ses besoins , c'est un
devoir de votre état ; mais croyez-vous pou-
voir y réussir uniquement par vos soins?
Le principal soin ne doit pas être fondé sur
votre industrie; car qui êtes-vous et où sont
vos forces? L'inquiétude de l'avenir nous
trouble beaucoup et ne sert à rien, sans la
confiance au Seigneur et sa bénédiction. Or,
par où l'allirerez-vous plus sûrement que
par l'aumône? La faire pour l'obtenir, n'est-
ce pas la source de la miséricorde? Gens de
qualité, qui multipliez le nombre de vos do-
mestiques, vous me faites compassion par
les comptes effroyables qu'il faudra que vous
rendiez au Seigneur : vous ne sauriez pen-
ser combien il se commet d'iniquités parmi
vos enfants , parmi vos domestiques , parmi
ceux qui composent les familles dont vous
êtes les chefs.
Saint Augustin donne un excellent conseil
aux pères chrétiens pour attirer la bénédic-
tion de Dieu sur leur famille. Failcs-y entrer,
dit-il , Jésus-Christ en la personne du pauvre:
car vous savez bien que ce qu'on leur fait, il
le tientfail à lui-même. Mettez donc un pauvre
dans le nombre de vos enfanta et dans celui
de vos domestiques; si vous avez deux en-
fants, comptez-en trois, et que le pauvre soit
le troisième. Faites pour le pauvre la même
dépense que vous feriez pour un enfant, cela
n'est pas difficile ; car si Dieu vous donne
trois enfants au lieu de deux, il faudra le
faire nécessairement , et s'il multiplie ros
enfants jusqu'au nombre de dix, il faudra
que vous le lassiez de même, et que la mul-
titude de vos enfants nulle des bornes à votre
ambition. Or, faites pour Dieu un peu moins
que ce que la nécessité vous contraindrait
de faire par force, et par là vous attirerez la
bencdicliou de Dieu sur vos enfants. Ce u'est
SERMON POUR LE QUATRIEME DIMANCHE DE CAREME.
809
donc pas une bonne raison, pour vous dis-
penser de l'aumône, que de dire : Ma famille
est grande ; car ce n'est pas parce que vous
êtes de bons pères , mais de très-mauvais
chrétiens , que vous refusez de faire l'au-
mône sous prétexte d'amasser du bien à vos
enfants ; c'est votre cupidité qui vous fait
garder votre bien. Ce Gis est sans emploi,
cette fille sans établissement... Mes frères ,
si vous pouviez l'emporter, ils ne l'auraient
jamais. Suivez donc le conseil de saint Au-
gustin et de saint Chrysostome. Mettez Jé-
sus-Christ dans la personne du pauvre au
nombre de vos enfants; mettez-le dans vo-
tre maison , faites-le entrer dans toutes vos
dépenses, prenez pour lui sur tout. Je ne pré-
tends pas cependant réduire uniquement là
vos aumônes, mais cela en peut faire partie ;
car la dîme de votre bien , c'est le moins
que vous puissiez donner. Mettez à part tous
les jours et destinez au pauvre quelque
chose de réglé, de fixe, ou de vos revenus
ordinaires, ou de ce que vous gagnez.
Mais, dites-vous, la fortune est petite : eh
bien, on vous demande peu. Jésus-Christ
regardait un jour les riches qui mettaient de
grosses sommes dans le temple : une pauvre
veuve vint y jetcr.tleux petites pièces, et vous
savez coque Jésus-Christ dit. Mes frères,
Dieu juge de la grandeur du présent par le
cœur et non pas par le présent même; un
verre d'eau froide n'est pas auprès de lui sans
récompense.
Il paraît par toutes ces raisons que nul
chrétien n'est dispensé de faire l'aumône se-
lon ses facultés ; ajoutons que l'apôtre saint
Paul nous dit qu'il faut que le chrétien s'oc-
cupe en travaillant des mains pour gagner la
vie du prochain. Y a-t-il quelque chose qui
puisse nous presser davantage que cette pa-
role, et nous convaincre que personne n'est
dispensé de faire l'aumône ? Quel effort de la
charité , gagner la vie du prochain par le
travail de ses mains 1 Que deviendront donc
«eux qui , dans l'abondance des biens , sont
durs à l'égard des misérables , et qui , me-
nant une vie oisive et voluptueuse, croient
que le reste des hommes n'est fait que pour
eux ! Ah! mes frères, plus on ouvre les yeux
de la foi , plus on découvre les erreurs de ce
inonde et l'étrange opposition des maximes
des hommes aux règles de l'Evangile et aux
maximes de Jésus-Christ.
Ces raisons qu'on allègue pour se dispen-
ser de faire l'aumône sont donc vaines el fri-
voles : fournissons des moyens réglés el ef-
fectifs pour la faire : c'est mon second point.
SECONDE PARTIE.
Je prétends, mes frères, qu'il n'en coûtera
qu'à vos passions pour Irouver les fonds que
je vais vous proposer pour faire l'aumône ,
sans donner atteinte ni au fonds de l'état, ni
même à la bienséance chrétienne de l'état :
je vous demande que vous donnii z pour le
pauvre ce que vous employez mal à propos
p<>ur le péché , pour le faste, peur le plaisir.
S'il est vrai que, pour satisfaire à tout cela ,
Vous fassiez de grandes dépenses, il est Ircs-
510
certain que voilà des tonds trouvés pour l'au-
mône , sans qu'il n'en coûte qu'à vos pas-
sions.
Or, pour prouver la solidité de ce que j'a-
vance, ou vous êtes actuellement dans le pé-
ché , ou vous en êtes sortis : si vous y êtes ,
vous faites des dépenses , on ne pèche point
qu'il n'en coûte; vous n'arrêtez vos passions
que par des chaînes d'or : cessez de pécher
et donnez à la charité ce que vous donnez à
vos passions , voilà un fonds tout trouvé.
Vous êtes entre deux feux, celui de votre
passion, celui de la colère de Dieu; il faut
éteindre l'un et l'autre.
L'eau doit être proportionnée à l'incendie :
le feu de la passion est violent , jelez-y donc
beaucoup d'eau ; voici la règle de saint Paul :
il exige qu'on fasse pour Dieu autant qu'on
a fait pour le péché , il n'y a rien de plus
raisonnable. De plus, vous n'avez point con-
sidéré les intérêts de votre famille quand il
a fallu contenter vos passions ; oubliez-les
un peu pour Dieu. Ne soyez pas sage mal à
propos. Si vous êtes sortis du péché, consi-
dérez le feu de la justice de Dieu que vous
avez allumé. Rachetez vos péchés par Vau-
mâne. C'est un achat , ce que vous donnez
doit avoir delà proportion avec ce que vous
voulez acquérir, réconciliation , grâce , mi-
séricorde. La foi ne vous montrait que, l'en-
fer pour prix de votre péché, et elle vous
montre la gloire pour le fruit de votre au-
mône. Examinez donc devant Dieu jusqu'où
allait la dépense du péché, et faites-y mon-
ter votre aumône ; faites servir à la charité
ce que vous donniez à l'iniquité, sans craindre
de vous ruiner.
Second fonds pour faire l'aumône, retran-
chez la vanité. Si l'on voulait se rendre jus-
tice , on trouverait de quoi faire l'aumône
sans donner atteinte à la bienséance de l'é-
tat, pourvu qu'on voulût régler cette bien-
séance sur des principes certains. Combien
de choses superflues ! l'or et l'argent em-
ployés aux usages les plus vils; excès de
luxe dans le train, dans les équipages , dans
la table : mon Dieu 1 pourquoi tant de pro-
fusion? Il faut si peu pour nourrir un hommel
il y a tant de personnes de condition dans
les communautés et dans les cloîtres qui se
contentent de si peu de chose 1 Si vous vou-
liez donc vous faire justice et prendre soin de
votre, âme , vous trouveriez de quoi donner
l'aumône amplement sans donner atteinte à
la bienséance de votre condition. On ne vous
dit pas : N'ayez point d'habits qui vous dis-
tinguent , ôlcz tous vos meubles, marchez à
pied ; ce serait outrer les choses , surfaire le
salut, et s'exposer par un zèle indiscret à tout
perdre pour demander trop ; mais on vous
dit : Retranchez la vanité et le luxe de toutes
ces choses, contentez-vous du nécessaire, et
donnez au pauvre ce que vous avez donné
jusqu'ici à la vanité.
Une femme a un diamant à la main dont
elle repousse le pauvre et dont elle pourrait
le nourrir.... La magnificence dans les ha-
bits, qui ne sont faits que pour servir do
couverture à noire nudité, et qui sont la inar-
.11
ORATEURS SACRES. W)M JEROME.
que de notre honte, remedie-t-ollc à l'intem-
périe des saisons? Que sais-je ? que de ta-
bleaux superflus dam vos maisons ! que do
délices dans vos tables ! combien de gens qui
se passent de tout cela et qui se portent aussi
bien que vous I Mes frères, observez les
bienséances , mais à quoi servent ces meu-
bles somptueux que l'on garde avec tant de
précaution ? n'est-ce pas une folie inconce-
vable que d'aimer mieux nourrir les vers et
la poussière, que Jésus-Cbrist dans ses mem-
bres? N'est-ce pas une prévoyance insensée
qui n'aboutit qu'à laisser périr inuiilemcnt
ce qui sauverait la vie à tant de ebréliens
qui périssent de faim et de froid? C'est un
fonds mort; elles gémissent, ces créatures
qui servent à votre vanité ; elles valent quel-
que chose, et leur prix servirait à nourrir ce
pauvre. Ne les tenez donc plus captives sous
voire vanité ; quand vous ne feriez que
mettre en fonds le prix des superfluités, vous
trouveriez des sommes considérables dont le
fonds vous resterail, et dont le revenu ser-
virait à nourrir bien des pauvres ; vous ne
vous endetteriez point , vous n'abîmeriez pas
vos familles, et vous feriez votre salut.
Le luxe des ecclésiastiques dans la table et
en vaisselle d'argent doit être retranché ,
aussi bien que celui des moines en bâti-
ments , en églises , en ornements ; le senti-
ment de saint Bernard sur cela est terrible.
Le troisième fonds abondant que je vous
propose est à prendre sur tout ce qui nour-
rit la volupté ; on peut l'employer sans qu'il
n'en coûte qu'aux passions. On doit la re-
trancher cette volupté , ou renoncer à l'es-
prit du christianisme , qui est un esprit de
mortification , de retranchement , de mort à
tout plaisir et à toute superfluilé ; c'est l'ap-
plication que doit avoir continuellement un
chrétien. Examinons de bonne foi jusqu'où
vont les dépenses en promenades, en repas ,
en délicatesse ; sans parler des spectacles ,
qui sont proscrits pour les chrétiens . et des
suites des spectacles, je parle des choses que
la sensualité fait rechercher cl qu'un chré-
tien ne peut prendre «lès que le pauvre en
souffre , de ce que l'on donne à ses sens et
que l'on refuse à son extrême misère.
Prenez garde que je ne dis pas absolument
que ce soit un péché de vous donner ce qui
en soi n'est pas mauvais , car il ne faut rien
outrer ; mais je dis que c'est un péché si ,
pour vous donner ce qui peut vous être sou-
vent permis, vous manquez à assister le
pauvre comme vous le devez. Vous trouve-
rez donc dans ces fonds de quoi faire l'au-
mône.
Examinez devant Dieu , et très-sérieuse-
ment , ce que vous pouvez retrancher à la
vanité, à la volupté; et dès aujourd'hui
commencez à en faire un fonîls pour les
pauvres. Mais entre les mains de qui met-
trez-vous celte aumône? Il serait difficile de
donner des règles à chacun en particulier :
ceux qui ont des biens de l'Eglise doivent
répandre leurs aumônes sur les pauvres des
lieux où sont leurs biens ; ceux qoi ont des
parents pauvres, ceux qui connaissent des
pauvres honteux et que Dieu leur adr
immédiatement , doivent la leur faire. Il • g
faut pas oublier dans cette distribution les
hôpitaux ni les religieux mendiants qui tra-
vaillent pour l'Eglise selon l'ordre, et qui
attirent les bénédictions du ciel sur les villes
qui les nourrissent ; mais si vous avez des
dettes, payez-les ; il faut que la justice mar-
che devant. Ne dépouillez pas celui qui est
vêtu pour couvrir celui qui est nu : n'ôtez
pas à celui à qui vous devez pour donn r a
celui à qui vous ne devez pas : la première
charité est de payer ce que l'on doit.
Au reste , une des meilleures règles pour
ses aumônes, c'est de les mettre entre l<s
mains de ses pasteurs dans les assemblées
qui se font chez eux pour les n '•< lessité* des
pauvres de votre paroisse. Vous rentrez par
là dans la première pratique de l'Eglii
vous faites revivre ces siècles de charité où
les chrétiens, comme il est marqué dans les
Actes , apportaient aux pieds des apôtre» le
prix de leurs biens pour être distribué en
commun, selon le besoin de chaque particu-
lier; et dans ces assemblées des fidèles, le
pasteur qui y tient, la place des apôtres re-
çoit des fidèles qui s'y trouvent le prix de
leurs biens. Il confère avec eux sur les né-
cessités de ses enfants et de leurs frères, et
sur les moyens de les soulager. Que cela est
grand ! on y rend compte de l'état des choses,
et, chacun disant son sentiment, c'est par les
lumières de chaque particulier que la distri-
bution en est faite.
Par ces assemblées vous êtes soulagés de
la peine de faire le discernement nécessaire
dans l'aumône entre le pauvre véritable et
celui qui ne l'est pas. Cette discussion étant
faite d'abord par les pasteurs et par les per-
sonnes préposées pour celte recherche, vous
donnez aux pasteurs un moyen naturel pour
s'insinuer dans l'esprit de celte partie de leur
troupeau dont ils prennent un double soin.
Cette assistance qui regarde le corps le r
ouvre le cœur, et ils sont bien mieux dispo-
sés à écouler la voix du pasteur quand ils se
voient soulagés par ses mains : ils reçoivent
ses conseils plus volontiers quand il les y a
préparés par des aumônes.
Ainsi , mes frères , votre aumône ne se
donne point au hasard . et vous entrez dans
l'ordre delà Providence; car, dit saint Au-
gustin, nous sommes obliges d'aimer tous les
hommes; mais comme nos facultés ne sont
}i(is assez grandes pour faire du bien à tous, il
faut prendre soin de ceux dont Dieu semble
nous avoir charges, en répandant nos aumô-
nes dans les lieux gui nous forment quelque
alliance avec eux. Ainsi voila les pauvres de
vos paroisses désignés naturellement.
Entres donc bien dans cette raison de l'or-
dre de Dieu, et vous reconnaîtrez la néces-
sité d'entrer dans ces assemblées. Mais de
plus la facilité est grande : il ne s'agit que de
donner vos conseils et vos avis pour le SOJB-
lagemenl des pauvres. Quand il s'agit «le mi-
neurs et d'affair s de famille, on prend avis
des parents, on se lait honneur d'assister à
ces assemblées. Ici il s'agit de-s enfants de
il;
SERMON POUR LE MARDI DE LA
Jésus-Christ qui sont mineurs, vous ^êtes
leurs frères, leurs affaires dépérissent" ne
refusez pas votre conseil. Enfin, mes frères,
celte manière de faire l'aumône vous met à
couvert de la vanité. Vous cachez votre au-_
viône dans le sein du pauvre, selon les termes
de l'Ecriture, et la main gauche ne sait point
ce que la main droite fait.
Pourrez-vous vous défendre présentement,"
mes frères, de satisfaire à l'importante obli-
gation de faire l'aumône ? Peut-on vous ou-
vrir des voies plus faciles? Evitez donc la
terrible condamnation que doit attendre ce-
lui qui, en refusant de soulager le pauvre, a
refusé pour ainsi dire de reconnaître le nom
qu'il allègue. Et quel est le nom qu'il allè-
gue? c'est celui de Dieu et de Jésus-Christ.
Les bénédictions qu'il vous souhaite, c'est
que Dieu vous fasse miséricorde. En refu-
sant l'aumône, c'est donc en un sons renon-
cer Jésus-Christ, c'est mériter que Jésus-
Christ nous renonce et être renoncé devant
Dieu par Jésus-Christ. Concevez-vous bien
ce que c'est? Faisons donc l'aumône, mes
Irès-chers frères, vous pouvez par là. vous
rendre Jésus-Christ favorable. Ayons pitié
des pauvres, et achetons le ciel par les biens
périssables de cette vie ; par là nous jouirons
de toutes les richesses de l'immortalité glo-
rieuse. Je vous la souhaite. Ainsi soil-il.
SERMON
POUR LE MARDI DE LA QUATRIÈME SEMAINE DE
CARÊME.
De la préparation prochaine à la mort pour
les justes et les pécheurs.
Ibat Jésus in civitatein qua3 vocalur Naim : ecce dcl'un-
ctus effôrebatur.
• Jésus allait d.<ns une ville appelée Naim, élit se rencon-
tra que l'on portait un mort {Luc, VII, 11, 12).
Je voudrais, mes frères, vous donner au-
jourd'hui des règles pour bien mourir, et vous
apprendre dans ce discours ce qu'un chrétien
doit pratiquer à l'extrémité de sa vie pour
unir celle qu'il espère avec celle qu'il doit
finir, et se faire un heureux passage de l'une
à l'autre.
Comme il n'y a rien que les hommes sou-
haitent davantage qu'une heureuse mort,
j'ai cru que vous seriez bien aises de m'en
voir décrire les conditions dans ce discours ;
et comme Dieu fait miséricorde en tout temps,
que son Eglise est l'arche du salut, ouverte
après le déluge du péché à toutes les heures
du jour pour qui que ce soit, et même à la
dernière, il est important d'apprendre à ceux
qui n'ont pas vécu selon Dieu la manière de
mourir en Dieu et de réparer par une mort
chrétienne les désordres d'une vie déréglée.
Je veux donc rendre ce discours utile aux
justes qui ont bien vécu, et aux pécheurs qui
n'y ont pas pensé. Les uns, de qui le parti
est le plus sûr, c'est-à-dire les justes qui
ont bien vécu, apprendront comment ils doi-
vent achever leur sacrifice, et les autres
comment ils doivent le commencer et l'ache-
ver en même temps ; car comme nul no doit
jamais perdre l'espérance , il faut enseigner
QUATRIEME SEMAINE DE CAREME. 514
au pécheur à se convertir même au lit de la
mort.
Voici donc, mes frères, ce qu'un chrétien
doit faire quand il sent que la mort approche
. et qu'il se voit en quelque péril de perdre la
vie. Je distingue deux temps différents dans
la maladie dont il se sent attaqué : le mo-
; ment où il en est frappé, et le temps où elle
- augmente considérablement, et où par des
indices certains on reconnaît qu'il n'y a plus
rien à espérer.
• Dès qu'il se sent frappé, il faut qu'il ac-
cepte la mort et qu'il se soumette volontaire-
ment aux ordres de Dieu : première partie;
lorsque la maladie augmente, il faut qu'il se
dégage de la terre et qu'il renonce générale-
ment à toutes choses pour faire ce passage
heureusement : seconde partie.
Quiconque finit sa vie dans des sentiments
de soumission, de renoncement et de piété,
meurt de la mort des justes.
Expliquons ces dispositions et ces qualités
d'une bonne mort, après avoir demandé la
secours du ciel par l'intercession de Marie.
Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
•: Si nous n'étions pas aveuglés par nos pas-
sions, et que l'enivrement "des choses pré-
sentes ne nous fit pas perdre la raison, nous
connaîtrions, mes très-chers frères, que no-
tre vie n'est qu'une maladie continuelle do
laquelle nous ne pouvons être guéris que
par la mort, et sachant que ce moment qui
doit mettre fin à tous nos maux est incer-
tain, nous nous y tiendrions toujours dispo-
*j ses, afin d'en faire un usage tel que le mé-
; rite cette partie de notre vie, qui peut si fort
contribuer à rendre notre éternité bienheu-
reuse.
C'est le point capital de la sagesse du chré-
tien de se tenir prêt en tout temps à paraî-
tre devant Dieu, et à régler tellement sa vie
qu'il se mette à couvert de la surprise dans
une affaire aussi importante que celle où il
s'agit de son éternité.
Mais soit que le chrétien ait réglé sa vie
sur cette pensée, soit qu'il l'ait rejelée de son
esprit pour suivre le dérèglement de ses
passions, il faut qu'il regarde la mort d'une
autre manière quand il se voit en péril de
perdre la vie, et qu'il prenne des mesures ou
pour achever son sacrifice en chrétien, ou
pour le commencer en pénitent.
Or, mes frères, Dieu s'approche de nous,
selon saint Grégoire, et le temps de notre ju-
gement avance , à proportion que celui de
notre vie diminue et s'enfuit; mais il frappe
à notre porte, dit ce saint pape, quand il nous
abat par la maladie, et en frappant il nous
avertit qu'il est proche de nous et qu'il veut
entrer. C'est donc dans ce moment que nous
devons nous préparer à le recevoir ; et com-
ment ferons-nous connaître que nous lui ou-
vrons volontiers? C'est, répond ce même
pape, si nous le recevons avec l'amour d'un
juste qui souhaite la consomtnation de son sa-
crifice pour s'unir â lui, ou avec l'amour d'un
pénitent qui offre la destruction do sa vie pour
r,i:
ORATEURS S\CRES. DOM J F.ROM R.
.10
en effacer lu désordres, et pour consommer
iom uacrifict en le commençant.
Voici donc, mes frères, par où le chrétien
doit commencer à se préparer à ,1a mort
Quand il se voit frappé par la maladie : il
faut qu'il accepte la mort et qu'il se soumette
humblement aux ordres de Dieu ; il faut qu'à
l'exemple du Sage il fasse cette réflexion sur
la nature de son être : Je suis un homme
mortel semblable à tous les autres, sorli de
la race de celui qui fut le premier formé de
terre ; il a été réduit en cendres, j'y serai ré-
duit comme lui, car il n'y a pour tous qu'une
manière d'entrer dans la vie, et qu'une ma-
nière d'en sortir. Voici, sans doute, le mo-
ment qu'il faut payer ce tribut général et
commun. Je reconnais p tr cette maladie que
mon heure approche, et que c'est vous, ô
mon Dieu 1 qui l'ave/ marquée. Ce n'est ni
l'âge ni la maladie qui me font mourir; ce
ne sont point les hommes qui me tuent : je
ne meurs, Seigneur, que de votre main, il
n'arrive rien en ce inonde sans l'ordre secret
de votre toule-puissance; vous préordonnez
avant tous les siècles comment les choses
doivent arriver dans ce monde.
Ma vie n'est rien, et quelque longue qu'elle
puisse être, cette longueur ne doit être
comptée que pour un instant si nous la com-
parons avec le temps qui s'est passé avant
que nous fussions, et celui qui passera après
que nous aurons cessé d'être; mais cet in-
stant de vie qui n'est rien n'est pas encore à
notre disposition. Vous en êtes le maître,
vous l'étendez tant qu'il vous plaît, et vous
le terminez aus>;i quand il vous plait. Je me
soumets aux justes dispositions de cette sou-
veraineté absolue, et me voilà prêt à vous
rendre sans peine ce que je n'ai reçu do vous
que par faveur.
Mais il ne faut pas s'en tenir à ce seul motif,
il faut porter nos vues plus loin pour rendre
notre soumission plus parfaite, et faire un
sacrifice de notre vie qui entre dans l'ordre
de la justice de Dieu sur nous.
Car, mes frères, nous savons très-certai-
nement, dans les principes de notre foi, que
la mort est la peine du péché, et qu'elle n'est
devenue nécessaire à l'homme que depuis
son crime ; d'où je lire ces deux vérilés, qui
renferment deux grandes instructions, l'une
qui regarde les justes , l'autre qui regarde
les pécheurs.
La première, c'est que le péché n'est entiè-
rement détruit dans les justes que par la
mort, et qu'ainsi ils doivent non-seulement
l'accepter avec soumission aux ordres de
Dieu, mais même la désirer avec ardeur,
puisque Dieu s'est servi d'elle pour rendre
leur sacrifice parfait, et les faire arrivera
l'union qu'ils attendent comme le fruit de
leur sacrifice. La seconde est que le péché
peut être réparé tout d'un coup par l'accep-
tation de la mort, et qu'ainsi le pécheur qui
a abandonné Dieu durant sa vie doit ména-
ger ce moment pour unir la un de son sacri-
fice avec le commencement, et trouver son
salut aux portes de l'enfer, où il n'est pas
absolument impossible de le rencontrer.
Ceci, mes frères, est d'une grande consola-
tion pour n' pai désespérer le pécheur; mais
aussi celte proposition est d'une grand' dé-
licatesse, et il faut prendre gard<' | ce le p*f
tromper en présumai' trop. A prendre
comme il faut l'idée de la vie présente, nous
la devons regarder comme une maladie, se-
lon le sentiment des Pères : et en effet, que
faisons-nous pour vivre, sinon de nous em-
pêcher de mourir, tous nos exercices et tou-
tes nos actions n'étant que des remèdes à
une maladie qui nous détruirait en quatre
jours si nous avions négligé de les prendre?
Nous ne mangeons que dans la crainte que
la faim ne nous tue; nous ne nous abstenons
de manger que de peur que la réplelion ne
nous étouffe.
Ce n'est pas le corps seulement qui est
malade durant celle vie, l'âme a ses mala-
dies dont les plus justes ne sont pas exempts,
qui les font gémir dans celle vie de misère.
J'avoue que la grâce, en nous purifiant de
nos péchés, nous donne quelque santé et
met en nous quelque force el quelque vi-
gueur ; mais cette .sanié est toujours impar-
faite pendant que nous portons un corps
de corruption. Notre cupidité n'est jamais
éteinte durant celle vie. Les plus saints sont
obligés de gémir de leurs faiblesses, el ils
savent qu'ils n'auront point de santé par-
faite, qu'ils ne soient revêtus d'une vie im-
mortelle, et que par une nouvelle naissance
ils ne soient devenus semblables à Jésus-
Christ ressuscité.
En effet, tout ce qui est arrivé à Jésus-
Christ doit se passer dans chaque chrétien.
11 no compose avec lui qu'un corps mystique
et un Jésus-Christ parfait et accompli ; ainsi,
comme Jesus-Christ a souffert durant sa vie
mortelle, qu'il est mort, ressuscité, monte
au ciel et assis à la droite de son l'ère, le
chrétien doit souffrir, mourir, res>usciler,
monter au ciel, et c'est ce qui fait qu'a rèa
l'accomplissement de notre sacrifice nous
entrerons dans une parfaite communion
avec Jésus-Christ ; car le corps du péché
étant durant celle vie comme un chaos impé-
nétrable entre lui et nous, dans le ciel rien
n'empêchera plus que l'union ne suit par-
faite. Le Fils de Dieu a appelé sa mort et sa
passion du nom de sanctification, et il dit
dans l'Evangile qu'il se sanctifie lui-même
lorsqu'il \ a mourir de la mort la plus cruelle ;
de même un chrétien qui est éclairé par les
lumières de la foi djit regarder sa mort
comme l'achèvement de sa sanctilicaiion. 11
doit accepter ses peines et ses douleurs
comme Jesus-Christ qui accepta celles qui
accompagnèrent sa passion. Il doit se dire
que c'est pour sa sanctification qu'elles lui
sont envoyées, comme Jésus-Çhrist a dit
qu'il allait se sanctifier en souffrant les
siennes ; el le jusle les doit recevoir aussi
avec joie, dans la pensée qu'elles mettent le
sceau à sa sanctification, el que, ne perdant
rien par la mort, il se trouvera tout entier
en Jesus-Christ el Jésus-Christ en lui.
Cela peut être vrai, me direz-^ous , à l »•-
gard du juste qui a vécu de la ue de Jésus-
517 SERMON POUR LE MARDI DE LÀ
Christ, et qui ne fait, en finissant sa vie,
qu'achever le sacrifice qu'il a commence
dans son baptême et continué pendant sa vie ;
mais le pécheur qui a vécu de la vie du
monde et violé les engagements de son bap-
tême, comment peut-il regarder la mort ? Il
la peut regarder, mes très-chers frères, même
à l'extrémité, comme un sacrifice capable
d'expier tout d'un coup toutes les iniquités
de sa vie et le réconcilier avec Dieu , s'il le
lui offre par son esprit et qu'il sache ména-
ger les moments de grâce que Dieu fait à
ceux qui ont recours à lui à la dernière
heure du jour, quand ils reviennent du fond
du cœur.
Je sais bien qu'il est très-dangereux d'at-
tendre à faire pénitence au lit de la mort. 11
est certain, selon le sentiment de tous les
saints Pères et selon tous les principes de la
religion, qu'entre tous les pécheurs il n'y en
a point qui se jettent dans un si grand dan-
ger d'attirer sur eux la colère de Dieu, de
tomber dans un entier endurcissement, et de
mourir enfin dans l'impéuitence, que ceux
qui pendant leur santé commettent des cri-
mes avec hardiesse, dans l'espérance d'avoir
part à la miséricorde extraordinaire que
Dieu fait quelquefois aux pécheurs dans
l'extrémité de leur vie.
Cependant, mes frères, désespérerons-nous
ceux qui se trouvent dans cet état? A Dieu
ne plaise 1 Comme Dieu n'est attaché à au-
cun ordre qu'autant qu'il lui plaît, et moins
encore à celui de la grâce qu'à celui de la
nature, il fait quelquefois par lui-même et
par son infinie miséricorde la conversion de
plusieurs âmes, sans les faire passer par la
suite des moyens ordinaires et communs : les
jugements de Dieu sont impénétrables.
On doit tout craindre pour celui qui com-
mence sa pénitence, son sacrifice et sa der-
nière maladie en même temps; mais cette
crainte ne doit pas pourtant exclure toute
espérance. On doit espérer pour celui qui a
commencé son sacrifice de bonne heure et
fait pénitence avant que de tomber malade ;
mais cette espérance ne doit pas exclure
toute crainte. 11 faut lui dire qu'il craigne ,
encore qu'il ne voie rien à craindre, puisque
la crainte est nécessaire pour nous exempter
de l'orgueil ; de même aussi il faut dire au
pécheur qu'il espère en la bonté de Dieu, en-
core qu'il n'y ait rien en lui qui puisse don-
ner lieu à celte espérance.
L'apôtre saint Paul nous propose deux
principes dans son Epltre aux Romains qui
doivent servir de fondement à cette espé-
rance, et qui sont capables de bien consoler
le pécheur dans l'extrémité de sa vie. Si vous
confessez de bouche, dit-il, que Jésus-Christ
est le Seigneur, et si vous croyez de cœur que
Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous se-
rez sauvés. L'Apôtre renferme dans ce seul
article la créance de toutes les vérités chré-
tiennes ; n'étant pas possible, si l'on croit une
fois que Jésus-Christ est ressuscité, selon
qu'il l'avait lui-même promis, qu'on ne le
reconnaisse en même temps pour véritable
dans toute sa doctrine et dans tout ce qu'il a
QUATRIEME SEMAINE DE CAREME. 548
proposé pour matière de foi à son Eglise ; et
de cette foi vive et sincère naissent l'espé-
rance, la charité, la pénitence, toutes les
vertus et toutes les bonnes œuvres quant à
la préparation du cœur. Mais Dieu accorde-
t-il souvent cette foi vive et sincère à un
homme qui a vécu dans l'infidélité et dans le
libertinage durant toute sa vie ? Voici, mes
frères, le second principe de saint Paul, qui
est une excellente réponse à cette demande.
// n'y a point de distinction de Juifs ni de
gentils, parce que tous n'ont qu'un même Sei-
gneur, qui répand ses richesses sur tous ceux
qui l'invoquent ; car tous ceux qui auront in-
voqué le nom du Seigneur seront sauvés.
Ces paroles se prennent par saint Paul
dans un sens sublime, et s'entendent de la
délivrance spirituelle et du salut des fidèles.
Quiconque donc aura réclamé avec une en-
tière confiance le secours de la grâce obtien-
dra la vraie justice, le pécheur comme le
juste, à l'heure de la mort comme pendant la
vie; car il n'y a point de distinction, il est
riche envers tous. Et pour vous faire voir
que cette assurance regarde les pécheurs, re-
marquez ce que dit saint Paul dans la suite :
J'ai été trouvé, dit cet apôtre, au nom du Sei~
gneur par ceux qui ne me cherchaient pas, et
je me suis fait voir à ceux qui ne s'informaient
point de moi. Ces paroles, qui dans le sens
littéral marquaient la conversion des gentils
et l'effet de la prédication de l'Evangile sur
leurs esprits , peuvent s'appliquer dans le
sens moral à ceux qui , ne cherchant point à
connaître Dieu, et qui ne s'informant pas
même des voies qu'il faut tenir pour aller à
lui , sont prévenus par sa miséricorde et le
trouvent. A plus forte raison paraîtra-t-il à
ceux qui l'invoqueront et sera-l-il trouvé par
ceux qui le chercheront avec gémissements,
surtout dans l'affliction et dans la plus
grande de toutes, qui est celle de la mort.
C'est donc alors que le pécheur doit faire
de plus grands efforts pour ménager ce der-
nier moment, après lequel il n'y a plus rien
à espérer pour lui , et par le bon usage du-
quel il peut aussi tout réparer. En effet, pour
bien comprendre ce que peut valoir la mort
en Jésus-Chrisl , c'est-à-dire celle qui est
soufferte en union avec lui, encore même
que cette union ne commence qu'à la mort,
il faut considérer quel rang elle tient dans
l'ordre de son sacrifice. Il est vrai qu'il est
offert dès le moment de sa conception, qu'il
l'a continué durant toute sa vie et qu'il l'ac-
complit en mourant. 11 est vrai que nous
avons été offerts avec lui et consacrés victi-
mes par notre baptême, que nous sommes
devenus dignes, par la grâce de notre régé-
nération, de lui être offerts, et que nous nous
sommes engagés à travailler continuellement
pour sa gloire, car notre sacrifice doit êtro
sans interruption, depuis notre baptême, qui
en est le commencement, jusqu'à notre mort,
qui en est l'accomplissement ; mais comme
la principale partie du sacrifice est la mort
de l'hostie, que l'oblation et la sanctification
qui précèdent n'en sont que les dispositions,
qui doute, mes frères, ou un pécheur qui
!îl!>
OHATELIIS SACHES. 1>0M JUluME.
MO
n'ouvre les yeux de l'âme que pour voir la
mort, et qui la regarde, par la miséricorde
de Dieu, comme la seule partie de sou sacri-
fice qui est à sa disposition, ne puisse rendre
ce sacrifice parfait en offrant sa mort à Jé-
sus-Christ, dans laquelle, par l'anéantisse-
ment de sa vie, il rend à Dieu tout l'hom-
mage dont il est capable, en s'anéantissent
devant les yeux de sa majesté et en adorant
celui qui existe seul essentiellement? Qui
peut douter qu'en donnant sa vie à Dieu il
n'achète Dieu, si j'ose ainsi parler, et que,
résolu de quitter la vie non pas tant par la
violence de ses maux que par le désir de sa-
tisfaire à la justice de Dieu et d'expier ses
péchés par la destruction de son être, il ne
puisse dire en quelque façon, comme le Sau-
veur, que personne ne lui Ole la vie, mais
qu'il se l'ôte lui-même par la disposition sin-
cère de son cœur, qui la lui l'ait remettre en-
tre les mains de Jésus-Christ, résolu de ne
pas la conserver, quand même il le pourrait,
contre l'ordre de Dieu?
Avec cette disposition, je ne doute pas que
les plus grands pécheurs ue puissent réparer
tous les désordres de leur vie; mais il faut
qu'elle soit accompagnée de quelque chose
d'extraordinaire qui soit comme la preuve et
comme le fruit de leur véritable pénitence.
Les grandes résolutions de bien vivre à l'a-
venir ne sont pas suffisantes : il faut que la
vérité de ces résolutions nous paraisse par
l'exécution, en faisant tout ce qu'on peut
faire en cet éiat. Sans cela il y a peu de chose
à espérer; car l'Ecriture nous a appris par
l'exemple d'xVntiochus qu'il y a des péniten-
ces accompagnées en apparence de grands
desseins de piété, de pleurs et de prières, qui
sont néanmoins fausses devant Dieu. C'est
pourquoi j'ai dit qu'il ne suffisait pas à la lin
de la vie d'accepter la mort ni de se soumet-
tre volontairement aux ordres de Dieu, mais
qu'il fallait encore se dégager de la terre et
renoncer généreusement à toutes choses.
Voyons ce que le juste et le pécheur doi-
vent faire pour se disposer à une heureuse
mort en entrant dans celle pratique •• c'est le
second point.
SECONDE PARTIE
Tout le succès de la préparation à la mort,
dont nous parlons, dépend presque de la
première disposition dont je viens de vous
entretenir ; car lorsqu'un chrétien s'est aban-
donné à la volonté de son Dieu , il entre fa-
cilement dans toutes les autres dispositions
dont je dois vous parler encore, il sent l'aug-
mentation de ses maux sans aucun trouble,
il voit les approches de la mort sans effroi ,
et il s'abandonne cuire ses bras avec conso-
lation.
Il me semble, mes frères, qu'on peut dire
qu'il y a celte différence entre un chrétien
qui n'a pas ces sentiments , et un autre qui
en est pénétré, qu'on peut comparer ce pre-
mier avec un fruit qui n'est pas encore mûr,
et le second avec un fruit arrive à une par-
faite maturité.
L'un ne se cueille pas , il s'arrache avec
violence ; il lui faut donner de rudes se-
cousses pour l'abattre, et quand il est tombé,
il pourrit cl ne mûrit jamais; il est toujours
désagréable au goût et inutile à rasage des
hommes. Ln fruit mûr au contraire quitte
l'arbre de lui-même ; il tombe par un certain
poids de bonté que sa maturité lui donne, et
les hommes le reçoivent comme un Iruil utile
à leur nourriture et agréable au t:oût. Ou
peut dire; à peu près la même chose des chré-
tiens à la mort: celui qui n'a pas pris les
sentiments d'une résignation parfaite aux or-
dres de Dieu, et qui ne regarde pas la mort
dans les vues que nous avons marquées , ne
peut pas concevoir ceux d'un parfait renon-
cement à la terre; il y lient alla, lie comme
un fruit qui n'est pas encore mûr, il fait de
grands efforts pour s'en arracher; il n'y a
que les secousses d'une maladie violente qui
l'en séparent , el quand il tombe par ses ef-
forts , c'est un fruit toujours désagréable à
Dieu, qui pourrit dans la terre où il est en-
fermé, et qui ne mûrit jamais pour l'éternité
bienheureuse.
Mais quand un chrétien s'est abandonné
aux ordres de Dieu, il tombe sans peine par
un certain poids que sa résignation lui donne,
et, comme un fruit arrivé à sa maturité, il
quitte l'arbre qui n'a dû le porter que jus-
qu'au temps que le propriétaire et de l'arbre
et du fruit avait résolu de l'en détacher : de
sorte que, ne songeant plus au lieu qu'il
quitte, il ne s'occupe que des pensées du lieu
où il va; ou s'il fait encore quelque retour
sur la terre et sur les personnes qu'il y a ai-
mées , ce n'est plus que pour perfectionner
son renoncement , s'il est juste , ou pour le
commencer, s'il est pécheur; et voilà la se-
conde condition de la préparation prochaine
à la mort. Llle n'est pas même assez diffé-
rente entre le juste et le pécheur, que ce que
l'on doit dire à l'un ne puisse convenir à l'au-
tre ; or, mes frères , pour marquer les voies
par lesquelles on peul entrer dans un parfait
renoncement au monde, il faut supposer que
ce qui nous y attache, ce sont les biens que
nous y possédons et les personnes que nous
y aimons. C'est donc à l'égard de ces deux
objets qu'il faut exercer notre renoncement,
c'est-à-dire qu'il faut que le juste , qui n'est
juste que par le dégagement de ses biens , de
son cœur et des créatures , perfectionne ce
dégagement pour rendre son sacrifice parfait,
cl que, renonçant non-seulement à l'amour,
mais à l'usage de toutes les choses de la
terre avant que de les avoir quittées, il se
mette en état de mourir dépouillé comme Jé-
sus-Christ. Voilà ce qui regarde celui que
nous avons appelé juste, c'est-à-dire le chré-
tien, qui a pensé à vivre comme un homme
qui doit mourir.
A l'égard de celui que nous appelons pé-
cheur, c'csl-à-dire de celui qui a vécu dans«'
le dérèglement sans penser à la mort , et qui
a tout à faire dans ce dernier moment, il faut,
mes Frères, qu'il s'arrache avec force el aux
biens el aux personnes, el que, semblable à
un homme qui voit sa maison tout en feu , il
qtiitle lout pour se sauver : heureux si. dans
521 SERMON TOUR LE MARDI DE LA
un embrasement général où il était menacé
de perdre la vie et les biens, il sauve sa vie
en perdant ses biens !
Il faut donc que le chrétien qui sent ap-
procher la mort jette l'ail sur ses affaires
pour la dernière fois, et qu'il y mette l'ordre
que la justice et la charilé ( hrétienne deman-
dent absolument. C'est le conseil que Dieu
donna au roi Ezéchias par la bouche du pro-
phète Isaïe : Dispone donna tuœ, non vives :
Jette les yeux sur les affaires de ta maison
pour y donner l'ordre nécessaire ; car tu vas
mourir, et les redoublements de ton mal ne
te doivent plus laisser aucune espérance
de vie.
Je n'ai point parlé jusqu'ici de faire venir
le pasteur, parce que j';ii supposé que c'est la
première chose qu'on doit faire. Puisqu'il
veille pour le bien de vos âmes, comme en de-
vant rendre compte, dit l'Apôtre, c'est à lui de
vous assister dans le moment où vous devez
paraître devant Dieu. Vous pouvez aussi ti-
rer des secours d'ailleurs , ils ne peuvent
vous être interdits ; car dans cet étal on n'en
peut avoir trop ; et comme dans les maladies
dangereuses on appelle les plus habiles mé-
decins, dans l'extrémité de la vie il fautavoir
recours à tout ce qu'il y a de meilleur, de
plus capable de nous dire la vérité et de
nous mettre dans les voies de notre salut
sans nous flatter , surtout si nous avons des
doutes, et que nous ayons été assez malheu-
reux pour ne pas prendre conseil des plus
sages, des plus éclairés, des plus exacts, des
plus désintéressés et des plus sévères pen-
dant la vie. Ceci regarde plus précisément
ceux qui, comme nous avons dit, ont tout à
faire dans ce moment. Les pécheurs, qui doi-
vent faire un examen et un jugement géné-
ral de leur vie, ne peuvent le faire trop sé-
vère pour éviter celui de Dieu.
Je ne parle point de la confession ; c'est
aux pasteurs et aux ministres de l'Eglise qui
sont appelés à vous régler sur cet article.
Tout ce que je viens de dire étant fait, il faut
ou revoir son testament, ou le faire s'il n'est
pas fait.
Le testament est une espèce de jugement
où le chrétien s'applique à rendre ce qu'il
doit à Dieu el à son prochain. 11 ne doit pres-
que jamais l'omettre , à cause des inconvé-
nients qui arrivent ordinairement quand on
le néglige, soit dans les familles, par les con-
testations et les différends qui s'y élèvent et
qui y ruinent la paix et la charité, soit à
l'égard des personnes qui meurent, dont les
volontés ne sont presque jamais exécutées,
quelques promesses qu'on leur en fasse. Les
dettes ne se payent point, les restitutions ne
se font point, les domestiques demeurent
sans récompense, les pauvres sans secours ,
cl la cupidité des vivants leur fait oublier
tous les ordres et toutes les dispositions de
la charilé des défunts.
11 faut donc, , mes frères , faire son testa-
ment, et il est même plus a propos de le faire
pendant la santé, afin de h' mieux concerter;
car on n'a plus qu'a le revoir quand il faut
mourir. Que si on a attendu à cette cxlré-
Oii.vi 1:1 n bâchés. XXX.
QUATRIEME SEMAINE DE CAREME. 5*22
mité pour le faire, il ne faut pas différer, et
après s'être mis bien avec Dieu , afin que
cette action soit faite en état de grâce, pour
que toutes les dispositions que nous y ferons
de nos biens et de notre volonté soient agréa-
bles à Dieu et utiles pour notre salut, il faut
faire en sorte que ces trois vues différentes
régnent sur celte action, la prudence, la jus-
tice el la miséricorde.
La prudence , en ne faisant rien précipi-
tamment ni par passion, mais dans celte
tranquillité et cette sagesse d'un homme qui
va paraître devant Dieu, prenant conseil des
gens sages et éclairés, afin de faire les choses
selon les coutumes et les lois ; marquant sur-
tout les choses clairement , pour ne donner
lieu à aucune contestation, et laisser la paix
entre ceux à qui on laisse son bien.
La justice doit régner dans la disposition
que vous devez faire de vos biens , et pour
cela il faut commencer par l'examen de vos
acquisitions, afin que s'il se trouve quelque
chose de mal acquis, il soit restitué. Donnez
même ce qui est douteux : que la fausse ten-
dresse ne vous séduise pas. Péril pour vous,
péril pour vos enfants. Le bien mal acquis
est pour les uns el les autres une source de
damnation. Dans les choses même qui sont
douteuses , restituez, c'est le plus sûr, et il
vaut mieux paraître devant Dieu dépouillé
de tout que revêtu d'une abondance de biens
contre la justice. Vous n'avez que votre âme
à sauver ; il faut payer vos dettes et les arré-
rages de vos dettes , lorsqu'il est vrai que,
ayant pu les payer, vous ne l'avez pas fait,
faisant ainsi un double tort et une double
injustice à vos créanciers.
11 faut réparer tout le tort fait au prochain,
soit celui qu'il a reçu de vous, qui lui avez
intenté des procès injustement et par ca-
price, soit vous, avocat, qui vous êtes chargé
d'une cause que vous saviez en votre cons-
cience n'être pas bonne, soit vous, juge, en
condamnant celui qui avait droit, en le con-
damnant par faveur, par intérêt, par ressen-
timent. Ah l mes frères, qu'il est nécessaire
dans cet ouvrage de consulter un homme
éclairé qui nous instruise et qui porte le
flambeau dans toutes nos iniquités, pour
nous faire voir ce que nos passions et
notre cupidité nous ont caché 1 un homme
ferme, résolu, désintéressé, qui nous juge
par les lumières de Dieu et par les seules
vues de notre salut 1
11 faut rendre aux pauvres ce que vous
leur avez retenu ; car si c'est une obligation
de leur donner le superflu du bien que Dieu
vous a donné, ce n'est pas assez de vous ac-
cuser de ne l'avoir pas fait, il faut le faire,
cl répandre sur eux, non pas par aumône,
mais par obligation, ce que vous leur avez
ôté. Jusqu'où vont les obligations de ces
hommes extrêmement riches qui n'ont jamais
donné la millième partie de leur bien? de
ces gens qui ont vécu avec faste el avec pro-
fusion des biens de l'Eglise multipliés cl ac-
cumulés dans leurs maisons".' Quel abîme, ô
mon Dieu ! et quel terrible emploi que cei'ii
d'assister ces gens- là à la mort!
17
r.23
ORATEURS SACHES. DOM JEROME.
Il faut encore que la justice règle la dis-
irihulion (|ue vous voulez faire de vos biens
légitimement acquit* Considérez vos proches,
et n'appelez pas des étrangers à votre sur-
cession à leur préjudice, à moins qu'ils ne
s'en soient rendus Indignes par une conduite
déréglée et nullement chrétienne, et que
vous ne connussiez sûrement que votre sur-
cession ne servirait qu'à entretenir leurs
désordres, à nourrir leur ambition, à aug-
menter leur luxe; car il ne faut pas mettre
parmi les raisons que vous croyez légitimes
pour les rejeter, les chagrins personnels sans
fondement et pris par caprice. Si vous en
avez reçu quelques chagrins, il faut les ou-
blier, et leur donner des marques, en leur
faisant du bien, que vous êtes réconciliés
sincèrement avec eux.
Si vous en .ivez qui soient dans la misère,
c'est sur eux que vous devez verser vos biens
pour les soulager, en les partageant de telle
sorte que chacun puisse s'en ressentir et en
recevoir du soulagement, et non pas les
donner tous à un. oubliant les autres, à
moins que ce ne soit pour l'utilité de toule
la famille : car ordinairement de là provien-
nent de très-grands désordres dans les fa-
milles. Celui que l'on préfère s'élève et mé-
prise les autres. Les autres, de leur côté,
entrent dans des sentiments de jalousie et de
baine qui les divisent, et vous-même vous
ne sauriez faire celle injustice sans être res-
ponsable devant Dieu de toutes ces mauvaises
suites.
C'est encore quelque chose de bien plus
étrange pour un chrétien que de commetlre
de semblables injustices, et de donner tout
sou bien à un parent au préjudice des autres,
à condition de porter son nom et ses armes.
Quelle vanité pour un homme qui va être
réduit en cendre dans un moment ! quelle
disposition pour aller paraître devant Dieu !
qu< I détachement de la terre et du monde,
de n'en sortir qu'à condition qu'on v vivra
dans la personne de ceux qu'on y laisse! et
quel amour pour des parents qu'on fait sou-
vent dépositaires de ses iniquités, et à qui,
en croyant laisser du bie:., on ne laisse que
des gages d'une damnation future, où l'on se
précipite soi-même en les enrichissant 1
Knfin la miséricorde veut que vous ayiz
des égards pour ceux qui vous ont servi
fidèlement; elle doit entrer dans cette distri-
bution, et cette troisième vertu perfectionne
ad nirablement ce dernier ouvrage de votre
vie. Faire miséricorde, c'est la voie sùrc
pour l'obtenir ; car le Seigneur nous apprend
dans PKcrilurc qu'il mesurera celle qu'il
nous fera à la même mesure dont nous nous
serons servis pour la faire au\ autres. C'est
donc, mes frères, sur le besoin que nous
avons de la miséricorde de Dieu, que le de ir
de l'obtenir doit régler nos aumônes. Voilà
la règle; mais VOICI quelques conditions
qu'il me semble qu'un chrétien devrait ob-
server dans son testament : je voudrais qu'il
évitai toutes ces dispositions éclatantes qui
laissent des traces d'orgueil pour ceui qui
les font. Il y a un orgueil qui nous suit après
notre mort, et un chrétien doit toujours 1
% iter. Ce n'est pas renoncer au monde en-
lièi em< ni, (jue de vouloir v laisser des monu-
ments propres à y conserver notre mémoire;
ce n'est pas limer la rie divine dont
nous espérons de jouir dans le sein de Dieu,
que de vouloir être encore dans le commerce
de celle que nous quittons: et la miséricorde
que nous faisons est moins pure aux veux
Diea, quand nous nous ménageons quel-
que gloire de la part des nommes pour l'a-
voir faile.
Je voudrais donc qu'un chrétien ne laissât
guère de vestiges du bien qu'il fait, qu'il ca-
chât ordinairement à la mort son aumône
dnis le sein du pauvre, comme il a dû le
faire durant sa vie, à moins que le contraire
n • soit nécessaire pour l'exemple ou pour
réparer le scandale. Si les démons sonl i i
voleurs, au sentiment des l'ères, qui nou9
attendent durant la vie, pour nous dérober
te fruit de nos bonnes oeuvres par la vanité
et !a complaisance qu'ils nous inspirent, ils
sont bien plus à craindre à l'heure de la
mort, où ils redoublent toi. s leuffl efforts.
Cachons-nous donc dans le bien que nous
avons à faire; n'ayons point d'antre vue que
celle d'apaiser Dieu, et ne nous laissons pas
séduire par la pensée d'édifier le prochain,
quand nous ne pensons véritablement q
nous-mêmes. C'est encore par celle même
raison que je n'approuverai
lions qui se doivent exécuter avec <clal;car
il me semble qu'on peut dire qu'elles ne sont
pas entièrement conformes aux ordres de
Dieu sur nous.
11 ne nous a chargés que du soin des pau-
vres avec qui nous rivons, et comme il veut
que nous ne loi demandions que noire pain
de chaque jour, sans songer au futur par
des soins trop empressés qu'on doit aban-
donner à ^a providence, mes frère^, faisons
actuellement tout le bien que nous sommes
capables de faire, répandons nous-mêmes
nos aumônes; ne nous en fions ni à no< hé-
ritiers, ni même à nos enfants : ils pieu,
à présent, noire succession les consolera
dans un moment; ils promettent a prêtent,
leur cupidité les endurcira dans la suite.
laites prier Dieu pour vous, intéressez les
ministres de Jésus-Chrisl et tous les pauvres
qui sont ses membres à intercéder pour vous.
Vous, pécheurs, qui avez tout à faire dans
ce moment, faites donc tout; presse*- vous,
il n'y a point de temps à perdre; verses vos
aumônes avec abondance, on n'éteint pas un
grand embrasement avec un peu d'eau : don-
nez tout pour sauver votre âme: envoyez
des sommes aux prisons pour délivrer h s
captifs , envoyez dans les hôpitaux, donnez
aux pauvres honteux, mêliez de grandes
sommes entre le- mains de vos pastcu:s,
pour les distribuer aux pauvres de leurs pa-
roisses; donnez-en à des personnes de p
qui prient incessamment pour mus, et qui
COntri P Dl à vous retirer des feux de la
justice de Dieu. Faites que tous les prêtres
du Seigneur élèvent leurs mains au ciel, et
que tous les misérables fassent entendre
£2o
SERMON POUR LE JEUDI DE LA QUATRIEME SEMAINE DE CAREME.
526
Jours voix à Dieu pour obtenir sa miséricorde
pour vous.
Il faut, mes frères, après cela que le juste
et le pécheur fassent venir leurs familles
pour donner tous les ordres qu'ils croient
élre nécessaires; qu'ils se réconcilient avec
tout le inonde, qu'ils aient attention à répa-
rer tout le tort qu'ils auraient pu faire par
la médisance, en se rétractant, en disant du
bien de ceux qu'ils auraient calomniés, en
donnant ordre d'aller les voir de leur part,
s'ils ne peuvent pas les prier de venir; enfin
en se servant de tous les. moyens propres à
remédier aux maux qu'ils ont faits, suivant
en cela les conseils d'un homme éclairé, qui
est plus nécessaire en ce moment-là qu'on
ne le peut dire.
Il faut qu'ils donnent à leurs domestiques,
à leurs enfants, à leurs femmes, les avis
qu'ils croient leur devoir élre utiles, et leur
bénéiietion qui a toujours été fort utile aux
enfants et recommandée dans l'Ecriture.
Après cela, le malade ne doit plus permettre
que ni sa femme ni ses enfants approchent
de lui : il faut qu'il éloigne ces tristes objets
capables d'attendrir son cœur et de détourner
son esprit de l'application continuelle qu'il
doit avoir à Dieu. Il doit se ressouvenir que
Jésus-Christ, se voyant abandonné de son
Père sur la croix, reconnut qu'il voulait qu'il
finît sa vie sans consolation de la part des
créatures; c'est pourquoi, voyant Marie
dans ce moment, il ne l'appela plus sa mère,
mais femme, retranchant toutes les expres-
sions de tendresse; et c'est ce que doit pra-
tiquer un chrétien dans cet état : il faut qu'il
entre dans l'esprit de la mort avant que d'être
livré à elle par nécessité, et que par une sé-
paration volontaire il quille les personnes
qui lui sont les plus chères, quand ii est en-
core en état d'en jouir, afin qu'étant plus
destitué de ces consolations humaines à la
fin de sa vie, sa mort soit plus semblable a
celle de Jésus-Glirist, ce qui est la plus grande
consolation qu'un chrétien puisse souhaiter
pour arriver à l'éternité glorieuse que je vous
souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE JEUDI DE LA QUATRIÈME SEMAINE DE
CARÊME.
Sur les caractères de la mort de Came.
lliat. .Ip.sus in clvitalem quse vocatur Naim : eccc defuo-
cius eflerebatur.
Jetas ail lit dans une ville, appelée \m n , cl H se rencon-
tra que l'on portail nn mort (Luc, Vil, 11, 12).
L'Eglise nous propose des évangiles au-
jourd'hui et demain, qui tous deux nous re-
présentent la même chose. C'est dans l'un et
dans l'autre un mort ressuscité par la vertu
de Jésus-Christ, quoiqu'il y ait de la diver-
sité dans les circonstances do la mort et de
la résurrection de l'un et de l'autre. Mais
loninic ces morts ressuscites sont des figurée
Ju pécheur mort par le péché et ressuscité
par ta gr&ce, j'ai résolu, mes frères, de iépa-
la mort de la résurrection que l'Evangile
unit ensemble, pour ne pas embrasser une
»i ample matière d ins un seul discoure, et
pour pouvoir expliquer un peu plus au long
celle-ci qui est des plus importantes; car il
s'agit de se former des idées justes et préci-
ses sur la vie et sur la mort de l'âme; de
donner des règles par lesquelles chacun
puisse reconnaître l'état de la sienne; do
prendre des mesures pour conserver celtes
vie si précieuse de l'âme, si on la possède,
ou pour la recouvrer si on l'a perdue mal-
heureusement. Nous ne parlerons donc au-
jourd'hui que de la mort de l'âme, et nous
ne ferons que deux parties dans ce discours.
1° Nous expliquerons la nature et les cir-
constances de la mort de l'âme : premier
point; 2° nous nous examinerons nous-mê-
mes, pour reconnaître où nous en sommes,
et quel est le degré de notre mort, si nous
avons malheureusement perdu la vie de
l'âme : second point.
Demandons l'assistance du ciel par l'in-
tercession de celle qui, n'ayant jamais été
soumise à la mort de l'âme, a reçu cette plé-
nitude de charité et d'amour qui fait sa vie.
Ace, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour parler utilement et solidement de la
mort spirituelle de l'âme chrétienne, figurée
par celle du corps de ce jeune homme de
l'Evangile, que le Sauveur du monde ren-
contra comme il allait entrer dans la ville de
Naïm et à qui il rendit la vie, il faut que
vous connaissiez la réalité de celle mort
spirituelle, c'est-à-dire qu'il y a réellement
une mort de l'âme comme une mort du corps ;
la nature de cette mort spirituelle, c'est-à-
dire en quoi elle consiste, et ce que c'est
que cette mort; le règne de celle mort,
c'est-à-dire son étendue et combien elle est
multipliée parmi les chrétiens , qui sont
presque tous sous l'empire de cette mort;
enfin la contagion de cette mort, c'est-à-dire
avec combien de facilité elle se communique,
et le terrible danger qu'il y a, pour ceux
qui ne sont pas encore sous son empire, d'en
être frappés sans le savoir.
Tout ceci est très-important, donnez-moi
votre attention ; et voas, ô mon Dieu ! répan-
dez vos lumières sur moi et sur ceux qui
m'écoulent.
Oui, mes frères, il y a une mort de l'âme
comm > une mort du corps; l'Ecriture est
pleine d'expressions qui nous l'assurent, et
aucun chrétien n'en peut douter. L'esprit
de Dieu nous dit, par la bouche du pro-
phète Ezéchicl, que Vâme qui a pèche mourra
elle-même. L'auteur de l'Ecclésiastique, tra-
çant une idée du péché et nous décrivant ses
effets, nous dit que ses dents sont des dents de
lion qui tuent les âmes des hommes. Enfin , le
Sauveur du monde nedil-il pas lui-même à
ses disciples : Ne craignez pas ceux qui tuent
le corps et qui ne peuvent tuer rame; mais
cr.iiuncz celui qui peut perdre dans l'enfer et
le corps et l'âme? Or, par ces paroles de Jé-
sus-Christ , on roil clairement la réalité de
l.i oiort de l'âme; car il dit que les hommes
ne sont point à craindre à cause qu'ils no
pcuveul tuer que le corps.
:.-27
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
,28
Il y a donc une mort de l'âme, qui est celle
que les hommes ne peuvent donner, (pie le
Sauveur oppose à celle du corps qui est en
leur pouvoir, parce que cette mort du corps
violente et forcée est différente de celle de
l'âme, qui est libre et volontaire et qui ne
peut venir que d'elle-même. Aussi prenez
garde que L'Écritore dit : Elle mourra elle-
même, c'est-à-dire par elle-même et par son
choix; car elle pèche librement. Celte ex-
pression de Jésus-Christ peut nou9 faire
connaître quelle est la nature de celle mort
réelle; car il ne dil pas : Craignez celai qui
peut tuer l'âme , mais : Craignez celui qui
peut perdre rame dans l'enfer. Le mot de tuer
forme dans l'esprit une idée de destruction,
ce que ne fait pas celui de perdre, puisqu'il
faut qu'une chose subsiste encore quand elle
n'est que perdue, et qu'au contraire nous
concevons qu'un homme n'est plus absolu-
ment quand on dit qu'il a été tué.
Aussi faut-il. dire que la perle d'une sub-
stance qui est immortelle de sa nature n'est
pas un passage de l'être au néant, mais un
changement d'un état heureux et naturel à
un état violent et malheureux. Celte expres-
sion de Jésus-Christ conduit donc naturelle-
ment de la réalité de la mort de l'âme à la
nature de cette mort, et c'est ce que je vais
essayer de vous faire comprendre.
Voici comme parle saint Augustin sur cette
matière. Notre âme, dil cet incomparable
docteur, est immortelle, parce qu'il y a en
elle une espèce de vie qui ne s'éteint jamais;
cependant elle est mortelle, mais ce n'est pas
en cessant d'être quelque chose de vivant, c'est
en perdant ce qui la fait vivre elle-même. Il y
a un principe dévie souverain, indépendant,
subsistant par lui-même, qui lui donne la vie
et ne la reçoit point. Ce principe, c'est Dieu
qui donne la vie à l'âme II y a un être dé-
pendant qui reçoit la vie et qui la donne, c'est
l'âme qui vivifie le corps. Enfin il y a un être
gui reçoit la vie, et qui ne la donne point;
c'est le corps. Ce qui est au-dessus donne la
vie à ce qui est inférieur : Dieu la donne à
l'âme, l'âme la donne au corps, et le corps n'a
rien au-dessous de lui. De sorte que, comme
par les lois de cet ordre établi entre les créa-
tures, poursuit saint Augustin, l'âme est la
vie du corps, de même Dieu est la vie de l'âme,
et comme il faut que l'âme, qui est la rie du
corps, lui soit présente pour l'empêcher de
mourir, il faut aussi que Dieu, qui est la vie
de l'âme, lui soit présent pour l'empêcher elle-
même de mourir. Qu'csi-ce dono> maintenant
que la mort de l'âme? C'est, dit saint Au-
gustin, la séparation de Dieu d'ave.- l'âme,
comme la mort du corps est la séparation de
l'âme d'avec le corps.
En ceci, mes frères, il n'y a point de méta-
phore, c'est un langage propre, exact, pré-
cis; car l'âme élan) spirituelle, elle ne vit
que par sa connaissance et par son amour :
ainsi, quand elle connaît Dieu et qu'elle
l'aime, elle trouve en lui sa vie et son bon-
heur, parce que Dieu est son souverain bien
et sa dernière (in. C'est pourquoi l'Ecriture
dil quo Dieu, qui esl celle sagesse, vivifie les
âmes de ceux dans lesquels il habite, en leur
inspirant sa connaissance et son amour. Si
1 - âmes viennent do c à perdre cet amour,
il s'ensuit qu'elles perdent la vie et quY
tombent dans la mort proportionné.: à l< cr
élre.
Mais ce qui nous trompe dans celte sorte
de mort, c'est qu'au lien que le corps, étant
séparé de l'âme, parait visiblement rnort,
parce que rien ne prend la place de l'âme
pour lui donner du mouvement elle faire agir
comme il taisait avant que l'âme en fut sé-
parée, au contiaire l'âme, étant séparée de
Dieu par la perle de son amour, conçoit en
même temps un autre amour, c'est celui du
monde; il lui donne une fausse vie, et il em-
pêche, par les mouvements qui l'agitent et
qui la remuent agréablement et selon la
penle de sa corruption, qu'elle ne recon-
naisse la mort effective qui lui a fait perdre
sa vie véritable.
Cette mort, c'est précisément la séparation
de Dieu d'avec l'âme, comme la mort du
corps est la séparation de l'âme d'avec lui.
Les organes lient l'âme au corps cl l'y re-
tiennent attachée, liaison de l'âme avec le
corps formée par l'institution de routeur de
toutes choses d'une manière que nous ne
comprenons point. Il y a de même une cer-
taine action de Dieu dans l'âme qui forme
une correspondance de celle âme avec Dieu
par une Gdélité pour lui cl une soumission
à ses volontés : c'est ce qui fait que l'âme vit
de Dieu et qu'elle agit pour Dieu. Un coup
violent fait une plaie au corps, rompt les
organes et cette liaison formée par l'aatenr
de la nature; l'âme se sépare, le corps tombe
mort et demeure sans mouvement; de même
un péché considérable interrompt celte cor-
respondance de l'âme avec Dieu ; la volonté
viole cette fidélité pour lui, Dieu se retire,
l'âme meurl ; mais comme l'âme par sa na-
ture est immortelle, toute morte qu'elle est,
elle ne laisse pas de communiquer la vie au
corps. Par où donc connailrai-jc qu'elle esl
morte pour elle-même, quoique vivante pour
le corps? Voici, mes frères, de quelle ma-
nière saint Augustin nous conduit à une
preuve sensible de cette mort dont nous ne
pouvons pas être juges.
Que je demande au corps s'il est rivant, dit
ce saint docteur, il me répondra : En pouvez-
vous douter, puisque vous voyez que je mar-
che , que j'agis, que je parle, que je fuis ce qui
m'est contraire, et que je cherche ce qui m'est
propre ? C'est donc par ces actions de l'âme
unie au corps que je connais qu'il est vivant;
mais si je demande à l'âme si elle est vivanti
elle-même, il faut qu'elle mêle fassevoir par des
actions qui ne sont propres qu'à elle seule;
car l'âme a aussi ses action* par où sa vie se
manifeste.
Je rois des pieds qui marchent , pour ne
parler à présent que de cette sorte de mouve-
ments; de là je conclus, dit ce saint docteur,
i/ue le corps est virant par la prisent» de
l'âme : ino>< jiour savoir si l'âme est vivante,
je demande a quoi l'àme se porlr-t-ellc par se*
désirs it ses affections? A un adultère, me ré-
529
SERMON POUR LE JEUDI DE LA QUATRIEME SEMAINE DE CAREME.
pond-elle; elle est donc morte. Car si la Vé-
rité même nous dit dans l'Ecriture qu'une
veuve, qui passe sa vie dans les délices est
morte, quoiqu'il y ait beaucoup à dire entre
une vie délicieuse et tin adultère, comment un
adultère ne donnerait-il pas la mort à cette
ûme, puisqu'une vie même sensuelle et déli-
cieuse la lui donne ? Il faut donc apprendre à
distinguer les morts des vivants : ceux qui ai-
ment Dieu sont vivants, parce qu'ils ont en
eux le principe de la vie, et on le reconnaît
par l'attachement qu'ils ont à suivre sa vo~,
lonté et à vivre selon ses lois. Ceux qui ne l'ai-
ment point sont morts en effet , parce qu'ils'
ont perdu cette vie. Ils ne suivent plus que.
leurs passions, et leur corps, suivant l'exprès-:
sion des saints Pères , n'est plus que le sé-
pulcre de cette âme morte réellement.
De cette vérité ainsi expliquée par saint.'
Augustin, qui nous donne une idée si pré-5
cise et si naturelle de celte mort spirituelle
de l'âme, il est aisé de vous faire voir quel
est son règne, et combien elle est multipliée
parmi les chrétiens dont la plupart sont sous
l'empire de cette mort. Ceci n'est qu'une
conséquence de ce que nous venons de dire ;
car si la mort de l'âme n'est autre chose
qu'une séparation de Dieu qui est chassé du
cœur par un amour contraire à celui que
nous lui devons, voyons-nous autre chose
parmi les hommes que des amateurs du
monde, c'est-à-dire des gens qui sont possé-
dés d'un amour qui chasse Dieu de leur cœur,
qui l'oblige de les abandonner? De sorte
qu'on peut dire de la face du christianisme
ce que dit Jérémie delà ville de Jérusalem
qu'il appelle la vierge, la fille de son peuple,
qu'elle est accablée sous la grandeur de ses
ruines, et que sa plaie est mortelle et incu
rable ; et pour faire voir que sa douleur n'est
pas s;ins sujet et qu'il ne verse pas des lar-
mes en vain, il ajoute, en faisant le détail de
ses maux cl en rapportant les ravages que
cette mort a causés : Si je sors à la campagne,
je trouve des gens que iépcea percés (occisi
gladio). Si j'entre dans la ville, j'en vois d'au-
tres (jui sont consumés peir la faim ( attenuati
famé). Les prophètes mêmes et les prêtres ont
été emmenés en une terre qui leur était incon-
nue.
Que celte description découvre de cho-
ses I Quelle idée fournit-elle, ô mon Dieu !
du règne delà mort 1 quelle image de l'ac-
cablement de l'Eglise, de la désolation
du christianisme figurée par celte vierge
cl cette fille bien-aimée. Je vois des morts
partout, et la lerre est toute couverte de
cadavres. Suivons un peu l'idée de ce pro-
phète, et entrons dans le sens de ces expres-
sions qui nous marquent si bien le règne
présent de la mort dans tous les étals.
Il dit d'abord que s'il sort à la campagne,
il trouve des gens que l'épée a percés: Oc-
cisi gladio; que veut-il nous marquer par
cette expression?
Ceci, mes frères, nous représente une es-
pèce de mort évidente, certaine et reconnue
de tous ceux qui ont quelque teinture de
christianisme, quelque connaissance de l'E-
R3Q
et des
vangile, quelque, notion de l'esprit
principes de la religion. Telle est la mort de
ceux qui vivent dans une profession con-
damnée par l'Ecriture et rejetée par l'Eglise,
comme un comédien, un usurier et d'autres
gens qu'on ne nomme point. L'état et la pro-
fession est le glaive qui les tue: Occisi gladio.
Tels sont ceux qui, établis dans une condi-
tion réglée, y mènent une vie qui ne l'est
point, qui passent leurs jours dans la mol-
lesse, dans le jeu, dans l'oisiveté; qui ne
sont occupés que de leurs intérêts, que de
leur fortune, que de leur établissement tem-
porel; qui se procurent des richesses par
toutes les voies qui ne les déshonorent point ;
qui sont remplis d'orgueil, de cupidité, de
fausse gloire, et de qui les sentiments et
toute la conduite sont opposés à l'esprit de
l'Evangile. Tels sont ceux qui sont livrés à
des passions grossières de toute espèce et à
de certains vices réels, sur lesquels pourtant
le monde ne fait presque plus d'attention.
Les uns, qui se laissent aller sans scrupule
à leur libertinage d'opinions sur les matiè-
res de religion qui les fait douter de tout, en
viennent enfin à ne rien croire: Occisi gladio.
Les autres, sans égard pour les intérêts du
prochain, s'abandonnent à la médisance et
n'épargnent ni rang, ni dignité, ni profession.
Ceux-ci conservent des haines invétérées que
rien ne saurait vaincre, et veulent bien qu'on
sache qu'ils sont sans retour pour de cer-
taines gens. Ceux-là retiennent le bien d'au-
irui et ne veulent point rendre justice à des
créanciers qu'ils font périr: Occisi gladio.
D'autres vivent tranquillement dans une
simonie manifeste, possédant des dignités de
l'Eglise où ils sont entrés par de mauvaises
voies, usant des biens des pauvres et du pa-
trimoine de Jésus-Christ, sans aucun égard
aux lois saintes qui en règlent l'usage. S» je
sors donc, comme dit le Prophète, dans la
campagne, je trouve des gens de tous côtés
que l'épée a percés; cl pour peu qu'on appli-
que cette idée de la mort de l'àme que je
viens de donner à l'état d'une infinité de
gens, on trouve que la lerre est loute jon-
chée de morts.
Entrez après cela dans la villeavecle même
prophète : ah 1 mes frères, que nous y ver-
rons de gens qui sont consumés par la fa-
mine 1 Ce qui va multiplier terriblement le
nombre des morts : car qu'importe que ce
soit par le glaive ou par la faim qu'on
perde la vie, si on la perd effectivement?
Mais qu'est-ce que le prophète a voulu nous
représenter par cux-cl ? Il dit que les morls
sont dans la ville : In civitatem. Ils ne sont
point exposés à la campagne comme les au-
tres; leur mort est plus secrète, il faut en-
trer chez eux pour savoir qu'ils sont morls.
Il dit qu'ils sont consumés par la faim:
Attenuati faine. La cause de leur mort est in-
térieure ; il ne paraît point de plaie sur leurs
corps, c'est une extinction de vie qui vient
du dedans. Ceci nous représente une autre
espèce de mort : c'est celle qui n'a pas les
marques extérieures de la première, mail
qui, laissant à ceux à qui clic fait perdre la
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
vie des dehors régléi el one conduite bou-
nêle, I09 jette dans une vie <>ù l'on ned
vrc |)oitii de désordres, où on ne remarque
nul engagement criminel, el dont on ne peot
pénétrer la corruption que par les lumièr s
de la toi, corruption dont on ne sort pres-
que jamais, parce que, l'on s'est formé â
môme de certain, principes.
Tels sont ceux qui, après avoir perdu la
vie de l'âme par des péchés el par des cri-
me-., n'ont jamais soncé à la recouvrer par
une pénitence véritable et solide, et qui,
s'é tant contentés d'enter une honnêteté
païenne, sur uni' vie criminelle, croient être
réconciliés avec, Dieu et vivre de sa vie, parce
qu'ils ont confessé leurs péchés su assurant
qu'ils en ont senti quelque douleur et qu'ils
en ont fait quelque légère satisfaction, sans
songer à faire des fruits dignes de péni-
tence, à assurer leur conversion, par les
exercices d'une vie appliquée, à combattre
les inclinations du vieil homme el à suivre
celles de l'homme nouveau et pénitent. Où
en trouve-l-on, mes frères, de vrais péni-
tents? Quel est l'homme qui, aprèc être tom-
bé dans le péché, se nourrit des larmes et de
la pénitence? Ecce atlenuati famé. Ce sont
ceux qui comprenn-nl qu'il suffit, pour être
mort devant Dieu, de n'être point animé de
l'esprit de Jésus-Christ. C'est ce qui fait que
saint Paul nous assure que «t quelqu'un n'a
point V esprit de Jésus -Chi ist, il n'est point à
lui. Et quel est cet esprit? Quel est l'homme
qui possède un esprit de prière? qui prie
et qui prie comme il faut, avec esprit de
dépendance ? qui est soumis en tout aux or-
dres dé Dieu comme il le doit? Car, dit l'A-
pôtre, si vous vivez selon la chair, vous mour-
rez ; mois si vous faites mourir par l'esprit
les passions de la chair, vous vivrez. Quel est
l'homme qui travaille à se combattre el à se
renoncer soi-même? Ne vit-on pas selon son
humeur? nedonne-t-on pas tout à ses incli-
nations ? les passions du cœur ne règlent-
elles pas tous nos mouvements? les croyons-
nous mauvaises quand elles ne sont pas
grossièrement criminelles ? Cependant la vie
de Jésus-Christ consiste dans la mortifica-
tion de tous nos désirs déréglés : Atlenuati
famé. Tels, encore une lois, sont ceux qui
laissent éteindre l'esprit de piété, et il suffit
pour l'éteindre de ne le pas nourrir; car tout
amour a besoin de nourriture ♦ c'esl-à-dire
d'exercice et d'action : si vous le laissez oi-
sif, il s'éteint et il meurt.
Or, mes frères, cet amour se nourrit par
la lecture cl par la méditation, par la prière,
Ear le recueillement, par toutes les autres
onnes œuvres. Pénétrez la vie de 1 i plus
grande partie des chré'icns. Entrez dans le
particulier de ce qu'on appelle des gens ré-
glés. Voyez-moi leur homme intérieur : il est
sec, il est affamé, il languit, il est sans vi-
gueur; vous en jugerez par leur peu de
force dans la pratique du bien et dans l'exer-
cice t'es vertus. Ils succombent à la moindre
épreuve; ils ne sont pas capables de soute-
nir U pins légère tentation; le moindre souf-
fle les abat : c'est qu'ils «ont atténues par le
delà ut <ie nourriture, l'h< nome intérieur meurt
de faim . /■.'• et attenuati lame.
Mais vu CI bien une autre désolation, i
que ceux qui pourraient rendre la vie à ces
morts sont bors d'état d< les -courir: car
le i ropbèls ajoute : Lu prophétie mêmes et
1rs prêtre» ont né emmenés en une terre qui
leur était inconnue.Que wut-il «lire par cette
expression?* oifie.si je nemetromp ,
que la mort a pénètre jusque dans le sanc-
tuaire, et qu'il l'eu trouve, parmi ceux que
leur ministère destine â conseï i er la \ ie des
autres , qui l'ont pi rdu
les passio n et l'intérêt ayant mêlé !< s prê-
tres avec le monde, i.s le trouvent dans une
terre qui devrait leur être inconnue, et ils
parlent un langage qui n'est propre ni à res-
susciter ceux (iui sont morts, ni a empêcher
de mourir ceux qui vivent encore.
Ainsi, mes frères, ne puis-je pas ajouter
avec, le prophète celle funeste prédiction,
fondée trop véritablement sur le ;>'e
état des choses présentes : II» mourront de
divers genre» de maladies; il» ne teroni ni
pleures, ni ensevelis ; ils seront exposés comme
un fumier sur la face de la terrr '
Remarquez dans ces paroles du prophète
que divers genres de maladies produiront
différents genres -de mort : ainsi il y a un<:
corruption à portée de chacun, et peu de
personnes songent à s'en garantir.
Remarquez que les morts ne seront ni
pleures, ni ensevelis. Peu de personnes con-
naissenUe danger; on vil ave les morts,
on cil, on joue, on se plaît avec eu\, lien
loin d'en avoir de l'horreur. Enfin le pro-
phète dit qu'ils seront exposes comme un
fumier sur la face de la terre; le mauvais
air et ;elte corruption se répandent et se
portent partout, comme l'odeur el l'infection
d'un fumier qui n'est pas couvert.
Vous voyez donc dans celte expression
l'idée de la funeste contagion de celle mort
de l'âme, dont je viens de vous montrer la
règne, après vous en avoir explique la na-
ture ; essayons, eu finissant celte première
partie, de vous en faire senlir le danger.
Ce ne sera pas un jeu li'esprit. ni une (i -
tion tirée de mon imagination, quand je vous
dirai, sur le témoignage d'un prophète, que
nous habitons dans un pays où tout est (ou-
vert de cadavres empestes, qui e\halenl
dans l'air un venin mortel pour les corps
vivants, qu'on ne saurait s'empêcher de res
pirer cet air contagieux et empoisonné, qu'il
arrive de là que les habitants de ce pays sont
la plupart livides el d< ares, et qu'ils y
traînent une vie misérable el languissante.
C'est ainsi que parle l'Ecriture pour nous
représenter les maux spirituels dis anus
sous la figure des misères temporelles : mais
cela n'égale point encore la réalité des cho-
ses : ce n'est point une exagération de vous
dire que le monde e l plus dangereux pour
.mes que le pays doal de vous
tracer l'image ne le serait pour les corps. La
différence infinie qu'il y a des biens et des
maux de l'âme a cm. du corps, de l'éternité
535
SERMON POUR LE JEUDI DE LA QUATRIEME SEMAINE DE CAREME.
SSI
au temps, fait que toutes ces comparaisons
sont faibles et toujours infiniment au-des-
sous de la vérité. Tel est notre état, je sais
bien qu'il y a eu en tout temps des crimes;
mais prenez garde, mes très-chers frères,
qu'ils étaient en quelque sorte couverts et
ensevelis dans l'antiquité par la discipline
de l'Eglise qui les punissait, par l'horreur
que le commun des chrétiens en avait, et
par la pénitence de ceux qui se relevaient :
ce qui les empêchait de nuire aux autres et
d'être contagieux. Mais à présent nous pou-
vons dire que ees péchés ne font plus d'hor-
reur. On ne voit presque plus personne qui
en fasse pénitence, on n'y pense point ,
personne n'en, est plus noté ni déshonoré.
L'exemple des crimes se répand partoutcom-
me une mauvaise odeur qui infecte l'Eglise.
il n'y a rien de plus contagieux que celte
mort, elle passe de l'âme de ces cadavres à
celle des autres avec une promptitude ef-
froyable, elle entre, elle s'insinue, elle se
communique par tous les sens. Ceux qui
aiment le monde et de qui l'âme est morte
par cet amour, l'inspirent par tout ce qu'ils
font; il est marqué à ce déplorable carac-
tère de mort; on ne voit presque rien en
eux qui ne soit capable de l'imprimer dans
le cœur des autres. J'atteste ici votre cons-
cience, mes très-chers frères, et je vous de-
mande si vous trouvez beaucoup de gens
dans le monde dont l'exemple et les paroles
vous portent à aimer Dieu, qui vous inspi-
rent le mépris du monde, qui vous appren-
nent à haïr ce que saint Paul appelle les dé-
sirs séculiers. Je vous demande si les dis-
cours de presque tous ceux qu'on voit et
avec qui on converse inspirent autre chose
que l'estime et l'amour du monde, si ce n'est
pas ce qui remplit les conversations ; si on
en sort plus porté à la prière, à l'humilité
et à la pénitence.
Cet affaiblissement insensible de l'amour
de Dieu qui cause une mort invisible conduit
à la mort visible par les péchés grossiers;
houvenez-vous de ce que nous venons de re-
marquer dans l'expression du prophète, que
de diilérenles maladies produiront de diffé-
rents genres de mort : car il faut que je vous
découvre encore une illusion très -perni-
cieuse qui règne dans le monde, et qui est
tout ensemble un effet et une cause funeste
de mort. C'est qu'on ne songe presque qu'à
éviter certains effets grossiers et extérieurs
des passions, et qu'on ne donne nulle atten-
tion a se garantir des causes de ces effets
qui sont les passions mêmes. Il n'y a guère
de mères", par exemple, qui aient assez peu
d'honneur pour vouloir que leurs filles se
laissent aller à des libertés qu i puissent les
déshonorer devant les hommes; ce sont là
ces ((Tels extérieurs des passions, qu'elles
oui soin d'éviter avec beaucoup de raison;
mais elles veulent bien qu'elles fassent ce
qu'elles peuvent pour se rendre belles, agréa-
bles , capables d'inspirer de l'amour, et
qu'elles bornent là loule leur application.
Elles nourrissent ces passions par leurs dis-
i>, elles veulent bien qu'elles se trou-
vent dans les conversations, dans les assem-
blées, où elles attirent les regards et les
complaisances des jeunes gens; c'est-à-dire
qu'elles ne comptent pour rien que ces filles
avalent à longs traits l'amour du monde, et
qu'elles se remplissent de l'idée de ses plai-
sirs en en remplissant les autres. Mais qui
leur a dit que cette corruption et ce poison
reçus dans des cœurs faibles, faciles et ten-
dres, n'y produiront pas leurs effets naturels.
C'est déjà les livrer à la mort que de leur
inspirer l'amour du monde et d'elles-mêmes,
et de les faire tomber dans l'oubli, de Dieu ;
mais cela va d'ordinaire plus loin.
Qui peut porter du feu sans être bridé? Qui
peut toucher de la poix sans se souiller, dit
l'Ecriture ? On ne meurt qu'une fois selon le
corps, et on meurt d'une infinité de manières
selon l'âme : une mort en produit une au-
tre, les objets du monde qui remplissent
l'âme lui font oublier Dieu et y éteignent son
amour, voilà la mort. Cependant on ne laisse
pas, selon la coutume, de fréquenter les sa-
crements, et on les profane en les fréquen-
tant. On tombe par là dans la dureté et dans
l'aveuglement du cœur; les idées des péchés
deviennent plus vives et les tentations plus
fortes. On s'engage dans les péchés grossiers,
On devient de ces morts qu'on ne pleure ni
qu'on n'ensevelit point; et, pénétrés de la
corruption , on se rend contagieux pour les
autres, comme les autres l'onlétê pour nous,
et on contribue à entretenir cette infection
générale qui corrompt tout.
Je n'ai plus rien à vous dire, mes frères,
sur cette mort de l'âme figurée par celle du
jeune homme de cet évangile; j'en ai prouvé
la réalité, expliqué la nature, montré le rè-
gne, découvert la contagion : il ne nous reste
plus qu'à nous examiner nous-mêmes, pour
reconnaître si cette infection ne nous a point
gagnés, et quel peut être le degré de notre
mort si cette infection est venue jusqu'à
nous : c'est le sujet de la seconde partie.
SECONOE PARTIE.
il faut suivre un ordre dans l'examen que
nous avons à faire, et nous attacher à des
idées fixes pour reconnaître jusqu'à quel
degré l'infection de celle mort si commune
peut être venue jusqu'à nous.
Le premier et le moindre de lous ces
degrés, c'est lorsque cette mort est formée
véritablement, mais qu'elle demeure renfer-
mée dans l'âme ; le second, plus dangereux,
c'est lorsque non-seulement la mort est for-
mée, clans l'âme, mais qu'elle est produite au
dehors par des actions qui augmentent et
qui fortifient l'infection générale; le troisième
cl le plus déplorable de tous, c'e-t lorsque
non-seulemenl la mort est formée et pro-
duite au dehors, mais confirmée par tout ce
qui peut assurer le règne du péché cl sou-
mettre l'âme à l'empire de la mort. Saint
Augusiin nous propose des exemples de
morts différents dont il est parlé dans l'E-
vangile, et comme il attache aux différentes
circonstances des états de ces morts les idées
des effets de celle infection commune qni
B5S
fait perdre la vie de l'Ame, nous ne saurions
rien faire de mieux que de nous servir de
ces exemples pour entrer dans ces idées et
reconnaître plus aisément noire état.
Le premier de ces morts que produit ce
saint docteur, c'est la tille de Jaïr, un chef
de la Synagogue; le second c'est le fils de la
veuve que l'évangile produit aujourd'hui ;
le troisième c'est Lazare dont l'évangile de
demain rapporte l'histoire. Or voici les diffé-
rences qu'il met entre ces morts, les idées
qu'il nous donne et les éclaircissements qu'il
faut en tirer pour reconnaître le degré de la
mort de l'âme. La fille du chef de la Synago-
gue était morte véritablement ; mais elle
était encore dans l'intérieur de la maison,
elle n'avait pas encore été enlevée de là pour
être exposée à la vue du public. Quel éclair-
cissement saint Augustin prétend-t-il que
nous tirions de là? Le voici, c'est qu'il y a
des pécheurs dont le péché est encore dans
le cœur et n'a pas été jusqu'à l'action exté-
rieure : par exemple, il se sera formé un
mauvais désir dans le cœur d'un homme, le
péché est déjà en lui, puisque le Seigneur
nous dit que quiconque aura regardé une
femme avec un mauvais désir a déjà commis
le péché dans son cœur. Dès que son cœur
s'est laissé aller au mauvais désir avec un
plaisir réfléchi, c'est un mort; l'infection a
gagné son âme, le mauvais amour en a
chassé Dieu, et cette séparation fait sa mort.
Si nous voulons nous servir de cette idée
pour reconnaître notre état, il faut examiner
si la mort s'est formée dans notre âme par
un désir mauvais; mais pour prendre sur
cela des idées précises, il faut bien remar-
quer que trois choses concourent à former
un mauvais désir, et qu'il ne les faut pas
confondre : la suggestion, la délectation et
le consentement.
Expliquons tout ceci par l'histoire de ce
qui se passa dans la chute de nos premiers
parents. Le serpent suggéra à Eve de man-
ger du fruit défendu. Eve considéra le fruit,
elle trouva qu'il était bon à manger et agréa-
ble à la vue ; elle en prit cl elle en mangea.
Adam, sollicité par sa femme, en mangea
avec elle : ces trois mouvements nous mar-
quent ce qui concourt à former la première
espèce de mort, et voici comment.
Les sens extérieurs, figurés par le ser-
pent, présentent à la volonté les amorces du
péché dans les objets agréables qu'ils con-
naissent : c'est ce qu'on appelle la sugges-
tion, figurée par Eve qui considère le fruit
et qui en mange. La volonté, charmée par
ces amorces trompeuses, en goûte, c'est-a-
dirc y prend quelque plaisir : voilà ce qu'on
appelle la délectation. Enfin celle volonté
terrestre , figurée par Adam , se laisse cor-
rompre jusqu'à vouloir jouir des créatures
dont elle ne devrait se servir que pour la né-
cessité, et donne un consentement formel à
ce plaisir et au désir d'en jouir et de s'y at-
tacher contre l'ordre cl le commandement
de Dieu : c'est là ce qu'on appelle le consen-
tcinenl qui fait la mort de l'âme.
Retenez donc, s'il vous plaît, que ce n'est
ORATEURS SACHES. DOM JLHOME.
ni la suggestion, c'est-à-dire un certain plai-
sir involontaire excité dans les sens i la vue
des objets qui fait le péché, comme ce n'a
éténi la présentation du fruit faite par le
serpent, ni la réflexion d'Kve sur la beauté du
fruit, ni même l'indiscrétion d'en avoir pris,
qui a fait la désobéissance de I homme et le
malheur de toute la nature : c'est l'usage
qu'Adam a fait de ce fruit contre l'ordre de
Dieu.
Prenez garde pourtant que la suggestion
et la délectation disposent au péché, qu'il
faut éviter les occasions, veiller, prier, mor-
tifier ses sens. Adam n'aurait pas consenti si
le serpent n'eût pas parlé à Ere, et m Eve ne
l'eût pas sollicilé. 11 faut craindre, mais aussi
il ne faut pas prendre de fausses idées, il n y
a que le consentement formé qui sépare 1 âme
d'avec Dieu , et qui le chasse du cœur par
l'effet du mauvais amour. 11 ne faut donc pas
nous effrayer, puisque lorsqu'il n'y a que la
suggestion cl la délectation qui se fonl res-
sentir sans que le cœur y consente , cet état
est bon, et sans un miracle que Dieu n'a fait
qu'en faveur de Marie , nous ne saurions
éviter ce combat durant le cours de celle vie.
Comme, selon l'Apôtre, la choira des désirs
opposés à ceux de l'esprit, qui de son côté en
a de contraires à eux de la chair, celle op-
position ne doit pas nous troubler, elle est
dans l'ordre de Dieu ; mais elle doit nous
rendre vigilants et nous porter à recourir a
Dieu par la prière , à éviter tout ce qui peut
exciter et fortiGer cette opposition au mal
qui est en nous, à demandera Dieu qu'il
fasse par sa grâce que cette opposition à sa
volonté qui est dans nos sens, et qui est for-
tifiée parla suggestion, ne monte pas jusqu a
notre volonté par le consentement, mais
qu'il fasse que sa volonté s'accomplisse en
soumettant la chair et les sens à l'esprit.
Voilà, mes frères, quel esl le degré de
mort causé par le consentement forme et
déterminé; car enfin, pour mettre en repos
les consciences timorées, lorsque le Seigneur
dit dans l'Evangile -.Quiconque regardera une
femme avec un mauvais désir sur elle . a déjà
commis l'adultère d ns son cœur, il faut re-
marquer que le terme de voir renferme une
sorte d indifférence, que convoiter en voyant
approche bien près à la vérité du péché,
quoiqu'il puisse n'être pas péché, mais que
voir pour convoi! r, comme dit sainl Chry-
sostome , c'est se trouver dans une telle
disposition qu'il n'y ait que le défaut d oc-
casion et les empêchements extérieurs qui
arrêtent; que la volonté alors est pleine de
désirs mauvais cl de l'amour du pèche, et
c'est ce consentement qui donne la mort i
l'âme et qui chasse Dieu de noire cœur.
Le second m ri que saint Augustin pro-
duit, c'est celui de notre évangile. Celui-ci
n'était plus dans la maison , mais il n était
pas encore dans le sépulcre. On le portail
hors de la ville, m lis il n'était pas encore
enterré, et \oiei, selon saint Augustin , ce
que celui-ci nous représente. H ) <li,,,s pé-
cheurs qui vonl du consentement g 1 action ;
ce sont des morls qu'on porte en terre,
537
SERMON POUR LE JEUDI DE LA QUATRIEME SEMAINE DE CAREME.
538
lorsque ce qui était caché au dedans vient à
paraître au dehors. Ce degré est celui des
personnes qui ne sont pas seulement mortes
par la séparation de leur âme d'avec Dieu ,
mais qui font voir aux autres par leur con-
duite la corruption de leur cœur. Ce second
degré de mort est bien plus dangereux que le
premier; car, outre qu'il y a plus de mal à
exécuter un mauvais désir qu'à y consentir,
c'est que la plupart des personnes s'imagi-
nent qu'il n'y a pas un grand péril à se sa-
tisfaire une fois. Je comprends fort bien que
la faiblesse et la curiosité sont quelquefois en
un certain sens plus opposées à la vertu que
le vice même, c'est-à-dire qu'elles engagent
plus ordinairement, surtout d'abord, dans le
péché, que l'amour du vice. On se flatte que
cela n'aura pas de suite, parce qu'on n'a pas
envie d'y persévérer et qu'on en reviendra
aisément. Ah! mes frères , qu'il se fait do
morts de cette espèce tous les jours , et qu'il
est dangereux de tomber dans cet état!
N'est-ce pas une chose terrible de se mettre
de gaieté de cœur dans un état de damnation?
Car quiconque commet un péché mortel tue
son âme, chasse Dieu de son cœur et se ré-
duit dans cet état d'où Dieu n'est pas obligé
de nous retirer. Peut-être que ce premier
-péché sera celui par où commencera la chaîne
funeste de notre damnation et qui nous con-'
duira à l'habitude dans le péché, et c'est le
troisième degré de mort Gguré par Lazare,
selon saint Augustin.
Lazare n'était pas seulement mort, il était
dans le sépulcre. Toutes les circonstances de
celte mort et de cette sépulture sont effroya-
bles, et les applications au chrétien mort parle
péchéd'habitude sont sensibles. Représentons-
les avec les paroles de saint Augustin, afin
que chacunpuisse reconnaître s'ily a quelque
chose qui lui convienne, pour prendre sur
cela ses mesures et pour se préparer à la
grâce de la résurrection qu'on peut encore
espérer, et de laquelle nous parlerons de-
main. C'est un mort de quatre jours , il est
enseveli sous la terre ; il répand une puanteur
insupportable quand on en approche; il est
chargé d'une grosse pierre; ses pieds et ses
mains sont liés et son visage est bandé : toutes
circonsiances différentes qui rendent celle
espèce de mort plus terrible, quoique très-
commune. Ils sont ensevelis sous la terre;
ce sont ceux qui, à force de faire le mal , en
contractent une habitude cjui les domine;
celle habitude, ne leur permettant pas de se
reconnaître pour ce qu'ils sont, fait qu'ils se
soutiennent et qu'ils se défendent comme les
habitants de Sodome, qui, trouvant mauvais
que Lolh les reprit de leurs abominables
desseins, lui disaient -.Onvous a reçu ici pour
y htibiter, et non pas pour y donner des lois.
Leurs abominations les dominaient et les of-
fusquaient de lelle. sorte que parmi eux l'ini-
quité passait pour justice , et que ceux qui
s'y opposaient passaient pour plus blâmables,
dit saint Augustin, que ceux qui les com-
mettaient. Voilà, mes frères, ce que nous dit
l'Iicrilure : la mort, le jugement, l'enfer, sont
à leur égard comme s'ils n'étaient pas : un
aveugle marche sans crainte sur le bord d'un
précipice, un somnambule va partout: étrange
étal ! terrible degré de mort ! Examinez-vous;
mais voici quelque chose de plus étrange et
de plus déplorable : ils répandent une puan-
teur insupportable quand on en approche ,
et il est même difficile de s'en approcher sans
en être infecté. Les mauvaises raisons , les
mauvaises plaisanteries, les impiétés que ces
sorles de personnes disent quand on veut les
porter à quitter leur état, obligent les gens
de bien à s'en éloigner. Ne serait-ce point ce
que signifie l'espèce de difficulté que Marthe
fit de conduire Jésus-Christ au sépulcre de
Lazare? Il sent mauvais, lui dit-elle. De plus,
le pernicieux exemple donné engage d'autres
à le suivre; par là ils se rendent coupables
de la perte de plusieurs âmes , ce qui rend
cet élat de mort beaucoup plus déplorable ;
car Dieu se venge sur eux des péchés dont
ils ont été la cause, et tel sera perdu non-
seulement pour ses propres crimes, mais
pour ceux des autres dont il aura été cause :
effroyable degré de mort! Ce n'est pas tout :
ils ont encore une pierre sur eux , qui n'est
autre chose que le poids de l'habitude dans
le mal. S'il arrive par hasard que quelque
vérilé vive vienne à frapper l'esprit d'un tel
pécheur, que quelque chose de sensible et do
touchant remue son imagination , et qu'il
songe à faire quelques efforts pour sortir do
l'état dangereux où il se voit réduit, il trouve
comme une grosse pierre qui l'arrête; il est
comme contraint de retomber dans ses pre-
mières misères.
Et en effet , en voyez-vous beaucoup qui
quittent une habitude à laquelle ils se soient
livrés depuis longtemps? Non, mes frères,
nous mourons presque tous comme nous
avons vécu, et lorsque par une longue habi-
tude l'âme a contraelé une forte alliance avec
la mort , elle devient comme impénétrable à
toutes les lumières de la vérité, elle se laisse
entraîner dans les vices sans résistance et
sans réflexion : loute pénétrée d'oppositions
et d'obstacles à la vertu, d'amour pour le
plaisir , d'abandonnement aux objets de ses
passions, elle se réduit à un état qui appro-
che bien près de l'inflexibilité des démons.
Enfin l'Evangile ajoute que les pieds et les
mains de Lazare étaient liés de bandes , et
que son visage était euveloppé d'un linge, ce
qui nous marque les affections du pécheur
pour son état, et ce qui l'empêche d'en avoir
horreur. Il y est lié par mille engagements
qu'il ne peut plus rompre : les différentes
liaisons qu'il a avec plusieurs personnes
pour ses affaires, pour ses intérêts, pour ses
plaisirs, un nombre infini de considérations
l'arrêtent, cl, somblablc à ces animaux qui
sont pris par les pieds dans des filets ou dans
des pièges, et qui s'efforcent inutilement de
s'en tirer, il ne sorl plus de là sans dos ef-
forts qu'il ne fait guère, et sans s'exposer à
une sorte de douleur que peu de gens ont
assez de force pour souffrir.
Qu'il est déplorable de se trouver dans un
pareil étal ! mais qu'il est facile d'y tomber I
Ce chemin se fait sans qu'on s'en aperçoive.
539
ORATF.l'RS SACRES. DO M JLROME.
'
On passe aisément de la suggestion ;ï la dé-
lectation, de la délectation au consentement,
el v'iiiïi l.i mort : il n'en foui pas davantage
jour perdra Dieu. Du consentement à l'ac-
tion il n'y a (ju'un pas, et vila la cnnlln
lion dans l'étal de la mort, et une perte de
Dieu très-difficile à réparer. Les actions de
mort forment les habitudes. Pins on s'éloigne
de Dieu, moins on s'aperçoit qu'on en est éloi-
gné; plus nus ténèbres s'épaississent , plus
la volonté se corrompt; plus le cœur se lie
aux objets du mauvais amour, plus on s'en-
fonce d.ms l'abîme et plus on forme d'obsta-
cles au retour à la vie et aux miséricordes
du Seigneur; et ceux-là, dit saint Augustin,
Boni en quelque façon désespérés.
Lxaminez-vous, chrétiens, sur celte idée :
voyez à quoi vous en êtes ; mais surtout
recourez au Sauveur du monde, qui, comme
l'unique source de la vie, peut vous préser-
ver de la mort, dont le règne est si étendu
dans le monde, et au milieu de laquelle nous
marchons tous les jours, étant en commerce
avec ceux qu'elle a corrompus, et respirant
un air si propre à nous ôter la vie.
Que si nous sommes déjà corrompus, Sei-
neur, éclairez nos yeux , afin que nous ne
nous endormions pas d'un sommeil de mort,
et que nous apprenions à sortir de celle où
noussommespeut-êtreengagés sans lesavoir.
C'est, mes frères , ce que nous vous ensei-
gnerons dans le discours de demain , avec la
grâce du Seigneur que je vous souhaite.
Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE VENDREDI DE LA QUATRIEME SEMAINE
DE CARÊME.
Sur la résurrection de l'âme.
La/aro, voni tons; cl station prodiit qui fuerat moriuus.
Lazare, sortez du tombeau; el à l'inslatil le mort en sortit
{Jom., XI, 43).
Nous vous | arlâmes hier de la mort de
l'âme, il faut vous parler aujourd'hui de sa
résurrection. L'âme perd la vie par le pèche,
elle la recouvre par la grâce. Dieu seul est
auteur de cctlc grâce, c'est de sa bonté q
nous devons l'attendre ; car c'est Jésus-Christ
seul qui tire Lazare de la mort. Tout ce qui
se passe ici n'appartient qu'à sa seule majesté,
c'est à lui à ressusciter. Or, mes frères, ap-
prenons dans ce discours la manière de faire
tout ce qu'il faut pour passer de la mort à la ■
vie. Je vous proposai hier ces trois morts ,
sur lesquels vous avez dû vous examiner :
apprenons aujourd'hui ce que nous devons
faire pour sortir du funeste état do la mort
du péché, en étudiant les circonstances qui
accompagnent la résurrection de ces trois
personnes; mais comme les deux premières
ne nous représentant que la mort causée par
le péché actuel, cl que celle du Lazare nous
représente la mort du péché d'habitude, nous
ne ferons que deux parties dans ce discours.
Dans la première nous étudierons toutes
les circonstances qui accompagnent la ré-
surrection de la fille du prime et celle du
jeune homme que l'Evangile nous proposait
hier, et nous apprendrons ce qu'il faut laire
pour sortir de la mort causée parle p>
actuel • il tns la seconde nous nous applique-
rons tout ce qui se p ,sse dans la résarreetioa
de Lazare , afin d j apprendre ce qu'il faut
observer pour sortir de l'étal fum
mort si terrible causée parle p ibi-
tnde. ! ii deui mots, l'idée de la r< surreetioa
de l'âme qui i perdu la vie par I" péché :
première partie; l'ordre de la i on
de l'âme qui est livrée à l'emp re de l mort
par les pèches d habitude : sec onde pari S.
Demandons l'assistance dn ciel. Ave, Maria.
PREMIÈRE PAHTII .
Je commence par ce qui regarde la résur-
rection de la fiile dn chef de la SynagegtM,
qui est l'image de la premi e i >n
de l'âme, cl nous trouverons dan- ni-
ple ce qu'il faut faire pour sortir d entre les
mains de la mort, lorsq -.e malheureosesasssJ
on s'y es1 livré par !e consentement au péché.
N'allez pas croire, mes frères, que l'état du
pécheur représenté par la mort de celle jeune
fille ne s>it pas déplorable, p ireo que le Sau-
veur du monde a parlé de cette mort SSSlt
d'un sommeil. Cette plie, dit-il, n'eut pou
morte, elle n'eut qu'endormie ; car il parla à
peu près de même de la mort de Lazare, qui
est la figure de la plus déplorable de ton
les morU; ma s il a voulu nous faire enten-
dre, en se servant de cette expression, que
la mort du péché dans les élus n'est absolu-
ment qu'un sommeil, parce qu'ils s'en relève-
ront infailliblement; ce qui nous apprend que
nous ne devons jamais désespérer de la con-
version de personne, et qu'il ne fauf jamais
refuser nos soins à quelque pécheur que ce
puisse ère, puisque la mort 1 i plus profonde
n'est qu'un sommeil à l'égard de celui qui a
ressuscité Lazare, comme par rapport à celle
fille. Ne désespérons donc jamais de per-
sonne, mais apprenons ce qu'il faut faire
pour ne pas espérer en vain.
Or, mes frères, la résurrection de l'âme, en
quelque degré de mort que nous soyons tom-
bés, est l'ouvrage de la grâce de Jé-us-Chi ist
à l'égard de qui toute mort esl un sommeil,
cela esl certain : mais la grâce de Jésu^-
Christ qui agit en nous n'agit pis sans nou*,
c'est une autre vérité aussi certaine que la
première. Aussi prenez garde que les évan-
gélistes, en racontant l'histoire de cette i -
surrcclion, disent que le Sau\eur du monde
lui prit la main, ce qui signifie que la main
\ ivantede Jésus-Christ s'unit à la main morte
de cette fi. le, el que c'est par celte union
que la fille esl ressuscilee. La vie sort de la
main de Jésus-Christ ; celle main esl comme
l'instrument de sa divinité, qui s'est unie à
l'humanité dans la personne du Verbe; i la
main de la fille esl vivifiée par la vie que
JésUS-Chrisl opère en toute sa peis nie ;
ainsi, mes frères, l'âme est prévenus pai la
et ressuscitée par le consent ment
que la volonté don . ■ elle-même par '
I OUVra jeesl commun entre I' ne et 1",
Il est donc tr '-s-im; ortanl d'étudier ui
se passe dans celle résurrection . afin que
nous apprenions ce que non- devons 'tire,
541
SERMON POUR LE VENDREDI DE LA
pour ne pas manquer à ce qui nous regarde
dans l'œuvre de la résurrection de notre
âme, qui doit être commun entre JésUs-Christ
et nous.
Or il faut observer dans l'histoire de celte
résurrection , 1° que le père de cette fille
était allé trouver le Sauveur du monde pour
le prier de la venir secourir dans sa maladie,
et il continue de lui faire ses sollicitations,
quoiqu'on fût venu lui apprendre la nouvelle
de sa mort, et qu'on voulût lui persuader de
laisser Jésus-Christ en repos, puisqu'il n'y
avait plus rien à faire, sa lille étant morte ;
cependant il ne le quitte point, il l'amène
dans sa maison. 2° Que le Sauveur du monde,
en entrant dans cette maison, en chasse une
troupe de personnes qui faisaient du bruit et
qui pleuraient; il leur dit : Retirez -vous.
3° Que Jésus-Christ ayant fait retirer toute
celle foule de gens qui ne faisaient que du
bruit et de l'embarras dans cette maison , il
prend le père et la mère de cette fille, et il
entre avec ses disciples au lieu où elle élait
couchée, et il 1 1 ressuscite en lui prenant la
main , et en lui disant : Ma fille, levez-vous.
De là j'apprends ce que nous devons faire,
nou-scuiement pour sortir de l'état de la
mort causée par le péché actuel de consen-
tement, mais même pour nous garantir d'y
retomber, lorsque Dieu nous en aura retirés
par sa grâce.
Il faut s'humilier profondément, et recou-
rir à Jésus-Christ par la prière ; il faut chas-
ser le monde d'autour de nous ; il faut s'ac-
coutumer à marcher toujours en la présence
de son père et de sa mère.
Or, mes frères, tout ceci nous montre que
la pénitence de l'âme ne s'ohlient que par
l'humiliation, par la prière et par le secours
de Jésus-Christ, qui est l'unique source de
la vie. Ce que doit faire par conséquent un
chrétien qui remarque en son âme un grand
affaiblissement dans le bien, qui languit
dans l'accomplissement de ses devoirs, et qui
a sujet de craindre d'être tombé, parce qu'il
s'est vu exposé à de violentes tentations, par
lesquelles il se trouve encore agile, c'est de
recourir à Jésus-Christ, comme le père de
la fille de qui nous parlons, de s'approcher
de lui par la foi , de s'humilier sincèrement
dans la vue de ses profondes misères, de lui
exposer ses dangers , ses besoins avec une
foi vive et une ferme confiance en ses misé-
ricordes ; car c'est cette confiance que les
saints Pères ont appelée avec tant de raison
l'Ame de la prière ; il faut qu'il pleure, qu'il
gémisse, qu'il redouble ses sollicitations et
ses instances , et qu'il ne craigne point de
fatiguer celui qui est le maître du cœur et
l'auteur du salut : c'est par là qu'il obtien-
dra le retour de la grâce et la vie de son âme.
Mais pour conserver cette grâce recouvrée,
par une pénitence sincère , solide, parfaite,
et qui ne peut être telle, si elle ne nous fixe
pas dans le bien où elle nous rétablit, il faut,
à l'exemple de. Jesus-Chrisl , éloigner les
g''iis qui foui du hruileldu tumulte: ce qui
iious apprend d'abord que jamais Jésus-
Christ ne rentic dans le cœur du chrétien, si
QUATRIEME SEMAINE DE CAREME. 542
le monde n'en est sorti. Comme le mauvais
amour y a introduit la mort, il faut qu'il en
soit chassé, afin que le bon y remette la vie;
et ceci ne se peut faire que dans l'éloigne-
ment et la séparation du monde corrompu.
Jésus-Christ étant inaliénable avec lui , il le
chasse où il veut entrer ; la séparation exté-
rieure du monde et l'éloignement de son
commerce est un grand acheminement à ce
retour.
Mais ce qui est capital pour éviter de re-
tomber dans le péché , c'est de chasser le
monde de son esprit, en se précautionnant
contre ses maximes et ses principes, qui sont
opposés à ceux de Jésus-Chrisl et de son
Evangile, et qui corrompent le cœur, quand
on ne prend pas soin de les rejeter. Car qui
est-ce qui donne lieu , si ce n'est le monde,
à ces péchés de pensée qui tuent l'âme par
le consentement, qui n'est autre chose qu'un
désir ci un attachement de cette même âme
à ce qui est contraire à la loi de Jésus-Christ,
péchés que l'Apôtre appelle les passions
mondaines , sœcularia desideria , c'est-à-dire
les désirs déréglés des choses du monde,
comme le luxe des habits, les délices de la
table, la magnificence des maisons, l'amour
de celte vie mortelle et de la fortune, des di-
gnités, de la réputation, du faux honneur?
L'usage modéré de tout cela n'est pas dé-
fendu par la loi de Jésus-Christ : c'est l'a-
mour, c'est l'attachement du cœur, c'est
l'usage immodéré que les passions nous en
font faire, qui sont contraires à celle loi.
Or, mes frères , ce qui nous inspire cet
amour et cet attachement , et ce qui nous
jette dans leur usage déréglé, ce sont les
maximes du monde , c'est l'estime qu'il fait
de toutes ces choses, c'est le soin qu'il prend
de les relever beaucoup, c'est l'approbation
qu'il donne à l'état et à la conduite c!e ceux
qui possèdent ces biens avec abondance, et
qui en fout un usage éclatant ; eu sorte que
ceux qui sont frappés par ce faux éclat re-
gardent comme très -heureux ceux qu'ils
voient dans celte jouissance et dans cet
usage. C'est justement ce qui donne de l'es-
time pour ces biens, cette estime en inspire
de l'amour , de cet amour naissent le désir
qui forme dans l'âme le consentement et
l'envie de les poursuivre , de les posséder et
d'en user sur le pied des autres ; et voilà ce
qui fait le règne de la cupidité et la. mort in-
térieure de L'âme.
H faut donc qu'un chrétien qui veut en
conserver la vie rejette ces pensées, qu'il se
précautionne contre leurs impressions , et
qu'il regarde toutes les maximes du monde
comme autant de dangereuses illusions, ca-
pables d'abuser son esprit et de séduire son
cœur, cl parce qUc ces maximes* s'enseignent
ouvertement dans le commerce (lu monde, et
que c'est là où ce que l'usage de . es faux biens
a de touchant se lait sentir, où les entretiens
et le coin rsalions,GÙ la vue des objets dan-
gereux et l'usage'des choses défendues four-
nissent la matière de- pensées, cl les pensées
celle des désirs, il fui! que le chrétien chasse
le inonde corrompu el dangereux, qu'il s'en
OHATECRS SACRLS. DOM JEROME.
lionne séparé, qu'il n'ait de commerce awc
lui que pour la nécessité, et toujours avec
précaution ; qu'il éloigne CCS joueurs de flûte
que le Sauveur chasse, c'est-à-dire ces gens
de fracas et de bruit qui ne tendent qu'à le
jeter dans l'embarras des affaires, dans le
tumulte des [tassions, dans l'enivrement des
plaisirs et dans les illusions du siècle.
Ce (ju'il faut encore observer est pris de
même sur la conduite de Jésus-Christ ; car
nous ne vous proposons point d'autre mo-
dèle. Il prit le père el la mère de l'enfant et
ceux qu'il avait avec lui, el il entra au lieu
où la iille était couchée : d'où je lire celte
règle pour la conservation do la vie de l'âme,
c'est de s'habituer à marcher toujours eu
présence de son père et de sa mère, c'est-à-
dire de faire régner dans notre conduite les
vues de la foi, les principes de l'Evangile, la
doctrine de Jésus-Christ, qui est notre père,
les règles de l'Eglise qui est notre mère, qui
nous a engendrés par le baptême.
Ce que j'appelle donc, mes frères, se met-
tre en état de marcher sous la conduite de
noire père et de notre mère, c'est se remplir
des vérités de la religion par la lecture ré-
glée, assidue, attentive, respectueuse de l'E-
criture et des bons livres, pour se précau-
tiouner contre les maximes du monde et ap-
prendre à penser comme Jésus-Christ; c'est
n'estimer que ce qu'il approuve, ne désirer
que ce qu'il estime; c'est s'associer avec des
gens de bien, faire liaison avec ceux qui ac-
compagnent Jésus-Christ et qui suivent ses
voies.
Ainsi, comme on apprend à penser comme
le monde, quand on converse avec les gens
du monde, on apprendra à penser comme
Jésus-Clirisl quand on sera lié avec ceux qui
appartiennent à Jésus-Christ. Les maximes
el les sentiments des gens de bien formeront
nos pensées, nos pensées régleront nos dé-
sirs, et nous n'en concevrons poinlqui soient
capables de nous faire perdre la \ ic de l'âme.
Si nous sommes cependant assez malheureux
pour l'avoir perdue, continuons à apprendre
du Sauveur du monde ce qu'il faut faire pour
sortir de ce second état beaucoup plus dan-
gereux que le premier.
Or, quel que soit cet état, il ne faut pas
que ceux qui y sont tombés désespèrent, dit
saint Augustin, de ressusciter au moins en-
tre la maison et le tombeau, s'ils ne sont pas
ressuscites dans la maison même, c'est-à-
dire s'ils ont commis le péché dont ils avaient
conçu le dessein. Leur espérance doit être
fondée sur ce que le Sauveur du monde fait
en faveur du jeune homme de l'évangile
d'hier : il touche le cercueil, ensuite il ar-
rête ceux qui le portaient dans le tombeau.
Que signifie cette action : // touche le cer-
cueil? c'est-à-dire, il frappe le pécheur, "tan-
tôt par une maladie, quelquefois par la mort
subite d'un ami, d'aulres fois par une mau-
vaise affaire, par un événement fâcheux. Ce
sera par une parole qui semble dite par ha-
sard, par une prédication dont la grâce se
sert pour loucher le cœur, pour mettre l'âme
dans uuc certaine agitation, par où la misé-
ricorde nous dispose à nous convertir, en
no is portant à faire des retours sur nous-
mêmes il a recourir à Dieu parla prière.
Ab ! mes frères ■ que I)i eu nous touche sou-
vent il<' ces manières ! mais notre v ie dissipée
et notre défaut d'attention font que nous
rendons inutiles toutes les ouvertures de la
grâce el ces premiers effets de la miséricorde
de Dieu sur nous, il arréle ceux qui portent
le mort dans le tombeau, c'est l'effet du soin
qu'il a pris de toucher le cercueil; car lors-
que le pécheur se sent louché de la manière
que je viens de le dire, les passions sont
comme suspendue- , il s'arrête dans le chemin
de l'iniquité ; le torrent de la i orruptiofl qui
l'a entraîné no l'entraîne plus avec la vio-
lence et l'impétuosité qui l'a enlevé jusqu'à
ce moment; il devient capable de réllexion,
il peut voir ce qu'il ne découvrait pas aupa-
ravant; et alors l'ouvrage de sa conversion,
qui ne s'achève pas tout d'un coup, est en
état d'être commencé. C'est pourquoi saint
Augustin l'exhorte à passer sans différer de
la mort à la vie. Voilà, pécheurs, les solides
fondements de votre espérance. Combien de
fois a-l-il louché le cercueil l Peut-être le
louche-t-il à présent que je vous applique à
ces réflexions par mes paroles. Ceux qui
vous portent dans le tombeau sont peut-être
arrêtés : les objets de vos passions, qui ont
séduit et corrompu votre cœur, ne font pas
sur vous les mêmes impressi us. Nous en-
trevoyez ce que vous ne découvriez pas au-
paravant : servez-vous de l'occasion, hâtez-
vous de faire pénitence, ménagez ce moment,
et ne descendez pas jusque dans le fond du
sépulcre.
.Mais \ oyons dans ce que l'Evangile nous
rapporte des effets de la puissance de Jésus-
Christ sur ce jeune enfant mort et ressuscité,
ce qu'il faut faire pour profiter de ces heu-
reuses conjonctures et pour sortir comme lui
d'entre les bras de la mort. Levez-vous, lui
dit le Sauveur du monde. Le mort se leva, il
commença à parler > el il le rendit à sa mère.
11 faut donc se lever, c'est la première chose
à quoi doit penser un pécheur : car tout pé-
ché est une chute, selon l'Ecriture.
Celte chute est une véritable dégradation,
c'est un honteux avilissement du chrétien,
qui, étant enfant de Dieu par la grâce, se
rend esclave du démon par le péché, et qui,
ayant droit à l'héritage éternel comme enfant
de Dieu, y renonce pour s'attacher aux biens
périssables de la terre, qui sont au-dessous
de lui.
11 faut donc que le pécheur de qui Jésus-
Christ a louche le cercueil prenne de plus
nobles pensées, el que, comme cet enfant
prodigue, il dise : J'ai quitte la maison de
mon père, il je suis ici à mourir de faim; il
faut que de ce pas j'aille trouver mon père.
Quittez donc, chrétiens, ces indignes ob-
jets de votre injuste attachement. Les liens
uc sont pas encore si serres que nous ne
puissiez les rompre, et même aisément. L'ha-
bitude n'est pas formée, n'attendes pas qu'elle
le soit. I 0 second poche affaiblira la volonté
et ['éloignera étrangement de Dieu; il for-
Ù:
SERMON fOUR LE VENDREDI DE LA
mcra de nouveaux et de plus puissants ob-
stacles aux effets de sa miséricorde. Levez-
vous donc : Adolescens, tibi dico, surge.
Mais il ne faut vous lever que pour parler,
et corpit loqui : c'est-à-dire, publiez la misé-
ricorde de celui qui a touché votre cercueil
et qui vous a rais dans le cœur la pensée de
vous lever; car la reconnaissance est un tri-
but capital et indispensable que vous devez
à la miséricorde et à la grâce du Sauveur
qui vous a prévenu, et d'ailleurs c'est un
moyen sûr pour augmenter cette grâce; car
c'est par l'aveu sincère de notre indignité et
de la miséricorde de Dieu que nous nous
rendons dignes qu'il augmente ses grâces et
ses dons.
Mais après avoir parlé de celte manière
devant la majesté de ce Dieu adorable qui a
bien voulu vous regarder après votre chute,
allez parler à ses ministres en confessant
votre péché, en leur déclarant vos misères,
en leur ouvrant votre cœur avec sincérité
pour leur en découvrir les plaies.
Cette déclaration, pour être utile, doit être
humble et sincère : humble, c'est-à-dire doit
procéder d'une connaissance pleine que no-
tre péché est uniquement notre ouvrage, et
accompagnée d'un aveu sincère, que comme
c'est par notre volonté que nous avons pé-
ché, il ne faut nous en prendre qu'à nous-
mêmes, et ainsi en vouloir bien porter toute
la confusion comme en ayant été l'unique
cause; disant avec plénitude de cœur comme
le Prophète : Je confesserai contre moi-même
mon iniquité au Seigneur; et voici le fruit de
cetlo humble confession, marquée aussitôt
par le Prophète : Et vous avez remis l'impiété
de mon péché. Celte confession doit être sin-
cère, c'est-à-dire qu'il faut expliquer avec
soin toutes les circonstances de sa faute,
comme les symptômes d'une maladie dont
on veut guérir, afin que le médecin, étant
instruit parfaitement de la nature du mal et
du tempérament de celui qui s'adresse à lui,
puisse procéder à sa guérison avec une con-
naissance plus certaine de ce qu'il doit faire,
et avec plus d'assurance du succès; et c'est
ce qui ne saurait arriver si on n'observe pas
ce que fil le Sauveur du monde dans la ré-
surrection du jeune homme. Il le rendit à sa
mère, cela veut dire qu'il faut se soumettre à
la conduite des pasteurs de l'Eglise, suivre
l'ordre de la discipline, ne pas prétendre leur
prescrire des règles, mais recevoir avec hu-
milité celles qu'ils croient à propos de vous
donner et les observer avec exactitude. Où
voit-on de vraies résurrections? On va trop
vite pour l'ordinaire dans le grand ouvrage
de la guérison des âmes, on prend des appa-
rences pour des réalités, on ne ressuscite
que très-rarement, et on demeure dans l'état
de la mort avec une lausse et malheureuse
sécurité , parce qu'on a donné quelques
signes de vie fort équivoques. Seigneur, per-
mettez-moi de vous adresser ces paroles :
Illumina oculos meos, ne unquam obdormiam
in morte. Seigneur, éclairez mes yeux, afin
que je ne mendorme point d'un sommeil de
mort.
QUATRIEME SEMAINE DE CAREME. U&
11 faut encore être mis entre les mains
de sa mère, c'est-à-dire n'être pas seule-
ment attaché à Jésns-Christ et à son Eglise
par des liens extérieurs, comme le sont
un très-grand nombre de chrétiens qui
n'en ont que le nom, mais vivre de son es-
prit, être lié à l'un et à l'autre par les liens
invisibles de la grâce et de la charité; enfin
faire voir par une conduite réglée qu'on vil
véritablement de la vie de Jésus-Christ, et
qu'on a été rendu réellement à l'Eglise.
Ainsi, dit le grand saint Augustin, celai qui
n'est pas ressuscité dans la maison peut ressus-
citer entre la maison et le tombeau. Songez
donc à ne vous pas laisser accabler du poids
de l'habitude criminelle. Ce n'est pas qu'on
ne puisse sortir encore de ce troisième degré
de mort, car enfin Jésus-Christ ressuscite
Lazare dans notre évangile: Lazare, veni fo-
ras ; et statim prodiit qui fucrat mortuus.
Lazare, dit le Sauveur, sortez du tombeau,
et le mort en sortit à l'heure même. Appli-
quons-nous, mes frères, à tout ce qui se
passe dans cette résurrection, afin d'y ap-
prendre ce qu'il faut observer pour sortir de
l'état funeste de cette mort si terrible causée
par le péché d'habitude : c'est le second
point.
SECONDE PARTIE.
Peut-être que parmi ceux à qui je parle
il y en a qui sont déjà dans ce funeste état,
chargés de celte pierre si dure et si pesante,
et qui sont du nombre de ces morts de qua-
tre jours que l'infection a déjà gagnés. Que
ceux-là pourtant ne s'abandonnent pas au
désespoir : ils sont, pour ainsi dire, dans le
plus profond abîme de la mort, mais il n'y a
point de mort si profonde dont la puissance
de Jésus-Christ ne puisse retirer. Sa voix,
dit saint Augustin, a la vertu de briser les
pierres dont le poids accable ces sortes de
morts ; qu'ils se souviennent que Lazare res-
suscité au bout de quatre jours se trouva
parfaitement délivré de la puanteur dont il
était infecté dans le sépulcre. Mais voyons
de quelle manière ce mort ressuscite et l'or-
dre de cette résurrection, auquel on peut
rapporter tous les mouvements du Sauveur
du monde dans celte action ; de là nous ti-
rerons toutes les instructions qui regardent
le chrétien, malheureusement enfermé dans
le sépulcre par le péché d'habitude.
J'y vois certains mouvements qui précèdent
cette résurrection cl qui en sont les prépa-
rations; j'y vois une vertu divine qui opère
celle résurrection ; j'y vois enfin un ordro
donné aux disciples de prendre soin de celui
qui est ressuscité. Le pécheur doit donc, pour
sorlirde ce troisième degré do mort, travailler
avec la grâce de Jésus-Christ, à rompre les
obstacles de la résurrection, et par là il se
dispose à recevoir la vie. 1! doit demander sa
résurrection à Jésus-Christ ; car il n'y a que
lui qui ressuscite. Enfin il faut qu'il aille aux
pasteurs cl aux ministres du S.igncur pour
être délié. Mais avant (|ue d'entrer dans le
détail de ces vérités importante!, il y en a
uue tout à fait admirable, et qui doit nous
ORATEURS SACRES. DOM JMtOMK.
M
pénétrer de reconnaissance : c'est, mes
frères, que comme Jésus-Christ a bien voulu
se rendre l;i caution des pécheurs, il a Irien
voulu aussi se rendre le modèle des péni-
tents. Comme il a pris nos péchés sur lui :
Peccata nostta ipse portant, il a aussi tracé
sur sa personne les mouvements d'une rraie
pénitence. H a exci é en (ui-méme tous les
mouvements qu'elle doit produire en nous.
Ainsi, mes frères, étudions ce que l'Evangile
nous rapporte ici, tout y est admirable, lu-
mineux et plein d'instruction. Or il est rap-
porté d'abord que le Sauveur du monde fie-
mit en son esprit et se troubla lui-même :
Infremuit tpirilu, turbavit temetipsum. De là
j'apprends qu'un homme qui esl livre à l'ha-
bitude du péché, et réduit dans l'état mal-
heureux de ce dernier degré de mort dont je
vous parlais hier et qui désire d'en sortir,
doit commencer par exciter eu lui un trouble
salutaire contre ses iniquités.
Car prenez garde qu'il y a un trouble que
nous souffrons qui n'est pas notre ouvrage
et que nous n'excitons pas ; c'est, par exem-
ple, la nouvelle d'une chose qui nom déplaît :
îlérode et toute la ville de Jérusalem sont en
trouble à la nouvelle de la naissance du
Sauveur. Mais il y a un trouble qui tient
de l'application que nous no s faisons d'une
Vérité qui nous a émus et frappés : Nathan
parle à David en parabole ; David s'applique
ce que lui dit le prophète : Ptecaoi : J'ai
péché, dit-il ; il se trouble lui-même et ce
trouble ie délivra de la mort. Etre donc
troublé, c'est l'effet d'une passion humaine,
naturelle, inévitable, comme celle des ré-
prouvés à l'heure dé la mort; par là ils
commencent leur enfer d's ce monde ; et ce
trouble ne suffit pas, il faut qu'il soit volon-
taire, et que vous l'excitiez en vous. Dieu
permet qu'on vous prêche fortement les vé-
riiés éternelles, la nécessité et l'incertitude
de la mort, la perte infaillible de l'âme cri-
minelle, la damnation indubitable de ceux
qui demeurent dans l'étal du péché, l'état
déplorable de celle mort terrible et la diffi-
culté de sortir d'une habitude criminelle ;
c'est par ces considérations qu'un pécheur
doit se troubler. Je suis, doit-il se dire, dans
cet état déplorable, et j'y suis depuis très-
longicmps; ma perle est donc infaillible, si
je suis surpris dans cette circonstance, et
ma damnation inévitable. Où eu suis-je, ô
mon Dieu ! et qu'arrivcra-t-il de moi?
Tourne, pécheur, Ion indignation contre
tes propres iniquités. Jésus-Christ frémit en
son esprit avant que <ie s'approcher de La-
zare. Si tu comprenais bien jusqu'où va la
désolation que le péché a causée dans ton
a, ne, il n'y a rien que lu n'entreprisses pour
le détruire et pour eu réparer les désordres.
Ta colère serait animée, Ion indignation se-
rait vive, tu frémirais d'une sainte fureur
contre ce qui l'a mis en danger de périr
éternellement.
Si on voyait un homme qui voulut se pas-
ser son épée au travers du cor, s ou qui
frappât a coups de couteau , on courrait à
lui pour l'en empocher, ou ferait des efforts
pour lui < , ,(ui lui pourrait nuire, on
i rait violence, on l'enfermerait: et on
Voit tous les jours uo chrétien qui donne
d >upi mortels à son âme, à qui les jeux,
i mpagdiea, les affair. ■ ni des occa
si.nis infaillibles de péché, et on n'ose lui -lire
qu'il les faut quitter. On enferme celui qui
se frappe cl on lui ôte lout ce qui peut lui
nuire; et non-seulement on laisse en liberté
Celui qui tue soa âme. on h" lui ôl aucune
des choses qui servent à lui donner l;i
in ii- on luiapplaudit de ce qu'il se tue: on \a
lui dire qu'il est plu- heureux â proportion
qu'il a plus de moyens de périr el qu'il enlrc
dans plus d'occasions de perdre la grâce d:
Jésus-Christ, qui est !a vie de son âme.
.Mon Dieu ! donnez-nous la foi, ou\ rez-nous
les yeux, failes-nottS comprendre ce que c'est
que la mort de l'âme, ("est vous, divin I
qui pouvez nous donner de9 larmes et la foi
vive qui les fait répandre. Celhs que vous
versez sur Lazare sont la source de celles
que nous devons verser sur nous-mêmes,
pour nous disposer â sortir du tombeau ;
mais pour en sortir il faut travailler à 6ter
la pierre : Tollite lafiidem, dit le Sauv ,ir.
Ceci, mes frères, es' capital, c'est par où
nous pouvons reconnaître avec quelque s rie
d'assurance que la bonne volonté e>l formée
en quelqu • degré dans notre cœur; car tout
le resle est équivoque, et souvent on y est
trompé. On peut être troublé dans les s.-ns,
on peut frémir par surprise, on peut pleurer
par faiblesse ou par crainte: mais quand on
met la main à l'œuvre el qu'on s'applique à
ôter la pierre, on a sujet de croire que c'est
sincèrement et loul de bon que l'on veut
sortir du tombeau. Ceci est très-important,
c'est l'essentiel de notre instruction : ainsi
je vous prie de bien sentir ce que c'est que
d'ôler la pierre, par quelle vertu on peut le
faire, et (Oinrn >nt il s'y faut appliquer.
Oter la pierre, c'est ôler les obstacles i
rieurs qui servent à retenir l'âme dans le
pèche : entrez bien dans ceci. Le corps de
Lazare avait été posédans un caveau ou l'on
nJail par quelques marches, et dont l'ou-
verture avait été fermée par une grande pier-
re. Vous comprend bien qu'il n'aurait jamais
pu sortir de ce sépulcre si la pierre n'en
avait été ôlée. Ainsi, mes frères, la pierre
qui arrête l'âme dans le tombeau, c'est un
Certain amas de circonstances extérieures
qui lient le chrétien au péché, qui l'attachent
à l'objet de ses passions, et qui le retiennent
dans rengagement à la mort.
C'est l'oisiveté et l'inulililé de la vie qui
jettent celui-là dans le jeu; c'est la société
de certaines personnes qui engagent ce
dans la débauche ; c'est la compagnie et la fré-
quentation do celle personne qui entretiennent
le dérèglement de cet autre : tant que l'on
demeurera dans celte situation, on ne quittera
point le péché. Vous jouerez toujours,
que \ olr \ ie ne sera pas remplie el que \
irerez dans l'oisiveté; vou> -erez lou*
jours un libertin si vous entretenez commerce
avec ceux qui vous jettent daus la débauche,
549
SERMON POUR LE VENDREDI DE LA QUATRIEME SEMAINE DE CAREME.
550
et jamais vous ne sortirez du mauvais enga-
gement où vous vous êles mis, si vous vous
rondez toujours assidu auprès de la personne
avec qui vous l'entretenez.
Voilà la pierre qui vous retient danslctom-
1) au, et comme Lazare sortit du sépulcre a près
que la pierre en fut ôtée, vous devez ôter ces
obstacles extérieurs et quitter absolument le
péché; car on ne peut pas sortir du tombeau
si on ne les ôte. Or, mes frères, vous pouvez
les ôter; Jésus-Christ vous le dit : Tollite
lapident. Mais voici la vertu qui nous le fait
faire : vous êtes assurément maîtres de vos
mouvements extérieurs, vous pouvez aller
ou n'aller pas où il vous plaît, et naturelle-
ment une passion est un remède pour une
autre. L'amour de la gloire l'emporte sur
tout autre amour. Que le prince vous or-
donne de partir pour l'armée, qu'il vous ho-
nore d'une commission pour sun service, il
n'y a ni société, ni plaisirs, ni engagements
qui vous retiennent : vous parlez. Vous êtes
donc maître de ces obstacles extérieurs qui
s'opposent à la résurrection de votre âme, et
si c'est là la pierre qu'il faut ôter, il est cer-
tain que vous pouvez le faire quand il vous
plaira.
Mais puisque des motifs humains vous
peuvent obliger à le faire et vous le font
faire inutilement, lorsque vous le ferez parce
que Dieu vous l'ordonne, vous le ferez avec
fruit; vous le ferez pour votre résurrection :
car comme Jésus-Christ pouvait ôter la pierre
qu'on avait mise à l'entrée de cette caverne
où était le corps de Lazare par la vertu de
sa parole, cl qu'il voulut que les Juifs qui
étaient là l'ôlassent , pour les convaincre
mieux du miracle qu'il allait faire, il veut
aussi que, pouvant opérer votre saiut par sa
puissance, vous y coopériez en travaillant à
ôter les obstacles extérieurs qui servent à
entretenir les mauvaises habitudes qui vous
ont enfoncés dans le tombeau.
Mais souvenez-vous que vous devez vous
appliquer à cet ouvrage si important avec
courage, avec constance et avec larmes.
Avec courage, mes frères, il s'agit du saiut:
quoi qu'il puisse vous en coûter, tout est au-
dessous de votre âme. Vous n'avez pas bâti
sans peine le funeste sépulcre ou vous vous
éfa S enfermés. Le péché coûte, vous !e sa-
vez; souffrez doue eu le détruisant, et que
les difficultés ne vous rebutent pas.
Soutenez ce travail a\ec constance. Ce sé-
Pttkre ne s'est pas bâti tout d'un coup : on a
delà pensée au consentement, du con-
sentement à l'action, de l'action à l'habitude,
ne détruirez pas cet ouvrage en un
jour. Il s'agit de donner à l'âme une nouvelle
pente, il faul lui faire changer d'inclination,
ôtez peu à peu ce qui est capable d'entrete-
nir les inclinations envenimées, entrez dans
ce qui peut en former de nouvelles ; éloignez
issivemenl (oui ce qui peut s'opposer à
la résurrection de votre âme.
Enfin soutenez ce travail en gémissant :
Q ae la peine que vous sentez à détruire ce
funeste ouvrage de votre iniquité vous lasse
comprendre combien vous êtes misérable de
vous être mis par vous-même et avec plaisir
dans un état où il faut périr nécessairement,
d'où l'on ne peut sortir qu'avec de très-gran-
des difficultés. Gémissez sous le fardeau de
vos iniquités, sentez le poids de votre cor-
ruption; mais souvenez-vous que celui qui
vous fait rompre les obstacles vous vivifiera
par lui-même. C'est à lui qu'il faut recourir,
car il n'y a que lui qui ressuscite, il n'y a
que sa voix qui brise les pierres dont le poids
nous accable. Qu'un pécheur qui a travaillé
à ôter sa pierre de la manière que je viens
de dire est bien convaincu que la sortie du
tombeau est l'ouvrage de la miséricorde du
Seigneur, et qu'il n'y a que lui seul qui
puisse ressusciter celui qui s'est livré volon-
tairement à la mort I
Mais aussi qu'il y a de fondement de croire
qu'il le ressuscitera, lorsqu'il considère que
celui qui a crié à haute voix pour faire sortir
Lazare du tombeau : Voce magna clamavit,
se sert encore tous les jours de cette voix.
Qu'il aille donc, ce pécheur qui a travaillé
fidèlement selon son pouvoir, qu'il aille avec
confiance à Jésus-Christ, qu'il lui demande
la grâce de sa résurrection par les larmes de
ses sœurs, c'est-à-dire par celles que l'Eglise
verse dans ce saint temps, par les gémisse-
ments des justes que Dieu connaît et qu'il
écoule volontiers, par les cris des pauvres
qu'il doit faire entrer dans ses intérêts par
ses aumônes. Qu il achète la miséricordo
dont il a besoin parcelle qu'il peut faire aux
membres de Jésus-Christ qui sont dans la
nécessite; en faisant cesser leurs cris parles
secours qu'il leur donnera, qu'il oblige Jésus-
Christ à crier à haute voix pour le retirer
du sépulcre de son cœur endurci.
Enfin il laul qu'il aille trouver les minis-
tres de Jésus Christ; car c'est entre les
mains de ses disciples qu'il met Lazare après
sa résurrection pour être délié par leur mi-
nistère. Cette puissance leur est commise, ils
doivent donner tous leurs soins et loutc leur
attention pour ne pas précipiter en déliant
mal à propos ceux que Dieu ne veut pas
qu'on délie. Qui aurait pu en effet supporter
l'infection du cadavre de Lazare, si les dis-
ciples l'avaient délié avant que le Sauveur
du monde le ressuscitât? Mou Dieu, que
l'usage de celte puissance est un redoutable
ministère 1 La corruption des hommes en
augmente tous les jours les difficultés et les
dangers, et nous ne saurions trop prier pour
ceux qui en sont chargés.
Par rapport à ce qui regarde précisément
le pécheur converti, et qui consiste dans la
dépendance et la soumission à celle puissan-
ce, il faul qu'elle soit entière et profonde, et
qu'il se convainque bien que, comme Lazare,
tout vivant el ressuscité qu'il était, restait
cependant lié el enveloppé de bandes depuis
la tête jusqu'aux p eds, un vieux pécheur
converti et ressuscité par la grâce de Jésus-
Christ esl encore loul environne -vs ténèbres
de la corruption di ses mauvaises habitudes.
Il lient encore a la fai. lesM el a l'infirmité
par une inimité de liens qu'il faut rompre
successivement : c'eat pourquoi il doit de-
I
ORATEIT.S SACRES. H')M JEUOMK.
meurcr dans la dépendance et dans la sou-
mission à la volonté dos ministre! de Jésus-
Christ qui l'aident, qui le soutiennent , qoi
le consolent, et qui le mettent en état de
marcher dans les voies de la justice qu'il
n'a jamais connues cl dont il est écarté.
Voilà, mes frères, ce que l'Evangile nous
rapporte, et les voies qu'il nous trace pour
entrer dans la vie que nous avons perdue
malheureusement par le péché. Pour finir
celle matière, écoulons ces importantes vé-
rités, mes très-thers frères, et écoutons-les
de telle sorte que ceux d'entre nous qui sont
vivants, c'est-à-dire qui n'ont pas perdu la
grâce, aient soin de conserver leur vie, qui
est cette grâce si précieuse, et que ceux qui
sont morts, c'est-à-dire ceux qui onl mal-
heurêoscment fait cetlc terrible perle, res-
suscitent.
Que ceux qui vivent fassent tout ce qui est
possible pour éviter de tomber dans ce déplo-
rable élal de mort dont nous vous parlions
hier, dont on sort si difficilement, el d'où il
esi plus rare qu'on ne croit que Dieu retire
une âme quand elle s'y est plongée; non pas
que la rareté de ces conversions vienne de
ce que Dieu ne soit pas porté à accorder sa
grâce qui les opère, mais de ce qu'il est rare
de la demander et de la rechercher comme
il faut pour l'obtenir, suivant l'idée que j'ai
essayé de vous en donner.
Que ceux qui sont tombés même dans les
habitudes les plus invétérées ne désespèrent
pas, mais qu'ils fassent tous leurs efforts
pour en sortir promptement; qu'ils deman-
dent la grâce de Jésus-Christ avec ferveur,
avec persé\érance, avec humilité; qu'ils en-
trent dans des pratiques propres à surmon-
ter les habitudes du péché sous la conduite
d'un homme éclairé, qu'ils rompent promp-
tement avec tout ce qui peut fortifier leurs
mauvaises habitudes et les lier aux crimes,
afin qu'ils ne s'endorment pas dans la mort,
afin que V ennemi ne puisse pas dire : J'ai pré-
valu contre lui ; mais qu'il recoure à Jésus-
Christ pour se rendre digne de sa grâce et mé-
riter la vie éternelle. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE SAMEDI DE LA QUATRIÈME SEMAINE
DE CARÊME.
De la modération de la douleur dans la mort
de ses proches.
Domine, si fuisses hic, frater meus non fuissel mortuus
Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frire ne serait vus
mort [Joan., XI, 21). r
La louange que saint Chrysostomc a don-
née à Marthe et à Marie , sa sœur, sur la
modération qu'elles firent paraître dans la
douleur qu'avait dû leur causer la mort de
Lazare leur frère, m'a fait penser, mes
frères, qu'il ne serait pas inutile de faire un
discours sur le sujet de la douleur que nous
ressentons à la mort de nos amis et de nos
proches. Ou ne parle jamais de cette ma-
tière, sur laquelle cependant ou peut dire
d'excellentes choses en réglant les mouve-
ments de la nature par les vues de la foi,
et en apprenant aux chrétiens que la reli-
gion, qui n'est pas contraire aux sentiments
(I une juste douleur, en condamne les em-
portements cl l'excès. C'est donc sur ce su-
jel que j'ai résolu de vous entretenir aujour-
d'hui. Je veux rejeter une espèce de
rite outrée qui condamne mal a propos la
douleur que nous faisons paraître dans la
mort de nos amis cl de nos proches ; je veux
condamner cetlc fausse tendresse qui pousse
celle douleur jusqu'à l'excès ; enlin je veux
rétablir une pitié raisonnable qui renferme
la douleur dans de justes I. ornes : c'est, mes
frères , ce que je vais faire dans les (rois
parlies de ce discours.
Dans la première, j'établirai les raisons
qui autorisent celte douleur contre la sévé-
rité excessive qui la condamne ; dans la
deuxième, je découvrirai les excès de la
fausse tendresse qui déshonorent cette dou-
leur ; dans la troisième, je vous montrerai
quelle doit être la situation d'une âme chré-
tienne qui se renferme dans les bornes d'une
pilié raisonnable.
Voilà le partage de ce discours ; deman-
dons l'assislance du ciel. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Il n'y a rien de si dangereux qu'une sévé-
rité indiscrète qui condamne lous les mou-
vements naturels comme des vices , et qui
veut nous faire des crimes de certaines affec-
tions du cœur qui servent de matière à la
vertu , quand on s'applique à les ménager
selon les lumières de la foi.
C'est par là qu'on jette des pensées de dé-
couragement et de désespoir dans les âmes
faibles, et qu'on leur persuade qu'il n'est
pas possible d'arriver à la perfeclion du
christianisme, parce qu'ils la croient incom-
patible avec des mouvements qu'ils ne peu-
vent étouffer. C esl celle erreur que je veux
combattre dans le sujel que je traite aujour-
d'hui : il s'agit de la douleur que nous res-
sentons dans la perte de nos proches et de
nos amis, des larmes qu'elle nous fait ver-
ser et de la tristesse où elle nous plonge, qui
sont des mouvements de la nature, el des
suites de la tendresse, de l'intérêt et du com-
merce qui nous lient aux personnes quo
nous regrettons ; nous justifierons en même
temps beaucoup d'autres affections du cœur
qui coulent de la même source, quoiqu'elles
ne produisent pas de si trislcs effets en nous ;
enfin de là nous conclurons que le christia-
nisme et la perfeclion ne détruisent pas la
nature, mais qu'ils travaillent à la régler.
Et d'abord je considère celle douleur ou
dans le principe qui nous la fait ressentir,
ou dans les motifs qui l'excitent. Son prin-
cipe c'est la nature, dont lous les mou\e-
ments ne sont pas criminels : les motifs qui
l'excitent | euvent être différents, mai> ils se
réduisent pour l'ordinaire à la perte de cer-
tains intérêts que je regarde comme des sou-
tiens nécessaires a l'homme dans l'étal do
sa condition présente. Mes frères, nous som-
mes hommes formes par la main de Dieu,
noire nalure est son ouvrage. Ce sont tôt
8S3
SERMON POUR LE SAMEDI DE LÀ QUATRIEME SEMAINE DE CAREME.
mains, Seigneur, lui disait !e saint homme
Job, qui m'ont formé avec tant de soin ; c'est
vous-même qui avez arrangé avec tant d'art
jusqu'aux moindres parties de mon corps.
Il est bien vrai que cet ouvrage a été gâté
et par la malice de l'ennemi, et par l'infidélité
de l'homme même ; son âme est devenue
criminelle, toutes ses puissances sujettes à
la rébellion , et son corps soumis à la mort.
Aussi est-ce de là qu'on a pris occasion de
dire que l'homme est un étrange composé :
c'est un mélange de bien et de mal, de gran-
deur et de bassesse, de puissance et d'infir-
mité ; et c'est de là qu'est encore venue l'er-
reur de ceux qui se sont imaginé que deux
principes avaient concouru à sa formation :
l'un bon, de qui il tenait tous ses avantages,
et l'autre mauvais, qui était la cause de tous
ses maux.
Mais la religion, qui a condamné cette er-
reur, ne reconnaît que Dieu seul pour prin-
cipe de l'homme, et l'homme lui-même pour
l'auteur de ses maux : ainsi elle nous ap-
prend à distinguer entre la nature et les
vices. La nature est de Dieu, qui n'a point
d'autre auteur ni d'autre créateur que lui,
et les vices sont les ouvrages malheureux
de la mauvaise volonté de l'homme. Elle re-
connaît que tout ce qui est en nous vient de
Dieu , hors le péché ; c'est sur ce fondement
que j'établis ma proposition, et que je sou-
tiens que ces affections humaines qui sont
formées dans la partie de l'âme que nous
appelons l'appétit sensitif, non-seulement ne
doivent pas être condamnées comme crimi-
nelles, mais même qu'elles servent de ma-
tière à la vertu chrétienne, comme nous le
dirons dans un moment.
On ne sait pas, supposé que l'état d'inno-
cence eût duré longtemps, si Adam aurait
ressenti des passions d'amour, des désirs, de
la tendresse, de la joie, dans une nature qui,
étant naturellement pure et droite, ne pou-
vait rien produire que de saint.
Il est vrai que les choses ont changé et
que la nature est corrompue ; mais dans les
ruines de cette nature, ce qui est de Dieu est
toujours 'non, et comme les passions sont
des mouvements de l'âme qui est son ou-
vrage, elles sont bonnes dans leurs principes,
et elles ne deviennent criminelles que par
un excès, qui est l'effet du vice qu'il faut
condamner.
Saint Augustin, parlant sur celte matière,
non-seulement les croit innocentes , mais
même il les estime nécessaires dans l'état
de la vie présente , puisque tant que nous
sommes dans ce corps fragile, ce serait un
défaut que d'être exempt de toutes passions;
sur quoi il cite saint Paul. Cet apôtre lui-
même blâme certaines personnes qu'il ac-
cuse d'être sans amitié. N'avoir d'affection et
d'amour que pour soi-même est un état qui
déshonore la nature , et les philosophes
mêmes l'ont reconnu, puisqu'un d'eux, que
saint Augustin cite dans le même endroit, a
dit que nous ne saurions l'acheter qu'au prix
d'une honteuse stupidité. Mais pour dissiper
entièrement tous les vains scrupules qu'une
OlUTEL'RS SACRKS. XXX.
o54
sévérité indiscrète aurait pu faire naître sur
les ressentiments d'une juste douleur, et voir
jusqu'où va la liberté que la grâce chré-
tienne donne aux mouvements naturels ,
écoutons parler saint Bernard devant des
personnes mortes au monde par leur pro-
fession, lui qu'une sainteté éminente avait
si fort élevé au-dessus de tout ce qui pont
être soupçonné de corruption et même de
faiblesse sur cet article.
Ce fut, mes frères, lorsque, après avoir
rendu les derniers devoirs à son frère selon
la chair, il se vit en liberté au milieu de
ceux qui restaient ses frères selon l'esprit.
Vous m'avez vu, leurdit-il,mes tres-chers frères,
assister aux funérailles de Gérard dans une
grande tranquillité en apparence. Vous m'avez
vu demeurant debout aux pieds de son tom-
beau, dans une posture qui marquait assez de
constance, tant que cette cérémonie funèbre a
duré. Vous m'avez vu enfin prendre de mes
propres mains la terre que j'ai jetée sur son
corps, sans que je l'aie arrosé de mes larmes.
Je me suis s-;rvi de toutes les forces que j'ai
pu trouver dans les vues de la foi, pour ré-
sister aux mouvements de la tendresse ; mais,
ayant arrêté le cours de mes pleurs avec beau-
coup d'efforts, je ne puis plxis vaincre ma
douleur qui s'est augmentée par celte vio-
lence, et qui enfin me surmonte à présent. Je
l'avoue donc, mes frères, je suis vaincu ; il
faut que ce que je souffre dans l'âme paraisse
au dehors, et que je montre toute ma tendresse
aux yeux de mes enfants, qui, pesant ma
douleur au poids de la perte que je viens de
faire, la sauront connaître telle qu'elle eut,
et s'empresseront de me donner la consolation
qu'elle, mérite.
Après avoir parlé de cette manière , ce
grand saint laisse couler ses larmes avec
abondance , et il n'en interrompt le cours
que pour en justifier la cause. // ne faut pasf
conlinue-t-il, que cette conduite vous scan-
dalise , mes chers enfants ; ne regardez pas
comme une faiblesse indigne de ma profession
ce qui est une suite nécessaire de ma condition
mortelle, et un ressentiment digne de l'amitié
qui nous liait. Qu'une fausse idée de perfec-
tion ne vous porte pas à condamner ni mon
amitié, ni ma douleur : il est vrai que ces
sentiments sont humains, mais je suis homme;
il y a même, si vous voulez, quelque chose
qui tient un peu trop de la chair ; mais je suis
lié avec elle, et j'en dois ressentir les fai-
blesses. Enfin, pour achever de me justifier
dans votre esprit, sachez que dans l'état de
notre condition présente, il est également im-
possible de jouir de ses amis sans en ressentir
du plaisir, et de les perdre sans en ressetitir
de la douleur.
Telles sont les paroles de saint Bernard ;
mais je vais encore plus loin, mes très-chers
frères, et afin que la douleur ne vous soit
suspecte d'aucune part, après en avoir jusli
fié le principe, je veux en défendre les mo-
tifs, et vous faire voir que si je dois pleurer,
quoique je sois chrétien, parce que je suis
homme, je ne déshonore pas ma qualité de
chrétien en m'affligeant par la vue de mes
18
OllVlKLIls, S.U.KES. l»OM JKIlUMI.
I i
intérêts, quoique je me pique d'clre un .mu
eux el clirciK-ii. En effet, e'e»l une
fausse délicatesse que (le vouloir rejeter
toutes les vues d'intérêt qui se inèlenl dam
les motifs qui excilenl DOlre douleur : Ut
n'est pas connaître l'état présent de la i:mi-
dition de l'homme qui le tient dam une éé«
pendante si générale, qu'il a besoin de tout
« l qu'il ne peut presque rien luire sans le
secours d'autrui.
< >r, mes livres cette dépendance qui entre
dam l'ordre de Dieu le lie aux choses et aux
personnes que cet. ordre lui a rendues né-
cessaires, et ne pouvant y être lie sans les
, ni les aimer sans resservir de la joie
quand il les possède, et do la douleur quand
il Ion ptrd, la vue de son intérêt entre tou-
jours nécessairement dans sa joie et dans sa
douleur; et tout homme sincère et qui eon-
nail son cœur doit avouer de bonne foi que
son intérêt est la vraie cause de son afflic-
tion, et ne pas s'efforcer de faire croire que
c'est le sentiment d'une amitié désintéressée
qui nous louche.
Saint Bernard fut de bonne foi dans lacca-
Mement de douleur que lui causa la mort
de son fr re Gérard, et il ne teignait point
d'avouer que ce qu'il perdait dans cette mort
était la cause de son aiflicliou. Gérard était
un gentilhomme : après avoir porté les armes
avec honneur, dégoûté du monde, pénétré
de l'exemple de saint Bernard, et sollicité
par l'amitié qui les liait, il résolut de se re-
tirer auprès de lui et de quitter loui les em-
barras du siècle, pour ne penser unique-
ment qu à l'affaire de son salut. Comme il
n'était pas homme de lettres, il ne s'appliqua
point à une profonde étude, et comme il a\ait
passé une partie de sa vie dans le commerce
du monde, il prit dans sa retraite un certain
genre de piété qui ne l'engagea pas à une
solitude entière, pour pouvoir se donner aux
affaires de la maison, et se sanctifier dans
des exercices conformes à sa disposition et
ut les à sa communauté.
Saint Bernard reconnaît qu'il lui fut d'un
secours admirable, soit dans son monastère,
soit au dehors. Il se chargeait, dit-il, de tout
le soin des choses extérieures ; si j'ai fait
quelque progrès dans les études de l'Ecriture
sainte et dans la méditation des mystères, il
via procuré ce repos sacré en prenant sur
lui tout ce qui le pouvait interrompre. Nous
partagions ensemble d'une manière bien iné-
gale la qualité d'ab'é que je porte ; il en avait
les peines, et j'en recevais les honneurs.
Dans les grandes affairée où la Providence
m'a donné part, c'est lai seul qui m'n soutenu,
disait-il ; il dissipait mes dif/icalt s pur i
'nctration, il me déterminait dans mes doute»
pur sa sagesse, il me rassurât dans me< cr tin-
tes pur son courage, et j'aurais succombé mille
fois, en traitant acec le inonde, sans le secuurs
d'an homme qui le connaissait aussi bien que
lui. Il cl lit mon frère selon la chair, il était
mon enfant selon I esprit, il était mon ami se-
lon le cœur, il était mou conseil dans mes <//-
[an rs, il était ma consolation dans mes fieines,
il était mon médecin dans mes iiiiirmités; en-
fin il m'était utile en tout et plus que tout,
dans I I petites et dan- les i/rnial ■ i hoses,
dan< les emploie publiée <■■
également utile pour U deat
le dehon. Bétail Dieu me ia été et nia
été ave lui tous tes si-cours el toute u /o •■.
Quand wou$ plaira- t-4lf juste eiell démon <-
nr après luit
Voilà, mes frères, quel a été le langage des
saints et <|uels Olll été leurs sentiments : d'où
i levons apprendre non- ul meul que la
piété n'est point inhumaine, que le cin
ni-ine n'a ri. n de dur, et que la gra e de Je-
sus-Clirist, qui règle ia nature, n en d> truit
pas les lent menti ; mail encore que 1 ordre
<! Ii Providence qui nous lie ,iu\ personnes
el aux choses qui nous son. nécessaires lins
notre état présent, ne rejette pas ces in
qui excitent notre joie dans la possession tt
notre doul< ur dans la perte, el qu'ainsi je
puis me rejouir des avantages que je reçois
et m'affiger de ceux que je perds, sans que
ces impressions d'intérêt me déshonorent en
qualité de chrétien, pourvu qu'il' soient ren-
fermes dans l'ordre de D eu. Les plus grands
saints , mes frères , élaient des hommes
comme nous; ils ont eu des sentiments de
tendres e, d'amitié, de douleur et d'alflicliou
comme nous.
Le sauveur du monde, dit saint Bernard, a
vu pleurer les deux saintes sœurs dont il est
parlé dans cet évangile, sur le lomb< au de
Lazare leur frère. Nous ne \oyons pas qu'il
les en ail reprises ni qu'il leur ail commandé
d'arrêter leurs larmes : au contraire, il a mêlé
les siennes avec celles qu'elles répandaient.
Knfin on n'est pas saint pour élre sans
douleur, mais on travaille à le devenir quand
on s'applique à la modérer.
Il esl temps de vous faire voir quels sont
les excès où nous jette la douleur qu'une
fausse tendresse excite en nous : c'est le sujet
de ma deuxième partie.
DEUXIEME PARTIE.
J'appelle fausse tendresse celle qui ne
vient pas d'un sentiment pur el simple de la
nature, on celle qui esl excitée en nous par
des vues d'un mauvais intérêt, ou enfin celle
qui, partant d'un sentiment sincère pour îles
intérêts justes, nous jette dans des disposi-
tions qui combattent l'ordre de Dieu. La pre-
mière nous dégrade simplement, la Mi i de
dégrade nos amis el nous, et la troisième of-
fense Dieu el nous rend criminels.
Quelque juste que soil la douleur, il faut
pourtant reconnaître de bonne foi que. ,uoi-
qu'elle soit un sentiment de la nature qu'on
ne peut pas blâmer, elle en e*t pourtant une
faiblesse, à parler des choses exactement;
car Adam ne l'eût p. is ressentie dans l'étal
d'innocence, et nous ne la resseuiiro.s | .s
dans celui de la gloire.
Cependant e'est une chose étrangs que l>'s
hommes enlendenl si mal l'intérêt 'e leur
gloire, qu'ils veuillent s'en la ire une de leur
Faiblesse, el l'établie une réputation sur un
défaut de la nature, lorsque l'on passa les
bornai de la raisou el de la siucenie. H esl
557
SERMON POUR LE SAMEDI DE LA QUATRIEME SEMAINE DE CAKEME.
583
cependant vrai qu'on trouve dans le monde
mille gens qui affectent de paraître affligés à
la mort de leurs proches, ou qui le sont sans
savoir pourquoi.
N'en voyons-nous pas tous les jours qui se
persuadent qu'il est de leur honneur de don-
ner dis marques d'une grande affliction ,
quoiqu'ils n'en aient pas le sentiment ; qui
éiudient des expression^, qui empruntent des
larmes, qui affectent des abattements qu'ils
ne ressentent point, et qui se consolent dès
qu'ils s ni seuls, quittant tout cet appareil
de douleur pour le reprendre dès qu'on
pourra les regarder. D'autres pleurent parce
qu'ils voient pleurer , et s'abandonnent à
cette inclination naturelle qui porle les hom-
mes à s'imiter les uns les autres : de sorte
que, comme ils ont toujours remarqué qu'on
s'afflige à la mort des amis et des proches, ils
s'affligent quand ils les voient mourir, par le
même esprit qui les fait rire lorsqu'ils se ma-
rient, connaissant aussi peu le sujet de leur
tristesse que celui d > leur joie.
Il n'est pas nécessaire de vous faire remar-
quer que ceUe espèce de tendresse est fausse,
puisqu'elle n'en a tout au plus que les appa-
rences; que c'est Un masque dont on se sert
pour tromper les autres , en leur faisant
croire que l'on est affligé quand il n'en est
rien, ou une erreur qui nous abuse nous-
mêmes, en nous persuadant que notre fai-
blesse est une vraie douleur et que nous
sommes sincèrement afllgés, parce que nous
pleurons de compagnie avec ceux qui le sont
véritablement.
Par là vous voyez bien que l'homme se de-
grade lui-même. C :r qu'y a-t-il de plus indi-
gne d'un bon cœur, d'une âme sincère et d'un
esprit réglé, que d'en imposer aux autres et de
vouloir les tromper, ou bien de se tromper
soi-même en se croyant autre qu'on n'est?
Mais il y a une autre espèce de tendresse
que j'appelle vraie et fausse tout ensemble.
Elle est vraie, iu égard au sentiment île dou-
leur qu'elle imprime, quoiqu'elle soit fausse
eu égard aux motifs qui l'excitent : c.'esl-à-
dire, mes frères, que nous trouvons des gens
pénétrés d'une affliction grande, vive, sensi-
ble. Cep ndant, si vous entrez dans le fond
de leur âme ou qu'ils veuillent un peu s'exa-
miner eux-mêmes, \ous trouverez que ce
n'est ni 1'. initie, ni les sentiments, ni la con-
fiance, ni l'estime qu'ils avaient pour la per-
sonne qu'ils pleurent; en un mol, que ce
n'est pas la perle de leurs amis ni de leurs
proches qui les a'flige, mais ce qu'ils perdent
par leur mort -. en sorle que si leurs intérêts
temporels étaient à rouvert, leur douleur se-
rait médiocre, et i s se contenteraient, pour
satisfaire à la bienséance, d'emprunter celle
dont nous pariions il n'y a qu'un moment.
A ii I mes frères, que celle espèce de dou-
leur est commune dans le monde 1 Qu'il y a
d'enfants qui pleurent leur fortune et non pas
leur père 1 de pères qui pleurent l'établisse-
ment de leurs maisons cl non pas leurs en-
taillai de femin s qui pleurent leur vanité,
leur rang, leur luxe, leur dépense, et non
pas leurs maris 1 de maris qui pleurent leurs
plaisirs, leur satisfaction, leurs affaires, et
non pas leurs femmes 1 Ceux, qui pleurent de
cette manière méritent d'être pleures, dit saint
Bernard. El en effet, qu'y a-l-il de plus di-
gne de compassion que de voir un chrétien,
qui doit espérer une éternité bienheureuse,
s'affliger démesurément pour la perle de
quelques avantages temporels? Et qu'y a-l-il
de plus indigne du sacré commerce d'une
amitié sincère que de faire servir à des iuté-
rêts bas, sordides et quelquefois même cr mi-
ncis, et de ne regarder que comme les mi-
nistres et les instruments de nos passions,
des personnes que la naiure, la grâce et la
religion nous engagent d'aimer?
H ne faut donc pas s'abandonner à toute la
douleur, quelque juste quelle puisse être,
qu'une semblable perte nous pourrait cau-
ser; car il y a des excès dans les ressenti-
ments de la juste douleur, c'est-à-dire celle
qui est sincère el exctée par des motifs rai-
sonnables. Nous avons marqué ces excès
dans la première partie; ils offensent Dieu et
ils nous rendent criminels.
N'est-ce pas un excès criminel que de se
laisser emporter avec violence par la dou-
leur , sans se contenter des ressentiments
d'une tendresse raisonnable, que de s'aban-
donner au murmure, aux impatiences, au
désespoir, que de rejeter tout ce qui pour-
rail calmer notre douleur, chercher au con-
traire lout ce qui contribué à la nourrir, et
se faire un devoir de la rendre immortelle?
Par là l'homme se plaint des justes disposi-
tions de la Providence, il murmure contre
les ordres de son Dieu, el comme si Dieu
était tenu de consulter ses inclinations et ses
intérêts avant que de toucher à ce qui le re-
garde, l'homme refuse de se soumet' re à ce
qu'il a fait, parce qu'il esl contraire à ce qu'il
désire : et c'est ainsi que l'excès de sa dou-
leur l'offense. Oui, mes frères, disons-le pour
l'instruction de vous tous : quand même voire
espérance à l'égard de celui qui vous échappe
serait très-faible, voire douleur devrait avoir
ses bornes. Dieu est le maître de tous les
événements; vous devez adorer sa conduite,
elle est sage; et votre seule consolation doit
être dans une soumission entière à la vo-
lonté de celui qui dispose de tout.
Toutes ces considérations vous font bien
connaître, mes irès-chers frères, qu'on ne
saurait s'abandonner aux violences de la
douleur , quoique juste et excitée par des
motifs honnêtes et raisonnables, sans tomber
dans des excès qui nous rendent injustes, in-
fidèles el coupables. C'est pourquoi il esl im-
portant de vous marquer ce qu'on peut don-
ner à la douleur sans blesser son devoir : ce
sera en vous montrant quelle doit être la si-
tuation d'une âme chrétienne qui se ren-
ferme dans les bornes dune pitié raisonna-
ble : c'est le sujet de la troisième partie.
TROISIÈME PARTIE.
Pour donner à l'âme chrétienne une situa-
tion dans la douleur qui la renferme dans
les bornes d'une pitié raisonnable, il faut se
tenir entre le sentiment de la douleur et l'ex
B
OHAÏEl.TtS SACRES. DOH JI.HOME.
560
ces de ce sentiment. C'est, mes frères, ce que
saint Bernard m'enteigne dans cet excellent
discours d'où j'ai tiré toute la matière de ce-
lui-ci; car ne croyez pas, dit-il, qu'en vous
découvrant ce que je souffre, je pense autre-
ment que je ne (lois; je sens lu perte que j'ai
faite par ta mort de mon frère, mais sans me
plaindre de celui qui me l'a ôté; l'un est au
sentiment de la nature, et l'autre serait un
excès d'impiété.
Saint Grégoire avait expliqué plus au long
ce que dit ici saint Bernard , qui n'en parle
qu'en passant. C'est, mes frères, dans ses
Morales sur Joli, où il expose ce que l'Ecri-
ture dit de ce saint, qui, ayant appris la
nouvelle de la mort de ses enfants, se leva
alors, déchira ses vêtements, et, ayant rasé
les cheveux de sa tète, se prosterna contre
terre et adora Dieu. Il y en a qui s'imaginent,
dit ce saint pape, que la constance véritable,
ainsi que l'affectait autrefois la philosophie
païenne, consiste à ne point sentir la douleur
lorsqu'on les maltraite; d'autres ont tant de
sensibilité pour le mal, qu'étant incapables de
supporter les grandes douleurs ils s'empor-
tent aussitôt en des plaintes immodérées et en
des paroles de murmure et d'impatience. Ceux
donc qui veulent suivre la véritable philoso-
phie doivent marcher entre ces deux extrémi-
tés vicieuses : car l'insensibilité du cœur n'est
pas le juste degré de la vertu, nous l'avons
déjà dit ; mais aussi c'est sortir des bornes de
la vertu que d'avoir une trop grande sensibi-
lité dans les douleurs , parce que quand le
cœur est touché d'affliction avec excès, il s'em-
porte d'ordinaire en des paroles d'impatience
et injurieuses à la majesté divine : ce qui est
certainement contre la religion.
Le bienheureux Job, suivant la conduite de
la vraie philosophie , s'est maintenu dans un
sage cl juste tempérament entre ces deux ex-
trémités : en sorte qu'il n'a ni méprisé ces
fléaux de Dieu, comme un insensible, ni aussi
il ne s'est pas emporté contre le jugement de
celui qui les lui envoyait, comme un homme
impatient et trop sensible à la douleur : c'est,
mes frères, celte situation dont nous voulons
vous parler; car après avoir perdu tous ses
biens et tous ses enfants, il ne fil autre chose
que de se lever, de déchirer ses habits, de se
raser les cheveux, de se prosterner contre terre
et d'adorer Dieu.
L'action de déchirer ses habits et de se cou-
per les cheveux nous témoigne assez qu'il res-
sentit la douleur de ses châtiments ; mais l'ac-
tion d'adorer Dieu fait voir clairement que,
nonobstant l'excès de cette douleur, il ne s'em-
porta point contre la justice de a lui qui le
châtiait : ainsi il ne se montra pas tout à fait
insensible dans son malheur, de peur qu'il ne
semblât mépriser Dieu par sa dureté; il ne
s'y montra pas <tussi trop sensible, de crainte
de pécher en se laissant émouvoir arec excès.
Mais parce qu'il y a deux préceptes de charité,
/'un pour Pieu et l'autre pour le proc!iain,afin
de s'acquitter de l'amour (ju'il deiait â son
prochain, il témoigna de l'affliction à lu perte
de ses enfants, et pour ne pas manqu r à l'a-
mour de Dieu, il lut adressa ses priïre* au
plus fort de > trs.
Ces excellentes paroles de ce saint pipe
nous marquent admirablement quelle doit
être la lilualion d'une âme chrétienne dans
la douleur; cependant ce nest encore r
si nona n'enirons pas dans des vues chré-
tiennes confoi mes à cette situation et capa-
bles de nous sanctifier. Je les trouve renfer-
mées dans les paroles de ce saint pape : car
si \ us y avez pris carde, il nous a fait en-
tendre qu'il y avait un châtiment dans la dou-
leur, un amour à marquer par la douleur,
et un autre amour à conserver dans la dou-
leur.
l'ermeltez-moi là-dessus de fiver l'esprit
de l'âme chrétienne dans celle situation : il
faut donc considérer d'où procède celle dou-
leur, afin de nous en humilier, et la recevoir
comme un châtiment; à quoi elle nous en-
gage, pour le faire en accomplissant un pré-
cepte ; enfin à quel danger elle nous expose,
pour l'éviter et pour demeurer dans l'amour
de Dicn.
Oui, mes frères, la douleur que nous res-
senlons dans la mort de nos amis doit nous
tenir lieu de châtiment ; car si nous n'ai ions
jamais péché, notre âme, toute pleine de
Dieu, pour qui elle est créée, uniquement
attachée à lui, ne serait soutenue que par
son amour, au lieu que depuis le péché, s'é-
tant séparée de son Dieu, elle cherche dans
les créatures des secours , des aides et
des soutiens qu'il lui permet d'y prendre,
pourvu que ce soit selon les mesures qu'il a
réglées.
De sorte que, comme Dieu souffre par con-
descendance qu'elle sente de la joie dans la
possession de ses créatures qui aident à la
soutenir dans son état d'infirmité , il veut
bien qu'elle s'afflige quand elle les perd.
Mais comme la née ssité où elle se trouve
est une suite de son péché, il faut que la
douleur qu'elle en ressenl lorsqu'elle ne les
a plus fasse une parlie de sa pénitence, cl
qu'en s'humiliant devant Dieu de voir qu'il
ne lui suffit plus pour la soutenir par lui-
même immédiatement, elle porte la honte
d'être déchue de sa première perfection,
comme la peine de son pèche, et sente la
douleur que lui cause la perte de c es soutiens
étrangers. Mais ce n'est pas encore là le seul
u*age de celle douleur, il faut qu'elle ser\ e à
nous acquitter de nos devoirs, après nous
avoir découvert nos misères : car, mes frè-
res, Dieu a voulu, par une admirable dispo-
sition de son amour pour nous, que ce qui
est une suite de notre péché nous devint un
moyen de sanctification, et que ces créatures
dont le secours ne nous est devenu néces-
saire, comme nous l'avons expliqué, que de-
puis que nous sommes devenus couuabli B,
fussent les objets d'un amour qui fait par-
tic de celui que nous lui devons à lui-
même.
Mais en voulant s'acquitter dos devoirs de
l'amour du prochain, il faut prendre garda
de ne pas violer ceux de l'amour de Dieu,
qui nous oblige à regarder la mort de nos
561
SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA PASSION.
5G2
amis, non pas comme un effet du hasard, ni
comme une fatale nécessité de la nature, ou
comme un simple dérèglement des humeurs
et des parties qui composent l'homme, mais
comme unejustedisposilionde sa providence,
comme l'exécution d'un arrêt de sa justice,
ou comme la consommation du sacriûce de
l'homme chrétien.
Ainsi, mes frères, en considérant l'accident
qui nous enlève nos amis, non pas en lui-
même et hors de Dieu, mais dans Dieu et hors
de lui-même, nous nous contenterons de lui
dire, comme les saintes sœurs de notre évan-
gile : Domine, si fuisses hic, frater meus non
fuisset mortuus : Seigneur, si vous aviez
voulu me conserver cette personne qui m'é-
tait si chère, la chose dépendait de vous;
mais vous en avez usé autrement, j'adore les
ordres de votre providence et je me soumets
aux arrêts de votre justice. Quoique la na-
ture s'en plaigne et que je donne des larmes
aux sentiments qu'elle me donne, ces vues
de la foi me soutiennent, et je sais qu'en dis-
paraissant à mes yeux pour un temps, elle
ne fait que me devancer dans la vie bienheu-
reuse, où je dois la retrouver bientôt, et où
elle me sera d'autant plus chère, que nous
nous connaîtrons plus parfaitement et que
je ne craindrai plus d'en être jamais éloi-
gné.
Voilà, mes frères, quelles doivent être les
vues d'une âme chrétienne dans la douleur.
Servez-vous-en dans l'occasion; ne vous
abandonnez pas aux excès , et souvenez-
vous que celui qui n'est point mort à l'égard
de Dieu ne doit pas l'être à votre égard, puis-
que vous êtes destinés à jouir d'une félicité
commune et éternelle. Je vous la souhaite.
Ainsi soi t— il.
SERMON
POER LE DIMANCHE DE LA PASSION.
Des dispositions nécessaires pour approcher
de l'Eucharistie.
Accepit Jésus panes, el cumgratias egisset distribuil di-
scumbentibus.
Jébm prit les pains, et après avoir rendu grâces à Dieu,
il les distribua à ceux qui étaient assis {.louh., VI , 11).
Les saints Pères ont toujours regardé ce
pain miraculeux qui se multiplie dans les
mains du Sauveur pour la nourriture du
peuple qui l'a suivi dans le désert, comme
la ligure de l'eucharistie; mais ils ont re-
gardé en même temps les mouvements de < e
peuple qui suivit le Fils do Dieu, comme la
figure de la préparation nécessaire pour re-
cevoir dignement celle divine nourriture.
Car le dessein que forma le Sauveur de nour-
rir ces peuples fut comme une récompense
de ce que ce peuple avait fait. Jésus, est-il
dit, prit dune des pains, comme ne pouvant
se dispenser do faire un miracle en faveur
de ceux qui s'en étaient rendus dignes par
leur fidélité et par leur zèle : J'ai, dit-il,
compassion de ce peuple.
Je ne doute point, mes très-chers frères,
que l'Eglise n'ait placé la lecture de cet
évangile dans ce saint temps, afin que nous
apprissions à ses enfants ce qu'ils doivent
faire pour solenniser dignement la pâque,eu
leur exposant la conduite de ce peuple pour
leur servir d'exemple ; et c'est ce qui fait que
je vous le rappelle encore. Dimanche der-
nier j'en tirai tout ce qui pouvait convenir
au précepte de l'aumône ; aujourd'hui nous
vous la représentons encore pour vous ins-
truire sur ce qu'exige de vous le précepte de
la communion. Je ne m'arrêterai qu'à deux
choses marquées par les évangélisles qui
rapportent ce que fit le Sauveur du monde.
La première, c'est que ces peuples quit-
tent la ville et abandonnent leurs maisons
pour suivre Jésus-Christ dans le désert, c'est
ce qui est marqué dans saint Matthieu et
dans saint Marc. La seconde, c'est que Jé-
sus-Christ guérit les malades qui se trouvè-
rent parmi eux avant que de leur donner
cette nourriture miraculeuse ; et de là j'ap-
prends que pour recevoir le corps de Jésus-
Christ et solenniser dignement la pâque des
chrétiens, il faut quitter le commerce du
monde : ce sera la première partie. 11 faut
prendre soin de se guérir par la pénitence
des blessures qu'on a reçues dans ce com-
merce : ce sera le sujet de la seconde partie.
Ces deux vérités renferment la prépara-
tion nécessaire à la communion. Tu n'en
approcheras jamais, pécheur, que pour y
recevoir ta condamnation, si tu le fais en
demeurant attaché au commerce du monde;
ou si, après l'avoir rompu, tu ne prends pas
du temps pour guérir ton âme par une péni-
tence salutaire.
Faites, ô mon Dieu ! que je rende ces deux
vérités si sensibles, que chacun examinant
sa disposition songe à prendre des mesures
pour ne pas tomber dans le malheur d'une
indigne communion à la solennité de Pâ-
ques; c'est la grâce que je vous demande
par l'intercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
La première instruction que je tire de la
conduite du peuple dont il est parlé dans no-
tre évangile, c'est, mes frères, que pour être
en état de recevoir dignement le corps de
Jésus-Christ, il faut quitter le commerce du
monde; or, pour donner toute l'étendue et
tout l'éclaircissement nécessaire à cette im-
portante instruction, examinons, 1° sur quoi
est fondée la nécessité de quitter le com-
merce du monde pour recevoir Jésus-Christ
dans la communion. 2° Nous marquerons
quel est le commerce du monde qu'il faut
quitter absolument. Lutin nous donnerons
les règles que le chrétien doit suivre pour ne
passe rendre indigne de la communion, en
demeurant dans un certain commerce insé-
parable de la condition d'un homme qui est
lié au monde. ,
La nécessité de quitter le commerce du
monde pour recevoir Jésus-Christ dans la
communion est fondée sur la nature de la
communion même ; car qu'est-ce que la com-
munion? C'est la participation au corps do
Jésus-Christ , participation qu'il a instituée
dans son Lglise sous le sacrement de l'eu-
charistie pour y entretenir la vie do la grâce
OKATTXRS SACRES. DOM JKItOME.
et y verser les semences de la gloire éter-
nelle : d'où j'.ippi ends qu'il 1 1 ni considérer
l'eochar sti • parràpporl à la quali ô 'le ceux
pour qui elle <'st instituée, par rapport!
relie do la vie qu'elle augmente, et par rap-
port à la gloire dont elle e ( le gage. Or tout
cela me convainc qu'il faut être séparé du
monde pour la recevoir dignement; car
qu'cst-Ce que le chrétien, et d'où |. rend-il
son ê'rc qui !e constitue dans celle qualité
et qui lui donne droil sur le corps adorable
de Jésus-Christ ? Le chré'ien est un homme
séparé du monde, il reçoit son être de la
grâce de Jésus Christ qui le sanctifie en l'u-
nissant «à son Eglise par le baptême, et
comme il ne reçoi le baptême qu en renon-
çant au monde pour être uni au corps dont
Jésus-Christ e«t le chef, son être est vérita-
blement un être de séparation, et il est in-
digne des biens attachés à cet étal lorsqu'il
est déchu de cette séparation par son infi-
délité, et qu'il est rentré dans le monde au-
quel il a renoncé par son baptême.
Jésus-Christ , mes Irès-chers hères, n'a
dessein de nourrir de sa chair que ceux qui
sont dans son Eglise, parce qu'il n'y a que
ceux-là qui soient ses enfants. Son Fglisc
est séparée du monde, comme il nous di en
mille endroils de l'Ecriture. Ses enfants ne
sont distingués que par le renoncement au
monde et à ses pompes; il faut donc avoir
renoncé au monde pour être digue de la
nourriture des chrétiens.
De plus, si nous considérons que l'eucha-
ristie ne donne pas la vie à ceux qui ne l'ont
point, mais qu'elle l'augmente et la fortifie da os
ceux en qui elle est, nous trouverons qu'il
ne suffit pas de porter la qualité de chrétien
pour la recevoir, mais qu'il faut être vivant
de la vie du chrétien. Or celte vie, c'est la vie
de Jésus-Chrisl, et la vie de Jésus-Christ est
une vie de séparation, de silence, d'à !ora-
tion, d'immolation intérieure, de mortifica-
tion. Il faut donc que cette vie-là soit en
nous, et si la condition de la vie présente
nous retient dans la qualité d'enfants des
hommes, il faut que toutes les affections de
nuire cu'ur nous séparent de la (erre . nous
donnent les sentiments et la conduite des en-
fants de Dieu ; il faut que ces deux vies soient
tellement réglées en nous, qu'en vivant en
enfants de Dieu nous nous ennuyions de la
vie présente, et que, consumant l'homme
peu à peu, la vie d'enfants de Dieu demenre
vigoureuse, comme dans le sacrement, se-
lon saint Chrysostorne , la parole du Fils de
Dieu demeure victorieuse en cons'.manl la
substance du pain pour f.iirc place à sou
corps. Et pour avoir en nous celle vie de Jé-
sus-Chrisl, il faut, dit saint Augustin, être
membre de son corps; ciril n'y a que le
corps de Jésus-Christ qui vive de l'esprit de
Jésus-Christ. Son corps , qui est son Eglise,
est séparé du monde comme nous venons
de le dire; la vie qui l'anime est donc une
vie de séparation ; il faut que celte \ ie suit
en nous pour recevoir le frl t du sacrement,
et de laie tire cette conséquence pour nuire
instruction, que ceux, qui communient sou-
vent, et qui ne paraissant pas plus séparés
du monde, c'est-à-diie plus détaché- de sefl
biens plus ennemis de sel p' aisirs, pins éloi-
gnés de es maximes, plus applique» a les
détruire dans eux-mêmes eu combattant
leurs passiont| ne communient pat digoa»
ment : car la grande règ e ponr jn_ |
fruit de la coin m uni un. c'est de reçu un litre ,
dit saint Augustin, m nous d ineurons en Jé-
sus-Christ et si Jésot-Cbrist demeurées;
nous. Il laul donc demeurer en Jésus-I Jirist
pour approcher du sacrement, ce qui ne peut
cire si nous ne sommes séparés du monde ;
et alors Jô- us-Christ demeurera en nous par
la vertu du sacrement, ce qui ne M peut fl
que nou-i ne voyions augmenter en nous la
séparation, l'éloignemenl et l'aversion pour
le monde.
La plus sûre preuve d'une bonne commu-
nion est de tenir à Je us-Christ la promesse
et la protestation que nous ui faisons en le
recevant de ne vouloir être qu'une même
chose et un même esprit avec lui . de n'avoir
qu'une même volonté et de mener une vie
semblable à la sienne; car pourquoi le re-
cevons-nous, sinon pour nous unir et nous
incorporer à lui, pour nous donner tout à
lui et ne vivre que pour lui? Oue si nous
ajoutons à tout cela que ce pain adorable
verse en nous les semences de la gloire éter-
nelle, comme Jésus-Christ nous en assure
dans l'Evangile : Qui manducat virant car—
nem habet vilam œternam : Celui qui mange
ma chair a la vie éternelle, nous compren-
drons que l'eucharistie, qui met en nous os
divines semences de la gloire éternelle, com-
me l'explique saint Augustin après le S au-,
veur, doit nous t' nir durant celte vie dans
un état qui ail du rapport avec celui des
bienheureux qui sont remplis de Dieu, qui
sont entièrement sépar s du monde , et qui,
par des ardeurs toujours nouvelles, désirent
incessamment de posséder ce qu'ils possé-
deront toujours. Pour nous unir à Jcsus-
Christ dans le sacrement, il faut donc que
nous soyons séparés du monde, que nou> l y
tenions par aucun amour déréglé, et que la
faim et la soif de la justice nous rendent di-
gues d'être rassasiés d'une nourriture si
adorable et si divine.
Ainsi, mes frères, vous voyez par tout l'or-
dre de la religion, à la prendre depuis l'entrée
que nous y faisons par le baptême jusqu'au
repos quelle nous promet dans la gloire,
qu il faut être sépare du monde et en avoir
quille le commerce pour appricher digne-
ment de la divine eucharistie, figurée par le
pain que Jésus-Chrisl dislri. ne au peuple
dans noire évangile, parce qu'il l'a suivi
dans le désert.
Il s'agit maintenant de savoir quelles sont
C( B liaisons qu'il faut quitter absolument
pour ne se pas rendre indigne de le i.
ristie, et c'est ce que nous vous marquerons
aisément en suivant le même ordre que je
viens d'établir pour la preuve d e II sépara-
tion. Tout commerce qui ( si Incompatible
ave; a i linteté du chrétien, qui éteint en
nous la vie de Jesus-Christ, et qui porte par
585
SEKMON POUR LE DIMANCHE DE LA PASSION.
5G6
lui-même exclusion de la gloire éternelle,
doit être abandonné nécessairement, si nous
voulons nous rendre dignes de recevoir Jé-
suv-Ghri't dans l'eucharistie. Ne savez-vous
pas, dil saint Paul, que les injustes ne seront
point héritiers du royaume de Dieu? Ne vous
y trompez pas, ni les fornicateurs, ni les adul-
tères, ni les impudiques, ni les abominables, ni
les voleurs, ni les avares, ni les ivroqnes, ni les
médisants, ni les ravisseurs du bien a" autrui
ne seront héritiers du royaume de Dieu ; et
voilà les commerces qu'il faut quitter abso-
lument. Ainsi, vous que l'avarice domine et
qui ne pensez qu'à l'établissement de votre
f'orlune, qui embrassez indifféremment tou-
tes sortes de professions, qui entrez dans
toute-, sortes d'affaires propres à vous enri-
chir, sans considérer si Dieu les approuve
et si elles sont conformes à cette justice qui
doit régler toutes les entreprises d'un chré-
tien, il faut rompre ces injustes commerces,
il faut abandonner ce bien que vous avez
acquis injustement, il faut le restituera ceux
que vous en avez cruellemeni dépouillés, soit
par vos usures, soit par votre mauvaise foi
dans le négoce, soit par vos iniquités dans
les affaires, soit enfin par celles qui se com-
melient tous les jours dans l'administration
de la justice; car les injustes ne seront point
héritiers du royaume de Dieu. Vous qui êtes
dans des commerces de débauches, il faut les
rompre pour toujours, en éloignant les per-
sonnes qui y contribuent, en ôlant de devant
vos yeux et d'entre vos mains tout ce qui
peut vous on faire ressouvenir et ne les re-
prendre jamais ; car ni les fornicateurs, ni les
adultères, ni les impudiques ne seront point
héritiers du royaume de Dieu. Vous qui vivez
dans des haines invétérées et dans des res-
sentiments contre voire prochain, qui vous
portez à lui nuire en tout, à décrier sa con-
duite, à flétrir sa gloire, à vous opposer à son
bien, il faut vous réconcilier de bonne foi,
lui rendre justice, le prévenir et prendre des
mesures pour vivre avec lui comme doivent
vivre des chrétiens qui sont les enfants d'un
même père, qui font profession d'une même
foi, qui espèrent une même gloire, et qui
doivent se trouver à la même table pour y
manger la chair d'un Dieu. Vous enfin qui
croupissez dans celte vie molle, inutile, sen-
suelle, voluptueuse, qui passez une grande
partie de votre temps dan-, le jeu, dans les
speda'ies, dans des conversations oisives et
souvent criminelles, dans la recherche des
satisfactions de vos sens, ilfautchangcrde vie
en renonçant a la société des personnes qui
vous y entretiennent.
Gomme je ne puis pas entrer dans le détail
de toutes vos liaisons avec le nmnde, soula-
gez-moi, mes frères, en vous faisant à vous-
mêmes l'application de ces principes selon
votre disposition particulière.
Voici la règle générale : tous les commer-
ces qui sont contraires aux engagements de
notre baptême, qui éloignent en nous la vio
le Jésus-Christ, et qui portent exclusion de la
gloire, doivent être absolument rompus pour
ipprocher de Jésus-Christ dans l'eucharistie;
car elle n'est instituée qne pour ses enfants,
il ne veut nourrir que ses disciples, et il ne
veut donner son corps qu'à ceux à qui il
prépare sa gloire.
Voyons donc, mes frères, ce qu'il faut faire
dans une occasion d'une si terrible impor-
tance, et examinons un peu quelles règles
doit suivre le chrétien pour ne pas se rendre
indigne du corps de Jésus-Christ en demeu-
rant dans un certain commerce inséparable
de la condition d'un homme lié au monde, et
pour cela faisons attention à la nature de la
condition que vous avez embrassée; car il y
en a qui sont mauvaises de leur nature, et
celles-là il les faut quitter absolument : telle
est celle des comédiens, des usuriers, de ceux
qui tiennent des lieux publics de jeu et d'as-
semblées, de licence criminelle et de débau-
che, et qui contribuent directement au péché
d'aulrui ; il est inutile de faire la critique
de ces conditions. Il y en a d'autres qui sont
bonnes de leur nature, comme -ont celles
qui sont approuvées de l'Eglise , dont les
exercices peuvent être rapportes à Dieu,
dans lesquelles les hommes se peuvent sanc-
tifier, et par lesquelles il y a eu des saints
qui ont passé en cette vie. Celles-ci peuvent
être embrassées sans crainte et sans tern-
pule. Enfin il y en a d'autres qui sont dan-
gereuses, et à parler sincèrement il n'y en a
guère qui ne soient telles par la corruption
présente des hommes et par le dérèglement
effroyable de leur cupidité. Pour celles-ci il
faut bien du discernement pour s'y conduire,
et il faut demanler conseil pour s'y soute-
nir. Il faut examiner les inclinations et les
qualités des particuliers qui sont attachés
aux conditions; car c'est presque de là que
tout dépend, puisque nous voyons tous les
jours qu'une conditionnai est une voiedesalat
pour quelques-uns est une voie de damna. ion
pour d'autres. Ainsi, mes frères, ou peut se
sauver dans le négoce; mais quand un homme
est né si avare et si avide des biens, que,
pour en acquérir il ne garée aucune mesure,
trompe ceux qui traitent avec lui et commet
mi, le mensonges et mille infidélités dans son
commerce, celte profession, qui est bonne e
en elle-même, est mauvaise pour lui. Ou
peut être un fort bon chrétien et un sage
magistrat, manier les affaires d'aulrui et ren-
dre la justice en taisant son salut; mais si
un homme reconnaît par expérience qu'il
n'a pas assez d'intégrité pour sacrifier ses
intérêts à la justice, ni asez de fermeté pour
résister à la faveur et pour souenir coura-
geusement la cause du pauvre et de l'op-
prime, cette profession, qui est si éminenle
par elle-même, je dis même sainte, est per-
nicieuse pour cet homme-là. Que laul-i, donc
qu'il fasse s'il veut s'approcher de l'eucha-
ristie? Il faut qu'il quille sa profession, puis-
qu'il ne peut pas y vivre eu chrelicn ; elle
est aussi pernicieuse pour lui en par iculier
gue celles qui sont mauvaises par elles-mê-
mes le sonl pour tous les hommes; il la faut
cloue (initier, »oux ne pouvons pat, dil I -
poire, participer à la table du Seigneur et
à la table des démons.
ORATEURS SACHES
Ceci est d'une très-grande importance,
car il y a des gens qui sont d ms des étatl
par avarice et par ambition, dans lesquels
ils trouvent des occasions toujours prochai-
nes de pécher, qui ne longent pas à exami-
ner ce que j'expose ici, ci qui se contentent de
s'accuser des fau'cs qu'ils commettent, sans
découvrir le fond de leur disposition ; qui fré-
quentent les sacrements, qui font leurs pâ-
ques, el qui se perdent sans y faire aucune
réflexion. Voilà, mes frères, ce qui regarde
les conditions qui sont mauvaises par elles-
mêmes, ou que notre corruption a rendues
telles pour nous en particulier; car il faut
être dans les différentes conditions du monde
sans être du monde. On peut être les sujets
du monde par son emploi, mais il ne faut pas
être les esclaves du monde par le péché dans
son emploi. Dieu ne veut point donner la
manne à son peuple qu'il ne soit sorti de
l'Egypte et qu'il n'ait abandonné cette terre
gouvernée par Pharaon. Il ne donne point
non plus son corps sacré à ceux qui sont sous
la domination du monde et esclaves des vo-
lontés et des lois de son ennemi; il ne nour-
rit que ses disciples. Ainsi, mes frères, soit
que vous soyez les esclaves du démon par les
péchés que vous commettez dans vos em-
plois, soit que vous les soyez par la corrup-
tion de votre cœur ou par le dérèglement de
vos passions, il faut rompre ces commerces
malheureux qui vous attachent au monde
et qui vous rendent indignes de Jésus-
Christ.
Mais, me direz-vous, je n'ai rien à me re-
procher dans ma condition, je fais mon de-
voir, je n'ai rien à quitter à cet égard ; il n'en
est pas de même pour mes habitudes parti-
culières. Que faut-il faire pour rompre ces
commerces? Ne suflit-il pas de m'en confesser
et d'en avoir de la douleur? 11 est vrai pour-
tant, et je dois l'avouer, que j'ai déjà fait
plusieurs fois mes pâques, croyant même les
avoir bien faites ; cependant je vois bien
qu'il n'en est rien : que dois-je faire? et p ir
où connaîtrai-je que ce commerce est rompu
et que je puis me présenter avec conûance
à la table sacrée pour y recevoir le corps
adorable du Sauveur?
Voici les règles que les saints Pères nous
ont prescrites sur cette matière. Il faut dé-
tester sincèrement les œuvres du monde; car
c'est la marque qu'on en a une haine sincère
et que le cœur est loin du péché ; il faut éloi-
gner toutes les occasions qui pourraient
nous engager dans ces œuvres et nous met-
tre de nouveau dans les pratiques que vous
devez rompre; il faut faire des œuvres con-
traires à celles que vous délestez : des au-
mônes, si c'est par l'avarice que vous étiez
lié criminellement au monde; il faut prendre
du temps pour reconnaître si vous êtes con-
firmé dans la haine de votre commerce et
dans l'amour des œuvres contraires.
Mais vous me direz peut-être : Voici Pâ-
ques, il faut communier; je n'aurai pas le
temps de faire tout ce que vous proposez ici.
A cela je vous réponds : Employons de bonne
foi le temps d'ici à Pâques à mettre ordre à
DO.M JEROME.
!C8
nos affaire*, el l'on pourra avancer beaucoup.
11 est rrai qu'il !aut communier à Pâques,
mais c'est suppose qu'on en soit digne. Co
serait une terrible erreur de croire que l'I.-
glisi nous veuille obliger à faire d'indignes
communions. Remarquez, mes frères, quel
est l'esprit de l'Eglise : elle a institué le ca-
rême pour nous préparer à la communion de
Pâques; le concile de Trente re ommandc
qu'on lasse sa confession au commence—csH
du carême, afin qu'on ait le temps de mettre
ordre aux affaires de sa conscience, et qu'on
ne s'expose pas au péril de recevoir le poison
d'une communion précipitée. Saint Char!
le fidèle inlcrprètc du concile, ne voulait pas
que les prêtres de son diocèse entendissent
des confessions depuis le dimanche des Pal-
me , mais qu'ils ne lissent que de simples
réconciliations, afin que, chacun ayant pris
un mois entier pour bien régler tout le fond
de si s affaires e! de sa conscience, ou fût en
état de communier dignement. Mon Dieu, où
en sommes-nous aujourd'hui? Un homme
qui a été un an entier sans s'approcher des
sacrements, qui n'a peut-être jamais exa-
miné par les bonnes régies, ni sa condition,
ni son commerce, ni ses engagements dans
le monde, ni le fond de. ses inclinations, de
ses habitudes et de ses passions, cet homme
prend tout an plus une heure pour se pré-
parer, et dans une autre heure de ternes il
se confesse, il fait pénitence el il communie.
Je vous avoue que cela fait trembler. Ah! si
nous pou\ ions voir les choses terribles qui
se passent dans la quinzaine de Pâques,
combien verrions-nous de malheureux qui
se donnent la mort en recevant l'auteur de la
vie 1 combien de sentences de damnation
éternelle que Jésus-Christ rend contre ceux
qui pensent l'honorer exlraordinairemenl 1
combien de passages inutiles que l'arche fait
dans ce saint temps parmi les ebréliens ,
parce qu'elle est environnée par des Phi-
listins, et non pas par de véritables Israé-
lites !
Nous sommes tombés dans le grand mal-
heur dont saini Augustin menaçait les hom-
mes : ils négligeaient les remèdes de la pé-
nitence el le soin de se rétablir peu à peu
dans la vigueur el la santé de l'âme; nous
faisons un jeu du péché, de la pénitence et
de la religion. Songez-y, pécheur», vous qui
vivez dans des commerces indignes de la
sainteté du chrétien, el de qui les passions
déréglées sont encore vivantes dans le cœur,
reconnaissez ce qui va vous arriver si vous
communiez avant que d'avoir rompu ces
commerces, avant que d'avoir mis ordre aux
affaires de votre conscience, et entendez
l'histoire funeste el déplorable de votre perle
dans celle de Hallhazar.
Il se fit apporter les vases d'or que sou
père avait tirés du temple de Jérusalem :
voilà l'idée de la solennité de Pâques
vases sacres sont ouverts pour tous les chré-
tiens, et on va leur distribuer indifférem-
ment les trésors adorables qui y sont ren-
fermés. H but dedans, mais il y but comme
uu roi superbe, et non pas comme un peut-
B69
SERMON TOUR LE DIMANCHE DE LA PASSION.
570
tent humble, tremblant et effrayé, il n'y but
pas seul, ses concubines y burent avec lui :
c'est l'image d'un malheureux qui commu-
nie avec ses passions dans le cœur. Dans ce
moment de profanation une main parut qui
écrivit contre la muraille : voilà l'arrêt ef-
froyable de ta condamnation, profanateur
du sang adorable de Jésus-Christ, écrit d'une
manière invisible par ce même sang que lu
déshonores. Le temps de Ion règne est
compté, et Dieu en détermine la fin ; il com-
ptera tous tes autres péchés, ce sacrilège
mettra le sceau à ta réprobation, et le dé-
mon deviendra maître de ton cœur pour
toujours, d'une manière d'autant plus terri-
ble qu'elle ne se fait pas sentir, et que, con-
tinuant à vivre encore quelques années
selon les désirs corrompus de ton cœur, lu
ne reconnaîtras cette effroyable domination
qu'après que Dieu aura livré ton âme au
démon et qu'il t'entraînera dans les enfers.
Mes frères, ces terribles effets de la juste in-
dignation de Dieu s'exécutent tous les jours
sur les hommes. Songez donc à rompre des
commerces qui peuvent les attirer sur vous.
Que si vous n'êtes pas dans des commerces
qu'il faille rompre absolument, songez qu'il
n'y en a guère qu'il ne faille interrompre
pour se rendre digne d'approcher de la com-
munion. La manne ne tombait point dans le
camp d'Israël, mais autour du camp, à cause
de la saleté du lieu : ce qui marque celle qui
se contracte dans la société des hommes,
qu'il faut quitter pour un temps afin d'être
digne de recevoir la manne divine. |
Le Sauveur du monde avait pensé à se re-
poser lorsqu'il s'était retiré dans le désert,
où le peuple l'est allé chercher; cependant il
cède à la nécessité de ce peuple, il lui sa-
crifie son repos et le temps destiné à la
prière : devoir des pasteurs et des bons mi-
nistres de Jésus-Christ • mais dès qu'il a sa-
tisfait à ce devoir, il interrompt ce commerce
si saint, si sacré, si divin, si nécessaire.
Tout doit céder à la nécessité de se prépa-
rer, el pour s'approeber de Dieu il n'y a point
de commerce qu'il ne faille interrompre.
Ainsi ce peuple de notre évangile quitte
la ville, parce que, comme le dit saint Am-
broise, le pain de Dieu n'est point pour des
personnes oisives et qui passent le temps
dans les divertissements des villes, mais
fiour ceux qui cherchent Jésus-Christ dans
c désert.
Remarquez, en confirmation de cette vé-
rité, ce qui est dit dans la parabole du ban-
quet au chapitre XIV de saint Luc; toute
celte parabole est la figure de l'eucharistie.
Celui qui a acheté une terre n'y veut point
venir, celui qui a acheté des bœufs s'en ex-
cuse, celui qui est marié refuse celui qui le
va convier : ce qui nous marque, selon les
Pères, que ceux qui sont trop appliqués aux
affaires' temporelles, même justes, et trop
attachés aux personnes qu'ils doivent aimer,
se forment des obstacles à la communion
fiar l'excès de leurs soins cl de leur sensihi-
i lo ; et si nous ne pouvons pas dire qu'ils
doivent rompre ces commerces légitimes, et
qu'il faille qu'un homme de qui l'exercice est
réglé dans un emploi chrétien, le quitte et
qu'il abandonne une femme et des enfants
qu'il doit aimer, je dis, mes frères, qu'il n'y
a point de commerce dans le monde, ni
d'exercice dans la société, ni d'union dans la
vie civile qu'il ne faille interrompre de
temps en temps pour penser à soi et se pré-
parer à approcher de Jésus-Cbri?t; car enfin
on reçoit des plaies dans ces commerces, et
il faut êlre sain et vigoureux pour manger
le pain des forts. Si donc nous n'avons pas
de commerces à rompre par la miséricorde
de Dieu, nous avons au moins des plaies à
guérir. Nous n'avons peut-être point de sé-
paration à faire, mais nous avons besoin de
pénitence. Jésus-Christ guérit les malades
qui se trouvèrent parmi le peuple avant que
de leur donner cette nourriture miraculeuse,
et personne, dit saint Ambroise, ne doit re-
cevoir le corps de Jésus-Christ qu'il ne soit
guéri par sa vertu : c'est la seconde instruc-
tion que nous lirons de notre évangile, et le
sujet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Je suppose, mes (rès-chers frères, que le
commerce du monde est rompu, c'est-à-dire
qu'ayant examiné l'état de vos affaires, vos
habitudes et vos inclinations, et qu'ayant re-
connu, ou que votre profession étant mau-
vaise, vous êtes résolus de la quitter, ou
qu'étant dangereuse pour vous, vous êtes ré-
solus de prendre des mesures avec votre
pasteur pour pouvoir vous y régler de telle
sorte que vous puissiez y vivre en assurance
et y faire votre salut, ou qu'ayant vécu dans
des habitudes, vous êtes résolus de les quit-
ter, ou enfin que vous n'avez rien oublie
pour vous dégager du péché et pour rompre
tout commerce qui puisse vous rendre indi-
gnes de la communion, et dans lequel vous
n'auriez pu vous en approcher sans com-
mettre un horrible sacrilège et sans manger
votre jugement : cela étant ainsi, je dis qu'il
faut maintenant que vous preniez soin de
vous guérir, par le remède de la pénitence,
des plaies que vous avez reçues dans le com-
merce du monde que vous avez quitte; c'est
la seconde instruction que nous devons tirer
delà conduite que le Sauveur a gardée à
l'égard du peuple de notre évangile : ils l'ont
suivi à pied dans le désert, et ils ont quille
le commerce du monde : 11 guérit les malades,
dit saint Matthieu.
Mais pour nous animer à celte pénitence,
voyons sur quoi est fondée la nécessité de
la faire, et ensuite nous verrons en quoi elle
consiste el quelle est la manière de la faire
solidement.
La nécessité de faire pénitence est fondée
sur ce principe : il faut être guéri pour re-
cevoir le corps de Jésus-Christ, parce que ce
corps adorable est la nourrilurc de notre
âme : or, comme on ne donne point de nour-
riture solide à un homme qui vient de sortir
d'une grande fièvre, mais qu'on attend qu'il
ail été purgé, de peur d'accabler la chaleur
naturelle et d'augmenter le mal, ainsi, quoi-
571
ORATR'RS SACRES. I OM JrROME.
qu'un Irommo ait rossé d'être pécheur on se
convertissant i Dieu, et que par l'abandon*
nemenl des liaisons <|ni le tenaient dans le
péehéi il soit sorti dé l'état de mort, il n'est
pas guéri pour cela, sun Ame est eilrésne-
nsénl faible) H ai* restes d'où il est sorti par
la grâ e sont des foirante* qui ne se gnéris-
Senl qu'avec la temps et peu à pcii : voila le
langage des saints l'ères. Or, mes fières, le
remède naturel de ces infirmités, ('est la
pénit' nce : rar il faut bien se mettra dans
l'esprit que comme la vie de l'âme c'est l'a-
mour rie Dieu, la santé dp l'Ame c'est la force
de cet amour ; et je ne puis connaître qu'une
unie est parfaitement guétie que quand elle
me donne des marques solides de son amour
pour Dieu. Or c'est par l'exercice de la pé-
nitence qu'on donne des marques de cet
amour; ('est en gémissant et en versant des
larmes qu'un chrétien peut me faire connaî-
tre qu'il a du regret d'avoir offensé Dieu;
c'est en vivant dans la retraite du nu nde et
dans la privation des plaisirs qu'il peut me
convaincre qu'il veut satisfaire à sa justice ;
c'est en combattant ses passions qu'il peut
me persuader qu'il a du tegrel de les avoir
suivies, et qu'il veut, en souffrant tout ce
que la pénilem e a de laborieux, effarer ce
qui l'a rendu si longtemps indigne de I amour
de son Dieu et digne de toute sa colère.
Mais je ne dois pas simplement cioire ses
paroles, il faut des actes pour dclruir ' des
a< les ; il a fait voir qu'il était ennemi de Dieu
par le dérèglement de sa vie. il faut qu'il
fasse connaître par une conduite contraire
qu'il est < 'Mangé et qu'il aime c <iu'il a haï.
Je connaîtrai son amour peur Dieu par sa
pénitence, car je n'ai point d'autres mar-
ques pour en juger.
Ces paies miraculeux que !e Sauveur dis-
tribue dans le désert i e sont pas seulement
la figure de son corps, c'est encore et lie de
la pénitente, selon saint Ami roise : c; r il
faut remarquer avec ce sain; docteur que le
Sauve- • . fait den\ différentes distribution*
de pain dans le désert : l'une dans laquelle
le Sauveur distribua cinq pains à cinq mille
personnes, et l'autre où il en distribua sept à
quatre mille.
Les cinq pains sont la tïgnro de la péni-
tence : car remarquez que t'étaient de- pains
d'or: e, qui sont moins agréables au goût :
premier rapport avec la pénitence. Ces pains
servent de remèdes autant que d'à iments :
second rapport avec la pénitence qui guérit
les plaies do l'âme. 11 distrib' e aut-.nl de ce
pain qu'il y a de peuple, cinq à six mille
personnes : autre rapport dans la proportion
qu'on doit mettre entre la pénitence el le pé-
ché. Dans l'autre distribution que fait le Sau-
veur, il donne du pain de froment, qui est
une nourriture plus solide: premier l'apport
avec son sacré corps, il en donne et il y
ajoute des poissons sans aucun nombre :
second rapport, Il communique la grâce avec
beaucoup plus d'abondance. Il n'j a que
quatre mille personnes qui mangent de ce
pain : troisième rapport a\ec le pain eucha-
ristique, qui ne doit être distribué qu'à un
nombre de personnes éprouvée*, pend ut
que le pain de la pénitence se doit donner a
Ions ceoi qi i se présentent.
I)' h saint Ambroine conclut i|ue chaque
degré de grâce I si nourriture propre (tans
l'ordre de D;eu. On de t 4'mboré no?<« donnât
l'orge de la pénitence, el puis le ft>rr.'tit dH
cl us; rai celle nourriture n'itl que pour ceux
<jai se sonttjuéiis tic leurs plaies et fêttijMê
pur lu pénitence : ce son' là les pr<q
les de saint Ambroise. Ces! pourquoi I I -
glisc, toute remplie de l'esprit de son époux,
n'a jamais prétendu donner la participât! n
de son corps a ceux qui sont tombés dans les
pèches mortels et qui ont croupi dan* l< v ha-
biludi s criminel!* s, qu'après les a\ oir éprou-
vée guéris et puriliés par l'exercice de 11
pénitence. 1! n'y a rien de si constant dans
sa discipline ancienne, el de si conforme à
son esprit, qui ne peut changer. Elle déter-
minait le temps de la pénitence selon la qua-
lité dis crime- : ceux qui étaient dans ces
exercices prenaient la gauche dans l'église;
là, couverts de cilice. ils regardaient les au-
tres s'approcher de l'autel du Seigneur sans
qu'ils en approchassent; ils considéraient
avec quelle frayeur on doit craindre d'être
admis à l'heure de la mort à la gauche du
souverain Joue, c'est-à-dire au ran<: des ré-
prouvés, pour (ire précipités dans la mort
éternelle, lorsque lis autres entreront dans
la vie bienheureuse; et. exerçant Ainsi Con-
tre eux-mêmes celle espère de jugement ,
ils se garantissaient de celui dont Dieu nous
menace, suivant ce que dit l'Apôtre, que si
nom vous jugions nous-mêmes, nous ne .<<■-
rions j as jugée j ar le S'inneur.
Voilà, mes fières, qi cl e a été !a pratique
de l'Eglifté durait plusieurs siècles : elle s'est
fondée pour ce'te pratique sur la cou laite
que Dieu garde lui-même -or ceux qu'il a
remis dans si r m ■••. en leur rendant l.i cha-
lile, el qu'il pu ilie en l'autre vie avant que
de les mettn en possession ce la gloire, sur
laquelle ils ont droit p <r la charité qu'il h ur
a rendue ; car il y a des rapports très-inti-
mes entre la possession de Dieu par I i fi-
ston dans la gloil e. < t l'union que nous avons
avec lui sur la 'erre par IV ncharistie, auxquels
je ne veux pas m'arréter. Je Tirai seulement,
pour ne pas sortir de ma matière el pour
appuyer solidi ment la pratique de la péni-
tence dont je | arle, que ( omme il n'j I point
d union plus intime avec Dieu, après (elle de
la vision béaliPq;ie, que celle d l'euclians-
tie, il faol que rous gartH us les mêmes me-
sures à proportion pour non* \ disposer, que
Dieu observe à l'égard des jusles pour les
pré| arei à la vision.
Or. mes frères, ceux qu'il a rendus justes
en leur donnant sou amour, et qui sortent
du monde avec celle qualité et le droit à là
gloire, n'y sont pis admis tout d'un coup
ils sont puriliés par la justice de Dieu dans le
■ itoire, d'une manière qui surpasse tou-
b s les i lées !iue nous pouvons nous en for*
mer. Cependant il esl cerl in qu'ils sont jus-
tes : ils ont h charité, ils Ont souffert les
douleurs de la maladie, ils ont accep |
573
SERMON POUR LE MARDI DE LA PASSION.
574
mort. L'Eglise 9ainte offre pour cnv des sa-
crifices, et la justice de Dieu les fait souffrir
des années entières, et d'une manière qui
passe toutes nos expressions, parce que rien
d'impur ni de souillé n'entrera dans le
royaume du ciel. Mon Dieu, qu'il faut de
pureté pour s'unir à vous, pour s'unir à ce-
lui qui est la pureté même et la sainteté par
excellence!
Croyez-vous après cela, mes frères, qu'on
soit dignement préparé à s'unir à Dieu, lors-
que, après une longue habitude de rébellion
contre sa volonté, une complaisance entière
à faire tout ce qu'il regarde avec horreur,
une application totale à contenter tous les
désirs corrompus de notre cœur, malgré tou-
tes ses lois, on s'est contenté de dire qu'on a
reprel d'avoir ainsi vécu, qu'on veut vivre
d'une autre manière, et que, pour satisfaire
à sa justice pour les iniquités de tant d'an-
nées, on a récité quelque* prières, donné par
aumône la vingtième partie de ce qu'on ne
peut garder sans péché, et fait quelques
jûnes; encore je ne sais si celte pénitence
ne paraîtra point trop sévère. Seigneur, où
en sommes-nous ? Quelle idée avons-nous de
votre grandeur et de la sainteté de vos mys-
tères I
Il faut donc faire pénitence, mes frères ;
mais comment? La difficulté n'est pas de
prescrire les règles , mais de trouver des
gens, qui les veuillent suivre; car tous les
saints Pères nous les enseignent, et personne
ne se met en devoir de les écouter.
Voici donc ce qu'il faut faire pour vous
disposer à recevoir dignement le corps ado-
rable de Jésus-Christ, et ne pas manger
votre jugement en pensant solenniser la pâ-
que îles chrétiens.
Il faut commencer par un examen exact
de votre état, de vos engagements, de vos
habitudes et de vos passions, pour faire une
déclaration fidèle, sincère et non précipitée
de toute la disposition de votre âme, et des
plaies qu'elle a reçues dans le commerce du
monde où vous vivez. Il faut écouler avec
respect et avec humilité tous les conseils que
vous donnera la personne à qui vous vous
adresserez, et que vous aurez choisie avec
soin, pour lui exposer l'état de voire âme. 11
faut prendre des mesures avec elle pour ré-
former, pour retrancher, pour changer tout
ce qu'elle jugera nécessaire; il faut en même
temps fccevolf d'elle l'ordre de votre péni-
tence, c'est-à-dire la qualité d, s œuvres pé-
nibles et laborieuses, par lesquelles vous
pouvez satisfaire à la justice de Dieu, la
prière, le j"ûnc, l'aumône, la visite des pau-
vres, des hôpitaux, le retranchement des
plaisirs permis. Il faut prendre du temps
pour cette satisfaction, selon la prudence de
la personne à qui vous vous serez adressés.
Les plaies de l'âme, encore moins que celles
du corps, ne se guérissent pas tout d'un
coup : il faut attendre que les remèdes né-
cessaires, qui ont besoin de temps, les aient
refermées. Ne vous plagiiez pas, mes trô,-
chers frères, ni de la sévérité, ni de la lon-
gueur delà pénitence : vous ne ferez rien au-
jourd'hui de ce qu'on a fait autrefois pour
de moin 1res péchés que ceux dont vous êtes
coupables ; songez à la justice que Dieu
exerce sur les âmes de ceux qui doivent le
posséder, et enfin représentez-vous que Dieu
vous épargnera autant que vous ne vous se-
rez primt épargnés. Après cela vous pouvez
approcher de la table du Seigneur, non-seu-
lement avec humilité, mais avec confiance,
et avec ces dispositions ce serait un grand
mal de n'en pas approcher.
Je vous conjure donc, mes frères, de vous
mettre en état de les prendre. Je vous y ai
exhortés dès le commencement du carême;
si vous avez négligé de le faire, il est encore
temps de commencer; mais ne différez pas
davantage. Ne faites pas cette communion d;;
Pâques avec aussi peu de disposition que
vous avez fait les précédentes, et avec aussi
peu d'utilité. Quittez le monde comme ce
peuple de l'Evangile, c'est-à-dire tous les en-
gagements du monde qui sont contraires à
votre salut ; car aussi bien le monde vous
quittera ; tout doit finir, et peut-être plus tôt
que vous ne croyez.
Guérissez par la pénitence les plaies que
vous avez reçues dans le commerce du
monde, car il faut satisfaire à la justice de
Dieu, et c'est un grand malheur de s'appro-
cher de lui avec présomption, quand on nous
fait connaître par les lois que lui-même nous
a prescrites, et par la conduite que les saints
Pères ont toujours gardée, que nous devons
nous en retirer.
Enfin, n'oubliez rien de tout ce que les
ministres du Seigneur vous disent être né-
cessaire pour vous mettre en état de manger
avec fruit le p:iin de la vie éternelle, que jo
vous souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE M AUDI DE LA PASSIO\.
De la nécessité d'interrompre le* affaires tem-
porelles pour penser à celles du salut.
Aliiit .Icmis Imiis mare Galilée.
Jé>us s'en alla au tulît de la mer deGalilée[Joan.t\l, 1).
Jésus-Christ avait eu dessein de se retirer
avec ses disciples dans le désert de Rethsaïdo
pour s'y reposer, après avoir pré hé dans
les villes et les bourgades de la Galilée, et
pour s'appliquer à la prière dans un lieu
retiré, où il ne serait interrompu de per-
sonne ; mais eu descendant de la barque
dans laquelle ils avaient fait le trajet du lac
de Génesarcth, appelé mer de Galilée, ils
trouvèrent une grande multitude de peuple
qui était venue par terre, attirée par les mi-
racles qu'ils avaient vu faire au Sauveur du
monde. Il était déjà fort tard, et Jésus-Christ
ayant sacrifie à leur instruction tout le jour,
et leur ayant enseigné des \ élites Irès-ini-
porianles, il fallut songer à les faire man-
ger, car ils étaient venus sans provisions, et
c'e>l ce qui donna lieu au miracle rapporté
dans cet éi angile.
Je us, levant donc les yeu v et voyant cette
grand foule, car il y avait , lusd *inq mille
pei sonnes, dit à Philippe I Ù ns-nuHs
ucheler assez de pain pour donner à manyer
578
à tout c monde? Quelques interprètes pré-
tendent qu'il s'adressa à eel apôlre, comme
à celui qui se défiait davantage de. la Provi-
dence, afin de le fortifier en le rendant plus
altculifau miracle qu'il allait faire; en effet
il est marqué dans cet évangile q.ie Jésus di-
sait ceci pour le tenter. Philippe lui répon-
dit : Quand on durait pour deux cents deniers
de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à
chacun un prtit morceau.
André, frère de Simon, lui dit : Il y a ici
un petit garçon qui a cinq pains d'orge cl deux
poissons; mais qu'est-ce que cela pour tant de
personnes '! Jésus leur dit : Faites-les asse ir.
Il prit les pains, et ayant rendu f races à
Dieu, il les fit distribuer à ceux qui étaient
assis, et il leur donna de même des deux
poissons. Ce peu de pain et de poisson se
trouva suffisant dans les mains des apôtres
qui les distribuaient et dans celles de ce
peuple qui les recevait, et se multiplia par
la \ertu de. la bénédiction que le Sauveur du
inonde y donna.
Après qu'ils furent rassasiés, il dit à ses
disciples : Ramassez les morceaux qui sont
restés, afin que rien ne se perde. 11 donna cet
ordre, afin que la grandeur du miracle pa-
rût davantage, et qu'on eût le moyen de con-
sidérer, par les effets de la vertu de celui
qui avait fait un si grand miracle en faveur
de ce peuple, qu'il restait entre leurs mains
plus de pain et de poisson après les avoir
rassasiés, qu'il n'y en avait avant que per-
sonne en mangeât ; car les ayant ramassés,
ils remplirent douze paniers des morceaux
des cinq pains d'orge, ce qui les frappa si
vivement, qu'ils dirent : C'est là vraiment le
prophète qui doit venir dans le monde, c'est-
à-dire le Messie promis par Moïse.
Mais Jésus, sachant qu'ils devaient venir
le prendre et l'enlever pour Le faire roi, alla
encore seul sur la montagne, et comme ce
peuple n'avait que des vues temporelles, et
qu'il ne voulait honorer Jésus-Christ qu'à
cause qu'il leur était utile, il se relira; car il
veut régner sur les cœurs, et il y veut ré-
gner par amour; tout autre règne n'a guère
de solidité.
Le Sauveur du monde rentre donc après
le miracle dans le dessein qu'il avait inter-
rompu. Pour l'exécuter, il se retire dans la
solitude pour vaquer à la prière, et par là
il enseigne à ses disciples la nécessité qu'il
y a d'interrompre le cours des fonctions les
plus saintes, pour se renouveler l'esprit de
temps en temps par la prière, dans le repos
de la solitude.
Mais si cette pratique est nécessaire à ceux
qui ne sont occupés qu'à des emplois tout
saints, que dirons-nous de ceux qui sont ab-
sorbés dans le commerce continuel des af-
faires du siècle? C'est à ceux-là que j'ai des-
sein de parler dans ce discours : c'est ce genre
de personnes que je veux obliger à faire ré-
flexion sur la conduite du Sauveur du monde,
pour les porter à prendre des intervalles de
temps en temps, afin de penser à l'affaire de
leur çalut et d'examiner l'état de leur vie
ORATEURS SACHES. DOM JEROME. 570
par rapport à l'éternité. Voici donc tout mou
dessein.
l'établirai d'ahord la nécessité d'interrom-
pre le cours des affaires temporelles pour
penser à celles du salut : première partie;
je proposerai la manière de faire celle inter-
ruption, sans faire tort aux affaires tempo-
relles : seconde | arlie. Demandons les lu-
mières" du ciel. Ave, Maria.
PBE1I1EBE IHHTIE.
La conduite de Jésus-Christ , qui aban-
donne le peuple qui le suivait en foule, et qui
se retire dans le désert au lieu de poursui-
vre les conquêtes qu'il pouvait faire en con-
tinuant ses leçons et ses miracles en faveur
du peuple qui ét.iil prêt à le reconuailrc
pour roi, nous marque, selon saint Crégoire.
qu'il ne f.iut pas se laisser emporter au tor-
rent des occupations les plus saintes, et que
les ministres de Jésus-Christ, qui sont appli-
qués aux exercices de la charilé pour le pro-
chain, doivent faire de temps en temps des
interruptions dans ces emplois pour rentrer
dans la retraite, afin d'y rallumer les flam-
mes de la charité et de reprendre un nou-
veau feu; mais je n'entreprendrai pas ici
d'instruire les ministres de Jésus-Christ. Il
ne faut pas, dit encore saint Grégoire, verser
la liqueur de la science dans un vase qui est
déjà tout rempli. Ainsi, mes frères, je m'a-
dresse à ceux qui sont enfoncés dans les soins
du monde, aux chrétiens qui passent toute
leur vie dans le commerce des affaires tem-
porelles, qui ne pensent uniquement qu'aux
exercices de leurs charges, qui sont conti-
nuellement comme abîmés dans les occupa-
lions de leurs emplois, de leurs études, il.'
leurs négoces, et qui ne savent ce que c'est
que de prendre de temps en temps des in-
tervalles pour penser à l'affaire de leur sa-
lul, pour renlrer en eux-mêmes, pour exa-
miner l'état de leur conscience, enfin pour se
donner le loisir de respirer pour Dieu et pour
eux-mêmes, par une espèce de retraite et par
un relâche d'affaires et d'occupations. Ah 1
mes frères, qu'il y a peu de gens qui pensent
à en user ainsi! Le seul exemple de Jésus-
Christ est une preuve plus que suffisante
pour vous convaincre de la nécessité de la
pratique que je viens de vous exposer; car,
outre que son exemple est une leçon, et sou-
vent même une loi pour nous, c'csl que nous
devons conclure de. ce qu'il a fait dans cette
occasion qu'il y a une grande obligation de
quitter quelquefois les exercices de notre
condition, et de faire des interruptions dans
nos emplois; puisque le Fils de Dieu en fait
dans les siens, et que les saints Pères recom-
mandent aux ministres de l'Evangile de se
retirer de temps en temps, el d'interrompre
même des exercices qui n'ont pour principe
que la charité et le salut des hommes, pour
aller rallumer les Gammes de celte < harite,
comme nous venons de le dire.
Mais pourquoi cette leçon est-elle faite par
les saints Pères? Ce n'est pas assurément par
rapport à l'emploi : l'exercice est saint, il s'a-
git du salut; le motif est pur. c'est par cua-
577
SERMON POUR LE MARDI DE LA PASSION.
<a
rite ; les personnes mêmes sont justes, ce sont
les plus saints ministres île Jésus-Christ à qui
saint Grégoire parle, et il les presse cepen-
dant par l'exemple de Jésus-Christ même,
qui est la souveraine sainteté. C'est donc par
rapport au lieu où l'on exerce cet emploi, et
par rapport à ceux qui l'exercent : le lieu
où on l'exerce, c'est le monde, qui est un
lieu corrompu; les hommes qui l'exercent,
quoiqu'ils soient justes, sont faibles et sus-
ceptibles de corruption, leur sainteté s'y af-
faiblit, comme la force et la santé sont dimi-
nuées par le mauvais air et par la corruption
qu'on respire. 11 faut donc sortir de temps en
temps de ce lieu, quitter les exercices qui
nous y attachent, pour nous purifier d'une
part et nous fortifier de l'autre. Voilà la rai-
son que les saints Pères ont eue de faire celte
leçon aux ministres de Jésus-Christ, fondés
sur l'exemple de Jésus-Christ même.
Or, mes frères, si cela est ainsi, que faut-
il conclure pour des hommes plus faibles, en-
gagés dans des commerces plus dangereux
et dans un siècle plus corrompu? Ceux qui
travaillent aux mines no continuent pas cet
exercice longtemps : ils ne demeurent enfer-
més dans la terre que pendant quelques
heures, et ils viennent de tempsen temps res-
pirer un autre air, parce que celui qui est
dans ces lieux, élant corrompu, les étouffe-
rait bientôi; et il me semble que je vois en
cela l'image du monde, celle du commerce
des hommes qui y sont attachés, et le péril
où ils sont exposés dans ce commerce.
Et d'abord, mes frères, ne vous paraît-il
pas que le monde est naturellement repré-
senté par les mines qui sont dans les entrail-
les de la terre? Les rayons du soleil ne pu-
rifient guère cette demeure; et quoique ce
soit par un effet de la malice de ceux qui
l'habitent, ils sont obligés d'avouer que le
soleil d'intelligence ne s'est point levé sur
eux. Quel air respire-t-on dans un lieu tout
plongé dans le mal, selon le témoignage de
l'Ecriture? Totus mundus in maligno posilus
est; on y voit des hommes esclaves de leurs
passions, qui s'engagent à travailler long-
temps pour gagner peu de chose, et qui con-
servent encore moins de temps le peu qu'ils
ont gagné. Semblables aux mineurs, ils ne
touchent que de la terre, ils cherchent de
l'or dans de la boue, et s'ils en trouvent, c'est
pour le faire passer dans les mains des au-
tres, qui ne sont que les ministres des pas-
sions d'autrui, en cherchant à contenter les
leurs propres. Voilà le commerce du monde :
ne voyez-vous pas le péril où s'exposent ceux
qui sont engagés dans ces commerces? Dou-
tez-vous , dit saint Bernard , que l'amour de
Dieu ne soit pas en danger dans rengagement
des affaires du siècle? Mais comme pour l'or-
dinaire ceux qui travaillent dans ces mines
ne vivent pas longtemps, et sont même obli-
gés pour conserver leur vie, de sortir sou-
vent de ces lieux et de venir respirer un air
plus pur, ainsi, mes frères, il est rare que
ceux qui sont engagés dans les affaires du
siècle conservent longtemps la vie intérieure
de la grâce. Toutes les vertus qui la nour-
rissent sont affaiblies, pour ne pas dire étein-
tes en peu de temps par le poison de certains
vices qui lient le commerce du monde, qui le
rendent agréable et utile, ou même qui en
sont la fin. Car, pour reprendre le passage de
saint Bernard, dont je ne viens que de citer
une partie, on qniite bientôt les exercices de
la religion et le culte de Dieu, quand on est
engagé dans de grandes affaires. On ne garde
guère la sincérité et la bonne foi dans les pa-
roles et dans les traités qu'on fait ensemble.
La mortification, la tempérance chrétienne
et la pureté même courent risque dans les
repas et dans les parties de plaisir que le
commerce du monde attire après lui. Qui
est-ce qui conserve de l'humilité dans une
grande fortune, et que devient la vie de l'âme
au milieu de tous ces poisons?
Mais, mes frères, laissons là les allégories
pour entrer dans des considérations plus sen-
sibles, et que nous sommes obligés de recon-
naître vraies par notre propre expérience.
Je dis qu'un homme qui est engagé dans les
affaires du monde, j'entends de bonnes affai-
res, des affaires honnêtes, et non pas de ces
misérables affaires qui ne se font que par la
ruine d'autrui ; je dis un commerce honnête,
un négoce réglé, l'exercice d'une charge
chrétienne : cet homme-là , dis-je , qui se
donne tout entier à ses affaires, qui s'y abîme,
qui ne pense qu'à cela, n'est pas en voie de
salut.
On estime extrêmement dans le monde un
homme occupé de son emploi, on l'applaudit,
c'est un homme qui fait bien son métier, et
ce sont même là les plus honnêtes gens du
monde; car il y a quantité de fainéants et de
libertins, qui ne font rien, cet homme-là sera
l'homme de son métier, ce sera l'homme do
sa charge, l'homme de son emploi : d'accord;
mais ce ne sera ni l'homme de Dieu , ni
l'homme delà religion, ni l'homme de son
salut. Est-ce là, mes frères, être en grand
danger? Remarquez ce que dit le Sage : Ne
vous engagez pas dans une multiplicité d'ac-
tions; car si vous entreprenez beaucoup d'af-
faires, vous ne serez pas exempt de fautes. Si
vous les suivez toutes, vous ne pourrez pas
y suffire. Si vous allez au-devant, vous en
serez entièrement accablés; or voici com-
ment, et ceci est d'expérience. Cet homme
est exposé de vivre sans aucune réflexion
sur son état, sur ses obligations et sur ses
engagements, et il est exposé à mourir sans
aucune préparation.
En premier lieu il est exposé à vivre sans-
réflexion. Notre âme est faible, est malade,
elle a besoin dose recueillir au dedans d'elle-
même et de ramasser toutes ses forces pour
s'occuper tout entière à se connaître et à se
guérir : lors donc qu'une multitude de soins
l'appelle au dehors, elle perd aisément le
soin du dedans. Elle veut peut-être d'abord
s'opposera ce torrent qui l'emporte, de peur
qu'une trop grande dissipation n'étouffe en
elle le goût cl le sentiment qu'elle avait de
Dieu, mais les occupations et les affaires
se succédant les unes aux autres, elle se voit
comme forcée de s'y abandonner entière-
Il')
ORATKll;^ BAI RES. I)()M JEROME.
ment. Die s'accoutume peu .1 peu 4 celte
vie tumultueuse, et l'babilode lait qu'elle y
trouve quelque plaisir. C'est ainsi que l'ime,
ut luute possédée de ce qu'elle troii de-
voir aui autres, pi rd le souvenir de ce que
|)icu demande d'elle, elle oublie ce qu'elle
est. par où elle va, où elle tend, et faisant
nécessairement beaucoup de fautes, parc i
qu'elle ue veille pus mit elle, i lie n'eu a plus
de connaissance ni de sentiment. Entrons
dans l<> détail.
Un homme qui vit avec réflexion pense à
ce qu'il est. 11 se dit, comme ce grand roi à
qui Dieu donna la sagesse en partage : Je
suis un homme morlel, semblable a tous les
autres, né de la race de celui qui est sorti le
premier de la terre. Je suis sorti moi-même
de celte terre, et j'y retournerai ; car il n'y a
pour tous qu'une manière d'entrer dans la
vie et qu'une manière d'en sortir. Que pro-
duit cette réflexion dans l'esprit d'un homme
qui pense solidement? lille l'arrête dans
ses desseins, elle donne des bornes à son am-
bition, elle le règle dans ses entreprises. Il
se dit à lui-même : Je suis ici aujourd'hui et
je n'y serai peut-être plus demain. Ne serait-
ce pas une sottise à un capitaine de vouloir
bâtir un château dans un camp où il ne sera
peut-être que peu de jours, de vouloir faire
des alliances dans un pays qu'il faudra quit-
ter dans une semaine. Un homme qui fait
réflexion sur son être se reconnaît ('ans ces
idées; il comprend que la terre est un camp
où il ne doit demeurer que fort peu, que la
vie est un passage très-court; et un h. mime
qui pense ainsi n'entreprend que peu de
chose.
Mais un homme qui est livré aux affaires
n'a | as le loisir de faire toutes ces réflexions.
Il sait bien en général qu'il est mortel, car
il n'y a point d'homme <lu' no 'e sache ; mais
il n'y pense pas. Ce cours d'affaires qui l'oc-
cupe, ce cercle autour duquel il tourne tou-
jours, celle succession de choses qui se sui-
vent, ces projets et ces entreprises dans les-
quels il s'engage avec l'e-pérancc de réussis
dans un poiul de vue éloigné, espérance fou-
dée sur les succès précédents qu'il a eus
dans d'autres affaires, tout cela a un ccilan
air de perpétuité qui lui fait oublier la mort;
et, semblât le à ceux qui sont dans la cham-
bre d'un vaisseau , qui vogue toujours sans
qu'ils s'i n aperçoivent, parce qu ils \ oient
toujours les mêmes objets dans la même si-
tuation, la vie se passe pour lui sans qu'il y
pense, le mouvement qui l'emporte est pres-
que imperceptible, il vous \oyez des gens
arrivés à soixante ou quatre-vingts ans qui
Vous disent : li ne me semble pas qu'il
y ail dix ans que je sois dans mon emploi]
cl ils ne pensent pas qu'ils sont près de
le quitter , parce qu'ils sont au bout de
leur carrière et que la mort est tout proche
d'eux.
Un homme qui vit avec réflexion, non-
seulement pense qu'il est chrétien et destiné
pou, le c et, mais celle réflexion lui fait sen-
tir que sou vrai repos n'est pas ici-bas. Elle
lui luit regarder la terre comme un exil et le
ciel comme sa patrie. S'il fait quelqms af-
faires, ce n'est pas dans la vue de s'établit
pour jouir longtemps el ses pléni ». le de
son imu être, c'est seulement afin de
voir,. \ nécessitée de son pa II sait,
eu faisant reflexion sur ses engagemei
qu'on p'acquiert I- ciel que par les bonnes
ouvres. Il s'applique à leronna Ire quelles
sont celles que l>ieu demande de lui dans
son et t, pour le- pratiquer, el à dirig i
pensées, ses actions, sesaûections, »es|
ses dé irs, ses sentiments, ses deo ,ir> lie» vers
le ciel que nous attendons, 1 1 la voie qui y
conduit»
Quand on s'attache véritablement à ces
v es, on s'efforce de plus en plus de se pu-
rifier par la pénitence, de se fortifier par le»
sacrements, el d'augmenter eu vertu par
loules sortes de bonnes œuvres. Cet homme
se nourrit par la lecture, il s'applique sé-
rieusement au culte que Dieu demande réel-
lement de nous, el les pratiques de la reli-
gion sont les principaux exercices dans les-
quels il passe sa vie, en attendant en paix et
ave.: tranquillité le moment de sa mort. Ce
pian de la vie el de la conduite don homme
qui vil avec reflexion sur son élal présent
est justement l'idée de ce que ne fait poinl
un homme qui est accablé d'affaires el qui
s'anime dans son emploi.
Ne peut-on pas dire, en voy.ut un ici
homme app iqué aux affaires du monde el
aux choses de la ter.e avec uue assiduité
et un attachement qui marquent son amour,
qu'il a renoncé au cie. ? Quelle idée en effet
cet homme peut-il avoir de la gloire? Quel
amour de la félicite future, quel.e impatience
pour la possession des biens éternels que
nous attendons, sans laquelle cependant,
selon saint Augustin, un homme n'est jamais
digne de la posséder? En veut1, mes fret'*,
où en sommes-nous?
Pendant que cet homme dont je viens de
parler est continuellement occupé de la le
et du monde, qu'il ne songe qu à amasser el
accumuler du bien, qu'il ne pense qu'à s'éta-
blir par de uouve. les cbsrges, par de nou-
vi lies alliances, par de nouveaux traités, ast
homme-là se regarde-l- 1 un seul moment
comme un étranger sur la terre.' .Mon Dieu,
si nous ne sommes dignes de la gloire qu au-
tant que nous l'aurons désirée aidemmeni,
où eu est cet homme-la? Ne prenez pourtant
pas le change, mes frères, sur ce que je dis
du désir d'amasser du l ien, el n allez pas
vous persua 1er qu'eu demeurant simplement
dans l'accablement des ail nies, -ans est ar-
dent désir d acquérir du bien, vous n'êtes
plus du nombre de ceux donl je parle; car
ce qui parait générosité, vertu, cli .rite,
grandeur d âme, n'est souvent qu'unp ambi-
tion cacbee sous les apparences d'un desiu-
léreseenieot qui méprise de petits intérêts
pour aller à île plus grands. Je n'en excepte
pas même les occupations les plus saintes
par .me», la solitude de- pasi m-,
['application des prédicateurs, le fou et la vi-'
vacite pour les œuvres de ebariiè. Qu'im-
porte au démeu par où il nous conduise,
K81
SERMON POUR LE MARDI DE LA PASSION.
582
pourvu qu'effectivement il nous fasse oublier
Je principal? Il nous livrera voiontiers à
l'accessoire le plus spécieux, et le plus appa-
rent,, pourvu qu'il nous tienne toujours par
un tilet.
Oui, nies frères, vous êles en cela double-
ment malheureux, de perdre le ciel sans ac-
quérir la terre ; et il y a d'autres intérêts
aussi criminels que ceu\ qui vous lient au
mon lie et aux affaires, comme l'amour de la
gloire, le désir de l'estime, l'intérêt do la ré-
putation, l'envie de passer pour un homme
intelligent, habile, expérimenté, capable
d'accommoder les différends; pour un homme
de probité et ne s'épargnant point dans les
exercices de sa charge. Il suffit que vos em-
plois vous attachent continuellement à la
terre et au monde, qu'ils vous empêchent de
penser à vous-mêmes, à votre salut, et qu'ils
vous détournent de faire réflexion sur votre
état présent, pour vous mettre dans le dan-
ger dont je parle. Ne suflit-il pas que cet ac-
cablement vous empêche de f tire réflexion
sur les obligations de votre étal de chrétien
et d'enfant de l'Eglise, qu'il vous détourne
de la piatique des bonnes œuvres, du culte
de Dieu et des exercices de la religion ? Rete-
nez bien ce principe : Il n'y a ni utilité, ni
gloire, ni avantage d'autrui, ni prétexte de
charité qu'il ne faille abandonner quand il
s'agit cle noire salut.
Or, quel est l'homme qui, dans l'accable-
ment des affaire», pense à s'acquitter de ses
devons? ou plutôt qui ne s'en croit pas dis-
pensé dans cet accablement? Un homme
d'affaires et qui est toujours occupé ne se
croit point obligé de visiter les pauvres et
les malades de sa paroisse, d'entrer dans les
compagnies de charité qui se font pour leur
soulagement, et d'y contribuer ou de son
bien ou de son conseil, et ainsi de toutes les
autres bonnes œuvres. 11 ne se croit point
obligé d'assister aux grandes messes, aux
prônes, aux sermons, aux oftices de I Eglise.
Il s ■■ contente dans toute sa vie, pour satis-
faire à ses obligations, de donner un quart
d'heure dans une semaine pour accomplir
extérieurement un devoir de religion dont il
ne se peut dispenser sans nuire à sa réputa-
tion. Les prières réglées, les examens de
conscience , les lectures chrétiennes, tout
cela n'en est point. La fréquentation des sa-
cre ents est fort rare, et je crains bien
qu'elle ne soit encore plus criminelle; car
on ne voit point de changement, et on y
participe sans dessein de vouloir «franger, et
sans envie même de se laisser convaincre
qu'on le doit. Les jeûnes de l'Lglisc, les
abstinences même sont traitées légère-
ment; on n'y songe que pour se persuader
qu'on en est dispense. Que dirion>-nous si
nous exposions ici toutes les vertus chré-
liennes dont nous avons donné il n'y a qu'un
inomen'. une faible idée? Que les gens qui
.sont engages dans les affaires, dans le né-
i oce, dans les charges publiques, dans l'é-
toile même la plus sainte, qui cesse de l'être
pour eux aussitôt qu elle les éétOUrne de
ji ur salut cl qu'elle les jette dans un acca-
blement et dans un embarras qui les em-
pêche de songer à eux, me disent si ce n'est
pas leur vie que j'expo-e ici; mais qu'ils me
disent en même temps si cette vie est c lie
d'un homme qui n'a que quelques années à
passer ici-bas, et qui, étant desti'ié pour la
gloire par son baptême, se doi; regarder
comme un étranger sur la terre, n'y vivre
que comme en passant, se purifier continuel-
lement par la pénitence des souillures qu'il
y contracte, soupirer incessamment après sa
patrie, et acquérir par une multitude de
bonnes œuvres la gloire qu'il espère de pos-
séder éternellement.
Apprenez donc aujourd'hui, mes frères,
que c'est vivre sans réflexion que d'oublier
ce que le Seigneur nous recommande dans
l'Evangile. Cherchez* nous dit-il, première-
ment le royaume de Dieu et sa justice, et toutes
choses vous seront données comme par sar-
croît. C'est oublier Dieu d'une, manière dé-
plorable que de vouloir chercher première-
ment sa fortune, sonélablissemeni, sa gloire,
sa satisfaction dans l'exercice des emplois
de la terre, et croire témérairement que le
royaume de Dieu et sa justice nous seront
donnés comme par surcroît. C'est vivre sans
réflexion cl dans un aveuglement pitoyable
que de préférer les affaires du siècle et de
la terre à la seule chose nécessaire selon Jé-
sus-Christ. Et qu'arrive-l-il de là, mes très-
chers frères? c'est que ceux qui vivent sans
aucune réflexion meurent ordinairement
sans aucune préparation ; l'un suit l'autre,
et c'e>t la seconde réflexion que nous vous
avons promis de vous exposer.
En effet, mes frères, quelle est, à votre
avis, la véritable préparation à la mort, dans
laquelle doit être toujours un chrétien qui
pense sérieusement à son salut? Ce sera
Jésus-Christ lui-même qui nous l'apprendra.
Que vos reins, dit-il en donnant l'idée d'un
serviteur vigilant et fidèle, soient ceints;
c'est-à-dire, soyez toujours disposés à faire
la volonté de Dieu. Ne tenez à rien contre
celte volonté et quittez tout pour l'accom-
plir. Un homme qui est abîmé dans les af-
faires sail-il seulement ce que Dieu demande
de lui ? Connaît-il sa volonté? Veut-il la con-
naître? Knconsulle-l-il d'autres que la sienne
propre ou celle de ceux avec qui il est en
affaires, soit pour les obliger de venir à la
sienne, ou pour régler la sienne sur la leur
quand il y voit son avantage?
Ayez toujours dans vos mains, ajoute Jé-
sus-Christ, des lampes ardentes; c'esl-à-dire,
employez-vous toujours dans les bonnes
œuvres ; qu'elles soient comme des lampes
ardentes dans vos mains pour vous conduire
au ciel à travers les ténèbres du siècle. Ne
les laissez jamais éteindre, de peur qu'il ne
faille partir dans ce moment-là et qui; vous
ne soyez surpris. Quelles sont les bonnes
œuvres des gens du caractère de ceux dont
nous parlons ? Quel est leur soin à s'y ap-
pliquer cl leur attention à en am laseri
Soyez srmlilnbl'ï, oit encore le Sauveur du
monde, à ceux qui attendent r/m leur maître
retourne des noces, afin <juc lorsqu'il sera
ORATEURS SACHES. nOM JEROMI..
.
venu et qu'il aura frappé à la porte, ils lui
ouvrant aussitôt ; c'csl-à-dire, afin qui', pré-
parés sans cesse à lamort, vous \iviez tou-
jours connue un homme qui l'alloml, et que
vous l'acceptiez sans peine quand elle
présente. Oucls sont les chrétiens qui pen-
sent à toutes ces vérités?
Celte dernière disposition d'un chrétien
nous est marquée par saint Augustin dans
sa lettre au proconsul d'Afrique. Si vous ne
rijetcz point les soins que mon affection me
presse de vous rendre, j'espère que le progrès
que vous ferez dan < la foi chrétienne et di
un règlement de vie tel qu'il convient à un
homme dans la place où vous êtes, von* fera
attendre, peut-être même avec impatience, le
■jour qui achève de dissiper celte vapeur pas-
sagère qu'on appelle la vie humaine; et si vous
n'êtes pas assez ferme pour l'attendre avec as-
surance, du moins raltemlrez-vo us sans ces
craintes terribles auxquelles on est exposé
quand on se laisse emporter à la vanité de
l'esprit d'erreur, dont on est exempt quand
on est établi sur le fondement solide de la piété.
Est-ce là de bonne foi la disposition d'un
homme accablé d'affaires? pense-t-il «à la
mort? l'accepie-t-il sans peine quand elle se
présente? n'esl-il pas toujours surpris aux
moindres apparences d'une mort prochaine?
ne regrettc-l-il pas les moments d'une mala-
die qui le détourne de ses affaires ? n'y veut-
il pas songer jusqu'à la fin? Il y a le cœur si
attaché, qu'il ne peut rompre les chaînes in-
visibles qui le tiennent lié comme un es-
clave. N'aUcnd-il pas à l'extrémité pour par-
ler de l'affaire de son salut, qui est la seule
chose nécessaire et qui doit nous occuper
toute notre vie? N'est-ce pas ce qu'il veut
faire en un quart d'heure, et ce qu'il remet
à la fin de ses jours? Les affaires ont eu sa
force, sa vigueur, son jugement, ses plus
belles années ; et il donne sa langueur, sa
faiblesse, son trouble, ses rêveries, et son ac-
cablement à son salut. N'est-ce pas là, mes
tres-chers frères, comme finissent la plupart
des hommes appliqués aux affaires du
monde? Ils vont paraître devant Dieu avec
une confiance téméraire fondée sur des sa-
crements mal reçus, sur quelques actes ex-
térieurs que la bouche aura prononcés sans
la participation du cœur, et sur quelques au-
mônes que la coutume, ou la nécessité, ou
même l'ostentation leur arrache; et ils com-
mencent, à l'extrémité de leurs jours, leur
enfer dès ce monde, par un désespoir mal-
heureux fondé sur la vue des désordres de
leur conduite, et sur la forte persuasion que
le Dieu qu'ils ont abandonné durant toute
leur vie les abandonne à son tour au mo-
ment de leur mort. Vous voyez, mes frères,
qu'on ne peut pas pousser p:us loin le péril
qu'il y a de vivre dans l'accablement des af-
faires, et de ne se donner pas le loisir de
penser à celles de son salut, cl qu'on ne peut
rien dire de plus vrai ni de plus certain que
ce que j'ai avancé sur ce sujet. Voyons
maintenant de quelle manière DD homme
qui est engagé dans des emplois par sa con-
dition peut te garantir de ce danger: c'est
la seconde partie.
SECONDE l'AHTIE.
Les règles que je vais vous proposer doi-
vent vous être d autant plus respectables,
que je les prends de saint Bernard, qui a été
le plus modéré de tous les saints Pères, i t un
de ciux qui est entré [dus avant, non-seule-
ment dans ces engagements de nécessité ,
mais dans tous les devoirs de l'honnêteté et
de la bienséance. Ajoutez à cela que les r -
gles que je vais proposer sont du nombre de
celles que lui-même a prescrites au pape Eu-
gène, pour lui apprendre la manière il
conduire dans l'embarras des plus grai
et des plus importantes affaires du monde,
qui étaient celles de l'Eglise : ce qui nous ap-
prend encore qu'il n'y a point d'affaires , de
quelque nature qu'elles puissent être, doat
on ne doive retrancher l'excès quand il nous
détourne de notre saiut. Or, mes frères, je
trouve qu'il enseigne deux choses à ce grand
pape qui avait été son disciple : de ne pal
prendre trop d'affaires, et de se rendre telle-
ment maître de celles qu'il prendrait , qu'il
pût les interrompre de temps en temps pour
penser à lui.
Ce premier avis de saint Bernard renferme
une certaine, préparation de cœur sans la-
quelle l'avis qu'il donne serait inutile , une
précision que la tempérance et la modération
font faire, enfin une application que la jus-
tice et l'ordre de Dieu inspirent. V a-t-il rien
de plus sage que ce premier avis? Un chré-
tien doit prendre des affaires avec modéra-
tion, il doit rejeter toutes celles qui sont inu-
tiles et superflues, et il se doit appliquer à
celles qui sont nécessaires et inéi itables dans
son état. 11 y a sur ce premier avis quelques
réflexions à faire pour le bien entendre et
pour prévenir toutes les difficultés que l'on y
pourrait opposer.
1 Saint Bernard veut qu'un homme soit
modeste pour pouvoir apporter quelque mo-
dération dans ses affaires et dans ses entre-
prises. En effet, il n'y a que ce défaut de
modestie, soil dans les vues d'établissement,
soil dans l'amour de la réputation et de la
gloire, qui empêche un homme de se modé-
rer, et qui l'oblige d'entasser affaires sur af-
faires et de donner dans tout ce qui peut être
favorable el utile ou à la fortune ou à la
gloire. Donnez -moi un homme moleste,
c'est-à-dire qui mcl des bornes à son ambi-
tion, qui ne forme point de grandes idées de
fortune, qui ne cherche point à s'établir sur
la lerre, mais seulement à pourvoir aux né-
cessités de son passage et de celui des per-
sonnes dont il est chargé; donne z-moi un
homme modeste qui ail son salut en vue i t
qui préfère ses obligations à sa réputation,
c'est-à-dire à ce fracas et à celle gloire du
monde, et il ne sera pas difficile de lui inspi-
rer la modération que saint Bernard recom-
mande ; mais la difficulté c: t de donner des
homes à l'ambition, parce qu'on la couvre
toujours du prétexte de la nécessité.
Voici l'idée de l'engagement ou les affaires
585
SERMON POUR LE MARDI DE LA PASSION.
Î--8G
jcilent un homme quand il no prend pas des
mesures de modération. N'avez-vous jamais
fait réflexion à ces tourbillons , à ces gouf-
fres, à ces tournants qu'on voit dans des ri-
vières? Dès qu'un bateau a toucbé les pre-
miers cercles de ces gouffres, il tourne avec
eux, il s'engage de plus en plus, jusqu'à ce
qu'enfin, après avoir tourné quelque temps,
il se trouve englouti , et disparaît tout d'un
coup. Il en est de même des affaires du mon-
de : pour peu qu'on y entre, elles vous atti-
rent insensiblement; en peu de temps on se
voit au milieu des plus grands embarras , et,
après avoir tourne dans un cercle d'affaires
qui n'a point de fin, on est tellement étourdi,
que, sans s'apercevoir de son malheur, on
s'abîme et on se perd pour l'éternité.
2° Saint Bernard dit encore au pape Eu-
gène qu'il doit rejeter toutes les affaires su-
perflues; mais qu'est-ce que ces affaires su-
perflues? car un homme d'affaires me dira
qu'il n'en a point de cette espèce , qu'elles
lui sont toutes utiles, qu'il ne se charge au
reste que de ce qu'il peut faire (je parle d'un
homme d'honneur et de probité scion le
monde) ; qu'à la vérité il est accablé et qu'il
travaille beaucoup, mais enfin qu'il n'y a que
lui qui en souffre. Qu'est-ce donc que ces
affaires superflues? ce sont, mes frères, celles
de votre profession , qui , pour ètro en trop
grand nombre , deviennent incompatibles
avec l'affaire de votre salut : comme les
branches qu'on élague sur un arbre sont su-
perflues, et font, si on les laissait, que le
fruit est moins nourri. Le grand nombre d'af-
faires vous jettent dans la malheureuse né-
cessité de violer quantité de devoirs, d'en
négliger plusieurs autres, cl de vous dispen-
ser de bien des choses ou nécessaires ou im-
portantes pour votre salut.
Vous faites toutes les affaires dont vous
êtes chargés ; vous ne manquez à rien qui
puisse intéresser ou faire souffrir qui que ce
soit. D'accord , mais pour y satisfaire vous
vous vous dispensez d'une infinité de choses
sur lesquelles il y a obligation, que vous di-
tes vous-mêmes que vous voudriez bien pou-
voir faire, et vous vous ennuyez en nous di-
sant qu'il faut travailler, qu'il faut vivre,
qu'on a une famille et des liaisons avec des
gens de qui la fortune dépend de vous, qui
vous importunent si vous ne les conteniez
pas. Malheureux, dit saint Bernard, vous faite;
les affaires d'autrui , cl vous ne faites pas les
vôtres!
La situation d'un vrai chrétien, selon .saint
Augustin, demande que le soin excessif qu'il
a de .ses affaires propres ne lui fasse pas ou-
blier celles d'autrui; mais vous êtes bien
éloignés de ce principe. Les soins cl les in-
quiétudes que vos affaires vous donnent vous
empêchent d'un côlé de jouir de cette fortune
que vous établissez, et celte fortune d'un au-
tre côté est la ruine de votre salut. Ainsi ,
malheureux de toutes parts , vous vous ren-
dez utile cl favorable à tous les autres , et
vous êtes cruel à vous seul pour le temps et
pour l'éternité. Il faut donc de la tempérance
Obatki r.s sv<:iij':s. XXX.
pour retrancher les affaires superflues; car,
avouez-le, c'est la cupidité qui vous y engage.
Donnez des bornes à votre avarice et à votre
ambition, et vous en donnerez à vos engage-
ments temporels.
Appliquez-vous aux affaires nécessaires ,
c'est-à-dire dans un emploi chrétien et propor-
tionné à vos forces. Ne vous chargez que d'un
nombre d'affaires et d'entreprises qui vous
occupent sans vous accabler. Votre fortune
en sera plus médiocre, mais votre snlut en
sera plus assuré. Travaillez avec assiduité,
regardez votre travail comme votre péni-
tence, et Dieu vous bénira. Faites-vous un
devoir et une obligation de vous occuper,
non pas par le désir de vous agrandir, mais
pour satisfaire à l'ordre de Dieu, qui veut
que l'homme travaille pour vivre. Mon Dieu,
qu'il serait beau, et qu'un homme chrétien
s'attirerait de bénédictions du ciel , s'il ne
travaillait que pour éviter l'oisiveté, pour
faire pénitence, pour établir modestement
selon son état ceux dont la Providence l'a
chargé, et qui se rendrait tellement maître
de ses occupations, qu'il pût Ses interrompre
de temps en temps pour penser à lui-même!
C'est la seconde chose que saint Bernard
enseigne au pape Eugène : Vous êtes, lui dit-
il, applique aux affaires, von* travaillez beau-
coup ; rendez-vous quelquefois à vous-même;
dérobez-vous à vos affaires. Je ne dis pas que
cela se fasse toujours ; je ne dis pas même que
cela se fasse souvent; mais ne vous refusez
pas à vous-même ce que vous vous devez, vous
qui vous accordez à tant d'autres, et du moins
servez-vous après les avoir servis. Il n'y a
rien de si raisonnable que ce conseil. Je vou-
drais donc, mes frères, suivant cet avis do.
saint Bernard, qu'un homme d'affaires, qu'un
magistrat, qu'un juge, qu'un homme d'étu-
de, qu'un négociant, outre ce que je viens do
dire, outre le bon règlement d;> sa vie et l'or-
dre de ses actions et de sa conduite, prît tous
les ans un nombre de jours pour examiner
l'état des affaires de son salut; qu'il se reti-
rât du monde pour faire une petite retraite
dans sa propre maison , car je n'aime point
les choses d'éclat; et que là, sous la conduite
d'un homme sage et éclairé, il fît une revue
de son année, pour reconnaître l'état de sa
conscience et la disposition de son cœur et
de son esprit devant Dieu. Dans cette retrai-
te, dit ce saint docteur, un homme prendrait
des mesures pour faire pénitence des fautes
qu'il aurait reconnues, pour augmenter c>i lui
la charité, pour assurer son salut étemel.
Cela n'est pas si difficile qu'on se le persuade.
Il y a des gens de bien qui le font, et après
tout il y a peu de gens d'affaires qui ne pren-
nent des vacations. Il y a peu de négociants
qui ne fassent leur inventaire tous les ans.
Il y a peu de gens qui n'aillent respirer l'air
à la campagne, prendre des remèdes pour la
santé et se délasser quelques jours ; et vous
qui faites tant de choses pour mourir un peu
plus tard, n'en ferez-vous donc jamais quel-
ques-unes pour ne mourir jamais? Mon
Dieu! ne ferons-nous rien pour noire salut?
Serons-nous toujours si abîmés dans les eho-
19
•
OIUTKI IIS SACHES. JiOM JI'.ltOMh.
Ml
ecs de la (erre, que nous ne penserons jamais
an ciel 1
Le l' ils de Dieu interrompt le ministère de
la prédication pour se retirer. Il n'en avait
pas besoin assurément, mais c'est un exem-
ple qu'il nous donne. Il nous avertit par celte
conduite qu'il n'y a point d'emploi sur la terre
où l'on ne contracte des souillures, parce que
nous sommes en\ irounés d'hommes dont le
mauvais exemple nous entraîne, et que par
là nous avons besoin de nous purifier de
temps en temps en suivant l'exemple de Jé-
sus-Christ.
Je viens de vous faire \oir la née ssité où
\ OUI êtes d'en user ainsi ; mais, 6 mon Dieu !
et ce que vous ave/ fait et ce que j'ai dit sur
l'exemple que vous nous donnez aujourd'hui
sera inutile, si vous ne nous accordez aussi
votre grâce pour l'accomplir. Faites donc, ô
mon Dieu, ainsi que votre sainte Eglise vous
le demande, qu'étant notre conducteur et no-
ire quitte, nous passions de telle sorte par les
biens temporels et périssable» , que nous ne
perdions pas U» éternels i (l'est ce que je vous
souhaite, mes Irès-chers frères. Ainsi soit-il.
SERMON
POCR LE HCRCRGDI DE LA PASSION.
Crimes d'une femme il u monde dans Made-
leine pécheresse.
Mulior erat in ci vitale peccairix.
Il t/ avait dans ta ville une femme pécheresse (Luc., VII.
37). '
Il me paraît fort inutile de rechercher
quelle fut cette femme et quels furent les
crimes qui l'onl fait distinguer par la qualité
de pécheresse. Comme l'Evangile n'en dit
rien, je crois que nous devons imiter son si-
lence. Nous apprenons simplement qu'elle
était de mauvaise vie, et je me contenterai
de vous faire voir que le nombre de celles
sur qui peut tomber un semblable reproche,
au sens de l'Ecriture, est beaucoup plus
étendu qu'on ne pense; car cette vie du monde,
c'est-à-dire celle vie qui n'est point réglée
par les vues de la foi, celle vie des sens, celte
vie oiseuse, molle, voluptueuse, enfin cette
vie que mènent la plupart des femmes iiu
inonde, fait dans le christianisme une mul-
titude de pécheresses plus criminelles que
celle de l'Evangile.
C'est donc le péché du monde que je veux
vous représenter dans ce discours : je veux
le prendre dans sa source, le suivre dans son
progrès et vous le montrer jusqu'à sa con-
sommation. Je veux vous faire voir qu'une
femme du monde est une pécheresse, aux
termes de l'Ecriture, parce qu'elle esl, im-
prudente dans ses engagements, c'est par où
commence son péché : première partie ;
scandaleuse dans sa conduite et dans ses pra-
tiques, c'est le progrès de son péché : deuxiè-
me partie ; enfin aveugle dans ses désor-
dres, c'est la consommation de son péché :
troisième partie.
Mon Dieu, ouvrez les yeux de ceux qui
m'écoulent, afin qu'ils connaissent leurs pé-
chés; mais surtout touchez leurs cœurs ,
aiiu qu'Us les délestent! Demandons les lu-
mières du ciel. Aie, M n'a.
PBI Mil RI l'UlTIK.
Pour vous Caire entendre quelle esl ma
pensée quand je dis que l'imprudence dans
li s engagements est le commencement des |
ebés du monde el la source de tous ceux que
commet un*' femme du monde, il esl néces-
saire d'établir quelques vérités qui vous dé-
couvriront ma pensée, et qui serviront de
fondement aux preuves que je veux em-
ployer pour l'établir.
La première est que nous n'avons qu'une
chose à faire sur la terre, c'est notre salui.
Toutes les autres doivent céder à celle- Li .
c'est à celle fin que doivent se rapporter tous
nos mouvements. La seconde, c'est que les
principes sur lesquels nous réglons noire
conduite dans notre état ont une si étroite
îiaison avec cette fin, qu'ils nous y mènent
ou nous en détournent infailliblement. La
troisième, c'est qu'il n'y a rien de si aisé ni
de si commun que de se tromper dans le
choix des principes que l'on prend pour sa
conduite. La quatrième, qui esl une consé-
quence des trois autres, c'est qu'il n'y a rien
de plus imprudent que de prendre ses prin-
cipes au hasard, et de ne pas se donner tous
les soins possibles pour faire un juste choix
dans une affaire aussi importante. C'est pré-
cisément celte imprudence que j'appelle le
commencement du péché du monde, el >ui
est la source de tous les autres péchés qu'une
femme du monde commet et qu'elle fait com-
mettre.
La plupart des chrétiens sont dans l'état
où était le peuple de Dieu, selon l'expression
de Moïse dans son cantique : Gens absque
c nsilio. Ce peuple n'a poinl de sens, il n'a
point d'intelligence. C'est le reproche qu'on
esl oblige de faire aux chrétiens dans l'af-
faire de leur salit. La prière qu'on doil faire
à Dieu pour eux, c'est qu'il leur donne la
sagesse qui les fasse entrer dans leurs \<-
ritables intérêts, qui leur apprenne à pen-
ser aux choses futures, afin qu'ils règlent le
présent. Car, à dire vrai, l'imprudence du
monde estdéplorable dans le choix des prin-
cipes cl des maximes sur lesquels on se rè-
gle pour se conduire. Je ne parle point ici
du tond de l'état et de la condition, je sup-
pose tout cela bon selon Dieu ; mais je parle
des règles qu'on suit dans cet ciat, el des
principes sur lesquels on agit. L'état et la
condition sont de Dieu, et les principes de la
conduite sont du monde : c'est la corruption,
là cupidité, les passions qui les onl élafa
et nous voyons tous les jours des gens qui
sont dans une h.ibiludo contiuuclle de pé-
eber et dans la voie de perdition, poursuit re,
dans un étal légitime el bon par lui-même, de
faux principesctdes règles malheureuses qui
les jettent dans mille péchés. Ce que j'appelle
doncl'imprudencedéplorabledi s gens du mon*
de, et surtout des femmes du monde, el qui
est la source de tous leurs p< l'en-
trer témérairement dans des engagements,
sans les examiner ci sjiis reconnaître où
589
SERMON POUR LE MERCREDI DE LA PASSION.
590
l'on va en suivant le chemin que l'on prend.
Souvenez-vous ici de notre première vé-
rité, mes très-ehers frères : nous n'avons
qu'une seule affaire, c'est d'aller à l'éternité
bienheureuse, à laquelle nous sommes ap-
pelés comme chrétiens. Tout doit être rap-
porté à celte fin. La grâce du baptême nous
retire de la mort, où nous étions ensevelis
par le péché, elle nous rend la qualité d'en-
fants de Dieu, elle nous donne droit à la vie
méritée par Jésus-Christ.
Le chrétien se trouve placé entre deux
termes : celui d'où il sort, qui est l'abîme de
la mort; celui où il va, qui est l'abîme de
l'éternité : sa vie, à proprement parler, est
un voyage qu'il fait de l'un à l'autre; c'est
pourquoi elle est appelée voie, et lui-même
voyageur. Il est deux manières pour juger de
celte voie : la foi et les sens; mais les sens
font bien plus d'impression que la foi. Ce-
pendant cette éternité, qui est la même dans
sa durée, est différente dans sa qualité : heu-
reuse d'un côté, malheureuse de l'autre. Il y
a deux chemins qui se présentent à ce voya-
geur : l'un qui le conduit à l'éternité bien-
heureuse, l'autre qui le mène à l'éternité
malheureuse ; et c'est, mes frères, ce que j'ai
établi dans ma seconde vérité, que les prin-
cipes sur lesquels nous réglons notre con-
duite nous mènent à notre un ou nous en
détournent infailliblement.
Les devoirs du chrétien considéré comme
voyageur, c'est donc de s'informer de la
route qu'il doit tenir, surtout s'il est vrai que
le chemin soit difficile à trouver, qu'on s'y
trompe aisément, et qu'il n'y ait rien de plus
commun que de s'égarer. Or, mes frères,
tout conspire pour que nous nous y éga-
rions : les sens, l'exemple, la raison et l'état
des femmps du monde rendent leurs écueils
plus fréquents et leurs chutes plus certaines.
Le chemin qui nous égare est agréable, et
les sens nous invitent à le suivre; on y trouve
bonne compagnie, tout le grand monde va
par là, et l'exemple nous y engage. Ksl-il
vraisemblable d'ailleurs que tant d'honnêtes
gens s'égarent et qu'il n'y ait qu'un pelit
nombre de sages? c'est la troisième vérité
que nous avons établie.
Oui, mes frères, il n'y a rien de si aise que
de se tromper dans le choix de ces maximes
et de ces principes. Nous sommes avertis au
reste de tous ces dangers, nous n'ignorons
pas que l'esprit de Dieu nous a dit dans l'E-
criture qu\7 y a une voie qui parait droite à
l'homme, qui néanmoins conduit à lu mort.
Nous entendons tous les jours répéter ces
paroles du Seigneur : Qui; la porte de ta vie
est petite! que le cltemin qui >/ mène est dirait,
et qu'il y en a peu qui le trouvent! Nous ne
saurions donc douter de la difficulté de ce
chemin, et au contraire de la facilité qu'il y
a de ?c tromper en prenant le mauvais pour
le bon. C'est donc une imprudence terrible
et déplorable que de s'engager à suivre les
maximes qui règlent la vie des gens de son
état, sans examiner si elles ont du rapport à
noti.' In, >l si elles nous conduisent où nous
devons aller; cependant rien de si commun
que de voir entrer une femme dans des en-
gagements, sans sentir les devoirs qu'elle
s'impose par ce choix, sans même les con-
naître.
Mais voici quelque chose de plus étrange,
c'est qu'en suivant ces voies que vous avez
embrassées sans examen et avec impru-
dence, vous n'êtes pas en repos. Y êtes-vous,
en vivant dans l'oisiveté, dans la mollesse,
dans la sensualité, dans toutes les pratiques
que nous exposerons dans la deuxième par-
tie, qui composent et qui remplissent toute
voire vie? Non, vous ne sauriez y être ; quel-
que soin que vous preniez d'accommoder
votre raison à vos passions, afin qu'elle ap-
prouve des maximes qui autorisent votre con-
duite, il y a un certain fonds de lumière qui
brille quelquefois malgré vous, et qui trouble
celte malheureuse paix quand la vérité se
présente à votre esprit, Vous ne sauriez lire
un livre de piété où ces maximes ne soient
condamnées. Vous ne sauriez assister à un
sermon où vous n'entendiez parler contre
elles. Si vous approuvez la conduite d'un
homme de bien, vous prononcez contre la
vôtre. Pouvez-vons être en repos, pour peu
que vous pensiez qne l'exemple des justes,
que les sentiments des saints Pères, que le
corps de la doctrine, de l'Evangile et de la
religion dont vous faites profession, sont
contraires aux principes que vous suivez?
Si vous étiez parfaitement en repos, sans
nulle agitation, sans nulle inquiétude, ce se-
rait le comble du malheur : vous seriez ab-
solument endurcis.
Voilà des raisons suffisantes pour vous
faire douter de la sûreté des maximes que
vous avez embrassées : malgré cela, vous en
êtes-vous éclaircis? Néanmoins la chose le
mérite bien. Si on vous disait que vous êtes
en péril de tomber dans une maladie dange-
reuse, vous y songeriez; et, sans sortir do
l'idée que nous avons prise d'abord, si on
vous disait que vous vous égarez dans un
chemin, fût-ce une personne do peu d'auto-
rité, vous vous arrêteriez, et vous enver-
riez quelqu'un pour s'en informer; vous ne
voudriez pas qu'on marchât que vous ne
fussiez assurés d'aller bien. Et on vous dit
que vous allez vous perdre, que vous mar-
chez dans les voies de la mort; c'est Jésus-
Christ lui-même qui vous le dit : vous n'é-
coutez point, vous vous irritez même quel-
quefois contre ceux qui vous le disent de sa
part; n'est-ce pas la plus grande de toutes les
imprudences que d'abandonner ainsi l'affaire
du monde non-seulement la plus importante,
mais la seule qui doive nous occuper, le
salut éternel?
Mais enfin notre voyage finit, où finit notre
vie? Celle porte de perdition, comme l'ap-
pelle le Seigneur dans l'Evangile, qui est au
bout du chemin spacieux, s'ouvre pour nous
faire entrer dans une éternité malheureuse,
et se ferme sur nous dès que nous y sommes
entrés. Ce chemin ne se l'ail pas deux fois :
il faut d'abord prendre le hon, ou se résoudro
à périr éternellement; cependant il n'y a rien
au monde où l'on apporte moins de précau-
OltATEUlS SACHES. DOM JEROME
lion et moins île soin qu'à bien faire ce choi\.
On convient de la nécessité de bien rivre
pour élre heureux éternellement ; on est
persuadé que la lionne \ie dépend des maxi-
mes dont on se remplit et des principes qui
règlent la conduite; on avoue que tout est
corrompu, qne rien n'est plus difficile que de
démêler la vérité qui doit régler les mœurs,
d'avec mille mauvaises maximes qui les cor-
rompent; et cependant une femme embrasse
toutes celles que lui donnent les autres fem-
mes de sa condition ; elle ne met plus en
doute toutes celles qu'elle a une fois embras-
sées, cl elle s'y attache avec une aussi grande
opiniâtreté que si elles étaient les plus sûres
et les plus saines.
Voilà ce que j'appelle le premier désordre
d'une femme, du monde, et la source de tous
les péchés dont elle se rendra coupable dans
la suite. Séduite par celles qui l'ont précé-
dée, elle séduira celles qui la suivent, et
celle précipitation qui l'a rendue très-cri-
minelle par son imprudence, la jette dans
des pratiques qui la rendront un objet de
scandale : c'est le progrès de son péché, et
le sujet du deuxième point.
DEUXIÈME PARTIE.
Je ne puis entrer plus naturellement dans
la deuxième partie de mon discours, que par
une des visions que l'on trouve dans le pro-
phète Zacharie : elle représente au naturel
les péchés d'une femme du monde qui s'est
engagée imprudemment dans des maximes
pernicieuses, et qui entre dans le monde
pour y vivre selon ces maximes.
11 est dit que le prophète vit un vase au
milieu duquel une femme était assise, et que
l'ange jeta la femme au fond du vase et en
ferma l'entrée avec une masse de plomb. En-
suile il parut deux femmes : le vent soufflait
dans leurs ailes, et elles élevèrent le vase
onlre le ciel et la lerre; elles le portèrent à
Bahylonc, et c'est là qu'il fui place el affermi
sur sa base. Il faut maintenant entrer dans
le sens de cette vision.
Celte femme assise au milieu du vase est
la figure de celles dont nous venons de par-
ler, qui se reposent sur les fausses maximes
dont elles sont remplies, et qui sont résolues
de n'en point suivre d'autres. L'ange jette
celle femme au fond du vase et il eu ferme
l'entrée avec une masse de plomb, pour mar-
quer que Dieu livre les femmes du monde
aux désirs de leurs cœurs, el qu'il les laisse
tomber dans le précipice où elles se jettent
volontairement. Ensuite il sort deux femmes
de ce vase, où d'abord il n'en avait paru
qu'une ; c'est-à-dire que celte femme se mul-
tiplie en quelque façon, et que, ne se con-
tentant pas d'être remplie des pernicieuses
maximes qui la conduisent à l'impiété, elle
veut les inspirer aux autres : Corrumpcrc et
corrumpi sœculum est. Le venl souffle dans
leurs ailes, elles élèvent le vase entre le ciel
et la lerre; elles le portent à Babylone, et
c'est là qu'il est placé el affermi sur la base :
ce qui marque les applaudissements que le
monde donne à celles qui veulent vivre selon
ces maximes ; le fracas qu'elles font parmi
ceux qui suivent les mêmes sentiments, cl les
funestes succès d'un commerce où elles se
perdent el où elles donnent aux autres le
moyen de se perdre avec elles, par le sean-
dale dont ellc> sonl cause; car \oici ce que
c'est que le scandale dans le sens ou je le
prends ici. C'est l'effet pernicieux d'une con-
duite qui, étant mauvaise par elle-même,
sert aux autres ou de prétexte pour conti-
nuer le mal qu'ils font, ou d'attrait pour en-
trer dans celui qu'ils ne faisaient pas; el
c'est dans ce sens que les Pères ont dit de la
pécheresse de 1 Evangile qu'elle n'était pas
.seulement pécheresse à raison de sa mau-
vaise conduit*!, mais qu'elle était devenue
comme le péché de toute la ville, à raison du
scandale dont celte conduite était la cause :
et voilà ce qu'on doit dire naturellement des
femmes du inonde donl la mauvaise conduite
est un scandale pour les autres.
Quand je veux donc me former, sur les
expressions des Pères , une idée de celle
pécheresse de l'Evangile, et d'une femme du
monde sur celle de celle pécheresse, j'ima-
gine une femme toute remplie des maximes
du monde, qui l'aime et qui en veut è're
aimée; qui attire des gens chez elle et qui
veut en avoir absolument; qui pour cela
donne dans sa maison une honnête liberté
qui en bannit la contrainte et la gène, qui se
donne pour plaire par tout ce que la vanité
peut inspirer, soil dans sa personne, par les
ajustements, soit dans sa maison, par la ma-
gnificence, soit dans ses manières, par la
complaisance; car c'est chez elle que s'as-
semblent lous ceux qui aiment la joie, la
liberté et le plaisir. Or, mes frères, ces per-
sonnes-là qui tiennent leurs maisons ouvertes
aux compagnies et aux assemblées sont dé-
crites naturellement dans l'idée que les Pères
nous donnent de la pécheresse de l'Evangile.
Elles sont pécheresses par la vie qu'elles
mènent, tout opposée à l'esprit de l'Evan-
gile et aux obligations du christianisme, et
encore par le péché de toute une ville, par le
scandale qu'elles donnent aux autres et par
les occasions qu'elles fournissent aux pé-
chés d'aulrui.
Entrons un peu dans le détail de celte vie
et des occupations qui la remplissent, et
nous verrons si elle n'est pas mauvaise en
so; et pernicieuse pour les autres. C'est dans
ces maisons où des femmes qui font profes-
sion de passer toute leur vie sans emploi,
sans occupation sérieuse, fournissent de quoi
occuper la criminelle oisiveté de ceux qui se
font un métier de ne rien faire.
C'est là où pour s'occuper on passe le.
temps dans des conversations je ne dis pas
inutiles, car on n'en demeure pas là, mais
où la charité est déchirée par les médisances.
On y déshonore la vertu par les railleries et
le mépris; on y justifie les passions en leur
donnant le nom de vérins; on applaudit aux
péchés qu'on autorise par l'exemple, et dont
on oie l'horreur en ne les montrant que du
cote du rang et de la grandeur de ceux qui
les commettent: on affaiblit l'idée de la reli-
593
SERMON POUR LE MERCREDI DE LA PASSION.
594
gion par les manières dont on parle de ses
vérités et de ses mystères; on débile mille
maximes qui effacent toutes les impressions
qu'a pu faire dans l'âme une éducation chré-
tienne, qui mettent l'amour du monde dans
le cœur, qui excitent toutes les passions et
qui ouvrent l'entrée à toutes sortes de dé-
sordres ; car l'oisiveté que nous donnent uno
certaine indolence, un certain repos, une
inaction dans laquelle on travaille sans rien
faire, est un principe des plus agissants dans
l'ouvrage malheureux de la corruption des
mœurs. Voilà la première occupation d'une
femme du monde.
Le jeu est la seconde: car comme il lie les
conversations, il sert à remplir une partie
du temps de ceux qui le passent à ne rien
faire. Cet exercice de la vie du monde a de
commun avec le premier la perte du temps
qui ne doit pas passer pour peu de chose
dans l'esprit d'un chrétien ; mais quand il est
considérable et que l'on risque beaucoup
d'argent, voici ce qu'il a de particulier: le
gain qu'on y peut faire est fort douteux ; les
pertes qu'on y fait sont certaines.
Le gain qu'on y peut faire est fort douteux,
car comment s'imaginer que le jeu soit une
voie légitime d'acquérir du bien pour un
chrétien, après le jugement que Dieu a rendu
sur lui à cause de son péché: Vous mangerez
votre pain à la sueur de votre visage? 11 faut
qu'il travaille, et non pas qu'il joue. Oui, mes
frères, nous ne connaissons pas l'état d'un
chrétien, ni les obligations d'un homme ra-
cheté du péché par Jésus-Christ, et rendu
esclave de Injustice, comme parle saint Paul.
Les pertes qu'on y fait sont fort certaines;
en effet, en jouant gros jeu, l'argent que
vous y exposez n'est point à vous, si nous
parlons sur les principes du christianisme.
Si c'est votre nécessaire, il est à votre fa-
mille; si c'est votre superflu, il est aux pau-
vres.
Mais considérez celte injustice de plus près
par l'examen de la qualité des gens qui
jouent, elle vous paraîtra plus sensible. Cet
homme qui joue ôle à sa famille ce qu'il
porte au jeu; il dissipe le plus liquide de son
bien, il abandonne ses affaires, il laisse des
enfants sans emploi, des filles sans parti, des
domestiques sans gages; ses créanciers souf-
frent, sa maison périt et s'abîme. C'est une
femme qui joue contre le gré de son mari;
elle le vole pour soutenir ses parties. C'est
unedissimulalion perpétuelle pour sccachcr;
elle abandonne sa maison et tous les soins
de son domestique; sa conduite est un dérè-
glement déplorable, ses perles la portent à
des extrémités dont on a des exemples et
qu'on ne connaît que trop. C'est un jeune
nomme à qui I* jeu fait perdre sa fortune,
qui néglige mille occasions de s'avancer, qui
abandonne ses occupations, qui perd sa ré-
putation ( t qui se rend incapable de tout
emploi. Il s'engage, il emprunte, il se ruine;
et quand on pense à le placer sur le pied île
ce qu'on lui destine, on lui trouve, des délies
qui absorbent son liien; il est perdu: de là le
désespoir et les suites funestes que nous ne
voyons que trop souvent. Examinez bien ce
que je dis ici et vous verrez encore l'injustice
du jeu par rapport à la qualité des gens qui
jouent. D'ailleurs, qui peut ignorer les trans-
ports, la fureur de la plupart des joueurs?
Les blasphèmes, les imprécations, les extra-
vagances où on les voit quand ils perdent?
Ils n'ont souvent de respect ni pour le sexe,
ni pour la qualité; ou s'ils se font violence
devant vous, ils retournent clicz eux comme
des enragés, lisse mettent au lit dans la fu-
reur, ayant fait souffrir tous ceux qui les ap-
prochent. Ils se lèvent avec les mêmes dispo^
sitions, ils recommencent les mêmes exer-
cices, ils passent ainsi leur vie et la finissent
de même.
Mais on joue chez moi, me direz-vous,
une fois la semaine, et petit jeu, entre hon-
nêtes gens, bien choisis, qu'on connaît, et
cela ne dure pas longtemps. On me dira
même que ce qui se perd au jeu se ramasse
pour les pauvres; car il y a de prétendues
dévotes qui jouent tout autant que les au-
tres, et qui croient que c'est un privilège de
leur prétendue dévotion de le pouvoir faire
innocemment. A cela je réponds que le de-
gré du péché vient de l'attachement, que cet
attachement se connaît par l'espèce de né-
cessité que l'on s'est imposée, et par l'ennui
où l'on se trouve quand on manque à faire
sa partie, et qu'une femme chrétienne doit
non-seulement éviter le péché, mais l'occa-
sion du péché. Elle doit s'écarter de tout ce
qu'elle ne peut rapporter à la gloire de Dieu,
de tout ce qu'elle ne peut pas faire pour son
amour, et en un mot de tout ce qui n'entre
pas dans l'ordre de sa sanclifiealion. Vou-
driez-vous mourir avec l'amour du jeu? cela
paraîtrait funeste. Ne vivez donc pas en vous
y portant avec un certain plaisir; vous pou-
vez mourir à tout moment, cl vous mourrez
comme vous avez vécu, avec l'amour de ce
que vous avez aimé. Amusez-vous, servez-
vous des plaisirs permis, pour vous délasser
du travail, ou pour y retourner avec plus de
vivacité; mais ne vous livrez jamais au plai-
sir, quelque légitime qu'il soit en lui-même.
Toutes nos actions doivent être des prières
et des actions de grâces, digues d'être offer-
tes à Dieu par Jésus-Christ: Semper et in
omnibus gratias agent, s Deo et Patri per ip-
sum. Peut-on offrir à Dieu par Jésus-Christ
un jeu vers lequel le cœur se porte avec ar-
deur?
} De plus, ce qu'on fait chez vous une fois
la semaine, vous le faites le lendemain chez
un autre; ainsi, le cercle tournant toute la
semaine, la vie se passe de celle manière, et
vous contribuez à soutenir ce commerce
i d'inutilité el d'oisiveté.
Et vous qui êtes dévotes, et même dans
les grands principes, comment accommodez-
"vous la fréquentation des sacrements avec
ce commerce d'assemblées, de conversations,
de plaisirs? comment la nécessité de prier,
d'être re. uei lies, de dégager son cœurde l'a-
mour du monde, des créatures, de soi-même,
de pleurer ses fautes et de se purifier par
, |a mortification, pour approcher souvent de
m
OHATLLRS SACRES. bOM JEROME.
m
Jésus-ChrisJ et se rendre digne de le rece-
voir, comment tout cela peut-il s'allier a > <•<•
votre conduite? Mais quand on est prévenu
des maximes du monde, qu'on a pris mu
parti, que l'ange a jeté la femme au fond du
vase, qu'on se trouve par son genre de vie
dans une oisiveté à ne savoir que faire et à
chercher d'avance, quand on joue, quelque
OCCapation qui désennuie quand on nejouera
plus, on n'a garde de chasser ceux qui ser-
vent à prévenir cet ennui et à remplir ce
vide ; on a besoin d'eux pour passer des par-
ties du jeu à celles du plaisir.
C'est une troisième occupât ion d'une femme
du monde, une autre source de désordre et
une autre matière de scandale. Car qui peut
douter que les danses, les bals, les specta-
cles, les comédies ne soient des divertisse-
ments malheureux qu'un chrétien ne peut ni
prendre ni conseiller? Cependant ce sont les
divertissements ordinaires des gens vains, oi-
sifs et attachés au monde. Il ne faut qu'une
femme pour y engager toute la compagnie
qu'elle aura chez elle; c'est la partie qu'on
fait pour unir la conversation et gagner le
soir, où le jeu et la bonne chère doivent être
ouverts.
Si quelqu'un semble regarder ces divertis
sements comme suspects et faire quelque
difficulté de les prendre, on traite celte déli-
catesse de bagatelle et de scrupule. On pré-
tend que le théâtre est une école, et qu'il faut
y aller pour s'instruire. Ainsi on ne se con-'
tenle pas de se perdre, on veut encore per-
dre les autres avec soi ; car on se rend les-
ponsable devant Dieu du cours qu'on donne
à dos divertissements que les saints Pères ont
toujours regardés comme des sources em-
poisonnées, propres à tuer les âmes, ci qui
doivent être l'objet de l'horreur d'un chré-
tien qui pense à son salut.
On se rend responsable de tous les maux
qui arrivent dans l'usage de ces divertisse- j
ments, où le spectacle, les sujets, la musique, i
la danse, l'assemblée, la liberté de voir et
d'être vue, celle de se parler, l'ouverture
que le lieu et les choses qui s'y passent don-
nent à parler de tout, causent des ravages,
terribles, et les suitesdecclte viesont effroya-
bles. Les horribles emportements de Sodome
n'ont pas commencé par de plus grands dé^
sordres ; et lorsque le prophète Ezéchiel en
fait l'histoire, il nous dit : Ecce hœc fuit ini-
quités Sodotmv : Voici les sources de l'ini-
quité de ces peuples de Sodome: Superbia,
l'amour de soi-même, la magnificence dans
lesmeubles et dans les habits, le luxe, le faste,
l'orgueil. Suturitas punis et abundantia, la
nonne chère, la joie, la prospérité tempo-
relle. Otium, l'oisiveté, la dureté envers les
pauvres et la négligence à se servir des
moyens que Dieu donne aux riches d'apaiser
sa colère par l'aumône et de racheter leurs
péchés par la miséricorde. Blevatm stmf et
l'ecerunt abominntiones coram me : 1. 'orgueil
les a élevés et ils sont tombés dans les abo-
minations qui m'ont obligé de les confondre
et de les anéantir. Y a-t-i I rien dans tout cela
qui ne convienne avec les pratiques de la
\ le d'une femme du monde que nous venons
d'expirer? Aussi, mes frères, faut-il remar-
quer que l'ange dit à Zarharic que cette
femme qui était assise au milieu Mu
dont nous avon> parlé dans la vision date
prophète que nous avons expliquée, était
l'impiété : Une est ini ,uitns, c'est à-dire que
les maximes qui réglaient sa conduite et
qu'elle inspirait aux i Ulreu les romluisaienl
dans l'impiété. En effet, l'âme toute pénétré»
de l'amour du monde et d'elle-même, desti-
tuée de la grâce qu'elle rejette, livrée I
concupiscence, abandonnée à ses passions,
sollicitée par d'autres encore plus corrompu»
qu'on n'est soi-même, se hisse emporter à
une dangereuse curiosité. On cherche < i > i
raffinement dans les plaisirs, parce qu'on es*
las des amu-ements ordinaires qui dégoû-
tent à la fin, et on se trouve insensiblement
engagé dans d'horribles et d'épouvantables
excès.
Il n'est pas difficile, quand on en est là. de
tomber dans l'impiété ; car c'est le (bâtiment
dont Dieu punit ordinairement ces sortes
d'excès. Il nous rejette après que nous l'a-
vons abandonné, et alors on ne se met plus
guère en peine de la piété, on n'en écoule
plus les vérités pour s'en convaincre, on n'en
;gardeque quelques praliquesparbienséance.
on approche des sacrements sans religion,
et quand on pense trouver des moyens de
satisfaire ses passions en les profanant, on
est capable d'exposer tout ce qu'elle a de
plus saint, de p'.us sacré, à des sacrilèges
qui font gémir et qui peuvent être des sources
secrètes et invisibles des calamités qu'on re-
jette sur mille autres causes.
Voilà, mes frères, les funestes progrès du
:péché du monde et les suites déplorabls de
cette conduite qui, étant mauvaise par elle-
même, sert aux autres ou de prétexte pour
continuer le malqu'ils font, ou d'attrait pour
outrer dans celui qu'ils ne faisaient pas. S'il
était possible, femmes du momie, que vous
crussiez que celle vie qu<" nous venons de
relracer ne fût pas mauvaise, il serait aise
d'en faire remarquer les désordres, en rep:e-
uant par le détail tous les exercices qui la
composent ; mais je me contente de les re-
présenter en gros. Ne s'occuper de rien que
de soi-même, vivre dans la mollesse, dans
la volupté, dans la paresse, ne songer qu'à
ce qui peut plaire, passer le temps dan» les
conversations inutiles, entretenir un jeu illé-
gitime, ou parce qu'il est considérable, ou
parce qu'il est fréquent, prendre des diver-
tissements suspects, se nourrir des specta-
cles dangereux, est-ce là la vie d'une femme
chrétienne? Que deviennent donc les pro-
messes faites au baptême et les règles de II -
vangile : Qui tult mure post me abneget se-
metipsum, tollat crttctm suatn ttieqmutur me :
Oue celui qui veut venir à moi se renonce
lui-même, porte sa croix el qu'i! me suive.
Quelle recompense ponvei-vevs attendre de
Dieu, après avoir mené une semblable vie?
S'il veut par miséricorde nous donner le ciel
pour prix de nos enivres opéi ées p ir la ( lia-
rite, lesquelles produirez-) ous pour obleuir
897
SERMON POUR LE MERCREDI DE LA PASSION.
celte récompense? Toutes celles qui ont
rempli votre vie ne sont dignes que de châ-
timent.
Mais celte vie si opposée à l'esprit et à
toutes les obligations du christianisme ne
vous égare pas seulement, elle attire les au-
tres dans vos égarements, et vous devenez
responsables de tous les désordres que vous
autorisez par vos pratiques ou que vous
inspirez par votre exemple : car non-seule-
ment ceux qui font toutes ces choses sont
dignes de mort, mais ceux qui approuvent
ceux qui les font s'en rendent également di-
gnes. D'où vient donc que vous vous aveu-
glez sur des désordres si palpables ? c'est la
consommation du péché du monde, dont il
faut découvrir la source en peu de mots, et
c'est le sujet de la troisième partie.
TROISIÈME PARTIE.
C'est une chose digne de compassion de
voir que la plupart des femmes qui vivent
de la manière que je viens de dire, et qui
sont tombées dans l'état déplorable que je
viens de vous exposer, ne connaissent pas
leurs égarements, et se réjouissent même
dans leur malheur. 11 est facile néanmoins
de comprendre comment on tombe dans cet
aveuglement encore plus déplorable que le
péché même, c( j'espère qu'il sera utile d'en
marquer en peu de mots les causes : il est
plus aisé de donner des remèdes à un mal
dont la source nous est connue.
La première chose qui entretient les gens
du monde dans cet aveuglement, c'est la
présomption ; ainsi, comme on s'engage sans
vouloir s'instruire, on marche et on avance
sans vouloir prendre conseil ; on pense mar-
cher droit quoiqu'on s'égare, on croit être
debout, on est tombé, et on ne remarque pas
sa chute : première cause.
La seconde, c'est la manière presque in-
sensible de s'engager dans les désordres en
se familiarisant avec les plus grands péchés,
par l'habitude qu'on a à commettre ceux qui
sont communs. On ne tombe pas tout d'un
coup dans l'abîme, mais on se fait des de-
grés pour y descendre. Les premiers crimes
donnent de l'horreur, mais on s'y accoutume ;
les seconds en donnent moins, et comme il
n'y a que de certains degrés qui les distin-
guent, quand on est parvenu à un certain
point, on les confond tous ensemble; alors
on se plonge dans les excès comme un au-
tre tomberait dans de légères imperfections:
seconde cause.
La troisième chose qui contribue à cet
aveuglement, c'est la multitude et la qualité
îles complices. Je reconnais ici, mes frères,
qu'il y a assurément bien des gens de qualité
qui sont vertueux, qui donnent de grands
exemples au public, cl qui remplissent avec
édification les engagements difficiles de leur
état. Mais après tout il faut avouer que c'est
parmi les gens de qualité que se trouvent les
plus grands pécheurs ; car soit que leur éle-
va'ion leur fournisse plus de moyens de
lairc le mal, soit que l'oisi\clé ouvre dans
leurs âmes un plus grand chemin à la cor-
ruption, on ne voit guère de grands désor-
dres dont ils ne soient les auteurs en partie,
et ce qu'il y a de déplorable, c'est qu'ils en-
gagent facilement les autres à les imiter. Les
crimes semblent n'être plus avec eux ce
qu'ils seraient avec d'antres, et vous diriez
que Ierang des complices en efface l'horreur :
troisième cause.
La quatrième chose qui contribue à cet
aveuglement, c'est la complaisance de ceux
qui applaudissent aux désordres. On ne
manque jamais dans le monde de trouver
des gens engagés par intérêt à louer ceux
qui vivent dans l'iniquité, et c'est le malheur
de ceux qui sont nés grands, ou que leur
fortune rend nécessaires à d'autres, d'être
environnés de ces sortes de flatteurs. Voilà
la raison pour laquelle le Sage exhorte les
grands du monde à ne pas se fier aux pé-
cheurs, quand ils leur donnent du fard ; car on
corrige difficilement un péché lorsqu'il est
nourri par les applaudissements des mé-
chants ; c'est encore ce que le Seigneur a
voulu nous faire entendre, quand il a dit
dans l'Evangile : Laisse: les morts ensevelir
leurs morts; car les morts enterrent les
morts, quand des pécheurs en flattent d'au-
tres par des louanges trompeuses. En effet,
pécher, n'est-ce pas mourir? et ensevelir
n'est-ce pas cacher ? Ainsi ceux qui louent
celui qui pèche ne font autre chose que le
cacher sous la tombe de leurs louanges, et
rendre par là sa mort spirituelle plus irré-
parable.
Enfin, mes frères, le dernier malheur,
c'est lorsque celle flatterie entre jusque dans
le sanctuaire, et que ceux qui devraient être
la bouche de Dieu et les médecins des âmes
entretiennent les pécheurs dans l'oubli de
leurs crimes, au lieu de leur en donner de
l'horreur et de les réveiller de leur assou-
pissement. C'est ce qui arrive lorsque les
prédicateurs de l'Evangile ne parlent pas
assez souvent contre la vie des gens du
monde, et qu'ils n'en montrent point assez
le péril, qu'ils ne font point assez voir l'op-
position épouvantable qu'elle a avec l'exem-
ple de Jésus-Christ, les règles de l'Evangile
et les principes de la foi ; ou bien lorsque
ceux qu'on consulte en particulier ne mon-
trent pas les désordres avec assez de force,
qu'ils flattent la mollesse par une complai-
sance criminelle, qu'ils promettent l'impu-
nité des vices qu'ils auraient pu étouffer
dans leur naissance, et dont l'ignorance et
souvent l'intérêt les empêchent de voir les
suites épouvantables.
C'est ainsi, mes frères, que se forme cet
aveuglement qui empêche les gens du monde
de voiries désordres de leur vie, cl comme ils
se retirent de Dieu autant qu'ils peuvent,
autant les lumières qui viennent de »a part
les rendent-elles insensibles, parce qu'elles
troublent inutilement la déplorable paix de
leur cœur. Dieu se relire enfin d'eux, il les
abandonne à eux-mêmes il ne leur com-
munique plus ses lumières qu'ils ont tint
de fois méprisées, il les livre à des ténèbres
qui les réduisent comme dans une espèce
198 DRATE1 RS8â< RE! IM>M IEROME.
ilt: nécessité de ne guérir jamais de leurs
600
maux, parce qu'ils ne se croient pas même
malades.
Faites, ù mon Dieu ! que d'aussi grandes
vérités fassent dans l'âme de ceux qui m'é-
COUtent toute l'impression qu'elles y doivent
faire ; que chacun rentre dans soi-même
pour reconnaître quelle a été la source de
ses égarements; <]ucllcs sont les maximes
sur lesquelles on se conduit dans son état ;
si le chemin qu'on a pris en entrant dans le
monde mène à la fin qu'on doit se proposer
comme chrétien, et si l'on n'est point tombé
dans celte imprudence par où commence
le péché des femmes et des gens du monde.
H faut examiner les pratiques dans lesquel-
les on est engagé ; car rien n'est plus dange-
reux que de présumer témérairement de la
sûreté des ses voies, de son état, cl de se
croire en bon chemin, parce qu'on marche
avec le plus grand nombre. Mes frères, ni le
nombre, ni le rang des complices, ni la voix
des flatteurs, ni le silence des ministres de
Dieu ne sont point capables de nous justifier
devant lui, toutes ces vaines excuses se dis-
siperont, et sa loi nous condamnera-
On ne tombe pas tout d'un coup dans les
derniers excès , mais on a grand sujet de
trembler, lorsqu'on se voit exposé au haut
d'un précipice dont le chemin est fort glis-
sant, et dans le centre duquel on peut se trou-
ver abîmé sans s'en être aperçu, parce qu'on
n'y tombe que par degrés , sans avoir pres-
que change de situation à l'intérieur, ou en
ne le faisant que d'une manière agréable et
qui plaît à la nature et aux sens.
Que si on se trouve dans ces engagements
dont les suites sont si funestes, il faut en
sortir sans délai, car c'est vouloir se perdre
que de demeurer dans le péril.
Trop heureux si ces réflexions pouvaient
porter quelqu'un à recourir à vous, <> mon
Dieu ! trop heureux si ces vues du péché du
monde obligeaient quelqu'un à se reconnaî-
tre 1 11 n'y a que trop de femmes qui pour-
raient bien s'y voir, et qui avoueront, si elles
veulent considérer leur conduite , qu'elles
méritent qu'on les traite de pécheresses pour
le moins autant que celle à qui l'Evangile
donne ce nom.
Il est naturel de conclure que si on a pé-
ché comme elle et plus qu'elle, il faut faire
pénitence comme elle l'a faite; mais comme
c'est Dieu qui donne la pénitence, il faut la
lui demander avec larmes et avec gémisse-
ments.
La même pécheresse nous donnera demain
lidée d'une pénitence parfaite dans les cir-
constances de la sienne. Fasse le ciel que
nous soyons rendus capables , par la grâce
de Jésus-Christ, de suivre son exemple pour
mériter le ciel, que je vous souhaite ! Ainsi
■oit-il.
BBRMON
I lll II IL JI'.l 1)1 1)1. I V PASSION.
Itetour d'une femme du monde dans Madeleine
pénitente
Vides hanc moliercm?
Voyez -vous cette femme (tue, Ml, .
\ oici, mes frères, celle même femme que
je vous produisis hier, mais qui va paraître
aujourd'hui sous une ligure bien différente
de celle son-, laquelle je vous la munirai.
Hier c'était la pécheresse, aujourd'hui c'est
la pénitente. Hier nous ne parlâmes que des
désordres de sa vie, aujourd'hui nous admi-
rerons toutes les circonstances de sa con-
version : Vides hanc mulierem? Voyez-vous
celle femme? Ce fut le Sauveur du monde
qui dil ces paroles au pharisien pour le con-
fondre. Je les répète aujourd'hui pour nous
instruire. 11 lui reprochait son orgueil et son
ingratitude, en lui montrant ce que cette
femme avait fait pour lui, et moi je veux
vous exposer tous ses mouvements , comme
un modèle d'une pénitence accomplie; tnais
pour bien entrer dans cette idée, disons avec
les Pères que la pénitence étant une vertu
substituée par la miséricorde de Dieu à |a
place de sa justice, pour exercer sur le pé-
cheur par amour ce qu'il lui ferait ressentir
par vengeance, il faut se représenter ce que
la justice l'ait sur le pécheur, quand Dieu le
châlie dans sa colère, et ensuite se figurer
l'amour de Dieu se plaçant dans le cœur du
pécheur converti comme sur un trône, et
où, prenant les intérêts de Dieu offensé, il
prononce des arrêts contre lui-même, et fait
en quelque sorte ce que la justice ferait elle-
même, s'il lui était abandonné. Or, mes frè-
res, il y a Irois choses à considérer dans
l'ouvrage de la justice de Dieu sur le cou-
pable : le motif qui l'anime, la nature
de son action, la durée cl l'étendue qu'il lui
donne.
Le motif, c'est la haine contre le pécheur
qu'elle confond avec le péché et qu'elle ne
distingue plus. La nature de celte action .
c'est une vengeance inspirée parcelle haine.
La durée de cette vengeance , c'esl celle de
toute l'éternité répondant à la nature de celui
qui punit.
C'est, mes frères, sur celle idée que la pé-
nitence se règle quand elle est parfaite, avec
cette différence qu'elle distingue le pêche d'a-
vec le pécheur, pour détruire l'un et sauver
l'autre. Elle commence donc par la haine
contre le péché, et celte haine est l'âme de
la pénitence. Elle continue par une ven-
geance qu'elle exerce sur tous les instru-
ments du péché, cl celle vengeance Ml
comme le fruii et l'exercice de la pét
tence. Elle demeure dans une irréconcilia-
tion éternelle avec le péché, cl celle îne-
concilialion est comme la consommation de
la pénitence. Vous verrez, mes frères, tout
ceci réduit en pratique dans la pénitence de-
là pécheresse.
Nous allons voir quelle fut sa haine cou -
ire le péché : première partie : quelle lut la
qu'elle exerça sur le pèche :
Côi
SERMON POUR LE JEUDI DE LA PASSION.
C02
deuxième partie ; quelle a été son irré-
conciliation avec le péché : troisième partie.
Demandons les lumières et les flammes de
l'amour qui a opéré toutes ces merveilles
dans le cœur de la femme pécheresse, par
l'intercession de l'innocente créature qui
était remplie de grâce au moment que l'ange
lui dit : Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
La haine que conçut contre le péché la
pécheresse de l'Evangile fut le commence-
ment de sa pénitence, et c'est, mes frères,
par le mouvement du cœur que toute péni-
tence doit commencer pour être véritable :
Pœnitentiam cerlam non facithomo, nisi odio
peccati et amore Dei : L'homme ne peut être
véritablement pénitent sans avoir la haine
du péché et l'amour de Dieu, dit saint Au-
gustin. C'est cette haine sincère qui est l'âme
de cette vertu, et nous sommes abusés, mes
très-chers frères, si nous croyons être péni-
tents sans avoir une souveraine horreur
pour le péché. Mais qu'est-ce que cette haine?
d'où vient-elle? comment s'excite-t-elle? par
où est-elle formée dans notre cœur et qui
est-ce qui la produit? comment pourrons-
nous connaître si elle y est formée , et
quelles en sont les marques? Voyons tout
ceci dans la pécheresse que l'Evangile
nous propose, elle doit être notre mo-
dèle : Vides hanc millier em? Voyez- vous
cette femme?
Celle haine du péché n'est à proprement
parler que l'amour de Dieu ; car, suivant les
paroles de saint Augustin, que nous venons
de citer, l'un n'est pas distingué de l'autre
dans l'idée de la parfaite pénitence; et en
effet c'est un principe de ce saint docteur,
que la mesure de la haine du péché, c'est celle
de l'amour de la justice ; comme s'il voulait
dire que le cœur de l'homme ne pouvant
être sans quelque mouvement d'amour, la
haine du péché est un mouvement de l'a-
mour de Dieu qui chasse l'amour de la créa-
ture du cœur de l'homme pour s'en rendre
maître el y reprendre la place qui lui appar-
tient.
Cette haine du péché, c'est donc l'amour
de Dieu qui, ayant triomphé de la cupidité,
inspire des sentiments d'indignation et d'hor-
reur pour lout ce qui entretenait son règne
dans le cœur du pécheur. Ainsi les mouve-
ments de la pénitence de celle pécheresse
sont attribués à l'amour : Beaucoup de pé-
chés lui sont pardonnes, parce qu'elle a beau-
coup aimé. Allons plus loin.
Cet amour n'entre point dans le cœur sans
y répandre des lumières qui font voir â ce-
lui qu'il a converti ce qu'il ne voyait pas
avant sa conversion. Elles lui montrent le
péché dans loule son injustice, elles lui en
découvrent loule la difformité, elles lui en
font voir toute l'horreur, et celle vue lui ins-
pire celte haine qui l'en sépare et qui le lui
lait délester, cet amour qui le ramène à ce-
lui qui a eu la patience de le supporter dans
celte injustice, la miséricorde de le prévenir
dans la rébellion, el qui a encore la bonté de
le recevoir dans son repentir. Vous voyez
ceci, mes frères, dans les démarches delà
pénitente de l'Evangile : Ut cognovil : Aus-
sitôt que celui qui l'avait prévenue par sa
miséricorde lui eut ouvert les yeux, aussitôt
qu'elle eut connu l'état déplorable où ses cri-
mes l'avaient engagée, elle ne diffère pas
d'un moment, elle abandonne tout ce qu'elle
avait aimé pour retourner à celui qu'elle
avait abandonné. Elle conçoit des sentiments
de haine contre elle-même, contre ses cri-
mes , contre tous les instruments de son
amour déréglé : sentiments qui la portent à
celte satisfaction éclatante et à ces vengean-
ces innocentes que l'Evangile nous décrit et
que nous vous rapporterons dans un mo-
ment.
C'est donc à la vue du péché que s'excite
la haine contre le péché; et en effet, mes
frères, qu'y a-t-il de plus digne de la haine
d'un chrétien que le péché, soit qu'on le con-
sidère dans sa nature, soit qu'on le regarde
dans ses effets? Dans sa nature , c'est un
renversement de l'ordre de Dieu, c'est une
rébellion de la créature contre son créateur,
c'est une préférence du néant au souverain
bien; dans ses effets, c'est la perte de Dieu,
c'est la damnation de l'âme, c'est la source
de tous les maux pour le temps et pour l'é-
ternité. Je ne suis pas surpris que saint Gré-
goire nous assure que dès que celte péche-
resse eut les yeux ouverts pour voir ce mons-
tre, et que Dieu lui eut donné les lumières
divines qui font connaître le péché tel qu'il
est dans sa nature el dans ses effets, elle
conçut contre lui une haine souveraine.
Ainsi en ont usé tous les vrais pénitcnls. Da-
vid passait les nuits et les jours à pleurer,
son lit nageait dans ses larmes, il rugissait
d'une colère toute sainte au seul ressouvenir
de son péché. Rien n'est plus terrible que ce
que rapporte saint Jean C'imaquc d'un cer-
tain monastère qu'il appelle la prison, qui
n'était rempli que de saints pénitcnls qui
hurlaient comme des bêtes en se rappelant
l'idée de leurs crimes et en considérant les
désolations où le péché les avait jetés. Tant
il est vrai que la vue du péché, quand ello
vient des lumières que l'amour de Dieu
allume dans notre cœur, nous excite à des
mouvements d'une haine qui eu bannit
toute joie et qui le remplit d'une sainte amer-
tume.
Mais il y a plus, vous voyez cette femme
de l'Evangile qui entre précipitamment dans
une maison étrangère où le maître ne l'avait
point invitée, seulement où le Seigneur qui
y allait était invité et l'avait appelée lui-
même, non par le son extérieur de sa voix,
mais par l'attrait intérieur de sa grâce. Les
larmes de la pénitence sont le commence-
ment de son retour à Dieu; car l'esprit de
Dieu, sans doute, et non pas le nôtre, opère
la pénitence dans l'homme, dit saint Ber-
nard; el c'est pour cela, mes frères, que l'E-
glise sainte pleure cl gémit dans ce saint
temps, afin d'obtenir de son époux pour ses
cufunls la haine du péché et le don de la
«i03
ORATEURS SACRES. I<OM JEROME.
fjjl
pénitence parfaite, co qui dépead de sa honlé
et qu'il n'accorde pas à tous.
Demandons-les-lui donc, mes très-chers
frères, cl, nous unissant à l'Eglise cjui prie
pour nous, disons -lui avec elle : Jesu, loban-
te» respice ! 0 Jésus, regarde! nos chutes des
yeux de votre miséricorde : .S» respicis, Impsi
slabunt : Si vous nous regardez, vous nous
relèverez : FMuqvt culpa solriiur : Et for-
in;int en nous l'esprit de pénilence , vous
nous donnerez celle sainte fiai ne pour le pé-
ché qui nous fera verser des larmes capables
d'en effacer les taches. Vous jetterez dans
peu de temps vos regards sur un IDÔtre in-
fidèle et vous le convertirez ; Seigneur, je-
tez sur nous vos yeux comme vous les ivei
jetés sur cette pécheresse , et qu'ils basent
couler des nôtres les larmes semblables aux
siennes.
Enfin, si vous me demandez présentement
quelques règles par lesquelles vous puissiez
reconnaître si Dieu a formé en vous cet es-
prit par sa grâce, et qui puissent vous ga-
rantir de celle dangereuse illusion qui nous
fait prendre l'amour de nous-mêmes pour
celui de Dieu, et un certain chagrin qui ne
vient que de la cupidité, pour une haine sin-
cère du péché que la seule charité peut for-
mer, je reviens à la pénitente de notre évan-
gile pour examiner avec vous les marques
qu'elle nous donne de la vraie haine pour le
péché. Que produisit celle haine formée par
un nouvel amour? Elle lui inspira le dessein
d'aller déclarer ses nouveaux sentiments à
Jésus-Christ, en présence de tous ceux avec
lesquels il était assemblé chez Simon le
Pharisien. Cetle lumière du ciel qui l'avait
éclairée lui fit voir l'injustice du péché qui
le rend opposé à Dieu, et les charmes du
péché qui le rendent capable de séduire
les hommes. Il blesse la sainteté et la
majesté de Dieu , il trompe l'homme et le
séduit.
Que fait la pécheresse devenue pénitente
pour marquer sa haine contre le péché ? Elle
va le produire à Jésus-Christ et le livrer en-
tre ses mains comme son ennemi; elle le
produit à la vue des hommes, afin que d'une
part ils puissent remarquer tous les carac-
tères de la honte qui lui est propre, et voir
de l'autre toutes les désolations qu'il c ;use
dans ceux qu'il a séduits. Voilà, mes frères,
les effets de la haine de cette pénitenle contre
le péché.
Celte lumière du ciel l'a miraculeusement
éclairée, et lui fait connaître que le péché
est l'ennemi de Dieu, que c'est lui qui ren-
verse l'ordre établi par sa providence, qui
lui dérobe ses sujets et qui les arme conire
lui. Reconnaissant d'ailleurs en elle-même
la vérilé de lous ses déplorables effets, se
voyant contraire à son Dieu, elle se devient
insupportable à elle-même; et de même
qu'un homme qui a avalé un poison mortel
sent un soulèvement jusque dans le fond de
ses entrailles . et se tourmente jusqu'à ce
qu'il s'en soit déchargé, clic n'est poi.it en
repos qu'elle n'ait livre à Btm Dieu cet en-
nemi de sa gloire qu'elle avait porté si long-
temps da«l son co'iir. Elle va le livrer à lé*
hrisl comme MM ennemi, afin qu'il le
détraiae; die le livre à la rue dm boaraset,
afin qn ils le connaissent. La nature n'a plus
d'é ardl lorsqu'elle est pressée, rien n'est
( apablfl de la retenu : voiià la disposition
de celle pécheresse. Bile court donc a la
.maison du Phai isi n où i Ile savait que J
était; elle ne craint point d l'interrompre,
parce qu'elle sait bien que ce qu'elle a a lui
dif lui sera mille fois plus agréable que
toul ce qu'il peul entendre chez ce Phari-
sien, et comme les courri rs qui sont char-
gés des nouve les de la défaite d'une aimée
ennemie ne craignent point d'inlerr<
les plaisirs des princes pour leur apprt
des nouvelles agréable* , celle péchai
qui va remettre le péché entre loi mains de
celui qui est plus louché du retour et de la
pénitence d'un seul pécheur que de la bonne
vie de quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont
pas besoin de pénitence, ne craint point de
Tinter rompre dans son repas, ni d'aller trou-
bler la joie de Simon qui l'avait invité chez
lui. il parait bien qu'elle a conçu une haine
souveraine contre le péché, puisqu'elle le
ménage si peu. Il parail Lien qu'elle le re-
garde comme son ennemi, puisqu'elle le li-
vre absolument à celui qui peul le détruire
en le regardant, et qui, par la sainteté de
son être, a une opposition essentielle avec
lui. Il me semble, en la voyant entrer dans
la maison i u Pharisien avec cet esclave,
qu'elle amène en triomphe aux pieds de Jé-
sus-Christ le démon enchaîné.
Mais, mes frères, qu'arri ve-t-il? Celle haine
implacable qu'elle a conçue contre le éché
oblige Dieu à oublier celle que le pèche lui
avait fait concevoir conircelle: et comme nous
voyons quelquefois qu'on donne la v io à un
homme qui s'est révolté, quand il remet en-
tre les mains du prince celui qui a élé le chef
de la révolte et qui s'est mis à la tôle des au-
tres, cette pécheresse que son crime avait
rendue l'ennemie de Jésus-Christ, celle pé-
cheresse qui avait mérité la mort à cause de
l'alliance qu'elle avait faite avec lui.
pécheresse enfin qui était digne des derniers
supplices pour avoir donné reirai e au démon
Contre les lois du souverain, reçoit s u am-
nistie pou ' l'avoir livre: la rémission de - I
crimes est la récompense de sa haine pour le
péché.
Or voici une règle pour rcconiriilre si Dieu
a formé dans votre cœur l'esprit de pénitence;
car si c'est par celle haine qu'a commencé
celle de la pécheresse, et si la sincérité de
celle haine a paru dans le soin qu'elle a pris
de produire son péché a Jésus-Christ, c'esl
par le défaut do celle haine que notre péni-
tence n'esl pas véritable, el le défaut de haine
parait en Ce que nom manquons de sincérité
quand il s'ait de produire notre péché à Jé-
sus-Christ, et que nous employons pour l'or-
dinaire tous nos 9 i:ns pour le cacher. Ilais-
-i -tous le péché? Oui. Mais le haïsseï vous
ne votre ouvrage? car c'est à le point*
On cherche des raisons, pour s'excuser dans
ses poches, en les rejetant sur son étoile, sur
605
SERMON POUR LE JEUDI DE LA PASSION.
60G
le tempérament, sur les emplois, sur les en-
gagements du monde qui forment une espèce
de nécessilé. Il s'en trouve peu qui pronon-
cent contre leur propre cœur, et qui recon-
naissent sincèrement et avec humilité que
leur péché est l'ouvrage de leur pure malice
et de leur seule corruption.
Le péché est trop à nous, il est trop notre
ouvrage, nous l'aimons, et il est trop lié à
nous et nous à lui : nous voulons le cacher;
celte envie est un effet ou de l'amour du pé-
ché que nous ne voulons pas abandonner, ou
de celui de nous-mêmes qui nous empêche de
nous humilier en reconnaissant nos misères,
et on cherche à se tromper soi-même en se
persuadant qu'on est pénitent, quoiqu'en ef-
fet on soit pécheur et qu'on veuille continuer
à l'être. Cette disposition et ces suites me pa-
raissent admirablement bien marquées dans
ce qui est rapporté de la conduite que tint la
mère de Moïse lorsqu'il fallut s'en séparer
pour obéir aux ordres du roi Pharaon qui
avait commandé de jeter dans le Nil tous les
enfants mâles qui naîtraient des Hébreux. La
mère de Moïse, charmée de la beauté de son
enfant, ne put se résoudre à obéir prompte-
ment; elle le cacha trois mois dans sa mai-
son : mais enfin, ne pouvant plus empêcher
que ce secret ne se découvrît, et craignant
de se perdre avec cet enfant, elle prit une
corbeille de jonc, et l'ayant enduite de bi-
tume et de poix , elle mil dedans le petit en-
fant, l'exposa parmi des roseaux sur le bord
du fleuve, et fit tenir sa sœur loin de là pour
voir ce qui en arriverait ; mais avant que de
livrer cet enfant si tendrement aimé, quels
combats pensez-vous qu'ait livrés dans le
cœur de celte mère affligée la crainte de pé-
rir elle-même avec celle de voir périr ce
qu'elle aimait? Combien de fois la nature,
pénétrée de douleur, murmura-t-e!Ie contre
les lois du prince? Combien de fois alla-t-elle
jusqu'au bord du fleuve pour exposer son fils,
cl combien de fois l'amour lui retint-il le
bras, l'obligeant de remettre sur son sein ce-
lui qui en élait sorti, que la nécessilé la con-
traignait de livrer à la mort? Mais enfin,
après l'avoir livré, sa sœur a ordre de ne le
pas perdre de vue, et dès qu'elle aperçut
qu'une des filles de la princesse d'Egypteavail,
relevé celte corbeille, elle s'approcha et s'of-
frit, de lui aller quérir une femme des Hé-
breux pour nourrir cet enfant. La fille lit ve-
nir sa mère, qui reprit Moïse avec une nou-
velle ardeur, et qui le nourrit par ordre de
la princesse.
Voilà, mes frères, une image fort naturelle
des suites de celte haine imparfaite pour le
pé< lié, qui nous empêche de le produire à
Jésus-Chri>l cl qui nous porte à le lui ca-
cher. L'appréhension de tomber entre les
mains du souverain saisi d'une chose qu'il a
condamné •, qui oblige la mère d'exposer son
enfant, n'est-ce pas celle cra nie servile qui
nous fait prendre la résolution de déclarer
notre pèche, sans le haïr (entablement et
par le seul amour de '.lons-inêines ? Enfin tous
les soins de cel e mère qui veut toujours sau-
Vcr sou enfant contre l'autorité du prince et
la rigueur de la loi, n'est-ce pas l'image de
ceux du pécheur qui cache, qui diminue, qui
excuse son crime devant Dieu? Combien de
fois, pressé par la crainte, se met-il en état
de le lui exposer? Combien de fois, retenu
par le seul amour qui l'engage à ce péché, ie
renferme-t-il dans son sein? Si enfin la crainte
l'emporte, et que l'amour de lui-même triom-
phe de celui qu'il a pour son péché, il se
forme une fausse liée de pénitence qui le
porte à le déclarer ; il ne le jette pas dans le
fleuve, mais il l'expose sur le nord parmi des
roseaux pour ne le pas perdre de vue; son
œil le suit, son cœur ne s'en sépare pas, et à
la première occasion il se présente pour le
reprendre, et il redonne du lait avec une
nouvelle ardeur à cet enfant de son cœur
qu'il avait exposé sans cesser de l'aimer.
Voilà, mes frères, la source de ces rechutes
si fréquentes, après les apparences trompeu-
ses d'une pénitence que l'on croit sincère. On
n'examine pas assez la disposition de son
cœur, on ne se donne pas le temps de recon-
naître si la douleur qu'on ressent est l'effet
d'une haine véritable pour le passé, si cette
haine est produite par l'amour de Dieu ou
bien par celui de nous-mêmes.
Suivons l'exemple de cette femme de l'E-
vangile : si elle eût voulu, elle n'aurait pas
manqué d'excuses pour se défendre; mais
beaucoup de péchés lui sont pardonnes, parce
qu'elle a beaucoup aimé; et nous savons
qu'elle a beaucoup aimé, parce qu'elle s'en
est accusée, parce qu'elle a pleuré ses pé-
chés, parce que son cœur n'a point usé de
détours dans cet aveu pour chercher des ex-
cuses à ses crimes.
C'est ce que nous devons faire : il faut dire,
comme saint Augustin nous l'enseigne : Dieu
m'a créé avec le libre arbitre; je pèche, je
sais que c'est moi seul qui pèche. Oui, c'est
moi, dit-il; ce n'est ni le destin, ni la for-
tune, ni le démon, puisqu'il ne m'a pas con-
traint, c'est moi qui ai consenti à ses persua-
sions.
Voilà, mes frères, ce que j'appelle confi s-
ser sincèrement son péché, renoncer à toules
les excuses qu'on peut employer pour se dé-
fendre, reconnaître qu'il est notre ouvrage,
détester la malignité de notre cœur, le pen-
chant qu'il a vers l'injustice; la découvrir
avec humilité à .lésus-Cbrisl comme au seul
médeciu qui peut la guérir, et lui demander
l'amour de la justice qui en est l'unique re-
mède.
Mais pour suivre en tout l'exemple de celle
femme de l'Evangile, et s'assurer de plus en
plus d'une chose aussi importante qu'est la
sincérité de notre haine pour le péché, il faut
ne pas se contenter de le livrer à Jésus-Chrisl;
mais il faut, comme elle, aller le lui produire
en présence de ceux avec qui il était assem-
blé. Elle les a séduits en étalant les charmes
trompeurs du péché; elle va les instruire en
exposant sur sa personne les désolations
saintes et innocentes de la pénitence; c'est ce
que fait celle sainte pécheresse pour satis-
faire sa haine contre le péché, en se décriant
; dans l'esprit des hommes, auxquels elle nio,;-
1.07
(MATElItb SACRF.S DOM JEROME.
Gos
Ire tous les Iraits de la houle qui loi c-l pro-
pre et toutes les désolations qu'il cause dans
ceux qu'il a séduits Bile entre dans la mai-
son du Pharisien, le visage baigné de larmes,
ses cheveux épars sur son Iront, l'effroi dans
les yeux, les sanglots sur la bouche, le trem-
blement dans le maintien, et les marques de
la plus grande désolation répandues sur sa
personne.
Mais quelle est son intention en se produi-
sant aux yeux des hommes dans cet état? Elle
veut nous donner des marques de sa haine
pour le péché. Elle veut décrier ce séducteur
qui trompe les hommes, qui leur promet des
plaisirs et des biens, et qui ne leur procure
que des «mictions et des maux, et pour le
décrier elle veut le leur montrer tel qu'il est.
La conduite de la sainte pécheresse est
donc une règle pour juger de notre haine
contre le péché. Si elle est sincère, nous ne
devons le ménager en quoi que ce soit ; on n'a
aucun égard pour un ennemi, on le poursuit
partout, on cherche à le détruire partout.
Je parle ici du soin de se décrier dans
l'esprit des hommes, où nous nous sommes
mis en estime par le scandale de notre con-
duite; car il ne faut pas douter que nous ne
soyons obligés de réparer par une sorte de
pénitence publique, c'est-à-dire par une vie
de retranchement etde privalion, le scandale
que nous avons donné par une vie déréglée,
et de décrier par là le péché, à qui nous avons
donné du crédit par notre exemple. Il est
certain, mes frères, que ce changement de
vie, quand il est considérable, frappe les
hommes et les porte à rentrer en eux-mêmes
et à se condamner.
Le changement de ceux qui ont été les
compagnons de nos dérèglements est tou-
jours une exhortation et souvent une per-
suasion pour la nôtre. Ceux qui allaient voir
les saints moines de l'Egypte qui vivaient
dans une très-grande pénitence en étaient
touchés vivement, au rapport de saint Chry-
BOstome ; ils en revenaient émus, dégoûtés du
monde, craignant le péché, effrayés des ju-
gements de Dieu, se disant à eux-mêmes : Si
c'est ainsi qu'on satisfait à la justice de Dieu,
que deviendrons-nous? S'il faut se juger de
celte manière pour éviter ses jugements , où
en sommes-nous? Oui, mes frères, l'image
de la pénitence dégoûte du péché.
Mais lorsque, après une longue suite do
désordres, on ne voit aucun changement con-
sidérable dans la vie, et que toute la péni-
tence se lerminc au seul récit de ses désor-
dres, que sans peine , sans privation, sans
retranchement, on continue à mener une vie
aisée quand on n'est plus en état d'en me-
ner une scandaleuse, qui esl-ce qui craindra
le péché? La facilité de l'expier entrelient la
facilité de le commettre, de sorle que ceux
qui marquent peu de haine contre le péché
n'inspirent point de crainte pour le commet-
tre. La différence de ces letnps-ci d'avec ceux
des premiers siècles de l'Eglise, c'est que les
péchés pouvaient èlre aussi grands, nuis ils
étaient couverts par la discipline de l'Eglise
qui les punissait, el que par là elle en inspi-
rait de l'horreur, cl en arrêtait leconrs <'ù
est-elle à présent celle discipline? La facilité
d'absoudre des plus grands crimes aulorisc
celle de les commettre.
Recourons, mes frères, au modèle que l'K-
vangilc nous expose en la personne de << lie
pécheresse, nous venons de voir les circon-
stances de sa haine pour le péché, voyons les
mouvements de sa vengeance sur le péché :
c'est le deuxième point.
DELMIMl PARTIE.
Quand la haine est sincère, la vengeance
la suit de bien près, et comme on ne peut
aimer véritablement sans faire du bien à ce
qu'on aime, on ne saurait haïr souveraine-
ment sans le faire sentir à ce qui est l'objet
de notre aversion. Préparez-vous donc, mes
frères, à voir les effets de la vengeance de
celle dont je viens de vous exposer la haine.
Mais il est à propos de vous expliquer ce
que c'est que les vengeances d'un pénitent
sur le péché, et comment il les exerce, afin
que vous remarquiez mieux ce qu'il y a d'ad-
mirable dans celle que l'amour de Dieu ius-
pire à cette femme de l'Evangile.
Le péché, qui a sa source dans le cœur, y
forme un principe de vie qui produit des œu-
vres, et ces œuvres sont comme les membres
qui lui composent une espèce de corps. C'est
ce que saint Paul appelle le vieil homme et
l'homme terrestre. L'être moral de l'homme
étant donc composé de même de la vie etde
l'action, cet homme moral a sa vie dans le
cœur par la cupidité ou par la charité.
Quand Dieu, par sa miséricorde, nous re-
lire de l'esclavage du péché, qu'il détruit l'a-
mour du monde dans notre cœur en y réta-
blissant son amour, alors le vieil homme est
crucifié, il est mort; mais il faut que le corps
du péché soit détruit, dit saint Paul, et il
nous enseigne la manière de le détruire.
Comme vous avez fait servir, dit-il, les mem-
bres de votre corps à l'impureté et à l'injus-
tice pour commettre Viniquilé, faites-les ser~
rir maintenant à la justice pour votre sancti*
ficalion. Ainsi nous devons exercer nos ven-
geances conlrele péché, deméme qu'un prince
exerce les siennes sur une ville qui s'est lâ-
chement soumise à son ennemi contre la fi-
délité qu'elle lui doit, el à proportion que le
nouvel amour qui change le cœur et qui le
remet sous l'empire de Dieu est plus fort, la
douleur de l'infidélité est plus vive el les ven-
geances sont plus étendues. Retenez bien
seulement ces trois vérités : il n'y a point de
pénitence sincère et ver, table sans amour do
Dieu, on ne juge de l'amour de Dieu que par
la haine du monde et du péché, et on ne juge
de la haine de l'un etde l'autre que parle
soin qu'on prend de les détruire tous les
deux.
Nous le voyons dans la conduite de celle
sainte pécheresse dont l'Evangile nous fait
le détail. Elle commence par les yeux, comme
les premiers membres qui scrvenl a fumer
le corps du pèche. Ces you\. qui a* aient olé
les yeux du pet lie, dont elle sciait servie
pour allumer tant de flammes criminelles, et
600
qui avaient jelé lant de regards mortels à
l'innocence, sont couverts d'un triste nuage
qui se fondant en eau éleint tous les feux,
criminels, et elle verse un déluge de larmes
qui purifie son cœur. Ses cheveux, qui ser-
vaient à entretenir sa vanité, servent main-
tenant à la pénitence; elle s'en ornait avec
orgueil, elle s'en sert à présent à essuyer les
pieds du Sauveur du monde; elle les jette
avec négligence, elle les arrache avec dou-
leur. Cette bouche du péché, paroù le démon
avait répandu tant de poison dans les cœurs,
ne pousse plus que des soupirs et ne veut
plus quitter les pieds de Jésus-Christ. Enfin,
mes frères, ces parfums qui avaient été em-
ployés à donner de l'agrément au péché
sont, comme le reste, des objets de la ven-
geance de celte pénitente ; elle les répand,
elle les dissipe, elle les verse sans ménage-
ment sur les pieds de son libérateur. Ah !
quand je considère ces désolations innocen-
tes, je ne puis, comme dit saint Grégoire,
retenir mes larmes en considérant d'une part
l'admirable force de cette illustre pénitente,
et de l'autre la lâcheté criminelle des pé-
cheurs. Mes frères, que l'exemple de cette
pécheresse est touchant, mais que la con-
duite des pécheurs est déplorable! Elle sera
votre juge au jour effroyable de la colère du
Seigneur, et elle s'élèvera contre vous pour
vous confondre par sa pénitence. Vous avez,
dites-vous, délesté le péché, mais par où
connaîtrai-je que votre haine est sincère? où
sont les vengeances que vous exercez sur
cet ennemi prétendu, et quel soin prenez-
vous de détruire par la pénitence le corps
que vous lui avez formé par vos infidé-
lités?
Ne peut-on pas vous dire ce que Jésus-
Christ dit au Pharisien à l'occasion de celle
pénitente : Vous n'avez point versé d'eau sur
mes pieds ? Où sont ceux en effet qui, après
avoir donné des yeu\ au péché, s'en vengent
sur eux-mêmes par des larmes amères et
continuelles? Pleure-t-on ses péchés? Vous
ne m'avez point donné de baiser. Où sont
ceux qui, après avoir donné une bouche au
péché par les délices du goût, par les dis-
cours libres et impurs, par les médisances et
les blasphèmes, se vengent sur cette bouche
par le jeûne, par le silence, par les prières,
parles soupirs? Vous n'avez point répandu
d'huile sur ma tête, ni essuyé mes pieds. Où
sont ceux qui, après avoir donné des mains
au péché, les lui retirent pour les employer
à servir les malades, à assister les pauvres,
qui sont les pieds du Sauveur, à faire des
œuvres de miséricorde et des actions d'hu-
milité? Où sont enfin ceux qui, après avoir
donné un corps au péché, s'appliquent à le
détruire par la mortification dans les sens,
par la modestie dans les meubles, par la
simplicité dans les habits, par la frugalité
dans la table? Où les trouvera-t-on ces pé-
nitents ? c'est pourtant à ces marques qu'on
les doit reconnaître ; car il n'y a point
de meilleure preuve du défaut de l'amour
qui fait les pénitents que le défaut des œu-
vres qui sont les fruits de la pénitence
SERMON POUR LE JEUDI DE LA PASSION.
TROISIÈME PARTIE.
(itO
Finissons tout ce discours ea établissant
quelques principes qui nous serviront de
conclusion, et qui renfermeront toutes les
instructions que nous devons retirer de
l'exemple que nous donne la pécheresse dans
sa pénitence.
1° Il ne suffit pas que le péché soit détruit
en nous par une haine sincère, il faut que le
corps du péché le soit. Ce n'est pas assez
d'aimer Dieu comme source et fontaine de
toute justice , il faut l'apaiser parla péni-
tence et satisfaire à sa justice par des œu-
vres qui nous humilient, qui nous châtient,
qui nous fassent souffrir, qui nous punissent.
Il faut que le corps du péché soit détruit ;
faites donc mourir les membres de l'homme
terrestre qui est on vous. Car si le baptême
est un engagement à la mortification, à plus
forte raison la pénitence en doit-elle être un
aux peines et aux souffrances ? Il faut donc
nous appliquer à achever de mourir par la
satisfaction.
2° Cette satisfaction ne consiste pas en des
choses aisées et qui ne nous exposent à au-
cune peine. La pénitence est un baptême la-
borieux par lequel la justice de Dieu exige
que nous ne recouvrions l'innocence qu'avec
bcaucoupde larmes etpar de grands travaux,
et certainement rien n'est plus juste que celte
disposition; car puisqu'il s'agit de nous ren-
dre la grâce que Dieu nous avait gratuite-,
ment accordée et que nous avons perdue vo-
lontairement par notre infidélité, il est le
maître des conditions auxquelles il veut nous
la redonner; et en peut-il proposer de plus
raisonnable qu'en mettant quelque propor-
tion entre la faute que nous avons commise
et la satisfaction qu'il exige pour l'expier?
Or, mes frères, si nous avons du péché l'i-
dée que nous en devons avoir, nous ne croi-
rons pas qu'on l'expie par des peines légè-
res. Il ne faut que le regarder du côté de
l'offense qu'il renferme et de celui des peines
éternelles qu'il mérite ; il est vrai qu'il est
effacé parla grâce de la pénitence; mais l'o-
bligation de satisfaire n'est pas effacée, elle
change seulement de nature ; d'éternelle
qu'elle était avant que la grâce eût changé
le cœur, elle devient temporelle après qu'elle
l'a changé, et celte peine doit toujours être
réglée sur l'idée de l'offense de Dieu qu'elle
doit expier, et sur celle d'un tourment éter-
nel qu'elle représente.
Enfin, mes frères, le plus grand adoucis-
sement que saint Paul nous propose pour
s'accommoder à la faiblesse des hommes
dans l'exercice de la pénitence, c'est d'exiger
seulement que nous fassions autant pour
Dieu que nous avons fait pour le péché. Je
vous parle humainement, dit-il, à cause de la
faiblesse de votre chair ; comme vous avez fait
servir les membres de votre corps à l'impureté
et à l'injustice pour commettre l'iniquité, fai-
tes-les sertir maintenant à la justice pour
votre justification. Soyez donc à la sainteté
ce que vous avez été à l'impureté; soyez à
la justice ce que vous avez été à l'injustice.
011
Il faut, mes frères, que noire pénitence soit
proporlionnée à nos pé< liés. C'esl pourquoi
le concile dl l rutile donne cet avis si im-
portant aux ininislres de la pénitence, qu'ils
doivent, luttât que l'esprit de Dieu leur don-
nera la lumière, ordonner des satisfactions
salutaires et convenables, qui aient du rap-
port avec la qualité des crimes et avec le
pouvoir et la force des pénitents, de | eur
que s'ils dissimulaient leur> péchés, cl s'ils
usaient avec eux d'une trop grande indul-
gence en ne leur ordonnant que des peines
légères pour de grandes fautes, ils ne se ren-
dissent participants des péchés des autres.
Mais non-seulement il faut être pénitents,
il faut l'être jusqu'à la fin de la vie. Il faut
que l'esprit de mortification et de satisfac-
tion règne sur toute noire conduite ; car
comme il ne faut plus de réconciliation avec
le péclié pour que la pénitence soit véritable
et parfaite, il faut aussi qu'elle produire
tous les jours de nouveaux fruits par l'a-
mour des souffrances, par le retranchement
et par les privations qui doivent être des
exercices d'une pénitence continuelle. C'est
en eux que la pécheresse de l'Evangile a
trouvé celle paix que le Sauveur du monde
lui accorde : Vade in pace; car un pénitent
ne goûlcla paix qu'autant qu il fait la guerre
au démon, au monde et à la chair.
Kien ne me parait plus propre à nous sou-
tenir dans cette persévérance que ce beau
sentiment dont saint Iicrnard se servait pour
s'animer dans les exercices laborieux de la
pénitence. Cette vie est pénible, il est vrai ;
mais je prêtiez s les jugements de Dieu , mais
j'apaise sa colère, mais je désarme sa juslic,
mais j'éteins les feux de l'enfer.
Voilà donc ce qui nous doit faire trouver
de la douceur dans la pénitence la plus
amère. Il faut ou se juger soi-même, ou bien
l'être par la justice d'un Dieu en courroux.
Je fais ce qu'il ferait, je méjuge pour n'être
pas jugé ; je me châtie en celte vie pour n'ê-
tre pas puni en l'autre, et par une peine lé-
gère j'évite des tourments éternels. Ahl ve-
nez en nous, haine contre le péché 1 Quel-
que animée que vous puissiez être, vous ne
le serez jamais autant que la justice du Sei-
gneur le, serait contre moi. Subissons , mes
frètes, des vengeances cruelles sur le corps
du péché, elles ne seront jamais que des
maux en peinture en comparaison des ven-
geances d'un Dieu irrité, et encore est-il
vrai qu'en supportant ces peines si légères,
nous nous acquérons, par la miséricorde
de Dieu, une éternité de bonheur. Ainsi
suit-il.
SERMON
POIR LE DltfàlTOHI DES RAMEAUX.
De l'examen de conscienjit.
Sol vile cl adducite mibl.
D&achei-les', el nu h s amenez (Mattli., \\\, 2).
L'ordre qi'c le Sauveur du monde donne à
deux de ses disciples do délier l'ânesse et
l'a son qui devaient servir au triomphe mys-
térieux (ini accompagne son entrée dans Jé-
rusalem, est une ligure, selon les saints Pè-
0RA.TEIRS SACRES. DOM JEROME 012
re-, de celui qu'il a la t$i aux p isleurs de
l'Eglise de rompre les liens qui retiennent
les pécheurs sous la servi udcdu pèche. Nous
voici, mes frères, dans le l< mps où II
nislrcs vont exercer sur les pécheurs ce pou-
i ii et celte autorité. Dieu veuille qu'ils ra-
mènent à Jésus-Christ tous ceux qu i
lieront pour rétablir son règne en eux. et
qu'ils servent à son triomphe !
C'est pour contribuer à ce grand bien, et
pour essayer de vous mettre en état d'être dé-
liés véritablement de vos péchés et rami nés
â !8U8-Cbrist, en sorte que vous serviez à
sou triomphe, que j'ai résolu de vous parler
aujourd'hui et demain des conditions d'une
bonne confession; el pour cela il faut, 1" que
le pécheur s'appliq le à avoir une c nnais-
sance parfaite de son état, aut int qu'il le
peut ; car sans cela comment pourrait-il l'ex-
poser aux ministres de Jésus-Christ ? 2 11
faut que le pécheur conçoive une douleur
sincère de cet étal qu'il a exposé ; car ^ans
cela comment pourrait-il être ramené à Jé-
sus-Christ? on n'y revient que par l'amoir,
lui seul peut produire cette douleur. 3° 11 faut
qu'il forme une résolution ferme et stable de
soriir de cet état; car autrement comment
pourrait-il servir au triomphe du Sauveur du
monde ? En trois mois, exposer son état, dé-
lester son état, quitter son elal : ce sont les
devoirs du pécheur qui demande aux minis-
tres de Jésus-Christ d'être délié, sans quoi ils
ne le ramèneront jamais à lui pour serv ir au
triomphe de cet Homme-Dieu.
Aujourd'hui nous ne parlerons que des
soins que le pécheur doit prendre pour bien
connaître lui-même l'état qu'il doit exposer,
et nous vous ferons voir, dans le premier
point, la nécessite de s'examiner; dans le se-
cond, l'ordre de cet examen.
Nous examinerons les deux autres vérités
dans le premier discours. Demandons les lu-
mières duSainl-Espril. Ave, Marie.
PREMILRE PARTIE.
Le premier soin d'un pécheur qui veut re-
tourner à Dieu par la pénitence, el se mettre
en état d'être délié de ses péchés en les con -
fessant, doit et i e de s'appliquer à la connais-
sance de l'état de son âme, pour pouvoir
l'exposer au ministre de Jésus-Christ avec
sincérité.
La négligence dans ce premier soin est une
des sources ordinaires du peu de fruit et
même de l'invalidité des confessions. (> ne
déclare que la moindre partie de ses péchés,
on ne donne qu'une connaissance confuse,
imparfaite, superficielle de son état, parce
qu'on ne se donne pas le tennis d'entrer en
compte avec soi-même, de p métrer le fond
de son cœur, el d'examiner ses devoirs dans
toute leur étendue. Or celte nég i lent
de ce qu'on ne comprend pas assez la i
silé qu'il y a de s'examiner avec soin, el qu'on
ne connaît point assez la matière de ecl exa-
men, c'est-à-dire les sujets sur lesquels il faut
.s'examiner, pour pouvoir exposer comme il
faui l'état de son âme.
il n'y a point d'homme de bon sens qui
613
SERMON POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX.
614
veuille s'engager dans une affaire de consé-
quence, sans prendre du temps pour s'y pré-
parer, pour en examiner toutes les circons-
tances et pour voir d'où elle dépend. C'est,
mes frères, sur ce seul principe, que le bon
sens dicte, que je veux établir la nécessité de
prendre du temps pour faire l'examen dont il
s'agit ; car la confession des péchés el l'ex-
position de l'état de son âme est une des plus
importantes actions de la vie chrétienne dans
l'ordre du salut.
En effet, pour bien entrer dans les vu?sde
l'importance de cette action, il faut regarder
le sacrement de pénitence comme un sa-
crement où le pécheur reçoit la rémission de
ses péchés par un jugement qui l'absout, et
où le malade reçoit la santé par l'application
des remèdes propres à guérir ses maux.
Dans ce sacrement, il y a une espèce de
commerce, une relation mutuelle entre le
ministre du sacrement et le sujet qui le doit
recevoir. Le ministre est un juge qui doit ren-
dre un jugement sur la déclaration d'un cou-
pable ; on n'en peut disconvenir, puisqu'on
ne saurait douter que Jésus-Christ n'ait don-
né à son Eglise la dispensalion de l'autorité
qu'il a de remettre les péchés. Recevez, d"it-il
à ses apôtres, le Saint-Esprit : les péchés se-
ront remis à ceux â qui vous les remettrez, et
ils seront retenus à ceux à qui vous les retien-
drez. Je vous donnerai les clefs du royaume
du ciel, et tout ce que voie; délierez sur la
terre sera délié uu ciel. Cette puissance ac-
cordée à l'Eglise est passée du chef à ses suc-
cesseurs. Klle réside dans les pasteurs qui
sont les pères el les propres prêtres des fidè-
les, el elle passe par commission dans ceux
qui sont dé égués de leur part. Il est donc
constant que les ministres de l'iîglisc sont
revêtus du pouvoir de juger les pécheurs, p ir
l'autorité qu'ils ont reçue de Jesus-Christ et
qu'ils exercent sous celle de l'Eglise.
Or, mes frères, pour rendre un jugement
équitable, il faut qu'ils aient une connais-
sance parfaite de l'alïaire sur laquelle ils
doivent prononcer. 11 s'agit dans celle-ci de
vous absoudre de vos péchés, de telle ma-
nière toutefois que, pour conserver les in-
térêts de Jésus-Christ, il vous oblige de sa-
tisfaire à sa justice en vous appliquant les
effets de sa miséricorde : il faut donc que
d'une part il connaisse la nature, les circons-
tances et le nombre des crimes dont vous
demandez la rémission à Jésus-Christ par
leur ministère, afin qu'ils puissent les peser
et reconnaître s'ils doivent les remettre ou
les retenir; car ils ont une égale puissance
pour l'un et pour l'autre ; el, supposé qu'ils
veuillent vous les remettre, il faut qu'ils pro-
portionnent la satisfaction qui est due a Jé-
sus-Christ, selon la nature des crimes dont
ils vous donnent l'absolution ; ce qui suppose
toujours nécessairement une connaissance
qu'ils ne peuvent recevoir que par votre
cou Cession.
Or, nus frè os, relie confession, pour cire
telle qu'elle doit être, suppose une obligation
pour le pécheur d'entrer en compte avec lui-
même de la inani. i o la plus exacte ; car au-
Irement quel moyen de faire une déclaration
sincère et entière ? On ne rend point un
compte dans une affaire importante sans
avoir examiné chaque article avec soin. Or
je vous demande s'il y a quelque chose qui
puisse être de plus grande conséquence pour
vous qu'une action où il s'agit de la rémis-
sion de vos péchés et de votre salut.
Diles-moi, s'il vous plaît, mes frères, si
quelqu'un de vous avait été chargé de l'ad-
ministration des biens d'un prince, que vous
lui fussiez redevable de grandes sommes, et
que ce prince eût eu la bonté de vous dire
qu'il veul bien vous remettre tout ce que
vous lui devez, mais à condition que vous
rendiez un compte exact de votre adminis-
tration, vous recommandant au reste de ne
craindre, en découvrant votre infidélité, que
votre mauvaise foi, et vous assurant que la
houle et la confusion que vous en aurez fera
partie de la satisfaction qu'il veut exiger de
vous, mais en même temps que si vous ca-
chez quelque chose, et qu'il vienne à décou-
vrirque par votre négligence il y ait des ar-
ticles oubliés dans le compte qu'il exige que
\ ous rendiez devant ceux à qui il a donné le
pouvoir de vous remettre vos dettes, non-
seulement vous n'en serez pas quitte, mais
qu'il vous fera ressentir tous les justes effets
de son indignation ; si quelqu'un d'entre vous
se trouvait, tlis-je, en pareil cas, quelle dili-
gence, mes frères, ne feriez-vous pas pour
rendre ce compte exact ? Vous conlenteriez-
vous de jeter en général un coup d'œil sur
votre conduite? Vous précipileriez-vousdans
celte affaire? Quels soins n'apporteriez- vous
pas ! Quelle serait votre exactitude ! Risque-
riez-vous quelque chose dans une affaire
aussi importante que celle-là pour voire éta-
blissement el pour votre fortune ? Si trois
mois n'étaient pas suffisants, n'y donneriez-
vous pas une année entière ?
C'est ainsi que Dieu en use avec les hom-
mes : la supposition que je viens de faire est
réelle dans la conduite que Dieu tient avec
vous. Il vous dit précisément ce que je fais
dire à ce prince; il y met les <nêmes condi-
tions, et si vous voulez après tout cela des
raisons de cette conduite du Seigneur, qui
vous marque pourquoi il exige ce compte
exact, sachez qu'il est maître de sa miséri-
corde et du pardon qu'il veut bien accorder,
et qu'ainsi il y met les conditions qu'il lui
plait.
il agit ici par la voie d'un jugement de
grâce qui doit être rendu par ses ministres,
el cette grâce, pour être enter, née, doit ..voir
pour fondement un aveu sincère de toutes les
circonstances du crime. Il veut que celle dé-
claration tienne lieu d'une partie de la satis-
faction qu'il exige du coupable, par l'humi-
liation qu'il souffre en découvrant ses mi-
sères, ses infidélités, Ses perfidies.
Concluons donc Celte première preuve avec
ces paroles de 1 Ecriture sainic : Interrogez-
vou k ou* -mêmes avant h jugement t et vous
trcuvtrt devant Dieu. Mas faisons
voir la nec :cn, en considé-
rant le sacrement dont il s'agit dans le second
fi 15
ORATI I R i \> RES m»M JKHOME.
I !'■
point de vue que je tous ai proposé, c'csi-à-
dire comme un commerce ouvert cnlre le
malade cl son médecin pour traiter de la gué-
risou d'une maladie qui mène à la mort.
("est l'idée que l'Ecriture nous en donne ;
car par ce sacrement l'âme est retirée des
bras de la mort, et elle est rétablie dans l'état
de la vie. En effet c'est Jésus-Christ qui vous
pardonne toutes vos offenses : c'est un juge-
ment de miséricorde où nous recevons la ré-
mission des péchés que nous avons exposés
à ceux qui président à ce jugement, et qui
prononcent par l'autorité qu'ils ont reçue de
Jésus-Christ.
C'est lui qui guérit toutes nos langueurs.
Si donc le malade a honte do découvrir sa
plaie au médecin, son art ne pourra pas gué-
rir ce qu'il ne connaîtra pas. Car comme la
médecine , pour être exercée parfaitement,
doit délivrer le malade du danger de la mort,
le rétablir dans la santé et lui fournir des
moyens propres à la conserver, il faut que
les mêmes effets soient produits dans l'âme
par le sacrement. Pour que l'usage en soit
de toutes manières bon et utile au pécheur,
il doit non-seulement sortir d'entre les mains
des pasteurs et des ministres de l'Eglise ab-
sous de ses iniquités et délivré de la con-
damnation qu'il avait méritée aussi bien que
du péril de la mort éternelle auquel il s'était
livré, mais de plus il faut qu'il en sorte muni
de remèdes contre la rechute dans les maux
qu'il doit toujours craindre, et aussi instruit
des règles qu'il doit suivre pour conserver
sa vie , que du régime qu'il faut observer
pour ne plus retomber dans les maladies
qui l'avaient conduit à la mort, dont le prin-
cipe et la source est toujours en lui.
Or, pour cela, mes frères , il faut qu'il en
use avec les ministres de Jésus-Christ pour
la santé de son âme, comme le malade avec
le médecin pour celle de son corps; et com-
me celui-ci fait connaître à son médecin la
nature de son mal, les symptômes qui l'ont
précédé, accompagné et suivi, les effets que
les remèdes ont produits , le fond de son
tempérament , son âge , les précédentes ma-
ladies qu'il a eues , sa manière de vivre, ses
emplois, ses applications, afin que, connais-
sant parfaitement et tirant des médicaments
tout ce qui a rapport à lui, il puisse sur cela
lui donner un régime propre à conserver sa
santé en réglani tout ce qui le regarde, l'air
qu'il doit respirer, les aliments qu'il doit
prendre, les remèdes dont il doit user, les
applications qu'il doit interrompre, les exer-
cices qu'il peut faire , et tout le reste qu'on
ne néglige point quand on aime la vie : il
faut de même que le pécheur qui songe sé-
rieusement à guérir son âme , et à qui Dieu
a mis dans le cœur celte disposition du Pro-
phète : Je confesserai mon iniquité, tienne la
même conduite que le malade, qu'il appren-
ne du médecin ce qui lui convient et ce qu'il
doit éviter, les choses dont il doit s'abstenir,
celles dont il pcul user, jusqu'où il doit porter
l'usage de celles qui lui sont permises , et
tout ce qu'il faut observer pour ménager la
grâce nouvellement reçue, pour se fortifier,
cl enfin pour B'élablir dans une; \ie parlailc.
Oui est-ce qui songe à l'approcher ilu sa-
crement de pénitence avec de semblables
dispositions? Mon Dieu! tout se fait par
routine : on n'a point les idées qu'on devrait
avoir de la religion, on ne la connaît point;
ce n'est point le cœur qui est chrétien, ce
n'est que le corps qui est livré à qoelqu
mouvements extérieurs réglés par la reli-
gion , mais où le cœur cl l'âme n'entrent
pour rien. Aussi l'usage qu'on fait de tou-
tes les choses de la religion ne produit p int
les effets qu'il devrait produire : on se con-
fesse, et on ne se convertit point: on niai
la chair de Jésus-Chrisl, et on ne vit point 3e
sa vie; on prend des remèdes, ils ne servent
qu'à nous affaiblir, et nous nous faisons des
plaies de ce que la miséricorde de notre
Dieu a établi pour notre santé. Or comment
entrerez - vous dans ce détail si nécessaire
avec le médecin de votre âme , si vous n'y
êtes pas entré avec vous-même? Comment
lui exposerez-vous vos plaies, si vous ne les
connaissez pas? Comment connaîtra-l-il ce
qu'il doit observer pour conserver la vie
qu'il vous a rendue par voire réconciliation
avec Dieu , dont il vient d'êlrc le ministre,
s'il ne connaît ni le temps , ni les circon-
stances de votre maladie, ni votre caractère,
ni votre humeur, ni vos habitudes, ni vos
sociétés, ni la conduite de votre vie, ni les
engagements de votre élat , ni les occasions
où vous êtes exposé, ni lout le reste de vos
mouvements et du fond de vos inclinations?
Le Sauveur du inonde demande à un hom-
me qui lui présente son enfant possédé du
démon pour en obtenir la délivrance, com-
bien il y avait qu'il était réduit dans cet
étal, pour nous marquer qu'il faut que uous
rendions un compte de l'état de notre mala-
die , si nous voulons qu'on nous ordonne
des remèdes propres à nous guérir.
Mais comment pourrez-vous , encore une
fois, exposer l'étal de votre âme, si vous ne
vous êtes pas examiné avec toute l'applica-
tion et tout le soin que demande une affaire
aussi importante? Quoi! Dieu charge les
pasteurs et les ministres de son Eglise de
vous interroger avec soin, et vous méprisez
vous-même de vous examiner avec atten-
tion ? Si le devoir de la charité eugage un
ministre de Jésus-Christ à donner ses soins
pour pouvoir exercer utilement pour vous
les fonctions de son ministère en vous in-
terrogeant avec exactitude , la charité que
vous vous devez à vous-même , l'intérêt que
vous avez dans le fruit de ses soins cl de son
application , vous obligent sans doute à ne
rien négliger de votre pari pour répondre à
ses soins et pour profiter de sa charité.
11 est donc constant que le pécheur qui
vient pour être délié par les ministres de Je-
sus-Christ , et qui doit pour cela leur expo-
ser l'état de son âme dans son entier, doit
prendre du temps, cl un temps considérable,
pour faire un examen sérieux de sa vie el
..du fond de sa conscience: mais comment
'doit-il s'y prendre pour rendre cet examen
'parfait cl tel qu'il doil être pour le mettre
61'
SERMON POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX,
on état de servir au triomphe de Jésus-
Christ? c'est ce qu'il faut vous faire voir en
vous exposant l'ordre qu'il faut tenir dans
l'examen de sa conscience: c'est la matière
de nia seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Les objets qui doivent servir de fonde-
ment à l'examen du chrétien sont la reli-
gion , la condition et le caractère. La reli-
gion , dont il doit observer les lois; sa con-
dition, dont il doit remplir les devoirs ; son
humeur, dont il doit régler les mouvements.
Voilà donc la matière de l'examen d'un
chrétien; car c'est là-dessus que roule toute
la vie , et elle renferme^ toutes ses obliga-
tions.
Mais avant que d'entrer dans ce détail si
important , il est nécessaire de remarquer
que presque dans tous nos devoirs et dans
les lois qui nous les prescrivent, il y a tou-
jours quelque chose de positif et de négatif,
c'est-à-dire que la loi nous ordonne de cer-
taines choses et qu'elle nous en défend d'au-
tres : c'est ce qu'on appelle ordinairement
péché de commission et péché d'omission,
qui sont les uns des actions commises con-
tre ce que la loi défend , et les autres des
fautes de négligence dans ce que la loi or-
donne. 11 faut éviter les unes et les autres
pour marcher dans les voies de la justice,
et elle consiste à garder la loi en s'absle-
nant du mal et en faisant le bien. Or, dans
le détail des obligations qui regardent la re-
ligion , je dis que ces devoirs qui ont Dieu
pour objet se terminent et se peuvent tous
rapporter à l'obligation de le connaître , de
l'aimer et de Je servir. C'est donc sur ces
devoirs que le chrétien doit s'examiner, et
c'est à quoi on ne pense presque point, ou
si on le fait, c'est très-imparfaitement; car
on n'a sur ces devoirs que des connaissances
très-légères et très-resserrées, pendant qu'il
est certain qu'ils s'étendent bien plus loin
qu'on ne croit.
Oui assurément, mes frères, ceci va bien
plus loin qu'on ne pense , et c'est un grand
malheur et la source funeste d'une infinité
d'autres malheurs , de ce qu'on n'y pense
pas assez; car comprenez, s'il vous plaît,
qu'il y a une obligation pour tout chrétien
de s'appliquer à connaître Dieu et tout ce
qui regarde la religion par rapport à son
salut, et que cette obligation a plus ou moins
d'étendue selon le caractère de ncire esprit,
selon les emplois où nous nous trouvons
engagés par la l'rovidence, et selon les liai-
sons que cette môme Providence nous don-
ne avec les autres hommes.
En effet, personne ne peut douter qu'il
n'y ait une obligation pour tous les chré-
tiens de s'appliquer à connaître Dieu; car
comment l'adororez-vous si v .us ne le con-
naissez pas? Tous les maux do la terre sont
des suites et des effeh déplorables «le relie
ignorance. L'Evangile dit que celui qui ne
croira point sera condamné; l'Eglise nous
déclare la même chose. Il est vrai que celte
obligation a plus ou moins d'étendue; car
Orateurs saches. XXX.
618
pour vous qui avez reçu plus d'esprit, plus
de lumières, plus do pénétration qu'un au-
tre , Dieu vous demande que vous entriez
plus avant dans les vérités de la religion.
Cet esprit est un don pou:- lequel vous de-
vez de la reconnaissance à celui qui vous
l'a fait , et le devoir de la reconnaissance
vous engage à vous servir du don selon les
intentions du bienfaiteur- Or l'esprit d'un
chrétien est formé pour la vérité , comme la
vérité est faite pour l'esprit; et ne serait-ce
pas une étrange profanation de ce don de
Dieu , que de livrer cet esprit aux vaines
sciences du monde , et de le refuser à la
connaissance de Dieu et à l'étude de la reli-
gion qui tendent à notre salut?
A proportion même que vos emplois sont
plus éminents , vos lumières doivent être
plus étendues sur les devoirs de la religion,
pour sanctifier ces emplois par les vues pu-
res de la foi; car, comme dit si bien sa;nt
Léon, sans elle tout ce que nous faisons est
imparfait , il est inutile , il est mort. La foi
est la vie de l'homme juste. Si enfin vous
avez dis reïaiions avec d'autres , qui peut
douter que vous ne deviez être éclairé pour
donner l'exemple à tout le monde : vous,
pères et mères , pour éclairer vos enfants;
vous , maîtres et uiaîtresses, pour instruire
vos domestiques?
Voyons donc maintenant jusqu'où va pour
vous l'obligation de connaître Dieu et les
vérités de la religion , et sur quoi vous de-
vez vous examiner. Tout chrétien doit être
instruit de l'existence d'un Dieu en trois per-
sonnes et de ses principaux attributs; car
l'obligation de connaître Dieu renferme celle
de connaître ses perfections qui ne sont au-
tres que lui-même. Tout chrétien doit con-
naître que son âme est immortelle, qu'elle a
été créée pour Dieu et avec la capacité d'en
jouir dans l'éternité. 11 doit être instruit de
la cbule du premier homme cl du misérable
état où nous avons été réduits par sou pé-
ché. H faut qu'il connaisse le remède que
Dieu a bien voulu appliquer à ce ma! par
l'incarnation du Verbe et par le sacrifice de
la rédemption. Il faut qu'il sache qu'outre le
bienfait qui l'a délivré de la mort, il a en-
core lesoin de la grâce de Jésus-Christ, sans
laquelle il ne peut ni faire de bonnes œu-
vres , ni s'acquitter comme il faut de ses
obligations. Il faut qu'il ait une notion pré-
cise et convenable de l'Eglise catholique,
apostolique et romaine, de ses qualités ci de
ses principales prérogatives. Il faut qu'il
soit instruit de la doctrine des sacrements,
c'est-à-dire qu'il sache leur institution, leurs
effets , les dispositions qu'il y faut apporter
et les obligations qu'il contracte en les rece-
vant. Enfin il doil savoir qu'il y aura un
jugement dernier dans lequel le Sauveur
entrera en compte avec, les hommes qu'il
ressuscitera , pour récompenser les bons et
punir les méchants durant toute l'éternité.
Voilà les points sur lesquels vous èles
obligés de vous instruire, et les vérités dans
lesquelles il faut entrer plus ou moins, scion
les règles que nous venons d'établir. Or, de
20
010
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
' iO
bonne foi, quelle a été jusqu'ici votre con-
duite à cet égard? Avez-vous compris que
vous fussiez dans celle obligation de vous
instruire? Avez- vous songé à prendre des
moyens pour la remplir? Lisez-vous l'Kcri-
turc et les bons livres pour vous instruire
des vérités de la religion ? Les ouvrages des
saints l'êtes qui sont entre les mains de tout
le monde, les iraités qui expliquent les mys-
tères de la loi, les Instructions si solides
qu'ils nous ont données sur tous les devoirs
du christianisme qu'on a pris soin de tra-
duire avec tant d'exactitude et de pureté,
avez-vous pensé à donner du temps à ces
lectures si nécessaires? Au contraire, n'en
faites-vous pas tous les jours d'inutiles pour
le salut, et qui deviennent criminelles dès
qu'elles vous empêchent de faire les néces-
saires? N'en faites-vous pas de pernicieuses
qui remplissent votre esprit de principes, de
vues, de sentiments qui affaiblissent en vous
ceux de la foi, qui vous jettent dans des dou-
tes, qui vous mènent à l'incrédulité? Que
faites-vous? que manquez-vous de faire à
l'égard de cette obligation dans l'ordre de ce
que vous devez à Dieu ? Examinez-vous.
Venons maintenant aux sentiments du
cœur. Personne ne doute qu'un chrétien ne
soit obligé d'aimer Dieu souverainement et
préférablement à toutes choses : cet amour
suppose la connaissance dont nous venons
de parler; car on n'aime pas ce qu'on ne
connaît point. Mais qu'est-ce que c'est que
cet amour? Une union de deux volontés : or,
pour que notre volonté s'unisse à celle de
Dieu, il faut que celle de Dieu nous soit con-
nue.
Dieu nous déclare sa volonté par sa loi;
c'est par là qu'elle nous est connue, et c'est
pour cela aussi que son amour est appelé
l'accomplissement de la loi : Dilectio itlius
custodia legum est, et qu'il dit lui-même que
celui-là l'aime véritablement qui sait et qui
garde ses commandements : Qui habet man-
data mca et servat ea, ille est qui diligil me.
Examinez-vous donc sur les commande-
ments, sur les maximes, sur les règles qu'il
vous a prescrites dans son Evangile, sur les
exemples qu'il vous a donnés durant sa vie ;
est-ce sur cela que vous vous êtes réglés
jusqu'ici? Avez-vous pris soin de rendre
conforme voire conduite aux principes de
son Evangile? Consultez-vous ce qu'il a fait
et ce qu'il a prescrit quand il sV.git de vo;:s
déterminer dans vos affaires et dans vos en-
treprises? Portez-vous Jésus-Christ partout?
JE tes- vous la bonne odeur de Jésus-Christ,
omine parle saint Paul; c'est-à-dire, votre
vie relrace-t-elle l.i sienne? Car c'esl en
cela que consiste celle union de volonté
sans laquelle il est impossible qu'il y ait un
amour véritable. Au contraire, ne sonl-ce
pas les maximes du monde que vous suivez?
Ne vous laissez-vous pas emporter à ses
exemples? Ses principes ne règlent-ils pas
votre conduite? N'estimez» ?ous pas tout ce
que Jésus-Christ a méprisé? Tembrassei-
vous pas tout ce qu'il a rejeté? Ne p uirsui-
Vezvous pas tout ce qu'il « condamné 1 Com-
ment donc voulez-vous qu'il se trouve quel-
que degré d'amour dans une opposition si
effroyable de maximes , de sentiments et de
>. laite? Non, non, mes Iren-s, nous nous
abusons, nous n'entendons point la religion,
ou nous ne voulons pas l'entendre ; c\ il
sur cela qu'il faut s'examiner solidement,
c ;r c'est ta l'essentiel.
Enfin, quel culte peut rendre à Dieu un
homme qui ne le connait point, et de ni les
sentiments et la conduite sont directement
opposés à ce qu'il ordonne? Quelle adora-
tion ? quelle prière? quel usage des sacre-
ments? avec quel esprit, '|u elle révérence
assistera-t-il à l'oblation saint" il" l'a loraWe
sacrifice qui se fait en son nom par les mains
des prêtres? Vous voit-on assidu ices
d'une paroisse, à la célébration d saints et
redoutables mystères, à ces devoirs publics
de la religion qui composent le culte exté-
rieur et ce qu'on appelle le service de Dieu,
dont la négligence habituelle et ¥ abandon-
nement ordinaire renferment une sorte de
mépris que tout homme éclairé ne peut pas
exempter de péché très-considérable?
C'est sur cela qu'il faut s'examiner, c'est
à quoi on ne pen-e point; car il ne faut pas
croire qu'on soit en état de grâce pour ne
pas commettre de grands crimes, et qu'il
suffise, pour être chrétien, de n'être ni athée
ni libertin. Le nombre, mes frères, est plus
grand qu'on ne croit et qu'on ne peut dire,
de ceux qui croient marcher dans les voies
de la justice pendant qu'ils marchent à grands
pas dans celles de l'iniquité; qui n'ont ni
l'esprit ni les sentiments du christianisme,
quoiqu'ils fassent quelques actions de chré-
tien ; qui disent à Dieu : Seigneur, Seigneur,
et qui cependant n'entreront jamais dans son
royaume. Encore in coup, ..îes Irès-chers
frères, examinez-vous bien, et travaillez sé-
rieusement à connaître votre disposition par
rapport aux devoirs de la religion : mais il
ne faut pas oublier ceux de la condition et
de l'état dans lequel la Providence vous a
placés. Voici plusieurs points très-impor-
tants à examiner . sur lesquels on passe-
très-légèrement ou même qu'on ne consi-
dère point du tout.
Votre condition est-elle bonne par elle-
mème , c'est-à-dire, est-elle établie par le
Seigneur? les devoirs en sont-ils réglés dans
l'Ecriture? les exercices en p uvenl-ils être
rapportes à la gloire de Dieu? Car il y a des
professions qui ne valent rien : telle est celle
d'un homme qui n'a point d'autre occupation
que de faire valoir son argent par des voies
suspectes aux gens t éclairés , ou
même défendues par l'Eglise ; do celui qui
donne à jouer; d'un comédien, d'un homme
qu: ne s applique qu à nourrir les p usions
des autres: car voici la définition d'an i
lien : c'est un homme qui réprime loute
passions, et qui n'influe en rien dans celles
des a litres ; cela va bien loin.
Supposé que la condition soit bonne par
elle- même, éles-vous capable de la remplir?
- ous les qualités nécessaires pour en
soutenir te poids? Vous qui êtes dans la ma-
621
SERMON POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX.
gisfrature, êtes-vous de ces hommes fermes
et courageux qui craignent Dieu, qui aiment
la justice et la vérité, qui sont ennemis de
l'avarice, qui exercent les jugements du Sei-
gneur avec zèle, avec application, avec cir-
conspection, avec fidélité, avec sincérité,
avec exactitude, avec désintéressement, avec
impartialité? C'est pourtant là ce que Dieu
dans ses Ecritures demande de ceux qui sont
chargés de ces emplois. Si vous n'avez pas
ces qualités, mais que vous soyez en état de
les acquérir, c'est à quoi il faut vous appli-
quer incessamment et sans relâche, car c'est
un devoir essentiel. Si vous n'êtes pas en
état de devenir ce que vous devez être, ces-
sez d'être ce que vous êtes, parce que sous
vous perdrez danscelte condition. Voilà ce qui
est capital, et c'est ce qu'il faut examiner.
En vain vous vous confesserez, si vous êtes
dans une ignorance et daus une incapacité
invincible de remplir les devoirs de votre
état.
Quant à ceux qui sont près d'entrer dans
un état, il faut qu'ils examinent cette dé-
marche avec beaucoup d'attention. Il ne vous
appartient pas de prendre des places comme
il vous plaît daus la maison de Dieu, il faut
avoir une sorte de certitude que Dieu nous
destine à un emploi et à une condition avant
que d'y entrer. La marque de la véritable
vocation est la proportion des talents avec
l'état que l'on embrasse, proportion dont il
faut juger par les principes de la saine rai-
son éclairée des lumières de la foi et de la
religion. Le défaut de vocation est cause
d'une iiiGnité de maux ; il y en a qu'on peut
réparer, et d'autres qui sont irréparables;
et c'est sur cela que je fonde la nécessité
d'examiner son entrée dans l'état où l'on est.
Vous êtes revêtus d'une charge par des vues
toutes humaines et toutes corrompues, quel
succès devez-vous attendre de celte entrée
si éloignée de l'esprit du chrétien? Réparez
donc cette démarche. Vous êtes entrés dans
des dignités je l'Eglise, par où, mes frères?
N'en disons pas davantage : il y a telles en-
trées dans cet état qu'on ne peut réparer
qu'en le quittant; voilà ce qu'il faut exami-
ner, c'est là le fond de l'étal.
Ces principes supposés, il faut s'examiner
sur les devoirs de son état; car il n"y eu a
point qui n'ait ses obligations et ses règles ;
c'est pourquoi saint Paul dit : Que chacun v :
conduise selon le don particulier qu'il a reçu
du Seigneur, et selon l'état auquel Dieu l'a
appelé. Vous n'êtes pas dans une condition
pour en recevoir les honneurs et les utilités,
mais pour en remplir les devoirs. Dieu a
prescrit dans ses Ecritures des règles de
sanctification pour chaque état. Le monde a
pris soin de semer de mauvaises maximes
que la corruption nous fait embrasser : on
oublie les lois que le Seigneur a prescrites,
et on reçoit comme certaines celles que le
monde nous donne.
Il faut donc discerner les fausses maximes
que la corruption a introduites, pour n'en
pas fane les règles de sa conduite. Un juge
doit assister au jugement d'un procès, et
donner sa voix pour celui qui a droit , quoi-
que celui qui ne l'a pas le fasse prier par
des gens puissants de s'absenter. Ce serait
abandonner enlre les mains de ses ennemis
un innocent que d'office et en conscience on
est obligé de défendre; car livrer un homme
qui a droit à celui qui est contre lui, c'est
être injuste, c'est approuver la cupidité de
celui qui l'attaque, c'est autoriser la vio-
lence, c'est abandonner la justice, c'est con-
sentir à l'iniquité.
Dans l'Eglise, que de maximes corrom-
pues sur la résidence et sur l'emploi des
biens ecclésiastiques! Parmi ceux qui ont
droit de nommer aux bénéfices, comment
s'acquitle-t-on de ce devoir qu'on regarde
comme un avantage et qui est une charge
terrible devant Dieu? Dans les familles on
se donne le droit et l'autorité de déterminer
le sort des enfants, et de les établir malgré
eux dans des conditions où ils ne sont nul-
lement appelés; que d'abîmes dont on ne
pense point à sortir!
11 faut encore, et ceci est très-important,
s'appliquer à connaître jusqu'où va le bien
que Dieu demande de nous dans notre état.
Que cela est étendu, mes frères! Quels biens
un juge ne peut-il point faire dans une
campagne , un grand seigneur dans une
province, un évêque dans un diocèse, un
pasteur dans une église, un riche dans une
paroisse, un père et une mère dans une fa-
mille ! Qu'il y a de choses dont Dieu deman-
dera compte , sur lesquelles on ne s'exa-
mine jamais ! Combien de gens qui tombent
sans y penser dans le péché de ce serviteur
infidèle qui lient enfoui le talent qu'il a reçu
du Seigneur, et qui recevront la condamna-
tion de ce négligent et de ce paresseux 1
Souvenez-vous de ce que nous avony établi
d'abord, qu'il y avait des péchés d'omission
qui nous rendent aussi dignes des effels de
la colère de Dieu que ceux où nous tombons
en agissant contre sa volonté. Avez-vous ja-
mais examiné quel est l'esprit qui vous
anime : est-ce celui d'Adam ou celui de
Jésus-Christ? Voilà ce qui regarde la con-
dition , ménageons un moment pour dire
quelque chose de ce qui regarde l'humeur,
autre source d'un*; infinité de péchés sur
lesquels on passe bien légèrement.
Je vous prie ici, mes frères, de vous sou-
v uir de ce que je vous ai dit ailleurs, en
parlant de certains péchés de tempérament
dans lesquels meurent la plupart des chré-
tien,; c'est de ceux-là dont je parle encore
ici. Ils s'opposent à la formation de Jésus-
Christ en nous, de sorte qu'y étant livrés et
ne pensant point à nous en délivrer, nous
ne sommes conduits que par l'esprit d'A-
dam et nullement par celui de Jésus Christ,
et c'est ai n i que nous sommes trouvés, au
mOment de notre mort, portant l'image de
l'homme terrestre et non pas celle de l'hom-
me céleste, en qui nous avons été régéné-
rés. Le péché, qui est pour ainsi dire une
seconde nature en nous, l'inclination crimi-
nelle qui règle tous nos mouvements, voilà
vcrilableuicut le premier mobile qui eu-
023
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
CÎ4
traîne toute notre vie. Le juste vit de la foi,
elle remue et fait agir le chrétien, et l'hu-
meur fait agir l'homme charnel.
On reconnaît même cet empire de l'hu-
meur, cette puissance de son ascendant cri-
minel qui domine presque partout. Je suis,
dit-on, emporté, prompt, paresseux ; je suis
lier, difficile, vif sur mes intérêts : on avoue
tout cela, mais voici où est le mécompte.
On s'attaque cette humeur que dans ses ef-
fets et jamais dans son fond : on lient compte
de ses impatiences, de ses emportements et
des paroles dures qu'on a dites dans cet étal :
mais on ne dit pas : C'est l'effet d'un fonds
d'orgueil que je ne travaille point à dimi-
nuer, et réellement on n'en fait rien. On ne
dit point que c'est l'effet d'un ascendant
d'humeur qu'on a négligé, qui est tourné en
habitude et en nature, qui domine et qu'on
n'a jamais combattu ; ainsi on meurt avec
ses péchés, non-seulement sans les avoir
combattus, mais sans avoir jamais voulu les
reconnaître pour péchés.
Travaillez à défricher votre terre; com-
battez vos passions, arrachez-en les racines
qui sont toutes vivantes dans votre cœur.
Le jardinier qui taille un arbrisseau n'a pas
dessein de le perdre ni de s'en défaire, au
contraire il le cultive; car s'il voulait le
perdre et le retrancher de son jardin, il en
couperait la racine : c'est donc ne pas vou-
loir arracher vos péchés que de ne pas aller
jusqu'à la racine; c'est les cultiver, en quel-
que sorte, que de n'en couper que les bran-
ches.
Je tombe d'accord avec vous qu'on n'est
pas maître de changer son humeur entière-
ment, ni d'arracher ce fonds de corruption
qui est en nous malgré nous. Saint Paul
même demande seulement que le péché ne
règne pas ; mais il faut s'appliquer à le com-
battre et à en arrêter le progrès. Or voici
les moyens qui y serviront.
Il faut donner ses soins pour le. connaître ;
aller toujours au même confesseur, et qui
soit prudent et éclairé, afin de vous aider à
le combattre ; enfin il faut avoir beaucoup
de fidélité dans la pratique des règles qu'il
vou> aura prescrites.
Voilà, mes frères, une légère idée des su-
jets sur lesquels un chrétien se doit exami-
ner. Souvenez-vous des raisons que je vous
ai données pour vous convaincre de la né-
cessité de le faire ; mais comprenez bien
qu'un tel examen ne peut pas se faire dans
le peu de temps qu'on y donne ; que ce dé-
faut est cause de la nullité d'un nombre in-
fini de confessions, et que tel qui pense être
délié pour servir au triomphe de Jésus-
Christ vient se charger de nouvelles chaînes
et ne s'approche de ses ministres qic pour
faire une nouvelle injure à leur maître, et se
mettre au nombre de ses ennemis par une
perfidie sacrilège. Ouvrez donc les yeux sili-
ces vérités, prenez de bonnes nu sures; fai-
tes, pour effacer cette injure, ce que l'on
fait pour guérir une plaie. Don nez- j toute
Bonaltenlion, prenez toutes sortes de moj eus,
observez tout; ne négligez rien; faites enfin
ce que firent autrefois les mariniers qui in-
terrogèrent Jonas avant que de le jeter dans
la mer. Oue le pécheur ne se contente pas de
dire son péché, il faut qu'il -'examine. | omrnc
on interroge le Prophète : (Àtjus causa ma-
/m/! illud Ht nobitî 11 faut qu'il en pénètre
la cause et qu'il en découvre la source, qu'il
en examine bien la nature et les circons-
tances. Qua terra tua; son fond, se. inclina-
tions, son humeur, ses passions. I'. <\u<> po-
pulo : sont état, ses emplois, ses sociétés.
Quo tadis ; sa fin, ses vues, ses intentions.
Observez bien tout ceci, s'il vous plaît; car
si vous faites celle confession-ci , comme
vous avez fait toutes les autres, voici ce qui
arrivera. Vous la ferez avec aussi peu de
profit qne toutes celles que vous avez faites
jusqu'ici. Oà en étes-vous après tant d'an-
nées ? Etes-vous plus fidèles à Dieu après
tant de réconciliations ?
Vous rejetez les lumières que Dieu vous
donne par notre ministère, il les retirera, et
vous serez livrés à vous-mêmes et à vos té-
nèbres. Vous vous m< lirez dans une fausse
sécurité, regardant votre état comme bon;
vous serez sans scrupule cl sans lumières,
et vous périrez; mais si vous suivez les rè-
gles qu'on vous propose, et que vous fassiez
celte importante action comme elle doit être
faite, vous verrez du changement dans votre
conduite ; vo s serez véritablement déliés:
ce qu'on aura fait sur la terre sera confirmé
dans le ciel ; vous servirez au triomphe do
Jésus-Christ ; il fera son entrée en vous,
et il vous ouvrira celle du ciel. Ainsi soit-it
SERMON
POUR LE LUNDI DE LA SEMAINE MlNT: .
Disposition du pénitent pour recevoir l'abso-
lution.
El dorons impleta est ex odore nngnenU.
/:'/ ta maison fut remplie de l'odeur de ce parfum (Joan.,
XII, 5).
Ce parfum que Marie répand sur les pieds
du Sauveur du monde est, selon saint 13er-
nard, la figure de la contrition. Il serait inu-
tile que le pécheur eût pris soin de découvrir
l'étal de sa conscience, s'il n'en détestait les
désordres; et celte détesta Uon ne peut être
sincère si elle n'est animée d'une resolution
ferme de sortir du péché.
C'est par là uniquement qu'il peut être dé-
lié pour servir au triomphe de Jésus-Christ :
ainsi nous allons vous parler aujourd'hui de
la douleur sincère que le pécheur doit con-
cevoir sur son état connu par l'examen et
exposé dans la confession, et de la résolution
ferme de sortir de cet état qu'il a détesté : en
deux mots voici le partage de ce discours.
Il faut détester son péché, ce sera la pre-
mière partie; il faut quitter son péché, ce
sera la seconde : deux conditions nécessaire»
pour être délies et pour entrer dans la nou-
velle vie, qui répand celle bonne odeur que
produit l'amour de Dieu quand il a changé
le ca'ur.
Seigneur, changez le notre, et donnez-moi
des paroles pour expliquer ulilemeni la né-
SERMON POUR LE LUNDI DE LA SEMAINE SAINTE.
Î85
eessilé, les conditions et les avantages de ce
changement. Une Marie innocente et agréa-
ble à vos yeux répand le parfum sur vos
pieds; je m'a<lresse à une encore plus sainte
et plus agréable à vos yeux, pour obtenir ce
que je demande par son intercession. Ave,
Maria.
PREMIERE PARTIE.
Le pécheur accablé par ses crimes , les
yeux ouverts sur ses iniquités, et pénétrant
la profondeur de ses plaies, doit se livrera
la douleur et détester tous ses désordres s'il
veut en obtenir le pardon et se réconcilier
avec Dieu, qu'il a irrité contre lui par toutes
les infidélités dont les images viennent de se
représenter à ses yeux dans l'examen qu'il a
fait de sa conscience.
Mais pour ne rien omettre des instructions
renfermées dans une matière aussi impor-
tante et d'où dépend notre réconciliation
avec Dieu, par le bon usage du sacrement
de péniience, il me semble qu'il faut parler
de la nécessité de celle douleur, de ses qua-
lités et des effets qu'elle doit produire dans
l'âme du pécheur converti. AUachons-nous
donc à vous montrer qu'il faut être touché
d'une vraie et solide douleur pour être délié
devant Dieu, quelles qualités doit avoir cette
douleur pour être vraie et solide, cl enfin par
où nous pourrons reconnaître si nous avons
été touchés de cette vraie et solide douleur.
Le Seigneur, mes frères, a toujours atta-
ché dans les Ecritures l'idée de la douieur à
celle de la pénitence ; c'est ainsi que, par-
lant au peuple de Juda el de Jérusalem par
la bouche du prophète Joël, il leur dit : Con-
verlissez'vous à moi dans les larmes et les gé-
missements. L'apôtre saint Paul, fidèle in-
terprète des Ecritures, distingue aussi deux:
sortes de tristesse, l'une qui opère la mort,
qui est la tristesse de ce monde, l'autre qui
est selon Dieu, et qui opère une pénitence
véritable : nous vous expliquerons l'une et
l'autre dans un moment; tenons-nous-en à
ces deux témoignages, et voyons comment
la douleur est réellement inséparable de la
pénitence. Pour cela considérez que le cœur
de celui qui retourne à Dieu par la pénitence
j;eut cire considéré dans deux mouvements
différents, mais qui se suivent. Le premier,
c'est celui de la séparation d'avec l'objet de
sa passion auquel il était attaché par le mau-
vais amour : il faut par nécessité qu'il res-
sente de la douleur dans ce mouvement,
puisque la douieur de l'esprit n'est autre
chose, selon saint Augustin, que le trouble
que produit en l'homme la privation des
choses périssables dont il jouissait. Le se-
cond mouvement qui suit le premier, c'est
celui où l'âme, s'approchant plus près de
Dieu, cl étant éclairée de nouvellesct de plus
abondantes lumières, découvre plus claire-:
ment sa diiîortnité : elle voit la souillure du
péché, l'image de Dieu effacée cl celle du
démon gravée en sa place. Alors il s'excile
en elle une agitation, selon saint Augustin,
qui csl un mouvement de douleur ; car, se-
lon le même saint Augustin, la douleur ré-
626
suite de la disconvenance des choses, d'où
il faut conclure que le pécheur ne peut être
délié de ses crimes et revenir à Dieu par une
vraie pénitence, sans se séparer des choses
qui l'en avaient éloigné, ce qui ne peut pas
se faire sans douleur : la douleur est donc
inséparable de la pénitence.
Mais allons plus loin : te péché n'est
qu'une fausse joie dans le cœur produite
par le mauvais amour. qui l'attache et qui le
colle en quelque façon à un objet défendu.
La pénitence qui vient le détacher et qui
doit être accompagnée d'une douleur salu-
taire, produite dans le cœur par le bon
amour, ouvre les yeux du pécheur sur son
aveuglement et sur son infidélité qui le lui
fait connaître, sentir et détester. Or, mes
très-chers frères, celui qui est appelé par
saint Jérôme le chef de la pénitence et le
premier de tous ceux qui se sauvent par la
pénitence, c'est Jésus-Christ, modèle de toute
pénitence. Quel est donc le jugement que
nous devons faire de la pénitence de la plu-
part des hommes que nous voyons, qui no
savent ce que c'est que d'imiter Jésus-Christ !
Ils sont froids, insensibles, sans douleur, ne
versant pas une larme, ne donnant pas le
moindre signe d'afiïiction. Eh quoi 1 dit saint
Cyprien, si la mort vous avait enlevé une
personne que vous aimez, vous pleureriez
et vous gémiriez amèrement. On vous ver-
rail avec un visage abattu, un air triste et
négligé, couvert d'un habit de deuil, fuyant
les joies du monde et séparé du commercn
des hommes. Misérables que vous êtes! vous
avez perdu voire àme en perdant votre Dieu,
et vous ne pleurez pas! vous n'en paraissez
pas plus affligés ; vous n'èles donc que de
faux pénitents. Cette insensibilité est un fu-
rieux préjugé contre vous; je dis seulement
préjugé, car ce n'est pas qu'il soit nécessaire
que celle douleur soit sensible, ni qu'on
doive croire qu'elle est fausse, lorsqu'on no
voit pas répandre des larmes à celui qui se
présente pour être délié: et pour vous faire
sentir ce que j'avance ici, expliquons quel-
les sont les qualités de celle douleur.
Pour nous donner l'idée des qualités que
doit avoir la douleur dont nous parlons, pour
être vraie, solide et capable de nous mettre
en état d'êlrc déliés de nos péchés , servons-
nous de l'expression de Jéremie , qui dit en
pleurant la désolation de Jérusalem: votre
douleur est semblable à la mer : Magna est
velul mare conlrilio tua. Ces paroles renfer-
ment une comparaison propre à vous tracer
l'idée des qualités que doit avoir une dou-
leur solide cl véritable : elle doit ressembler
à la mer à qui ce prophète compare sa dou-
leur. La mer est haute et élevée au-dessus
de la lerrc qui lui sert de fondement ; la mer
est profonde, c'est ce qui l'ail qu'on lui don-
ne ie nom d'abîme; la mer csl large et éten-
due : Qui de nous, dil Job, pourra passer la
mer 'f
Voilà, mes frères, l'idée que nous devons
avoir d'une douleur véritable et solide : ce
sont là les qualités réelles que notre dou-
or\tf.i;rs saches. i">m jkiiome.
C2s
leur doîl avoir néoossaircmonl pour être
déliés de nos péehéf.
Elle doii être élevée ; car comme Dieu a
été offensé, Dieu doit être le molifel le but
do cette douleur. Elle doit être profonde ; car
comme le cœur a été eorrompa par le péché,
elle doit en pénétrer la profondeur pour y
aller porter le remède unique qui peut le
guérir. Enfin elle doit être étendue, car,
comme la corruption du cœur s'est répandue
par tout l'homme, elle doit étendre ses affeta
partout.
Oui, mes frères, c'est Dieu qui doit élre
le motif de noire douleur dans la pénitence,
el c'est de là que se doit prendre son éléva-
tion et sa hauteur. C'est Dieu, qui est au-
dessus de toutes les merveilles dont il est
l'auteur, qui a été insulté par le péché , et
que l'homme criminel attaque dans sa ma-
jesté el dans sa grandeur : ainsi le prophète-
roi, qui était tombé dans un péché affreux
où plusieurs personnes étaient intéressées,
ne regarde que Dieu et ne parle que de lui :
Tibi soli peccavi ; J'ai péché contre vous seul.
Cependant il avait commis un adultère et un
homicide, il avait souillé la couche d'un des
seigneurs dft sa cour et déshonoré son épou-
se. II avait fait perdre la vie à un des meil-
leurs officiers de son armée. 11 oublie cepen-
dant le tort qu'il a fait à l'un et à l'autre, et
il n'a que Dieu en vue dans sa douleur :
Tibi soli peccavi : J'ai péché contre vous seul.
En effet, qu'est-ce que le péché? c'est, dit
saint Augustin, toute conduite contraire à ce
qu'on doit à Dieu et qui blesse la société hu-
maine. Or, dans toute conduite contraire à
ce qu'on doit à Dieu et aux lois de la so-
ciété, Dieu est toujours le premier et le plus
offensé, parce que nous nous élevons contre
lui; nous préférons nos passions, nos inté-
rêts et nos plaisirs à ses commandements ;
en un mot nous lui ôtons le domaine et la
souveraineté qu'il a acquise sur nuire vo-
lonté et sur notre cœur, qui ne sont plus à
nous. Ecoutez bien ceci, mes très-chers frè-
res : le rétablissement de l'empire de Dieu srr
In volonté de l'homme, et celui de son rèqnesur
son cœur par la grâce, par l'obéissance et par
l'amour, a été le motif et la findcl'inv.
tion de son Verbe, dit Tertullien. C'est là ce
feu sacré qu'il désire avec tant d'ardeur de
voir brûler partout.
Le cu:ur de l'homme éiait le siège de son
règne par le titre de sa création, il en a été
chassé par le péché, qui n'est autre chose,
selon saint Augustin, que le mouvement par
lequel la volonté de l'homme se détourne de ce
qui est souverainement bon, pour se. reposer dans
ce qui l'est moins que Dieu. Son Fils est venu
pour détruire ce règne du péché, el se ren-
dre maître de ce cœur par \m nouveau tiire
de conquête. C'est ce qu'un Père de l'Eglise
a si heureusement exprimé par ces paroles :
Ne amorem dirideres, idem tibi foetus eut
<r ator et redetnptor. De peur que l'homme
ut partageât son cœur s'il lui donnait un
au ire rédempteur que lui-même après .non-
été son créateur, il a réuni ces deux qu li-
lés dans sa personne. C'est donc par ce dou-
ble titre de rréation et de rédemption c,iie
votre cœor e>l à loi ; c'esl comme votre i
leur et comme votre Sauveur qu'il le l'est
Acquis et qu'il s'en est rendu le maître. Vous
ne pouvez dot :ur sans
one injustice effroyable. C'esl lui ravir un
droit essentiel et inaliénable. C'est dorx
laquer dans la souveraineté de <-on élre que
de 1 n dérober ce cœur pour l'attacher aux
créatures.
Or, si c'esl lui qui est blessé si essentiel-
lement par le péché, c'esl lui qui doit élre le
motif de la pénitence qui fait détesti r le pé-
ché. Je lui ai ôté ce qui lui appartient, je l'ai
chassé de mon cœur: si je veux faire une
pénitence qui lui soit agréable , il faut donc
qu'il y rentre; je me suis é evé contre sa
volonté, il faut qu" la mienne lui soit
mise ; j'ai violé ses lois pour contenter mes
passions, il faut que sa loi me domine et que
mes passions y soient assujetti -.
Onedoitdonc êlreni la crainte d'êlre puni,
ni l'appréhension des peines, ni l'horreur
de l'enfer, ni les affreux supplices dont les
ennemis de Dieu sont menacés, qui doivent
exciter uniquement noire douleur : ce doit
êlre la vue de la majesté de Dieu violée,
celle de sa bonté infinie offen-ée, celle du
mépris de son amour outragé, la considéra-
tion de notre ingratitude el de nos infidélités
à son égard, après tant de bienfaits, l'obliga-
tion de lui rendre ce qui est à lui el de lui
redonner un c rur qui lui appartient par tant
do titres, et que nous lui avons ravi pour y
établir le règne de son ennemi.
Mes chers frères, si nous n'étions que des
esclaves et des mercenaires, la seule crainte
des supplices éternels suffirait pour nous
faire repentir de nos offenses et de no* < i-
ines ; mais nous sommes des enfants destines
à l'héritage éternel, qui n'est autre que Dieu
même ; par nos péchés vou< avons offensé
un père infiniment aimable, c'est donc son
amour qui doit produire en nous la douleur
de nos offenses.
Ce n'est pas que nous rejetions les motifs
de la crainte, à Dieu ne plaise ! !Sous savons
ce que l'Ecriture et la foi nous enseignent
sur cet article; nous reco:
saint concile de Trente et toute l'Ealise,
combien elle est utile quand elle procède de
la foi chrétienne, et qu'elle est fondée Wtt
la révélation divine qui élève nos esprits à
Dieu, non-seulement pour le faire aimer
p.irce qu'il est la bonté souveraine, mais
aussi pour le faire craindre parce qu'il est
infiniment juste, et qu'ainsi il doit punir nos
péchés à proportion de leur malice.
C'est donc, mes frères, dans la digni
son objet, qui r.'est autre que Dieu, que I i
douleur dont nous parlons va prendre celte
hauteur qui fait son esprit : mais elle ne
pourrait pas non plus avoir celle profondeur
si elle était conçue par un autre motif: car
pour qu'elle soil profonde e! e et
qu'elle pu r il faut qn'elli ex-
clue la vol. Mlle de pécher : or qu'est-ce
I i luiv la volonté de pécher, cl par où
cette volonté peut-elle élre exclue? Saint
629
SERMON POUR LE LUNDI DE LA SEMAINE SAINTE.
630
Augustin nous dit que le péché n'est autre
chose qu'un mouvement par lequel la vo-
lonté se détourne de Dieu. Ce mouvement la
corrompt; elle n'est saine qu'autant qu'elle
est attachée à Dieu : la vérité seule peut là
rendre bonne, et la vertu consiste à aimer
ce qui doit être aimé, c'est-à-dire à s'atta-
cher à ce qui est tellement parfait, qu'il peut
nous rendre parfaits. Cette volonté étant donc
infectée et corrompue par le péché, c'est sur
elle que la douleur doit agir; car, comme dit
si bien saint Ambroise, si le ma! est au de-
dans,si les parlicsintérieures sont pourries,
c'est en vain que vous mettez des emplâtres
au dehors. Tous les secrets de la médecine
ne servent de rien si on ne coupe ce qui est
gangrené: Si virus in inleriora serpit , me-
dicamenta foris apposita nihil prosunt.
Il faut que celte douleur pénètre jusqu'au
fond du cœur, c'est ce que j'appelle être pro-
fonde et capable d'exclure la volonté de pé-
cher, comme parle le saint concile deTrente.
Ceci posé, qu'est-ce donc que d'exclure en
soi la volonté de pécher? C'est lui donner un
mouvement différent et contraire à celui qui
l'a corrompue ; c'est la détacher de la créa-
ture et la ramener du côté de Dieu; c'est, en
lin mot, la faire cesser de vouloir ce qu'elle
•voulait et lui f lire vouloir ce qu'elle ne vou-
lait pas. Or qui peut faire ce changement?
qui peut exclure la mauvaise volonté ? c'est
la seule bonne volonté, c'est l'amour lui-
même. La douleur qui n'est causer; que par
la crainte servile ne change point le cœur et
n'exclut pas la volonté de pécher, et voici
comment saint Augustin le fait voir pnr une
comparaison très-naturelle. Un loup, dit ce
saint docteur, vient à un troupeau de brebis ;
il cherche à se jeter dessus pour les dévorer;
niais le pasteur veille, les chiens aboient, en
sorte qu'effrayé par le bruit il rentre dans
le bois sans avoir fait aucune proie. Pensez-
vous que parce qu'il n'a rien pris il soit
changé, et que de loup qu'il était en sortant
du bois, il y soit rentré changé en brebis?
Non, sans doute. 11 avait le naturel du loup
lorsqu'il venait chercher la proie, et il s'en
retourne avec le naturel du loup, quoiqu'il
s'enfuie tremblant: Lupus venit ('remens, lu-
pus redit tremens. Or, mes frères, peut-on
être juste quand on est ennemi de la justice
jusqu'au point qu'on l'anéantirait si on le
pouvait avec tous ses préceptes, afin de n'être
pas exposé à ses menaces et à ses châti-
ments ?
Exnmincz-vous donc vous-même si vous
voulez vous connaître, et comprenez bien que
si la seule crainte détourne l'action qui est
criminelle, si elle suspend le cours du péché
sans en ôter la volonté, elle ne peut jamais
réconcilier l'homme avec Dieu. Vous êtes le
loup qui ne dévore pas la brebis, parce qu'il
craint que les chiens ne le dévorentlui-même.
Comment voulez-vous donc que cet homme
soit réconcilié avec Dieu? Comment peut-il
étreinnocenl devant le Seigneur, lui qui vou-
drait faire ce qui lui dépl itt, si on lui épar-
gnait la peine qu'il craint? Ne voyez-vous
pas au contraire que cet homme est plein do
l'amour du péché, que sa volonté est tou-
jours la même, et qu'autant qu'il est en lui
il voudrait qu'il n'y eût point d'autorité qui
défendît le péché, ni de justice qui le châ-
tiât. Mes frères, dit saint Augustin, tant
qu'il n'y a que la crainte qui retient le pé-
cheur, ce qu'il craint ce n'est pas de pécher,
c'est de brûler : Non peccare, sed ardere.
Concluez donc avec moi que cette douleur
qui n'est pas profonde, comme je viens de
vous l'expliquer, ne peut pas exclure la vo-
lonté de pécher. Les larmes qui ne lavent
que le visage et qui ne purifient pas le cœur
ne sont pas celles que nous vous demandons.
Il faut eue l'esprit d'amour anime cette dou-
leur pour qu'elle soit profonde, c'est-à-dire
pour qu'elle aille jusqu'au fond du cœur for-
mer cette volonté, faible à la vérité, mais
sincère ; volonté qui met l'homme dans l'état
dont, parle saint Augustin, lorsqu'il dit que
celui qui veut faire les commandements,
quoiqu'il ne puisse pas encore les accomplir,
a une charité naissante , faible, petite, qui,
par la douleur qu'elle produit, va pénétrer
jusque dans la profondeur et dans l'abîme
du cœur. Mais comme la corruption du cœur
s'est répandue sur tout l'homme, elle doit
étendre ses effets partout, et c'est par là que
nous pouvons reconnaître si nous en avons
été touchés.
Ce que j'appelle son étendue, ce sont les
effets qu'elle doit produire, et ce sont là les
marques certaines qu'elle est en nous. Di-
sons donc, mes frères, que comme le péché
a occupé toutes les facultés de l'âme, cette
douleur doit en remuer tous les mouvements
quand elle est véritable.
La joie funeste du péché a fait que l'homme
a oublié Dieu et a méprisé ses commande-
ments. La tristesse salutaire qui procède de
cette douleur doit lui faire délester le péché
et mépriser tous les faux avantages qu'il
estimait. Elle doit s'étendre sur tous les pé-
chés sans exception, et sur tout ce qui peut
avoir quelque relation au péché. Elle doit
mettre dans le cœur une disposition à em-
brasser tous les maux et à souffrir toutes
sortes de peines plutôt que de retomber dans
ces fautes qui ont fait naître le péché; elle
ne doit rien voir d'affligeant qu'elle ne soit
prête à supporter pour expier les iniquités
qu'elle déplore.
Telle doit être l'étendue de cette douleur.
A ces marques, chrétiens, croyez-vous qu'il
soit facile de concevoir cette douleur? Vous
êles-vous jamais excités à la concevoir?
Avez-vous quelques marques par où vous
puissiez présumer que vous l'avez conçue?
Mes frères, que de confessions sacrilèges dans
ce saint temps! que de personnes qui ne
sont pas déliées, mais qui lient la conscience
des prêtres qui les reçoivent! comme dit
saint Ambroise.
Vous sentirez dans la suite de ce discours
la vérité de ce que je vous dis ici. Voyons eu
quoi consiste la résolution de quitter ->n
hé, donl on a conçu une douleur sincère.
i la seconde partie.
651
ORATEURS SACHES. OO.M JEROME.
832
SECONDE PARTIE.
Quand la douleur est vraie el solide, elle
ne s'arrête pas seulement ;iu\ larmes sincè-
res qu'elle, a tirées d'un Ca ur qui en csi pé-
nétré, niais elle lait formée des résolutions
el porter la vue sur l'avenir ; elle fait détes-
ter les péchés dont on s'est reconnu coupable ;
clic fait prendre des mesures pour les quit-
ter et pour ne plus retomber dans les fautes
qu'on a pli urées.
C'est de cette résolution ferme et solide
qui l'ait partie de la contrition, selon le con-
cile de Trente, et qui est essentielle à la pé-
nitence, que nous devons parler dans (elle
seconde partie de noire discours.
Or, mes frères, cette résolution de ne plus
pécher est, 1° absolument nécessaire pour
recevoir la grâce dans ce sacre. .:cnl ; 2" celle
que nous croyons avoir formée jusqu'à pré-
sent doit être extrêmement suspecte à la
plupart de ceux à qui je parle ; 3° ii faut
donc prendre des mesures sages pour la ren-
dre solide et nous en assurer.
Il ne faut pas chercher beaucoup de preu-
ves pour établir la nécessité de celte résolu-
tion de ne plus pécher. Il ne faut faire que
quelques réflexions sur les idées que nous
avons données de la pénitence et de celte
douleur dont le cœur doit être touché. Com-
ment l'amour de Dieu , sans lequel il n'y a
point de pénitence, pourrait-il être en nous,
si nous conservions quelque attache ou quel-
que liaison secrète avec ce qui déplaît à ce
Dieu de justice? Comment noire cœur serait-
il changé s'il demeurait en nous un désir de
rentrer dans des commerces dont nous avons
détesté l'iniquité? Toute notre douleur ne
serait que chimérique, nos larmes coule-
raient en vaiu, el notre prétendue pénitence
ne serait qu'une illusion. Il faut donc que
celte résolution de ne plus pécher soit solide ;
il faut avoir porté les yeux sérieusement sur
l'avenir pour la rendre telle qu'elle doit être.
Car elle est comme la caution de notre
amour pour Dieu, elle est comme la preuve
de notre changement, l'une el l'autre ne
pouvant être connues que par des œuvres
qui nous établissent dans une conduite con-
traire à celle que nous avons promis de
quitter. Elle esl enfin comme le couronne-
ment de celte conversion solide, sans la-
quelle, dil saint Augustin, il ne faut point se
promettre de réconciliation , ni d'élre en
grâce avec Dieu. C'est donc une chose capi-
tale dans l'ouvrage de la pénilence que de
s'assurer de la solidité de cette résolution, et
c'est pourquoi j'ai ajouté pour la plupart
d'entre nous que celle résolution que nous
croyons avoir formée nous doit être extrê-
mement suspecte.
En effet les expériences que vous avez fai-
tes tant de fois de la légèreté el de l'incon-
stance de votre cœur ne vous doivent-elles
l>as tout faire craindre '.' Combien de fois
avez-vous promis do combattre vos habitu-
des, de rompre de certaines sociétés, d'en-
trer a fond dans l'éclaircissement de certaines
matières délicates et de changer de vie! Dans
le tempi <|in V< ns ave/ fait I .c^ses,
vous parliez de bonne foi ; \<.u> étiez résolu
de le* tenir, et vous croj I i ement être
en état de surmonter le^ obstacles qui pou-
vaient vous en empêcher, et qui réellement
rons en avaient empêché jusqu'alors.
Voilà les mauvais ollices que votre cœur a
rendus a votre esprit, qui en a été il do|
s'il m'es, permis de parler ainsi , a tint de
fois que vous avez manqué à faire ce que
vous avez cru rouloir. C est ainsi, dit saint
Grégoire , que l'esprit d • l'homme séduit
l'homme el se déguise à lui-même. Combien
de lois, abusé par votre propre ci Dr, avez-
vous promit de faire ce que vous pensiez
vouloir 1 Combien de fois avez-voui fait la
triste expérience de laduplicile de voire cœur
et de votre fragilité 1
Mas pour celle fois c'est tout de bon, me
diic-z-vous. Hélas ! mes chers frères, croyez-
vou-. que la conversion du fond du cœur soit
l'ouvrage d'un jour cl d'une heure ? Esl-cc
une grâce qui soil attachée au temps, et que
Dieu vous doive nécessairement dans la
quinzaine de Pâques? N'est-ce pas un don de
Dieu qu'il commence el qu'il achève en nou> ?
Sou esprit souille où il veut ; qui vous a donc
dit que celle grâce vous sera donnée au jour
qu'il vous plaira? Qui vous a assuré que cet
espril vous suivra partout el vous accordera
et la douleur de vos fautes et la ferme reso-
lution de n'en plus commettre dès que vous
aurez ouvert la bouche pour la demander cl
pour commencer la déclaration de vos f.iu^
et de. vos crimes ? Ignorez-vous qu'on n'at-
tire cel esprit de contrition que par beaucoup
de larmes et par de grands travaux? Et ce-
pendant, sans avoir gardé aucune de ces me-
sures, vous croyez qu'il n'y a qu'a ouvrir la
bouche pour voir opérer en vous un chan-
geinenl aussi merveilleux que celui qui est
nécessaire pour une solide conversion ? Rien
donc de moins solidement établi qu ! l'espé-
rance dont vous vous flattez, et que celte
promesse de changement que vous roules
donner pour bonne.
Mais examinons les choses de plus près ,
et voyons quelle différente vous nous mar-
querez entre celte pvome.-sc d'aujourd'hui el
celles que vous faites depuis dix ans. Avez- *
vous faildans celte occasion-ci un examen de
votre vie plus exact suivant les idées que jo
vous donnai hier? ou bien n'est-il pas u>si le»
ger cl aussi superficiel qu'à l'ordinaire ? Et. à
quelques péchés près, qui vous frappent da-
vantage et que vous rapportez tous les ans,
ne passez-vous pas sur tous les articles que
je vous ai marques sans y faire réflexion ?
Avez-vous résolu dans celle occasion d'al-
ler à un homme qui ne vous épargne point,
à celui que vous croirez le plus capable de
vous traiter selon vos vrais besoins (t les
jusles règle» de la pénitence ? ou bien n'eles-
vous [vis résolu d'aller à quelqu'un qui ne
vous connaisse pas , qui vous écoule -ans
vous rien dire, ou qui. après quelques paro-
les de remontrance qui servent à tous ve-
nants . vous donne l'absolution sans exami-
ner votre élal et vos devoir?, sans vous
g:
SERMON POUR LE LUNDI DE LA SEMAINE SAINTE.
G5ï
obliger à vous réconcilier avec vos ennemis,
à payer vos dettes, à rechercher un peu les
sources de votre bien , à restituer celui qui
est mal acquis, à régler selon l'Evangile l'u-
sage de celui qui vous appartient, à retran-
cher vos superlluités pour nourrir les pau-
vres, à renoncer aux jeux et aux spectacles,
enfin à changer de vie ?
On voit changer d'état par dos motifs
d'ambition et d'intérêt , mais on n'en voit
guère qui le fassent par un motif de religion
et par l'amour de bon salut. Cependant , si
on trouve dans son emploi une occasion
prochaine et ordinaire de pécher qu'on ne
puisse vaincre, il faut le quitter : personne
ne voudrait acheter un empire au prix de
sa vie, et vous achetez un plaisir, un mon-
ceau de terre, au prix de votre âme !
Allons plus loin : êles-vous prêt à souf-
frir les maux qui peuvent vous arriver plu-
tôt que de violer le moindre des commande-
ments de Dieu ? Eles-vous disposé à perdre
votre bien , à voir renverser votre fortune ,
plutôt que de commettre une injustice ?
Etes-vous résolu à rompre des sociétés d'où
vous êtes toujours sorti plus criminel ? Vou-
lez-vous continuer à vivre dans l'oisiveté et
à passer vos jours dans des conversations et
dans des visites vaincs, inutiles, et par là tou-
jours criminelles? N'allez-vous pas faire au-
jourd'hui le récit de votre conduite, comme
vous le files l'année passée, pour le recom-
mencer l'année prochaine , sans songer à
prendre aucunes mesures pour vous corri-
ger ?^Si cela est ainsi , y a-t-il rien de plus
présomptueux que de croire que Dieu va
changer votre cœur, et que c'est présente-
ment que vous allez faire pénitence? Quelle
est donc la différence que vous prétendez
mettre entre celle disposition présente et
cell.s où vous avez toujours été?
N'allez pas si vile , mes très-chers frères,
prenez des mesures pour rendre solide une
résolution si essentielle dans l'ouvrage de
votre pénitence et de votre réconciliation
avec Dieu. Adressez-vous à un homme
éclairé et capable de vous conduire sûre-
ment et avec sagesse dans une affaire aussi
importante. Fuyez les aveugles , comme le
Fils do Dieu nous ordonne de le faire, puis-
qu'ils ne pourraient que joindre leurs ténè-
bres aux vôtres, et vous égarer en s'égarant.
Allons à ceux qui voient les secrets de Dieu,
parce qu'ils n'ont point d'autres règles que
sa loi , et qui , ayant le cœur pur, reçoivent
de lui les lumières dont ils se servent pour
nous conduire. C'est à quoi vous devez pen-
ser sérieusement ; car si jusqu'ici vous n'a-
vez tiré aucun profit de tant de confessions ,
j'ai bien de la peine à croire que ce ne soit
pas un effet de la négligence que vous avez
apportée à faire ce choix. Vous avez élé au
hasard ; peut-être même avez-vous évité ceux
que vous avez crus capables de vous trou-
bler dans vos habitudes , et vous voua êtes
livrés à ceux qui vous ont laissés lauguir dans
une paix mortelle : où en êles-vous?
Allez doncaun homme sage, qui examine
tout, qui ne précipite rien, qui vous conJuisc
dans la voie de Dieu et qui vous traite selon
vos besoins. Mais ceci ne suffit pas , cessez
de faire le mal, apprenez à faire le bien :
voilà deux maximes qui sont proposées par
saint Paul. Que celui qui dérobait, dit cet
apôtre, ne dérobe plus. Evitez toutes les cho-
ses qui vous ont portés au péché et qui peu-
vent vous y engager de nouveau. Ceci, mes
frères, est capital, et c'est la preuve certaine
que la résolution de ne plus pécher est sin-
cère : j'ajoute même que c'est l'unique voie
pour la rendre solide; car le succès de cette
résolution dépend de la sincérité de la dou-
leur qu'on a conçue du péché. Quand elle
est (elle qu'elle doit être, elle nous donne de
l'horreur et de l'éloignement pour tout ce
qui a été cause du péché que nous détestons.
Dès que le serpenta quitté sa vieille peau, il
ne la veut plus voir et il abandonne le lieu
où il l'a laissée. Si votre douleur est vive et
sincère , et que vous haïssiez ce que vous
avez aimé, vous haïrez tout ce qui y a rap-
port.
Comptez donc que si vous ne quittez pas
les occasions, vous ne haïssez pas le péché;
votre douleur n'est ni vraie ni sincère, et
votre résolu! ion n'est qu'en idée. La résolu-
lion de ne plus pécher consiste encore dans
l'éloignement des occasions. Il faut donc que
celui qui a vécu dans l'inimitié avec son
prochain aille le trouver, qu'il ne se con-
lenle pas de dire qu'il lui pardonne et de
promettre qu'il le verra , mais il faut qu'il
examine mûrement les choses avec son con-
fesseur, et qu'il mette en exécution ce qu'il
n'a Fait que promettre jusqu'ici.
11 faut que celui qui doit, et qui possède
un bien mal acquis, paye ses dettes et resti-
tue ce qu'il retient injustement. Il en est de
même pour le tort fait à la réputation : il
faut le réparer par toutes sortes de voies sa-
ges et justes. Que celui qui est engagé dans
une profession qui n'esl pas chrétienne ou
qui ne peut lui convenir sorte de cet em-
ploi s'il est incompatible avec son salut, ou
s'il est pour lui une occasion prochaine de
péché : qu'il rompe, par exemple, entière-
ment les contrats usuraires qu'il a passés, et
qu'il fisse restitution des fruits qu'il en a re-
çus; qu'il abandonne ce commerce criminel,
et qu'il ne laisse aucune voie ouverte pour
le retour; qu'il brûle ces mauvais livres ,
qu'il déchire ces tableaux impurs, enfin qu'il
n'oublie rien pour s'affermir dans la résolu-
tion de ne plus pécher; qu'il prenne des
mesures sages et solides avec un confesseur
éclairé, qui n'outre rien, car il y en a, mais
aussi qui ne néglige rien de tout ce qu'il
jugera nécessaire pour faire exécuter tout
ce qui est faisable , avant que de recevoir
l'absolution. A l'égard des occasions de pé-
ché qui ne viennent pas du dehors, mais des
passions du pécheur, de ses faiblesses, de ses
haï iludes , il faut qu'il prie , qu'il gémisse „
qu'il combatte, qu'il suive les règles qu'on
lui prescrira, et qu'il sache que celui qui ira
moins vite avec lui assurera davantage sa
réconciliation avec Dieu, et rendra sa peti -
tenec plus solide.
f>55
ORATF.ris SA( RES. hOM JEROME.
Finissons ce discours , mes chers frères ,
on vous exhortant à être surtout dans une
application continuelle à la pratique d(g
vertus opposées au\ péchés qui non-, ont
rendus ennemis de Dieu. Car une volonté i;e
peut être détruite que par une autre qui lui
est contraire : une habitude ne se perd qu'en
contractant une habitude qui lui est opposée,
et comme les habitudes ne se forment que
par des actes réitérés , il faut s'exercer dans
la pratique de ces actes. Votre oisiveté, l'ha-
bitude de ne rien faire vous avait jetés dans
le désordre; travaillez, vous n'aurez plus
d'occasion de pécher; car vous trouverez
dans votre travail des ressources pour éviter
le mal.
Si la volonté de ne plus pécher, que vous
pensez avoir, est sincère, on le verra par la
fidélité que vous aurez à suivre celte prati-
que : par là vous donnerez des marques qu'il
y a en vous au moins un commencement de
volonté contraire à l'ancienne , et vous for-
tifierez celte nouvelle volonté , qui , étant
affermie, vous empêchera de retomber et
rendra v< >e pénitence stable pour le salul.
Suivez ces règles , mes Irès-chers frères ,
et éprouvez-en la vertu et l'efficace. Celles
que vous avez suivies jusqu'ici ne vous ont
pas conduits à une pénitence véritable et
solide : vos rechutes en sont des marques ,
l'état de votre vie où il ne paraît aucun chan-
gement, la continuation de vos habitudes
qui sont toujours les mêmes , cet esprit du
monde qui règle tous vos mouvements , cet
éloigneraient de l'esprit de l'Evangile, qui
met une si étrange et si affreuse différence
entre votre conduite et l'idée que la foi nous
donne de celrc d'un chrétien, tout cela vous
doit faire croire que voire conversion jus-
qu'à présent n'a été que superficielle. Pre-
nez donc une autre conduite , embrassez
celle que je vous marque; les règles en sont
tirées de l'Ecriture, do la doctrine des saints
Pères, des pratiques établies par l'Eglise et
des lumières du bon sens.
Réglez-vous, et vous trouverez des moyens
d'entrer dans la pratique de toutes les vertus
chrétiennes, que peut-être vous n'avez jamais
bien connues, et vous édifierez tous ceux
que vous avez scandalisés. Trop heureux si
je pouvais vous avoir mis dans les voies de
vous réconcilier avec Dieu, et à portée de
sentir votre âme pénétrée d'une vraie dou-
leur! Demandez-la pour moi au Seigneur,
comme je la lui demande pour vous ; par là
nous mériterons tous l'éternité bienheu-
reuse. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE IEI DI SAINT.
Sur lu cérémonie de l'absoute.
Qiiod ego f'acio, lu Descis modo; sries auteni posie.i
Vous m tant» \>'ii niiiiitttutiiit ce que jV fti.s, mais vous le
don in suite (Jean , XIII, 7).
Le Sauveur du monde se sert de ces paro-
les dans l'évangile de ce jour, pour appren-
dre à son apôtre qu'il ne fallait pas s'ai i. 1er
simplement au denors de son action , mais
qu'il fallait pénétrer le mystère qu'il s'en-
gage de lui dérouvrir.
Or, mes frères, on peut dire que 1 1 i
monie qol nous assemble aujourd'hui est
de ce nombre ; elle renferme de Ires-Gran-
des iostruclioua : nous y vovons une
tentation excellente de toute I ancienne di-
cipline de II', se pour la pénitence, qui
nous marque <;ue si elle a changé quelque
chose dans L'ordre de la pénitence ancienne,
elle en a conservé l'esprit , qui ne peut ja-
mais être sujet au changement.
Appliquons-nous donc aujourd'hui à ex-
pliquer ce que c'est que l'absoute , ce que
signifie cette cérémonie, et, faisant ici l'ap-
plication des paroles du Seigneur à son apô-
tre, essayons de vous apprendre ce que \
n'avez peut-être jamais bien compris.
Voyons ce que cette cérémonie nous repré-
sente du passé et ce qu'elle nous enseigne
pour le présent.
Dans la première partie, vous verrez donc
quel a été l'ordre de la pénitence ancienne ;
dans la seconde, quel est l'esprit immuable
de la pénitence qu'il faut demander à Dieu.
Demandons le secours du Saint-Esprit. Are ,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
La cérémonie qui nous assemble aujour-
d'hui, mes frères , est un reste de celle qui
se pratiquait autrefois dans l'Eglise pour I i
réconciliation des pénitents ; car, comme dit
un excellent auteur de notre siècle , le V.
Pétau, l'usage, l'ordre et l'administration de
la pénitence a toujours été un des plus im-
portants et un des principaux emplois de
l'Eglise. C'est par où il commence ce qu'il a si
doctement écrit sur 1 hérésie des novatiens.
Or. pour vous représenter quels ont été
l'esprit et la discipline de l'Eglise ancienne
sur la pénitence, il faut prendre les choses
de loin. L'Eglise, dans les premiers siècles ,
a eu tant de zèle pour maintenir les c
tiens dans l'innocence et dans la grâce de
leur baptême , elle a eu tant d'horreur pour
les crimes qui renouvelaient la mort de sou
époux, qu'elle a usé envers les pécheurs
d'une sévérité qui passerait pour incroyable,
si l'on ne savait qu'elle procédait de l'amour
qu'elle avait pour Jésus-Christ ot de l'hor-
reur qu'elle désirait inspirer à ses enfants
pour le péché qui lui avait donné la mort.
Il y a eu un temps où la réconciliation n'e-
tait point accordée à ceux qui étaient tom-
bés dans l'idolâtrie . dans l'adultère et dans
l'homicide volontaire. 11 y avait des crimes
moins énormes , pour lesquels on accordait
la réconciliation seulement une fois . après
quoi on ne l'accordait plus : l'Eglise aban-
donnait les pécheurs à la miseri orde de
Dieu . de peur que le remède ne se char.L
en poison à l'égard de ceux que l'espérance
d'une seconde grâce aurait pu engager dans
Une seconde faute : elle a -.aidi
rite pendant plusieurs siècles.
Mais les novatiens s'étanl cl ifé» , en df-
sar.t que non-seulement l'Eglise ne dev it
pins recevoir dans la communion ceux qui
G37
SERMON POUR LE JEUDI SAINT.
638
étaient une fois tombés , mais même qu'elle
n'avait pas le pouvoir de les réconcilier, l'E-
glise sainte voulut faire connaître à ses en-
nemis quelle était sa puissance , sans affai-
blir dans l'esprit de ses enfants l'horreur
sainte qu'elle avait toujours voulu leur
inspirer pour le péché : elle se relâcha de sa
première sévérité, et il n'y eut plus de crimes
pour lesquels elle refusât absolument la ré-
conciliation ; mais elle établit, dans la péni-
tence, un ordre qu'il fallait exécuter pour
la mériter : il consistait dans la pralique
d'une vie si austère et des exercices si labo-
rieux , qu'elle crut d'une part que cette sé-
vérité suppléerait à la première , qu'elle
maintiendrait les chrétiens dans l'horreur
du crime, et, d'un autre côté, qu'ayant des
couvres qui lui seraient des témoignages du
changement du cœur, en quoi consiste l'es-
sentiel de la pénitence, elle aurait ses assu-
rances pour ne recevoir dans sa commu-
nion et pour n'admettre à la participation
du corps de son époux, que ceux qui seraient
véritablement changés et suffisamment pu-
rifiés. Ce fut pour cela qu'elle ordonna que
ceux qui seraient tombés dans les crimes
passeraient par 1rs quatre degrés marqués
dans l'ordre de la pénitence canonique.
Le premier s'appelait du gémissement ,
gemenles. Les pécheurs , reconnaissant la
grandeur de leur chute et le misérable état
où leurs crimes les avaient réduits en les
privant de la participation de l'eucharistie et
des prières dos fidèles, n'oubliaienl rien pour
faire connaître le désir qu'ils avaient d'être
réconciliés à l'Eglise et d'être admis aux
exercice-; de la pénitence , par lesquels ils
pouvaient être purifiés de leurs crimes, lis
se tenaient à la porte de l'église en dehors ,
car il ne leur était pas permis d'y entrer ,
non pas même pour entendre la parole de
Dieu. Ils étaient velus d'un cilice ou de quel-
que autre habit lugubre; ils se proster-
naient contre terre devant les fidèles lors-
qu'ils entraient dans l'église ou qu'ils en
sortaient ; ils leur baisaient les pieds, ils em-
brassaient leurs genoux et enfin ils tâchaient
de les émouvoir par leurs larmes et leurs
gémissements, à les assister de leurs prières
et à intercéder pour eux auprès des prêtres
et des évêques.
Le deuxième degré s'appelait des écou-
tants, audicnlei : on leur permettait d'entrer
dans le bas de l'église avant que le sacrifice
commençât; là ils écoutaient la lecture et
l'explication qui leur était faite de l'Ecriture
sainte et des vérités chrétiennes , et ils sor-
taient aussitôt que ces instructions étaient
finies , sans qu'il leur fût permis ni de prier
dans l'église , ni de s'unir aux prières des fi-
dèles.
Le troisième degré s'appelait du proster-
nement , prostràti : c'était proprement celui
où l'on s'appliquait à les purifier de leurs
par les a-uvres pénibles et laborieuses
de la pénitence. Ils étaient obligés de se trou-
ve dans l'église presque tous les jours qu'on
offrait le sacrifice , et surtout aux jours so-
lennels et aux jours de jeûnes ; cl là , dans
un endroit de la nef éloigné du sanctuaire et
proche de la porte, ils se prosternaient contre
terre les yeux baignés de larmes , et rece-
vaient en cet état , en présence de tout le
peuple qui priait pour eux, l'imposition des
mains de l'évêque et des prêtres, qui, en les
leur imposant , faisaient plusieurs prières
sur eux en forme d'exorcismes pour les dé-
livrer de la tyrannie et de la captivité du dé-
mon, pour achever de détruire en eux les
restes du péché, et pour attirer sur eux les
grâces du Saint-Esprit et les disposer peu à
peu à devenir son temple. Cette cérémonie
achevée, on les faisait sortir de l'église sans
leur permettre même d'envisager les saints
mystères , bien loin d'y pouvoir assister. On
ne leur laissait que la liberté d'entendre la
lecture de l'Evangile et l'explication que
l'évêque ou le prêtre par son ordre en faisait,
et ils passaient tout le reste du temps dans
les exercices de mortification qui leur avaient
élé prescrits. On leur défendait le commerce,
le barreau, la guerre et tout ce qui leur pou-
vait être une occasion de retomber dans le
péché.
Le quatrième degré s'appelait des consis-
tants, consislentes : ils priaient dans l'église
avec les autres fidèles, ils assistaient au saint
sacrifice de la messe, ils envisageaient les
saints mystères , ils étaient présents lors-
qu'on distribuait l'eucharistie au peuple, et
enfin ils étaient rétablis dans tous les droits
que la communion des fidèles donne aux en-
fants de l'Eglise , excepté dans celui de par-
ticiper à l'eucharistie , qu'on ne leur accor-
dait point qu'ils n'eussent passé dans ce
quatrième degré tout le temps qui leur avait
été ordonné.
Or, mes frères, l'Eglise sainte tenait ses
enfants dans ces différents états pour de très-
bonnes raisons : car elle les tenait dans le
degré du gémissement pour faire l'épreuve
de la sincérité de leur conversion et pour
s'assurer si c'était tout de bon qu'ils vou-
laient changer de vie et satisfaire à la justice
de Dieu et au scandale qu'ils avaient donné
à l'Église. Par là les fidèles connaissaient
aussi que l'évêque ne s'était pas porté lé-
gèrement à les admettre à la pénitence, et
qu'on ne le pouvait accuser de Irop d'indul-
gence à l'égard des pénitenls. Elle les tenait
entre les écoutants, afin de les fortifier de
plus en plus dans la crainte des jugements
de Dieu , et les mettre en état , par les ins-
tructions solides qu'on leur donnait, d'entre-
prendre avec plus d'amour toutes les œuvres
laborieuses qu'on leur devait imposer. Elle
les tenait entre les prosternés, autant qu'on
le jugeait nécessaire, pour satisfaire à la jus-
tice de Dieu par ces œuvres laborieuses et
pénibles. Elle les tenait enfin parmi les
consistants, afin qu'ils se rétablissent dans
la pratique, des bonnes œuvres et dans toute
la pureté du cœur que demande la partici-
pation du redoutable mystère de l'eucha-
ristie , qu'on leur accordait lorsque le temps
de leur pénitence était fini.
11 est vrai que ces règles n'ont, pas toujours
été uniformément suivies et qu'on Les aaog-
630
ORATEURS SACHES. DOM JEROME.
640
mentées ou diminuées dans les conciles se-
lon la qualité des crimes et le besoin des
pénitents ; mais ce qu'il faut remarquer ,
c'est que durant plusieurs siècles l'Eglise a
imposé indifféremment celle pénitence pour
les péchés secrets comme pour les publics ,
selon que le prouve le P. Pelau. Vers le buî-
tième siècle on a commencé , pour de très-
bonnes raisons, à ne plus imposer cette pé-
nitence que pour les péchés publics, Pour
lors les pénitents s'assemblaient dans l'église
cathédrale , le mercredi des Cendri s , quoi-
qu'on ne laissât pas d'imposer cette péni-
tence aux pécheurs le long de l'année, dans
les lieux où le crime avait été commis. Ils se
rendaient donc le mercredi des Cendres au
milieu de la nef, revêtus d'un sac lud'un
cilice, on leur couvrait la tète de cendres, et
étant tous prosternés en rond contre terre ,
ils recevaient l'imposition des mains do ré-
voque, qui les mettait en pénitence par celte
cérémonie et par les prières dont elle était
accompagnée.
Il faisait ensuite une exhortation au peu-
ple sur cette cérémonie et puis il prescrivait
a chaque pénitent la pénitence qui lui con-
venait : il lui marquait le temps qu'il devait
être dans chaque degré ou dans l'exercice
qui en tenait lieu en ce temps-là ; ce qu'il
pratiquerait pendant le cours de sa péni-
tence ; combien 3e fois et de quelle manière
il jeûnerait dans la semaine et dans l'année;
de quoi il devait s'abstenir, comme des plai-
sirs et des divertissements les plus permis ,
de porter du linge, d'aller en carrosse, à che-
val. Il chargeai: les archidiacres et les curés
qui étaient présents de veiller sur eux. et de
prendre garde avec quelle fidélité et quel zèle
ils s'acquittaient de leur pénitence.
Cette cérémonie achevée, on les chassait
de l'église et on fermait la porte sur eux, en
chantant ces paroles terribles dont Dieu se
servit après la chute du premier homme ,
avant que de le chasser du paradis terrestre.
Etant ainsi chassés de l'église, ils n'y étaient
admis que le jeudi saint , qu'ils se présen-
taient à l'évéquc pour y recevoir une entière
absolution de leurs crimes et une parfaite
réconciliation, qu'on ne leur accordait qu'a-
près qu'ils avaient accompli leur pénitence,
ou lorsqu'ils avaient fait paraître tant de
douleur, que l'évéquc avait jugé à propos
de les dispenser du reste ; ou bien ils rece-
vaient une simple imposition des mains de
l'évêque, qui leur permettait d'entrer dans
l'église et d'assister aux saints mystères
jusqu'au dernier jour de l'octave de Pâques,
après quoi ils en étaient exclus jusqu'au
jeudi absolu de l'année suivante.
Cette discipline s'est observée exactement
dans l'Eglise jusqu'à la fin du dixième siècle,
où les choses commencèrent à changer . et
nous n'avons plus aujourd'hui de toute cette
discipline extérieure , dans notre Eglise de
Paris, que la cérémonie des cendres, qui re-
présente le commencement de la pénitence,
et celle de l'absoute publique et générale,
qui représente la réconciliation que l'évéque
accordait à ceux qui avaient accompli leur
pénitence et qui s'étaient rendus d tro
admis à la participation du corps de Jésus-
Christ.
\ dilà, mes frères, quel a été l'ordre de la
pénitence dans l'Eglise et ce que signifie
cette cérémonie qui nous asseml le. i.l e nous
représente ce qui se faisait autrefois, et elle
nous enseigne en même temps que si l'C-
gli e ne garde plus cette discipline extérieure,
qu'elle peut changer selon les temps, l'esprit
de la pénitence , qui est invariable, subsiste
toujours : voyons quel il est dans les cir-
constances de cette cérémonie et ce qu'elle
nous enseigne pour le présent : c'est la se-
conde partie.
SECONDE PARTIE.
Après vous avoir tracé une image de la
pénitence ancienne , l'instruction que nous
devons tirer de celle cérémonie et ce que
l'Eglise nous enseigne pour le présent, c'est,
mes frères, de gémir devant Dieu et de nous
confondre en sa présence en voyant notre
lâcheté et la différence étonnante qu'il y a
entre notre pénitence et celle des siècles
passés. Je ne prétends pas qu'il soit néces-
saire de la pratiquer aujourd'hui comme ou
la pratiquait alors : l'Eglise, comme je viens
de ie dire, peut changer sa discipline exté-
rieure selon les temps ; mais nous devons
trembler si nous considérons que c'est le
même Dieu que nous offensons , que uous
avons la même obligation de le satisfaire ,
et que l'on donne cent fois l'absolution à un
pécheur pour des crimes que la corruption
de ce siècle a rendus communs , et pour les-
quels l'Eglise refusait la réconciliation ou ne
l'accordait qu'une seule fois-
Elle nous enseigne encore l'ordre que
nous devons garder dans notre réconcilia-
tion pour la rendre parfaite. Le mercredi
des Cendres l'Eglise nous a assembles . afin
que nous nous reconnussions pécheurs et
que nous fissions comme un aveu public de
nos crimes , en recevant les cendres sur la
tête, qui sont les marques de la pénitence.
Le carême a dû se passer dans les œuvres
laborieuses de la pénitence ; dans le jeûne,
dans le silence, dans les veilles, dans la pri-
vation des plaisirs, dans le retranchement
des visites et des conv rsations inutiles, dans
la retraite ; enfin , aujourd'hui , les pasteurs
vous présentent à l'évéque, auquel ils ren-
dent témoignage de votre zèle et de votre
ferveur à accomplir la pénitence que l'E-
glise vous a imposée, el l'évéque vous ac-
corde la réconciliation par l'absoute générale
qu'il fait.
Celle conduite présente de l'Eglise, qui
n'est qu'une légère idée de sa conduite an-
cienne, est une vi\c expression de l'esprit de
la pénitence, esprit qui a toujours été inva-
riable, et sans lequel nul pécheur ne j
être absous devant Dieu. Elle nous apprend
que si nous voulons assurer notre réconci-
liation , il faut que les œuvres pénibles el
laborieuses la précédent : car prenez gj
mes frères, que l'Eglise n'a Observé celle
discipline ancienne, dont je vous ai parle 1 1
CM
SERMON POUR LE VENDREDI SAINT.
GH
ne nous la représente aujourd'hui dans la
cérémonie que pour faire naître dans le
cœur du pécheur l'esprit de la pénitence, et
s'assurer en quelque sorte, autant qu'elle le
pouvait, qu'il avait cet esprit sans lequel il
ne peut y avoir de réconciliation.
Or, cet esprit de pénitence consiste à avoir
une douleur sincère du péché, et c'est afin
de s'assurer de la sincérité de cette douleur
que l'Eglise ancienne a tenu les pécheurs
dans le degré du gémissement, et qu'à pré-
sent elle impose les cendres au commence-
ment du carême, qui est le temps qu'elle des-
tine à leur épreuve. Il consiste à satisfaire
à la justice par les œuvres pénibles et la-
borieuses, et c'est pour cela que l'Eglise an-
cienne a tenu les pécheurs dans le degré du
prosternement , ce qu'elle fait aujourd'hui
par le jeûne du carême. Enfin il consiste à
se purifier pour se préparer à la participa-
tion du corps de Jésus-Christ, et c'est pour
cela que l'Eglise ancienne les tenait dans le
degré des consistants , ce qu'elle fait au-
jourd'hui parles bonnes œuvres qu'elle nous
recommande durant le carême : ainsi, mes
frères , voici l'instruction que nous devons
tirer de cette conduite, chacun dans le
particulier. L'Eglise prend six semaines de-
puis le jour qu'elle nous admet publique-
ment à la pénilence jusqu'à celui qu'elle
choisit pour nous réconcilier, afin d'éprou-
ver la sincérité de notre conversion, afin de
nous obliger à satisfaire à la justice de Dieu,
et afin de nous préparer par les bonnes œu-
vres à la grâce de la réconciliation et au
bonheur de participer au corps de Jésus-
Christ. Mais suis-je véritablement changé?
ma conversion est-elle sincère? ai-je resti-
tué le bien mal acquis? me suis-je réconci-
lié avec mes ennemis? ai-je rompu ce com-
merce et éloigné ceux ou celles avec qui je
l'entretenais? ministres de Jésus-Christ, ne
précipitez pas la réconciliation de celui qui
ne vous a pas donné par des œuvres quelque
assurance de son changement et de sa con-
version : ne comptez pas sur des paroles ; l'E-
glise veut des preuves et des fruits. Ai-je
satisfait par les œuvres laborieuses? ai-je
pleuré, gémi, jeûné, fait des aumônes, et
accompli la pénitence qu'on m'a imposée?
Ministres de Jésus-Christ, faites-la pratiquer
celte pénitence, quand vous le pouvez, avant
que de donner l'absolution ; l'Eglise a autre-
fois gardé celte discipline, rien de si recom-
mandé dans les avis du grand saint Charles,
que le clergé de France a fait imprimer pour
servir de règle à tous les prêtres : l'Eglise
encore aujourd'hui prend six semaines pour
que le pécheur fasse pénitence, avant que de
lui donner la réconciliation publique : ce
qu'elle fait en public, vous le devez faire en
particulier.
Enfin, nies frères, voyez si vous vous êtes
préparés par les honnes œuvres, durant le
carême, à la grâce de la réconciliation et à
la participation du redoutable mystère de
l'encharistie. >i vous ne Tarez pas fait, vous
avez encore du temps pour le faire : au nom
de Dieu, ne précipitez rien, ne recevez pas
indignement celui que vous ne sauriez rece-
voir ainsi, sans manger votre jugement, et
sachez que, selon les saints Pères, c'est le
recevoir indignement que de le recevoir dans
le temps où on doit faire pénitence.
Voilà l'explication de celte cérémonie;
voilà ce qu'elle nous représente du passé, et
ce qu'elle nous enseigne pour ie présent :
humilions-nous donc, mes frères, en compa-
rant cette pénitence ancienne avec celle que
nous pratiquons aujourd'hui; et quand il
s'agit de l'entreprendre, ne cherchons pas
ceux qui pourraient nous entretenir dans le
relâchement; nous nous abuserions nous-
mêmes , puisque tous les sentiments des
hommes ne changeront jamais l'esprit de la
pénilence, qui est appelé par les conciles un
baptême laborieux; et comme l'Eglise n'a
gardé ces règles de sévérité et ces pénitences
canoniques qu'afin d'éprouver le pécheur, de
l'acquitter de ses dettes et de le purifier de-
vant Dieu, l'Eglise fait encore aujourd'hui la
même chose par l'ordre qu'elle garde dans
les cérémonies des cendres, du carême et de
l'absoute..
Examinons-nous donc devant Dieu ; éprou-
vons-nous nous-mêmes ; voyons si notre
cœur est véritablement changé, et jugeons-en
par la conduite de notre vie. Voyons si nous
avons satisfait à Dieu parla pénitence et par
les œuvres pénibles et laborieuses. Voyons
enfin si nous nous sommes préparés par les
bonnes œuvres à recevoir le corps de Jésus-
Christ. Si cela est, mes frères, je ne douta
pas que Dieu ne fasse miséricorde à ceux,
pour qui l'Eglise sainte va prier, et que Dieu
ne délie dans le ciel ceux que Monseigneur (1)
va délier sur la terre. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE VENDREDI SAINT.
Sur la Passion.
0 vos omnes qui transitis per viam, altendile et videte
si est dolor sicul dolor meus.
0 ? oms (oms qui passez dans le chemin, voyez et considère*
s'il est une douleur semblable à la mienne (Tliren., I, 12).
Mon dessein est d'entrer dans les senti-
ments de ce prophète aflligé, et de me plain-
dre des chrétiens qui ne regardent que légè-
rement l'étrange spectacle de la mort d'un
Dieu. Beaucoup de personnes s'assemblent
pour solenniser la mémoire de la passion de
Jésus-Christ. On donne quelque attention à
la description des tourments qu'il a soufferts
et au récit de sa mort ; mais on ne le fait
qu'en passant, on ne pénètre pas quelle est
la cause de ses tourments, on ne se donne pas
le loisir de se laisser convaincre que c'est
l'ouvrage de nos iniquités, et que nous renou-
velons tous les jours ses douleurs en conti-
nuant les crimes qui les lui ont causées. On
ne considère point sa passion comme la der-
nière leçon qu'il a voulu faire à tous les
chrétiens en mourant pour eux, et on laisse
échapper mille vertus qu'il a pratiquées
dans le cours de ses souffrances, pour nous
(!) Ce sermon a été prrclié dans l'église de Paris, en nrésenec de S. E. M. le cardinal de Noaillcs
043
donner par son exemple d'excellentes prati-
des vi rftés qu'il nous avail enseignées,
afin i|u'on pût dire qu'i; avnilfini sa
tomm.% il lavait coin : <'<rf)it JcsUS
ne. Ce n'es' pas ordinairement
île celle manière qu'on regarde la passion :
on se rempli! l'imagination de la irisie idée
de ses souffrances, on conçoit de la haine
contre ses bourreaux el de la compassion
pour sa personne. Il y eu a même qui ver-
sent des larmes, mais ce n'es! d'ordinaire
qu'un sentiment naturel qui les fail répandre.
Le deuil de L'Eglise* ce qu'il j a de lugubre
dans les cérémonies du temps, le récit de la
mort d'un homme que nous regardons comme
un innocent et que nous sommes accoutumés
d'appeler notre Dieu, les mouvements d'un
orateur chrétien, la véhémence de son a -
lion, les tristes olijets qu'on nous représente,
toutes ces choses tirent des larmes de nos
yeux, parce qu'elles excitent en nous des
mouvements qui ne les peuvent retenir. .Mais
ces tristes objets cessent-ils de paraître, ces
mouvements sonl-ils apaisés, nous oublions
le sujet qui les a fait naître. Nous remettons
le fer dans les plaies dont la vue nous avait
cause de la douleur, et nous recommençons
à vivre comme si nous n'avions point de part
à la mort du Sauveur : 0 vos omnes qui trans-
its per viam : O vous donc qui passez, et
qui n'avez regardé jusqu'ici la mort de Jésus-
Christ qu'en passant : Attendue , arrclez-
vous, soyez attentif: Et videte, et voyez tout
ce qui se passe dans celle sanglante action.
Je vais vous la représenter sous deux diffé-
rentes idées : comme un sacrifice que Jésus-
Christ présente à son Père pour tous les
hommes qu'il veut sauver ; comme une der-
nière leçon qu'il fait en mourant à tous les
hommes qu'il veut instruire. Ainsi nous
considérerons deux choses dans touies les
circonstances de cette action : les douleurs
el les vertus du Sauveur du monde; ses dou-
leurs pour les plaindre, ses vertus pour les
imiter.
Voilà les deux choses auxquelles nous tâ-
cherons de vous porter dans ce discours.
Nous considérerons ce qu'il souffre el ce qu'il
nous enseigne en souffrant. Prenons-le dans
le jardin des Olives ; suivons-le dans la ville
de Jérusalem ; montons sur la montagne du
Calvaire, où nous lui verrons achever son
sacrifice sur cet autel élevé par la justice de
son Père, par l'injustice de ses ennemis et
par la grandeur de son amour. C'est, mes
frères, sur ces trois théâlres qu'il expose
à nos yeux les souffrances qu'il a endurées,
el les verlus qu'il a fait paraître dans celle
sanglante action. Je vais en commencer le
récit, après que nous aurons salué la croix ,
sanctifiée en servant d'autel dans le sacrifice
de notre rédemption. 0 aux, ave.
IMlEMir.RE PARTIB.
Les premiers mouvements du Sauveur
dans celte acliûn BOnt remplis d'exccllenlcs
instructions, li nous déclare lui-mémo la
cause de sa mort avant que d'entrer dans
l'œuvre de sa passion, el il nous fait une
ORATEURS SACRES. DOM I ROUI . |||
excellente leçon en nous h déclarant : Vi
I ligo /'titrent. Oui:
rôle nnferme de grand i i DOl
Chers hères! Il m ut nous apprendre que
Connue i 'est l'amour qui l'a lire du sein de
sou Père, c'est l'amour qui le fail entrer
dans le sein de la mort, et par là il veut
nous enseigner que l'amour de Dieu don-
ne le prix a nos actions , à nos souffr^
et I noire mort, et qu'un véritable chrétien
doit prendre ces paroles pour sa devise: Quia
di'igo Patrent.
Après celle espèce de renouvellement d'a-
mour et celle déclaration publique, qe
à cause qu'il aime son Père qu'il s'est charge
du péché d'Adam, il veut, par an ordre
mirable de sa sa^es-e, que la satisl.i
qu'il eu fait soit proportionnée à la manière
dont Ad. un l'avait commis : c'est pourquoi
saint Cyrille remarque qu'Adam ayant péché
dans un jardin, c'est aussi dans un jaidiu
que commence la passion du Sauveur; et
comme le péclié d'Adam a été forme Éafl
fond de l'âme avant de passer au debors .
ainsi les plus grandes peines du Fils de
onl été imprimées dans son cœur, et il soullre
dans le jardin des Olives une passion toute
spirituelle, dans laquelle le corps n'a presque
point de part, mais qui s'étendra dans la
suite, à proportion que ie péché dont elle est
le remède, croît, s'étend et se mull
après qu'il a pris naissance dans le cœur.
La pénitence commence dans le cœur, elle
s'étendra jusqu'à ce qu'elle soit arrivée
perfection, el celte perfection sera la con
sommation de la victime. Mon âme est triste
jusqu'à la mort: Trisii* est anima men utqnt
ad mortem. Llle se doit étendre jusqu'à la
mort, el ne finira que par la mort; son âme
est abattue p.:r la trislesse ; car comme le
péché d'Adam avait commencé par un or-
gueil secret, sa passion commence par une
trislesse de cœur qui af.lige et qui humilie
son âme : Trittis est anima mea tuant iuI
nwriem. 11 est à remarquer que ce ne fui
à son Père qu'il déclara la tristesse de sou
âme, mais à ses disciples, pour nous f i i
comprendre qu'ellcétait tout ensemble un >a-
critice et une leçon, et que non-seulement il
souffrait pour les hommes, mais qu'il leur
enseignait par son exemple de quelle manière
il fallait souffrir. Ainsi, mes frères, en disant
à ses disciples, et à tous les hommes en leur
personne, que sou âme est triste, il leur ap-
prend par où doil commencer en nous I
nitence peur cire véritable : c'est dans le
fond du cœur ; car comme c'est la volonté
qui esl le principe et la source de nos acl as
nous sommes pécheurs quand la volonté
opposée à Dieu et élevée contre lui, ci nous
ne sommes pénitents que quand elle lui est
soumise et que le cœur esi changé] ce ne
sont ni les larmes, ni les soupirs, ni les jcù-
I ni les austérités qui font les péoiU
l'auiour-propre a ses vertus toutes sembla-
bles à celles de l'amour de Dieu : c Y
tristesse d'un cœur convaincu de ses desor-
dres cl abattu a la tue de la grandeur di.iue
5A5
SERMON POUR LE VENDREDI SAINT.
646
et.de nos iniquités, qui fait la véritable con-
version.
Par cette tristesse qu'il déclare à ses disci-
ples, il voulait donc consoler les âmes fai-
bles, et les empêcher de croire que la crainte
des souffrances , des persécutions et de la
mort, fût un péché, quand elle est soumise à
l'ordre de Dieu. Il voulait leur donner une
idée de la différence qu'il y a entre ia géné-
rosité purement humaine et celle que le
christianisme inspire : celle des hommes
commence par une force audacieuse qui, ne
pouvant se soutenir elle-même , dégénère
bientôt en faiblesse et en lâcheté ; nous le
verrons dans pou de temps en la personne
d'un apôtre (ju'il instruit, mais de qui le
cœur n'est pas encore ouvert à ses i m t rue-
lions. Celle des chrétiens au contraire com-
mence par un abattement de l'âme devant
Dieu, qui, se défiant d'elle-même el n'atten-
dant du secours que de la grâce du Sauveur,
se change en une force invincible. Cette le-
çon n'aurait pas eu toute sa perfection si,
après nous avoir appris que nous ne sommes
forts que par le secours de Dieu, il ne nous
avait pas enseigné la manière de l'obtenir :
c'est ce qu'il fait en se séparant de ses disci-
ples, pour se prosterner le visage contre
terre et pour faire cette prière à son Père :
Si possibile est, transeal a me calix isle ; ve-
rumtumen fiât voluntas tua. Jésus-Christ sa-
vait certainement que tous les efforts de ses
ennemis, de la mort el du démon, ne pou-
vaient le vaincre ; néanmoins il ne laisse pas
q;iede prier son Père de détourner la mort
qui lui est préparée.
Par là, mes frères, il veut nous apprendre
que quand nous prévoyons les afflictions et
les souffrances , quelque fortifiés que nous
nous sentions par la grâce de Dieu, il faut
les attendre avec humilité, se défiant de ses
propres forces, demandant même à Dieu qu'il
les détourne ; tâchant nous-mêmes, dans la
vue de notre faiblesse, d'éviter la rencontre
du mal dont nous sommes menacés, et nous
tenant attachés à Dieu par la prière. De plus
Jésus-Christ a prié de celle manière , il a
demandé une chose qui semblait contraire à
la volonté de son Père ; et dans celte prière,
dit saint Augustin, c'est la voix des mem-
bres qui se fait entendre, plutôt que celle du
chef : ce sont des malades qui parleut par la
bouche de leur médecin, mais aussi ce méde-
cin ne parle-t-il que pourles instruire et poul-
ies guérir. 11 voulait nous apprendre qu'il
peut arriver quelquefois que, sans perdre
l'esprit du christianisme, nous voulions une
chose lorsque Dieu en veut une autre ; cela
se permet à la fragilité el à la faiblesse hu-
maine. Vous sentez des oppositions à la vo-
lonté de Dieu, vous lui demandez ce qu'il ne
veut pas vous accorder. Ne vous troublez
point pour celle contrariété, mais humiliez-
vous ; reconnaissez qu'il y a el vous un fonds
de misère el d'opposition au bien. Considérez
celui qui esl au-dessus de vous ; il est créa-
teur, el vous créature; il esl maître, et vous
esciave : est-ce à vous à vouloir autre chose
que ce qu'il vcuU il est puissant, et vous
très-faible : est-ce à vous d'entreprendre ce
qu'il n'a pas résolu ? 11 est un père bon et
sage, et vous êtes un enfant aveugle, sans
expérience et ignorant ce qui vous est meil-
leur: arrêtez voire volonté par ces vues,
soumettez-la à celle de Dieu, et dites-lui :
Ne faites pas, ô mon Père, ce que je veux,
mais ce que vous voulez. Enfin Jésus-Christ
recommence trois fois la même prière : ah!
le grand exemple qu'il nous donne de persé-
vérance, d'humilité et de simplicité dans la
prière.
Nous nous lassons de demander , parce
que nous sommes superbes : nous nous im-
patientons quand Dieu ne nous exauce point,
parce que nous sommes pleins d'orgueil ;
mais le Fils de Dieu nous apprend à prier
humblement, la face contre terre; simple-
ment : Mon Père, s'il est possible, faites que
ce calice passe; persévéramment , il recom-
mence jusqu'à trois fois. Pensez-vous que,
priant de la sorte, il ne pratique que des
vertus sans rien souffrir ? Non, mes frères,,
il souffre en priant : si vous le voyez pros-
terné devant son Père, c'est pour expier
l'orgueil du pécheur, et si vous n'entrez
pas dans ce genre de souffrance intérieure
du Sauveur , je n'en suis pas surpris : les
disciples eux-mêmes ne le comprirent pas.
C'est ce que signifie le reproche qu'il fit à
saint Pierre , Quoi! vous n'avez pu veiller
une heure avec moi? Hélas! il y a bien peu
de chrétiens qui comprennent les langueurs
secrètes et les souffrances intérieures de Jé-
sus-Christ. Jésus-Christ venait de nourrir
ses apôtres de son corps pour les fortifier ;
il les avait préparés par un avertissement
pour les prévenir sur ce qui devait arriver ;
il les avait exhortés à prier , il leur en avait
donné l'exemple, il les reprend de leur som-
meil, et il les avertit jusqu'à trois fois : ce-
pendant, sans être touchés ni de ses bien-
faits , ni de ses averlissements , ni de ses
prières, ni de l'état où il leur avait dit qu'il
se trouvait réduit par la tristesse qui l'acca-
blait, ils dorment avec indifférence , comme
si toutes ces choses ne les regardaient point.
Qu'il e^t cruel de se voir ainsi abandonné
dans son affliction de ceux que nous pensions
être nos amis! Mais ce qui augmente cette
douleur dans l'âme de Jésus-Christ , c'est
qu'elle n'est pas simple, elle est compliquée ,
si j'ose parler ainsi ; et comme ceci peut s'ap-
pliquer à toutes ses souffrances dans le cours
de sa passion , expliquons ce que nous vou-
lons dire par cette expression.
Elle signifie , mes frères , que comme le
Sauveur du monde ne souffre pas seulement
les injures qu'il reçoit dans sa passion , soit
par l'infidélité de ses disciples , soit par la
cruauté de ses bourreaux ; mais qu'il voit
dans ces injures tous les péchés des hommes
commis el à commettre , son âme pénétrante
el ingénieuse pour s'affliger lui fait jeter les
yeux sur le pave et sur le futur; de telle
sorte qu'otl peut dire que chaque injure qu'il
reçoit ou chaque tourment qu'il souffre lui
faii recevoir I impression (le l'injure actuelle
qu'il reçoit par la personne qui l'offense, celle
647
OIUTF.URS SACHES. DOM JlïKOMl..
do l'injure passée qu'il a reçue par les hom-
mes qui l'ont offensé , et celle qu'il doit rece-
voir par les homme* ingrats qui, oubliant les
marques de son amour . continueront à l'of-
fenser et renouvelleront sa passion.
Ce sont les vues différentes qui obligent les
saints Pères de dire que ce lut dans le temps
de la prière au jardin des Olives que le Sau-
veur dn monde souffrit plus qu'en aucun li-
tre temps de sa passion , parce que dans ce
moment toute l'horreur de sa passion se pré-
senta à son esprit : il en vit la cause dans le
péché, les effets dans ses tourments, la conti-
nuation et le renouvellement dans les infidé-
lités des hommes. Il se regarde dans ce mo-
ment comme cet homme de douleur dont
parle Isaïe, de qui le principal tourment vient
de la connaissance qu'il a de toutes les cir-
constances de ses douleurs. Or Jésus-Christ
est frappé d'une crainte horrible : Cœpit pa-
rère; il est saisi d'une tristesse profon
lit tœdere ; il est abattu d'une désolation
universelle : Et contristari. C'est l'état d'une
âme qui voit un malheur prêt à fondre sur
elle, et qui, de quelque côté qu'elle se
tourne , ne voit aucun moyen de l'éviter:
semblable à une nuée épaisse et noire, éclai-
rée d'un feu obscur, qui semble porter toute
la colère du ciel , et qui, menaçant une cam-
pagne, fait fuir tout le monde pour l'éviter;
semblable à une armée qui porte toute l'in-
dignation d'un prince irrité, et qui met dans
une consternation accablante une ville qui
en est menacée, parce qu'elle la voit prête à
fondre sur elle; et c'est ici qu'on peut dire :
Attendite et videte si est dolor : Où s'csl-il ja-
mais vu une tristesse et une douleur p -
reillc?
Ce lut aussi dans le tourment de son es-
prit , dans cette affligeante pénétration de
toutes les circonstances de ses douleurs ,
qu'il se répandit une sueur sanglante de tou-
tes les parties de son corps, qui fut tout en-
semble expressive de sa douleur présente et
une prédiction de ses douleurs futures.
Avec cette connaissance de la disposition
du cœur de Jésus-Christ , jugez quelle dut
être sa douleur de voir ses disciples endor-
mis , non-seulement à cause de ce qui les
regardait, comme je viens de vous le dire,
mais parce qu'il voyait dans leur sommeil
l'infidélité, l'ingratitude et la lâcheté de
beaucoup d'autres.
Il y voyait l'ingratitude de ceux qui, ayant
tout reçu de lui , ne lui veulent rien rendre,
et qui , sacrifiant avec joie leur sommeil ,
leurs nuits etlcurs jours, à l'ambition, à l'a-
varice et aux plaisirs , ne veulent pas seule-
ment donner une heure à Jésus-Christ qui ne
la leur demande que pour leur salut. Appli-
quons-nous ceci , mes frères : combien y
a-t-il de gens à qui le Sauveur dira à L'heure
de la mort : Vous n'avez pu veiller uni!
heure avec moi : Non potuistis :t»a hora vi-
yilare; qui, livrés au péché, cl après avoir
mené um- vie oisive, molle . inutile, de pas-
sion et d'amusement, ne veulent pas en faire
pénitence, et s'ennuient dans les exercices
lu'on leur prescrit pour satisfaire à la jus-
lit c de Dieu; qui donnent tout au monde et
ne veulent rien faire pour leur salut. Il y
voyait l'erreur et l'illusion de ceux qui
croient être de ses disciples, parce q
comme les apdtn s, ils se nourrissent de son
corps et écoulent sa parole avec tranquillité,
ainsi qu'ils venaient de faire, et qui, le lais-
sant après entrer tout seul dans l'œuvre
pénible de sa passion , s endorment lâ< lie-
un ni quand il faut souffrir , et ne veulent
point avoir de part à ses dou'eurs : Mon po-
tui*iis tina hora tigilare. Ce n'esi pas cire
disciple de Jésus-Christ que de communier
simplement et d'écouter sa parole : il faut
prier comme lui et prendre part à ses dou-
leur<. Il y voyait le sommeil criminel despas-
leurs de l'Eglise qui regardent avec tranquil-
lité toute sa discipline en proie au relâche-
ment, Jésus-Christ exposé à ses ennemis en
la personne de ses membres, et tous les dé-
sordres déplorables qui se présentent à nous,
sans en être touchés et dormant en repos,
après s être remplis des biens de l'Eglise ,
qu'ils regardent comme la proie de leur ava-
rice et .ie leur ambition. Ainsi pénétré de la
lâcheté de ses disciples et de ses plus chers
amis , il vient à eux , et il les en reprend ;
mais comment : Quoi , leur dit-il, vous n'a-
vez pu veiler une heure avec moi? Que do
douceur dans celte manière de reprendre !
Est-ce ain-i que nous en usons à l'égard de
ceux qui sont tombés dans quelque négli-
gence pour ce qui nous touche? Mais cette
leçon de douceur va être confirmée d'une
manière admirable dans un moment : le Sau-
veur fait lever ses disciples et leur disant
que l'heure est procite, et que le Fils de l'homme
va être livré entre les mains des pécheurs , il
vient lui-même au-devant de ses ennemis ,
parce que c'est l'amour de son Père qui l'o-
blige de se présenter à la mort et qui le fait
aller au-devant de la croix et de la passion.
En effet, il n'avait pas encore achevé de
parler à ses disciples, que Judas, suivi d'une
grande troupe de gens armés d'épées et de bâ-
tons, se présente devant ses yeux, et s'a])pro~
chant de lui, il lui dit ; Maitrc, je vous salue;
car c'était le signtrf que le traître avait donné
pour leur désigner celui qu'ils devaient pren-
dre. .Mais à quoi pense ce malheureux'.' Est-
il aveuglé jusqu'à croire que ce signe d'a-
mour qui découvre son maître aux soldats
couvrira sa malice aux yeux du Sauveur?
qu'il prendra cet embrassemeat pour une
marque de son amitié , et l'insulte que lui
fait celle troupe pour une rencontre où il
n'avait point de part? Ne savait-il pas que
son maître lisait d ns le fond du cœur, qu'il
en pénétrait les secrets cl qu'il en découvrait
les replis les plus cachés ? Avait-il oublie ce
que le Sauveur venait de lui dire , dans le
repas qu'il sortait de faire avec les apôtres :
Celui qui met avec moi la main dans le plat,
c'est celui qui doit me trahir '! Frappé d'un
aveuglement irop profond, pour être capa-
ble de ces réflexions , il est comme uu en-
fant qui met la main sur ses veux , et qui
croil que personne ne le foil parce que lui-
même ne voit pas ceux qui sont autour de
640
SURMON POUR LE VENDREDI SAINT.
650
lui. C'est l'état du pécheur occupé d'une pas-
sion el qui s'est relire de Dieu. Que de souf-
frances pour le Sauveur dans celte occasion,
et que d'iiv Iruclions pour les hommes dans
la manière dont il les reçoit ! Quel coup pour
le Sauveur de voir son disciple qui le trahit,
son apôtre à la tête de ses ennemis , et celui
à qui il avait donné un libre accès auprès de
sa personne, ne s'en servir que pour le livrer
entre les mains de ceux qui désirent sa
mort 1 Plût à Dieu que ce traître, de qui la
conduite nous donne de l'horreur, n'eût pas
un si grand nombre d'imitateurs parmi les
chrétiens et même parmi les ministres de
Jésus-Christ 1 Ce malheureux chrétien qui
s'approche de l'autel avec l'attachement au
péché, pour éviter devant les hommes le
reproche de n'avoir pas accompli la loi , ne
renouvelle-t-il pas la trahison de ce miséra-
ble? 11 vient à Jésus-Christ avec une troupe
de passions rebelles qui, comme les so'dats,
marchent en silence pour un temps , aGn de
faire leur coup avec plus de sûrelé ; et quand
il l'a reçu, ne l'abandonne-t-il pas à ses en-
nemis? Oui, mes frères, dans l'Eglise même
et parmi les minislres.de Jésus-Christ, Judas
a des imitateurs.
Ce misérable avait les dehors d'un homme
de bien : il a prêché, il a l'ait des miracles ,
il a baptisé les premiers disciples de Jésus-
Christ, qui avait conGance en lui, comme
remarque saint Augustin. Sa vie était exté-
rieurement si irréprochable , que quand le
Fils de Dieu dit que quelqu'un le trahirait ,
chaque apôtre se devint plutôt suspecta soi-
même que de le soupçonner de celte action,
tant son crime était secret et caché.
Mes frères , celte réflexion me fait trem-
bler 1 Combien y en a-t-il dans l'Eglise, qui ,
faisant les fonctions évangéliques comme ju-
das , et menant comme lui une vie irrépro-
chable en apparence, conservent néanmoins
au dedans une passion d'avarice et de cupi-
dité comme lui, et qui emploient à leur pro-
pre usage ou à des dépenses de table, d'équi-
pages et de domestiques superflus , ou à ren-
dre leurs parents riches et considérables dans
le monde, le bien qui est donné à Jésus-
Christ pour la nourriture des pauvres ! Pen-
sez-vous quequand ils s'approchent du saint
autel Jésus-Christ ne leur dise pas : Osculo
Filium hominis tradis ? Imitateur de Judas,
tu voles mon bien comme lui , tu me viens
donner un baiser de paix , et cependant tu
me livres à mes ennemis, en me metlanl dans
ton âme , dont ils sont les maîtres et les pos-
sesseurs.
Ah! quand je considère tous les dehors de
la conduite de Judas el sa Gn malheureuse,
je ne puis m'empécher de dire : Tremblez ,
prêtres et ministres de Jésus-Christ ; trem-
blez , religieux el solitaires : car on n'est
point assuré d'être du nombre des élus, quoi-
qu'on vive parmi les disciples deJésus-Chrisl
et qu'on fasse extérieurement tout ce qu'ils
font. Tremblons , humilions-nous et prions.
Mais de quelle manière le Sauveur reçoit— il
celle injure atroce de son disciple? Il l'ap-
pelle son disciple ,- son ami ; il lui demande
Orateurs sacrés. XXX.
par une forme d'interrogation ce qu'il est
venu faire en ce lieu, comme pour l'obliger
à faire réflexion sur sa lâche entreprise.
Vous trahissez le Fils de l'homme par un bai-
ser ? c'est tout ce qu'il lui dit de plus fort.
Voilà la manière dont il faut supporter le
commerce de ceux qui ressemblent à Judas ;
et comme le nombre en est grand dans le
monde, que les traîtres sont répandus dans
toutes les conditions , et qu'il est beaucoup
plus difficile de souffrir les fausses caresses
d'un traître que d'endurer les mauvais trai-
tements d'un ennemi qui se déclare, il faut
demander à Jésus-Christ qu'il nous donne
dans ces rencontres la patience nécessaire
dont il nous a donné l'exemple.
Les Juifs, ayant reconnu Jésus-Christ par
le signal du traître, s'avancèrent et se saisi-
rent de sa personne. Alors ses disciples, le
voyant pris, et qu'il ne faisait aucun effort
pour se délivrer par miracle, s'enfuirent, et
firent sentir à Jésus-Christ qu'il y aurait tou-
jours une infinité de chrétiens qui ne seraient
ses disciples que pendant la paix, mais qu'ils
l'abandonneraient dès qu'il s'agirait de l'in-
térêt de leur fortune ou de leurs passions.
Ils nous ont fait voir par cette fuite qu'ils
étaient encore dans leur foi tendres et déli-
cats comme des enfants. A la première vue
de la persécution, les uns prennent la fuite et
les autres renient leur maître. Us n'avaient
pis prié comme lui au jardin des Olives, car
s'ils l'eussent fait et qu'ils eussent veillé et
prié comme le Sauveur le leur avait dit, ils
auraient été fortifiés et ne l'auraient pas aban-
donné au temps de la tentation. Je ne sau-
rais passer cette circonstance de la fuite et
de l'abandonnement des apôtres qui quitlcnl
leur maître, sans vous faire remarquer que
voilà le fond que nous devons faire sur la
constance des amis du monde, qui le sont jus-
qu'à l'intérêt. Amis zélés dans la bonne for-
tune, fidèles dans la prospérité, empres-
sés quand tout nous réussit, mais qu'on
voit changer de conduite aussitôt que les
choses changent de face. Froids dans l'ad-
versité, prudents dans ia persécution, resser-
rés dans nos mauvaises affaires, nous ou-
bliant jusqu'à ne nous connaître plus quand
la fortune nous abandonne, l'inconstance des
choses humaines nous a fait voir plus d'une
fois que la légèreté des hommes sait fort bien
ne mettre qu'un moment de distance entre
l'adoration et l'oubli.
Avancez donc, soldats, ne craignez rien ;
si Jésus de Nazareth vous a renversés par
terre et qu'il vous donne la force de vous re-
lever pour le prendre, c'est qu'il a voulu
vous faire connaître que si vous l'emmenez,
c'est son amour qui le livre et non pas vo-
tre violence qui l'entraîne. 11 veut faire voir
dans loute sa passion sa liberté, son inno-
cence et son amour. Vous n'avez pas voulu
reconnaître la puissance qu'il a voulu vous
faire sentir par ce renversement; vous êtes
en cela semblables aux impies qui, voyant
renverser leur fortune et leurs desseins, ne
reconnaissent point la main de Dieu qui les
21
ORAïl I RS Si i:i> DOM JEROME.
65i
frappe pour les convertir, elqui persévèrent
dans leurs iniquités.
Les ennemis du Sauveur sont renversée,
ses disciples ne reviennent pas, les soldats
se relèvent et se saisissent de sa personne.
Les hommes ne jugent des choses que par
le succès. Allez doue, emmenez le Sauveur,
soyez les ministres de son amour en ne pen-
sant qu'à être les bourreaux de sa vie, et
liez la victime qui se livre elle-même à la
mort. C'est ainsi qu'ils entrent dans la ville,
triomphants de la prise qu'ils ont faite, et
c'est le sujet de mon deuxième point.
DEUXIEME PARTIE.
11 est facile de se persuader que le Sau-
veur du monde reçut mille insultes de la
troupe qui le conduisait dans le chemin, de-
puis le jardin où ils le prirent jusque dans
la maison de Caïphe, où tou'e cette cohorte
a!. orda et où les prêtres s'étaient assemblés,
afin que tout se fît par leurs avis. Caïphe,
qui était le gr.nrîd prêtre cette année, avait
donné le conseil de faire mourir cet homme
pour tout le peuple : chose étrange, que ce
soit un premier ministre du Dieu vivant qui
donne ce conseil contre la vie de son Fils
unique! Il l'interrogea d'abord sur sa doc-
trine, et . ésus-Chrisl lui répondit qu'il n'a-
vait rien dit en secret, et qu'ainsi on pouvait
interroger ceux qui l'avaient entendu.
Je ne m'arrêterai pas sur l'injustice de leur
procédure, car nous en parlerons lorsqu'il
paraîtra devant Pilate. Saint Chrysostome
dit qu'ils s'assemblèrent plutôt pour exécu-
ter que pour prendre une résolution qui était
déjà formée; qu'ils firent quelques informa-
tions à la hâte et quelques recherches in-
formes pour sauver les apparences, et pour
couvrir au moins leur homicide de quelques
prétextes. Car les faux témoins qu'on faisait
paraître se contredisaient et se combattaient
les uns les auires, et tout était si plein de
trouble et de tumulte, qu'il paraissait visi-
blement que tout ce qui se faisait alors n'es-
tait qu'an fantôme et une fiction de jugement.
Je ne m'arrêterai qu'à deux choses que le
Sauveur souffrit dans la maison de ce grand
prêtre, qui toutes deux lui lurent infini-
ment sensibles, et dans lesquelles il nous
fait d'admirables leçons et nous expose des
exemples divins. Considérez donc toujours
ses souiïratices, admirez ses vertus et écou-
tez ses leçons.
La première, c'est la circonstance du coup
qu'il reçut au visage par l'insolence et la
brutalité d'un valet, qui, perdant toute sorte
de respect en la présence de ses maîtres, in-
sulta avec indignité un homme qui était sous
leur protection. Je n'exagère point ce: le in-
jure, mes frères, car c'est celle que les hom-
mes ont accoutumé d'appeler le dernier ou-
trage, et pour lequel on se porte aux der-
nières extrémités. Ajoutez que cette injure
est faite par un valet au plus innocent de
tous les hommes, et qui n'a rien dit que de
très-sage; je vous la laisse peser au poids de
l'ainour-propre, si vous n'êtes pas capables
de la peser au poids de la justice, et jugez
quelle elle a dû être.
Mais considérez en même temps de quelle
façon Jésus-Christ la reçut, el venez appren-
dre de son exemple, (jiii condamne lous nos
emportements, quelle doit être notre mode-
ration dans les injures que nous recevons et
dans les outrages qu'on nous fait. Le Sau-
veur regarde ce misérable avec compassion,
car quoique Jésus-Christ fût frappé, celui
qui le frappait en était plus d gne que lui,
de même que, selon les vues de la foi, lous
ceux qui nous persécutent injustement sont
bien plus à plaindre que nous. Il lui dit donc:
Si j'ai mal parlé, montrez en quoi; mais
si je n'ai rien dit que de bien, pourquoi me
frappe z-i nus?
Mou Dieu, si nous savions parler de celle
manière à nos ennemis quand ils nous per-
sécutent, ou nous les convertirions, ou nous
les confondrions devant Dieu. Mes frères,
que de douceur! que de modération ! C'est à
la vue de cet exemple que la fierté des hom-
mes se doit confondre, et ils ne sauraient
trouver d'excuses à leurs emportements s'ils
considèrent cette conduite où Jésus-Christ
leur montre tout ensemble de la patience en
supportant une cruelle injure, et une dou-
ceur admirable et héroïque en voulant bien
rendre raison de ce qu'il a dit, et en tâchant
de faire comprendre à ce valet qu'il a eu tort
de se lai-ser emporter à cet excès. Voilà la
pratique de ce que nous enseigne l'apôtre
saint Paul : Xe vous laissez pus surmonter par
le mal, mais surmontez le mal par le bien. Le
Sauveur ne se laisse pas surmonter par le
mal : il reçoit un soufllet, et il ne confond
pas celui de qui il l'a reçu ; il ne fait pas
tomber le tonnerre pour l'écraser, mais il
tâche de surmonter le mal par le bien, c'est-
à-dire de ramènera la raison celui qui s'est
emporté contre lui.
C'est, mes frères, ce que nous devons faire
dans les injures ou daus les persécutions
qu'on nous lait: il faut que la patience nous
empêche de nous laisser vaincre par le mal,
mais il faut que la douceur nous applique à
vaincre le mal dans noire frère qui s'est em-
porté contre nous, cl à le ramènera la raison,
le retirant de dessous l'empire du démon au-
quel il s'est laisse vaincre par la passion. 11
ne faut pas s'étonne; de ce que le Sauveur,
qui a dit dans l'Lvangile, que quand nousre-
cecons un soufflet sur une joue netM devons
tendre l'autre , ne l'a pas pratiqué lui-
même en celle occasion. 11 a fait davantage,
car il est plus difficile de répondre avec sa-
gesse et une modération qui témoigne qu'il
y a autant de tranquillité dans l'esprit après
une pareille injure que si on ne l'avait pas
reçue, que de tendre l'autre joue ; car ceci
peut se faire dans le trouble cl dan-
tion même que l'injure nous aurait causes. 11
ne faut donc pas prendre ces paioles à la let-
tre, mais dans le sens qu'elle! signifient, qu'il
faut être dispose à la douceur II non à se
venger de son ennemi : c'est ce que Jesus-
Christ accomplit admirablement.
La seconde chose qui su passa daus la mai-
653
SERMON POUR LE VENDREDI SAINT.
C34
5011 du grand prêtre, ce fut le reniement de
saint Pierre. Cet apôtre aimait son maître, il
en était beaucoup aimé, et sa chute, qui ne
fut qu'un effet de son imprudence et de son
indiscrétion, le toucha sensiblement. Exa-
minons les causes de cette chute, et voyons
comme il s'en releva. Il y a d'admirables le-
çons dans ce que l'Evangile nous rapporte
sur le sujet de cet apôtre.
Je trouve d'abord son sommeil, qui fut
une marque d'ingratitude et un défaut de re-
connaissance pour la grâce qu'il venait de
recevoir par la participation du corps de son
maître, semblable en ceci à ceux qui, après
avoir reçu le corps de Jésus-Christ, croient
que tout est fait, et ne prennent pas le soin
qu'ils doivent de lui en marquer leur recon-
naissance, en suivant ses avis et en vivant
selon sa volonté. Ce fut la cause de la chute
de Pierre. En sortant de recevoir le corps du
Sauveur, il tombe dans une ingratitude ef-
fective, il ne fait aucun cas de ses avis. 11 ne
lui a rien coûté pour recevoir son corps, et
il lui en aurait coûté s'il eût veillé et prié
comme il le lui avait recommandé; mais il y
a plus, il se fie en ses propres forces, et,
croyant pouvoir exécuter toutes les résolu-
tions que son amour pour son maître lui avait
fait prendre, sans avoir d'autres secours que
son propre cœur et la tendresse qu'il sentait
pour .lésus-Christ, il entre dans une pré-
somption qui fut une autre cause de sa chute.
Il se mit dans une occasion où l'amour sur
lequel il comptait succomba, et l'apôtre re-
nia son maître. Un faible amour pour la jus-
tice n'empêche pas qu'on ne soit capable des
plus grands crimes lorsqu'on se met dans
l'occasion : qu'allait faire un apôtre dans ces
circonstances chez un grand prêtre?
Apprenons de la chute de ce disciple si zélé
et si malheureux que nous n'avons que la
misère et la faiblesse en partage, qu'il ne
faut jamais présumer de nos forces. Quelque
boulé de naturel que nous ayons, quelque
éloigneinent que nous donnent pour certains
vices, ou la nature de notre tempérament, ou
les impressions d'une éducation chrétienne,
tout cela est faible et tout cela nous quitte
quand la tentation est forte, et que, mépri-
sant les avis qu'on nous donne, nous nous
exposons témérairement. De là proviennent
initie chutes, cl nous voyons à présent tel
homme entre les disciples de Jésus-Christ,
qui, croyant, commecet apôtre, pouvoir souf-
frir la mort pour lui, n'a pu résister à la voix
d'une servante cl s'est perdu par présomp-
tion, par curiosité, par le poison mortel des
conversations inutiles. Mes frère», il y a bien
aujourd'hui des apôtres dans ce même cas.
Cependant Pierre se relève et reconnaît sa
faute; le coq chante, Jesus-Christ regarde
son disciple, qui sort de la maison du grand
prêtre et pleure amèrement.
Voilà, mes frères, ce qui est nécessaire
pour sortir du péché et faire pénitence. Il faut
écouter le chant du coq, c'est-à-dire la voil
des prédicateurs et des ministres de Jésus-
Christ. Car la grâce intérieure est ordinaire-
ment attachée a quelque chose d'extérieur.
Il est vrai que le coq chante en vain pour
réveiller le pécheur si la grâce de Jésus-
Christ ne touche point son cœur; c'est pour-
quoi non-seulement le coq chante, mais Jé-
sus-Christ regarde Pierre. Il faut donc de-
mander à Jésus-Christ qu'il nous regarde,
afin que nous connaissions nos misères ; ce
regard porte la lumière dans l'âme. Aussitôt
que Pierre a connu son péché, il sort de la
maison du grand prêtre, pour nous appren-
dre que dès que Dieu nous donne quelques
lumières il faut les suivre, fuir l'occasion et
tout quitter. Enfin il faut pleurer et gémir:
Pierre ne parle point, il pleure, il se relire.
11 parle quand il est animé d'un faux amour,
il garde le silence quand il est pénétré de
l'amour de Dieu. Mes frères, un vrai péni-
tent fait tout sans rien dire, et je me défie
extrêmement de ces gens qui découvrent leur
douleur à tant de monde, et qui font de grands
projets de retraite et de pénitence.
Le Sauveur du monde reçut mille outra-
ges dans cette maison, et le grand prêtre
s'étant emporté contre lui, on l'insulta avec
la dernière indignité. Cependant, comme ils
ne pouvaient le mettre à mort sans le con-
sentement de Pilate, qui était le président
des Romains, ils le lui menèrent pour con-
firmer la sentence de mort qu'ils avaient ren«
due contre lui. C'est donc chez Pilate, gou-
verneur pour les Romains, que fut conduit
le Sauveur du monde, et c'est de là qu'il sera
conduit au Calvaire pour y consommer son
sacrifice.
C'est ici que vous allez voir l'image d'un
mauvais juge dans la conduite d'un homme
sage selon le monde, et qui a assez d'hon-
neur pour ne vouloir pas trahir l'innocence
ni la livrer à l'injustice, mais qui n'a pas as-
sez de courage pour la défendre au péril des
intérêts de sa fortune et de l'autorité de la
cour. Dans tout ceci nous ne perdrons point
Jésus-Christ de vue.
Ce lut donc un nouveau tourment et une
nouvelle injure au Fils de Dieu , d'être mené
comme un profane devant un juge séculier ;
et ce fut une vertu en lui et une instruction
pour nous , que do répondre par respect à
l'autorité de Dieu , dont il voit l'image dans
ce méchant juge. Pilate était un fort honnête
homme selon le monde, il avait quelque
amour pour la justice et pour la vérité. Il in-
terrogea d'abord Jésus-Christ sur les accu-
sations de blasphème contre Dieu , de trahi-
son envers le prince et de séduction envers
le peuple ; mais il reconnut en même temps
son innocence, de sorte qu'étant prévenu de
quelque estime pour sa droiture cl pour la
sincérité qu'il faisait paraître , sa femme
l'ayant de plus sollicité en sa faveur, il re-
garda comme une occasion favorable de pou-
voir le renvoyer à Hérode , apprenant qu'il
était Galiléen, et par conséquent de sa juri-
diction.
Voilà la première fausse démarche de Pi-
late; car puisqu'il connaissait l'innocence de
Jésus-Christ et la passion de ses ennemis, il
était de son devoir de lui rendre justice et de
le retirer d'entre leurs mains- Vous verrez
C55
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
les suites île celte première fausse démar-
che, et dans quel abime d'injustice elle va
conduire ce ma heureux juge. Où sont les
j ii ji«'s qui ne travaillent pat à te débarrasser
d'une affaire quand ils voient que leurs inté-
rêts en peuvent souffrir ? Oui est-ce qui ne
dit pas, quand il ne s'agît que de protéger la
veuve et l'orphelin contre l'oppression de la
puissance et de la faveur: Je n'ai que faire
de in'enibarrasser là dedans? Et vous n'êtes
juge, mon cher frère . que pour cela. Ne
soyez pas juges, dit l'Ecriture , si vais n'avez
lu force de vous opposer à l'iniquité; vous en
répondrez. Ne soyez pas pasteurs si vous
n'avez pas la force de vous opposer au relâ-
chement, de maintenir avec vigueur les lois
de la discipline, »;t de défendre les intérêts de
Jésus-Christ. l'ilatc s'en décharge donc, et il
le renvoie à Hérode; il agit doublement en
politique, car il pense à se débarrasser de
cette méchante affaire, et il songe à se rac-
commoder avec Hérode par celte déférence
qu'il lui rend, ici , comme dans le temps où
nous sommes, tout est intrigue, manège , po-
litique ; on n'a point l'amour du vrai et du
Lien , on ne songe qu'à son intérêt.
Ainsi , d'une part Jésus-Christ est aban-
donné par le seul qui pouvait et qui devait le
défendre , et de l'autre il est sacrifié aux in-
térêts de Pilate, qui fait servirle Fils de Dieu
à ses affaires et à ses desseins. Quelle humi-
liation 1 Hérode le voit avec joie, c'est un ef-
fet de sa curiosité et non pas de son respect.
On aime dans le monde les nouveaux spec-
tacles.Hérode lui ayant fait plusieurs deman-
des , Jésus n'y répondit point: semblable en
cela aux gens du momie et de la cour qui ne
s'informent pour l'ordinaire des choses de la
religion que par un esprit de curiosité. Jé-
sus-Christ ne le jugea pas digne de lui par-
ler , et Hérode ne le jugea pas digne de sa
présence ; aussi Jésus-Christ est-il ordinai-
rement méprisé dans ces lieux , comme il le
fut chez Héroue qui s'en moqua.
Remarquez que les princes des prêtres de
la loi ne le quittent point; ils le suivent chez
Pilate, chez Hérode, et partout ils l'accusent,
et partout ils le poursuivent avec fureur.
Chose étrange, que les prêtres et les docteurs
corrompus soient les plus implacables enne-
mi-, de Jésus-Christ ! 11 est donc renvoyé à
Pilate , il semble qu'il veuille contraindre ce
juge à faire son devoir et le forcer à se ren-
dre son protecteur ; car après tout le voila
fortifié par la conduite d'ilérode dans la
pensée de l'innocence du Sauveur. C'est
aussi ce qu'il représente aux Juifs. Il trouve
même un expédient qui peut faciliter ce qu'il
je le reconnais pour tel. Hérode , de la juri-
diction de qui il est, en a porté le même ju-
gement, fous les crimes dont vous l'accusez
sont imaginaires, et véritablement on re-
connaît que c'est l'envie qui vous anime. Au
reste , le bon sens veut qu'on punisse celui
qui est manifestement coupable , et qu'on
sauve celui dont le crime est au moins en-
core douteux. Mes frères . que ce traitement
qu'on fit au Sauveur est étrange ! c'est or-
dinairement le peuple qui demande au prince
la grâce de quelque criminel , et c'est ici le
prince lui-même qui demande au peuple la
grâce de Jésus-Christ innocent , et qui ne la
peut obtenir. On compare le Sauveur du
monde avec le dernier des nommes , et celui
qui fait celle comparaison prétend lui ren-
dre un bon oflice. On préfère le dernier des
hommes au Sauveur, et on croit ne lui point
faire d'injustice ; voilà un étrange aveugle-
ment.
.Mais serait-il possible que nous qui con-
naissons l'inn< cence de Jésus-Christ mieux
que Pilate , nous qui faisons profession de
l'adorer comme noire Dieu , nous soyons ca-
pables de faire une au-si injuste comparai-
son '.' Oui , mes très-chers frères , nous fai-
sons le détestable choix des Juifs , toutes les
fois que nous préférons nos intérêts , nos
plaisirs, noire ambition, enfin tous les objets
de nos passions , à la loi de Dieu , à son ser-
vice et au salut de notre âme. Nous ne
voyons point cette injustice, nos passions la
couvrent, et elles la déguisent sous une forme
qui nous frappe moins. Mais quelle est la
contenance du Sauveur à la vue de celle in-
dignité et de cette injustice? Se plaint-il de
ce qu'on le compare a un scélérat ? Crie-t-il
contre le peuple qui le livre à la mort et qui
donne la vie à un infâme? llncdil pas une
seule parole , et dans ce jugement comme
dans les interrogations de ses juges . après
avoir rendu à la vérité le témoignage qu'il
lui devait, il demeure dans un profond silen-
ce ; Pilate même en est étonné.
Cela nous apprend que quand nous avons
rendu à notre innocence le témoignage que
nous nous devons par justice, il ne faut plus
nous plaindre. 11 faudrait aussi , mes très-
chers frères , ne se rendre pas si délicats sur
le point d'honneur et sur la comparaison
qu'on lait quelquefois de nous avec des gens
qui ne nous valent point, en pensant au si-
lence du Fils de Dieu comparé à Barabbas.
Mais poursuivons.
Le peuple ne se contentant point et vou-
lant absolument la mort de Jésus-Christ , Pi-
late trouve un autre expédient pour donner
pense : il connaît que Jésus-Christ est inno- quelque chose à leur passion et ne pas per-
cent ; l'espril du peuple est irrité cl ses in- dre entièrement cet innocent : c'est de le
faire châtier. Troisième démarche île l'il ite
téréls sont engagés ; il propose un tempe
rament, une conciliation, un liiais : les gens
intrigants n'en manquent guère. Nouvelle
démarche de Pilate, nouvelle faiblesse. Fous
devez, leur dit-il, délivrer un homme à lu fête
de Pâques, je vous en propose deux, liurabbas
et celui-ci. L'un est un séditieux , un voleur
insigne, et un misérable convaincu de plu-
sieurs meurtres ; celui-ci est un innocent,
et troisième faiblesse; mauvais ménagements
d'un juge qui veut contenter tout le monde.
Mai*, Pilote . dit saint Chrjaostome, si vous
croyez Jésus-Christ innocent, pourquoi le li-
vrez-vous ù lu fureur de ce peuple ? {lue ne
l'urraclti z-vous d'entre leurs moins 'f Pi!. île au
contraire ne témoigne que de la faiblesse. Il
ne suffit pas «Je dire : Le peuple est anime, il
657
SERMON POUR LE VENDREDI SAINT.
058
faut donner quelque chose à son emporte-
ment et à sa fureur, ceci peul causer une sé-
dition, voilà un grand bruit. Apprenez, vous
qui êtes juges sur la terre : Erudimini , qui
judicatis terram, apprenez à distinguer entre
Je sujet rlu bruit et l'auteur du bruit. Si Jé-
sus-Christ en est l'auteur, faites-lui pprdre la
vie, et apaisez le peuple par cet acte de jus-
tice ; si Jésus-Christ n'en est que le sujet et
le faux prétexte, que l'envie des prêtres et. la
maiiee ou l'erreur du peuple en soit la cause,
punissez le peuple, corrigez les prêtres et
renvoyez l'innocent absous. C'est ce qu'au-
rait fait un juge ferme et équitable ; mais
c'est ce que Pilate ne fait pas , et c'est ce qui
n'est peut-être que trop ordinaire. L'innocent
qui est sans appui est souvent opprimé, et
quelque justice qu'il puisse avoir , on croit
encore lui faire grâce de ne pas l'accabler
tout à fait quand il a des ennemis puissants
et dans la faveur. Encore un coup , Pilate
pense faire grâce à Jésus-Christ en ne le li-
vrant qu'à une simple flagellation ; et dans
ce tourment , mes frères , le Fils de Dieu
souffre tout ensemble la honte et la douleur:
la honte d'être exposé nu aux yeux d'une
populace qui était assemblée dans la cour du
Prétoire ; et par celte nudité qu'il souffre
pour expier le luxe et la vanité des hommes
qui consument en habits et en ornements
superflus ce qui serait si nécessaire pour
couvrir les pauvres, il nous enseigne la mo-
destie et le retranchement pour les soulager.
Vous couvrez des murailles , et vous laissez
nus les membres du corps mystique de Jésus-
Christ ; le Sauveur souffre celle honte en
leur personne; ce sont ses enfants , ils por-
tent le caractère de sa ressemblance La dou-
leur qu'il ressent dans ce supplice est extrê-
me , il n'y a aucune partie de son corps qui
ne souffre la violence , la fureur et la rage
de ses bourreaux; et il nous enseigne , par
cette souffrance universelle ci générale de
toutes les parties de son corps naturel , que
toutes celles de son corps mystique doivent
souffrir. 11 n'y a point d'exception , tout doit
souffrir ; pensez-y , vous délicats et sensuels
qui n'avez jamais rien scuilert, qui ne son-
gez qu'à éviter les moindres maux et à vous
procurer toutes sortes de délices. Ils inven-
tent un autre supplice pour se délasser,
mais qui faisait souffrir d'une manière plus
humiliante Jésus-Christ : ce fut de l'asseoir
sur un bout de colonne , de lui mettre une
couronne d'épines en tête , un roseau à la
main et une casaque sur le corps. L'insulte
et la violence ne peuvent aller au delà de ce
que souffre le Sauveur du monde. Sa tête est
percée d'épines , frappée d'un roseau et
meurtrie de coups de poing; son visage est
couvert de crachais , il reçoit de< soufflets ,
tout son corps est déchiré par la flagellation,
déshonoré par la nudité , et encore plus par
celle casaque d'écarlate dont on le couvre
pour l'insulter par de cruelles adorations,
comme s'il élait un roi de théâtre. Ce sont ,
mes frères , ces mépris , ces opprobres , ces
indignités, ces injures et ces railleries qui
surpassent toutes ses douleurs. Aussi a-t-il
prétendu s'en servir pour composer le re-
mède de la plus dangereuse plaie que le pé-
ché ait faite en nous , il les souffre pour ex-
pier et pour guérir l'orgueil de l'homme. Il
a réussi à l'expier, car quel que fût relève-
ment de l'homme contre son créateur, Dieu
lui-même l'a oublié en voyant l'anéantisse-
ment de son Fils et les opprobres qu'il a
soufferts ; mais réussira-t-il à guérir cet or-
gueil qui est encore dans notre cœur? Ser-
vons-nous , pour vous faire cette demande ,
du dernier moyen dont Pila'e se servit pour
toucher les Juifs de compassion : Ecce ho-
mo : Voilà l'homme. Il leur présenta le Sau-
veur dont la tête était chargée d'une cruelle
couronne d'épines, le visage couvert de cra-
chats et de sang qui s'étaient mêlés , tenant
un roseau à la main et le corps couvert de
cette casaque qui n'empêchait pas qu'on n'en
vît les plaies. Voici l'homme , leur dit-il ,
contre qui vous êtes si animés, que crai-
gnez-vous de lui ? Voire colère et votre en-
vie trouvent-elles de quoi se nourrir dans ce
misérable spectacle ? C'est un innocent, et si
vous êtes capables de quelque compassion et
de quelques sentiments , laissez-vous lou-
cher : Eccehomo : Voilà l'homme.
Pour moi , mes frères , je vous le présente
en vous disant : Voilà celui que vous adorez
et que vous reconnaissez pour votre Dieu. II
faut que vous tombiez d'accord que votre
gloire consiste à l'imiter , et que votre salut,
dépend des soins que vous y donnerez et
du succès que vous y aorez. Il faut que vous
reconnaissiez, ou qu'il élait digne par lui-
même d'être réduit dans l'état où vous le
voyez, ou que c'est l'amour qu'il a pour vous
qui l'y a réduit. Si vous croyez qu'il en était
digne, ce n'est plus votre Dieu , et vous ne.
devez plus prendre la qualité de chrétien. Si
vous croyez que c'est l'amour qu'il a eu pour
vous qui l'a réduit dans cet état, et qu'il n'y
est entré que pour voire salut , il faut que
vous croyiez qu'il suffit qu'il ait souffert tout
seul, et que, sans prendre de part à ses souf-
frances,c'est assez de croire en lui pour êlre
sauvé. Si vous êtes dans ce sentiment , vous
n'êtes point ses disciples ; car toute sa doc-
trine et toute sa loi enseignent le contraire ,
et nous pressent de prendre part à ses souf-
frances pour en avoir à la gloire et au salut
qu'il nous a acquis en souffrant. Si donc
vous croyez qu'il faille souffrir avec lui ,
qu'il est un original et un exemplaire dont
chaque chrétien doit être la copie , comme
dit son Apôtre (Nous sommes cohéritiers de
Jésus-Christ, pourvu toutefois que nous souf-
frions avec lui, afin que nous soyons glorifiés
avec lui, et nous devons être conformes et
parfaitement semblables à lui dans l'état de sa
mort : «Confiqnratus morti ejus:» voilà notre
religion et notre foi) , approchez-en la co-
pie, et faites-en la comparaison. Considérez,
chrétiens , le rapport qu'il y a entre Jésus-
Christ et vous, mais souvenez-vous que c'est
se moquer de Jésus-Christ , que c'est s'abu-
ser soi-même , que de prétendre arriver à la
gloire éternelle par l'amour du repos , des
délices et des honneurs de cette vie ; que
659
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
6G0
c'est ressembler à celle malheureuse popu
lace qui lui insultait il n'y a qu'un moment.
Vous lui rendez des nommages de la langue
en l'appelant votre Dieu et voire Roi , et
vous le déshonorez en effet en menant une
vie tout opposée à celle dont il vous a donné
l'exemple : Dicebant : Ave, rex Judœorum.
Enfin c'est inutilement que Pi la te fait des
efforts pour gagner l'esprit du peuple, s'il
n'en fait sur son propre cœur pour le forti-
fier contre les vues de son intérêt et de son
ambition, cl pour se livrer tout entier aux
devoirs de sa charge et à l'amour de la jus-
tice et de la vérité. Car, voyant que le bruit
du peuple augmentait (t qu'on commençait
à y mêler les intérêts de César, à le mena-
cer de la cour : Si hune dimittis, non es
amicus Cœsaris, le simple soupçon d'infidé-
lité, cette idée de devenir suspect à César,
l'oblige de leur abandonner le Sauveur et de
conseutir à sa mort. Il succombe sous ces
paroles fatales comme s'il eût été frappé d'un
coup de foudre : l'innocence de Jésus-Christ,
l'amour pour la justice, le soin de son hon-
neur, celui de son autorité, tout s'évanouit
en un instant; il ne songe plus qu'à Tibère,
le plus jaloux de tous les hommes ; à la ma-
lice des Juifs, qui l'accuseraient devant ce
prince d'avoir sauvé la vie au roi des Juifs,
et à sa fortune, qui courait beaucoup de ris-
que dans cette occasion : Non es amicus
Cœsaris.
Voilà , mes frères, jusqu'où le respect hu-
main, la crainte du siècle, les vues de la fa-
veur et les désirs de la fortune , conduisent
un juge ambitieux ou avare. Erudimini,qui
judicatis terram : Instruisez-vous sur cet
exemple, vous qui êtes commis pour rendre
la justice, pour protéger l'innocence et pour
souienir la vérité. Que cette parole fou-
droyante qui abat Pilate : Si hune dimittis,
non es amicus Cœsaris, vous fasse trembler,
vous qui devez rendre compte à Dieu de \ s
jugements; terrible parole : Si vous faites
autrement, vous ne serez pas ami de César!
En vain laveriez-vous vos mains devant le
peuple ; en vain prétendriez-vous rejeter
sur les autres l'injustice que vous auriez
commise; en vain allégueriez-vous la faveur
et la puissance qui vous y forcent, ceux qui
vous y contraignent sont très-coupables ,
mais vous qui leur obéissez, vous n'êtes pas
innocents; car le Sauveur dit à Pilate, non
pas qu'il était innocent, mais que celui qui
l'avait livré à lui avait commis un plus grand
péché. Juges de la terre, le temps viendra ,
et vous serez jugés : Erudimini, qui judicatis
terram.
Voilà donc le Sauveur livré à la mort, sa
sentence sera bientôt exécutée; et nous al-
lons être témoins de ce qui se passera sur
le Calvaire : c'est le sujet du troisième poiul.
TROISIÈME PARTIE.
Nous ne nous arrêterons pas au détail de
ce qui se passa dans cette dernière circon-
stance de la passion ; car, nies frères, il faut
la regarder comme le renouvellement de
toutes les douleurs de Jésus-Christ, comme
la consommation de son sacrifice, et comme
une courte représentation de toutes lea a '-
mirablei vertus dont il nous a donné l'i tem-
ple dans le cours de sa passion. 11 sort de
rusalcm pour aller au Calvaire, à peu pi
comme il sortit du jardin pour aller .1 Jéru-
salem, c'est-à-dire, traîné par des soldats, in-
sulté par le peuple, méprisé et moqué par la
populace, mais conduit par son amour. li
est chargé du fardeau de sa croix, il ne se
trame qu'un seul homme qu'on oblige par
contrainte à le soulager, et il se voil aban-
donné de tout le monde dans ce moment,
comme il s'est vu délaissé de tous ses disci-
ples lorsqu'on l'a arrêté dans le jardin des
Olives.
C'est un étranger qui porte la croix pour
le soulager, et qu'on contraint à le faire.
Sur qui, ô mon Dieu ! versez-vous vos mi-
ricordes ! qui choisissez-vous pour porter
votre croix ! Faites que je sois cet étranger.
Vous allez seul au Calvaire, c'est assez;
nous ne voulons que vous, et nous ne vou-
lons point reconnaître d'autres maîtres que
vous ; nous ne voulons point d'autre victime,
et nous n'en pouvons point avoir d'autre ;
nous n'avons vu que vxms sur le Thabor,
nous ne voulons voir que vous sur le Cal-
vaire. Il est vrai qu'il trouve sur son chemin
de saintes femmes qui paraisscnl touchées
de ses douleurs et qui versent d s larmes de
compassion; mais, bien loin que ces larmes
le consolent , elles furent pour lui un nou-
veau sujet de douleur; car il voyait dans
leur compassion l'image de celle dont la
plupart des chrétiens seraient touchés , de
cette douleur qui, n'étant que purement na-
turelle, n'irait qu'à faire verser quelques lar-
mes, et qui passerait avec la vue de la per-
sonne souffrante et avec la mémoire de ses
douleurs, sans les engager à prendre part à
ses souffrances et à entrer dans la pratique
des vertus dont il leur avait donne l'exemple
en les supportant. Enfin il arrive au Cal-
vaire, et, voyant le lieu où il devait achever
son sacrifice, sa croix exposée par terre
comme l'autel sur lequel il devait être offert,
et ses bourreaux, qui se préparaient à l'y
attacher, il s'offre tout de nouveau à sou
Père éternel , il se regarde à l'égard de son
Père comme chargé de tous les M élus des
hommes, et qu'ainsi tous les supplices, tous
les mauvais traitements et la mort même lut
sont dus.
Il ne demande point en celte occasion que
le calice passe, quoique l'heuredele bure >oil
venue. S'il a voulu par 1 consoler les laibles
dans le commencement de sa passion, il .1
voulu à la fin nous apprendre qoelh 1
le chrétien recevrait de l'attachement à la
volonté de Dieu, comment il ne devait regar-
der qu'elle dans toutes les souffrances, el
qu'il fallait mourir en souffrant ou dans le
désir de souffrir, pour être du nombre do
ses disciples et pour eu recevoir les récom-
penses. On le dépouille donc de sa robe pour
l'exposer sur la croix, et toutes ses pi.
se renouvelèrent; car, comme son corps
avait été entamé par les coups de la flagel-
661
SERMON POUR LE VENDREDI SAINT.
G62
lation, la laine de sa robe était entrée dans
ses plaies, et le sang qui l'y avait attachée
s'étant figé dessus, avait fait comme une es-
pèce de liaison entre celte laine et la chair ;
c'est ce qui renouvela cruellement toutes ses
plaies, quand il la fallut rompre. On l'atta-
che à la croix en lui perçant les mains et les
pieds. Il faut se représenter les tiraillements,
les secousses, les ébranlements de cette
croix, avec lesquels le Sauveur fut élevé de
la terre; et après y avoir élé élevé, tout est
consommé : Consummalum est. La justice du
Père est satisfaite, l'iniquité des hommes ne
peut monter plus haut, il n'y a rien au-des-
sus du déicide, et l'amour de Jésus-Christ ne
peut aller plus loin. Mais il faut admirer sa
patience, car il ne dit pas une parole de
plainte, et il ne regarde que son Père.
Mon Dieu, dans de petites douleurs souf-
frons-nous sans nous plaindre, et, dans de
légères afllictions qui nous arrivent, ne re-
gardons-nous que Dieu, qui les permet pour
notre salut, sans nous plaindre des hommes
de qui il se sert pour nous les faire sentir?
Enfin après avoir reçu un cruel renouvel-
lement de tous ses maux en les contemplant
dans le cœur de sa mère et de son disciple,
où l'amour et la compassion les avaient gra-
vés, il jeta un cri qui marquait la force de
sa charité et la consommation de son sacri-
fice : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-
vous abandonné? Ce cri, dit saint Cyrille,
fut une adoration de Jésus-Christ envers son
Père; ce fut une prière pour attirer sa misé-
ricorde sur les hommes, comme s'il eût dit :
Souvenez-vous que vous m'avez abandon-
né; vous devez, ô mon Dieu ! par le sacrifice
que je vous offre, vous être apnisé, et lever
de dessus les hommes la malédiction dont
vous les avez frappés. Tout couverts du sang
que j'ai versé, vous ne verrez plus en eux
les iniquités qui les rendaient dignes de vo-
tre colère. Ces dernières paroles ont été
prononcées par Jésus-Christ comme prêtre,
dans le dessein d'apaiser son Père et d'ob-
tenir pour les hommes le fruit de son sacri-
fice. Elles ont du rapport avec celles qu'il
prononça en commençant l'œuvre de sa pas-
sion : Ut cognoscat mundus quia diligo Pa-
trem ; et ainsi c'est l'amour qui achève ce que
l'amour a commencé. O cri de Jésus 1 qui
frappez le cœur du Père éternel, qui désar-
mez sa justice, qui réparez sa gloire; cri de
Jésus, qui brisez les pierres, qui ouvrez les
tombeaux, et qui ressuscitez les morts, pé-
nétrez la dureté de mon cœur, tirez-le de son
assoupissement, appliquez-le à considérer,
à adorer, à aimer, à imiter un Dieu mou-
rant. Ah ! mes très-chers frères, pourrions-
nous voiries preuves de cet amour sans en
être louches 1 L'Evangile nous dit qu'après
que les Juifs l'eurent attaché à la croix,
s'étant assis, ils le regardaient : Sedenles
servnb'ml eutn. Serons-nous comme ces sol-
dats auprès de l'autel où l'Agneau sans lâche
s'immole à son l'ère éternel, sans prendre
! artâ un sacrifice qu'il offre pour nous, et
où nous devons êlrc victimes avec lui si nous
désirons d'en recevoir le fruit ?
Il faut donc, si nous voulons n'être pas du
nombre de ceux qui ne regardent l'œuvre de
la passion qu'en passant, et qui l'oublient
dès que le récit en est fait, il faut que nous
fassions réflexion, non-seulement sur le sa-
crifice que Jésus a offert et sur les peines
qui l'ont accompagné, mais sur les vertus
qu'il a pratiquées en l'offrant et sur les
exemples qu'il nous en a donnés. Il faut
sortir d'ici, mes très-chers frères, effrayés,
consolés et instruits.
La vue de la croix doit nous effrayer : Si
le bois vert a été traité de cette manière, de
quelle façon traitera-t-on le bois sec ? Voyez
ce que c'est que le péché; formez-en une
idée sur les effets qu'il produit en Jésus-
Christ innocent, et jugez ce que doit atten-
dre le chrétien qui s'y livre. La vue de la
vertu du sang qui est répandu doit nous con-
soler, quelque profondes que soient nos
plaies. La vue des verlus que Jésus-Christ a
pratiquées dans le cours de ce sacrifice de sa
passion doit nous instruire ; mais il faut
prendre part uses souffrances : nous n'au-
rons point de part à l'héritage, si nous n'en
avons à ses souffrances. Nous venons de les
représenter comme un torrent, selon ce que
dit le Prophète : Il boira dans le chemin de
l'eau du torrent : De lorrente in via bibet ; il
faut boire de l'eau de ce torrent. Nous som-
mes héritiers d'un Dieu mort en croix, il
faut mourir sur la nôtre.
La vue de son sacrifice et de ses peines
nous doit faire adorer avec frayeur et avec,
tremblement la justice souveraine de Dieu :
car, après tout, s'il a traité de la sorte son
Fils même pour des péchés qu'il n'avait pas
commis, comment trailera-t-il les méchants
qui continuent à l'offenser tous les jours? Ah !
mes fr;res,que la vue de cette justice si ter-
rible gardée envers le Fils de Dieu devrait
nous donner d'horreur pour le péché! 11 faut
avouer que la plaie en doit donc être terri-
blement profonde, puisque pour la guérir il
a fallu un si étrange remède. Le Fils de Dieu
l'a composé de son propre sang, dit saint
Augustin; mais, comme vous sa\ez que l.'s
remèdes neservent de rien si on ne les prend,
celui-ci nous sera inutile si nous ne le pre-
nons pas. 1 1 faut, mes frères, boire dans ce
calice du Fils de Dieu, pour ressentir les ef-
fets du remède qui y est renfermé, c'est-à-
dire qu'il faut souffrir et prendre toutes les
peines, toutes les contradictions , toutes les
perles, toutes les maladies, toutes les mi-
sères dont la vie est pleine, en esprit d'union
avec les souffrances du Sauveur; c'est pour-
quoi je vous ai dit qu'il ne fallait pas sépa-
rer ses peines de ses vertus, qu'il souffrait
les unes pour satisfaire à son Père éternel
pour nous, et qu'il exposait les autres à nos
ycu ^ pour nous apprendre à souffrir avec
lui et comme lui. Car, comme dit saint Ber-
nard, il ne font pas craindre qu'un Dieu ne
paisse pas renu tire les péchés, ou qu'un Pieu
mort pour expier les péchés ne veuille pas user
de bonté et de clémenre envers les pécheurs;
mais c'est à condition que nous imiterons
ees exemples; et nous y sommes d'ailleurs
C6r,
Oit Aï I \CIŒS. F)OM JEROME.
obligés, n'étant ni incrédules pour ne p;is
croire .1 ses paroles cl à son sang, qui nous
assurent foriemeol «le son amour pour nous,
ni ingrats pour ne pas reconnaître les preu-
\ i ■ r il noas en a données.
Grand Dienl qui venez de faire et de souf-
frir lanl de choses pour nous, achevez, et
donnez-nons la grâce de recevoir le fruit de
vos souffrances et de suivre l'exemple de vos
vertus, afin que nous recevions le fruil de
votre sacrifice et la grâce de vous imiter
dans les vertus qui l'ont accompagné, pour
mériter la récompense éternelle, que je
vous souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE JOUR DE PAQl ES.
Caractères d'une vraie conversion, marqués
dans la résurrection de Jésus-Christ.
Surrexit vere.
Jésus-Christ est vraiment ressuscité (Luc, XXIV, 34).
Voilà, mes frères, ce que l'Eglise peut as-
surer de Jésus-Christ avec amour et avec
reconnaissance. Il est sorti du tombeau le
troisième jour, ainsi qu'il l'avait prédit; et
ce fait, d'où dépend la vérité do christia-
nisme, est établi sur des preuves si incontes-
tables, qu'il n'est aucun point aussi évi-
dent que cet article fondamental de notre
foi.
Mais pourrions-nous avancer avec la
même confiance qu'une conversion réelle et
sincère nous a retirés de l'état rie mort où
le péché nous avait ensevelis? L'Eglise, en
célébrant par des cantiques de joie le triom-
phe de son époux, n'a-t-elle point lieu de
s'alarmer sur le sort de plusieurs de ses
membres? et, dans l'heureuse solennité qui
nous rassemble, peut-on dire de chacun
d'entre nous comme de Jésus-Christ : Il est
vraiment ressuscité : Surrexit vere.
Tour en juger, mes frères, voyons si tout
ce qui établit la résurrection de noire chef
s'accorde à justifier la vérité de notre con-
version.
Or, 1° comme nous trouvons des preuves
évidentes de la vérité du mystère que nous
célébrons, en considérant que Jésus-Christ
n'est plus dans le tombeau, qu'il y a laissé
tout ce qui appartenait à sa vie mortelle, et
qu'il en est sorti plein de gloire, ayant re-
pris une vie nouvelle; de même, en faisant
attention aux sentiments de notre cœur,
nous devons juger que le péché n'existe plus
en nous, et qu'il n'y a plus rien au dedans
de nous qui tienne de la mort : ce sera là ie
sujet de la première partie.
2° Si le témoignage authentiquée! irrépro-
chable que les apôtres rendent à l'étal glo-
rieux où ils ont vu leur maîlre, ne permet
plus de douter qu'il ne soit ressuscité , noire
conduite doit èlre assez édifiante pour en-
gager les fidèles à glorifier Dieu du change-
ment que sa grâce a opéré en nous : ce sera
la deuxième partie.
Enfin, comme les artifices delà Synago-
gue n'ont servi qu'à rendre plus incontes-
table l'événcmenl auquel elle voulait s'op-
poser, tout ce que l'enfer et le monde peu-
vent tenter pour rendre noire converti) n
incertaine doit contribuer a nous affermir
dans le règne de la \ertu : ce sera la troi-
sième partie.
Efl deux mots, le mystère de la réfWfWa
tion renferme un miracle qu'il faut croire
et un exemple qu'il faut imiter; et, comme
l'incrédule doit se rendre à ce qui prouve
que Jésus-Christ est ressuscité, les preu-
ves que nous devons donner de notre
conversion doivent être si décisives, que
l'on ne puisse en douter. C'est tout le
sujel de ce discours. Implorons les lumières
de l'Esprit-Saint, en nous adressant à .Marie.
Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Nous trouvons dans la résurrection du Sau-
veur du monde trois circonstances qui nous
en démontrent la vérilé, et qui | cuvent nous
servir de règles pour juger si la nôtre est
sincère. La pierre qui en lermail l'entrée est
arrachée, des anges occupent la place où
Jésus-Christ avait été mis , enfin tout ce qui
avait servi à l'ensevelir est reblé dans le sé-
pulcre, où son corps n'est plus : tout cela
prouve qu'il esl sorli glorieux du tombeau.
En effet, qui aurail ouvert un sépulcre
taillé dans un roc, dans lequel on ne pouvait
se ménager aucune entrée ? Aurail-ce été
les saintes femmes ? Mais elles n'espèrent
point pouvoir ôler la pierre qui le fermait :
comment eussent-elles donc été capables de
tenter une teile entreprise.' comment, pen-
dant le silence de la nuit, sans secours, sans
force, réussiront-elles à arracher une pierre
qu'elles conviennent ne pouvoir remuer :
{Juis nobis revolvel lapidem ? et à pénétrer
dans un rocher qu'environnait une garde
que l'on y avait posée? Est-il possible de
concevoir que quelques femmes, à la vue
d'une Iroupe de soldats ennemis, exécutent
un complot qu'à peine elles auraient pu ten-
ter quand il n'y aurail point eu d'aulres ob-
stacles que ceux que renfermait l'entreprise
en elle-même ?
Dira-t-on que les apôtres, en arrachant
celle pierre, s'ouvrirent une entrée dans le
tombeau de Jésus-Christ? Mais ils n'y du-
rent qu'après celles qui ne l'avaient plus
trouvé fermé. Et comment auraient-ils osé
exécuter un projet si hardi? (Juel temps
choisir pour cette entreprise? Le jour les
exposait à être aperçus ; et, si c'eût été pen-
dant la nuit, le bruit qu'ils eussent fait au-
rait sans doute éveillé les soldats. Non. on
ne s'imaginera jamais que de pamres pé-
cheurs, abandonnant leurs filets pour suivre
Jésus-Christ, et pouvant à peine se procu-
rer le nécessaire, ont pu engager par des
présents les soldats des Juifs à leur permet-
tre d'enlever le corps de Jésus-Cnrisl. Et, si
les apô. resont saisi le moment qu'ils étaient
endormis, qui peut attester ce lail . comme
le dit si bien saint Augustin '.' Sont-ce les sol-
dais? M lis, s'ils dormaient, peuvent-ils sa-
voir ce qui se pass.i pendant leur sommeil?
cl, s'ils s'en sonl aperçuseianl éveilles, com-
065
SERMON POUR LE
nient ne se sont-ils pas opposés à ce qu'on
enlevât ce qui était dans le sépulcre?
D'ailleurs, peut-on, avant la résurrection,
porter plus loin la faiblesse, la timidilé, la
simplicité, disons même la lâcheté, que les
apôtres ? La frayeur les avait dispersés et
réduits à se cacher; ils avaient abandonné
Jésus-Christ pour ne point s'exposer à par-
tager ses opprobres en s'avouant ses disci-
ples; et, dès que Jésus-Christ est mort, on
veut trouver en eux un courage étonnant et
une prudence admirable ; ils conduisent avec
intrépidité une entreprise si délicate, sans
craindre d'être découverts dans le projet ni
dans l'exécution ; ils agissent avec tranquil-
lité, comme si le tombeau n'était pas en-
touré de gardes, et au risque d'être décou-
verts ; ils entrent dans le sépulcre sans pré-
cipitation, ils ôtent les linceuls, et ils re-
plient le suaire du Sauveur ! L'irréligion ne
rougira-t-elle jamais donc, mes frères, d'un
système aussi opposé aux lumières de la rai-
son ? Car, supposons que les apôtres ont
passé de la faiblesse et du découragement
à l'intrépidité la plus marquée, supposons
que le succès a entièrement répondu à leur
courage, on ne peut former ni exécuter de
tels projets sans y être engagé par des mo-
tifs réels, et il faut au moins que l'utilité
égale les hasards qu'on court pour accom-
plir ses desseins.
Or, mes frères, quel avantage les apôtres
trouvaient-ils à enlever le corps de Jésus-
Christ?Quel prix pouvaient-ilsatlendredeleur
imposture? Dès que leur maître ne ressuscitait
pas, ils voyaient qu'il les avait trompés dans
touîes ses promesses : comment concevoir
qu'ils se seraient vengés d'une telle séduc-
tion en cherchant au péril de leur vie à abu-
ser tout l'univers en faveur d'un traître? Et
quel intérêt les engageait à supposer une
résurrection qui, dès qu'elle n'était point
réelle, ne leur laissait pour partage que la
honte, les supplices et les remords ?
Mais quelle consolation pour nous , et
quelle reconnaissance ne devons-nous pas à
notre Dieu de nous distinguer des incrédu-
les et de nous avoir mis à portée de connaî-
tre que tout s'accorde à justifier ce que l'E-
vangile nous apprend de la résurrection du
Fils de Dieu? Oui, mes frères, celui que la
mort avait asservi à son empire a brisé ses
chaînes, et il est ressuscité conformément à
ses promesses.
En descendant du ciel, il s'était chargé de
nos infirmités et de nos crimes, et, enrentrant
dans le sein de sa gloire, il a laissé dans le
sépulcre cet appareil de faiblesse et de mort
dont il s'était revêtu, il a triomphé du péché.
Qu'avec notre Sauveur vainqueur du tom-
beau renaissent notre espérance et notre sa-
lut; et si Dieu, selon ses promesses, n'a point
laissé son Christ dans la mort, que l'éclat
qu'il répand en ce jour sur lui nous reponde
que tout ce qui est en nous de corruption
sera détruit cl que nous serons associés à sa
gloire.
Cependant, mes frères, ne nous flattons
point ici. Comme vous avez peut-être vu Jé-
JOUR DE PAQUES. 6G6
sus-Christ expirer sur la croix sans y mou-
rir avec lui au péché qu'il y a détruit, peut-
être aussi le voyez-vous ressusciter sans être
sensibles à la joie de pouvoir recouvrer avec
lui la vie. Effrayés des difficultés qui s'op-
posaient à votre conversion, n'avez-vou3
point demandé comme ces femmes incertai-
nes et timides : Comment pouvons-nous
vaincre tant d'obstacles qui s'opposent à no-
tre salut: Quis revolvet lapident ? N'avez-
vous point été alarmés à la seule idée qu'il
fallait renoncer à des plaisirs séduisants, dé-
truire un penchant criminel et fortifié par
l'habitude, enfin éprouver la honte qui ac-
compagne l'aveu du péché?
Combien de fois , ne voulant pas même
vous donner la peine d'espérer, et ne sou-
haitant que faiblement un pardon si souvent
offert et toujours négligé, combien de fois
vous êtes-vous contentés de nous dire : Je
voudrais, mais je ne puis me convertir?
Quoique je fasse des efforts pour me vain-
cre, un penchant supérieur m'entraîne.
Mes frères, avec de tels sentiments, que
votre conversion est éloignée ! vous voudriez
vous convertir, mais vous ne vous nourris-
sez que de ce désir; et quoiqu'il soit infruc-
tueux, vous vous reposez en lui, parce qu'il
paraît supposer en vous de la vertu. Les dif-
ficultés ébranlent votre prétendu courage;
vous avez su tout entreprendre pour vous
perdre, vous ne pouvez rien tenter pour
vous sauver. Si vous étiez pénétrés d'une
vive douleur d'avoir perdu Jésus-Christ,
comme Marie, vous n'apercevriez les diffi-
cultés que pour vous appliquer à les vain-
cre; et, quelque laborieuses qu'elles vous
parussent, dès qu'on vous ouvrirait les voies
de la pénitence par lesquelles vous pouvez
retrouver le Dieu dont vous vous êtes séparés
par la mort du péché, sans penser à votre
faiblesse et aux travaux qu'il faudrait entre-
prendre, vous ne seriez occupés que du dé-
sir d'être réunis à votre Dieu : Et ego cum
tollam.
Il en coûte, dites-vous, pour vous conver-
tir. Comment parvenir jusqu'à Jésus-Christ
au milieu d'un monde qui veille toujours sur
nous pour nous en éloigner? Comment vain-
cre la chair et le sang, étouffer les passions
et tous les sentiments qui laissent notre
cœur fermé à la grâce : Quis revolvet lapi-
de m ?
Oui, mes frères, il en coûte, mais venez
vous jeter aux pieds de Jésus-Christ. Ses mi-
nistres, animés comme l'ange du ciel et sou-
tenus par la vertu de l'Esprit-Saint, l'arra-
cheront celte pierre, ils renverseront ce mur
de séparation que l'iniquité éleva entre vous
et Dieu : Et invenerunt lapidem revolutum ;
et vous verrez que, comme les soldats des
Juifs furent effrayés, de môme vos passions
cl les puissances de l'enfer seront confon-
dues. De leur trouble naîtra la paix dans
votre cœur, leur confusion sera votre véri-
table gloire, et Dieu, par le témoignage d'une
conscience irréprochable, vous ouvrira le
sanctuaire où vous trouverez Jésus-Christ
r-07 ORATEURS SACHES. DOM JF.ROMI
ressuscite pour vous : Invenerunt lapidcmre- inorls, c'est-à-dire
voiHlwn.
Il en coûte, je l'avoue, pour parvenir jus-
qu'à lui : les liens qui nous attachent au
< rime sont puissants, et ce sérail s'abuser
que de croire qu'on poisse aisément surmon-
ter ses passions et triompher du monde el de
soi-même. Cependaul rien n'est plus impor-
tant que de savoir où l'on en est sur cet
article. Vous vous croyez convertis; mais
est-elle donc ôlée en elTet cette pierr e de
scandale qui vous a si longtemps privés de
la présence de votre Dieu ? Serait-ce par
une confession faite sans examen, quelque-
fois sans sincTrilé et presque toujours sans
repentir? Serait-ce par une communion dont
vous vous seriez acquitté! par habitude ou
par respect humain? Serait-ce enfin par une
piété extérieure qui passe avec la solennité
qui l'occasionne? piéle périodique qui vous
f ut recevoir tous les ans dans ce saint temps
le Dieu que vous n'offensez pas moins dans
la suite; piété qui suspend tout au plus vos
passions pendant quelques moments sans
les détruire; piété de bienséance sans vertu,
piété sans conversion, pieté qui peut en im-
poser aux hommes, nous tromper et vous
séduire vous-mêmes ; piété en un mot qui,
laissant subsister le vice, rassemble bien des
chrétiens au tombeau de Jésus-Christ sans
leur faire éprouver les effets consolants
d'une véritable résurrection.
En elïct, peut-on dire de vous comme de
Jésus-Christ : 11 n'est plus dans le sépulcre:
non est hic? Avez-vous reçu une nouvelle
vie? étes-vous devenus une nouvelle créatu-
re? le levain du vieil homme ne domine-t-il
plus en vous ? et, comme votre chef, qui
après sa sortie du tombeau n'a plus vécu en
homme mortel, les biens avenir forment-ils
seuls l'objet de vos vœux? Pour en juger,
opposez ce que vous fûtes avant votre con-
version à ce que vous êtes aujourd'hui. Si ,
livrés à la tyrannie de vos passions, vous
vous plaisiez dans tout ce qui pouvait les
satisfaire, morts au péché et à vous-mêmes,
fuyez-vous avec soin tout ce qui peut vous
être une occasion de chute? A ivaut au gré
de vos désirs, l'inutilité absorbait tout le
temps que vous ne consacriez point au
crime ; une vie sérieuse et d'occupation,
conforme aux devoirs de votre état, remplit
elle maintenant tout votre temps? Si vous
sacrifiâtes Jésus-Christ au monde, étes-vous
maintenant crucifiés au monde pour Jésus-
Christ? Âiéprisez-vous tout établissement
qu'il faudrait acheter au prix de la vertu, de
la religion et de la piété? Ne connaissez-
vous de véritable honte que celle qui
accompagne le péché? Faites-vous dépendre
votre seule gloire de suivre tout ce que vous
dicte une conscience libre des préjugés du
monde? En un mot n'est-ce plus Le vieil
homme, mais Jésus-Chrivi ressuscité qui vit
en vous?
En vain croirions-nous, mes frères,
sortis du péché, si nous restons as ce sécurité
liant tout ce qui peut nous y conduire. 11
laul laisser aux morts le soin d'ensevelir les
qu'il faut laiss r le
monde el tontes iei bienséances, pour être
Uniquement à notre Dieu. Si la pr.!
| lirisl nous fait passer de la morl a
une vie vraiment chrétienne, quel cli
ment intérieur n'a pal dû emporter av
elte rénovation ? Nous devons détester tout
ce qui a pu nous séduire, aimer ce qui nous
a paru jusqu'ici pénibleel mortifiant, cfa
de pensées, de désirs el d'actions, en un mot,
tout iio.t être en nous diamétralement oppo-
sé à notre premier état.
Avouons-le, mes frères, celle rénovation
est encore imparfaite. Nous sommes peut-
être changés, mais le sommes- nous en tout
comme Jc-us- Christ ? Dépouillant toutes les
marques de notre mortalité, le doigt de Dieu
est-il marqué dans chacune de nos œu\
Nous sommes changés, c'est-à-dire qu'un
vire plus délicat a succédé à un autre plus
grossier que nous avons détruit. Nous som-
mes changés, c'est-à-dire que nous sommes
moins livrés à nos passions , quoiqu'elles
subsistent encore. Nous sommes changés,
c'est-à-dire que, ne trouvant plus d'attraits
dans un ptnchanl devenu insipide par l ha—
bitude,!e goût de la nouveauté nous a fait
varier dans nos inclinations sans changer le
fond de notre cœur.
Mais, quand même nous nous serions re-
vêtus de Jésus-Christ pour quelque temps,
dès que notre faiblesse nous laisse exposesà
rentrer dans le tombeau, pouvons-nous dire
que nous sommes parfaitement conformes à
notre chef ressuscité? Car la mort n'a plus
d'empire sur lui dès qu'il en a triomphé une
fois ; il prend une vie qu'il ne doit plus per-
dre. 11 a laissé dans le tombeau des vête-
ments qui ue sont plus d'aucun usage pour
celui qui règne à jamais dans le sein de la
gloire ; et nous, quoique vivants peut-être,
nous conservons encore des rétements île
mort, comme Lazare en sortant du sépulcre.
Nous sommes ensevelis dans notre linceul,
la lumière brille à nos yeux avant que le
bandeau qui les couvre ail été ôié, el nos
mains impuissantes restent liées lors n
que la liberté, si nous le voulions, pourrait
nous être rendue.
Est-ce donc là, mes frères, ressusciter
comme Jésus-Christ, et pouvons-nous ap-
peler conversion véritable un changement
unpaifait qui nous laisse réellement, pour
le fond du cœur et des inclinations, dans le
même étal ï Que sert de se relever quand on
ue fait que des pas chancelants qui annon-
cent une nouvelle chute el une seconde
mort plus funeste que la première î Que cette
langueur et celte faiblesse avec laquelle
nous nous prétons à la vertu nous annonce
que nous sommes près de retomber dan- la
morll Mais, quand en effet nous serions sor-
lisdnpéché et ressuscites à Jésus-Cbrist par
une i onv ersion stable et sincère, en d unons-
nous cornu e lui des preuves asseï écl t intes
par noire coi.duùe pour engager nos frères
à glorifier Dieu du changement que a grâ-
ce a opère dans nos cœurs? c'esl-le sujet de
la deuxième parlic.
069 SERMON POUR LE
DEUXIÈME PABTIE.
Le témoignage des apôtres ne forme une
preuve incontestable de la résurrection de
Jésus-Christ qu'autant qu'ils n'ont pu trom-
per ni être trompés dans tout ce qu'ils ont
assuré de cet événement. Ils n'avaient aucun
intérêt à en imposer à tout l'univers au pé-
ril de leur vie; ils ne se seraient jamais
accordés à tenir le même langage ; la crainte
des supplices, !a mort même leur aurait fait
désavouer ce qu'ils avaient d'abord osé avan-
cer ; et on ne peut s'imaginer que des hom-
mes soient assez livrés au mensonge pour
mourir martyrs d'une opinion dont l'impos-
ture leur est connue, sans aucun intérêt, et
même en renonçant à tous les plaisirs et à
tous les biens de la fortune.
Pour nous, nous avons la consolation de
voir un nombre prodigieux, de témoins de
tout âge, de tout sexe, de tout pays, de tout
état, attester ce fait jusque sur l'échafaud, où
tous sans exception en ont scellé la vérité de
leur sang, sans qu'aucun se soit démenti. Or
il est évident qu'ils ne parlent et n'agissent
ainsi que par conviction; car, si l'on peut
être assez fourbe pour tromper volontaire-
ment les autres, on n'est jamais assez in-
sensé pour se tromper soi-même en sacri-
fiant ce qu'on a de plus cher, ses biens, sou
honneur, ses plaisirs, la vie même, à la folle
envie d'accréditer une fable dont on connaît
toute la fausseté; et, quelque incroyable que
notre mystère fût en lui-même, les apôtres,
sans art, sans brigues, sans crédit, en ont
donc établi la vérité sur des fondements iné-
branlables.
Mais si les apôtres n'ont pas voulu trom-
per, ils n'ont pu eux-mêmes être séduits
après toutes les apparitions de Jésus-Christ:
apparitions nécessaires , et sans lesquelles
la résurrection aurait pu paraître incertaine;
mais apparitions qui par leurs circonstan-
ces ne permettent plus d'en douter.
En effet, mes frères, Jésus-Christ avait
prédit qu'il ressusciterait, et cependant les
saintes femmes n'étaient pas moins désolées
de sa mott, il ne leur restait de consolation
que de s'acquitter du triste devoir d'embau-
mer un corps qu'elles s'imaginaient voir
bientôt devenir la pâture des vers. Les dis-
ciples s'étaient dispersés comme des brebis
qui s'égarent dès qu'elles ont perdu le pas-
teur qui les conduisait, et les Juifs restaient
en droit de nier la résurrection. Ils auraient
prétendu que Jésus-Christ avait été enlevé
par ses disciples, ces disciples eux-mêmes ne
méritant qu'une faible croyance sur un fait
dont ils savaient point été témoins, et que
plusieurs d'eux traitaient même d'illusion,
à moins que leurs propres yeux cl leurs
mains n'en eussent été frappés. Sans ces ap-
paritions, Jésus-Christ quoique ressuscité ne
se trouvait donc plus vainqueur de la mort.
Ainsi, mes frères, en vain seriez-vous con-
vertis si vous ne paraissez l'être. Ne croyez
pas qu'il suffise d'avoir annoncé que vous
voulez changer de vie, et d'eu changer en
effet en particulier ; il faut que votre retour
JOUR DE PAQUES. 670
à Dieu éclate aux yeux de ceux qui ont
pleuré vos chutes, et vous devez donner aux
justes la consolation de leur apprendre,
comme l'ange, qu'ils ne doivent plus vous
chercher parmi les morts, puisque vous re-
vivez à Jésus-Christ.
Le monde vous compte toujours pour ses
esclaves tant que vous ne déclarez point ou-
vertement que vous avez secoué son joug
pour ne vous asservir qu'à Jésus-Christ. Jé-
sus-Christ est ressuscité en vous par le bien-
fait de votre régénération, pour que vous
annonciez les merveilles que sa bonté vient
d'opérer en votre faveur. Comme lui, vous
n'êtes pas ressuscites pour vous seuls, mais
pour vos frères ; et comment ceux do Galilée,
c'est-à-dire les pécheurs, ajouteront-ils foi
à votre conversion, si vous ne leur en don-
nez des preuves authentiques par votre con-
duite? Quand même on leur dirait, comme
aux saintes femmes , que vous n'cies plus
dans le tombeau, que vous n'êtes plus li-
vrés au crime, ils regarderaient ces juge-
ments favorables comme de pures illusions,
si par eux-mêmes ils ne voyaient les effets
de ce changement. Vous les avez autorisés
au vice par votre exemple, il faut par votre
vertu les ramener de leur égarement. En un
mot, pour rendre votre conversion stable,
loin de négliger de la faire éclater aux yeux
du monde, il faut être jaloux de paraître
aussi décidés que vous avez été inconstants
et légers, il faut que vous soyez d'autant plus
engagés à persévérer dans le bien que vous
serez réellement sortis du crime; et, puis-
que Jésus-Christ ne doit plus mourir, pour-
quoi voudriez-vous cacher le bonheur dont
vous jouissez? Oui, mes frères, paraissons
ressuscites; mais paraissons-le comme Jé-
sus-Christ, qui par les circonstances de ses
apparitions a mis la vérité de la résurrection
dans une évidence qui ne laisse aucun lieu
d'en douter.
Il s'est montré, non une seule fois ou à
une seule personne, mais aussi souvent, au-
tant de temps et à un aussi grand nombre
de témoins qu'il le fallait pour rendre sa ré-
surrection incontestable. Il s'est montré à
ceux mêmes qui étaient les moins disposés
à croire, et, se prêtant à leur faiblesse, il
leur en a donné des preuves auxquelles leur
incrédulité a ajouté encore une nouvelle
force.
Si uncseule personne avait vu Jésus-Christ
vivant après sa mort, on eût pu dire que l'i-
magination se serait représenté l'ombre d'un
corps qui n'existait plus. Si les disciples ne
l'avaient aperçu qu'une seule fois, ils au-
raient pu croire que ce n'était, comme au
lac de Génézarelh, que le fantôme d'un maî-
tre chéri et toujours présent à leur esprit.
S'ils ne l'avaient vu qu'en passant, on au-
rait pu regarder sa résurrection comme l'ap-
parition de Samuel évoqué par la pylho-
nissc.
Mais si l'imagination d'une personne peut
se tromper, cinq cents hommes tomberont-
ils dans une même illusion? Si les sens peu-
vent être trompés une fois, le seront-ils peu-
an
OKATI I 1RS SACRES. ItOM JEROME
CT2
dani i|uaraut« jours g diverses reprîtes ?
8'accorderoitt-ill à nous séduire en nous fai-
sant voir, toucher, entendre, on bomme qui
parle, qui mange, et qui l'ait sur nous con-
stamment les impressions que nous éprou-
vons tous les jours avec ceux qui vivent
avec nous?
Heureux, mes frères, si ces circonstances,
qui ne nous permettent point de douter de la
résurrection , concouraient à prouver que
notre conversion est réelle! Non elle ne le
paraîtra point, si, tandis que vous vous con-
tentez de montrer une conduite régulière
aux jeux du ministre, qui souvent souhaite
trop que vous pratiquiez la vertu p >ur ne
pas se le persuader peut-être trop aisémeni,
vous la laissez ignorer au reste de vos frè-
res. Klle ne paraîtra point suffisamment, si
vous ne faites gloire d'être à Dieu que dans
une seule occasion, où votre piété ne paraît
que comme une ombre fugitive qui cherche
à se dérober à l'éclat du jour devant lequel
elle s'évanouit. Enfin elle ne paraîtra point
suffisamment, si cette vertu reste stérile en
vous, et si par une conduite suivie, bien plus
que par de simples discours et des projets
imaginaires, vous ne prouvez que c'est Dieu
et non l'homme qui possède maintenant vo-
tre cœur et qui agit en vous.
Si ce Dieu ne s'était montré dans sa gloire
qu'à des disciples faciles à séduire par leur
crédulité, l'incrédulité aurait encore cette
ressource pour douter de la résurrection;
mais le peu de foi de Thomas va la mettre
dans un nouveau jour. Non content de s'en
rapporter aux discours qu'il entend, il veut
toucher ses plaies pour ne point être trompé
par une fausse apparence; il doute, il exa-
mine, il croit enfin, et engage par son exem-
ple ceux qui auraient pu être incrédules
comme lui à céder à la force invincible des
preuves de notre mystère.
De même aussi, mes chers frères, ce n'est
pas aux seuls fidèles qu'il faut paraître res-
suscité, mais à tous ceux qui voudraient en
douter, parce qu'ils ne se trouvent point avec
nous dans les lieux saints où l'on peut voir
Jésus-Christ dans sa vie nouvelle, il faut
comme lui qu'un zèle charitable nous con-
duise parmi eux pour les rendre témoins de
noire changement; il faut, comme lui, pour
remplir la mission que le Père céleste nous
donne, rester dans celle région des ténèbres
où ils habitent, autant qu'il est nécessaire
pour y établir le règne de la vérité et pour les
engagera chercher avec nous une meilleure
patrie: toujours attentifs cependant à ne point
perdre les fruits de notre résurrection, et à
ne point vivre longtemps avec ceux qui ne
veulent point y participer.
Oui, mes frères, pour prix de la grâce que
vous avez reçue, vous devez chercher à com-
muniquer à tant de morts la vie qui vous a
été rendue. Votre exemple peut tout sur eux.
Si la vue de leur crime et de la justice de
Dieu les décourage, la miséricorde que vous
éprouvez ranimera leur confiance, lis ne
pounonl s'excuser sur les attraits du rice,
iuconnus au juste qui les presse d'en sortir.
Vous y avez cédé a ces charmes trompeurs,
et, leur paraissant plus heureux Bpvès avoir
renoncé à ces plaisirs criminels, ils connaî-
tront qu'il est d'autres satisfactions que cel-
les qu on se (latte de goûter dans le. m
et que le vrai bonheur est attaché à la vertu.
Enfin vos incertitudes anciennes, vos anciens
doutes donneront, comme ceux de Didvme,
une nouvelle autorité à votre témoigna.
la mort que vous avez éprou*ée par le pé-
ché ne servira en vous, comme en Jcsus-
Christ, qu'à faire éclater davantage la gloire
de Dieu dans voire résurrection.
Prouvez-nous donc, mes frères, que vous
êtes vraiment morts à vos passions; mon-
trez-nous des signes sensibles qui nous mar-
quent que vous êtes vraiment réconciliés a
Dieu; et vous, pécheurs, qui dans ce saint
temple voyez plusieurs imitateurs de Jésus-
Christ sortant <iu tombeau, ne tentez point
Dieu en demandant de nouvelles preuves de
sa puissance. Rendez-vous comme Thomas,
et reconnaissez-le enfin pour votre Dieu et
voire Seigneur: Deus meus et Dominas
parole d'amour, parole de consécration à Jé-
sus-Christ pour vous, si vous êtes prêts à
tout quitter et à tout entreprendre pour \ ous
rapprocher du Dieu dont vous étiez éloignés
depuis si longtemps; parole enfin de con-
fiance. Oui, tout pécheurs que vous êtes, il
est eii'-ore votre Seigneur, et il veut bien que
vous l'appeliez votre Dieu : Deas meus et Do-
minus meus. Profitez de ce que tant d'exem-
ples édifiants vous inspirent ; cessez d'être
incrédules, et, puisque tous les artifices de
la Synagogue n'ont servi qu'à rendre la ré-
surrection de Jésus-Christ plus incontesta-
ble, que tout ce que le monde peut tenter
pour s'opposer à votre conversion la rende
plus certaine par le triomphe que vous sau-
rez remporter sur les puissances de ténè-
bres : c'est le sujet de la troisième partie.
TROISIÈME PARTIE.
Ce que les Juifs dirent à Pila te après la
mort de Jésus-Christ, et toutes les précau-
tions qu'ils prirent pour f lire garder le tom-
beau forment sans doute de nouvelles preu-
ves de la vérité de sa résurrection : Xous
nous sommes souvenus, disent-ils, que cet im-
posteur s'est vanté lorsqu'il clait encore en
vie, qu'il ressusciterait après trois jours ;
commandez donc que son sépulcre soit gardé,
de peur qu'on ne t'enl vr.
1 Les Juifs avouent que Jésus-Christ avait
prédit qu'il se ressusciterait; et, s'il n'avait
pas eu le pouvoir de se redonner la vie, au-
rait-il par des prédictions si imprudentes
réveillé L'attention des Juifs? Eu leur annon-
çant cet événement, il les engage à prendre
des précautions qui mettent ses disciples
hors d'état de l'enlever; mais un fourbe qui
n'attend le succès de son imposture qu en
échappant à la vigilance de ceux qu'il veut
séduire, loin de les avertir de ce qu'il se pro-
pose, étudie et saisit le moment qu'on n'est
point en garde contre ses entreprises, et dès
là Jesus-Christ, qui annonce aux Juifs que,
comme Jouas sortit après trois jours du sein
67:. SERMON POUR LÉ
d'une baleine, de même il paraîtra sur la
terre, ne leur donnant d'autre preuve de la
vertu par laquelle il opère des miracles
qu'en les assurant qu'il reprendra par sa
propre puissance la vie qu'ils vont lui ôter,
Jésus-Christ, dis-je, parle et agit, de l'aveu
même des Juifs, non en imposteur, mais en
Dieu qui, sûr de son pouvoir, ne craint point
de laisser éclater des projets dont le succès
est inévitable dès qu'il les a formés.
2° Les Juifs prétendent que Jésus-Christ,
étant encore vivant , s'était vanté de ressus-
citer. II était donc mort alors selon eux , et
dès là ils ne peuvent plus supposer qu'il avait
été détaché de la croix avant qu'il fût expiré.
EnQn les Juifs, en obtenant la permission de
faire garder le tombeau par leurs propres
gardes, prouvent qu'alors il n'en avait point
encore été enlevé, et que , ne pouvant l'être
dans la suite à leur insu, s'il ne se trouve
plus dans le sépulcre, sa résurrection est in-
contestable.
Voilà, mes frères, les motifs que les enne-
mis de notre sainte religion nous fournis-
sent eux-mêmes en faveur d'un fait qui en.
est le fondement; car, sans leur fureur
contre Jésus-Christ, on eût pu croire que les
apôtres avaient enlevé le corps de leur maître
et s'étaient ensuite accordés à supposer qu'il
était apparu à eux après sa résurrection ; et
celte supposition aurait été d'autant plus na-
turelle , que Pilate , gouverneur romain ,
n'ayant point pris vivement l'intérêt des
Juifs en cette occasion, paraissant même ne
condamner Jésus-Christ qu'à regret, on au-
rait pu dire , si les Juifs n'avaient pas gardé
eux-mêmes le sépulcre , que les soldats ro-
mains, s'embarrassant peu des querelles de
la Synagogue, auraient négligé de conserver
avec assez de soin un dépôt qui leur parais-
sait de peu de conséquence.
Ce sont donc les soldats mêmes de cotte na-
tion si intéressée à détruire jusqu'à l'appa-
rence de la résurrection , ce sont eux qui
gardent le sépulcre. C'est en leur présence,
à leur vue, devant eux , que Jésus-Christ eni
sort, sans qu'ils puissent s'y opposer ; et,,
par un admirable effet de la Providence, qui
fait servir à l'établissement de la vérité tout
ce que l'erreur peut imaginer pour en obs-
curcir l'éclat, ceux qui étaient les plus inté-
ressés à nier ce fait sont les premiers té-
moins qui déposent en sa faveur: témoi-
gnage bien moins suspect que ne l'eût été
celui des seuls apôtres ; témoignage qui ne
peut être éludé par celui que les Juifs arra-
chent à prix d'argent ; témoignage qui a mis
notre mystère dans un si grand degré de cer-
titude , que le plus grand ennemi du chris-
tianisme, Julien l'Apostat, n'a jamais osé le
ni«îr directement ; témoignage enfin qui nous
trace ce que nous devons et ce que nous
pouvons faire pour rendre utile à noire con-
version tout ce que le monde peut entre-
prendre pour s'y opposer.
Oui, mes frères, méprisant comme Jésus-
Christ l'enfer et le démon, certains d'ailleurs
de la faiblesse des ennemis de notre salut,
cl assurés de la force de celui qui agit en
JOUR DE PAQUES. 674
nous par sa grâce, nous devons annoncer au
monde que, quoi qu'il fasse pour nous sé-
duire, nous triompherons du péché malgré
tous les artifices qu'on peut employer pour
nous y engager. Si nous sommes vraiment
ressuscites , tout ce qu'il pourrait entre-
prendre ne servira qu'à le confondre en ren-
dant notre vertu plus éclatante.
Mais sommes-nous assez affermis dans la
grâce pour triompher comme Jésus-Christ
de tous les efforts que le monde emploie pour
nous faire retomber dans le crime? Obligés
de vivre au milieu d'un siècle ennemi de la
pieté, entourés de toutes parts de ce qui peut
détruire et affaiblir notre vertu, échappera-
t-elle à tous les pièges qui lui sont tendus ?
Résistera-t-elle ? triomphera-t-elle? Exami-
nons-nous nous-mêmes, et, si nous devons
craindre de succomber sous ces coups, si
notre faiblesse nous oblige par prudence
d'éviter un combat dont l'issue serait incer-
taine ou probablement funeste, si nous avons
des raisons solides pour nous défier du
monde et de tous ses attraits, mes frères, la
fuite seule peut vous assurer de la victoire.
Craignant tout de notre faiblesse , nous de-
vons agir contre nos ennemis avec précau-
tion ; mais espérant tout de Dieu , comme il
nous donnera ce qui nous sera nécessaire
pour ne pas succomber, alors allant de vertu
en vertu, comme dit le Prophète, nous n'au-
rons plus de ménagement avec le monde, et
peut-être dans la suite il ne sera plus à
craindre pour nous , parce que nous en au-
rons triomphé par Jésus-Christ.
Si nous sommes donc vraiment ressuscites,
mes frères, et que Dieu seul viveen nous, nous
devons croire que parla miséricorde de Dieu
nous ne sommes plus assez faibles pour com-
mettre le péché si facilement , quoique ce-
pendant nous devions veiller en même temps
sur nous-mêmes , comme craignant tout de
noire fragilité. Par cet heureux mélange de
prudence et de zèle , de crainte et de con-
fiance, de mépris de soi-même et d'amour de
Dieu, de même que la résurrection ne fut
que mieux établie par tout ce que la Syna-
gogue employa pour la détruire , de même
aussi nous serons affermis dans la vertu par
les épreuves mêmes auxquelles la Provi-
dence nous exposera ; elles nous seront utiles
et nous trouverons dans chaque obstacle une
nouvelle occasion de mérite, parce que nous
triompherons par notre fidélité à la grâce.
Ainsi doit agir un vrai chrétien pour par-
ticiper au mystère que nous célébrons, en se
conformant dans sa conversion à tout ce que
nous remarquons dans la résurrection de
Jésus-Christ. Comme il a enlevé la pierre qui
fermait son tombeau, nous devons, quoi qu'il
nous en coule , arracher de notre cœur les
passions dominantes qui en ferment l'entrée
à Jésus-Christ ; et, comme il n'est plus dans
le sépulcre cl qu'il est ressuscité revêtu d'un
corps spirituel , éclatant de gloire , il faut
qu'une vertu solide, succédant en nous au
vice qui nous dominait , annonce «pie nous
sommes heureusement changés , et qu'à
l'exemple de notre chef, en dépouillant
673
ORATLTRS SACRES. DOM JEROME.
676
toutes les marques ac notre mortalité » nous
sommes sortis du tombeau pour n'y plus
rentrer.
Il faul que , non contents d'être ressusci-
lél noas le paraissions au\ justes pour les
consoler, aux impies pour les convertir; et
que ce ne soit pas Béatement dans quelques
occasions, devant quelques personnes, pen-
dant quelques moments, sur quelques vices,
mais dans toute la suite de notre vie , dans
toutes nos actions, à la vue de tout le monde,
ol moins encore par nos discours que par nos
œuvres. Enfin, comme la résurrection de Jé-
sus-Christ lui a été d'autant plus glorieuse
qu'elle avait rencontré plus d'obstacles , les
diverses épreuves auxquelles notre vertu
peut être exposée ici-bas doivent, par notre
fermeté à les soutenir, nous acquérir un
nouveau mérite devant Dieu.
Mais pouvons-nous, Seigneur, espérer que
vous daignerez produire en nous un tel chan-
gement ! Si vous ressuscitâtes votre premier-
né, le Sauveur du monde, vos enfants d'adop-
tion ne verront-ils pas le même miracle s'o-
pérer en leur faveur? Vous nous l'avez pro-
mis, ô mon Dieu, par vos prophètes, que ces
os desséchés revivraient ; vous nous assurez
vous-même que quiconque croira en vous
ressuscitera vainqueur de la mort et du pé-
ché. Certains de votre résurrection, dont
nous célébrons la gloire , puissions-nous en
ressentir et en mériter les effets par une sin-
cère conversion !
Puisse l'Esprit-Saint ranimer vos membres
languissants et les réunir bientôt à leur chef
déjà ressuscité ! Créez donc en nous, ô mon
Dieu ! un cœur nouveau ; détruisez ce corps
de péché qui vit en nous ; donnez-nous un
esprit de force, de vérité et de sainteté. Paisse
votre divine parole faire germer en nos cœurs
celle semence de la grâce, pour trouver dans
le sang de Jésus-Christ , auquel nous parti-
cipons dans ce saint temps, le gage de votre
amour et d'une heureuse éternité ! que je
vous souhaite. Ainsi soil-il.
SERMON
POUR LE LUNDI DE PAQUES.
Sur l'état de Jésus-Christ ressuscité , modèle
de notre résurrection.
Qwx sursumsunt quïriie, qusa sursum snnt sapiie.
Recherchez ce qui est d nu te ciel, n'aget de (joui que
pour les clwsis du ciel (Colons., lit, 1, -2).
Je suppose, mes frères, qu'ayant profité de
toutes les instructions qui vous ont été don-
nées dans celte quarantaine, vous oies éta-
blis dans la pratique des règles que vous
avez reçues , et que vous êtes véritablement
ressuscilés. Hier nous vous montrâmes les
caractères d'une vraie conversion dans la
résurrection de Jésus-Christ, il faut donc au-
jourd'hui vous apprendre à conserver la
grâce de votre résurrection , et il n'en faut
pas chercher ailleurs que dans les paroles de
mon texte.
Le saint Apôlre nous en propose deux :
chercher les choses d'en haul : Qum sursum
suxt quajrile, cl goûter les choses d'eu haut :
trouve à l'égard de ces
(Juœ sursum sufit sapite. L'une dépend de
I autre, el elles ne reviennent qu'à une, selon
saint Augustin , qui nous enseigne qu'on ne
recherche le bien que quand on en a le désir,
el qu'on n'en a le désir que quand on a com-
mencé à le goûter.
Demandons à Dieu qu'il nous rende le
cœur capable de goûter et de rechercher les
choses «l'en haut , car ce goût vienl de lui,
el appliquons-nous à vous enseigner la ma-
nière de ne chercher que lui dans tous vos
emplois.
Or, quand je dis qu'un chrétien qui veut
conserver la grâce de la résurrection ne doit
chercher que Dieu, je u'avance rien qui ne
soit conforme aux premiers principe! de La
religion , et d'où l'on puisse conclure qu'il
faudrait qu'un chrétien ressuscité fût sans
goût, sans sentiments, et même, s'il était pos-
sible, sans commerce avec la terre. Mais,
parce que dans l'état de la vie présente , où
il demeure encore après la résurrection de
son âme , en attendant celle de son corps
dans le jour du Seigneur, il demeure lié avec
le monde, comme dit si bien saint Reruard,
c'est-à-dire à la terre, où il vit; avec la con-
dition dans laquelle la Providence l'a placé ;
avec son corps, sans lequel il ne peut vivre,
il faul lui apprendre à ne chercher que Dieu
dans l'accomplissement des devoirs et des
obligations où il se
engagements.
Mes frères, Jésus-Christ est un bon maître;
le Sauveur du monde nous enseigne la ma-
nière de nous conserver après notre résur-
rection, dans les formes différentes qu'il a
choisies pour faire ses apparitions durant les
quarante jours qu'il est demeuré sur la terre
depuis sa résurrection, pour en confirmer la
vérité, comme dit l'Ecriture; pour consoler
ses amis, et pour instruire ses enfants.
La première forme qu'il a prise est celle
d'un pèlerin, dont il est parlé dans l'évangile
de ce jour ; la seconde estcelle d'un jardinier,
et la troisième, qui est commune à tous les
deux, c'est celle d'un homme ressuscité.
Ces formes differenies, que le Seigneur ne
choisit pas par hasard pour faire ces appari-
tions, enseignent au chrétien de quelle ma-
nière il doit se conduire après sa résurrection,
pour ne chercher que Dieu en demeurant
dans les engagements où il est arrêté par son
et;:', présent.
11 faut qu'il passe dans le monde comme
un pèlerin : première partie; il faut qu'il
travaille dans son emploi comme un jardi-
nier : deuxième partie; enfin il faul qu'il vive
dans son corps el avec sa chair comme un
homme ressuscité : troisième parlie.
Demandons les lumières du Saint-Esprit
par l'entremise de Marie. Ave, Maria.
PREMILBE PARTIE.
Vivre sur la terre comme un pèlerin, c*esl
une suite si naturelle de la grâce de la ré-
Burrection, qu'on doit dire absolument qu'un
chrétien qui n'est pas dans cette disposition
n'csi point ressuscité; car, comme nous ju-
geous de la \ ie par l'action, parce qu'elle ue
677
SERMON POUR LE
nous est donnée que pour agir, on doit juger
de la résurrection de l'âme par le sentiment,
parte qu'elle ne peut élre véritable sans le
produire. Cela doit être ainsi, c'est la reli-
gion, il n'y a point de salut sans cela, ce ne
sont point ici d'agréables fictions. Et en effet,
mes frères, cette résurrection n'esl-ellc pas
un passage de l'état «lu péché à celui de la
grâce, comme celle du Sauveur, qui en est
le modèle, est un passage de l'état de la mort
à celui de la vie pour ne plus mourir : 67m-
stus rcsurgens jnm non moritur?
Or, mes frères, comment était l'homme
dans l'état du péché? Il croyait que la terre
était le lieu de son repos ; le croyant, il l'ai-
mait, et en l'aimant il ne cherchait qu'à s'y
établir. Que fait donc en lui la grâce de la
résurrection? Elle change les vues de son
esprit, les affections de son cœur, la conduite
de sa vie; et, quand il est ressuscité, il re-
garde le ciel comme sa patrie et la terre
comme son exil : nouvelles vues de son es-
prit. Il gémit sur la terre, et il soupire après
le ciel : nouvelles affections de son cœur. Il
songe à s'établir dans le ciel, et il ne fait que
passer sur la terre : nouvelle conduite de sa
vie ; et c'est cela même que j'appelle ne cher-
cher que Dieu sur la terre et y vivre comme
un étranger, pour conserver la grâce de la
résurrection.
Il n'y a rien de si conforme à l'idée d'un
chrétien sur la terre que celle d'un étranger.
L'homme innocent, ayant été créé pour Dieu,
en jouissait; comme il était innocent et que
Dieu est jusle, il ne l'avait pas fait pour être
malheureux, et il l'aurait été véritablement,
si, l'ayant créé pour lui, il en avait été privé.
Il jouissait donc de Dieu, non pas dans un
état fixe et permanent, ce que Dieu aurait
ajouté avec de nouveaux degrés de béatitude
pour sa récompense, s'il eût persévéré dans
la justice; mais, étant déchu de cet état par
sou péché, il a été banni de sa patrie; et tous
tant que nous sommes ici-bas, nous devons
nous regarder comme des exilés ou comme
des pèlerins.
C'est le malheur de l'homme pécheur que
de ne pas connaître son bannissement, et de
prendre sa patrie pour un exil et son exil
pour sa patrie ; et c'est un des principaux
effets que produit en lui la grâce de la résur-
rection qui lui donne une nouvelle vie, que
de lui faire connaître son étal présent. Aussi,
mes frères, tous les justca se sont regardés
sur la terre comme des étrangers. C'est, dit
saint Augustin, une qualité propre à ceux
qui ont part à l'élection divine, et qui doi-
vent possédi r un héritage éternel dans le
ciel. De là vient, dit ce Père, que le Prophète
qui dit au Seigneur qu'il est devant lui un
étranger et un voyageur, ne dit pas : (Jomme
l'ont été tons les hommes, mais comme l'ont
été tous mes père» : Quoniam advena ego ftMN
apud te, et percjrinus, sicul omnes patres
mei; nous faisant entendre par là les justes
qui l'ont précédé, cl qui se sont toujours re-
gardés comme dans un pays étranger et en-
nemi, pendant qu'ils ont vécu sur la terre,
puisqu il est certain que ceux qui apparlicn-
LUNDI DE PAQUES. b7S
nent à la céleste Jérusalem, et qui sont ci-
toyens du peuple de Dieu, sont étrangers et
voyageurs dans le monde, comme ceux qui
sont étrangers parmi le peuple de Dieu coût
les citoyens de la terre.
C'est là, mes frères, la première chose que
doit produire en nous la grâce de notre ré-
surrection : elle doit nous faire connaître
lotre état. Durant le péché nous étions ci-
toyens de la terre, nous étions le peuple dont
parlelsaïe,qui/jfi6i/e dans la région deVombre
de la mort. Les ténèbres et l'ignorance cau-
sées par l'ombre de la mort, qui n'est autre
chose que le péché, nous avaient fait choisir
cette maudite région en renonçant à l'héri-
tage éternel; nous étions étrangers parmi
les enfants de Dieu, et nous voulions élre les
citoyens de la terre. Or, mes frères, le jour
s'est levé pour nous : si nous sommes véri-
tablement ressuscites, nous marchons selon
la foi; et méprisant les biens présents qui
doivent finir, nous nous attachons aux biens
éternels que nous espérons sans les voir.
Mais cette lumière qui nous fait connaître
notre étal, et qui nous fait changer de sen-
timents en nous apprenant que nous som-
mes pour le ciel, et non pas pour la terre,
nous fait aussi changer d'affections quand
notre résurrection est véritable. Les saints
qui se sont reconnus voyageurs sur la terre
y ont soupiré; ils ont vécu dans un perpé-
tuel gémissement: Heu mihi I disait David,
quia incolatus meus prolongatus est ! Hélas !
que mon exil est long! non-seulement à cause
de l'impatience qu'ils avaient d'être bientôt
d,:ns leur patrie qu'ils regardaient de fort
loin : A longe aspicientes et salutanles ; mais
parce qu'ils étaient dans un pays dangereux,
toujours exposés à faire naufrage, et dans
mille occasions de se détourner du chemin
qui les menait à leur patrie.
C'est dans ces sentiments que saint Au-
gustin nous enseigne que la vie d'un chré-
tien qui connaît son état présent doit être un
désir continuel de son état futur. S'il prie,
dit ce Père, ce ne doit être que par des gé-
missements ; car dans cette vie, qui est non-
seulement un pèlerinage, mais un bannisse-
ment pour lui, il ne lui appartient pas de
chanter les louanges de Dieu, pour ainsi dire;
ce devait être l'emploi du premier homme
dans l'étal d'innocence, qui, étant pèlerin
sans être banni, pouvait, étant heureux,
chanter les louanges de celui qui l'ayant
comblé de biens, devait, en les augmentant
s'il eût été fidèle, le fixer dans l'état d'une
félicité éternelle; mais pour nous, quoique
nous soyons les enfants de Dieu, et associés
à son empire par la grâce de notre résurrec-
tion, nous ne laissons pas que de ressenlir
les châtiments d ■ sa justice; ainsi, étant non-
seulement pèlerins, mais bannis, nous ne
devons faire que gémir. Nous sommes ici
dans une prison, l'âme est captive dans le
corps; nous ne devons donc vivre que dans
un désir continuel d'être délivrés, car un
captif cherche sans cesse à échapper.
Or, mes frères, un homme qui connaît que
la terre n'est pas M pairie, mail qu'il eil
r.7n
ORATEURS SACRES. DOM fEROMi .
formé pour le ciel par la grâce de la \ ie
Donvelle qu'il a reçue dam sa résurrection,
qu'il doit rentrer dans ses droits de l'héritage
éternel, qu'il avait perdu par Bon péché, qui
sent les dangers où il est exposé cl qui les
connaît par son expérience, vil d :ns le inon-
de, à la rérité, mais il y vil comme un étran-
ger. Il n'a dans l'esprit que l'idée de sa
patrie, et il regarde loul le resle avec indif-
férence. Les richesses qu'il possède lui pa-
raissent comme un ruisseau qui arrose au-
jourd'hui son champ et qui passera demain
pour arroser celui d'un autre. Il ne cherche
pas à les acquérir, mais comme on ne s'en
peut passer, qu'il en faut pour les usages de
la vie présente, et qu'il n'est pas défendu de
les posséder, mais de s'y attacher, -il les re-
garde comme l'eau des torrents, qui s'écou-
lent promptement, sur lesquels un homme
sage ne s'embarque jamais, et qui se haïsse
seulement pour en prendre dans le creux de
la main alin de se désaltérer. Ainsi, ne re-
nonçant pas à leur usage, il les regarde et
les estime, dit saint Chrysostome, comme les
meubles d'une hôtellerie où il ne doit loger
qu'une nuit. Semblable à un voyageur, il ne
s'arrête point à tout ce qu'il rencontre. Ce
qui agite ceux qui logent avec lui dans la
même maison le louche honnêtement, mais
ne l'engage point. 11 rend des offices d'hon-
nêteté à celui qu'il trouve sur son chemin,
et il le suit sans faire d'engagement capable
de l'arrêier.
Voilà, mes frères, quelle doit être la vie
d'un homme ressuscité à l'égard du monde
dans lequel il vit; il ne doit qu'y passer en
cherchant Dieu. Heureux est l'homme, dit
saint Bernard, qui connaît son élat présent,
et qui le sent! car quand on le connaît et
qu'on le sent, on règle sa vie sur cet élat;
on vit dans le monde, mais sans y tenir; on
ne songe pas à s'y établir par de grandes al-
liances, par de grands emplois, par des ac-
quisitions, par de superbes bâtiments; il ne
faut à un voyageur, comme dit fort bien le
même Père, que le vêtement et la vie. Si vous
le chargez d'autres choses, vous l'embarras-
sez ; tous ces grands biens ne servent qu'à
nous faire oublier notre patrie, cl à nous
rendre citoyens du monde; el il est impossi-
ble, dit saint Augustin, que celui-là aime son
pays qui aime le lieu de son bannissement,
et qu'on ait de grandes pissions pour le ciel
quand on a de grands attachements à la terre.
Quand on connaît et qu'on sent son élat,
on supporte avec patience les peines el les
disgrâces qu'on y souffre. On n'a pas, se dit
un chrétien, toutes ses commodités dans un
voyage, on prend en chemin ce qu'on ren-
contre, et l'espérance d'être à son aise dans
son pays fait qu'on supporte sans se plain-
dre tout ce qu'on endure en y allant. Péné-
tré qu'il est des peines attachées à son état,
res injustices qu'on lui rend et les perles qu'il
.'ait lui deviennent bien moins sensibles: il
regarde ceux qui en sont la cause comme
les gens qui lui aident à démén ger, cl sa-
chant que lous les biens qui nous sers ont
durant cette -vie doivent demeurer dans le
monde, et qu'il y a, selon saint Bernard, un
portier inexorable à la sortie, qui ne souffre
pas qu'on en emporte rien, il en considè-
re les perles comme une décharge, el les
violences qu'on lui l'ait pour le dépouiller,
comme un soin que la Providence pr< od de
lui ôler un peu plus lot et avec profit s'il
user de la violence qu'on lui lait, ce <|u il
n'a reçu que pour un temps; el comme tou-
tes ces vues de son état présent oui une ad-
mirable liaison, si elles lui serrent à se re-
garder dans le monde comme un pèlerin qui
ne cherche que sa patrie, elles font encjre
qu'il travaille comme un jardinier dans sa
condition: c'est le deuxième point.
DIUX1BMH PARTIE.
Quand je considère le Sauveur du monde
paraissant s;>us la forme d'un jardinier après
sa résurrection, et que je sais qu'il n'a choisi
ces formes différentes sous lesquelles il pa-
raît, qu'afin de nous instruire, en pénétrant
le mystère qui couvre celle-ci, j'y vois deux
choses qui renferment deux excellentes in-
structions,par lesquelles un chrétien ressus-
cité doit apprendre à vivre de telle manière,
dans la condition où il est lié, qu'il n'y
cherche que Dieu elqu il y conserve la grâce
de sa résurrection.
La première, c'est que la condition d'un
jardinier est bonnecthonnêteparelle-méme:
par là un chrétien res>uscilé doit apprendre
en premier lieu qu'il ne doit demeurer que
dans une condition qui soit de même bonne
en soi ; la seconde, c'est que celle condition
engage l'homme dans une espèce de travail,
qui, lui représentant en quelque sorte la
qualité de son être, l'entretient toujours de
l'espérance des choses futures: d'où le chré-
tien doit apprendre en second lieu qu'il faut
qu'il travaille dans sa condition sans perdre
jamais de vue ce qu'il est véritablement cl
l'éternité qu'il espère
Ces deux leçons sont très- importantes,
et le Seigneur, qui nous les donne par la
forme sous laquelle il parait, nous découvre
admirablement la sagesse de la grâce chré-
tienne, si j'ose ainsi parler, qui ne rompt
point les engagements de la vie civile, mais
qui en règle les actions, et qui, nous laissant
dans nos emplois sans nous troubler, \cul
nous mettre en état d'y vivre sans nous
perdre.
Jesus-Christ, qui est, comme vous savez,
le nouvel homme, réparateur des ruineseau-
sées par le premier, parait après sa résur-
rection, c'esl-à-dire dans l'état de perfection
de la vie nouvelle, sous la forme de l'exer-
cice où le vieil homme était quand il perdit
son innocence. Il se montre dans un jardin
et sous la forme d'un jardinier : ceci nous
apprend que comme ce ne lut ni son état ni
sa condition qui le perdirent, mais M D iU-
vaisc conduite, il fallait après sa repara; on
changer de conduite sans changer d'état
Quand vous auriez pèche dans \olrc condi-
tion, il n'en faut pas sortir si elle esl bonne
par elle-même, el qu'elle ne soit pas pour
vous une occasion de pèche ; mais il faut y
mi
SERMON POUR LE
faire pénitence, et prendre dans l'esprit de
satisfaction les exercices mêmes de votre
état par lesquels vous avez péché. Adam ne
change pas de condition, mais il fait les exer-
cices de son état différemment dans l'état
d'innocence. Ainsi les apôtres, qui exerçaient
la pêche avant que Jésus-Christ les appe-
lât, la continuent après qu'il les a appelés ;
il les honore de sa présence dans cet exer-
cice après sa résurrection, et il se nourrit
même avec eux des fruits de ce travail.
L'homme innocent placé dans un jardin y
devient coupable: l'Homme-Dieu commence
dans un jardin l'œuvre de la réparation et
du rétablissement. Nous ne disons donc pas
qu'un chrétien qui change de vie par la ré-
surrection doive changer d'emploi : Nous
ne troublons en rien les exercices de la vie ci-
vile, comme disait Tertullien, pour défendre
les chrétiens, que les païens accusaient in-
justement; nous ne nous retirons point, di-
sait-il, dans les forets, comme des sauvayes et
des mécontents, etnousne disons pas que, pour
conserver la grâce du Seigneur, il soit né-
cessaire de renoncer à toute société. Nous en-
trons dans tous les emplois quand ils sont
bons ; nous les reconnaissons pour des ouvra-
ges de la Providence, qui a établi et réglé
toutes choses. Nous prenons garde seulement
à suivre les règles que Dieu a établies pour la
sanctification de ceux qu'il y a appelés. C'est,
mes frères, ce que doit observer un chrétien
qui, pour conserver la grâce de la résurrec-
tion, ne veut chercher que Dieu dans son
emploi: il faut qu'il prenne garde que cet
emploi soit bon, c'est-à-dire qu'il soit juste ;
car il y en a qui ne valent rien, et qui ren-
dent ceux qui y sont engagés pécheurs de
profession et d'office. Pour éviter ce qu'il y
aurait d'ennuyeux dans l'examen de tous les
états, qu'il faudrait que je ûsse ici, pour
marquer quels sont ceux qu'on peut choisir
et ceux dans lesquels on ne se doit jamais
engager, il vaut mieux donner l'idéed un em-
ploi juste , aOn que celte idée nous servant
de règle, chacun puisse connaître en se
l'appliquant si le sien est de celte nature.
Un emploi juste, c'est celui qui se peut
exercer avec la charité, c'est-à-dire dont les
œuvres et les devoirs, étant confirmes à la
loi de Dieu, se peuvent remplir dans la vue
de l'honorer, dans son amour et pour sa
gloire; de sorte que, pour juger de la bonté
de votre emploi, il faut vous demander à
vous-mêmes : Suis-je dans une prolession
permise par la loi de Dieu ? Y a-l-il eu des
saints qui l'aient exercée ?
Mais, me direz-vous, il y a eu un comédien
qui est devenu saint; il y a eu des voleurs et
des femmes de mauvaise vie qui se sont
sanctiliés. J'en conviens, mais remarquez
qu'ils ne se sont sanctiliés qu'en quittant cette
profession et en changeant de vie. Jésus-
Christ n'est venu que pour les pécheurs, ce
n'est qu'en devenant pénitents qu'il les a
reçus, et il y a des adultères qui surpasse-
root peut-être devant Dieu les vierges de
Jésus-Christ. Enfin il faut se dire à soi-
même : Puis-je rapporter à la gloire do Dieu
OllATliUKS saches. XXX.
LUNDI DE PAQUES. G82
les actions que je suis engagé de faire dans
cette profession ? Car, mes frères, un homme
ressuscité ne doit plus chercher que Dieu,
son emploi doit être pour lui un moyen d'y
aller; et comme on va à Dieu par la charité,
son emploi n'est plus juste, et il l'éloigné de
Dieu dès que les exercices en sont incompa-
tibles avec cette vertu.
C'est par ces règles qu'on en doit juger, et
non pas par les désordres qui paraissent
dans les conditions ; s'il y a dans les gens de
guerre des gens abandonnés aux emporte-
ments, à la débauche et à l'impiété, s'il y a
dans la magistrature des juges livrés à la
séduction et à l'intérêt, s'il paraît de l'ava-
rice et quelquefois de la dureté dans ceux
qui prennent soin des affaires publiques, il
ne faut pas rejeter sur la condition qui est
bonne ce qui est un défaut de ceux qui la
déshonorent par une conduite qui n'est pas
réglée. Voilà, mes Irères, quel doit être le
soin d'un chrétien ressuscité à l'égard de sa
condition : quitter celle qui est mauvaise,
éviter celle qui est dangereuse, et s'établir
dans une qui soit légitime et juste selon la
règle que nous avons donnée pour eu juger,
et sur l'exemple que le Sauveur nous donne
par le choix qu'il fait d'un état reconnu
pour tel.
Mais comme cet état engage au travail, il
faut que le chrétien reconnaisse que c'est
une obligation essentielle que de s'y appli-
quer dans la condition qu'il a choisie. Car
si Tertullien a dit autrefois, pour la défense
des chrétiens, que leur foi ne rendait pas sau-
vages ceux qui la suivaient, il ajoute qu'elle
ne veut pas non plus en faire des fainéants
et des gens inutiles aux républiques et aux
Etats. Il ne faut pas nous persuader que la
grâce de la résurrection nous rende glorieux
sur la terre. Le Sauveur, qui paraît sous la
forme d'un homme après être ressuscité,
nous veut apprendre que comme il ne paraît
rien au dehors de la gloire de sa résurrec-
tion, tous les avantages de la nôtre sont
dans l'âme : si nous portons dans le cœur le
trésor précieux de la grâce qui nous a res-
suscites, en nous faisant passer de l'état de
la mort à celui de la vie, nous le portons
dans un vaisseau fragile, au terme de l'Apô-
tre ; et si nous sommes rentrés dans les droits
de la gloire, c'est à condition que nous l'ac-
querrons par le travail de la vie présente.
C'est donc une obligation essentielle à cha-
que chrétien dans son état, de le regarder
du côté de la peine qu'il doit aimer, et non
pas du côté de l'honneur et de la gloire
qu'il ne doit recevoir qu'en passant.
Le travail ici va devant l'honneur, aussi
faut-il aller à l'honneur par le travail. C'est
ce que nous enseigne le Sauveur en prenant
la forme d'un jardinier, car un homme de
celle profession non-seulement travaille par
obligation, mais il aime son travail; il lui
parait doux dans la vue du fruit de la re-
colle et de la moisson qu'il espère, et demeu-
rant toujours dans les vues de son être, qui
l'engage au travail, il se nourrit ci se sou-
tient par l'espérance de ton travail cl par
9a
ORATEURS BACRï
lfidée agréable des choses toujours nouvel-
les i;ui fructifient et qui croissent sans cesse
sous ses mains.
Voilà, mes frères, quelle doit être la si-
tuation île l'espril d'an chrétien ressuscité et
établi dans une condition juste : il faut non-
senlemenl qu'il y travaille, qu'il cultive la
terre en remplissant tous les devoirs dé sa
condition, qu'il n'en rejette pas la fatigue ni
le poids sur d'autres pour n'en prendre que
la gloire, le profil cl l'honneur; mais il faut
qu'il en aime la peine, qu'il la regarde com-
me un moyen que la miséricorde de Dieu lui
donne pour racheter son bannissement ;
comme une semence qu'il jette à présent,
dont il doit recueillir dans l'éternité une
moisson de gloire immortelle, et que, sans
négliger les fruits d'un travail légitime qui
servent à soutenir cette vie qui d lit finir, il
n'envisage principalement que les choses fu-
tures et éternelles. C'est là, mes frères, ce
que l'Ecriture appelle cultiver la terre dans
la paix et dans le repos.
Finissons ce discours en ajoutant en peu
de mois qu'un chrétien qui est dans le
monde comme un pèlerin, qui travaille dans
sa condition comme un jardinier, doit en-
core vivre dans sa chair comme un homme
ressuscité pour conserver la grâce de la ré-
surrection, et ne chercher que Dieu.
TROISIÈME PARTIE.
Cette obligation semble être commune aux
deux autres et se peut aisément confondre
avec elles ; je n'en dirai donc qu'un mot, et
je finis.
Jésus-Christ paraît dans sa chair après sa
résurrection, et dans une chair véritable ;
mais il n'est plus dans la dépendance comme
il était avant sa résurrection. S'il mange, ce
n'est plus par nécessité, c'est la charité qui
le lui fait faire. C'est là, mes frères, en quel-
que sorte l'état où doit être un chrétien vé-
ritablement ressuscité. 11 vit dans la chair,
mais il faut que ce soit sans dépendance de
la chair, au moins sans celte dépendance
qui vient du péché, s'il ne peut r.'exempler
de colle qui vient de la nature. Cet ce que
nous enseigne le saint apôtre : Sachant, dit—
ii, que le vieil homme a clé crucifié avec. lui.
Il ne dit pas qu'il est mort absolument, car il
vit toujours par la concupiscence, même
dans les plus saints ; mais il dit qu'il est cru-
che, c'est-à-dire qu'il est tellement cloué cl
attaché par la grâce du baptême et parcelle
de notre résurrection, qu'il ne doit plus agir :
ainsi, comme un homme attaché à une croix
ne laisse pas de vivre, quoiqu'il ne puisse
agir si on ne le détache, de même le vieil
homme vil dans un chrétien ressuscité : il
sont les mouvements de la corruption, mais
il ne faut pas qu'il y consente : durant le
règne du péché l'âme était soumise et la chair
commandait, il faut donc qu'après la résur-
rection l'âme soil la maîtresse et la chair soit
soumise, afin que le corps du péché soit dé-
truit, et que désormais uous n'en soyons plus
les esclaves: Ut deslruatur coi pus peccati, et
.ultra non serviamus peccutu.
.S. li()M Jl.ltOMK.
C'est là l'emploi et l'occupation d'uu chré-
tien, c'est l'objet de cette vigilance recom-
mandée si souvent dans les Ecritures, i est là
I attention d'un homme ressuscité, de répri-
mer les mouvements de la concupiscence, de
tenir la chair assujettie à l'espril pour s'op-
poser à ce rétablissement du rèu-ne du pé hé,
auquel il ne doit plus é're soumfl âpre, sa
résurrection. Je ne crois pas que je puisse
choisir dans toute l'Ecriture des paroles plu»
propres que celles-là dans la lin de ma car-
rière : comme elles renferment tous les des-
seins du Sauveur dans l'ouvre de la ré-
demption, elles découvrent .aussi la fin de
t jus les nôtres dans les soins que uous
avons pris durant cette quarantaine de pré-
parer les chrétiens à en recevoir les fruits.
C'est donc la, mes frères, le but que je me
suis proposé comme ministre du Seigneur:
Que le corps du péché soit détruit : Ut de-
slruatur corpus peccati ; et voici le comble
de mes désirs, que désormais nous n'en
soyons plus les enclaves : Ut ultra non ser-
viamus peccato. Seigneur, soutenez-nous dans
ce travail, par une grâce toujours nouvelle,
sans laquelle nous ne pouvons rien, afin
que la justice s'établisse en no s. Faites que
nous vivions comme des pèlerins, qui ne
fout que passer pour aller à l'héritage éter-
nel; faites que nous travaillions comme des
jardiniers, qui n'ont en vue que la récolle et
la moisson des biens éternels ; faites que
notre esprit et notre cœur n'aient de mou-
vement que pour vous, c'est ce que je vous
souhaite. Ainsi s oit-il.
SERMON
POUR LE MARDI DE PAQl l.S.
Sur les conversations.
Qui suai ui senuones quos couler us ad iu iceui amod-
iantes?
Ve quoi vous cntretciiei-tous dans le chemin (Luc ,
XXIV, 17)?
Voici, mes frères, une rencontre de deux
disciples du Sauveur très-propre à nous faire
connaître le danger des conversations hu-
maines, et le péril où l'on est exposé même
dans celle des personnes qui paraissent être
réglées dans leur vie et avoir quelque p I le
dans leurs sentiments. Ces deux disciples
avaient connu Jésus Christ pour ce qu'il
était; ils avaient été témoins de ses miracles,
ils avaient entendu ses discours, cl il parait
par la manière dont ils en parlent qu'ils
avaient beaucoup d'estime pour sa personne :
Qui fuit vir propheta polcns in opère et ser-
mone coratn Deo et omni populo; car ils
avouent qu'ils l'ont connu pour uu prophète,
puissant en œuvres et en paroles devaut Dieu
cl devant tout le peuple.
Cependant, mes frères, commençant à dou
1er de tout ce qu'ils avaient pense de lui jus-
qu'à cette heure, par la vue de sou supplice
dout ils avaient ele es témoins, ils a>. lient
quitte Jérusalem, presque sans espérauce de
le voir triompher ues ennemis qui l'avaient
accablé, et se confirmant l'un l'autre par
leurs discours daus lu doute où ils étaient,
685
SERMON POUR LE MARDI DE PAQUES.
CSCi
ils allaient achever de perdre ce qui leur
restait d'espérance, si le Fils de Dieu ne fût
venu pour rompre cette conversation et sou-
tenir celte espérance qui allait périr.
Or, ce qui est presque arrivé à des per-
sonnes si bien disposées, arrive certainement
tous les jours à celles qui ne le sont pas si
bien. Les instruclions que l'on nous a don-
nées dans ces jours saints s'oublient; les
grâces que nous y avons reçues se perdent,
et les mesures que nous avions prises pour
notre salut sont renversées dans les conver-
sations du monde, où nous nous engageons
aussitôt après avoir participé aux plus saints
mystères de la religion ; et si le Sauveur du
monde nous suivait pour nous demander,
comme à ses disciples, quelle est la matière
de nos conversations : Qui sunt hi sermones
quos confertis ad invicem? nous rougirions
de honte en voyant le peu de rapport qu'il y
a entre nos discours et les protestations que
nous venons de faire à Dieu.
Je voudrais donc, à l'occasion de ce que
nous lisons dans l'Evangile, m'appliquer à
régler les conversations des hommes, pour
fermer, s'il est possible, à la perte de la grâce
et à la ruine du salut des chrétiens, celte
grande voie ouverte à l'une et à l'autre ; mais
il faut, avant que de marquer les remèdes à
un mal, faire connaître le mal même dans sa
nature, et le péril où il nous expose pour
donner plus d'estime du remède : c'est ce que
je vais faire dans les deux parties de ce dis-
cours.
Dans la première je vous découvrirai le
danger des conversations humaines : pre-
mière partie; dans la seconde j'essayerai de
vous donner des mesures pour les régler :
secon.le partie.
Voilà l'idée de ce discours : demandons le
secours du ciel par l'inlercession de Marie.
Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Il paraît assez difficile de donner une-idée
bien juste de tous les dangers où le chrétien
est exposé dans les conversations des hom-
mes ; <ar si la langue qui les entretient, se-
lon le langage de l'Ecriture, est un feu et un
monde d'iniquité, comme parle saint Jacques,
qui pourrait entreprendre de'moutrer par le
détail tous les pièges qui y sont tendus à
l'innocence, ou qui pourrait entrer dans ce
feu pour aller chercher dans sa source tous
les cnihrase<:;eul.s qu'il est capable de cau-
ser? C'est cependant ce que je me suis engagé
de faire dans la première partie de ce dis-
cours; et comme un homme passerait en
quelque sorte pour avoir découvert à lin
autre tous les dangers qu'il peut courir, s'il
lui avait montré celui où il serait exposé de
perdre ce qu'il a de plus cher au monde, je
crois, mes frères, que vous regardcicz celte
matière remplie si je vous fais voir que le
s, lui est en grand danger dans les conversa-
lions des hommes, puisque non -seulement
C <'8l ce que le chrétien a de plus cher, mais
même il est vrai que c'est la seule chose qui
le soit véritablement pour lui.
Or voici comme parle l'Ecriture : Veillez
sur vous-mêmes et prenez bien garde à ce
que vous entendrez dire, car il y va de votre
perte. Voilà la première idée que uous de-
vons prendre du danger où les conversations
nous exposent pour le salut; mais cuirons
dans la preuve de cette proposition. Deux
choses sont essentielles pour le salut du chré-
tien : la foi et les œuvres, c'est-à-dire la con-
naissance des vérités et la pratique des ver-
tus. L'idée du salut est celle d'un certain état
de justice, de sainteté et de rectitude dans la
vie présente, qui nous conduit à la vie future
et bienheureuse; car pour faire notre salut
et marcher dans les voies qui nous mènent à
cette éternité bienheureuse, il faut que nous
soyons éclairés par la foi sur les vérités de
la religion; il faut que nous connaissions
Dieu et que nous ayons les sentiments qu'un
chrétien doit avoir de sa majesté, de sa mi-
séricorde et de sa justice; il faut que nous
soyons assurés de la gloire future parla foi,
et que par la même foi nous ayons une idée
certaine des châtiments éternels; il faut que
nous connaissions la dignité de nos mystères,
ce qu'il y a de grand dans la religion, et
ce qui esl capable de nous maintenir dans
les sentiments d'estime et de vénération que
nous devons avoir pour tout ce qui mérite
nos hommages.
Mais outre ces connaissances, il faut encore
que nous marchions dans les voies que Dieu
nous a marquées par Jésus-Christ pour arri-
ver à cette gloire éternelle et nous rendre
dignes de la félicité qu'il nous prépare. Il faut
que nous entrions dans les praliques dont le
Sauveur nous est venu donner l'exemple,
que nous ayons une grande estime de toutes
les maximes de l'Evangile qu'il nous a ensei-
gnées, et que nous donnions des marques de
celte estime par une exacte fidélité à les pra«
tiquer et à les suivre.
Voilà le chemin du salut, mes frères, et
c'est ce que nous sommes toujours en dan-
ger de perdre dans les* conversations des
hommes; car elles ne sont propres qu'à effa-
cer de notre esprit l'idée des choses éternel-
les, pour le remplir de celles de la terre et
de toutes les choses périssables. Elles ne
sont propres qu'à nous détourner des vues
qui conduisent à Dieu, et à nous mettre dans
«elles du monde qui n tus égarent et qui nous
perdent enfin. Voilà, mes frères, le danger
où le salut du chrétien esl exposé dans les
conversations des hommes, et voici sur quoi
j'établis ce que j'avance; c'est sur le sujet
de ces conversations : j'y considère les qua-
lités de ceux qui les forment, la matière qui
les nourrit; les impressions qu'elles fout, les
suites terribles qu'on en voit. •
En effet, ccu\ qui forment les conversa-
tions ordinaires sont les hommes qui s'as-
semlileni et qui ne s'associent que pour pas-
ser le temps. Or presque tous les hommes
sont corrompus; car il ne faut pas se flatter,
nous ne sooimes distingués en cela les uns
des antres que par le plus ou le moins.
Il y a des gens plongés dans la corruption
et dans une perversité déclarée, scandaleuse,
C37
OKATEUtS SACHES. DOM JEROME.
GS8
sale, déshonnêtc; qu'on ne reçoit point ou
qu'on ne reçoit que très-rarement chez soi,
et qui ne font société qu'avec des gens per-
dus comme eux. Je ne parla pas de ceux-là,
ils m' sont presque plus dangereux à force
d'être méchants.
Il y a d'honnêtes libertins qui, ne faisant
rien de tout ce qui peut scandaliser ou ternir
leur réputation parmi les hommes, n'omet-
tent rien de tout ce qui est propre à nourrir
l'amour du monde dans leur cœur, et à le
fortifier dans celui des autres où il est formé,
qui ne suivent dans leur conduite et qui n'ap-
prouvent point d'autres règles que les maxi-
mes que le monde enseigne, qui ne se pro-
posent point d'autres biens que ceux qu'il
donne, et de qui toute la vie roule autour
d'un cercle, formé par le soin de leur per-
sonne, de leur fortune et de leurs plaisirs.
Il y a d'autres gens qui | ensenl à Dieu et
à leur salut au milieu du monde où ils sont
engagés, mais qui ont des idés si resserrées,
si petites de la majesté de Dieu, de la gran-
deur de la religion et de l'immensité des cho-
ses éternelles, et au contraire tant d'estime
de tout ce qui est autour d'eux et des choses
qui tombent sous les sens, que le monde
l'emporte souvent sur Dieu, et qu'il est rare
que quelqu'un d'entre eux ait assez de foi
pour sacrifier ses affaires à son salut quand
il le faut.
11 y en a d'autres qui ont de grandes idées
de l'éternité, de la majesté de Dieu, de la di-
gnité de la religion, et qui ont même embras-
sé une conduite réglée sur ces idées, mais
qui, soit par un reste d'amour pour ce qu'ils
ont quitté, soit par une complaisance natu-
relle pour ce qu'ils voient, soit par un défaut
de lumières sur l'étendue de leurs obliga-
tions, soit par un cerlaiu fonds de faiblesse
qui nous rend faciles, n'ayant pas l'amour
du monde dans le cœur, en conservent le
langage, et n'en rejettent pas si absolument
toutes les manières, qu'il n'en reste encore
quelque chose dans leur conduite : ce qui
nous fait voir qu'il y a de la corruption dans
tous les hommes, plus ou moins à la vérité,
selon que l'amour du monde y est plus ou
moins fort; et c'est ce qu'il est aisé de recon-
naître par les différentes espèces d'hommes
que je viens de marquer qui renferment tous
ceux qui composent le monde. Les uns ne
respectent ni Dieu, ni le monde : je les ai
appelés des hommes plongés dans la cor-
ruption ; les autres ménagent le monde, mais
ils abandonnent Dieu : je les ai nommés
d'honnêtes libertins; une troisième espèce
mêle Dieu avec le monde et se perd par la
voie commune, et d'autres enfin mêlent un
peu le monde avec Dieu, et, en comparaison
du reste des hommes, on peut les appeler
bons, mais imparfaitement. Voilà ceux qui
forment les conversations dans le momie :
unissons-les maintenant ensemble, cl voyons
quelle sera la matière des conversations
qu'ils formeront
Chacun y fournil selon sa propre inclina-
lion, clou parle ordinairement *ie ce qu'on
itiuie. Je n'y comprendrai pas, si vous voulez,
ceux qui sont plongés dans la corruption,
ils ionl hors de commerce parleurs Iniquité*,
et ils n'entrent que par hasard dans la con-
versation de ceux qui gardent encore quel-
ques mesures.
Mais voyons ce que fournira un homme
qui ménage le monde et qui abandonne
Dieu : un honnête libertin, comme nous
l'avons appelé. Il ne parlera que de joie,
que de plaisirs, que de divertissements. Il
racontera ce qui lui est arrivé dans le jeu,
aux spectacles où il s'est trouvé, dans une
honnête débauche qu'il a faite. Il élèvera ses
plaisirs, il y découvrira mille charmes et mille
satisfactions qu'il croit y avoir goûtées, par
l'envie qu'il a de les y trouver, et qui n'y
sont pas véritablement. Il justifiera les plus
grands vices, et fera passer tous les médio-
cres pour des vertus. 11 exagérera la magni-
ficence d'un homme qui se ruine et qui
abime les autres pour paraître. Il donnera
de grandes louanges à l'orgueil de celui qui
ne veut entendre à aucun accommodement
après une injure reçue, et qui ne se soucie
pas de se perdre, pourvu qu'il se venge, de
son ennemi.
Un autre, un peu plus modéré et qui mêle
Dieu avec le monde, blâmera peut-être les
emportements de celui-ci, et, après avoir
reproché la folie des jeunes gens, il le pren-
dra du côté de la dépense à laquelle tous les
travaux d'un père ne sauraient suffire. 11 se
plaindra de voir perdre mal à propos ce
qu'on a amassé avec beaucoup de peine, et,
se jetant sur la misère du temps, sur la ruine
des affaires, sur l'incertitude et l'embarras
où l'on est dans les mesures qu'on doit pren-
dre pour s'établir et pour assurer son bien,
il exagérera la félicité prétendue d'un temps
qui n'est plus, et, se plaignant de la calamité
du sien, il n'intéressera Dieu dans son dis-
cours que pour lui demander raison des in-
justices qu'il prétend avoir reçues, et pour
se garantir des misères qu'il appréheude ;
comme s'il n'y avait point d'autres biens que
ceux de la terre, et qu'on ne pût êire heu-
reux qu'eu les possédant avec abondance et
en repos. Cependant celui qui a de grandes
idées de Dieu et ùe l'éternité souffre dans ces
conversations : il n'ose pas attaquer ces sor-
tes de personnes, car il y a des mesures à
garder, et même pour réussir il faut dans les
conversations du monde parler peu de Dieu,
et le faire bien à propos. Ainsi, mes lrères,
dans ces occasions un homme de bien sourit
modestement des folies qu'il entend dire à un
honnête libertin. Il tombera d'accord qu'il
faut que la jeunesse se passe, et comme,
dans la multitude des choses qu'il aura dites,
il y eu aura quelques-unes plus raisonnables
que les autres, il lui applaudira par honnê-
teté ; il compatira aux plaintes de celui qui
paraît plus raisonnable. L'intérêt qu'il peut
avoir dans les perles dont il se plaiul le ren-
dant plus sensible à ce qu'il dit, il entrera
dans ses sentiments, et. \oulanl compatir a
son état pour le gagner, il racontera des
pertes qu'il a souffertes lui-même, par des
injustices qu'où lui a faites ; ensuite, se sou-
f,89
SERMON POUR LE
venant de sa profession et du conseil d'un
grand saint du dernier siècle, qui veut que
nous entrions dans les conversations des gens
du inonde par leur porte, pour en sortir par
la nôtre, c'est-à-dire que nous parlions un
peu comme eux, pour les porter à penser
comme nous ; en voulant contribuer adroi-
tement à abattre l'esprit de celui qui est
élevé par son grand amour pour le monde,
et relever d'autre part le courage de celui
qui est abattu par un autre effet du même
amour, il prend occasion de parler de Dieu à
l'un et à l'autre, remontrant à l'un que tout
ce qu'il estime si fort n'est rien, et à l'autre
que la perte île sa fortune bien ménagée peut
être le prix d'une bienheureuse éternité.
11 est vrai qu'il arrive presque toujours
que le libertin tourne le mot de piété eu
raillerie, et qu'il oppose d'une manière plai-
sante et agréable les maximes qu'il veut
suivre à celles qu'on lui veut enseigner, et
que l'autre, écoutant ce qu'on lui dit avec
un peu plus de respect en apparence, en re-
jette la pratique sur ceux qui n'ont ni famille
ni engagements. C'est ce qui fait qu'il faut
beaucoup de sagesse, de douceur, de discer-
nement et de prudence pour parler dans les
conversations du monde sans blesser sa
conscience. Qu'arrive-t-il donc ordinaire-
ment dans les conversations, à les regarder
parla matière qui les nourrit? que Dieu y
est oublié et qu'on en sort l'esprit tout appli-
qué aux choses du monde. On peut dire que
dans ces entretiens on ne forme que des cons-
pirations contre le salut.
Ce sont des nuées noires qui se rassem-
blent pour former un orage qui inonde la
terre, et qui y fait de terribles désordres.
Vous le verrez encore plus évidemment si
vous voulez vous appliquer à reconnaître
quelles sont les impressions que ces conver-
sations font dans le cuur. Pour cela il faut
se souvenir que nous sommes tous corrom-
pus et qu'il n'y a de distinction entre nous,
comme nous venons de dire, que par le plus
ou le moins de ce fonds de corruption qui
est en nous, appelé concupiscence par les
théologiens, qui n'est, à proprement parler,
qu'une forte disposition à aimer le monde.
Tout ce qui est du inonde est si puissant, que,
malgré la grâce qui nous fait chrétiens, nos
désirs nous tournent du côté du monde, et il
faut se faire de grands et de continuels ef-
forts pour n'être pas emportes par celte in-
clination.
Jugez donc, mes frères, ce que peuvent
faire dans des âmes ainsi disposées des dis-
cours où le monde est toujours représenté
comme agréable, où ses biens sont élevés
comme les seuls qui peuvent nous satisfaire,
où ses maximes sont approuvées comme
celles qui conduisent, par les voies de l'hon-
neur, de la raison et du bon sens, à l'estime
de tous les gens qu'on considère et qui font
le mérite des autres p;ir leur approbation.
Non. nos poumons n'attirent pas plus natu-
rellement l'air qui nous fait vivre, que la
corruption qui est en nous n'attire toute cette
autre corruption qui la fortifie. C'est ce que
MARDI DE PAQUES. 60')
saint Augustin exprime quand il dit que
nous sommes nés avec des mauvais désirs,
mais qu'en les fortifiant nous en faisons de
mauvaises habitudes : ainsi celui qui est né
avec le désir de la vengeance écoute avec
grand plaisir ce qu'on dit à la gloire d'un
homme qui a su faire sentir les effets de sa
colère à un ennemi, qui a tiré raison d'une
injure avec éclat, et qui a porté son ressen-
timent jusqu'aux derniers excès.
Cet autre, qui est né avec le désir de l'a-
varice, écoute avec une grande attention ce
qui se dit à l'avantage d'un homme qui s'est
enrichi aux dépens du peuple; il apprend à
n'avoir point d'horreur des voies injustes et
cruelles, par lesquelles il est arrivé à celte
grande opulence qui fait envie, à ces illustres
alliances qu'on respecte, et qui produisent
cette magnificence dont on est ébloui, et cette
fortune enfin que chacun admire.
Celui-ci. qui est né avec des dispositions
éloignées de la religion, s'attache aux ma-
nières dont on essaie de rendre suspectes les
vérités du christianisme, aux questions que
le libertinage propose sur nos principes, aux
railleries qu'il fait de nos maximes, et à cet
art pernicieux de décrier toute la piété chré-
tienne en découvrant les ruses de l'hypocri-
sie et les intrigues de la fausse dévotion.
Ainsi les uns et les autres avalent le poison
qui les lue; et, celle corruption étrangère
étant jointe à la corruption naturelle qui
s'est trouvée en eux, il arrive que des ma-
lades qu'on aurait pu guérir deviennent des
furieux qu'on ne peut plus vaincre. Quel-
quefois une honte naturelle, un reste de re-
ligion font qu'on s'oppose aux fausses maxi-
mes qu'on entend, que l'on donne à penser,
par quelques petits reproches, que l'on veut
réprimer la liberté de celui qui parle, et
qu'on relève ce qu'aura dit un homme
de bien pour combattre cette corruption ;
mais il arrive souvent que ces oppositions
sont des ruses secrètes d'un cœur tout plein
d'une curiosité criminelle, qui fait semblant
de ne pas vouloir entendre ce qu'il serait
bien fâché de n'entendre pas, et qui ne con-
tredit en apparence que pour irriter et ex-
citer en effet à en dire davantage. C'est une
adresse de notre corruption naturelle qui,
pour recevoir le venin avec assurance, fait
semblant de le rejeter, et qui ne se met du
côté d'un homme de bien pour relever ce
qu'il aura dit, que dans l'envie de le voir ré-
futé plus fortement, afin d'avoir par là moins
à se reprocher, et de recevoir ainsi avec
quelque tranquillité ce qu'on n'a d'abord
entendu proposer qu'avec quelque espèce de
trouble.
Kaul-il maintenant vous montrer les suites
de ces dangereuses conversations ? Elles sont,
mes frères, de faire oublier Dieu, qu'on ne
connaissait déjà guère, de faire triompher
l'amour du monde, qu'on écoutait déjà avec
plaisir, de donner de l'éloignement pour la
sainteté, dont les voies paraissaient déjà ru-
des, d'inspirer de l'ardeur pour la corruption,
dont on trouvait déjà les maximes fort agréa-
bles, de s'abandonner aux passions eu re-
Gf)l
ORATFURS SACRES. I>OM JFROVF.
C"9
nonçant A la vertu, enfin dp l'engager dans
le (lien. in de la morl, en quittatll celui delà
rie bienheiireiire. C'esl ce qu'on doit con-
clure de loul ce que nous vnonsde dire des
personnes qui lormeiil les conversations,
des matières qui les nourrissent, des impres-
sions qu'elles ronltlai s le ni'iir; et a regar-
der toutes ces choses ensemble, on peut dire
que les conversations sont des sociétés où
les enlanls d'Adam se présentent les uns aux
autres le poison qui tel tait mourir.
Qu'allait-il arriver à ces deu\ disciples de
notre évangile, que le supplice du Sauveur
avait également prévenus contre sa puis-
sance, qui, se fortifiant l'un l'autre dans lo
doute où ils étaient de la vérité de ses pro-
messes, par les réllexi >ns qu'ils taisaient
mutuellement, allaient s'aider à renoncer
entièrement à celui en qui ils n'espéraient
déjà plus? Semblables à ceux qui pérwsfeBC
dans un naufrage commun, qui ne s'embras-
sent les uns les autres que pour s'entr'aider
à se noyer, et ne s'unissent de sentiment que
pour se perdre, si celui qui venait de mou-
rir pour eux ne se lût présenté pour les re-
tirer de ce péril où leurs conversations les
avaient engagés, où en étaient-ils? Domine,
salva nos, perimus. Ah! Seigneur, sauvez-
nous, car nous nous aidons les uns les au-
tres à nous faire périr.
Après cela devons-nous nous étonner de
voir le divin Précurseur abandonner sa fa-
mille pour se retirer dans le désert, et se sé-
parer de la compagnie des saints mêmes?
Mais puisqu'on est en péril partout, il fau-
drait conclure qu'il n'y a de sûreté que dans
la retraite, et qu'il faut abandonner Je
monde pour vivre dans la solitude. Cepen-
dant nous parlons à des gens qui y sont re-
tenus par des engagements qu'on ne peut et
qu'on ne doit pas rompre. Essayons donc,
dans le peu de temps qui reste, de donner
des règles pour sanctifier les conversations
autant qu'il est possible dans l'état de mi-
sère et d'infirmité où nous sommes : c'est mon
second point.
SECONDE PARTIE.
Il ne faudrait pas seulement un discours,
mais il en faudrait plusieurs pour marquer
toutes les règles qu'il serait nécessaire d'ob-
server pour sanctifier les conversations des
hommes ; ce dessein renfermerait même tant
de choses, qu'il serait imposable de l'exé-
cuter; car, outre qu'il faudrait changer le
cœur de l'homme pour réussir parfaitement
dans cette entreprise, il faudrait ôter de son
esprit mille idées fausses sur lesquelles il
forme son jugement, pour lui en donner de
véritables, propres à régler ses pensées et à
rendre ses expressions justes, te qui est un
ouvrage infini.
Je ne puis entreprendre de traiter toute
cet'e mal ère dans le peu de temps qui ne
rosiq,: néanmoins, pour' ne pas vous laisser
entièrement sans remède, après TOUS avoir
découvert tanl de maux, je rais réduire les
conversation! à troii espèces, et vous expo-
ser les rè^.cs qu'on y doit garder pour les
rendre chrétiennes et «ainfes, autant qu'il
csi possible, dans l'étal d'infirmité OU nous
sommes.
I. a première csnèee, je l'appelle une con-
versation domestique, qu'on ne peut éviter,
et dans laquelle on eM engagé par la nalure:
celle-ci se renferme dans le domestique avec
qui on vil et dans sa famille. !'ar rapporta
ce genre de vie, il faut que les i fa-
mille veillent à ce qu'il ne se passe rien
contre la gloire de Dieu. la digù%l> de la re-
ligion et les devoirs de la soc été; qu'i!s ré-
priment fortement tout ce qui pourra y don-
ner atteinte: ce point-ci est capital.
Il faut qu'ils se règlent eux-mêmes de telle
manière qu'ils soient justes devant Dieu, ne
faisant ni ne disant rien qui l'offense, et
qu'ils soient ir.éprochablcs à l'égard du
prochain, ne la saut de même ni ne disant
rien qui puisse le blesser. Il faut, pour se
sanctifier dans les conversations domesti-
ques, conserver la paix, et que chacun y
fournisse du sien, en se supportant les uns
les antres. Il faut semer dans P'sprit des
hommes, comme on sème dans les champs:
on ne cultive que pour moissonner.
La nécessité d'élre toujours ensemble
nous fait remarquer des défauts qui nous re-
butent, et la dépendance mutuelle où l'on
esiles uns des autres nous fait ressentir des
imperfections qui nous incommodent. Di fi-
cilement se peut-on plaire les uns aux au-
tres quand on se \oil toujours. Il est a
peu de grands hommes de près, et il n*J
guère de mérite qui tienne contre une lon-
gue familiarité. La diversité des tempéra-
ments ei la contrariété des humeurs font
naître des antipathies qui troublent la pai\
et qui sont capables d'entretenir une guerre
perpétuelle dans la société qu'on ne peut
rompre, il faut donc alors pratiquer le con-
seil de l'Apôtre: Supportez-vous les uns les
autres: AUer alterius onemportatr. Un tem-
pérament de fru doit supporter avec patience
les lenteurs d'un tempéra i eut foid.et celui-
ci les ardeurs et les impétuosités de l'autre.
Celte variété fait une espèce d'harmonie,
dans laquelle une Camille trouve son avan-
tage: car chaque tempérament a sa bonté
propre et rend des offices différents qui font
son bien, outre que cette opposition nous
ouvre une voie pour le salut. Car chacun
soutire l'un de l'autre, et c'est en souffrant
qu'on se sanctifie. Enfin il faut souffrir plus
voloniiers de ceux qui sont dans quelque
sorte de supériorité à notre égard, comme
les enfants de leur père. La vieillesse, qui
est vénérable d'une part, a d'ailleurs îles
chagrins qui forment de grands désagréments
dans la conversation ordinaire: mais, mes
frères, il faut se souvenir, dans de sembla-
bles occasions, que vous avez reçu la vie de
ceux de qui la société vous parait incom-
mode et, ce qui est en un sens plus considé-
rable, l'éducation, surtout si elle a ete bonne:
que vous en attendez les liens, et qu'avant
essuyé tontes les faiblesses de votre enfance,
il esi just que vous portiez les incommodi-
tés de leur vieille
693
SERMON POUR LE DIMANCHE DE QUASIMODO.
694
Enfin, si nous étendons coite conversation
domestique jusqu'à toute la parenté qu'on
voit, il faut prendre garde que le titre de pa-
rent ne doit point servir de prétexte pour
couvrir des désordres et entretenir des con-
versations dangereuses qu'on aurait honte
de souffrir avec des étrangers. Car, mes frè-
res, il ne faut point douter que nos parents
| les plus proches ne soient du nombre de
1 ceux qu'il f ;ut abandonner, quand leur so-
ciété forme des obstacles à notre salut. Il
y faut garder de la discrétion ; mais il y faut
observer beaucoup de fermeté. Nos passions
se mettent souvent en assurance sous le pré-
texte du devoir, et l'amour du monde se
nourrit quelquefois dans un cœur des mou-
vements qu'il attribue au respect et aux obli-
gations de la piété naturelle. 11 faut bien des
lumières pour démêler tous ces replis, et
beaucoup de force pour savoir rendre à la
nature ce qu'on lui doit, sans s'affaiblir dans
les devoirs de la religion et du salut.
II y a une seconde espèce de conversation,
que j'appelle de hasard, qu'on trouve etqu'on
ne cherche point : c'est celle qui se forme
sans qu'on y pense, et qui est liée par la ren-
contre des affaires, souvent même avec des
gens qu'on ne connaît point. Celle-ci a ses
utilités et ses périls. Elle peut être utile en
ce qu'on y apprend à connaître le monde, et
par les différents caractères de ceux qu'on y
voit, ons'instruit dans l'examen des maximes
des hommes, et on apprend à discerner ceux
qu'on doit choisir pour former une société
réglée, d'avec ceux qu'on doit rejeter.
Elle a ses périls, parce que quelquefois on
se trouve engage avec des gens sujets à quel-
ques excès ; alors il faut, ou s'en retirer avec
adresse, ou bien résister avec fo'-ee, prenant
les mesures pour n'être plus surpris et pour
ne s'engager jamais qu'avec des gens qu'on
connaisse bien.
Il n'y a plus qu'une troisième espèce de
conversations, qu e j'appelle de choix, parce
qu'elle dépend de notre élection et qu'elle
n'est formée que par ceux que nous choisis-
sons nous-mêmes pour être de notre société.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur
celle-ci, mais j'abrégerai.
Il faut prendre garde à faire bien le choix
des personnes avec qui nous voulons con-
verser; car, comme nous avons dit que pres-
que tous les hommes étaient corrompus, il
est de la dernière importance de choisir ceux
qui le sont moins, et qui, connaissant d'ail-
leurs la part qu'ils ont dans la corruption
commune, s'appliquent fidèlement à la com-
battre. Ainsi il faut éviter les conversations
de certaines personnes fainéantes, qui ne
font des visites que pour passer le temps,
qui se font une occupation de leur oisiveté,
qui ne vous voient que parce qu'ils ne sa-
vent que faire, et qui ne vous entretiennent
jamais que de bagatelles ou de fausses nou-
velles. Ce n'est pas à ces choses vaines qu'un
chrétien doit donner son temps, lui à qui
Dieu doit en demander un compte si exact et
si rigoureux.
Il faut rejeter tous les discours qui peuvent
nourrir et fortifier la corruption qui est en
nous : ainsi, dit saint Paul, qu'on n'entende
point de paroles déshonnétes, ni folles, ni
bouffonnes ; ce gui ne convient pas à votre
vocation. Je ne puis pas étendre ces règles,
comme je souhaiterais de le faire; mais au
moins, mes frères, souvenez- vous que,
comme il n'y a rien de si utile qu'une bonne
conversation, il n'y a rien de si dangereux
qu'une mauvaise. L'esprit et les sentiments
se forment par les conversations, et toute la
vie est réglée par les sentiments et par l'es-
prit. Les bonnes conversations nous sancti-
fient, les mauvaises nous corrompent, et il
est bien plus ordinaire d'être engagés dans
de mauvaises que d'en former de bonnes.
Dans cette vue adressons-nous à Dieu pour
lui demander son secours, à l'exemple de son
Prophète : S'igneur, mettez une garde à ma
bouche et une porte à mes lèvres. En vain la
prudence humaine s'efforcera-t-elle de mettre
un frein à la langue ; vous seul, ô mon Dieu l
pouvez nous en rendre les maîtres, parce
que vous seul pouvez tout sur le cœur. Votro
doigt seul peut arrêter son inquiétude et son
impétuosité, et guérir sa corruption et son
venin. Nous reconnaissons donc que nous
ne pouvons régler nos conversations sans le
secours de votre grâce, et que nous en avons
besoin pour converser avec les hommes, de
telle manière que nous ne soyons pas privés
des douceurs éternelles, que je vous sou-
haite, au nom du Père, etc. Ainsi soit-il.
SERMON
PODR LE DIMANCHE DE QUASIMODO.
Sur la nécessité d'être uni à Jésus-Christ
souffrant ; et que ses plaies sont pour nous
une source de vie si nous les portons eti
nous.
Venit Jesu=, ot stelilin niedio, et dixiteis : Pax vobis;
et ciiii) hr c dixissel, osiendil eismanus et laïus.
Jésus-Christ vint et sa mit au milieu d'eux , et leur dit :
La paix soit avec vous ; et après avoir dit ces paroles, il leur
montra ses miits et son côté {Joan., XIX, 19, 2.i).
Nous voici, mes très-chers frères, arrivés
à la conclusion de la solennité de Pâques et
à celle de ma carrière. Voici la sixième ap-
parition, la sixième preuve de la résurrec-
tion du Sauveur da monde, et le dernier ef-
fort que son amour lui fait faire pour con-
vaincre ses disciples parfaitement de la
vérité de sa résurrection, en leur montrant
ses plaies : l'Eglise nous propose cet évan-
gile à la fin de notre mission, pour nous ap-
prendre qu'elle veut que nous la fermions
en montrant aux chrétiens les plaies de Jé-
sus-Christ, et qu'à la vue de cet objet nous
fassions un dernier effort pour les mettre
dans les sentiments où ils doivent être pour
vivre en véritables chrétiens, pour profiter
de la grâce de la résurrection, et pour con-
server le droit à la gloire qu'il nous a acquis
par sa mort.
C'est pour cela que je vais vous montrer
ces plaies sacrées, comme les preuves de son
amour, comme les vestiges de ses souffr.:
ces, comme les marques de son autorité :
comme les preuves de son amour, afin r/o
<M5
ORATEURS SACRES. J>(>M JERO
(;%
elles soient ponr nous les objets d'un" recon-
naissance éternelle ; comme les vestiges de
ses souffrances , afin qu'elles soient pour
nous connue des bouches sacrées toujours
ouvertes pour nous parler de la nécessité de
souffrir avec lui; enfin comme les marques
de son autorité, afin qu'elles soient pour
nous un asile dans nos misères et une res-
source dans nos besoins.
En un mot, vivre dans la reconnaissance
pour le Sauveur qui nous a rachetés :ce sera
le premier point; vivre dans l'union à ses
souffrances : ce sera le second ; vivre dans
la confiance en son pouvoir : ce sera le troi-
sième.
Voilà, mes frères, l'essence et la perfec-
tion de la vie chrétienne : heureux si je pou-
vais, en finissant ma mission, graver ces
sentiments dans vos cœurs! C'est la grâce
que je demande au Saint-Esprit. Ave, Maria.
PREMIKRI PARTIE.
Vivre dans la reconnaissance pour Jésus-
Christ, c'est un des premiers devoirs du
chrétien, qui nous est recommandé en plu-
sieurs endroits par l'apôtre saint Paul, et
que nous ne saurions négliger sans nous
rendre dignes qu'il lions abandonne et qu'il
nous relire toutes ses grâces. Rendez (/races
à Dieu en toutes choses, dit l'Apôtre; c'est là
ce que Dieu veut que nous fassions tous en
Jésus-Christ.
Or, mes frères, le bienfait de la rédemp-
tion doit être le principal objet de celte re-
connaissance, et c'est sans doute pour nous
le marquer que l'Eglise nous propose un
évangile où le Sauveur du monde nous dé-
couvre ses plaies, par lesquelles il a opéré
ce grand ouvrage, dans le jour où elle achève
la solennité des mystères de la mort et de la
résurrection adorable du Sauveur, comme je
viens de vous le dire. Il donne la paix à ses
apôtres, il leur donne son esprit, il leur
donne la puissance de lier et de délier, et en-
suite il leur montre ses plaies, pour nous
marquer que tout vient de là, qu'elles sont
les sources de tout bien, l'objet de notre re-
connaissance ; en un mot, que tout se trouve
en Jésus-Christ crucifié. Mais pour com-
prendre toute l'étendue d'un si rare bienfait,
il faut que nous jetions les yeux sur ce que
nous étions avant qu'il nous fût accordé, sur
ce que nous sommes depuis que nous l'a-
vons reçu, et sur ce que nous espérons de-
venir par sa vertu. Avant le bienfait nous
étions les esclaves du démon, cl nos fers ont
été brisés ; par ce bienfait nous sommes de-
venus les enfants de Dieu, et la liberté nous
a été rendue ; enfin nous espérons être les
héritiers de la gloire, et nous y avons droit :
c'est l'idée que l'Eglise nous donne de cet
admirable bienfait, dans les paroles qu'elle
chante à la gloire de Jésus-Christ, qui ren-
ferment toute l'économie du salut : In quo
est salue, vila rtresurrectio nostra.
Prenons bien cette idée, afin qu'elle nous
serve à régler la reconnaissance que nous
devons à Jésus-Christ; c'est donc par lui,
mes frères, que nous avons été rachetés;
r.ir vous n'ignores pas que le péché du pre-
mier homme nous avait livres ta démon ;
mais i < i résentez-vous encore qu'en devenant
ses esclaves nous étions devenus les ennemis
de Dieu, et que nous portions non-seulement
la peine, mais le caractère du pèche : et
l'impression de la désobéissance du premier
homme étant passée dans tous ceux dont il
était le chef, tous ses enfants étaient les en-
nemis de Dieu en sa personne.
Ici s'élève, dit saint îîcrnard, un différend
entre la justice et lu miséri or de devint le
tribunal de Dieu : la justice demande la mort
du coupable, et la miséricorde poursuit sa
grâce. Le différend s'accommode, ajoute ce
saint docteur, et I ■ Fils de Die propose une
voie qui met d'accord la justice et la miséri-
corde. C'est, dit ce l'ère, d'offrir à Dieu une
mort précieuse, par laquelle la justice sera
satisfaite, puisqu'une vie sera sacrifiée, à la
miséricorde, et le coupable délivré, puisque la
dignité de cette mort méritera la grâce du cou-
pable. La difficulté, poursuit ce saint doc-
teur, n'est plus que de trouver une vie assez
sainte, afin que lu mort de celui qui la sacri-
fiera soit assez précieuse devant Dieu, pour
apaiser sa justice et délivrer les coupables. Jl
faut trouver un innocent qui n'ait point d'au-
tre engagement de mourir que celui que son
amour s'impose. Or il n'y a que celui-là même
qui a ouvert cette voie, qui puisse présenter
ce sacrifice. C'est à moi, dit le Fils de Dieu,
à porter la peine de celui que j'ai créé. Et
voilà, nies frères, ce qui fait que les Pères de
l'Eglise nous ont dit que tout autre que Jé-
sus-Christ ne pouvait pas être le médiateur
de notre réconciliation, et que Dieu n'a pu se
servir d'un autre moyen que de celui de faire
son Fils homme pour satisfaire sa justice.
Quel motif de reconnaissance ! Celui qui n'est
qu'homme n'ayant pu racheter son frère, il a
fallu pour le racheter un homme qui fût
Dieu. C'est ce que l'Apôtre nous enseigne,
lorsqu'il dit que Dieu a réconcilié le monde
avec lui par Jésus-Christ. 11 a fallu un tel
homme, et il n'y a que lui qui ail pu être le
triomphateur du démon, qui a perdu l'em-
pire légitime qu'il s'était acquis sur les hom-
mes par leur péché, en ôlant injustement la
vie à celui qui n'avait mérité la mort par au-
cun crime.
C'est donc lui qui nous a délivrés de la
mort par la sienne, c'est lui qui nous a ré-
conciliés, qui a pacifié, par le sang qu'il a
répandu sur la croix, ce qui est sur la terre
et ce qui est daus le ciel. Il est Fils de Dieu,
et il se forme un corps mystique composé de
plusieurs membres dont il se rend le chef.
Ce corps ne forme plus qu'un enfant de Dieu,
qu'une victime, qu'un adorateur. 11 est fils
naturel, et nous enfants adoplifs par lui ;
c'est l'effet que produit la grâce sanctifiante
qui nous unit à ce corps : mais comme ceux
qui sont enfants sont conduits par l'esprit, il
faut, outre celte grâce qui nous unit, qu'il
nous donne celle qui nous fait agir. e'est-aV
dire la grâce actuelle, qui détruit en l'homme
la langueur du pèche, comme la grâce sanc-
tifiante en détruit la mort. Ainsi, dit l apôtre
097
SERMON POUR LE DIMANCHE DE QUASIMODO.
098
saint Paul, remercions Dieu qui nous a arra-
chés de la puissance des ténèbres, qui nous a
transférés dans le royaume de son Fils bien-
aimé, et qui nous a rachetés en nous méritant
par son sang la rémission de nos péchés.
O prix précieux et adorable des hommes
perdus par le péché ! Mou iniquité est grande,
je l'avoue; mais ce que Jésus-Christ a donné
pour l'effacer est infiniment plus grand.
O homme ! si ton néant l'oblige à te mépriser
parce que tu n'es que terre , dit saint Au-
gustin , que la reconnaissance que tu dois à
Jésus-Christ te donne de l'estime pour toi-
même, en considérant le prix inestimable dont,
il t'a racheté. Mais quelque grande que vous
paraisse cette œuvre de notre rédemption,
parla dignité du prix qui est offert pour
nous délivrer de la servitude du démon, il
ne faut pas la limiter à ce seul effet ; elle va
plus loin, mes très-chers frères.
Car nous ne sommes pas seulement arra-
chés de la puissance des ténèbres , nous
sommes encore transplantés dans le royaume
du Fils de Dieu. La grâce du Rédempteur ne
délivre pas seulement la nature captive, elle
guérit la nature malade : expliquons ceci.
Ecoutez, chrétiens, comme parle l'apôtre
saint Paul aux Ephésiens : Souvenez-vous,
leur dit-il, qu'étant gentils, vous n'aviez
point de part au Messie ; vous étiez entière-
ment séparés du peuple d'Israël, vous étiez
étrangers à l'alliance divine , vous n'aviez
point l'espérance des biens futurs, vous étiez
sans Dieu en ce monde. Mais maintenant que
vous êtes en Jésus-Christ, vous qui étiez au-
trefois éloignés de Dieu, vous êtes devenus
proche de lui par le sang de Jésus-Christ.
Ces paroles nous expliquent l'effet de la ré-
demption par le sang du Sauveur, elles
nous enseignent que nous avons été trans-
plantés et entés en Jésus-Christ, pour y avoir
un même être que lui. C'est, mes frères, ce
que l'Apôtre nous veut faire entendre, lors-
qu'il dit aux Galates : Ce n'est plus moi qui
vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. Ainsi
le chrétien vit par la grâce, et c'< si vérita-
blement Jésus-Christ qui vit en lui, puisqu'il
ne vil que par la vie que Jésus lui a méritée,
et que cette vie est celle de Jésus-Christ
même qui, comme chef, la répand dans les
membres de son corps, de sorle que tous ne
forment avec lui qu'un Christ parfait. De là
vient que l'homme chrétien a comme une
seconde âme, qui est le nouveau principe de
la vie nouvelle comme l'âme raisonnable est
le principe de la vie que l'homme a reçue de
la puissance de Dieu dans la création. Con-
naissons donc le prix de cette vie qu'il est
venu nous donner avec abondance, comme
il le dit dans saint Jean II ne faut pas la
limiter au seul avantage de la grâce habi-
tuelle ou sanctifiante, qui nous a rendus en-
fants de Dieu en nous délivrant de la mort
du péché et de la servitude du démon ; il ne
faut pas croire qu'aussitôt que le péché est
effacé , la volonté soit parfaitement déli-
vrée ; c'est peu de chose si nous en de-
meurons là , puisque le péché étant remis,
il nous laisse encore faibles. H faut distin-
guer, avec saint Augustin, deux sortes de
maux dans le péché : le premier, c'est la
morl de l'âme, causée par le péché, qui la
rend morte véritablement, ennemie de Dieu,
esclave du démon. La mort du Sauveur nous
a délivrés de tout cela, et par le bénéfice de
la rédemption la vie nous a été rendue, et
la grâce sanctifiante, qui est le fruit de sa
mort, nous unissant à son corps mystique ,
nous a faits ses frères et les enfants adoptifs
de son Père éternel.
Mais il y a une seconde chose dans le pé-
ché, c'est la concupiscence, qui, nous ayant
été transmise par le péché d'origine, est
comme la maladie de l'âme, comme une in^
firmité qui lui est restée depuis le péché.
C'est cette langueur dont nous avons déjà
parlé, qui, s'élant confirmée par la multi-
plication de nos péchés actuels, forme comme
une seconde nature entée dans la nôtre, de
laquelle nous ne nous défaisons jamais, non
plus que de nous-mêmes , et qui nous fait
tomber si Dieu ne nous la fait surmonter par
une grâce toujours nouvelle.
11 fallait deux sortes de remèdes à ces deux
sortes de maux, et le Sauveur nous les a
donnés. 11 a détruit la mort du péché par la
sienne, et il nous a donné non-seulement la
vie par la grâce sanctifiante et habituelle
qui nous a faits enfants de Dieu, mais encoro
par la grâce actuelle il nous fait vaincre la
concupiscence, et il nous fait accomplir faci-
lement ce que Dieu nous commande. Par là
la force du péché est affaiblie, la concupis-
cence abattue, la loi des membres sans vi-
gueur. Tout est soumis à l'esprit de vie qui
nous a affranchis ; nous sommes parfaite-
ment libres, parce que c'est la vérité et la
grâce qui nous ont délivrés. Nous sommes
parfaitement vivants, parce que c'est Jésus-
Christ qui vit et qui agit en nous , qui
n'agissons et ne vivons que par Jésus-Christ;
et voilà pourquoi saint Paul nous recom-
mande si expressément de vivre dans de
continuelles actions de grâces pour toutes
choses et en tout temps, et qu'il veut que
nous les rendions à Dieu au nom de Jésus-
Christ , parce que nous n'évitons pas lo
moindre mal, nous ne résistons pas à la
plus petite tentation, nous ne faisons aucune
bonne œuvre que par Jésus-Christ, qui vit
en nous et qui agit en nous. La vie de la
grâce découle à tous moments sur nous de
ses plaies sacrées ; il opère en nous la
rédemption dans tous les instants de notre
vie. Ingrats que nous sommes 1 nous la pas-
sons peut-être sans songer à lui. Mon Dieu!
disait saint Chrysoslome, vous avez fait de
si grandes choses pour nous faire voir dans
tous les siècles la grandeur de votre bonté !
et cela passe maintenant presque pour rien
dans l'esprit des chrétiens. Au lieu d'être
dans une admiration continuelle d'un si grand
ouvrage, ils ne pensent qu'à des bagatelles, et
ne s'occupent ni de la grandeur de leur reli-
gion, ni de la dignité de ses mystères, ni de
l'importance de leurs devoirs.
Achevons le récit du bienfait de la ré-
demption , et découvrons aux chrétiens ce
cvi
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
7» Kl
que leur promettent encore les plaies que le
Sauveur leur montre : c'est, mes frères,
l'héritage éternel ; c ir ni nous sommes en-
fants, )ious tomme t aussi héritiers de Dieu <t
cohéritiers dr Jétus-Chrùt, dit saint Paul :
par où cet apôtre nous apprend la nature île
l'héritage, la qualité des liions qui nous sont
prumis et la source du droit que nous avons
sur ces biens. Oui, mes frères, nous serons
les héritiers de Dieu, et c'est l'héritage de
Dieu qui nous est promis. Les biens de Dieu,
c'est Dieu môme, ainsi dit saint Augustin
sur ces paroles : Dominas pars hœreditatis
meœ; ceux qui sont mes frères et les enfants
do Dieu posséderont avec moi leur héritage,
qui est Dieu. Que les autres choisissent les
biens temporels et terrestres dont ils jouis-
sent, le Seigneur sera éternellement le par-
tage des saints.
C'est donc Dieu lui-même qui doit être
notre héritage, et nous en jouirons par ta
participation et par la possession stable et
perpétuelle des mêmes biens et des mêmes
avantages qu'il possède. Mais nous serons
encore les cohéritiers de Jésus-Christ eu
conséquence de l'union que nous avons ici-
bas avec Jésus-Christ, qui est lils par na-
ture, et par conséquent le seul héritier par
justice, tout le reste des hommes ne l'étant
dans l'état présent que par grâce. Voilà, mes
très-chers frères, la qualité des bienfaits que
le Sauveur a fait découler sur nous par les
plaies qu'il nous montre aujourd'hui. Ne
détournons jamais les yeux de dessus ces
plaies adorables. Qu'elles soient é:ernel!e-
inent les objets de notre reconnaissance ,
puisqu'elles sont continuellement les sources
de notre bonheur. Mais prenons garde de ne
nous pas abuser en nous formant une fausse
idéede la reconnaissaneeque nouslui devons :
elle ne consiste pas seulement à conserver
la mémoire de ses bienfaits et à foi nier de
temps en temps des mouvements d'actions
de grâces dans notre cœur, sans passer
outre. Elle consiste à remplir tous les en-
gagements où nous sommes entrés avec lui
par les bienfaits dont il nous a comblés : ce
que nous ne pouvons faire qu'en vivant
dans l'union avec ses souffrances ; car il ne
nous montre pas seulement ses plaies comme
les preuves de son amour , mais encore
comme les vestiges de ses souffrances et
comme des bouches ouvertes qui nous par-
lent incessamment de la nécessité de souffrir
avec lui. Condition essentielle et indispen-
sable pour mener une vie vraiment chré-
tienne, et dont nous allons parler dans la
deuxième partie.
DEUXIÈME PAHTIE.
Comme il n'y a rien que l'homme oublie
plus volontiers que l'obligation indispen-
sable où il est de souffrir, il n'y a rien aussi
que Dieu lui remette plus ordinairement
devant les yeux, et dont il prenne plus de
soin de l'avertir : le temps de la résurrec-
tion fait oubli r celui de la passion, et le
commerce du monde efface aisément l'idée de
l'un et de l'autre.
Toute l'Ecriture est remplie de ces avr-
tissements salutaires, toute la conduite du
Sauveur ne nous recommande autre chose;
et lois même que, pour suivre l'ordre des
choses établies par son Père, il a été obligé
de faire paraître quelques éclats de sa gloire
ou même d'en parier aux hommes, il l'a tou-
jours fait en y mettant quelque choie di
souffrances, et en les empêchant toujours de
perdre de vue l'obligation où ils sont d'y
prendre part. C'est encore pour ce même su-
je , mes frères, que, montrant aujourd'hui à
ses disciples son corps glorieux, il leur fait
remarquer qu'il conserve les cicatri<es de
ses plaies, et qu'en leur donnant des preu-
ves de sa triomphante résurrection, il leur
remet devant les yeux l'idée de sa passion :
c'est aussi cette même vue que j'ai dessein
de vous exposer pour vous convaincre de
l'obligation indispensable où nous sommes
tous de souffrir, n'y ayant rien de plus fort
pour nous le persuader que cet exemple , et
c'est l'argument que saint Pierre propose
aux fidèles : Jésus-Christ a souffert pour
nous, vous laissant un exemple afin t/u>
marchiez sur tes pas ; par où il par il que les
souffrances du Sauveur nous ont forme un
engagement à souffrir, et que nous ne -au-
rions recevoir les fruits de cet amour dont il
nous représente les preuves en nous mon-
trant ses plaies, qu'en nous unissant à ses
souffrances et en prenant part à sa croix.
lîn effet, son amour lui a inspiré de mou-
rir pour nous délivrer de la servitude du dé-
mon ; mais c'est en nous attachant à sa croix.
Si par sa mort il nous a donné une nouvelle
vie, qui nous rend les enfants de Dieu, I a-
mour de la croix est la marque des enfants
légitimes, selon saint Paul. S'il nous a ren-
dus les héritiers de sa gloire, c'est à condi-
tion que nous donnerons de notre côté ce
qu'elle lui a coûté, et que nous n'y entre-
rons que par la croix. Il e?t vrai qu'il n'y a
que là croix de Jésus-Chri t qui nous saine,
et qu'il fallait que le Sauveur immolât sa
vie sur cet autel, pour nous délivrer de la
servitude du démon; mais il est vrai aussi
que nous ne participons à ce salut dont il
est l'auteur qu'à proportion que nous imi-
tons l'Homme-Dieu qui nous a sauves. 1 a
souffert pour vous, dit saint Pierre, vous lais-
sant un exemple. Sa croix a été sans doute
efficace et toute-puissantepour la rédemption
de tout le monde; elle a mériié un fonds de
grâce, de miséricorde et de réconciliation
inépuisable pour tous les hommes; mais elle
a tellement été le prix de leur rédemption,
que le Rédempteur a voulu que ce fût atec
l'obligation d'être eux-mêmes crucifie
que ses grâces prenant tout leur mérite de sa
croix, elle ne les sauvât qu'en les y atta-
chant avec lui. Car nous avons été, dit saint
Paul, entés en lui par la ressemblance
mort.
Etre donc attaché à la croix avec Jésus-
Christ, voilà l'engagement d'un chrétien ra-
cheté par la croix. Si vous m'en demandai
la raison, c'est qu'il était libre à celui qui
s'est reniu notre Rédempteur de nous lai>-
701
SERMON POUR LE DIMANCHE DE QUASIMODO.
702
ser dans la servitude, et ayant formé le des-
sein de nous en délivrer, il a pu y mettre telle
condition qu'il a voulu. Or il y a mis celle-
là ; c'est pourquoi l'Apôtre nous dit qu'ayant
été affranchis de l'esclavage du péché, nous
sommes devenus esclaves de la justice. Après
tout il était bien juste que le Sauveur mît
celte condition dans la rédemption qu'il of-
frait pour nous ; car qu'y a-t-il de plus rai-
sonnable que ceux qui sont coupables por-
tent la peine de leur péché, et que les auteurs
de l'offense contribuent à la satisfaction ?
Mais, peut-être me direz-vous : Le Sauveur
n'a-t-il pas satisfait à son Père pour moi ?
Oui, chrétiens, il a satisfait et même en ri-
gueur de justice et avec une surabondance
qui répondait à la valeur infinie de ses pei-
nes. Pourquoi donc faut-il que je souffre avec
lui, puisque ses souffrances sont surabon-
dantes, et que les miennes ne contribuent de
rien à leur valeur, qui et infinie par le fonds
delà dignité propreet personnelle de 1 Homme-
Dieu qui les a endurées? A cela je réponds, et
je vous prie de bien entrer dans cette grande
vérité de la religion et dans ce grand principe
qui nous unit à Jésus-Christ souffrant : Il est
yrai que c'est lui qui a satisfait à son Père
pour nous, et qu'il fallait un mérite infini
comme le sien pour apaiser sa colère, tout
autre que l'Homme-Dieu n'étant pas capable
de le faire; mais quand il a présenté son sa-
crifice, nous étions unis avec lui. Il l'a pré-
senté comme chef, ainsi tous les membres de
son corps ont été offerts, et nous tous, chré-
tiens, nous devons nous regarder comme des
victimes sacrifiées à la justice de Dieu dans
la personne de Jésus-Christ. Il a voulu se
former un corps, car son Eglise est appelée
un corps par saint Paul ; il a formé ce corps
des hommes corrompus et pécheurs; il a pu-
rifié par son sang cette masse impure dont il
a fait ce corps ; mais, s'étant rendu le chef de
ce corps en le purifiant, il l'a engagé par là
à prendre part à ses souhrances par lesquel-
les il l'avait purifié, étant nécessaire qu'il y
ait du rapport entre les membres et le chef.
C'est, mes frères, cette gran'ic vérité dont
l'apôtre saint Paul nous instruit lorsqu'il dit
dans son Epîlre aux Colossiens : J'accomplis
dans ma chair ce qui manque aux souffrances
de Jésus-Christ, ou bien ce qui reste à souf-
frir à Jésus-Christ. Prenez bien garde à cette
expression. L'Apôtre ne dit pas : J'achève ce
qui manque à mes souffrances, mais il dit :
Ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ,
pour nous faire entendre qu'il jy a un com-
merce de souffrances entre Jésus-Christ et les
chrétiens, et que ses souffrances sont les nô-
tres; d'où nous apprenons que Jésus-Christ,
en présentant ses souffrances à son Père, a
non-seulement satisfait pour les hommes et
les a rendus capables de satisfaire avec lui,
mais même que le mérite de ses soulfrances
a apaisé Dieu et l'a disposé à recevoir les
soulfrances des hommes, parce qu'il a sanc-
tifié les souffrances et les a rendues dignes
d'être offertes ;'< l)i H.
Le bénéfii e de la rédemption nous engage
donc iudispeu.sablement à partager les souf-
frances du Rédempteur : c'est une condition
sans laquelle nous ne pouvons avoir part au
bienfait de cette rédemption.
Jésus-Christ s'est offert à son Père, il a
reçu sur son corps le baptême de sa passion,
et parce qu'il l'a reçu comme chef, il a pré-
senté tous les chrétiens à ce baptême avec
lui. Il a promis pour eux ce qu'ils n'étaient
pas capables de promettre, de sorte que lors-
qu'ils reçoivent avec joie ou au moins avec
patience la croix qu'il nous impose et qui lui
a été déjà offerte par son Fils, cette affliction
d'un moment nous applique le fruit de la ré-
demption, remplit les engagements de notre
baptême et assure notre gloire. Que si nous
refusons de la porter, nous perdons le fruit
de la croix de Jésus-Christ, nous renonçons
à notre baptême, nous n'accomplissons point
les promesses qu'il avait faites pour nous à
son Père, et nous nous rendons indignes de
recevoir ce que son Père lui avait promis
pour nous. Mais il y a plus, car si nous re-
gardons le bénéfice de la rédemption du côté
de la vie nouvelle que nous avons reçue par
la mort du Sauveur, il est facile de vous con-
vaincre que nous devons prendre part aux
soulfrances de Jésus-Christ. En effet, cette
vie dans sa source est produite par la mort
de Jésus-Christ , et ainsi elle n'est en nous
que le fruit de la part qu'il a bien voulu nous
donner à ses souffrances : Ne savez-vous pas,
dit saint Paul, que nous tous avons été bapti-
sés en sa mort ? c'est-à-dire à la ressemblance
de sa mort, comme s'il disait, d'une manière
qui nous a rendus extérieurement sembla-
bles à Jésus-Christ mort, afin que nous coin»
prissions le mystère de sa mort par celte
ressemblance extérieure , c'est-à-dire par
l'immersion de nos corps dans l'eau , ainsi
qu'on le pratiquait autrefois, espèce de sé-
pulture, qui marquait mystiquement que ce-
lui qui était plongé et comme enseveli dans
l'eau était spirituellement mort au péché, au
monde, à soi-même. Comme Jésus-Christ par
sa mort s'est privé de la vie du corps, de tou-
tes les fonctions de la vie corporelle, ainsi
nous sommes baptisés en la mort de Jésus-
Christ, c'esl-à-dire nous ne recevons la vio
dans le baptême que par la mort de Jésus-
Christ : car l'Eglise a été conçue sur la croix,
et une lance, disent les Pères, a ouvertlccôtô
de Jésus-Christ, pour en aider l'enfantement.
C'e^t de là qu'est sortie la vie qui anime le
chrétien, c'est une vie qu'il reçoit par la
mort de celui qui la lui donne et par la por-
tion de ses souffrances qu'il lui communi-
que. Mais il ne la lui donne que pour le faire
mourir lui-même; et comme il n'a pu nous
donner la vie que par sa mort, nous ne pou-
vons recevoir cette vie que par notre mort.
De là vient qu'au baptême, où nous la rece-
vons, nous renonçons au monde et à nous-
mêmes ; et il nous dit dans l'Evangile que si
quelqu'un veut être son disciple, c'est-à-dire
chrétien, et vivre de sa vie, // faut qu'il re-
nonce ù toi-même . ce qui est une véritable
mort, et ce qui ne se peut accomplir sans
nous exposer à des jouffrances réelles; < l'-
on ne quitte point sans douleur ce qu'on a
roN
ORATEURS SACRES. UOM JEROME.
704
aimé avec passion. Jugez, mes frères, | ar la
qualité ci le caractère de cette vie, quelle
doit cire la nature de nos action-, puisque
la vie n'est donnée que pour agir, et ce n'est
qu'en agissant qu'on reconnaît qu'un iiomme
est vivant. Voici connue en parle saint Paul
dans la seconde Epttre aux Corinthiens :
Nous portons, dit cet apôlre, toujours en no-
tre corps la mort du Seigneur Jésus, afin que
la vie de Jésus-Christ puraisse aussi dans no-
tre corps. 11 faut donc, nies très-chers frères,
qu'il se fasse sur le corps mystique du Sau-
veur ce qui s'est fait sur son corps naturel;
or il conserve sur ce corp^ glorieux les cica-
trices des plaies qu'il a reçues pendant qu'il
était encore mortel; il les montre à ses dis-
ciples après sa glorieuse résurrection , et en
leur personne il les montre à tous les chré-
tiens, pour nous apprendre qu'il ne faut pas
nous abuser par la fausse idée d'une gloire
anticipée, que les avantages de la résurrec-
tion, à laquelle nous avons part, pourraient
nous donner. Car comme il a passé lui-même
par la mort pour ressusciter, il faut que nous
passions aussi par la mort pour recevoir la
part de la résurrection qu'il nous a méritée. La
vie que nous avons reçue par sa mort nous
doit conduire à la gloire, mais elle ne nous y
conduira jamais que par la croix : ainsi, du-
rant le cours de cette vie mortelle, celle vie
est une vie de mort, cette vie ne se manifeste,
ne s'augmente et ne se perfectionne que parla
mort, c'est-à-dire par la destruction du vieil
homme en nous, et par la ruine de toutes les
affections qui nous attachent à tout ce qui
est du vieil homme et du monde, soit que
nous nous appliquions à le détruire par des
renoncements volontaires aux biens du mon-
de, à ses honneurs, à ses plaisirs, aux dé-
sirs de nos passions, soil que nous nous sou-
rnetlions avec patience et avec amour à la
conduite de Dieu, qui s'applique à le détruire
en nous ôlant ce que nous aimons, ou par la
perte de nos biens, ou par celle de nos pro-
ches, ou par les maladies, ou par les disgrâ-
ces, ou par toute autre sorte de voies qui dé-
truisent le monde en nous, et qui ruinent les
affections du vieil homme, en nous enlevant
ce qui les nourrit. Voilà notre obligation,
mes très-chers frères; voilà l'idée d'un chré-
tien dont la vie doit être une vie de mort et
de croix, selon l'Evangile et les Pères. En
effet, comme la foi nous enseigne que Jésus-
Christ ne nous a aimés et qu'il ne nous a
donné la vie que parce qu'il a souffert pour
nous, la même foi et le même principe de la
religion nous apprend qu'une des preuves
que nous pouvons avoir que nous vivons de
sa vie, et que noire amour envers lui est vé-
ritable et sincère, c'est de voir si nous souf-
frons pour lui avec plénitude de cœur.
Il ne faut donc pas nous llaller d'èlre du
nombre de ses enfants, ni de vivre de s;i vie,
ni d'avoir part au fruit do sa résurrection,
si nous voulons vivre dans les délices et dans
l'amour du monde, et dans une application
continuelle à satisfaire nos passions, à éloi-
gner de nous tout ce qui peut nous faire
souffrir, et à recevoir avec impatience et avec
murmure la part qu'il plaît à Dion de nous
donner aux souffrances de son FiU. m nous
n'y prenons part, nous n'en aurons point à
son héritage, car c'est à cette condition qu'il
nousle promet. Nous sommes hériliersdcDieu
et cohéritiers de Jésus-Christ, pourvu toute-
fois, ajoute l'A poire, que nous souffrions avec
lui, afin que nous soyons glorifiés avec lui ;
par où cet apôtre nous apprjnd qu'il faut
que nous supportions, dans l'union des souf-
frances du Fils de Dieu, tous les maux que
par sa providence et par sa justice il a atta-
chés à celle vie mortelle, n'étant pas raison-
nable que si le Fils propre et naturel, tout
juste et toul innocent qu'il élait, n'est entré
en possession de cet héritage que par les
peines et les afllictions, ceux qui ne sont
qu'adoptifs et qui ont encore un si grand be-
soin d'expier leurs péchés par la pénitence,
prétendent d'y parveuir par une autre voie;
et ce qui est encore moins équitable, qu'ils
osent s'attendre d'y parvenir par le repos et
par les délices de celle vie, qui sont si con-
traires à celle que nous espérons de posséder
en l'autre. Voilà, mes frères, le langage que
nous tiennent les plaies du Sauveur pour
nous convaincre de la nécessité de prendre
part à ses souffrances; il est vrai qu'elles nous
disent en même temps que nous devons les
regarder comme des ressources certaines
dans nos besoins, et qu'elles sont toujours
ouvertes pour nous servir d'asile : c'est sous
cette qualité que je vais vous les faire voir
en peu de mots en finissant ce discours.
TROISIÈME PARTIE.
Après tout ce que je viens de vous dire des
plaies du Sauveur, je croirais n'avoir eucore
rien fa t pour votre consolation, mes très-
chers frères, si je n'ajoutais en Unissant, que
ces plaies sacrées sont des ressources pour
vous dans vos besoins, et que vous les trou-
verez toujours ouvertes pour vous servir
d'asile contre vos ennemis.
L'apôtre saint Paul, plein d'une tendresse
toute divine, avertit ses chers enfants de ne
point pécher, afin de ne se pas rendre indi-
gnes des grâces de Dieu ; mais comme il
voyait en même temps noire néant, la pente
que nous avons naturellement vers le péché,
le fonds de notre corruption, les pièges con-
tinuels du démon, les tentations elles attraits
du monde pour nous surprendre ; craignant
justement que nos chutes ne nous désespé-
rassent si nous venions à considérer la pro-
fanation du sang d'un Dieu, qui est mort
pour nous délivrer de la tyrannie du démon
et pour nous obtenir la vie de la grâce, il
nous avertit d'avoir recours à Jésus-Christ
même, comme à notre avocat auprès de son
Père, qu'il prie toujours pour l'apaiser sur
nos pèches; et saint Paul, voulant QOUl ma -
quer la grandeur de son amour pour nous
et quelle doit être notre confiance en lui,
nous dit que Jésus-Christ , qui est mort . qui
est ressuscité <t qui est à la droite de Dieu,
est celui mime qui intercède pour nous.'
à-dire, mes très-chers frères, qu'api es tous
les biens que nous avons reçus de lui il in-
m
SERMON POUR LE JOUR DE L'ANNONCIATION.
700
tercède encore auprès de son Père pour l'ac-
complissement de notre salut. Que pouvons-
nous donc appréhender de la part des créa-
tures avec une si puissante intercession ,
quelque effort qu'elles fassent pour détruire
l'ouvrage de notre salut, puisque tout leur
pouvoir ou leur mauvaise volonté ne sont
rien en comparaison du pouvoir, de la bien-
veillance et de l'amour que Jésus-Christ a
pour nous? Assuré de cette protection, l'Apô-
tre proteste que rien n'est capable de le sé-
parer de Jésus-Christ. C'est aussi par là que
je vais conclure avec vous et ce discours et
ma mission. Fasse le ciel que ce que je
vous souhaite eu la finissant s'accomplisse
en vous. Que la paix soit avec vous :
Pax vobis. Ce souhait du Sauveur du monde
a eu son effet ; il a réconcilié les hom-
mes avec son Père : je présume que vous
avez eu part à cette réconciliation et à tous
les fruits de sa mort. Le moyen d'en conser-
ver les avantages, c'est d'être dans les senti-
ments que j'ai essayé de vous inspirer dans
ce discours. Ne perdez jamais de iue les
plaies du Sauveur qu'il montre aujourd'hui
à ses disciples et que je vous expose de sa
part. Regardez-les comme les preuves de son
amour pour vous. Dites-lui : C'est de ces
plaies sacrées que coulent en moi tous les
biens dont je suis rempli, je n'ai rien que je
ne le tienne de vous; la ruine de mes enne-
mis, la vie, la grâce, la part à la gloire que
j'espère, tout vient de vous; et ces plaies sa-
crées sont les sources de lous ces biens. Mon
Dieu, s'il est marqué dans l'Ecriture que,
quand David combattit contre Goliath , le
peuple en reçut tout l'avantage, mais qu'il
en laissa à David toute la gloire, vous n'avez
pas moins fait que David, ô mon Sauveurl
vous avez combattu et vous avez vaincu.
Qu'à vous seul soit donc toute la gloire de
mon salut. S'il vous en a coûté la vie, Sei-
gneur Jésus , pour me procurer tous ces
biens, dois-je espérer de conserver le droit
que vous m'y avez donné par votre mort,
sans prendre part à vos souffrances? Vous
ne me montrez ces cicatrices après votre ré-
surrection qu'afin de m'apprendre que si
vous n'êtes ressuscité qu'après avoir souffci t
la mort, je ne dois prétendre d'arriver à la
gloire qu'après avoir pris part à vos souf-
frances. Je sais bien que je ne puis remplir
ces obligations indispensables de ma reli-
gion sans être exposé à de très-grandes
tentations dans les obstacles qu'y apporte
l'esprit du monde, qui nous environne et qui
nous entraîne; mais, ô mon Dieu! quel excès
de joie quand je considère que ces plaies
sont encore des asiles contre mes ennemis et
des bouches ouvertes qui prient pour moi
d'une manière efficace dans lous mes be-
soins, lorsque j'ai recours à vous! Avec ces
dispositions, mes très-chers frères, j'espère
que le souhait que je fais pour vous au nom
de Jésus-Christ aura son effet;, que la paix
«oit avec vous : Pax vofris, et au lieu de vous
faire d'inutiles adieux en vous quittant, je
crois ne pouvoir rien dire de plus digne do la
Mioleté de mon ministère, ni de plus con-
forme à la charité qui a dû m'animer eu le
faisant, que de vous dire : Mes frères, n'ou-
bliez jamais de reconnaître les bontés du
Sauveur, car vous tenez tout de sa miséri-
corde; prenez part aux souffrances du Sau-
veur, car on ne fait son salut qu'en portant
sa croix; recourez continuellement au Sau-
veur, car dans nos misères nous n'avons
point d'autre ressource que la prière , et
toute prière doit être faite par Jésus-Christ.
Voilà, mes frères, dans ces trois paroles l'a-
brégé non-seulement de tous nos discours,
mais de toute la religion, de toute la perfec-
tion du christianisme, l'essence de la doc-
trine de l'Evangile et les moyens assurés de
conserver la paix que Jésus-Christ nous a
méritée par son sang et d'arriver à la gloire.
Ainsi soit-il.
SERMON
POUU LE JOUR DE l' ANNONCIATION.
Sur les qualités de Marie dans le mystère de
ce jour.
Ave, gralia plena, Domiuus tecum.
Je vous salue, Marie, pleine de grâce; le Seiqneur est
avec vous [Luc, I, "28).
Si nous voulions nous attacher précisé-
ment au mystère dont la solennité nous as-
semble, nous ne parlerions aujourd'hui que
de l'incarnation du Vrerbe; car c'est propre-
ment dans ce jour que s'accomplit ce grand
ouvrage de son amour pour nous; c'est au-
jourd'hui qu'il sort du sein de son Père pour
habiter dans celui d'une vierge, où le Saint-
Esprit lui forme un corps et la rend sa mère
par celte bienheureuse habitation. Mais
comme l'Eglise sainte remet la solennité de
ce mystère au jour que le Sauveur, prenant
naissance de la Vierge dans Tétanie de Reth-
léem, commence à paraître homme avec les
hommes, et qu'elle semble aujourd'hui s'at-
tacher davantage à parler de la coopération
de Marie dans ce grand ouvrage, mon des-
sein est d'entrer dans son esprit et de suivre
ses intentions. Ainsi, mes frères, tout ce dis-
cours se réduira,
1° A vous faire reconnaître que Dieu, par
sa miséricorde, nous donne part à l'alliance
qu'il forme avec Marie par son incarnation :
premier point; 2° à examiner quelles ont été
les dispositions que Dieu a mises en elle pour
la préparer à celte alliance, afin que nous le»
Jui demandions : second point.
En un mol, nous expliquerons le fond du
mystère en soi et les suites du mystère par
rapport à nous, d'une manière utile et chré-
tienne, si le même esprit qui l'accomplit en
Marie nous accorde les lumières que je lui
demande par l'intercession de cette excel-
lente Vierge, en qui il l'accomplit lorsque
l'ange vint lui dire : Ave, gratia.
PREMIÈRE PARTIE.
Je n'avance rien d'extraordinaire quand je
dis que Dieu, par sa miséricorde, nous donne
part à l'alliance qu'il forme aujourd'hui avec
la sainte Vierge dans le mystère dont la so-
lennité nous assemble. Il faudrait ignorer
quelle est la grandeur du christianisme cl à
?<:
ORATEI RS SACRES. HO.M JEROME.
70S
quelle dignité sont éli \c e«UX que Dieu y a
ig par sa miséricorde, pour douter de
•et te vérité : ainsi, mes frères, je M ferai
■ ,,ii|)!cinoiit que vous représenter d'une part
ce que Jésus-Christ a dessein «le l'aire dam
cette alliance, et de l'autre Ce que ROM deve-
nons par celle alliance, pour vous taire com-
prendre quelle est la pari que sa miséricorde
nous y donne et quelles sont les conséquen-
ces que nous eu devons tirer.
La foi nous enseigne ce que Jésus-Christ a
dessein de l'aire dans ce mystère, et l'Ecri-
ture nous l'explique dans le discours que
l'ange fait à Marie, et qui lui est envoyé de
la part de Dieu, comme l'évangile de ce jour
nous l'expose, i.e dessein du Fils de Dieu,
c'est de se faire homme, de prendre un corps
dans le sein de Marie, et de devenir homme
par une nouvelle naissance qu'il reçoit d'elle-
L'ange qui lui est envoyé nous explique tout
ce mystère. Vous allez, lui dit-il, concevoir
dans voire sein, et vous enfanterez un fils.
Vous concevrez, lui dit l'ange, dans votre
sein; le Saint-Esprit surviendra en vous, et
la vertu du Très-Haut vous couvrira de son
ombre : c'est pourquoi le fruit qui naîtra de
vous sera appelé le Fils de Dieu. Le Saint-
Esprit, comme esprit de grâce, de sanctifica-
tion et d'amour, remplit, prépare et élève le
corps de la Vierge pour le mystère de l'in-
carnation, et le Fils de Dieu prend en elle et
d'elle une nouvelle nalure qui est rendue
sainte.
Voilà, mes frères, ce que Jésus-Christ fait
dans ce mystère, et l'alliance qu'il forme avec
Marie, qui devient sa mère d'une manière si
grande et si divine.
Mais à la vue de tant de grandeur et de
tant de gloire, oseriez-vous bien penser, mes
frères, que chacun de nous a part à cette al-
liance, et qu'on peut dire dans un sens très-
véritable que Dieu ne l'a formée avec Marie
que par rapport à nous, puisqu'elle n'est
choisie pour être la mère de Jésus-Christ que
parce qu'il a résolu de se rendre dans ce
mystère noire frère et notre rédempteur?
Car, est-il dit dans saint Mailhieu : Marie
enfantera un fds , et vous l'appellerez Jésus ,
parce que ce sera lui qui sauvera son peuple
de ses péchés.
Ce qui fait dire à Guillaume, évèque de
Paris, en parlant de la sainte Vierge : Votre
qloire est fondée sur la grâce de votre mater-
nité , votre maternité sur l'incarnation du
Verbe ; le Verbe s'est incarné pour sauver
l'homme; l'homme n'était perdu que par le pé-
ché : c'est donc à ces pécheurs formés pur le
premier coupable que vous êtes redevable de
votre gloire; et, semblable, dit ce grand hom-
me, en quelque sorte à ceux qui sont élevés
sur le trône duns une révolte et dans une .édi-
tion, cl qui, profilant du auditeur de ceux qui
ont bien voulu se perdre, travaillent ensuite
au salut de ceux qui restent, ainsi Marie est
redevable aux pécheurs de la gloire de la ma-
ternité, et elle est le refuge des pécheurs qui
Veulent se convenir .
Mais, revenant au fond des choses, il eet
certain que dans le moment que Jeaus-Christ
s'unit a Marie dans ce mystère, il arrive que
la personne du Verbe s'unii arec notre ra-
ture dani Marie, et il se cont teto, pour
ainsi dire, un mariage entre le I- ils de Dieu
et la nature humaine, dans Marie pour elle,
et par elle pour tous ! .eus. 11 fallait
que la n ture humaine donnai son con-cn-
temeut a cette alliance, et c'est ce qui se fait
par cette parole de Marie : Fiat mihi *•
duai verbum luum.
Marie représente loule la nature pour la
sauver par son consentement, comme l.v •
l'av il représentée pour la perdre, e i con-
sentant à laaaggestioa de l'auge le ténèbres.
La mort est entrée dans le monde par Adam,
la \ ie par Jésus-Christ. Ev a écoule le démon
el perd la nature humaine en se laissant al-
ler à la sugge.-lion. Marie donne son con-
sentement a l'ange du S. ;;neur, ei par
nature esl guérie : l'une, eu (onsenlaut à la
suggestion du serpent, ouvre le chemin a la
mort; celle-ci, en conscnlau' 1 1 proposi-
tion de l'ange, ouvre le chemin à la vie.
Mais prenez garde a la manière dont ceci
s'accomplit : c'esl en fournissant à celui qui
esl l'unique auteur de la »ie la matière dont
a élé formée la victime offerte dans le sacri-
fiée qui a délruil la mort, et qui nous a re-
cvu îiiés avec son i>ieu ; car non-s. ulemeni
le Verbe s'unit à Marie, il se fait encore une
alliance du Verbe avec lous les fidèles en
particulier; et c'esl ici qu'il faut remarquer
ce que nous devenons en conséquence de
l'alliance du Verbe de Dieu avec Marie. 11
devient un membre dans notre famile, il
veut bien nous appeler ses frères ; il se rend
chair de noire ena r et os de nos os ; il nous
fait ses membres, et il veut que lui et nous
nous ne lassions qu'un corps. Celui qui
sanctifie cl ceux qui sont sancliûés viennent
tous d'un même principe.
Ah l mes frères, nou- ne concevons pas la
grandeur de la grâce chrétienne, ni ce que
nous devenons par la gràcede notre baplème,
qui nous unil si inlimemenl à Jésus-Christ.
La nalure humaine esl montée à un si haut
point, qu'elle ne pouvait monter plus haut.
Chaque chrétun, dit saint Augustin, est Christ
depuis le commencement de sa foi par la même
grâce par laquelle l humanité sainte dès son
premier commencement a été faite Christ. Le
chréliena reçu sa renaissance du même Esprit-
Saint de qui Jésus-Chris' a pris sa naissance,
et lous ces avantages connue tous ce* biens
sont des suites de l'alliance qu'il contracte
avec Mûrie, et de celle qu'il forme avec notre
nature i n Marie et par Marie, qui est appelée
p r l'Eglise la mère de lu grâce, parer qu'elle
est celle dont Dieu se sert pour être la source
de celle c mmunicatioa et de cette grâce. La
part que nous avons a celte alliance est donc
évidente. Celle alliance nous donne droit en
quelque manière d'engendrer Jesus-Chrisl,
c'est-à-dire que l'âme chrétienne devient
mère de Jcsus-Christ en suivant la reloi lé
de Dieu; car par là nous lormons Jésut-
Chrisleii nous; nous lui donnons en quelque
MCOO un nouvel être; ce u'esl plus
qui vivons, c'est Jesus-Chrisl qui > il eu nous.
709
En faisant sa volonté il règne en nous ; en
régnant en nous, il règle tous nos mouve-
tn-nts, toutes nos actions, toutes nos affec-
tions. En un mot, ce n'est plus nous, encore
une fois qui vivons , c'est Jésus-Christ qui
vit en nous. Ce sont ces vérités que FEcri-
ture nous enseigne lorsqu'elle nous rap-
porte que 3é us-Christ, voulant faire con-
naître qui était sa mère et ses frères, étendit
la main sur ses disciples : Voici ma mère,
dit-il, voici mes frères; car quiconque fait la
volonté de mon Père qui est dans te ciel, ce-
lui là est ma mère, mon frère et ma sœur.
D'où nousapprmons que comme l'alliance
qu'il a avec Marie par les liens de la nature
n'est qu'une suite de celle qu'il a eue avec
elle par l'esprit et par la grâce, toul chré-
tien ayani part à cette alliance de l'esprit par
la grâce de sa régénération, et pouvant, selon
la proportion de son amour, participer à la
grâce de la maternité par la vie de la foi, il
a part d'une manière considérable, en ce
qu'il y a de plus noble et de plus divin dans
cette alliante.
C'est pourquoi saint Ambroise ne craint
pas de mettre l'âme chrétienne en quelque
sorte en parallèle avec Marie , lorsqu'il lui
dit que tou<e âme fidèle conçoit en elle le Verbe
de hieu ; mais prenez garde à la condition
qu'il y ajoute : Pourvu quelle soit pure, dit-
il, de tous les vices, et qu'elle conserve la pu-
reté de Came, c'est-à-dire pourvu que la foi
produise ses effets en elle, qui sont de déta-
cher son cœur des choses présentes et pé-
rissables, pour s'attacher à Dieu, et aux
bieus éternels: ce que saint Ambroise appelle
caslilatem custodire; car c'est l'amour de
Dieu qui forme la pureté de cœur.
Mais non-seulement nous voyons dans les
paroles de ce saint docteur, la part que nous
avons à l'alliance que Jésus-Christ fait avec
Marie dans ce mystère; nous y voyons en-
core les conséquences que nous devons tirer
de l'avantage que nous avons reçu dans celte
alliance. Ces conséquences regardent l'obli-
gation où nous sommes tous de vivre con-
formément à la dignité et à la sainteté que
cette alliance met en nous, et nous en trou-
verons l'idée dans les dispositions que Dieu a
mises dans Marie pour la préparer à celle
alliance. Appliquons-nous à les étudier dans
la seconde partie, et à demander à Dieu qu'il
nous les donne pour nous rendre dignes de
la miséricorde qu'il a bien voulu nous faire
en nous donnant part à la plus sainte al-
liance qui fut jamais.
SKCOÎSOE PARTIE-
Comme nous avons part à l'alliance que
Jésus-Christ fait aujourd'hui avec Marie ,
ainsi que nous venons de vous le faire voir,
nous devons, mes très-chers frères, lâcher
d'entrer dans les dispositions de Marie, pour
essayer de nous rendre dignes de celte mi-
séricorde qu il lui a plu de nous faire. Saint
Ambroise, qui vient de nous marquer la part
que nous avons à cette alliance divine , nous
inarque en même temps la nécessité de celte
disposition. (Jue chacun ail , dit-il, dans
SERMON POUR LE JOUR DE L'ANNONCIATION.
710
l'âme, les dispositions de Marie, afin qu'il
rende comme elle à Dieu les actions de grâ-
ces qui lui sont dues; et que chacun entre
dans l'esprit de Marie, afin qu'il mette sa joie
ea Dieu. Or, mes frères, je trouve dans Ma-
rie trois dispositions admirables, qui doivent
être dans chaque chrétien, s'il veut conser-
ver l'avantage qu'il a reçu de Dieu lorsque
par sa miséricorde il lui a donné part à l'al-
liance qu'il a faite avec Marie dans ce mys-
tère.
La première, c'est un étonnement et une
admiration mêlés de reconnaissance, sur la
grandeur de celle alliance sainte et divine
qui lui fait reconnaître son élévation par son
Fils : Quumodo fiet istud? La deuxième, c'est
un anéantissement et une profonde humilité
dans la vue de son indignité et de sa propre
bassesse : Ecce ancilla Domini. La troisième,
c'est une adhérence et une soumission par-
faites à la volonté de celui qui la prévient
par sa miséricorde ; elle s'attache à celui qui
l'a éle.ée, afin qu'il soutienne ce qu'il a fait
en elle, et c'est par là qu'elle se rend digne
de l'alliance qu'il a contractée avec elle :
Fiat secundum verbum tuum. Voilà les dis-
positions où nous devons èlre pour conser-
ver l'honneur que Dieu nous a fait en nous
donnant part par sa miséricorde à l'alliance
que son Fils fait aujourd'hui avec Marie, et
nous devons tirer de là de très-grandes in-
structions.
La sainte Vierge fit paraître d'abord un
étonnement et une admiration causés par
les paroles de l'ange, qui i'assure qu'elle
est pleine de grâce, que le Seigneur est avec
elle, et qu'enfin elle concevra dans son sein
et qu'elle enfantera un fils qui sera le ré-
dempteur des hommes.
Saint Bernard remarque trois différents
mouvements dans Marie : elle est troublée,
dit-il, par la crainte de perdre la qualité de
vierge ; parce qu'elle entend qu'on ne lui
propose des bénédictions qu'en qualité de
mère. Elle est troublée, parce qu'elle voit
un homme, et qu'elle craint les tromperies
de celui qui se transforme en ange de lu-
mière. Sa profonde sagesse la met dans la
défiance quand elle entend parler de grâce et
d'états extraordinaires; et elle apprend aux
âmes chrétiennes à se défier beaucoup de
certaines élévations qui les retirent de la
voie commune, et qui ne leur sont pas tou-
jours inspirées par des anges de lumière.
Enfin elle fut troublée par l'admiration dont
elle fut saisie, voyant que Dieu l'avail choi-
sie poi;r la combler de tant de grâces; et ue
voyons-nous pas même que sa cousine entra
dans les mêmes senlimeuls lorsqu'elle la re-
cul chez elle : D'où me vient ce bonheur, lui
dit-elle , que la mère de mon Seigneur vienne
vers moi f
M, lis, si Elisabeth, qui recevait une moin-
dre grlcc que celle de Marie, est entrée dans
un élonneiiicnt, dans une admiration et dans
des senlimen % d'une reconnaissance si vive,
quelle n'a pas dû être colla de Marie, el que
devoiis-nouspc user de sa disposition devant
Dieu?
711
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
71-2
Tour nous, me9 frères, qui avons parla
l'alliance qne le Sauveur du momie fait au-
jourd'hui avec Marie, nous devons recon-
naître l'obligation où nous sommes d'entrer
dans «elle première' disposition. 11 n'y a point
de chrétien qui, faisant réflexion sur cet
avantage, ne doive dire tous les jours de-
vant Dieu : Et d'où me vient ce bonheur que
le Seigneur même vienne en moi par son in-
carnation, par la foi, par la grâce qui me
fait chrétien? Ah 1 mes frères, il n'y a rien
de si grand et de si relevé que la grâce chré-
tienne. Par elle nous devenons les enfants
de Dieu, par elle nous devenons les temples
et la demeure du Saint-Esprit, qui habile ( u
nous; par elle nous devenons les membres
de Jésus-Christ ; et le même Esprit qui est
dans le chef se répand sur les membres, en
sorte même que, selon saint Paul, tous les
chrétiens, unis au Sauveur, ne forment
qu'une personne avec le Fils de Dieu.
Mes frères, il n'y a rien de si grand que
le chrétien ; ce qui fait dire à saint Augustin :
Si vous vous estimez vils et abjects par la
fragilité de votre nature, reconnaissez ce que
vous valez par le prix de votre rachat. Le
prix et la valeur de ce rachat sont le sang
de Jésus-Christ; rien de moindre ne pouvait
nous racheter, et l'effet de ce prix est de
nous réunir à Dieu, de qui nous étions sépa-
rés. Nous ne connaissons point la grandeur
de celte grâce; et ce qu'il y a de déplorable,
c'est que nous n'entrons point dans ces vues;
nous ne savons pas même ce que c'est que
la grâce chrétienne ; nous la recevons sans
la connaître, nous l'exposons sans la ména-
ger, et nous la perdons saus la regretter.
Ainsi nous n'avons garde d'entrer dans des
sentiments d'admiration, parce que nous ne
nous connaissons point, ni dans des dispo-
sitions de reconnaissance, puisque nous ne
pouvons estimer ce que nous ne connaissons
pas.
Mais où apprendrez-vous à connaître la
grandeur de cette grâce qui vous rend chré-
tien, sinon dans les livres de piété, dans l'E-
criture sainte? Mais vous ne la lisez pas.
Ccpcnd mtee sont les lettres de noire famille;
c'est là qu'il faut aller apprendre qui nous
sommes, à qui nous appartenons, quels sont
nos biens, à quoi nous sommes destinés,
quel esl notre héritage.
De bonne foi, qui est-ce qui pense comme
il faut à rendre grâces à Dieu de tous ces
avantages? On n'y songe point; mais qui
est-ce qui n'y serait pas porté, s'il compre-
nait la grandeur el la dignité de sa consécra-
tion? Que l'idée que je vous en viens de
donner, mes frères, vous porte à vous en
faire instruire et à en rechercher toute la
grandeur. Nous fouillons dans les cendres de
nos ancêtres pour tirer des preuves d'une
vaine noblesse, on fait dresser des généalo-
gies pour montrer son antiquité, on n'oublie
rien pour faire voir qu'on descend d'une
race illustre et qu'on appartient à de grands
hommes : on esl enfant de Dieu, cl on ne le
sail point; on esl le membre, le frère et le
cohéritier de Jésus-Christ, clou néglige toui
cela. Nous sommes Ions égaux dans les plus
grands dons de Dieu, qui soute u\ de l'âme,
la fui. la vocation, l'adoption, la sanctifica-
tion; c'est donc nne folie de vouloir se distin-
guer par des choses de nulle importai
pendant qu'on ne sail pas connaître sa véri-
table grandeur. Si vous n'étiez que des hom-
mes sans être chrétiens, ou que imus n'eus-
sions point d'autre établissement que celui
de la terre, il serait permis de s'y établir
d'une manière fixe; mais quel aveuglement
d'en chercher les moyens, pendant que nous
ne sommes ici que pour y passer, que nous
sommes héritiers de la gloire éternelle, et
que dans le ciel nous avons un père, une
patrie, un établissement pour toute l'éternité!
Laissons les grandeurs du monde à ceux qui
n'ont point d'autre espérance.
Ils laisseront leurs richesses à des étran-
gers, leurs hépulcres seront leurs mai-
jusqu'à la consommation des siècles : telles
seront leurs demeures dans la suite de t Mî-
tes les races, de tous les âges, quoiqu'ils
aient voulu se rendre immortels en donnant
leurs noms à leurs terres.
Mon Dieu I donnez-nous l'idée de la véri-
table grandeur. La recherche de la fausse
nous élève, et la véritable nous humilie. Le
fondement de la solide élévation, c'est l'a-
néantissement d'un cœur humble et soumis
à Dieu. Marie n'est humble que parce qu'elle
est grande, et c'est la seconde disposition
que nous devons imiter.
En effet, mes frères, d'où pensez-vous que
vienne l'humilité de Marie? Elle vient de sa
grandeur. L'ange lui dit : yVe craignez point,
Marie, car vous avez trouvé grâce devant Die r,
el que produit en elle la vue de cette gran-
deur? l'humilité, l'anéantissement. C'est co
qui parait par sa réponse : Voici la servante
du Seigneur. Celle qui est choisie pour être
la Mère du Seigneur assure qu'elle n'est que
sa servante, dit saint Ambroise. Les lumiè-
res que tant de grâces apportent en elle lui
découvrent la profondeur de son néant;
car, comme dit saint Bernard, jamais la créa-
ture ne connaît mieux sa misère que quand
elle est remplie des lumières de Dieu.
La grandeur de Marie l'humilie; parce
qu'elle la regarde avec l'œil de la foi, et
qu'elle considère la di-proportion qu'il y a
entre les grâces que Dieu lui a faites avec
elle-même, qui les reçoit; et, voyant ce
qu'elle a reçu, elle s'abaisse et s'anéantit in-
finiment- Ce serait par les mêmes vues que
nous deviendrions humbles, si nous considé-
rions avec admiration la grandeur el la di-
gnité de la grâce chrétienne, el ce que nous
sommes par l'alliance que Jésus-Christ fait
avec nous. Nous reconnaîtrions ce qu'a dit
l'Apôtre dans un autre sens, que nous por-
tons un grand trésor dans des vases de terre;
et nous dirions comme le saint nomme Job :
Quoi, Seigneur, vous avez daigné ouvrir les
yeux sur une si basse créature. Car, prenez-y
garde, mes chers frères, ce n'est point un
orgueil que de penser aux grâces et aux
dons que Dieu a mis en nous, et de considé-
rer la grandeur que nous tenons de lui par
7t5
SERMON POUR LE JOUR DE L'ANNONCIATION
sa grâce, quand nous n'y pensons que pour
lui en rendre toute la gloire; c'est au con-
traire un devoir de l'humilité chrétienne et
un moyen pour l'acquérir ou pour l'augmen-
ter, puisque nous ne saurions entrer dans
ces vues sans reconnaître que, si d'une part
nous tenons toute notre grandeur de Dieu et
de sa grâce, nous ne saurions, faibles comme
nous sommes, la conserver un instant si
nous ne nous livrons pour toujours à sa
conduite, pour ne suivre que les mouve-
ments de son esprit comme Marie, qui s'a-
bandonne entièrement à lui.
La vue de ces dons doit nous porter à mé-
priser toutes les choses de la terre et à nous
élever saintement au-Jcssus d'elles. Il y a un
saint orgueil, dit saint Paulin ; nous sommes
plus grands que toutes les choses de la terre,
et que me peut donner le monde qui ne soit
au-dessous de moi? Celte vue doit nous por-
ter encore à rendre grâces à Dieu.
Enfin, plus nous sommes pénétrés de no-
tre bassesse et de notre misère, plus nous se-
rons pleins del'idéedeia grandeur deces dons,
et portés par là à remonter jusqu'à leur au-
teur, qui n'a pas commencé cet ouvrage pour
le laisser imparfait.
La troisième disposition de Marie est de
s'abandonner à Dieu par une adhérence et
une soumission parfaites à sa volonté : Fiat
mihi secundum verbum tuum.
Saint Ambroise distingue deux choses dans
ces paroles de la sainte Vierge, la soumis-
sion et l'adhérence. Je suis la servante du
Seigneur /elle se soumet, voilà sa soumission;
mais elle se livre, et c'est son adhérence :
Qu'il me soit fait selon votre parole. Ainsi,
mes frères, par ces premières paroles elle se
déclare la servante du Seigneur : Ecce an-
cilla Domini; et par celles-ci : Fiat mihi se-
cundum verbum tuum, on peut dire qu'elle
se livre pour toujours à Dieu, pour n'avoir
plus de volonté que la sienne. L'angel'appellc
pleine de grâce, c'est donc suivre l'autorité
de Dieu même, au nom de qui il parle, que
de regarder la sainte Vierge, avant même
l'incarnation, comme remplie des grâces de
Dieu, comme parfaitement pure et comme
élevée à une Irès-éminente perfection.
Mais, depuis l'incarnation du Verbe dans
son sein, il y a eu une surabondance de
grâce qui a détruit entièrement tous les obs-
tacles et le principe même de tous les mouve-
ments contraires à cette adhérence parfaite ;
et , depuis l'alliance que Jésus-Christ a faite
avec Marie dans ce mystère, elle est livrée
à la volonté de Dieu, et elle n'a plus d'autres
mouvements que ceux qu'elle reçoit de son
esprit, qui la remplit.
Que de réflexions se présentent en vous
exposant l'exemple de Marie 1 Sans cette
disposition, mes très-chers frères, c'est-à-
dire sans l'union de notre volonté à celle de
Dieu, nous ne saurions conserver la grâce de
l'alliance qu'il fait avec nous par sa miséri-
corde. Entrez bien dans ceci, et comprenez,
s'il vous plaît, comment et à quelles condi-
tions se fait notre alliance ; comment nous
sommes unis à Dieu, les obstacles qui s'op-
Oratklks sacrés. XXX.
714
posent à notre union avec lui et à notre ad-
hérence à sa volonté, les secours dont nous
avons besoin pour la conserver, et l'atten-
tion que nous y devons donner.
Nous sommes unis à Dieu par la grâce,
c'est par sa miséricorde que nous sommes
arrachés de la puissance des ténèbres et
transférés dans le royaume de son Fils; et
par notre régénération en Jésus-Christ et
par l'alliance que nous contractons avec lui
dans le baptême, nous sommes délivrés du
péché. Notre volonté, qui était adhérente à
celle d'Adam, est transférée en Jésus-Christ.
Nous adhérons à Dieu, et en lui par sa vo-
lonté, et nous sommes sauvés en sa vie,
comme parle l'Apôtre.
Nous trouverons toujours en nous des
obstacles à cette adhérence, il est vrai, parce
que la concupiscence, qui est toujours en
nous, travaille à nous retirer de Dieu. C'est
le combat des deux lois dont parle saint
Paul ; et, selon saint Augustin, nous ne som-
mes régénérés que dans la pointe de l'âme.
Etrange composé du chrétien, qui esÊ. formé
de l'union d'un corps mort et d'une âme res-
suscilée, dont l'une lui montre le ciel, et
l'autre l'entraîne vers la terre! Mais si Jésus-
Christ est en vous, quoique votre corps soii
mort à cause du péché, l'esprit est vivant à
cause de la justice. 11 y a donc dans l'homme
deux volontés opposées, celle do l'homme
charnel et celle de l'homme spirituel : ce
que l'une veut, l'autre le combat.
Voilà les obstacles que notre concupis-
cence l'orme en nous. Mais que faut-il faire?
Le voici. 11 faut être dans une continuelle
attention à combattre, pour achever de faire
mourir les désirs de la concupiscence et pour
éteindre ce qui reste en nous de ia vie du
vieil homme. Il faut recourir à la grâce de
Jésus, qui seule nous peut faire triompher do
cette violente inclination au mal, qui est le
malheureux héritage des enfants d'Adam,
par une prière continuelle. La bonne volonté
ne peut venir que de celui qui l'opère ; il faut
lire la loi de Dieu et les livres de piété pour
y apprendre la volonté de notre Père. Enfin
il faut imiter les exemples cl régler sa vie
sur la conduite de Jésus-Christ, qui a formé
en nous une alliance si divine; et vivre
comme .Marie , qui , étant devenue mère
de Dieu, n'a plus eu d'autres mouvements
que ceux de la volonté de Dieu.
Voyons maintenant où nous en sommes.
Nous avons eu part à cette alliance par le
baptême, et en vertu de relie alliance nous
sommes unis à Jésus-Christ , transportés,
eûtes et établis en lui, comme parle l'Ecri-
ture. Son esprit est en nous, et nous devons
vivre selon son esprit, caries membres vi-
vent de la vie de leur chef. Voilà notre obli-
gation ;et si nous ne la remplissons, l'alliance
que nous avons contractée avec Jésus-Christ
ne peut tourner qu'à noire condamnation ;
car celte éminente dignité, ce grand nom de
chrétien n'est capable que de. nous abaisser
et de nous rendre misérables, si nous ne le
savons pas soutenir. Non, mes frères, il ne
nous servirait de rien d'avoir conçu Jésus-
23*
718
ORATFTRS SACRER. DO. M JEROME.
Tir,
Christ, môme dans nos entrailles d'one ma-
nière aussi miraculeuse que Marie, si la
pureté île noire vie ne répondait pas à une
dignité si excellente. Ce n'aurait pas éié un
grand ara otage pour Marie, si elle n'avait
conçu Jésus-Christ que selon la chair, et si
elle ne l'avait pas conçu en même temps se-
lon l'esprit par la foi.
Ainsi, mes frères, prenons garde que notre
alliance avec Jésus-Chi isl par ce mystère, et
par la grâce de notre baptême, qui en est
une suite, ne soit un sujet de condamnation
pour nous.
Ingr.it et insensible celui qui oublie ce
qu'il a été et ce qu'il est par une si grande
mtséricordel Aveugle el présomptueux celui
qui ne craint point de rompre cette alliance
et de rentrer sous la puissance du démon !
.Misérable et insensé celui qui compte pour
rien de s'y engager de nouveau pour un
plaisir d'un moment !
Jugeons du succès de notre alliance pai
notre adhérence à Dieu, car Jésus-Christ
nous avons été transformés en lui : vivons-
nous de son esprit? L'Apôtre dit que celui
qui n'a point l'esprit do Jésus-Christ n'est
point à lui, quoiqu'il soit dans la religion de
Jésus-Christ: paroles terribles et dignes d'une
grande attention ! Car qui n'a point l'esprit
de Jésus-Christ ne peut avoir qu'un esprit
d'erreur et de ténèbres, et celui qui l'a le
doit faire voir dans sa conduite el dans sa
vie.
Or, quel est l'esprit de Jésus-Christ, nous
vous l'avons dit plusieurs fois : c'est un esprit
de pauvreté, de simplicité, de douceur, d hu-
milité, de patience : est-ce là notre esprit,
mes frères? Examinons -nous sans nous
'lailer.
Qui adhère à Dieu est un même esprit avec
lui , et c'est là l'effet de ia charité et de l'a-
mour de Dieu; car celui qui s'attache au
Seigneur par un amour ardent devient un
même esprit avec lui par une parfaite cor-
respondance à toutes ses volontés. Nous de-
venons ce que nous aimons; l'amour trans-
forme ce qu'il unil : ceux qui sont enfants
de Dieu sont conduits par son esprit, ceux
qui ne sont pis conduis par son esprit ne
sont donc point ses enfants ; mais quel doit
être l'héritage de ceux qui ne sont pas ses
enfants? Mes frères, vous le dirai-je? il n'y
a que deux naissances, et par conséquent
que deux patries; il n'y a que deux cités, et
par conséquent que deux héritages.
Vous n'êtes pas les entants de Dieu si vous
n'êtes pas conduits par son esprit ; vous êtes
les enfants du démon -i vous n'accomplissez
que les désirs qu'il vous suggère. Cela est
terrible, mais il le sera bien davantage quand
Dieu nous le dira lui-même, el peut-être dès
demain.
Songez-y donc, mes frères : nous avons
part à l'alliance que Jésus-Christ fait arec
Marie et dans Marie; ce mystère est fait pour
nous, el c'est une horrible confusion pour
rous si nous avons rompu celle alliance.
Jugeons-en par l'esprit qui nous anime, et
demandons nous à nous-mêmes dans toutes
nos .niions si nous IgifSOSfl par l'esprit de
Jésus-Christ: cir, mes frères, notre corps et
notre esprit ne sont plus à nous, nous lui
appartenons depuis notre alliance, et
lui qui en doit régler et gouverner lous les
mouvements.
Prions donc, mes frères, afin que nous
puissions concevoir Jesus-Christ : le r<
eiler, s'il est mort en nous : lui don
l'action elde la vigueur, s'il y est la
et le faire régner pour régner avec lui.
C'est à vous y engager que je m'applique
dans lous mes discours : fa>-se le ciel que
mon travail ne soil pas sans fruit ! Uue lésus-
Christ soil véritablement formé en rous el
en moi; qu'il y vive, qu'il y agisse et qu'il
y règne toujours, afin que nous résilions
tous ensemble éternellement avec lui." Ainsi
soit-il.
SERMON
POIR LE JOUR DE l'aSOENSION.
Expedit vouis ut ego vadam.
// vouh eu utile que je m'en aille (loan., \VI,
■j.
Comme tous les mystères qui s'accomplis-
sent en la personne de l'Homme-Dieu regar-
dent tous les membres du corps dont il psi !e
chef, toutes les fois que l'Eglise sainte nous
engage à en entretenir ses enfants, nous ne
devons jamais séparer ce qu'elle nous pro-
pose comme l'objet de noire foi, d'avec ce
qui doit être le sujet de notre espérance, et
nous devons toujours parler également de
tout ce qui le regarde et de ce qui nous
touche.
Or, mes frères, nous nous assemblons au-
jourd'hui pour solenniser un mystère qui,
étant l'accomplissement de tous ceux qui ont
regardé l'Homme-Dieu. e>l aussi la consom-
mation de noire foi , le fondement solide de
notre espérance jour le ciel, cl le grand sujet
de notre consoKitionsurlalerre. Ainsi, pour
entrer aujourd'hui dans l'idée générale qu'on
doit suivre en pariant de tous les mystères,
et ne point séparer ce qui regarde Jésus-
Christ d'avec ce qui nous touche, faisons
voir, dans les deux parties de ce discours : 1*
que c'est pour nous que Jésus-Christ, revêtu
de notre chair, monte au ciel ; -2° qu'il y faut
monter avec lui en esprit. En un mol il y
porte notre humanité, il y faut transporter
nos cœurs. Demandons les lumières de l'Es-
prit-Saint. Ave, Marin.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour suivie l'ordre que je me suis proposé
d'abord, et ne point séparer ce qui regarde
Jésus-Christ d.' ce qui nous touche dans ce
mystère, il faut premièrement, mes frères,
vous expliquer ce que signifient ces paroles
Jésus-Christ est monté au ciel, el vous faire
voir ensuite qu'il y est monte pour nous. El
d'abord il faut regarder Jésos-Cbrist bobs
deux différentes qualités : comme personne
partienlière et comme personne publique,
comme l'Homme- Dieu plein de grâce et de
vérité, et comme chef des hommes qu'il a
i ■ i ure> en Dieu en repaudjnt sur eux cette
dont il était rempli.
717
SERMON POUR LE JOUR HE L'ASCENSION.
71U
Cet Homme-Dieu est monté dans le ciel,
c'est un article de notre foi ; et il est assis à
la droite de son Père. C'est ainsi que l'Ecri-
ture en parle : Dieu est monté, dit le Pro-
phèle, parmi les acclamations de joie. Ce-
lai qui esl descendu est le même qui est
monté au-dessus de tous les deux, afin de
remplir toutes choses, dit l'Apôtre. Allez,
dit-il lui-même, trouver mes frères, et leur
dites de ma part , Je monte vers mon Père.
Jésns-Christ est donc monté au ciel, il y est
assis à la droite de son Père sur le même
trône, c'est-à-dire dans unesouveraine félicité
et une égale gloire. C'est là, (lit saint Bernard,
l'heureuse clôture du voyage que le Sauveur
du monde était venu faire sur la terre ; et
c'est une suite de la justice que lui doit ron
Père éternel; car il fallait que ce conquérant
du monde fût couronné, et que les humilia-
tions par lesquelles il avait passé pour rem-
plir les engagements de l'Homme-Dieu fus-
sent récompensées.
Aussi l'Apôtre ne sépare-t-il pas ces deux
choses en pariant de ce mystère. Il était
nécessaire que Jésus-Christ donnât le Saint-
Esprit à son Eglise, et, pour le faire, il fal-
lait donc qu'il fût assis sur ie trône de la
divinité. En effet on peut regarder cet ou-
vrage de l'amour du Sauveur, qui l'a obligé
de venir sur la terre, comme un cercle admi-
rable qui a son principe, pour parler ainsi,
dans le sein du Père éternel, et qui doit avoir
sa Cn et son terme dans le même sein. C'est
l'idée que présentent ces paroles de saint
Jean : Je suis sorti démon Père et je suis venu
dans le monde; maintenant je laisse le monde
et je m'en retourne à mon Père.
Or il y a trois choses à considérer dans
ces paroles. Je suis sorti de mon Père, voilà
la génération éternelle de Jésus-Christ. Je
suis venu dans le monde, voilà son incarna-
tion dans le sein de sa mère. Je m'en retourne
à mon Père, voilà le commencement de la vie
glorieuse de son humanité dans son ascen-
sion; et c'est ce qui forme ce cercle.
11 sort du sein de son Père, voilà d'où son
amour le tire en quelque sorte pour le faire
passer dans le sein d'une vierge, où la divi-
nité qu'il y porte se cache par tous les enga-
gements de misère qui font l'apanage de la
nature qu'il a prise; et, après avoir parcouru
toute la circonférence de ce cercle, il re-
tourne dans le sein de son Père, et il donne
à son humanité les avantages d'une vie glo-
rieuse qu'il semblait avoir ôlée à sa divinité
dans les anéantissements de sa vie humaine :
car cet Homme-Dieu qui est couronné et dont
les humiliations sont récompensées avec tant
de gloire, est le chef, etilagilpourtous ceux
qui sont régénérés par la grâce, dont il est
l'auteur.
Les saints Pères conviennent tous que la
gloire de l'humanité du Sauveur n'a été ac-
complie que dans le mystère de l'ascension.
Cette gloire à la vérité a paru visiblement sur
le Tliahor, mais ce ne fut que pendant vin
peu de temps ; elle a para dans sa résurrci-
tion, mais elle. ne. parut qu'en se; rel ci dans
l'obscurité d'un sépulcre : mais dans sou
ascension il reçoit une gloire solide, perma-
nente, publiqueet reconnue de tout le monde.
Voilà, mes frères, ce qui regarde Jésus-
Christ dans ce mystère : il est monté au ciel,
c'est par où il va heureusement finir sa car-
rière ; mais il y est monté pour nous, c'est ce
qui nous touche et c'est ce qui doit être l'ac-
complissement de notre foi, le solide fonde-
ment de notre espérance et le grand sujet de
notre consolation sur la terre.
11 monte pour nous ouvrir le chemin , il
passe devant nous comme notre roi, et il est
à la tête de nous tous. Je m'en vais, dit le
Sauveur lui-même, pour vous préparer le lieu,
c'est-à-dire, je m'en vais vous ouvrir l'entrée
du ciel, qui a été fermée jusqu'ici, et je vais
pour vous, vous qui êtes mes disciples, pren-
dre possession de cet te gloire à laquelle je vous
ai destinés dès le commencement du monde. Je
monte vers mon Père et votre Père. 11 ne dit
pas vers notre Père, quoiqu'il soit le sien et
le nôtre ; parce qu'il est le sien et le nôtre de
différentes façons. Il est le sien par nature,
il est le nôtre par adoption; mais puisque
le Fils naturel est remonté vers son Père, les
enfants adoplifs doivent espérer de le suivre.
Car, mes frères, il est vrai de dire que tout
ce qu'il a fait durant son séjour sur la terre
se rapporte à nous. 11 s'est fait homme pour
nous, il est mort pour nous, il est ressuscité
pour nous, i! est monté au ciel pour nous :
c'est ce qui fait (Pire à l'apôtre saint Paul
aux Ephésiens : Lorsque nous étions morts
par nos péchés, il nous a rendu la vie en Jésus-
Christ, par la grâceduquel nous sommes sauvésy
et il nous a ressuscites avec lui et nous a fait
asseoir dans le ciel en Jésus-Christ; car nous
i-ommes les membres de son corps, et il faut
que les membres d'un même corps reçoivent
tous les mouvements du chef quand ils vivent
de sa vie, et qu'ils soient où est le chef quand
ils ne sont pas séparés du corps.
Si donc nous sommes ses membres, et
qu'il soit dans le ciel, nous sommes aussi
dans le ciel, non pas dans nos personnes,
comme dit saint Jérôme, qui sont encore
sur la terre, mais dans la personne de Jésus-
Christ, qui est déjà dans le ciel pour nous
comme chef, et à qui nous devons être réu-
nis comme membres. C'est pourquoi l'Apôtre
l'appelle encore notre Précurseur, qui est
entré pour nous en allant devant nous, afin
que nous le suivions; en nous préparant le
lieu et en priant pour nous, afin de nous y
faire arriver par les secours qu'il demande
pour nous.
En effet, Jésus-Christ monte dans le ciel
comme un roi qui va mettre en sûreté les
prémices des dépouilles qu'il a remportées
sur ses ennemis, comme un père qui va pré-
parer la place et la demeure qu'il a méritées
à ses enfants, et comme un précurseur qui
nous fraye le chemin et qui nous en ouvre
l'entrée : car avant qu'il y fût monté, la na-
ture humaine en ètnft exclue, et par son
ascension, non-seulement le bannissement est
fini, mais la nature est rétablie dans un pa-
radis plus exe. lient cl plus parfait que celui
qu'elle avait perdu en Adam. L'un était lem-
719
OltATLimS SACHES. DOM JËHOMK
720
porcl, l'autre est éternel. Dans l'un, on pou-
vnil mourir el pécher, et l'un ci l'antre est
arrivé; dans celui-ci, ni l'un ni l'autre ne
peuvent arriver, l'homme y est immortel cl
impeccable. Dans l'un, il vivait d'une vie ani-
maient avait besoin de nourriture corporelle,
et dans l'autre il a une vie spirituelle el il
est nourri de Dieu, et il faut remarquer, dit
saint Cbrysoslome, que le précurseur n'est
pas beaucoup devant ceux qui le suivent ;
car nous ne saurions concevoir un homme
qui marche devant que nous n'en concevions
en même temps d'autres qui le suivent. Ainsi
Jésus-Christ s'est transporté devant nous, et
nous le suivons de bien [très; car la vie est
courte, dit saint Chrysoslome, el à la lin de
celle vie nous trouverons avec Jésus-Christ
la jouissance de celle gloire dont il est allé
prendre possession pour nous.
Voilà, mes frères, une excellente vérité,
qui doit être, comme dit l'Apôtre, une ancre
ferme et assurée qui tienne notre âme im-
mobile au milieu des flots, des tentations et
des traverses de la vie. Le Sauveur du monde
veut que ses apôtres soient témoins de l'ascen-
sion de sou corps glorieux, pour les confirmer
dans la foi de sa résurrection et les assurer
de la leur, el ensuite de l'ascension de leurs
corps; el si l'Evangile dit qu'il les a aimés
jusqu'à la fin, parce qu'il leur a donné son
corps en allant à la mort, il ne les a pas
aimés moins en leur montrant son corps glo-
rieux, qui est tout ensemble, et le fondement
de laur espérance pour le ciel, et le graud
sujet de leur consolation sur la terre.
Les souffrances que vous avez passeront;
il essuiera toutes vos sueurs, il arrêtera vos
larmes; c'est maintenant le temps de gémir,
puisque c'est celui des afflictions: mais, afin
de nous consoler jusqu'à ce que le jour de la
dédicace du lemple, à la structure duquel
Dieu travaille en nous, soit arrivé, considé-
rons que notre chef est déjà dans lu gloire,
à laquelle nous espérons de participer. La
dédicace de ce lemple sainl et éternel, qu'il
veut consacrer à son Père, et dans la struc-
ture duquel nous devons entrer. est déjà faite
en notre chef, cl le temple est déjà consacre
par la sanctification de son fondement. 11 faut
donc marcher sur ses traces par ta voie qu'il
nous a montrée et qu'il a tenue, el c'est ce
que nous devons nous dire dans toutes nos
afflictions, il faut descendre avec lui pour
mouler avec lui.
En effet, mes frères, qu'est-ce qui peul
être capable de nous troubler quand nous
pensons que nous sommes déjà dans le ciel
en la personne de Jésus-Christ? Est-ce la
perle des biens? Mais notre Père est dans le
ciel, et notre héritage doit être où est noire
Père. Est-ce la crainte de perdre, la vie? Mais
nous ne saurions aller prendre possession de
notre héritage qu'en la perdant; el si nous
avions une loi vive, nous regarderions la
perte de la vie comme un gain, parce qu'en
la perdant nous trouvons la fiu de noire exil
cl le commencement de notre bonheur. Est-
ce la faiblesse et la misère dans laquelle nous
.sommes? csl-cc l'opposition que noua trou-
vons dans nous-mémeset hors de nous-mêmes
à la pratique du bien? est-ce enfin la crainte
de ne pas arriver à la possession de cette
gloire où Jésus-Christ est entré pour nous ?
Consolez-vous, mes très-chers frères, puis-
que l'apôtre saint Paul, qui nous assure que
Jésus-Christ est cnlré dans la irloire pour
nous, comme notre précurseur, ajoulc en
même temps qu'il y est établi l'ontife éternel
selon l'ordre de Melchisédclt, étant toujour»
vivant pour intercéder pour nous. Jésus-
Christ prie véritablement pour nous en de-
mandant à son Père les choses dont nous
avons hesoin, non de la manière dont il fai-
sait pendant qu'il était sur la terre; celle
prière se fait, non avec des larmes et avec
des prosternernents , mais d'une manière
glorieuse, en représentant les larmes qu'il a
versées, les plaies qu'il a reçues, el deman-
dant à son l'ère pour les hommes les grâces
dont ils ont besoin. Intercéder, par rapport à
l'Hommc-Dieu, n'est autre chose que se re-
montrer lui-même dans sa uature humaine
devant son Père, auquel il est coétcrnel.
Celte fonction n'est point disproportionnée
à l'état glorieux où Jésus-Christ est aujour-
d'hui, car son humanité est toujours soumise
à son Père, et toute cette gloire el cette gran-
deur qui l'environne esl une grandeur sa-
cerdotale.
C'est pourquoi l'apôlre saint Paul nous
dit dans son I. pitre aux Hébreux que nous
avons un grand prêtre qui est établi sur la
maison de Dieu : Sacerdotem magnum haben~
(es super domum Dei. Il nous dit qu'il estentré
dans le ciel même, afin de se présenter main-
tenant pour nous devant la face de Dieu :
Sed in ipsum cœlum, ut appareat nunc vultm
Dei pro nobis; et dans l'Epitrc aux Romains,
Il est, dit-il, à la droite de Dieu, où il inter-
cède pour nous : Qui est ad dexteram Dei,
qui etiam interpellât pro nobis. Que notre
étal est heureux, mes frères !
Voici la différence qui se trouve entre le,
sacerdoce de l'ancienne loi el celui de la
nouvelle. Le grand prêtre entrait une fois
tous les ans dans le sanctuaire; Jésus-Christ
est entré dans le ciel même. H portait le
sang d'une victime étrangère ; Jésus-Christ
a porté le sien. Il priait pour lui-même, parce
qu'il était pécheur; Jésus-Christ ne prie que
pour nous, parce qu'il esl saint.
Le grand prêtre entrait une fois tous les
ans dans le sanctuaire, parce que le sang
qu'il offrait ne pouvait pas remettre les pé-
chés, el il avail des successeurs qui conti-
nuaient après sa morl : Jésus-Christ n'a
souffert qu'une fois, un seul sacrifice était
suffisant, lous les autres n'en étaient que la
figure. Il n'a point de successeur, son sacer-
doce est éternel, il est toujours vivant pour
prier pour nous, d'où saint Paul conclut :
Adeamus ergo cum fiducia ad thronum gratter :
Allons donc à lui, el présentons-nous avec
confiance devant le trône de sa miséricorde.
Jésus-Christ monté dans le ciel n'est doue
pas seulement un chef qui va prendre pos-
session de la gloire pour moi qui suis membre
de son corps, mais il esl mon avocal cums
721
SERMON POUR LE JOUR DE L'ASCENSION.
le Père, comme l'appelle saint Jean; et de
cette vérité je tirerai deux conséquences.
La première, qui éclaire mon esprit, c'est
que qui que ce soit, devant ou après l'incar-
nation et depuis l'ascension, nul n'est monté
an ciel, et nul n'a été au Père que par Jésus-
Christ. C'est lui qui est le Pontife éternel; il
n'y a que lui qui ait pu nous délivrer de
l'opprobre de la stérilité des bonnes œuvres
qui mènent au ciel, il n'y a que lui qui nous
fasse concevoir de saints désirs, et c'est par
sa seule grâce que nous sommes rendus
capables de produire en nous l'esprit du
salut.
La seconde, qui anime mon cœur, c'est
que ce même Pontife Fils naturel de Dieu,
prie pour moi à la droite de son Père. Quelle
doit donc être ma confiance ! En effet,
quand je considère que l'obligation de le sui-
vre dans le ciel n'est point abandonnée à
moi-même, que je dois l'attendre du fruit de
sa prière, en vertu de laquelle le mérite et
la force de son sang m'est appliquée, je com-
prends d'un côté que tout dépend de lui. et
de l'autre j'ai une confiance certaine d'en
tout obtenir en considérant les fonctions qu'il
veut bien exercer en ma faveur.
Voilà, mes frères, ce qu'il faut entendre
par ces paroles : Jésus-Christ est monté dans
le ciel, et il y est monté pour nous. Voyons
maintenant de quelle manière nous devons
y monter avec lui : c'est la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Quand je dis que nous devons monter
dans le ciel avec Jésus-Christ, je ne parle
pas, mes frères, de celte ferme confiance où
doit être un chrétien qu'après cette vie il
montera dans le ciel pour aller jouir de la
gloire éternelle que Jésus-Christ nous a mé-
ritée par sa mort, et dont il est allé prendre
possession pour nous comme notre chef;
mais je parle de l'obligation où nous sommes
tous de monter dans le ciel avec Jésus-Christ
dès cette vie, c'est-à-dire de vivre de la foi,
d'élever nos pensées et nos désirs vers le
ciel, et d'être reconnus dans notre conduite
pour les véritables disciples de l'homme cé-
leste; c'est là l'effet quedoit produire,en nous
la créance de l'ascension du Sauveur, c'est ce
qui regarde notre vie et notre conduite dans ce
mystère, et c'est ce que le Prophète nous expli-
que admirablement bien au psaume LXXX1 II:
Heureux est /' homme ,dit-il , quimet en vous ,Sei-
gneur, tout son appui, et que vous soutenez
de votre grâce! il dispose dans son cœur des
degrés pour monter dans celte vallée de lar-
mes. Heureux est donc l'homme que Dieu
soutient, car il y a en nous une opposition à
cette élévation de la part de l'humanité, qui
est un poids; c'est le combat dont parle
saint Paul, c'est le poids de ce corps mort, il
n'en peut être délivré que par la grâce de
Jésus-Christ.
Il faut donc la demander à Dieu : Mon
Dieu, élevez mon cœur à vous. C'est ce que
l'Eglise lui demande dans l'oraison de ce jour.
Dieu tout - puissant , faites-nous la grâce
qu'ainsi que nous voyons par lu foi que votre
722
Fils unique, Notre-Seiijneur, est aujourd'hui
monté au ciel, nous y demeurions aussi 71011s-
mêmes en esprit et par l'ardeur de nos désirs.
Mais les degrés de cette élévation doivent
être disposés dans noire cœur, et c'est par-
les désirs de noire cœur que nous devons
monlrr; car ces degrés sont les mouvements
de nos affections réglés par la ch;>rité.
Or, mes frères, je trouve que pour monter
dans le ciel en esprit et par l'ardeur de nos
désirs, il faut ôler de notre cœur tout ce qui
peut l'empêcher de monter, et embrasser tout
ce qui peut nous aider à tendre au ciel. L'a-
pôtre saint Paul nous enseigne admirable-
ment ce que nous devons faire pour ôter de
notre cœur ce qui l'empêche de monter: dé-
gageons-nous de lout ce qui peut nous appe-
santir, et des liens du péché, qui nous ser-
rent si étroitement. Notre cœur souvent ne
s'élève pas, parce qu'il a un poids qui l'atta-
che à la terre et parce que \e> embarras du
monde l'arrêtent et le retiennent. Voici donc
ce que nous devons faire et ce que le même
apôtre nous enseigne pour ôter de notre cœur
ce qui l'empêche de s'élever. Il faut le dé-
charger du poids qui l'appesantit; mais qu'est-
ce que c'est que ce poids qui appesantit notre
cœur? C'est le péché, qui, étant un amour
déréglé ou des ciéalures ou de nous-mêmes,
nous y tient attachés comme des captifs; en
sorte que nous ne pouvons pas plus nous éle-
ver au ciel que le pourrait un homme en-
chaîné à la terre.
Ce poids, mes chers frères, ce sont vos
passions, par lesquelles on n'entend pas des
passions grossières , qui sont visiblement
mauvaises et criminelles; mais certaines af-
fections de noire cœur que nous ne travail-
lons point à corriger. Dans l'un, ce sera
l'amour de la fortune; dans l'autre, l'amour
de la gloire et de l'honneur; dans celui-là,
l'amour délicat de soi-même, qui porte à se
flatter et à s'épargner dans des rencontres
où la charilé nous devrait exposer; dans ce-
lui-ci, une trop grande envie de parler el de
se produire; dans un autre, une trop grande
facilité à juger, à reprendre, à railler le pro-
chain : enfin mille autres passions qu'on no
croit pas criminelles, qui sont des obstacles à
notre élévation et qui forment dans noire âme
et dans notre cœur un poids qui l'appesan-
tit; car toutes les passions procèdent d'un
amour déréglé que nous avons pour nous-
mêmes, ou d'un fonds d'aversion impercep-
tible que nous avons pour le prochain, ou
d'un allai •bernent insensible pour la terre.
Or cet amour, celle aversion et cet attache-
ment sont daus notre cœur un poids qui
l'appesantit. Il en est de même de la multi-
tude des affaires ctdes soins superflus dont
beaucoup de gens de bien son; occupés; car
qu'importe par où le cœur soit arrêté, si son
principal mouvement n'est pas vers Dieu?
Si vous voulez (pie je m'explique avec
saint Augustin, disons que les désirs du
cœur sont comme des ailes par le mouve-
ment desquelles il s'élève; que les affections
du cœur sont les pieds de l'âme, parle mou-
vement desquels clic marche el s'avance. Or,
ÏÎ3
ORATEURS SACRES. UOM JEROME.
T-Jl
mes frères, lorsqu'il arrive que le cœur est
attaché, ou à soi-même ou a quelque; objet
terrestre, il ne peut plus s'élever, l'âme ne
marche plus; et c'est Ce que saint Augustin
nous fait entendre en nous disant qu'il en
est du cœur ainsi attaché comme d'un oiseau
dont les ailes sont arrêtées par de la glu :
il se débal pour voler, mais il n'avance pas,
et ses efforts seront inutiles jusqu'à ce qu'on
l'ait détaché de la glu qui l'arrête.
Voilà, mes frères, l'effet de ces passions
qui se conservent dans le fond du cœur;
c'est une glu qui, le fixant à la terre,
l'empêche de voler vers Dieu; et c'est là la
raison pour laquelle nous voyons si souvent
des gens qui font des efforts pour s'élever
vers Dieu, qui pleurent leurs faiblesses, qui
jeûnent, qui font des aumônes, qui disent :
Mon Dieu, convertissez mon cœur; qui s'at-
tachent à des exercices de piété, qui con-
naissent même ce qui les relient, et qui,
parce qu'ils ne s'en détachent pas et qu'ils
nourrissent secrètement ces passions par
un amour qu'ils essayent de se cacher à eux-
mêmes, ne s'élèveront jamais véritablement
vers Dieu. Si nous voulons donc nous élever,
il faut non-seulement nous dégager de tout
ce qui nous appesantit, de tout péché, de
toute affection au péché, de toute attache
aux choses de la terre; mais il faut aussi
nous dégager de tout embarras et de tous les
liens du péché qui nous serrent.
La corruption qui est en nous par la
concupiscence est cause que tout ce qui est
autour de nous peut devenir pour nous ou
occasion au péché, ou obstacle, ou retar-
dement à noire perfection : c'est-à-dire que
tous les soins immodérés des choses de la
terre, des affaires, de sa famille, des enfants,
des intérêts de nos amis, quoique justes ; de
l'élude el de tant d'autres choses auxquelles
nous donnons trop de temps, que nous ôions
au soin du salut, forment comme une espèce
d'embarras dans le chemin du ciel; cl quoi-
qu'on ne puisse pas dire absolument que ces
soins soient des péchés, néanmoins ils ont
beaucoup de liaison avec le péché : ils nous
attachent insensiblement à la terre, ils nous
exposent au péril de nous y affectionner,
enfin ils nous serrent et ils nous arrêtent
dans la voie du ciel ; les soins immodérés oc-
cupent l'esprit et dérobent une partie du
temps que nous ne devons donner qu'à l'af-
faire du salut.
L'altachcmcnt sensible des apôlres pour
l'humanité sainte de Jésus-Christ est un obs-
tacle à la descente de son Esprit sur eux i't
à la consommation de leur sainteté, et nous
croyons que l'amour de la terre el des créa-
tures, que la recherche de ;ous nos plaisirs,
que l'amour de mire fortuite él de nous-
mêmes, ne sera pas un obstacle à notre sanc-
tification ? Mais, en supposant que par la
miséricorde de Dieu nous ayons détaché
noire cœur do lout ce qui peut l'empêcher
de monter, il faut encore embrasser tout ce
qui peut nous aider à nous élever v.ers le ciel.
Or, mes frères, les saints apôtres nous
ont douné l'idée de ce que nous devons faire -
* f
pour y réussir dans la conduite qu'il- oui
gardée depuis l'ascension de Jésus-Christ
jusqu'à la descente du >aiul-Esprit. qui a
été proprement le jour de leur ascension,
n'ayant servi parfaitement Jésus-Christ pa-
les désirs de leurs cœurs qu'après qu'i<
été remplis de son Esprit. En effet, q
fait les apôlres depuis l'ascension ! L Ecri-
ture nous dil qu'ils se séparèrent dans une
maison particulière de Jérusalem, et qu'ils
s'appliquèrent avec persévérance a l'exercice
de la prière.
Voilà, mes frères, ce que nous devons
faire pour nous mettre en état de monter
dans le ciel avec Jésus-Christ par les dé-
sirs de notre cœur : il faut nous séparer du
monde, non-seulement d'affection, eu rom-
pant toutes les attaches que nous pourrions
avoir pour les choses du monde, mais même
eu nous tenant dans la retraite et en rompant
touteoinmerce non nécessaire avec le monde ;
et c'est ce qui ne nous sera pas difficile si
nous n'avons plus d'affection pour le monde ;
car, comme dit l'apôtre saint Paul, si vous
êtes véritablement ressuscites avec Jésus-
Christ, vous ne devez rechercher ni souhai-
ter que les choses d'en haut. Si nous avons
donc reçu la grâce de la résurrection, qui
est une grâce de séparation, nous ne devons
plus avoir d'amour pour la terre, ni par con-
séquent plus de complaisance ni d'activité
pour lout ce qui est de la terre. Ses maxi-
mes et ses manières, les occupations des
hommes qui y sont el qui l'aiment, leur lan-
gage même nous deviendra coin me insup-
portable : ainsi nous nous en séparerons
comme d'un lieu où nous souffrons ; et même,
dans ce saint temps jusqu'à la Pentecôte, il
faut avec encore plus d'altenlion retrancher,
autant que nous pourrons, les commerces
même nécessaires, pourvu qu'ils ne soient pas
indispensables, afin de nous tenir dans la
retraite pour imiter la conduite des apôtres.
C'est une excellente pratique dans les com-
munautés, où on doit être séparé et éloigné
du commerce du monde en toul temps, de
s'en séparer par une retraite en ce lemps-ci.
11 faut garder ces pratiques inviolablement,
el les respecter d'autant plus qu'elles sont
prises sur la conduite des apôtres, qui, V-
tant préparés par là à recevoir le Saint-
Esprit, nous ont appris que c'était une eveel-
lente disposition pour s'y préparer. Ouiconque
néglige ces pratiques néglige les moyens
que Dieu lui donne pour opérer son salul :
el que doit-on altendre de ceux qui ne se
incitent pas en peine de ménager de tels
moyens, sinon que de plus grands leur se-
ront refusés, el qu'enfin ils seront peut-être
abandonnés à eux-mêmes?
Il faut donc se retirer le plus qu'il est pos-
sible, faire peu de visites, el n'en renv<>r
que le moins que l'on peut, à moins que les
liens d'une société nécessaire et la charité m
nous y obligent. Les personnes vraiment
spirituelles et qui so::t à Dieu savent par
expérience que le ronuneree axer les gens
du monde refroidit eu eux le feu du Saint-
Esprit.
725
SERMON POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE.
726
Par rapport à ceux qui sont obligés de
rester par état dans le commerce du monde,
on ue peut trop les exciter à rentrer dans leur
cœur très-souvent, pour s'y occuper de Dieu
et pour adirer son Esprit par la prière. Car,
mes frères, il faut joindre, à l'exemple des
saints apôîres, la prière à la retraite. Il faut
demander à Dieu qu'il nous donne l'esprit
de prière, sans lequel nous ne prierons ja-
mais véritablement, et sans lequel par con-
séquent nous ne monterons jamais dans le
ciel avec Jésus-Christ par les désirs de noire
cœur, puisque l'oraison, selon saint Augus-
tin, n'est autre chose qu'un désir continuel
de Dieu et des choses d'en haut. Prions donc
dans ce saint temps, joignons le jeûne et
l'aumône à nos prières ; prions tous ensem-
ble, c'est-à-iiire réunissons-nous tous par la
charité, car ni nos prières, ni nos abstinences,
ni nos aumônes ne nous serviront de rien si
nous n'avons la charité. Prions tous dans le
même lieu, c'est-à-dire dans nos églises, car
les prières qui se font par plusieurs rassem-
blés par la charité et sous la conduite de leurs
pasteurs ont tout une aulre force que cel-
les qui se font en particulier. Prions donc
beaucoup, car Dieu n'augmente et ne fait
croître en nous la charité qu'à proportion
que nous préparons notre âme par les pra-
tiques qu'il nous a marquées lui-même.
Jésus-Christ donne la grâce à ses apôtres
après sa résurrection par le souffle de sa bou-
che; mais non-seulement il les dispose du-
rant quarante jours à la grâce qu'il veut
leur donner par son ascension, qui consiste
dans la foi de ce grand mystère, il veut en-
core qu'ils demeurent séparés et en prières
jusqu'au jour de la descente du Saint-Esprit;
ce qui est un effet de cette grâce et une pré-
paration à une autre plus grande qu ils doi-
vent recevoir à la Pentecôte.
Enfin, mes frères, animons-nous en voyant
Jésus-Christ monter dans le ciel aujourd'hui.
Espérons de l'y suivre, puisqu'il y monte
comme notre chef pour en prendre posses-
sion pour nous, et comme notre avocat, pour
nous obtenir de son Père la grâce de pouvoir
l'y suivre. Dégageons-nous donc de tous les
obstacles qui s'opposent à notre élévation,
séparons-nous du monde; enfin prions et at-
tendons avec confiance et avec patience la
grâce de Jésus-Christ. Je vous la souhaite.
Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE JOUI» UE LA PENTECÔTE.
allégresse sainte. A Pâques on reçoit le bap-
tême et à la Pentecôte le Saint-Esprit , qui
est la perfection de la consommation du
baptême. En un mot, voici le jour où l'on
peut dire que si l'Eglise célèbre les fêtes des
saints pendant le cours de l'année, elle so-
lennise aujourd'hui la sienne, puisque c'est
aujourd'hui qu'elle est formée, et que les apô-
tres, qui en sont les princes etles fondements
après et par Jésus-Christ, sont rendus capa-
bles des divines fonctions de l'apostolat par
les dons du Saint-Esprit.
Ce qu'il y a d'admirable, c'est qu'ils ne les
reçoivent pas pour eux seuls, et que tous les
fidèles y ont part; car, comme le disent les
saints Pères, il se fait tous les jours des Pen-
tecôles invisibles. Les Juifs ne passaient pas
la mer quand ils faisaient leur Pâque. Ils ne
voyaient pas les feux et les foudres descen-
dre sur le mont Sina comme des symboles
de la souveraine majesté de leur législateur,
quand ils célébraient leur Pentecôte ; ils ne
jouissaienl que du souvenir de leurs mystè-
res passés. Mais les chrétiens mangent à
leur Pâque la véritable chairdu divin Agneau
qui s'immole continuellement pour eux ; et,
s'ils sont disposés comme ils le doivent, iis
reçoivent le même Saint-Esprit et la même
plénitude du Saint-Esprit que les pre-
miers fidèles reçurent au jour de la Pente-
côte. Que nos mystères, mes frères, sont ad-
mirables! Marquons donc dans ce discours
quels sont les dons du Saint-Esprit dans ies
apôtres, afin que nous puissions reconnaître
ce qu'il faut faire pour se préparer à les re-
cevoir.
Mais, comme le Saint-Esprit descend sous
la forme du feu, attachons-nous aux proprié-
tés de cet élément, pour expliquer ces dons
dans les apôtres et ce qu'il veut produire
dans tous les chrétiens. Or nous remar-
quons trois propriétés du feu: 1° il purifie,
et en purifiant il élève; 2" il éclaire, et en
éclairant il illumine ; 3° il échauffe , et en
échauffant il anime. Voilà , mes frères , ce
que le Saint-Esprit produit dans les apô-
tres, et ce qu'il veut faire dans les chré-
tiens ; car tout chrétien qui a reçu le Saint-
Esprit doit être saint et pur, il doit être
éclairé et rempli des lumières de la foi, il
doit être animé et prêt à mourir pour con-
server sa sainteté et pour défendre sa foi.
Examinons ces effets du Saint-Esprit, et pour
le faire utilement demandons-lui ses lumiè-
res par l'intercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
kpparnernnl illis dispertils linguae tanquam jouit. 9e-
dilque supra siogulos
Quoique l'élévation des apôtres ait com-
mencé aussitôt que leur vocation, cepen-
dant il est vrai de dire que leur élévation n'a
été parfaite et qu'ils n'ont été entièrement
saints qu'après la descente du Saint-Es-
prit. La grâce du Sauveur, qui les prévint
en les appelant, lit sur eux ce que nous
voyons que produit le soleil lorsqu'il élève
les vapeurs; il y opère dè^ qu il paraît sur
l'horizon; mais parce que sa chaleur est en-
core faible, il en diffère la perfection jusqu'à
jeune, et a celle-ci par cinquante jours d une midi, où sa force est dans sou entier; il se-
ns mail paràtlre comme <tes lunques de feu qui se par-
tagerait et qui s'arrêtèrent sur chacun d'eux {AU., II, 5).
Voici, mes frères, le grand jour où Jésus-
Christ accomplit les promesses qu'il avait
laites à ses apôtres de leur envoyer son
Saint-Esprit, que les Pères appellent la fête
des fêles, consacrée par les effusions de la
grâceel des dons du Saint-Esprit. On se pré-
pare a celle de Pâques, par quarante jours de
■•27
ORATEURS 5A( RES DOM JEROME.
72a
parc ce qu'il y a de plus grossier, qui re-
tombe sur lu lerre, et il i Itireâ lui ce qu'il y
a de plus subtil.
Or, met frères, on peut dire que la grâce
i!u Sauveur a lait quelque chose de sembla-
ble sur les apôtres : il les a appelés lorsqu'ils
étaient sur le bord de la mer, il les éleva au-
dessus du commun des hommes comme une
vapeur dont il voulait former des nues pour
sa gloire. Mais parce qu'il y avait beaucoup
d'impureté, c'est-à-dire de liaison avec la
lerre dans leur cœur, cet ouvrage ne s'est
achevé que lorsque la grâce y a agi dans
toute sa Force, et que la charité y a été ré-
pandue avec plénitude.
Les apôtres n'ont donc été véritablement
saints que dans le moment que le Saint-Es-
prit est venu sur eux, et pour vous en con-
vaincre d'une manière qui vous instruise et
qui vous édifie, en vous apprenant ce que le
Saint-Esprit lait en eux, il faut vous exposer
en quoi consiste la sainteté dont je parle, à
laquelle tous les chrétiens sont appelés par
la grâce de leur baptême, qui les rend en un
sens saints, ainsi que saint Paul les appelle
en plusieurs endroits, et qui les engage à le
devenir, ainsi que nous l'expliquerons : la
première étant une saintelé de consécration
qu'ils reçoivent dans leur baptême, par la-
quelle ils sont sanctifiés, c'est-à-dire séparés
et consacrés à des usages saints et divins ; la
seconde étant une sainteté d'acquisition qui
s'augmente en eux par la pureté de leur vie,
et par laquelle ils sanctifient le nom de Dieu.
La seconde suppose la première, car il faut
nécessairement que Dieu nous sanctifie pour
que nous soyons en état de croître dans la
sainteté et de sanctifier son nom par l'inno-
cence de notre vie.
Cela étant supposé, jo dis, mes frères, que
la saintelé c'est la charité; car, comme la
sainteté de l'autre vie est une charilé con-
sommée qui nous transforme en Dieu, la
sainteté de cette vie est une charité impar-
faite à raison de notre étal présent, mais qui
nous approche de Dieu en nous dégageant
de toute autre chose, et qui nous rend sem-
blables à lui autant que notre misère nous
(Mi rend capables, suivant ce que Dieu nous
dit dans l'Ecriture : Soyez saints parce que je
suis saint. Or la sainteté consiste dans la sé-
paration de tout ce qui n'est pas Dieu et
dans une union parfaite avec lui.
Ainsi , être saint sur la terre, c'est aimer
Dieu, mais l'aimer parfaitement , comme il
désire et comme il mérite d'être aimé; c'est
l'aimer uniquement et pour iui seul, c'est
l'aimer gratuitement cl sans intérêt. Nous ne
sommes pas saints, cl noire cœur est dans
l'impureté tant qu'il aime autre chose que.
Dieu et quelque autre chose qu'il n'aime pas
pour Dieu, de même que l'or est impur dès
qu'il y a un autre métal mêlé avec lui, quel-
que précieux qu'il puisse être : de sorlc ,
mes frères, qu'en raisonnant sur ce prin-
cipe, il est facile de voir que les apôtres
n'ont été saints que depuis qu'ils oui reçu le
Sainl-Ksprit.
Dieu, qui les avait prévenus par sa misé-
ricorde , les avait rcr.dus . . i . . pihles de
l'aimer , dès qu il les appela» Ils donnèrent
même des marques de cet amour qu'il avait
mis en eux, puisqu'ils quittèrent tout pour
le suivre; mais cet amour n'était pas pur, ils
n'aimaient pas Dieu sans intérêt, ils i
raient des récompi DS< - ; et lorsque J
Christ leur parlait du royaume de son Père,
ils croyaient que celait un royaume sur la
ti ne, dans lequel ils se flattaient d'obtenir
les premières places; et ils ont con-
cilie pensée jusqu'au jour de son ascension,
puisqu'ils lui demandèrent, un moment avant
qu'il les quillâi : Seigneur, ttra-ce en ce ii-injis
(jue vous rétablirez le royaume a" Israël
lait l'erreur des Juifs , qui avaient pris de
fausses idées du Messie.
Les apôtres aimaient Jésus-Christ, mais
ils l'aimaient d'une manière humaine. Ils
étaient attachés à sa présence; et Jésus-
Christ, comme le remarque saint Bernard ,
leur avait en quelque sorte substitué sa
chair pour détourner leurs pensées des
choses du monde et les réunir toutes à sou
humanité sacrée, par laquelle il faisait tant
de miracles et disait tant de merveilles ,
afin de les faire passer ensuite de la chair à
l'esprit. C'est ce qui fait qu'il voulait bien
les attacher pour un lemps à sa persoune
visible, pour les accoutumer insensiblement
à la justice, à la vérité, à la charilé, à l'hu-
milité et à toutes les autres vertus dont il
leur donnait lantde préceptes et tant d'exem-
ples; mais le Sauveur, voyant qu'ils s'atta-
chaient trop à son humanité, et que si leur
esprit était éclairé par la connaissance qu'.l
leur avait donnée de lui-même , leur affec-
tion n'était pas encore purifiée entièrement;
d'ailleurs les apôtres connaissant à la vérité
qu'il élail la voie par laquelle on arrivait à
ce royaume qui élail lui-même, mais s'a l ta-
chant trop à la voie comme voie, c'esl-a-
dire à la vie mortelle, il leur dit qu'il leur
était expédient qu'il s'en allât. C'est ainsi
que Jésus-Christ apprit aux apôtres que les
attachements humains qu'ils avaient for-
maient des obstacles à la descente du Saint-
Esprit ; et en effet, les apôtres étaient en-
core imparfaits jusqu'à ce que le Sainl-L>-
prit les eût rendus de nouveaux hommes.
Car, comme nous voyons que le feu agil si
puissamment sur le bois, qu'il le change
entièrement et lui fait perdre sa forme pour
lui imprimer la sienne, aussi le Saini-F--
prit, consumant tout ce qu'il y avait d'hu-
main, d'impur et de charnel dans les apôlres,
les a changés en des hommes tout divins cl
tout spirituels.
Voilà donc les cflcls de la descente du
Saint-Esprit sur les apôlres. Examinons-
nous là-dessus, et reconnaissons s'il est
cendu en non-. Sommes-nous saints, on -
frères ? Oui , nous le sommes tous dan - un
sens: nous le sommes par la consécration
du baptême, nous le sommes par la miséri-
corde de Dieu, qui nous a prévenus. Nous
sommes Us temples du Saint-Esprit; ce qui
doit nous (Vire agir dans toute notre con-
duite avec beaucoup de circonspection, no
7-29
SERMON POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE.
730
disant rien , ne faisant rien q ui ne soi t conforme
à la sainteté de notrcétat.Mais est-ce ainsi que
nous vivons ? Jugeons-en par notre amour.
Aimons-nous Dieu parfaitement? Sommes-
nous prêts à mourir plutôt que de l'offenser?
Nous regardons-nous intérieurement et dans
la préparation de notre cœur comme peut-
être inférieurs à tous ceux qui nous envi-
ronnent, quand même nous serions les pre-
miers par la naissance ou par les places que
la Providence nous aurait données? Som-
mes-nous prêts à retrancher de notre con-
duite tout ce qui peut déplaire à un Dieu qui
nous a aimés le premier, quoique nous fus-
sions ses ennemis ? Aimons-nous Dieu uni-
quement , n'aimons-nous que lui ? L'amour
sensible de Jésus-Christ est un amour pro-
pre à l'enfance chrétienne; et aimons-nous
Jésus-Christ comme justice, comme vérité ,
comme sainteté? Aimons-nous Dieu, n'ai-
inons-nous que lui, ou, si nous aimons quel-
que chose avec lui, l'aimons-nous pour lui,
et .'■ommes-nous prêts à abandonner tout,
quoi que ce pût être, si nous connaissions
que l'amour que nous sommes obligés d'a-
voir pour lui le demande? Aimons-nous
Dieu gratuitement? l'aimons-nous égale-
ment dans l'adversité comme dans la pros-
périté? le servons-nous également et d'une
manière uniforme dans les consolations et
dans les afflictions ? Si cela est, la charité a
beaucoup augmenté l'ouvrage de notre sain-
teté; PEsprit-Saint descendra en nous, et
nous devons espérer qu'il l'achèvera. Mais
si nous ne sommes pas encore dans cet état,
ne nous décourageons point. Dieu vous a-l-il
donné le désir de devenir saints ? espérons ,
mes frères, que nos faiblesses ne nous ef-
frayent point ; humilions-nous dans nos
misères, et ne nous troublons point. On ne
devient saint que par degrés ; les apôtres ne
l'ont pas été tout d'un coup, Dieu les a long-
temps supportés dans leurs imperfections :
il aura la même bonté pour nous si nous
nous humilions. C'est lui qui nous rend
saints, et c'est ce qui doit nous consoler;
mais travaillons avec la grâce et par la
grâce à nous défaire de ces imperfections
qui nous humilient; car, mes frères, l'ou-
vrage de notre sainteté demande notre tra-
vail : les apôtres ont suivi Jésus-Christ et
ont tout quitté pour le suivre ; ils se sont
séparés et retirés dans la solitude , ils ont
prié ; et c'est pourquoi le Saint-Esprit est
descendu en eux et en a fait des saints.
il faut donc espérer, mes frères, que nous
deviendrons saints, si, en nous humiliant de
nos faiblesses nous travaillons à nous en
défaire , et si par la prière continuelle nous
recourons à Dieu, reconnaissant que tout
dépend de lui, et que c'est son esprit qui nous
fait ce que nous sommes devant lui. Mais
non-seulement Jésus-Christ a fait des saints
de ses apôtres imparfaits, il a fait encore des
docteurs de ses disciples peu éclairés : c'est
le second effet qu'il produit en eux, et le
sujet du deuxième poinl.
DBUXIÈMB PARTIE.
Comme c'est proprement aujourd'hui que
l'Eglise est formée, c'est aussi proprement
dans ce jour que les docteurs qui doivent
instruire les fidèles sont formés par le
même esprit qui les unit. Aujourd'hui s'ac-
complit celte parole d'Isaïe : Je m'en vais
créer de nouveaux deux et une terre nou-
velle. Celte nouvelle terre, disent les saints
Pères, c'est l'Eglise et l'assemblée des chré-
tiens ; ces cieux nouveaux, ce sont les apô-
tres, selon saint Augustin. Voilà donc les
effets de la miséricorde de Jésus-Christ dans
le ciel, et la première chose qu'il fait pour
nous en qualité d'avocat. Il nous envoie
l'Esprit-Saint, il l'obtient de son Père pour
nous : Je prierai mon Père , dit-il, il vous
donnera un autre consolateur, afin qu'il de-
meure éternellement avec vous ; c'est l'esprit
de vérité.
En effet il n'a envoyé le Saint-Esprit qu'a-
près qu'il a été monté dans le ciel, et il fal-
lait qu'il y montât pour le donner. Il donne
le Saint-Esprit à toute l'Eglise, parce qu'il
en est le lien , et que c'est par lui qu'elle est
formée; mais il se repose sur chaque apôtre,
parce que chaque apôtre esteonstituédocteur
pourl'Eglise: car comme ilest vraiqueeequ'il
a fait dans sa naissance, dans sa vie, dans
sa mort, dans sa résurrection, n'a eu pour
but que la formation de son Eglise, tout ce
qu'il a fait depuis contribue à sa perfection,
selon ce que dit l'apôtre saint Paul : Jésus-
Christ a donné à son Eglise les uns pour être
apôtres, les autres pour être pasteurs , les
autres pour être docteurs, afin qu'ils travail-
lassent à la perfection des saints et à l'édi-
fication de son corps mystique.
Or, mes frères, c'est aujourd'hui qu'il for-
me ces docteurs, c'est aujourd'hui qu'il verse
dans l'âme de ses disciples toutes les lu-
mières et toutes les vérités dont il leur avait
dit qu'ils n'étaient pas capables, et qu'il re-
mettait à leur apprendre, par la descente du
Saint-Esprit sur eux, qui devait leur ensei-
gner toutes les vérités qui regardent la foi ,
la sainteté des mœurs et le règlement de
l'Eglise.
Il se fait dans ce jour, pour l'établissement
de l'Eglise , ce que Dieu Gt autrefois dans la
création de l'univers : il créa d'abord tous
ses ouvrages, mais il ne forma les astres et
il n'attacha la lumière au soleil que le qua-
trième jour. De même l'auteur de la grâce ,
qui est aussi le créateur de la nature, vou-
laut mettre de la conformité entre ces deux
grands ouvrages, fait arriver, pour ainsi
dire, aujourd'hui l'Eglise à son quatrième
jour. Dieu d'abord a éclairé les hommes dans
la loi de la nature ; ensuite' il les a éclairés
dans la loi de Moïse. Sous cette loi il a ré-
pandu différentes lumières, selon les diffé-
rentes situations où s'est trouvé son peuple,
et comme nous voyons dans la nature que
nos ombres paraissent plus grandes, selon
que le soleil est plus éloigné, de même dans
l'Ancien Testament et dans le temps qui a
précédé la venue de Jésus-Christ, il éclairait
a la vérité par la loi, mais comme il était
encore loin de ceux qui vivaient dans ces
temps-là, ces ombres et ces ligures étaient
751
OllAThlllS SACRES. DOM JKRO.Mh.
751
discures, et leur lumière était sombre. Knlin
le letnps est rcnu qu'il ;i illuiniiié notre hé-
misphère par sa résence ; le jour i com-
lueucé à paraître par sa prédication, cl la
lumière a été pins forte ; mais aujourd'hui
le soleil se montre dans toute sa clarté , le
Saint-Esprit est venu , il se repose sur les
apôtres ; leurs âmes, dégagées des vues sen-
sibles , deviennent propres à former des
astres auxquels la lumière s'unit.
La terre, dit saint Gbrysoilome, devient
aujourd'hui un ciel pour nous, non à caose
que les étoiles tombent sur la terre, niais
parce que les ;:pôtre- moulent dans le ciel.
Ils moutent sur le troue de l'Eglise , i t ,
n'ayant été que de simples disciples peu
éclairés pendant que Jésus-Christ avait vécu,
ils deviennent les maîtres des peuples et les
docteurs de toute l'Eglise après la descente
du Saint-Esprit. Ce lui là que l'effet de leur-,
lumières parut. La première prédication de
saint Pierre fut plus grande que toutes celles
du Sauveur du monde; mais chaque chose
a son temps dans l'ordre de Dieu. Voilà donc
le second effet de la descente du Saint-Esprit
sur les apôtres, il en fait des docteurs, et cet
Esprit de vérité , descendant en eux et se
reposant sur chacun d'eux, leur enseigne
toutes choses.
De ceci, mes frères, nous devons tirer
deux grandes instructions : la première re-
garde tous les ûdèles qui sont dans l'Eglise
et qui ont part à la descente du Saint-Esprit;
la seconde regarde ceux qui ont succédé aux
apôtres, ou qui sont appelés au ministère de
la parole. 11 faut donc premièrement que
chaque chrétien pour qui le Saint-Esprit est
descendu se rende témoignage à lui-même
de la descente du Saint-Esprit en lui : car
comme les apôtres nous enseignent qu'il a
donné son esprit à ceux qui sont ses enfants
pour les conduire, il faut que; notre conduite
nous rende témoignage de la descente du
Saint-Esprit en chacun de nous.
Eu effet , si nous vivons par l'esprit .
comme dit l'Apôtre, conduisons-nous aussi
par l'esprit. Or, mes frères , qu est-ce que
c'est que de se conduire par L'esprit ? c'est
suivre dans sa conduite les règles qui nous
ont été enseignées par l'esprit de Dieu. 11
s'agit d'un établissement , d'un mariage ,
d'une charge, de la conclusion d'une affaire
temporelle: par quelle règle vous conduisez-
vous ? Suivez-vous les règles du monde que
l'avarice et l'ambition inspirent, ou vous at-
tachez-vous à celles que l'esprit de Dieu
vous a marquées dans l'Ecriture? Il s'agit
de l'éducation de vos enfants, les élevez-vous
selon les principes de la foi ou selon les
maximes du monde ? Travaillez-vous à en
faire de bons chrétiens selon les lois de l'E-
vangile, ne souffrant pas qu'ils apprennent
rien qui puisse donner atteinte à leur inno-
cence,ou bien vous conleulez-vous d'en faire
ce que l'on appelle d'honnêtes gens dans le
monde, c'est-à-dire de bons païens? l'ouvez-
vous dire comme David : Je n'ai point (Vau-
tres conseils que vos saintes lois, je ne m'at-
tache point aux fausses traditions humaines ,
vos seules ordonnances sont tout mon con-
seil ; \e ne connUti qu'elles seules; elles seules
tw règlent dans mu conduite ?
cela est, chrétiens, le Saint-Esprit est
descendu sur roui i omme mit les apôtres, il
vous a failsdes docli m s : car tout chréti n
; passer pour docteur quand il est sa.
cl il est sage quand il est conduit par
res de la foi. Voilà ce qui regarde I s li-
I du commun ; mail pour eux qui oui
sut cédé aux apôtres, ou qu: sont appel
après eux au ministère de la parole, ils d >i-
venl apprendre de la descente du Saint-'
prit que toute leur science doit venir du ciel ;
ne doivent publier que la parole de Dieu,
de qui ils sont les ministres dans i lie fonc-
tion ; car, comme dit l'Apôtre, Nous faisons
laclianje d'ambassadeurs pour Jésus-Christ;
cl comme les ambassadeurs soûl Irès-ex.i
à suivre les instructions qu'ils ont reçues du
prince qui les envoie, nous devons avoir le
même soin de ne rien dire qui ne soit con-
forme à la parole de Dieu écrite ou reçue de
la tradition divine. Ainsi, quand nous vous
parlons, ce ne sont point nos imaginations
propres que nous devons débiter, nous de-
vins nous attacher à la parole de Dieu écrite
ou à la sainte tradition. Noire doctrine doit
venir du S iinl-Esprit , san-> \ mêler 1 s pro-
ductions du nôtre. Nous devons c re nni for-
mes dans nos propositions : ce serait un
malheur que l'on ne p urrail assez de lorer
si l'on en voyait travailler à détruire ce que
les autres édifient.
De plus, celle doctrine qui doit venir du
ciel ne descend dans l'âme que de ceux qui
sont saints, c'est-à-dire qui tâchent de mener
une vie pure et retirée, comme les apôtics
ont fait jusqu'à la descente du Saint-Esprit :
c'est ce qui doit obliger les pasteurs et les
minisires de la parole sainte à beaucoup de
retraite, demandant à Dieu qu'il les purifie;
car Dieu dit aux pécheurs : Pourquoi annon-
cez-vous mes lois? Pourquoi voire bouche
publier a- t-elle mon alliance f 11 faut une plus
grande grâce et une nouvelle effusion ou
Saint-Esprit dan* ceux qui s'attachent au mi-
nistère de la parole.
Enfin il faut beaucoup prier, nou-seule-
menl afin de nous purifier de nos fautes et
de nos pèches, mais encore pour attirer en
nous l'esprit de Dieu cl sa science, les .ipô-
tr s étaient dans l'exercice de la prière lors-
que le Saisi-Esprit est descendu en eux, et
ce l'ut par la qu'ils reçurent celle ab ndance
et ce torrent de grâce. C'est celle plénitude
de l'esprit de Dieu qui leur donna la force
<iui les fait paraître de nouveaux hommes j
c'est le sujel de I . troisième réflexion.
tkoisiîmi: l'ARTIi:.
Je n'aurai pas le temps de vous faire voir
le troisième effet du Saint-Esprit dans (ouïe
son étendue; i isons-en seulement un mol.
11 les rend turl- et intrépides à tout souffrir,
et pour en juger il suilit de faire attention à
la différence des sentiment! de saint Pierre
dans celle rencontre, où il public Jesus-
Christ aux Juils, d'avec ceux où il parait
753
SERMON POUR LA FETE DU SAINT SACREMENT.
être avant la passion, lorsqu'il fallut le con-
fesser en présence d'une simple servante.
Or ce Iroisième effet de l'Esprit-Saint est une
suit.e des deux premiers. Les apôtres étaient
bien éloignés d'exposer leur vie avant qu'ils
fussent saints , ils étaient encore attachés à
la terre, et ils appréhendaient de perdre ce
qui les attachait lorsqu'ils n'étaient pas en-
core parfaitement éclairés sur les grandes
vérités delà foi; mais, depuis que l'esprit
de Dieu en a fait des saints et des docteurs,
ils ne craignent plus rien, parce qu'ils n'ai-
ment plus que Dieu et qu'ils ne connaissent
rien de plus grand que lui. C'est cette dispo-
sition qui les mène avec joie au-devant des
opprobres et des souffrances.
Ainsi nous devons conclure que si nous
n'avons pas la force de confesser Jésus-Christ
par notre conduite , ni de vivre devant les
hommes d'une manière conforme à nos enga-
gements,c'est que nous ne sommes pas saints,
c'est-à-dire que nous sommes attachés à la
terre et que nous ne sommes pas pénétrés
des vérités de la foi. En effet, souvent nous
ne faisons pas le bien que Dieu demande de
nous, parce que nous craignons la raillerie
et la censure des hommes, et nous la crai-
gnons parce que nous aimions le mal ou que
nous sommes attachés à une fausse réputa-
tion. Nous ne connaissons pas, à cause de
la faiblesse de notre foi, quelle est l'étendue
de nos obligations, nous ne prêchons pas la
vérité avec force, nous ne soutenons pas
les intérêts de Jésus-Christ avec vigueur,
parce que nous craignons la perte de ce
qui nous attache. En un mot nous som-
mes faibles, parce que nous ne sunimes pas
saints.
Demandons-lui donc qu'il nous envoie son
Saint-Esprit, cet esprit de pureté qui nous
rende saints par notre conduite, comme nous
le sommes par notre baptême, dont la consé-
cration nous a sanctifiés; cet esprit de lu-
mière qui nous éclaire dans toute notre con-
duite, et qui nous fasse marcher dans ses
voies et selon ses voies ; et enfin cet esprit
de force qui nous donne assez de fermeté
pour mourir plutôt que de faire quelque
chose qui démente la sainteté de notre con-
sécration, et qui nous empêche de dire ou
de penser ce qui ne serait pas conforme à la
pureté de notre foi, afin de nous rendre di-
gnes de le posséder dans toute L'éternité. Ainsi
soit-il.
SERMON
POUR LA FÊTE DU TRÈS-SAINT SACREMENT.
De l'excellence de l'adorable eucharistie.
Homo i|uid,irn fecit conani BMgnaiB.
Un homme fit un jour un grand souper {lue, XIV, 16).
La parabole que l'Eglise nous propose pa-
raît si naturelle pour expliquer tout ce qui
regarde l'adorable eucharistie, soit par rap-
port à Jésus-Christ, qui se donne à nous dans
ce sacrement, soit par rapport à nous, qui
avons l'avantage de le recevoir, que je me
suis déterminé à ne pas chercher d'autre
matière pour vous entretenir dans les trois
734
discours que j'ai à vous faire sur ce sacre-
ment adorable. Examinons donc ce qu'on
reçoit dans l'eucharistie, l'abus qu'on en fait
et l'usage réglé qu'on en doit faire. Toute la
matière qui regarde l'adorable eucharistie
est renfermée dans ce que je viens de vous
proposer : l'excellence du don nous découvre
ce qu'on reçoit, le crime de la profanation
renferme l'abus qu'on en fait, les conditions
du bon usage d'un don si excellent nous mon-
trent avec quelles dispositions il faut rece-
voir ce sacremeut ; or tout ceci se décou-
vre naturellement dans cette parabole de
l'Evangile.
Le soin que cet homme dont il est parlé
prend de faire un grand souper nous four-
nira l'idée de l'excellence du don que Jésus-
Christ nous a fait dans l'eucharistie; les ex-
cuses de ceux qui sont invités et qui refu-
sent d'y prendre part nous découvrent la
profanation qu'on fait de ce don excel-
lent ; les qualités de ceux que le maître
du souper y fait introduire nous appren-
nent les conditions du bon usage qu'il en
faut faire.
Voilà, mes chers frères, la matière dont je
veux vous entretenir dans les trois discours
que j'ai à vous faire. L'excellence du don
que Jésus-Christ nous fait dans l'eucharistie,
rien de plus grand; le crime de la profana-
tion de l'eucharistie, rien de plus affreux;
les conditions du bon usage, rien de plus
important que de s'en bien instruire.
Aujourd'hui nous ne parlerons que de
l'excellence de ce don, et, pour vous donner
une idée juste de son excellence, il le faut
regarder sous deux rapports que je lire des
premières paroles de ia parabolede l'Evangile:
1 Par rapport à celui qui fait le don et qui
prépare le souper : Homo quidam; qui est
cet homme-là? 2° Par rapport au don même :
Fecit cœnum magnam; c'est un grand et ma-
gnifique souper.
Je découvre donc l'excellence de ce don
dans deux choses : 1" Dans la dignité de ce-
lui qui le fait : Homo quidam fecit : c'est un
Homme-Dieu, premier point; 2° dans la va-
leur du don en lui-même : Cœnam maynatn :
c'est sa chair et son sang, second point.
O rare et excellent don 1 c'est vous, Sei-
gneur, qui le faites ; c'est vous-même que
vous donnez. Que ce repas est admirable 1
toutes les circonstances en relèvent le prix.
Proslernons-nous donc devant lui et adorons-
le. Tantum er(jo.
PREMIERS PARTIE.
Il faut examiner d'abord la dignité de ce-
lui qui fait ce don pour en comprendre l'ex-
cellence : Homo quidam fecit. Cette parabole,
selon les Pères, ne peut s'entendre que do la
gloire éternelle, ou de l'adorable eucharistie,
qui en est le gage et qui contient les semen-
ces de l'immortalité. En effet, il n'y a que
Dieu qui puisse préparer la gloire, nous y
appeler, nous y destiner, nous mettre dans
les voies qui nous y conduisent, et opérer
en nous et avec nous par sa grâce les œu-
vres qui nous en rendent digues.
783
ORATEURS SACRES. DOM JEROMI
T",f
Il n'y a de même que Dieu qui puisse nous
préparer le banquet magnifique de l'eucha-
ristie, nous y inviter, comme nous l'explique*
rons, et former en nous les dispositions qui
nous rendent dignes d'y être admis. Il faut
donc d'abord reconnaître l'excellence de ce
don merveilleux par la dignité de celui qui le
fait : I enile, audite, et narraUo, omnes qui li-
melis Deum. Venez, dit le Prophète, écoutez,
vous tous qui craignez Dieu, et je vous ra-
conterai combien il a fait de grâces à mon
âme. C'est à vous, mes frères, que s'adres-
sent ces paroles ; car, quoique ce don soit
pour tous et que celle viande se serve à
tous, comme dit saint Augustin, elle ne
nourrit et ne vivifie que ceux qui sont rem-
plis de la crainte du Seigneur , et d'une
crainte d'enfants animés de l'amour.
Il n'est pas encore temps de vous mar-
quer l'excellence de ce don en le considé-
rant en lui-même : ne perdons pas de vue
la dignité de celui qui nous le fait, car
cette dignité relève infiniment le mérite du
don.
Jetez donc les yeux sur Elisabeth recevant
dans sa maison la mère de Dieu. La pre-
mière vue qu'elle a sur sa dignité fait le prix
delà visite, lié ! d'où me vient ce bonheur ?dil-
elle. Or, c'est ici un Dieu qui nous prévient,
c'est cet Homme-Dieu qui pense à nous faire
un don ; et dans le don qu'il nous fait je vois
l'ouvrage merveilleux de son amour, de sa
puissance et de sa sagesse.
En effet, mes frères, outre que son amour
l'emporte sur tous les autres sentiments, c'est
que sa puissance et sa sagesse u'agiraient
pas si l'amour ne les mettait en mouvement.
C'est l'amour qui fait tout en lui à notre
égard; il nous a aimés le premier : Prior di-
lexit nos ; que pourrait-il y avoir en nous
qui fût capable de le déterminera nous faire
du bien, que cet amour gratuit dont il nous
a prévenus pendant que nous étions ses en-
nemis? C'est donc l'amour qui fait tout en
lui ; ainsi c'est l'amour qui doit faire tout en
nous pour lui, et c'est là l'esprit de la loi
nouvelle.
Mais voyons ce que fait cet amour : nous
ne saurions prendre une idée plus noble de
6es ouvrages qu'eu rappelant à notre esprit
le mystère de l'incarnation, qu'on doit ap-
peler le mystère de l'amour de Dieu pour les
hommes, suivant celte expression de l'Ecri-
ture : Sic Deus dilexit mundum, ut Filium
snum unigenitum dur et : Dieu a aimé le
monde jusqu'au point de lui donner son Fils
unique.
Or, les sainls Pères ont appelé le mystère
de l'autel l'extension du mystère de l'incar-
nation ; et en effet qu'a-t-il fait dans l'un
qu'il n'ait pas fait dans l'autre dans un degré
supérieur, ce qui donne l'avantage aux preu-
ves d'amour qu'il a voulu nous donner dans
celui-ci?
L'incarnation nous montre à la vérité l'u-
nion de Dieu avec la créature et la fin de
Celte union. L'union qu'il y l'orme avec la
créature se termine, à un ternie individu,
c'est-à-dire que le Verbe de Dieu se faisant
homme ne s'est uni qu'au seul corps que le
Saint-Esprit lui a formé dans le sein de Ma-
rie et île la substance de Marie.
Mais dans le mystère <!c l'autel il s'unit à
autant de corps qu'il y a de personnes qui
le reçoivent; le Verbe de Dieu, fait ebair
dans Marie, se fait chair en quelque façon
dans chaque chrétien qui le reçoit dans l'eu-
charistie.
Là, disent les Pères , le prêtre devient son
père et lui forme un corps; ses paroles sont
aussi efficaces que celles que Marie prononça
pour inarquer son obéissance à la volonté
du Seigneur, après lesquelles l'union des
deux natures fut accomplie. Les unes comme
les autres l'attirent du ciel sur la terre; l'au-
tel est la crèche sur laquelle il parait et
prend naissance; les espèces sont les lan-
ges dans lesquels il est enveloppé : elles
cachent son humanité et sa divinité tout en-
semble, comme l'humanité commence à ca-
cher sa divinité dans le moment de sa nais-
sance ; et ce qui ne s'est fait dans l'incarna-
tion qu'une seule fois, dans un seul lieu et
en une seule personne dignement préparée
comme Marie, se fait tous les jours el se con-
tinuera jusqu'à la consommation des siècles
dans tous les lieux de la terre et daus un
nombre infini de personnes. C'est ce que si-
gnifient ces paroles du prophète Malachie,
selon l'interprétation qu'en ont faite les
sainls Pères après l'Eglise : Et in omni loco
sncrificatur nomini meo et offertur oblatio
munda; ab or lu solis tisque ad occasum, no-
men meutn glorification est gentibus.
Que si nous regardons 1'iucarnalion dans
sa fin, c'est-à-dire dans la mort de Jésus-
Christ, qui n'a voulu vivre de notre vie que
pour nous racheter de la mort en mourant
pour notre salut, il est certain qu'il n'est
mort qu'une fois , ce qui suffisait pour la
plénitude de notre rédemption; mais dans
l'eucharistie son amour lui a fait trouver le
moyen de mourir mille fois tous les jours:
car autant de fois qu'on offre le sacrifice,
autant de fois Jésus-Christ souffre-t-il la
mort; son corps n'est-il pas séparé de son
sang par les paroles de la consécration? et
ce mystère n'est-il pas une vive représenta-
tion du sacrifice de la croix , où la même
victime est immolée pour nous d'une manière
différente, mais toujours réelle el véritable,
quoique figurative et mystique? C'est ce que
nos frères erranls n'ont pas voulu recon-
naître, et ce qui fait que le sacrifice des
chrétiens est différent de celui qui se prati-
quait dans la loi. En effet, c'est un sacrifice
spirituel et digne de la nouvelle alliance, OU
la victime présentée n'esl aperçue que par
la foi , où la parole est le glaive qui sépare
mystiquement le corps et le sang, où le sang
par conséquent, n'est répandu que mystique-
ment, où la mort n'intervient que par repré-
sentation. Mais c'est néanmoins un sacrifice
véritable, en ce que Jésus-Christ y est trés-
\ entablement contenu et présente à Dieu
sous celle ligure de mort : c'est un sacrifiée
de commémoration, qui, bien loin de nous
détacher , comme on nous l'objectait , du
737
SERMON POUR LÀ FETE DU SAINT SACREMENT.
738
sacrifice de la croix, nous y attache par
toutes ses circonstances, puisque non-seule-
ment il s'y rapporte tout entier, mais que
réellement il n'est et ne subsiste que par ce
rapport et qu'il en tire toute sa vertu.
Ecrions-nous donc avec le Prophète : Do-
minus regnavit, exsultet terra : Le Seigneur
a été reconnu pour le roi suprême, que la
terre tressaille de joie. Nubes et calûjo in
circuitu ejus : Une nuée est autour de lui et
l'obscurité l'environne.
Car si cette nuée signifie l'humanité dont
il s'est revêtu par son incarnation, puisque
la faiblesse de notre nature était véritable-
ment comme une nuée et comme une obscu-
rité très-sombre sous laquelle était caché le
Dieu de gloire, pourquoi les espèces qui le
couvrent dans ce sacrement, où il étend les
merveilles de son incarnation, ne pourront-
elles pas porter le même nom?
Cette nuée, comme celle de notre nature ,
sera, selon saint Augustin, jusqu'à la fin des
siècles une occasion de scandale pour les
impies , qui ont trop d'orgueil pour recon-
naître par la foi la sagesse très-profonde et
la puissance souveraine de celui qui se réduit
dans cet état; mais les vrais fidèles perce-
ront toujours à travers cette nuée , et com-
prendront les mystères de ces ténèbres ado-
rables ; et, voyant non-seulement celui qui se
cache de cette manière et qui s'enveloppe
dans cette mystérieuse obscurité, ils y dé-
couvriront encore des marques admirables
de sa puissance souveraine et toute divine.
Pour vous faire entrer dans celte seconde
considération, qui rclèveadmirablcment l'ex-
cellence de ce don, il faudrait vous développer
tous les miracles que la puissance de Dieu
opère dans l'accomplissement de ce mystère;
je ue ferai cependant que passer sur quel-
ques-uns, pour vous en donner une idée qui
serve à vous faire estimer ce don si prérieux;
et il n'y a qu'à considérer la manière dont il
est renfermé dans ce sacrement.
Ahl que nous pouvons bien le dire, et
reconnaître en même temps la force de son
amour, qui l'oblige à renfermer toute sa puis-
sance pour s'élever au-dessus de toutes les
lois de la naiure , et renverser en quelque
façon l'ordre des choses ! Oui, mon Dieu, vous
êtes vraiment un Dieu caché.
Il faut être Dieu pour faire qu'une sub-
stance soit changée en une autre par la vertu
d'une parole; que des accidents que nos yeux
voient, que nos mains louchent, que notre
langue goûte, renferment l'Etre créateur de
toutes choses; qu'un corps ait toute sa gran-
deur dans un si petit espace, qu'il soit pré-
sent en mille lieux en même temps, qu'il ait
toute la force cl toute la vigueur d'un corps
vivant, cl qu'il demeure dans l'inaction et
d us l'immobilité d'un mort; qu'il ail toute
la puissance d'un souverain de l'univers et
qu'il soil renfermé sous la faiblesse d'un être
inanimé; enfin qu'il possède toute la gloire
d'un Dieu dans sa majesté et dans sa splen-
deur, et qu'il veuille être soumis à la volonté,
aux négligences, aux mépris et aux injures
des hommes. Ahl mes chers frères, il faut
reconnaître que tous les miracles qu'il a
opérés dans sa vie cèdent à ceux qu'il fait
dans l'adorable eucharistie, que c'est dans
ce mystère que sa puissance souveraine
s'élève au-dessus de toutes les lois de la na-
ture , et qu'on doil le regarder comme l'a-
brégé, le mémorial, le chef-d'œuvre de son
amour et de sa puissance : Memoriam fecit
mirabilium suorum, escamdedit timentibus se.
Ajoutons, pour finir celte première partie,
ce qui regarde sa sagesse infinie dans ce
mystère, pour relever encore l'excellence de
ce don précieux par rapport à celui qui le fait;
et pour vous faire entendre ce que je pense,
il faut établir ce principe de saint Thomas,
qui appartient à la foi , que tous les sacre-
ments concourent à établir, à perfectionner,
à former et à soutenir la vie de l'âme. Or,
dit saint Thomas, le baptême lui donne la vie,
la naissance et la formation ; mais comme la
vie ordinaire ne peut se conserver sans ses
aliments, il en faut aussi pour soutenir la vie
de l'âme.
Or c'est dans l'eucharistie que nous trou-
vons cet aliment et cette nourriture qui nous
soutient; c'est pourquoi ce pain, qui donne
la vie, esl appelé le pain de vie; en effet,
par le baptême nous sommes régénérés en
Jésus-Christ, à qui nous sommes unis, et par
l'eucharislie nous mangeons Jésus-Christ ,
qui s'unit à nous.
Par le baptême nous faisons notre entrée
dans l'Eglise, cl par l'eucharistie nous en-
trons d ans l'union el dans l'usage du pain des
enfants, suivant ce que dit saint Paul aux
Corinthiens : Unum corpus sumus, omnes qui
de uno pane participamus.
C'est donc par l'effet d'une extrême sagesse
que Jésus-Christ a institué ce sacrement, et
qu'il nous fait ce don excellent, où nous
trouvons une source du vie.
Sagesse admirable de Dieu que nous ado-
rons , vous avez voulu mettre une sorte de
proportion en la manière dont nous avions
perdu la vie que vous nous avez donnée
d'abord dans la personne de notre premier
père, et celle que vous avez choisie pour
nous la rendre par la vertu du nouvel Adam :
l'usage sacrilège d'un aliment que vous lui
avez défendu lui a fait perdre la vie : Quo-
cunque die comederis, morte moricris; cl celui
de ce pain adorable la lui redonne : Si quis
manducaveril ex hoc pane, vivet in œternum.
Quels doivent être nos transports , mes
chers frères, dans la vuede tant dcmervcillrsl
Quelle estime ne devons-nous pas concevoir
de ce don, qui nous est fait par une personne
d'une dignité infinie et divine I Mais ce don,
c'est lui-même ; il faut vous en découvrir la
valeur : c'est la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Attachons-nous aux paroles de notre évan-
gile pour entrer dans I Idée que nous devons
prendre de l'excellence du don que Dieu
nous fait dans l'adorable eucharistie, consi-
déré par rapport au don même el pris dans
sa nature : c'est uu souper magnifique; or lo
souper renferme deux choses : lu c'est le
739
ORATEURS SACRES. I)0\1 JEROME.
740
dernier repas de !a journée, on n'en lait plus
d'autres après celui-là ; ml' de ce repas ordi-
nairement na passe au repo , il net comme
la liu à noire travail ; après le souper on sa
repose et on n'agit plus, lo.is les mouvements
et toutes les applications sont suspendus.
Je vois dans ces deuv considérations natu-
relles sur le souper une idée assez juste de la
valeur du don que Dieu nous fait dans l'eucha-
ristie , considéré en lui-même : c'est l'heu-
reux accomplissement de toutes les figures
de l'ancienne loi, le dernier repas que Dieu a
donné à ses enfants à la fin de la journée des-
tinée aux figures et aux représentations;
c'est la prise de possession de la réalité, c'est
l'entrée au repos éternel et le gage de la
bienheureuse immortalité.
Mais pour bien entrer dans ces vérités , il
en faut établir une qui appartient à la foi, qui
est tirée de l'Ecriture, et qui est un grand
principe de religion : c'est que Dieu, qui est
père tendre, sage et puissant , a pris soin
dans tous les temps de pourvoir à la nour-
riture et à la subsistance de ceux qu'il a
choisis pour ses enfants. En effet, La Sagesse
s'est bâti une maison; ce Verbe de Dieu, en
s'incarnnnl, a formé son Eglise, dont il est
le chef, et qui est composée de tous les élats
qu'il a pris dans toutes les nations et dans
tous les temps. Cette maison a eu ses pro-
grès et ses accroissements : les fondements
en ont été jetés dans l'ancienne loi et même
dès la création du monde, Dieu ayant eu ,
comme je viens de le dire , des élus dans
tous les temps. Elle s'est élevée , elle a été
ornée, elle a paru dans sa beauté dans la loi
nouvelle; la sainteté est devenue l'ornement
de cette mai on, par la charité qui l'a enri-
chie, par le Saint-Esprit qu l'a remplie, par
la présence de Jésus-Christ qui l'a honorée.
Elle recevra la consommation de sa sainteté
dans l'éternité et à la fin des temps, lorsque
Dieu la remplira parfaitement , et qu'étant
achevée et complète par la réunion de toutes
les pierres choisies pour la composer, la dé-
dicace s'en fera dans la gloire. Je ne veux
que tous indiquer ce qui peut vous fournir
des réflexions sur la construction de cet
édifice : considérez l'ébauche et le commen-
cement de celte maison dans le temps de la
loi ; son élévation , sa force et sa ferveur au
temps de l'Evangile, et l'étal <lc l'amour et de
la charité qui fera sa perfection et son achè-
vement , et qui ne sera que dans le ciel :
heureux temps de la gloire et de la consom-
mation 1
Or, mes frères, dans tous ces temps ce père
charilable, tendre et puissant, a fourni à ses
enfants une nourriture et des aliments pro-
portionnés à leur état; c'est pourquoi saint
Jean nous assure que l'Agneau a été immolé
et posé sur l'autel dès le commencement du
monde. Que de vérités dans cette idée , qui
représente tout en Jésus-Christ ! Election,
vie, force, aliments, gloire : Jésus-Christ
i enferme tout-
Cet Agneau a donc été la nourriture des
élus dans tous les temps; mais la sagesse de
re qui l'a fournie à ses entants a pris
soin de la proportionner à leurs forces. Les
anges, ces esprits célestes qui sont unis à
Dieu de la manière la plus parla le, le man-
gent COUime il convient a leur et.il , al sont
eni\rés de l'abondance d.-s déliées qu'ils
goûtent d'une manière ineffable d ms l'usage
de cette céleste et divine uourrilure ; Man-
dacant (irujeli, mnnducant cœlesles spiritu* ,
dit saint Augustin. Tous ceux qui mil pi ccéJé
l'établissement et l'institution de l'adorable
eucharistie l'ont mangé s irilm llemeni al
par la loi; car ils appartenaient à Jésu*-
Christ et ils étaient déjà membres de son
corps. Et présentement il nourril d'une ma-
nière ineffable ceux pour qui il n'y a plus ni
figure ni ténèbres , eî qui, pénétrée de la m-
rilé, voient tout à découvert.
Mais de ces vérités si belles et si solides je
lire des conséquences justes et naturelles ,
qui nous découvrent l'excellence du don que
Dieu nous fait aujourd'hui : c'est, mes frères,
que celle adorable eucharis'ie que nous pos-
sédons est toulensembleet l'accomplissement
des figures, qui sont passées, et le gage de la
gloire que nous attendons. Ces figures eu
effet n'ont rien promis ni rien donné qu'elle
ne contienne, et celle gl» ire ne renferme rien
dont elle ne nous assure et qu'elle ne com-
mence à nous donner. Arrêtons-nous un
moment sur ces deux propositions.
Pour n'être pas infini dans le récii de toutes
les figures qui ont représenté l'eucbarislie,
je m'attache à trois , qui nous sont assignées
par l'Eglise : le sacrifice d'Isaac , l'agneau
pascal , la manne, lsaac est immolé, et son
sang n'est pas répandu ; Jésus-Christ est im-
molé dans l'eucharistie : il y a une mort
mystique , nous l'avons expliquée; son sang
n'est pas répandu, ce sacrifice n'est pas san-
glant. Le l'ère nous donne effectivement la
vie de son Eils , et le Fils nous la donne de
même; mais comme il n'a dû mourir qu'une
fois, sa mort se renouvelle dans ce sacrifice
et devient une source de vie. Il est offi rt
comme lsaac et immulé comme lui. L'agneau
pascal devait être sans tache; Jésus-Christ
dans ce sacrifice devait être innocent, et il ne
serait pas une digne victime s'il n'était pas
innocent: l'agneau devait être mâle; Jésus-
Clirist est la vertu du Père : agneau à sa mort,
lion dans sa résurrection; l'agneau pascal
n'a rien signifié qu'on n'ait trouve dans Jésu*-
Chrisl.
Enfin la manne venait du ciel, et avait
tous le.s goûts et toute la saveur que vou-
laient ceux qui en mangeaient. N'est-ce pas
ici le pain du ciel que les saints mangent,
comme nous disions il n'y a qu'un moment?
Ce pain n'est-ce pas Dieu même qui descend
du ciel, pour nous faire vivre de la vie do il
on vit dans le ciel? Mais il ne suffit pas de
vous avoir fait voir que s: les figures de 1 An-
cien Testament n'ont rico promis ni rien
donné que l'eucharistie ne renferme, la
re du ciel ne renferme rien donl elle ne
nous assure. En effel, que renferme la gloire?
n'est-ce pas Dieu? et n'est-il pas dans ce
sacrement? Oui, ce sacrement renferme Dieu
même. N'y sommes-uous pas unis à cette
741
SERMON POUR LA FETE DU SAINT SACREMENT.
■»
source de vie qu'il a acquise à ses enfants
par sa mort ? Ne recevons-nous pas les ga-
ges el la semence de la béatitude et du repos
éternel, en recevant le corps adorable du
Sauveur ? N'est-ce pas l'Eglise elle-même,
cette dépositaire de sa vérité, qui nous as-
sure de tous ces avantages ? 0 sacrum con-
virium in quo Chris tus sumitur !
C'est donc ici un souper magnifique : Fe-
cil cœnam magnum. 11 nous l'a préparé à la
fin de sa vie, c'est le dernier repas qu'il fait
à ses enfants ; mais c'est le commencement
d'un repas que rien ne doit interrompre; car
pour nous, qui vivons dans l'Eglise et dans
ïes lumières de l'Evangile, qui sommes ses
enfants régénérés par les sacrements, élevés
au-dessus des figures, nous mangeons réel-
lement le môme agneau dont les anges sont
rassasiés dans la gloire; mais comme nous
sommes faibles, pour se proportionner à nos
forces, il s'est fait chair, el il en a usé, dit
saint Augustin, comme fait une mère pour
nourrir son enfant. Une viande solide serait
trop forte pour sa faiblesse, elle la mange
elle-même, et elle se change dans son esto-
mac en lait, qu'elle donne à son enfant, qui
se nourrit ainsi du même pain que sa mère,
mais proportionné à son étal et rendu con-
venable à ses forces.
C'est ainsi que Jésus-Christ en use avec
nous dans l'adorabic eucharistie. Le Verbe
s'est fait chair, et il s'est rendu propre à de-
meurer en nous. Considérons, dit saint Au-
gustin, l'humilité, la charité, la puissance,
l'amour de Jésus-Christ. 11 est donc vrai que
Dieu, comme un père sage et puissant, a pris
Soin de nourrir ses enfants d'un même pain,
quoique différent ; car il a nourri par la
seule foi ceux qui étaient enveloppés dans
des ténèbres, et qui ne jouissaient que des
seules figures, et il nourrit réellement au-
jourd'hui et dans la foi ceux qui sont envi-
ronnés des ombres de celte foi, mais qui
mangent sa chair et boivent son sang dans
la loi. Que cette vérité est solide et lumi-
neuse ! Qu'est-ce que l'homme, ô mon Dieu I
pour mériter que vous le regardiez comme
quelque chose ? Qu'est-ce qui- l'homme pour
que vous vous souveniez de lui, et que vous
le jugiez digne de le visiter? Par quelle
bonté, Seigneur! avez-vous visité notre bas-
sesse et daigné vous revêtir de notre chair?
Mais n'est-ce pas quelque chose de plus que
vous ayez bien voulu nous nourrir de la vô-
tre? Quel rapport, 6 mon Dieu ! el quelle
proportion 1 Jamais tous nos efforts ne peu-
vent aller jusqu'à en mettre la moindre en-
tre vous el l'homme que vous daignez visi-
ter, fût-il le plus juste de lous ceux que vo-
ire grâce a jamais sanctifiés.
Pierre ne veut pas souffrir que vous lui
laviez les pieds, il ne peut vous voir pros-
terné devant lui pour lui rendre cet office
d'humilité. Quel est l'homme qui, connais-
sant ce que vous éles, ne tremblera pas
quand il pensera que non-seulement vous
voulez vous abattre à ses pieds, mais deve-
nir sa nourriture, descendre dans son es-
tomac et vous unir à lui sous la forme d'un
aliment !
Jean-Baptisle, cet homme si saint, dit qu'il
n'est pas digne de délier les cordons de vos
souliers ; et l'homme pensera, sans mourir
de frayeur, qu'il va prendre voire chair, la
toucher, la porter sur sa bouche!
Toute l'Eglise, instruite de la sainteté de
Marie, sait que vous êtes tombé, pour ainsi
dire, dans la profusion, pour l'enrichir de
tous les dons qui pouvaient la rendre agréa-
ble à vos yeux ; que vous l'avez douée de
toutes les grâces et de toutes les richesses
spirituelles qui pouvaient la préparera vous
recevoir en elle ; et elle admire que vous
n'ayez pas eu d'horreur de descendre dans
son sein : Non hurruisti virginis uterum,
dit- lie lous les jours ; et Jésus-Christ sup-
porte mille injures, il souffre mille outrages,
avant que de parvenir à ceux qui méritent
de le recevoir. Que ce don est précieux ! que
la bonté qui en est le principe est ineffable,
mes chers frères !
Jésus-Clirist pense à donner son corps aux
hommes dans le temps que les hommes sont
altérés de son sang et se préparent a lui don-
ner la mort ; dans le temps qu'ils cherchent
les moyens de le faire sortir ignominieuse-
ment de ce monde, il songe à demeurer avec
eux jusqu'à la consommation des siècles,
par l'institution d'un sacrement qui le rend
présent à eux et qui leur donne droit de
s'unir à lui dans tous les temps. Il ne con-
sidère pas ce qu'il va souffrir, il suit les
mouvements de son amour, il perce à tra-
vers celte nuit affreuse pour se présenter au
traître Judas. N'en fait-il pas de même dans
l'usage de ce sacrement ? Considère-l-ii les
injures qu'il reçoit tous les jours dans le
mauvais usage que l'on fait de son corps et
de son sang adorable? et pour s'unir à
une âme fidèle, combien essuie-t-il d'outra-
ges de la part de celles qui ne le sont pas 1
Combien d'ennemis mêlés avec un petit nom-
bre de ses enfants dans les triomphes qu'on
lui dresse pendant cette octave 1 Quelle mul-
titude de gens qui lui uni insulté, pendant
qu'un petit nombre l'a adoré en esprit cl en
vérité 1
Il souffre cette foule qui le presse en re-
cevant les sacrements, et qui ne laisse pas
de vivre toujours de la même manière en
suivant leurs passions et leurs dérèglements
ordinaires, pour aller répandre la vertu dans
le cœur humble cl dans une âme qui est di-
gnement préparée à le recevoir. Mais pour
vous qui le recevez souvent, âmes chrétien-
nes, et qui le recevez dignement, il sort lous
les jours des vertus infinies de celle four-
naise d'amour dont vos cœurs se trouvent
embrasés. Faites donc réflexion sur ce qu'il
souffre pour s'unir à vous par la multitude
qui le presse et qui l'accable ; cette vue doit
redoubler voire reconnaissance et votre
a;:!our, et vous faire senlir l'excellence do
cet adorable sacrement. Considérez toujours
ce (Ion, surtout par la dignité île celui qui
vous le fait et par la valeur et le mérite du
don en lui-même.
U3
01lATi;i K< SACHES. HOM .1 CHOME.
7*;
Ces vues réveilleront incessamment vo-
ire foi, exciteront de nouvelles flamme! dans
vos cœurs, et redoubleront votre ferveur,
quand il s'agira de venir recevoir un don si
excellent et si précieux, qui met dans ceux
qui le reçoivent dignement le germe, de l'im-
mortalité et les semences de la gloire éter-
nelle, <|uc je vous souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE DIMANCHE DUS L'OCTAVE DO SAIM
BACBEMEK i •
Du crime de la profanation de l'eucharistie.
Et cœperont simul omaes oxcusare.
lît feus comme de concert commencèrent a s'excuser
{Luc, XIV, 18).
Il ne faut que faire réflexion sur l'excel-
lence du don qui est offert à ceux qui s'ex-
cusent tous comme de concert de venir au
lieu où ils sont invités, pour reconnaître
l'injustice de leurs excuses et la perle qu'ils
font en négligeant de le recevoir.
Vous voyez bien, mes frères, que, selon
l'ordre que je dois garder dans les discours
que je nie suis proposéde vous faire, je dois
vous parler aujourd'hui de la profanation
que l'on fait de l'adorable eucharistie, et
pour le faire d'une manière qui soit utile et
qui nous donne toutes les instructions et
tous les éclaircissements nécessaires sur
une matière aussi importante, il me semble
qu'il est à propos d'expliquer dans ce discours
la nature de cette profanation, c'est-à-dire
l'énormitéde ce crime en soi : ce sera la pre-
mière partie ; les espèces différentes de ce
crime et par combien de manières on s'en
rend coupable : ce sera la deuxième partie;
enfin les suites effroyables de ce crime et les
terribles préjugés qu'il laisse sur la répro-
bation de ceux qui y sont tombés malheu-
reusement : ce sera la troisième partie.
Voilà, mes frères, la matière importante
de ce discours. Je veux croire qu'il ne se
trouvera personne parmi vous qui soit cou-
pable d'un si grand crime ; mais il est utile
Ile le connaître pour en sentir toute l'hor-
reur, et j'espère que je n'aurai des répara-
tions à vous demander que pour les crimes
d'autrui et par la raison de l'intérêt que vo-
tre amour pour Jésus-Christ vous doit faire
prendre aux injures qu'il reçoit dans ce sa-
crement. Commençons par lui en donner des
marques en l'adorant avec les paroles de
l'Eglise. Tantum ergo.
PREMIÈRE PARTIE.
Je n'ai pas dessein de m'étendre beaucoup
sur la nature du crime que renferme la pro-
fanation du corps de Jésus-Christ : il est une
Gorledc péchés contre lesquels on est pré-
venu, et qui donnent une certaine horreur
qui en fait comprendre d'abord toute l'énor-
inilé. Tel est celui de la profanation du sa-
crement adorable de nos autels : on frémit
seulement d'y penser, et il n'y a qu'à con-
sidérer les mouvements de l'Eglise, son zèle,
son empressement pour réparer les moin-
dics injures extérieures, faites à son é]ioui
dans ce sacrement, pour comprendre com-
bien elle a d'horreur pour une prolaualiou
enlière et totale.
Mais il y a des péchél •-ur lesquels on fait
peu d'attention, on les passe sans réflexion,
et on en est coupable non-seulement sans
s'en affliger, mais même sans croire l'être.
Telle est une sorte de profanation invisible
aux sens, du corps adorable de Jésus-Chri-l,
bien plus terrible que celle qui frappe nos
sens, qu'on compte cependant presque pour
rien, et qui nous rend meurtriers de Jésus-
Christ, tandis que nous nous flattons tran-
quillement d'en être les enfants, les adora-
teurs et les disciples.
C'est, mes frères, ce qui me fait penser
qu'il sera beaucoup pîusulilc de nous étendre
davantage sur les espèces que sur la nature
de la profanation, et qu'il vaut mieux exa-
miner si l'on est criminel afin d'apprendre
à cesser de l'être, que de se remplir l'esprit
des circonstances d'un crime dont on ne se
croit pas coupable.
Ainsi, pour vous donner une idée de celui
dont nous devons parler dans celle première
partie, et pour vous en faire comprendre
l'énorniité,.je veux seulement vous représen-
ter le prix de l'objet que ce crime attaque,
et la disposition de celui qui commet ce
crime. En effet c'est Jésus-Chrisl qui est
blessé danssa personne ; c'est pourquoisaiut
Paul ne craint pas de dire que Quiconque
mangera ce pain et boira ce calice du Seigneur
indignement, sera coupable du corps et du
sang de Jésus-Christ. C'est donc la sainteté
du corps de Jésus-Christ et de son sang con-
tenu réellement dans ce sacrement, qui est
violée par la profanation qu'on en fait.
C'est la différence qu'il y a entre ce péché
et les autres : dans les aulres nous abusons
simplement des biens de Dieu, et dans celui-
ci c'est de Dieu même que nous abusons. Un
homme qui eudurcit son cœur, et qui, re-
gardant la misère du pauvre sans en être
touché, ferme ses entrailles et le laisse périr
faute de secours, soit qu'il garde son bien
par avarice, soit qu'il le répande inutilement
par prodigalité, cet homme, dis-je, n'allaque
Dieu que dans des choses qui sont hors de
lui, et il abuse simplement des biens dont il
l'a fail le dépositaire, en les refusant à ceux
auxquels il l'a obligé d'en faire part; mais
après tout il n'abuse que de ses biens, il ne
le blesse que dans la personne du pauvre,
auquel il n'est uni que par la foi, et dans le-
quel il n'habite que par sa grâce, par sa
vertu et par ses dons.
Mais quand il profane l'cucharislie. c'est à
Jésus-Christ même qu'il s'attaque, puisqu'il
esl réellement contenu dans le sacrement
dont il abuse. C'est sur sa personne divine
qu'il porte ses mains sacrilèges, et on peut
lui appliquer sans crainte ces paroles de
saint Paul aux Hébreux , qu'iV foule aux
pieds le Fils de Dieu,', et qu'tV tient pour pro-
fane le sungdc l'alliance par lequel nous avons
t U tanctifù s.
Son péché est mille fois plus énorme que
celui des Juifs; car saint Paul nous assure
74E
SERMON POUR LE D1M. DANS L'OCT. DU SAINT SACREMENT.
746
que s'ils' l'eussent connu, ils n'eussent jamais
crucifié le Seigneur de gloire, et le chrétien
qui le profane peul-il s'excuser sur son igno-
rance ?
D'ailleurs, quand les Juifs l'ont crucifié et
dans les conjonctures de sa passion, il devait
souffrir et c'en était le temps ; niais a. pré-
sent le temps des souffrances est passé : Jam
non moritur, mors illi ultra non dominabitur.
11 est dans la gloire et avec toute sa gloire et
toute sa majesté; c'est avec toute sa splen-
deur et toute sa puissance qu'il est renfermé
dans Padorablo eucharistie, et que vous l'in-
sultez avec le dernier mépris lorsque vous
communiez indignement.
Mais, pour comprendre mieux l'énormilé
d'une profanation, il n'y a qu'à se rappeler
ce que nous dîmes dans le dernier discours,
touchant les motifs qu'il a eus en formant ce
don si excellent, par lequel il nous a donné
des preuves si fortes de son amour, de sa
puissance et de sa sagesse.
Or, peut-on comprendre quelque chose de
plus indigne que de perdre le souvenir des
preuves d'un amour qui n'a rien épargné
pour se faire sentir, d'une puissance infinie
qui a tout employé pour donner des marques
de sa bonté, et d'une sagesse à qui rien n'a
pu échapper de tout ce qui était nécessaire
pour mettre en exécution les desseins de
l'amour le plus tendre? C'est pourtant ce que
fait celui qui profane l'adorable eucharistie :
il n'est point touché de l'amour d'un Dieu ;
car ou il néglige d'en recevoir les effets, ou
il ne s'approche pour les recevoir qu'afin
d'insulter à Jésus-Christ, en prenant son
corps sans lui donner son cœur, qu'il a livré
à ses ennemis. 11 est indifférent à tous les
efforts que sa puissance lui a fait faire pour
se mettre en état de s'unir à l'homme dans
ce sacrement ; il rend inutiles toutes les vues
de sa sagesse dans l'institution de ce mys-
tère. Si l'Apôtre disait autrefois, pour ré-
primer la témérité de l'homme qui semblait
vouloir demander raison à Dieu de sa con-
duite dans des mystères impénétrables à la
faiblesse humaine : 0 homme! qui étes-vous
pour contester avec Dieu? que ne peut-on
pas dire d'un homme qui, connaissant la vo-
lonté de son Dieu, toute pleine de bonté
pour lui, méprise cependant tous les témoi-
gnages de son amour, néglige tous les mi-
racles de sa puissance, et renverse tous les
desseins formés par sa sagesse dans la vue
de s'unir élroilementàccthomme quile traite
avec tant d'indignité? Comprenez-vous, mes
frères, jusqu'où va le crime de la profana-
tion ? je ne parle pas encore du inépris for-
mel et réfléchi; la seule indifférence est ou-
trageante pour un cœur pénétré d'amour,
surtout quand il a fait connaître les senti-
ments dont il est pénétré. Ecoutez les plain-
tes qu'il en fait par la bouche du prophète
lsaïe : deux, (coulez, et toi, terre, prête
l'oreille : j'ai nourri des enfants, et je les ai
élevés, et apte» cela ils m'ont méprisé. 11 in-
téresse le ciel et 1 1 terre dans son indigna-
tion : Audite, cœli, et auribui percipe, terra;
il les appelle pour être les témoins de ses
Oiuteirs SACHES. XXX.
justes plaintes, et comme pour le venger de
l'ingratitude de ses enfants. C'est ce qu'il fait
encore dans Osée : Je me suis rendu comme
le nourricier d'Ephraïm ; je les portais entre
mes bras, et ils n'ont pas compris que c'était
moi qui avais soin d'eux, qui les élevais ; ils
n'ont seulement pas fait d'attention sur tou-
tes ces marques de ma bonté et de mon
amour : quelle ingratitude et quelle indi-
gnité!
Mais vous allez voir quelque chose de plus,
si vous considérez avec moi la disposition
de celui qui commet ce crime et qui tombe
dans cette profanation. En effet le péché
augmente en énormité à proportion que ce-
lui qui le commet en connaît mieux toute
l'étendue, et s'il y est porté par des princi-
pes où sa volonté a plus de part, et par les-
quels celui qu'il offense est plus outragé:
c'est la seconde considération qui nous dé-
couvre la grandeur du crime de la profana-
lion de l'eucharistie. Vous ne douiez pas,
mes très-chers frères, que la délibération et
le choix de notre volonté n'entrent dans nos
bonnes œuvres et dans nos péchés comme
une condition nécessaire, et que ce ne soit
celte délibération et ce choix qui forment
cette iniquité qui rend l'homme infidèle, et
qui lui fait abandonner Dieu pour se tour-
ner du côté de la créature. C'est pour cela
qu'une sorte d'indélibération, de surprise, de
passion, de crainte et d'ignorance (je dis une
sorte, car il ne faut pas pousser cela trop
loin), excuse quelquefois de péché, et c'est
pour cela que les théologiens reconnaissent
certains premiers mouvements par lesquels
l'homme peut s'emporter si subitement au
violement extérieur d'une loi, que sa volonté
n'est pas absolument séparée de Dieu.
Je ne rapporte ceci que pour vous faire
entendre que plus il y a de connaissance, de
choix et de délibération, plus il y a d'énor-
mité, et il y a plus de tout cela lorsqu'il y a
moins d'ignorance qui nous aveugle, moins
d'intérêt qui nous entraîne, moins de passion
qui nous séduise.
Un homme est emporté par la colère, et il
viole les lois de la patience et de la modé-
ration ; un autre est entraîné par le plaisir
et séduit par des charmes qui l'enchantent:
ils manquent l'un et l'autre de fidélité à leur
Créateur ; celui-ci est aveuglé par l'intérêt,
et l'avidité des richesses lui fait rompre les
règles de la justice. A Dieu ne plaise que je
veuille excuser toutes ces infidélités ! mais
j'ai compassion de la faiblesse de l'homme,
suivant les différents degrés de ces péchés,
et je dis au Seigneur, dans un humble et
sincère sentiment de la mienne : Illumina
oculos mcos, ne unquam obdormiam in morlet
et dicat inimicus meus, Prœvalui adversus
eum: Eclairez mes yeux, afin que je ne m'en-
dorme point d'un sommeil de mort, et que
mon ennemi ne puisse dire : J'ai prévalu sur
lui. Mais demandez à cet homme qui s'ap-
proche tranquillemenldu saint autel avec le
péché dans le cœur et avec les dispositions
que nous allons marquer dans un moment,
co qui le peut portera commettre cette hor-
2V
747
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
748
rililc profanation : est-ce qu'il ne* connaît pas
Pexcellence <ic ee qu'il va recevoir ? est-ce
qu'il ignore que Jésus-Chrisl avec, mule sa
gloire est renfermé dans ce tacr ment ? Quii
plaisir poui îa-t-il trouver a fouler aux pieds
le sang de l'alliance î Quel intérêt le peut
engager à traiter comme une chose profane
le corps adorable dp Sauveur? Peut-être
que par là il mettra son honneur à couven,
cl que, faisant avec les autres ce qu'il sent
bien qu'il est indigne de faire, il s'épargnera
des reproches et peut-être des railleries, ou
des traitements qu'il ne se sent pas capable
de supporter. Quel abîme que la réception
du sacrement de l'autel dans ces dispositions !
Nous donnerons des règles pour détourner
ce malheur dans un autre discours.
Voilà, mes chers frères, l'idée que je \
laisse du crime de la profanation d<- l'adora
eucharistie ; considérez-le toujours par le
prix de l'objet que ce crime attaque : c'est à
Dieu même qu'on s'en prend, cl cela dans
un mystère où il fait lout pour nous. Consi-
dérez-le dans la dispos lion do celui qui le
commet, il n'y a que la malignité du cœur,
ou un mépris plus criminel que la mali-
gnité, qui puisse i :> être cause.
•Plaignez- vous doive, Seigneur, appelez le
Ciel et ia terre en témoignage contre des en-
fants que vous avez nourris cl élevés, i t
qui vous méprisent par une ingiaiiludc que
toute votre indignation est à peine capable
d'expier.
Croiriez-vous cependant que le nombre de
ceux qui soûl coupables de ce crime énorme
est très-considérable parmi les chrétiens?
C'est ce que je vais vous exposer dans la
deuxième partie de ce discours, en vous ex-
pliquant les différentes espèces de la profa-
nation de l'eucharistie.
DEUXIÈME PARTIE.
Pour ne rien omettre dans une matière
aussi importante que celle que nous allons
traiter, je vais réduire toutes les profana-
tions Je l'adorable eucharistie à deux, qui
sont ou de ne la point recevoir, ou de la re-
cevoir mal.
Ne la point recevoir, tomber dans l'indif-
férence pour cet adorable sacrement, et, par
une négligence que la religion m'apprend à
regarder comme un grand crime, ne pas
faire ce qui est nécessaire pour s'en appro-
cher : première espèce de profanation, La
recevoir mal m'instruit de ce qu'il faut faire
pour recevoir dignement Jésus-Christ, et ceci
peut arriver de deux manières : lorsqu'on la
reç it criminellement, c'est-à-dire dans l'é-
tat du péché, ou lorsqu'on la reçoit indigne-
ment, c'est-à-dire sans avoir fait ce qui con-
tient à la dignité de ce sacrement : seconde
espèce de profanation.
La première espèce de profanation de l'a-
dorable eucharistie est donc renfermée dans
une certaine négligence à la recevoir qui
vient d'un oubli de Dieu, d'une indifférence.
pour les choses du salut, et d'une certaine
croînte toute servile de cette hostie sainte et
vivante, ce qui fait que les pécheurs refu-
sent i ■ s'en approcher, comme les criminels
fuient 1' , dont ils craignent
la condamnai oh. Ou ne saurait douter qu une
telle déposition ne soit injurieuse; a lent
Christ, cl qu'elle M renferme une | r
lion du sacrement adorable de nos nota
pour peu qu'on considère les intentions
qu'il a eues eu l'inslitu inl.
Pour les comprendre, il n'y a qu'à triait
ner les paroles dont il si a
pitre de saint Jean, en parlant a ses dis
pies et aux Juifs de ce sacrement adorable :
Mu chuir r.-.t véritablement viande, dii-il, et
mon sang est véritablement breuvage. Celui
qui mange ma chair et boit mon sang deme ire
en moi et moi en lui : si tous ne mangez 1 1
chair du Fils dt l'homme et ne ba
tang, vou» n'aurez point lu II
p .raît par toutes ces paroles qu'il n'a in-
tué ce sacrement que pour s'unir à nous et
pour nous unir à lui ; aussi vous ai-je dit
avec saint Thomas, dans mon premier 4
cours, que, nous ayant donné la vie pir le
baptême, il veut l'entretenir par l'eucharistie,
et qu'elle est à l'égard de l'âme ce que le
pain est à l'égard du corps; c'est pourquoi
elle en porte le nom : Ego sum panis < itus.
C'est donc aller contre les intentions de Je-
sus-Christ que de ne pas recevoir l'eucha-
ristie; c'est profaner cet adorable sacrement
que de négliger d'en faire l'usage pour le-
quel le Sauveur l'a institué.
C'est pourquoi tous les saints Pères se
sont élevé; contre cette négligence, qui fait
injure aux sacrements et qui cause un pré-
judice si déplorable au chrétien. Voici com-
m .« parle saint Cyrille : Ils se livrent à la
mort, dit-il, en s' éloignant de la source et a<i
principe de la vie ; et qu'ils n'allèguent
poursuit ce Père , de f.iux prétests pour
s'excuser, tjuan ' mime i's se voudraient cou-
vrir de ceux de i< religion; car ils causent un
scandale, c'est-à dire il; font injure au snerr-
ment, non pus en ce qu'ils n'en approchent
pas étant pécheur*, mais parce qu'ils ne (ont
pas ce qu'ils doivent pour se rendre digne*
d'en approcher, et eux-mêmes serrent les liens
qui les attachent au démon et se formant de
nouvelles chaînes. Par ces paroles ce saint
docteur nous fait voir ce qu'il faut répondre
à ceux qui allèguent des raisons pour se dé-
fendre de la profanation dont je parle; car
les uus nous disent : Ce sont mes pèches qui
m'en retirent, et les autres : Ce sont mes
faiblesses qui m'empêchent d'en appro-
cher.
A Dieu ne plaise, mes très-chers fi
que je veuille porter un homme à recevoir
l'eucharistie dans l'état du péché, et que je
pense seulement à lui en permettre INss
avant qu'il ait rompu toutes les liaisons qui
le peuvent attacher au péché, qu'il se soit
purifié par la pénitence, et qu'il ait embrassé
une forme de vie qui m'assure par s ! né*
véraace qu'il vil de celle de Jésus- hristl A
Dieu ne plaise encore que j'en conseille l'u-
sage fréquent à ceui qui languissent dans
des faiblesses affectées, qui découvrent une
sorte d'affection au pèche, qui ne tout pas
749
SERMON POUR LE D1M. DANS L'OCT. DU SAINT SACREMENT.
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perdre la grâce absolument, mais qui ne
peuvent que déshonorer celui qui veut
qu'on vive pour lui avant qu'il se donnée
nous !
Que faut-il donc dire à ceux qui allèguent
ou leurs péchés ou leurs faiblesses, pour ex-
cuser leur négligence et faire cesser la pro-
fanation dont nous parlons?
A ceux qui allèguent leurs péchés, je n'ai
qu'un mot à leur dire : Donnez-vous bien de
garde d'approcher de ce sacrement dans l'é-
tat du péché, mais donnez tous vos soins
pour sortir promptement d'un état qui vous
rend indignes d'en approcher. Rompez les
liens du démon, secouez son joug tyranni-
que, mettez-vous en devoir de servir Dieu
sincèrement; et, après avoir surmonté les
voluptés de la chair parla tempérance, et
embrassé une forme de vie chrétienne, tra-
vaillez à vous approcher de la grâce divine
et céleste, et de la sainte participation du
corps de Jésus-Christ. Car enfin il ne suffit
pas de dire qu'on est indigne de communier
parce qu'on vit mal, il faut cesser de vivre
mal pour s'en rendre digne; il faut vouloir
s'approcher de Jésus-Christ dans l'eucha-
ristie, comme il faut vouloir le posséder dans
la gloire.
L'eucharistie est le gage de l'immortalité,
c'est la source de la vie éternelle ; il faut
désirer de communier, comme il faut désirer
d'être sauvé ; et comme celui qui n'a pas dé-
siré de tout son cœur de posséder Dieu dans
le, temps n'est pas digne de le posséder dans
l'éternité, dit saint Augustin, celui qui ne
désire pas de communier n'est pas digne d'ê-
Ire sauvé. Or, mes frères, on sacrifie tout à
ce qu'on désire souverainement. Où en est
donc celui qui se contente de dire : Je ne
suis pas digue de communier, sans travail-
ler à s'en rendre digne? 11 mérite d'être ex-
clu de la gloire étemelle, parce qu'il pro-
fane un sacrement qui en met les sources et
les principes en nous ; et il le profane cer-
tainement, parce que rien n'offense tant Jé-
su >- Christ dans ce sacremenl que le mépris
qu'on en fait, et c'est le mépriser avec ou-
trage que de préférer les objets de ses pas-
sions à l'avant. ige de le posséder, et d'aimer
mieux, ne pas s'unir à Dieu, qui se donne à
nous avec tant d'amour, que de nous sépa-
rer d'une créature qui nous perd.
C'est ainsi qu'on tombe dans la profana-
tion de ce sacremenl adorable, en passant
des années et des temps très-longs sans s'en
approcher et sans songer à faire ce qu'il faut
pour s'en rendre digne.
Mais, me direz-vous, je désire de m'en ap-
procher, et p.;r la miséricorde du Seigneur je
ne suis pas du nombre de ceux qui, pour
continuer à vivre dans leurs dérèglements,
veulent bien se priver d'un si grand avan-
tage. Ce sont mes faiblesses qui m'en éloi-
gnent, cl quand je considère ce que je suis
et ce qu'il faudrait être, je n'use m'appro-
cher d'un Dieu si pur.
Ce sentiment renferme quelque chose d'ex-
cellcnl; car qui est-ce qui n'approuverait
pas l'humilité d'une .".me qui, pénétrée de
ses misères, se retire par respect, et marque
à Jésus-Christ sa foi, sa crainte et son
amour en se retirant? Il faut cependant bien
prendre garde en ceci de ne pas aller trop
loin , et de ne rien outrer dans une matière
si délicate ; c'est pourquoi je vous prie de
faire bien attention aux trois propositions
que je vais vous exposer, et qui sont des rè-
gles importantes et d'un très-grand usage
pour la fréquentation du sacrement, balan-
çant d'un côté le respect et la révérence qui
est due à un si grand mystère, et de l'autre
les intérêts du chrétien, qui sont si considé-
rables. Or, je dis sur ce point en particulier
qu'il y a des faiblesses qui nous rendent in-
dignes d'en approcher, qu'il y a des faibles-
ses qui nous en rendent l'usage nécessaire,
qu'il y a enfin un certain tempérament d'u-
sage et de séparation respectueuse, qui doit
être ménagé par les lumières et par les or-
dres d'un directeur sage et éclairé. Expli-
quons bien ceci en peu de paroles.
Il y a des faiblesses qui nous rendent indi-
gnes d'en approcher, et ce sont celles qui
sont volontaires : celles qui procèdent d'une
mauvaise inclination qu'on ne travaille point
à combattre, et qui marquent par consé-
quent une sorte d'affection au mal, ou une
négligence pour le bien et pour l'avance-
ment de la perfection à laquelle nous som-
mes appelés ; celles qui viennent d'une lon-
gue habitude qu'on ne corrige point, qui
blessent davantage la pureté de l'âme ou la
charité du prochain; celles qui causent quel-
que scandale; enfin celles qui apportent plus
de trouble à notre esprit. Voilà les faibles-
ses qui nous rendent indignes d'approcher
du sacrement de l'autel.
Il y a des faiblesses qui nous en rendent
l'usage nécessaire, jusque-là que ce serait
une espèce de profanation que de ne pas en
approcher à cause de ces faiblesses : ce sont
celles qui sont opposées aux faiblesses dont
nous venons de parler; par exemple, celles
qui sont involontaires absolument, dans les-
quelles on ne tombe que par une inadver-
tance purement humaine; celles qui sont
causées par une tentation extérieure et hors
de nous, qui ne naissent que d'une occasion
passagère et sans habitude; celles qui ne
viennent que d'ig;iorance et de fragilité;
celles qui blessent peu la pureté de l'âme et
la charité du prochain; enfin celles qui ne
causent aucun scandale aux autres, et dont
l'esprit no se trouve guère agité, bien loin
d'eu troubler la paix.
Ce sont là les faiblesses qui ne doivent pas
nous éloigner du sacrement, autrement il
faudrait que toute l'Eglise fût dans uu inter-
dit général. Ce ne serait plus pour des hom-
mes fragiles que Je: us-Christ aurait institué
C' mystère, et il n'y aurait que les anges
qui osassent en approcher. Ce soni au con-
traire les faiblesses dont nous venons de par-
ier en dernier lieu qui nous invitent à y
prendre part, c'est parce que nous sommes
faibles qu'il faut manger pour nous soute-
nir. Tous les ouvrages des saints l'ères sont
pleins d'expressions qui nous excitent à ap-
751
OIIATEURS SACRES. DOM JEROME.
752
prochcr de ce mystère qu.ind nous n'avons
que de ecs sorles de faiblisses. Si autrefois,
dit saint Chrysoslomc, en parlant du sacri-
fice qu'Elie présenta au Seigneur, le feu des~
tendit du ciel, à la prière de ce prophète, sur
une hostie matérielle et teneible pour In brû-
ler ; s'il consuma tout jusqu'à l'enu, au bois,
aux pierres mêmes de l'autel, combien plus de-
vons-nous espérer qu'il consumera celte hos- !
tie spirituelle que saint Paul nous commande ■
d'offrir à Dieu? Quand nous aurions encore '
des restes de la fragilité humaine, ne devons- ;
nous pas avoir confiance en lu bonté d; Dieu? •
Que si nous lui offrons notre hostie avec un '
esprit droit, une conscience pure et une inten- \
tion sainte, le feu du ciel descendra sur nous, '
consumera notre faiblesse, rendra notre obta- ï
tion agréable et notre union parfaite- '■
Ce sérail donc profaner l'adorable eucha- ■
rislie que de s'en éloigner par la seule rai- '•'
son de ces faiblesses, puisqu'elles sont des '-
motifs pour en approcher. Ce serait négliger '
le remède à ses maux, que la miséricorde du
Seigneur a attaché au bon usage de ce sa-
crement; car c'est là cette table et ce calice
que le Seigneur a préparés véritablement à
ses serviteurs pour les soutenir d'une ma-
nière admirable contre ses ennemis.
Ce serait donc aller contre les intentions
du Seigneur, renoncer à ses propres avan-
tages, s'aveugler sur ses propres intérêts, et
tomber enfin dans une négligence qui tien-
drait de la profanation, que de ne pas s'ap-
procher de cet adorable sacrement à cause
de ce genre de faiblesse.
Il y a cependant une sorte de tempéra-
ment d'usage et de séparation respectueuse,
qui doit être ménagé par les lumières d'un
directeur; car on honore Jésus-Christ en
l'une et l'autre manière. Mais comme nous
parlerons dans un autre discours du recours
qu'il faut avoir aux ministres du Seigneur
pour régler l'usage de ce sacrement, nous
nous contenterons de dire ici avec saint
Thomas que le temps d'en suspendre l'usage,
c'est lorsque nous sentons que la ferveur de
la dévotion ne s'augmente pas beaucoup, et
que la révérence envers le saint sacrement
diminue.
, De tout ceci il faut conclure que c'est une
négligence impardonnable et une première
espèce de profanation que de ne pas recevoir
l'adorable eucharistie; mais c'en est une
plus atroce que de la recevoir mal. C'est ce
qui peut arriver de deux manières différen-
tes : la première est de la recevoir crimi-
nellement, et la seconde de la recevoir in-
dignement ; car il y a une très- grande
différence entre l'une et l'autre, et c'est sur
quoi on ne fait pas assez, de réflexion. Rece-
voir criminellement l'eucharistie , c'est la
recevoir ou dans l'état de péché ou dans l'af-
fection au péché. La recevoir indignement,
c'est la recevoir hors l'éiat de préparation,
de dignité et de proportion qui convient à
la sainteté de cet adorable sacrement. Per-
sonne ne doute que celui qui reçoit le corps
de Jésus-Christ dans l'état rie péché mortel
ne profane ce corps adorable. C'est le plus
grand malheur qui puisse arriver a on chré-
tien, non pas, dit saint Augustin, parce qu'il
reçoit une chose mauvaise, mais parce qu'é-
tant lui-même méchant il reçoit d'une ma-
nière qui est indigne une chose qui est
. bonne. C'est pour éviter ce malheur que
l'Eglise ne veut pas que l'on admeite i la
participation de l'eucharistie ceux qui sont
. lombes dans des pèches mortels, sans le-,
avoir tenus dans les exercices de la péni-
tence un certain temps, non-seulement pour
les purifier, mais encore pour s'assurer de
la sincérité de leur conversion.
Que l'homme s'éprouve donc, et qu'il n'ap-
proche de cette table sacrée qu'après s'être
longtemps éprouvé. Qu'il ne se hasarde pas,
: sur des espérances de vie, à se donner la
mort. Mais il y a plus : car il ne suffit pas
d'être sans péché mortel ni sans affection au
péché mortel pour recevoir le corps de Jésus-
Christ dignement. Quoique celui qui le reçoit
dans cet état ne le reçoive pis criminelle-
ment, comme nous venons de l'expliquer,
il peut se faire qu'il ne le reçoive pas tou-
jours dignement ; il faut encore ajouter d'au-
tres dispositions à celle-là. En effet, les saints
Pères ont avancé une proposition très-digne
de leurs lumières, de leur zèle et de la sain-
teté du mystère adorable de nos autels, c'est
qu'on communie indignement lorsqu'on
communie dans le temps que l'on doit faire
pénitence.
Sur cela jugez dece qui se fait tous les jours
par la déplorable facilité où l'on s'est mis
d'envoyer à l'autel ceux qui, après avoir
violé les vœux sacrés de leur baptême par
une multitude effroyable de péchés ruortels,
n'ont fait qu'en raconter l'histoire, en rece-
voir l'absolution et réciter quelques priè-
res.
Seigneur, où en sommes-nous I pleurez,
vierges de Jésus-Christ, et vous, ministres
du Seigneur, gémissez entre le vestibule et
l'autel, où se voit tous les jours une conduite
si déplorable.
Mais prenons garde nous-mêmes de n'être
pas du nombre de ceux qui, étant coupables
île péchés véniels, pour lesquels on est in-
digne d'en approcher, et dont nous vous avons
donné l'idée il n'y a qu'un moment, entre-
prennent de le faire sans eu avoir fait péni-
tence , ou qui s'en approchent fréquemment
en ne travaillant pas avec soin à s'en corri-
ger et à les expier par une pénitence salu-
taire.
Car, mes frères, souvenez-vous bien qu'il
ne faut pas regarder les fautes vénielles et
les simples faiblesses, lorsqu'elles sont ordi-
naires, comme de nulle considération lors-
qu'il s'agitde s'approcher du plus redoutable
de tous les mystères. Quoique ces fautes-là
ne tuent pas l'âme absolument, et qu'elles
ne lui fassent pas perdre la vie, elles l'alïai-
blissenl extrêmement. Ainsi il faut travailler
à la ranimer par la pratique des vertus op-
posées à ces faiblesses, par exemple, l'occu-
pation et le travail contre l'oisiveté, le silence
contre la liberté et l'inutilité des paroles,
les humiliations contre l'orgueil, la morlifi-
753
SERMON POUR LE D1M. DANS L'OCT. DU SAINT SACREMENT.
m
cation contre la mollesse et l'amour du plai-
sir.
En effet, comme dit saint Augustin, il ne
faut pas négliger vos péchés parce qu'ils sont
petits ; les gouttes d'eau sont petites, et néan-
moins elles remplissent les fleuves, emportent
les digues, entraînent les arbres avec leurs
racines. Voudriez-vous, mes frères, qu'on
fît des trous et des taches sur vos habits, ou
de petites plaies à votre corps, toutes les fois
que vous tombez dans ces sortes de fautes? Si
donc vous ne pouvez souffrir ni l'un ni l'an-
tre, pourquoi faites-vous souffrir le même
traitement à voire âme? n'est-elle pas l'image
de Dieu? vous défigurez cette image toutes
les fois que vous faites des choses qui sont
désagréables au Seigneur. C'est faire injure
à Dieu que de le déshonorer dans vous-même.
C'est lui faire violence que de l'obliger à
s'unir à une créature qui lui est désagréable
et qui lui déplaît. S'il n'y a personne qui
voulût entrer dans l'église avec un habit
indécent et plein d'ordures, comment y en
a-t-il qui, ayant l'âme souillée par quelque
sorte d'impureté, ont l'assurance de se pré-
senter à l'autel? et si nous avons honle de
toucher au corps du Fils de Dieu avec des
mains sales, nous devrions encore bien plus
appréhender de le recevoir dans une âme im-
pure.
Nous venons de voir qu'on profane le corps
adorable de Jésus-Christ de bien des maniè-
res dans l'eucharistie, je ne vous en ai donné
qu'une légère idée, car il y aurait une in-
finité d'autres choses à dire ; mais pour ne
pas tomber dans les profanations dont je
Viens de parler, considérons-en les funestes
suites : je finis en deux mots.
TROISIÈME PARTIE.
Par les suites funestes d'une communion
indigne , il faut entendre les effets de l'indi-
gnation de Dieu irrité p ir la profanation de
son corps et les châtiments de ce crime. Je'
les réduis à trois : aux châtiments extérieurs '
et sensibles qui regardent le corps et les cho-
ses matérielles ; aux châtiments intérieurs
qui regardent l'âme et les choses spirituelles ;
enfin à une espèce de châtiment étemel , à
un principe de mort, et à une plaie terrible
et presque incurable, que la profanation du
sacrement met dans l'âme.
Je n'ai à vous produire, pour la preuve de
ma première proposition, que l'autorité <le
saint Paul. C'est pour celte raison, dit-il,
c'est-à-dire pour la profanation que vous
faites du corps cl du sang du Sauveur, qu'il
y a parmi vous beaucoup de malades et de
languissants, et que plusieurs dorment du
sommeil de la mort. En effet, comme il n'y a
rien de plus saint que Jésus-Christ, qui est
la source de toute sainteté et par qui loul est
saint, cette profanation est une horrible
source de toutes sortes de malheurs. De là ,
dit saint Paul , sont venues toutes les mala-
dies qui vous affligent, les langueurs qui
vous accablent, les morts subites si fré-
quentes qui vous effrayent. Elles arrivaient
plus souvent dans le premier siècle, pour ins-
pirer la crainte aux chrétiens et pour éta-
blir la foi ; car ces châtiments étaient comme
des miracles de la justice : miracles néces-
saires pour affermir les fidèles et frapper les
ennemis de la religion.
Ce ne sera donc pas sans fondement que
nous attribuerons aux communions indignes
les malheurs qui affligent l'Eglise , le ren-
versement des familles, le relâchement et
les désordres des monastères, la chute des
grands ordres, la ruine des maisons, la dé-
solation des provinces . les renversement des
royaumes ; mes chers frères, si celui de Bal-
thasar est divisé, si les Perses et les Mèdes
le désolent, parce que ce prince avait pro-
fané les vases sacrés dans une débauche ,
n'attribuerons-nous pas les misères qui nous
accablent aux profanations si fréquentes ,
non pas des vases sacrés, mais des trésors
divins qu'ils renferment , je veux dire du
corps de Jésus-Christ qu'on foule aux. pieds,
et du sang de l'alliance qu'on traite tous les
jours comme une chose profane?
Que si nous ne voyons plus de ces châti-
ments sensibles , c'est peut-être que Dieu ,
trop irrité contre nous, ne nous châtie plus
que par des peines intérieures et invisibles
et qui regardent l'âme. Ainsi , s'éloigner
de nous , nous abandonner à nos ténèbres ,
nous laisser marcher dans nos voies, nous
livrer à notre aveuglement, nous endurcir
»'t nous laisser mourir dans l'impénitence ,
voilà celte seconde espèce de châtiment qui
est une suite terrible très-ordinaire, et plus
ordinaire qu'on ne pense, des indignes com-
munions et de la profanation du corps et
du sang de Jésus-Christ, si fréquentes et si
communes peut-être parmi les prêtres du
Seigneur, parmi les vierges de Jésus-Christ,
et parmi ceux qui portent le nom de ses en-
fants et de ses disciples. Vous êtes étonnés
et frappés d'horreur quand vous entendez
«lire que Judas a trahi son maître et vendu
à ses ennemis celui à qui il était redevable
de tant de grâces; et pour moi, dit saint
Ambroise, je n'en suis pas surpris : il n'y a
point de crime , il n'y a point, d'abomination,
il n'y a point d'horreur où ne nous puisse con-
duire une indigne communion et lu profana-
tion du corps et du sang de Jésus-Christ.
Après cela ne soyez pas étonnés, mes frè-
res , si je vous dis qu'il y a une sorte de
châtiment éternel attaché à ce crime : je vais
■n'expliquer en finissant ce discours.
Saint Paul dit, en parlant de l'indigne
communion , c'est-à-dire de la sacrilège ,
faite en état de péché mortel , que celui qui
l'a faite a mangé et bu son jugement. Cette
expression a quelque chose d'efl'royabic , et
pour l'entendre faites attention que sainj
Jean dit que celui qui ne croit point en
Jésus-Christ est déjà condamné (jam judica-
tus est). Ces paroles renferment un jugement
de condamnation. Or quelle différence met-
tons-nous entre ce jugement et celui dont
parle saint Paul, et qu'il attache à la profa-
nation sacrilège du corps de Jésus-Christ?
car ce n'est pas une simple menace, c'est
un jugement de condamnation , mais une
755
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
750
condamnation effroyable ; le jugement est
rendu , le jugement est mangé , Judicium
munilucat.
Que cette condamnation est affreuse ! im
cherg frères : qu'elle est épouvantable 1 Ce
jugement parle une espèce d 'irrévoc ibilile ;
car comme l'aliment se mêle dans la lOb-
stance de l'homme et s'unit aux partie* du
corps, en sorte qu'on ne peut plus les eu
séparer et qu'il ne fait plus qu'un corps, la
condamnation et le pécheur qui a reçu l'eu»
charislie dans l'état du péché ne son* plus
qu'une même chose , on ne pettl plus les
séparer : son jugement est incorporé avec
lui. Mais dirai-je. qu'il n'y a plus de retour
pour cet homme? Voici des parole, de l'Ecri-
ture qui m'effrayent : Si un homme /
contre un homme, on lui peut rendre Dira
favorable ; mais si un homme péché contre
le Seigneur, qui priera pour lui ? Quoi c'e
plus fort pour nous faire craindre la pro-
fanation du corps adorable de Jésus-Christ
dans l'eucharistie? Ce crime est horrible;
les espèces en sont fort communes, les sui-
tes en sont effroyables. Nous devons croire
cependant, et il est de foi, que tant que
nous vivons nous avons part à la bonté
et à la miséricorde du Seigneur ; mais qu'il
est peu de chrétiens qui n'abusent de ce
principe! Gémissons-en au pied des autels,
cù Jésus-Christ réside pour l'amour de
nous, et où il souffre tant d'injures pour
nous faire du bien ; c'est un soin et une ap-
plication dignes de notre amour et propres
à nous attirer sa grâce. Je vous la souhaite.
Ainsi soil-il.
SERMON
POUR LE JOUB DE L'OCTAVE DU SAINT SACRE-
MENT.
Des conditions du bon usage de l'eucharistie.
Exi cilo in plaleas el vicos civilatis. et pauperes ac de-
biles, et ca'cos <•: claudos inirûriuc inn.
Allez-vous-en vile dans les places el dans les rues de la
ville, el omettes ici les pauvres, les estropiés, le:; aveugles el
les boiteux {Luc., XIV, 21).
Vous voyez , mes chers frères , dans ces
paroles de l'Evangile, quels sont les empres-
sements de celui qui a fait préparer le ban-
quet , et dans cet empressement vous devez
voir ceux du Sauveur du monde pour s'unir
aux âmes chrétiennes dans l'adorable eu-
charistie. Or, comme c'est dans le bon usage
du sacrement qu'on s'unit à lui , c'est du
bon usage du sacrement que je veux vous
parler aujourd'hui ; en voici les conditions,
je les réduis à trois : à la vie de la grâce, à
la santé de l'âme, à la ferveur du cœur.
1" 11 faut que le chrétien soit vivant , ce
sacrement n'est pas pour les morts: p.e-
inièrc partie ; 2° il faut que l'âme soit saine,
ce pain céleste est appelé le pain des forts :
deuxième partie ; T il faut que le cœur soit
animé d'un désir ardent pour celte céleste
nourriture, rien ne la deshonore tant que le
dégoûl et la froideur : troisième partie.
Nous parlerons dans ce discours de la
communion nécessaire et de la fréquente
communion; et, suivant les dispositions que
nom .-liions expliquer, n i
ré 1er à peu près I I I winuiiiuiou-.
Adorons Jesus-Christ dans ce m .ml
que de parler dei conditiom M
pour nous unira lui. Tantum er/jo.
MUUflèu e ,i . i u .
La première condition du bon u^a^e de
l'adorable eucharistie, c'esi que le chrétien
qui s'en approche soit vivant , c'est-à-dire
que son âme soi' animée de I l grâce qui
1 i vie du chrétien. En voici la raison: la
lorce et la vrrtu i!e ce • •ni peuvent
se considérer ou par rapport à son principe
< t â celui qui est la source de loutes les i
tus. cl sans celte vue on ni peul pas douter
que ce sacrement n'ai! la force et la vertu
de remettre les pé liés mortels, puisqu'il
contient réellement celui qui est I" principe
et l'auteur de toute grâce, et qui est la réelle
représentation de ce sacrifice de réconcilia-
tion par lequel tous les péchés ont été effi-
cés; ou bien l'on peut considère la vertu
de ce sacrement par rapport à ceux pour
qui il est institué , et dans c tte \ ne il sup-
pose en eux des dispositions n ss ires
pour qu'il produise son effet, dispos. lions
qu'il ne donne point.
Ce sacrement a d >ne deux effets : l'un est
de nourrir l'âme , et l'autre d'unir le chré-
tien à Jésus-Christ. Or la nourriture ne *e
donne qu'à un homme vivant , cl celui qui
est dans l'état du péché ou dans l'affection
du péché mortel est mort; c;>r la sràce et la
charité sont la vie de l'âme. L'homme est
mort quand l'âme esl séparée de son corps,
comme l'âme est morte lorsque Dieu s'en
est retiré : ainsi, de même que les meilleurs
aliments «c corrompent dans un corps mort
et ne servent qu'à en augmenter la puan-
teur et l'infection , de même celui qui reçoit
l'eucharistie dans cet état de péché et de
mort y trouve une augmentation de mort,
disent les Pères, non pas à cause qu'il reçoit
une chose qui soit mauvaise ou mortelle,
mais parce qu'il reçoit mal ce qui e-t hou.
et qu'il s'oppose par sa mauvaise disposition
aux hons effets de ce qu'il reçoit.
11 en est de même de l'ui ion du chrétien
avec Jésus-Christ, que ce sacrement produit
toujours quand on le reçoit comme il faut;
car Jésus-Christ ne s'unit qu'avec ceux qui -
s'unissent à lui : In me manet, et ego in eo ,
et comment celui qui est uni à son ennemi
pourrait-il s'unira mi en même temps? Ou ne
peut, comme il nous l'a dit lui-im me, senir
deux maîtres; il faut nécessairement I
l'un et aimer l'autre. Si l'homm ■ esl dans
le péché, il est esclave de l'amour du monde,
et si l'amour du monde est dans son MBttr,
il faut nécessairement qu'il ait de la haine
pour Jésus-Christ , et par coojéqveol il est
incapable de s'unir à lui.
D> ce raisonnement il faut nécessaire-
ment conclure que la première i ou lit on du
bon usage du sacrement de l'eucharistie,
c'est la vie de l'âme, el qu'on n'est jamais
ou état d'approcher de l'adorable eucharistie
SERMON POUR LE JOUR DE L'OCT. DU SAINT SACREMENT.
737
tant que le péché mortel , ou l'affection au
péché mortel , ou l'occasion du péché mor-
tel suhsiste. Les Pères n'ont point eu deux
sentiments sur cette matière, ils ont tous
conclu comme je viens de conclure : Muta
vitam , si vis sumere vitam : Changez de vie,
ont-ils dit, si vous voulez vous unir à celui
qui est la source el le principe de la vie.
Que ceux qui pour des péchés mortels sont
séparés de V autel ne s' en approchent qu'après
avoir fait pénitence, dit saint Isidore. C'est
sur cela que l'Eglise a gardé très-constam-
ment celte conduit!' si uniforme de n'admettre
à la participation du corps de Jésus-Christ
ceux qui avaient violé les vœux du baptême,
qu'après les avoir éprouvés par une; longue
et laborieuse péuiteuoe.
Vous me demanderez, dit saint Augustin,
comment apris vos péchés vous pourrez vous
rendre dignes d'en approcher. C'est, dit ce
saint docteur, en quittant vos mauvaises ha-
bitudes et en faisant pénitence; afin qu'ayant
souillé votre conscience par vos crimes , elle
soit purifiée par la satisfaction de la péni-
tence.
I! voulait doi!c que le pécheur quittât ses
péchés, qu'il changeât sa mauvaise vie, et
qu'il fit paraître par une nouvelle conduite
une véritable conversion. 11 voulait qu'il se
présentât aux ministres de Jésus-Christ, aux-
quels , pour être admis à ce sacrement ou
en être exclu, il fallait découvrir ses infidé-
lités et les plaies de son âme, leur deman-
der et recevoir d'eux une pénitence médici-
nale et proportionnée à la grandeur de ses
iniquités; enfin il voulait qu'il accomplît
exactement et avec humilité celle pénitence
pour se purifier de ses crimes; car, comme
nous l'avons déjà dit, l'Eglise a toujours cru
que c'est recevoir le corps de Jésus-Christ
indignement que de le recevoir dans le temps
qu'on doit être en pénitence.
L'Eglise sainte a gardé longtemps cette
pratique inviolablemenl , et ceux nui sont
remplis de son esprit l'observent avec sa-
gesse , avec exactitude et avec douceur : les
intérêts de Jésus-Christ et ceux même des
chrétiens les y engagent.
La révérence due au sacrement veut qu'on
donne tous ses soins pour en empêcher la
profanation. Si l'on vous avait chargé, dit
saii\l Chrysoslome , de garder une fontaine
d eau claire destinée à l'usage des hommes ,
souffririez-vous qu'une troupe de poiirceaux
se jetassent dedans pour la salir ? Vous chas-
seriez ces animaux immondes; et vous qui
êtes 1rs gardiens des fontaines du Sauveur,
gui êtes les dispensateurs de son sang adora-
ble , ne le donnez donc pas à ceux qui ne le
prendraient que pour le profaner el. le fouler
aux pieds.
La charité et le /èle pour les chrétiens ne
peut pas souffrir qu'ils s'exposent à recevoir
la mort dans ce sacrement, où ils viennent
chercher la vie: elle veut qu'on les arrête
pour les examiner, de peur que, faute d'être
disposés comme il faut, on ne les livre à la
mort) en leur laissant prendre teméraire-
753
ment le mortel poison d'une communion pré-
cipitée.
Que les Philistins fassent changer de lieu
à l'arche du Seigneur, elle frappe indffféretn-
ment ceux d'Accaron comme ceux d'Azo», et
chaque ville où eile allait était remplie de
frayeur et de mort. Il faut donc, ou renoncer
à ce peuple réprouvé, oiii s'attendre à être en-
veloppé dans sa ruine. Ainsi, mes chers frères,
il laut rentrer dans le peuple de Dieu et être
animé de son esprit pour approcher de
l'arche du Seigneur utilement, et pour trou-
ver la vie dans le Sacrement dont l'arche ne
fut que la figure.
Que doit donc faire un chrétien qui a com-
mis un grand nombre de péchés mortels ,
pour s'assurer qu'il est réuni au peuple de
Dieu, qu'il est animé de son esprit , et qu'il
a reçu ce degré de vie nécessaire pour s'en
approcher dans ce sacrement? 11 doit savoir
qu'il est absolument nécessaire que l'âme
soit vivante par !a grâce pour recevoir l'a-
dorable eucharistie; car c'est là que tendent
tous les soins et toutes les sages précautions
des conducteurs spirituels. Ainsi il faut qu'il
rompe ses liens funestes, ils ne doivent plus
subsister absolument pour s'approcher de
Jésus-Christ; il n'y a ni fêtes, ni solennités,
ni pâques qui vous puissent permettre d'en
approcher, si ces liens ne sont brisés ; et
même , par rapport aux pécheurs nouvelle-
ment convertis , on peut bien les en faire
approcher, mais cependanl il faut user de
toute sorte de sagesse , de douceur, de fer-
meté, de ménagement, de prudence et de
zèle pour les mettre dans cette pratique ,
surtout à l'égard de ceux qui sont tombés
dans des crimes considérables, c'est-à-dire
dans des péchés mortels , principalement
quand il y a des habitudes et des rechutes.
Il faut prendre garde de rien précipiter dans
une affaire aussi importante.
Combien empècherait-on d'indignes com-
munions , mes chers frères, si on tenait celle
conduite à l'égard des pécheurs 1 Combien
eu aurait-on retiré de la voie d'iniquilé ,
si on avaitagi de cette manière à leur égard !
L'esprit de Dieu n'a-t-il parlé que pour lo
prophète Ezéchiel, quand il a dit : Parce que
vous ne l'avez pas averti, il mourra dans son
péché ; mais je vous redemanderai son sang ?
Ah 1 Seigneur , quelle parole l Imprimez-la
bien dans notre cœur, et donnez-nous la
force nécessaire pour soutenir le poids des
fondions d'un si terrible et si redoutable mi-
nistère.
Mais où en sommes-nous? non-seulement
ces règles ne sont plus suivies , mais à peine
sont-elles connues. Il est vrai que. l'Eglise
est maîtresse, de changer les règles extérieu-
res de la discipline qu'elle établit pour la
conduite de ses enfants ; mais il est vrai aussi
qu'elle ne veut ni qu'elle ne peut changer
d'esprit , parce qu'elle n'en a point d'autre
que celui de son époux, qui est incapable
de changement. Or , mes trères , cet esprit
nous enseigne qu'il faut être vivant pour re-
cevoir l'auteur de la vie. Les saints Pères,
qui ont lous clé pénétrés de cel esprit, le»
7B9
nl'.ATKUllS SACRES. DOM JEROME.
conciles, qui n'ont parle que par les inspira-
tions de cet esprit , uni établi (les temps de
pénitence pour faire l'épreuve de la conver-
sion , et pour reconnaître par lea œuvres si
Je cœur était changé et si on était animé de
l'esprit du Seigneur et vivant de sa vie.
Prenons donc garde do ne pas nous éloi-
gner de l'esprit de l'Eglise sous prétexte
qu'elle n'exige pas la pratique des canons et
des règles qui étaient autrefois en vigueur.
Le saint concile de Trente souhaitait qu'on
pût les rétablir; c'est donc agir selon l'es-
prit de l'Eglise que de s'en rapprocher avec
sagesse autant qu'on le peut, et c'est s'enga-
ger dans des voies d'égarement que de négli-
ger de s'en approcher , et d'employer toutes
sortes de moyens sages , raisonnables et mo-
dérés , pour y faire entrer ceux qui viennent
à nous avec soumission , avec douceur et
avec humilité. Par là il arrivera ce que l'es-
prit de Dieu dit au prophète Ezéchiel, que si
vous avertissez le juste afin qu'il ne pèche
point et qu'il ne tombe point dans le péché, il
vivra de la vraie vie, parce que vous l'aurez
averti , et voit» aurez aussi délivré votre âme.
Par cette conduite vous vous assurerez de la
vie de l'âme , sans laquelle loule commu-
nion est une source de mort, et vous la con-
duirez à cette santé et à cette vigueur né-
cessaires pour approcher plus fréquemment
de l'adorable eucharistie : c est mon deuxième
point.
DEUXIÈME PARTIE.
L'âme doit jouir d'une santé parfaite pour
approcher ordinairement de l'adorable eu-
charistie , et sur cela j'ai quatre points très-
importants à établir, pour lesquels je vous
demande toute votre attention , car ils con-
tiennent des règles excellentes sur cette ma-
tière.
Je veux vous montrer la nécessité d'être
en santé pour approcher ordinairemon! de
l'eucharistie , en quoi consiste cette santé de
l'âme , quelle est sa nature et en quel degré
à peu près il faut l'avoir pour approcher or-
dinairement de l'eucharistie ; par quelle
marque on peut reconnaître qu'on en jouit,
et à quel degré à peu près on la possède; les
moyens qu'il faut prendre et les soins qu'il
faut se donner pour la conserver et pour
l'augmenter. Vous voyez que tout ceci est
très-important : entrons en matière.
Pour être digne d'user fréquemment de
l'eucharistie , il ne suffit donc pas d'être vi-
vant, il faut encore être en santé: ce n'est
pas assez d'être délivré de la mort du péché,
il faut que les plaies qu'il a faites dans l'âme
soient refermées. Souvenez-vous de ce que
nous dîmes, après les saints Pères , dans le
dernier discours, quo c'était communier in-
dignement que de le faire dans le temps des-
tiné à faire pénitence; car non-seulement le
péché ne doit plus élre dans le cœur , il faut
que les impressions qu'il a faites dans l'âme
soient effacées : en voici la raison, tirée de
l'analogie de ce sacrement adorable. E'cu-
eharislic est la nourriture de l'âme , c'est le
Min des loris , scion l'Ecriture et toute la
I
tradition. Or , vous tares. , mai (réres , que
quand on etl torti d'une maladie mortelle ,
on ne se reriii t a l'otage des aliment! solides
qu'après quo les plaies sont guéries , qu'on a
repris ses forces , et quand par des épreuves
on a pris des assurances contre la rechute.
Il est donc nécessaire d'observer la même
conduite dans l'usage de (elle divine nour-
riture do l'âme : il ne suffit pas qu'elle soit
sortie de l'état de la mort par le retour de la
grâce, ce n'est pas assez qu'elle ait été pur-
gée des restes de la corruption qui avait
causé sa mort ; il faut qu'elle soit fortifiée et
rétablie en santé, pour recevoir ordinaire-
ment celle nourriture solide , qui est appelée
le pain des forts, comme je viens de vous le
dire. Il faut qu'elle soit soutenue quelque
temps par une nourriture qui soit plus à por-
tée de sa faiblesse, qu'elle se nourrisse du
pain des larmes , qu'elle fasse son aliment
de la parole de Dieu, avant que de prétendre
à manger sa chair. Nous devons imiter la
conduite que Jésus-Christ lui-même a gardée
dans la distribution du pain , qu'il ne fait
faire au peuple dans le désert qu'après qu'il
a quitté la ville pour le .suivre, qu'il l'a
nourri de sa parole, qu'il a guéri ses mala-
des , et par là r.ous convaincre de la néces-
sité d'être dans la santé pour userordinaire-
uient de cette divine nourriture.
Que si nous regardons l'adorable eucha-
ristie comme le gage de l'immortalité et un
avant-goût de la gloire future, où nous re-
cevons réellement celui qui rassasie les bien-
heureux par la vision , nous conclurons en-
core que, comme rien de souillé n'entre dans
la gloire , aux termes de l'Ecriture , le Dieu
de la gloire ne veut habiter que dans ceux
qui gardent sa parole, qui l'aiment et qui ai-
ment son Père , et pour cela il faut non-seu-
lement que l'âme soit vivante , mais il faut
qu'elle soit saine.
Jésus-Christ lui-même nous apprend par
ces paroles en quoi consiste !a santé de
l'âme et quelle est sa nature ; car pour con-
naître exactement en quoi consiste la santé de
l'âme nécessaire pour communier sou1, eut ,
il faut prendre une idée précise de la vie de
l'âme, puisqu'à proprement parler la sanle
n'est qu'une vie pleine, une vie dans sa
force, une certaine vigueur à faire les ac-
tions de la vie qui nous anime. Or, comme
le péché est la mort de l'âme, selon que nous
l'avons dit , la grâce est sa vie : si elle est
morte par l'amour du monde . elle n'est v i-
vanle quo par l'amour de Dieu; la chanté
est donc la vie île l'âme. Voici ce que dit saint
Jean : Celui qui n'aime p int demeure du-
mort . il n'y a pas de milieu; l'homme e>-t
dans la charité ou dans la mort. Dieu, dit
saint Augustin, est la rie du corps, et comme
le corps meurt quand IWrnc en sort , l'àme
meurt lorsqu'elle perd l>i<u.
Sur cette Idée , I est aisé de prendre t
de la sanle de l'âme : car si dans l'ordre na-
turel la saute n'est qu'une vie pleine et DM
certaine vigueur à faire les actions de la vie
qui nous anime, la saute de l'âme n'est quo
l'ardeur do la charité f la ferveur de l'esprit,
SERMON POUR LE JOUR DE L'OCT. DU SAINT SACREMENT.
7f.l
la force de l'amour de Dieu , voluntatem ro-
bustam, comme l'appelle saint Augustin ,;
ainsi , dit ce saint docteur , comme je juge de
la vie du corps par ses actions , je juge de la
vie de l'âme par ses mouvements ; et voici les
marques par lesquelles on peut juger de la
santé de l'âme.
Suivons toujours cette analogie avec saint
Augustin. Je demande, dit-il , au corps s'il est
vivant. En pouvez-vous douter, me répond*
il ? puisque vous voyez que je marche, que
j'agis, que je parle , que je cherche ce qui m'est
propre, que je fuis ce qui m'est contraire:
mais si je fais toutes ces choses avec force . et
avec vigueur, que je parle avec fermeté , que je
cherche avec diligence et avec vivacité ce qui
m'est propre, que je fuie avec la même ardeur
ce qui m'est contraire, pouvez-vous douter
que je n'aie de la santé? Appliquons ceci à
l'âme, mes chers frères. Si elle est vive sur
les intérêts du Seigneur et du sa propre per-
fection,.si elle marche à grands pas dans les
voies de la justice, si elle embrasse avec joie
tout ce qui peut la rendre meilleure, si elle
fuit avec horreur tout ce qui peut la détour-
ner du bien , comptez que l'ardeur de la cha-
rité la rend vivante , l'anime et la fait agir.
Que si au conlraire vous voyez une sorte
de langueur dans les voies de la justice , une
négligence dans la pratique du bien, une fa-
cilité à le quitter , une peine à le reprendre ,
une inégalité dans la conduite , agissant au-
jourd'hui , demain ne faisant rien , ne vou-
lant pourtant pas s'abandonner absolument
(car on craint la mort) , mais n'agissant que
par intervalles et tombant dans de fréquen-
tes faiblesses : cet état vous marque que si la
vie n'est pas éteinte, au moins elle est bien
languissante , et qu'il n'y a dans cette âme ni
santé ni vigueur. Ce n'est pas à ces sorles
d'âmes qu'il faut permettre le fréquent usage
de ce sacrement : il faut acquérir le droit de
manger ce pain par un travail qui nous en
rende dignes, qui marque le désir ardent que
nous avons de nous en nourrir, et qui soit
une preuve certaine de la santé de l'âme ,
comme la faim acquise par l'exercice est une
preuve constante de la santé du corps.
Saint Augustin l'ail celte belle réflexion
sur la parabole du festin et des vierges qui
y furent admises. Il n'y a, dit ce saint doc-
leur, que des vierges et des vierges sages qui
y soient introduites, et elles sont au nombre
de cinq. Remarquez ici avec ce grand doc-
leur leur nombre, leurs qualilés, leur tra-
vail, leurs provisions.
Elles sont cinq, figure de l'âme qui exerce
ses fonctions par cinq sens différente. Tous
ceux qui ne font aucun usage illicite; de la
vue, de l'ouïe et du reste, conservent une
sorte d'intégrité, ce qui fait que la parabole
leur donne le nom de vierges. Leur travail
suit leur qualité : car il ne suffit pas, dit ce
saint docteur, d'avoir l'intégrité, qui con-
- sisle à s'abstenir des sensations illicites; il
faut avoir les bonnes œuvres, désignées par
les lampes. Ayez les reins ceint i, dit le Sei-
gneur, ce qui représente la .pureté qui fait
l'js vierges; et des lampes ardentes à la main.
7G2
ce qui signifie les bonnes œuvres. Mais tout
cela ne suffit pas encore; il faut de plus des
provisions, que les vierges folles n'ont point;
et qu'est-ce que ces provisions? c'est l'huile,
dit saint Augustin, c'est la charité, cette voie
si éminente, qui surpasse toutes les autres
voies, qui est élevée au-dessus de toutes les
œuvres, et sans laquelle toutes les œuvres
les plus éminentes ne sont rien; car comme
l'huile nage sur toutes les autres liqueurs et
qu'elle ne demeure jamais au fond, aussi, dit
saint Paul, la charité, dont l'huile est le sym-
bole, donne le prix et surpasse toutes les au-
tres vertus. De tout cela que faut-il conclure ?
que l'usage fréquent de l'adorable eucharistie
ne doit être permis qu'aux âmes saines, fi-
dèles, en qui on trouve non-seulement la vie,
mais la vigueur et la force, qui viennent de
l'ardeur de la charité, et l'amour de Dieu,
qui produit l'intégrité, la vigilance, les bon
nés œuvres.
Quand on se trouve dans ces heureuses
dispositions par la miséricorde du Seigneur,
on entre aisément dans les moyens d'acquérir
cette santé, et d'augmenter la vigueur de
l'âme, qui en est l'effet.
La prière est un de ces moyens dont on ne
peut trop se servir. Je soupire, disait Job,
avant que de manger. L'esprit de la prière n'est
autre chose qu'un saint désir qui forme et
qui conserve une disposition d'ardeur, dis-
position qui contribue beaucoup à former la
santé de l'âme; jugez, mes frères, de son ex-
cellence.
La méditation de l'Ecriture sainte et des
bons livres est encore un moyen admirable,
qu'il ne faut pas séparer du premier; car le
prophète-roi les a unis. Mon cœur s'est en-
flammé, dit-il, au dedans de moi, à proportion
qu'il ne se répand plus au dehors, et il s'al-
lumera un feu pendant que je méditerai, ajoute
le même prophète; ce qui est l'effet de la mé-
ditation des saintes Ecritures, que saint Au-
gustin appelle les chastes délices de l'âme,
qui lui font connaître le néant de loutce qui
n'est pas Dieu, qui lui découvrent sa gran-
deur, qui excitent en elle son amour, qui la
portent à tout entreprendre pour se rendre
digne de s'unir à lui. N'est-il pas vrai, di-
saient les deux disciples d'Emmaiis, que notre,
cœur était tout brûlant en nous lorsqu'il nous
parlait durant le chemin et qu'il nous expli-
quait les Ecritures?
La parole de Dieu est un feu qui embrase
celui qui s'en nourrit. Usez-en donc, mes
frères, c'est un moyen efficace de procurera
vos âmes cette force et cette vigueur qui
donne la santé que Jésus-Christ demande à
notre âme pour s'unir à elle; et comme ii
n'est pas possible que nos misères ne l'af-
faiblissent, et qu'elle ne reçoive des altéra-
tions par les impressions des sens, le troi-
sième moyen que nous devons prendre, c'est
d'être dans une vigilance continuelle contre
les surprises de l'ennemi.
En effet vous voulez que le Seigneur ha-
bile en vous, comme vous voulez demeurer
en lui. Travaillez donc à lui bâtir une de-
meure, comme les Israélites travaillèrent ,
7C3
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
sous la coniuite de Néhémias, â rétablir la
\ Elle du Seigneur; car l'Ecriture dit (|uc eaux
qui étaient employés â bâtir les mi rs tra-
vaillaient d'une main à l'ouvragée! tenaient
I'*j j.éo de l'autre. Q le la vigilance sur vos
sous ren !e (loue vains les efforts do \os en-
:i; rnis ; couvrez-vous du bouclier de la mor-
liflcation, retranchez parte glaive de la pé-
nitence <e qui pourrai! affaiblir vos forces,
et établissez au Se gueur mie demeure digne
de lui par l'assemblage des vertus qui l'atti-
rent
L'Apôtre dit que celui qui ne veut point
travailler ne doit point manger; ainsi l'Aine
n'a de droit sur celte divine nourriture que
par le travail que Dieu exige d'elle. Celte
nourriture est le gage de la gloire, comme
nous avons dit plusieurs fois. On n'acquiert
celle gloire que par les bonnes œuvres et le
travail; on n'a donc de droit à cette nourri-
ture que par le travail : Yinccnti dabo edere
de ligna; vineenti dabo manna absconditwn.
El quel est le travail qu'il exige de nous? les
œuvres de notre état , le bon emploi du
temps, l'exactitude dans nos devoirs, l'unifor-
mité dans notre vie, la Gdélité dans nos pra-
tiques; car quand on fait son œuvre avec vi-
gueur, c'est une marque qu'on a*ic la santé, et
c'est un moyen pour l'augmenter. L'exercice
donne de l'appétit, et l'appétit fait que la nour-
riture qu'on prend profile, qu'elle se change
en notre substance el qu'elle nous donne une
nouvelle vigueur; mais parce que, après tous
les soins que nous pouvons apporter pour
nous approeber dignement et dans la vigueur
de lame de la divine eucharistie, il est bien
difficile que la pratique ordinaire d'une chose
ne nous fasse perdre ou au moins n'affai-
blisse beaucoup l'attention que nous devons
avoir en communiant, l'habitude se chan-
geant en nature, il est à craindre que la
communion qui nous est devenue comme
naturelle ne se fasse trop à la hâte et pres-
que sans réflexion : ainsi il faut encore,
pour acquérir une nouvelle ferveur, se sé-
parer quelquefois de l'eucharistie par un
sentiment de respec', de pénitence, d'humi-
lité, quoique la conduite de la vie soit assez
réglée, et qu'on n'ait aucun péché considé-
rable à se reprocher.
Sur cela je vous renvoie, mes chers frères,
à la sagesse de ceux qui vous gouvernent, et
comme il n'y a rien où il soit plus facile de
se tromper que dans le jugement <!e la situa-
tion de son propre cœur, il n'appartient
point aux particuliers de prononcer sur les
dispositions dont je viens de vous parler.
C'est aux minis'.r; s d'en décider, c'est à cu\
que l'Eglise a confié l'autorité d'admettre les
fidèles à la sainte table ou de les en exclu
Or ceci ne peut regarder que trois sortes de
personnes : ou les pécheurs, c'est-à-dire
ceux qui sont dans le. péché et qui viennent
se présenter aux piètres, ou les justes, qui
non-seulement ont la vie de la grâce, mais
la sanlc de l'ànie et la lo; , e de la charité, ou
les justes faibles, c'est-à-dire qui ne sont pas
dans la mort, ri ais de qui la vie est faible et
inette à de grandes langueurs.
A l'égard de. pécheurs, il ne s 'agi
avec eux de la communion quand ili
sentent, mais ils doivent confesser leurs crf-
ecevoir i'ordie de leur pénitence, <-t on
doit les exb< rierà ne pas s'impatienter si ou
c tient des temps très-considérables lans
c t état. Ce qu'ils doivent seulement de-
Uieu, c'est qu'il les conduise
personnes q:;i leur fassent garder les i ■>
de l'Eglise. Pour les justes que j'a.
forl , ils ne peuvent communier trop sou-
vent; mais celte force est iare, dit saint Vi-
gustin, le nombre en est très-petit. Par rap-
port aux jasles faibles, c'esl-à-d re a ceux
qui ne sont pas dans la mort, mais de qui la
vie est faible, voici ce qu'ils doive:. t ob-
server.
Ils doivent chercher pour les conduir des
personnes éclairées qui riglcnl leur commu-
nion, car ce n'est pas une affaire indiffé-
rente; ils doivent s'abandonner aux juge-
menlsdes \ ersonnes sages qu'ils ont ebo
et s'en lenir à l'ordre qui leur est prescrit :
car du moment qu'ils eont conduits par des
personnes éclairées et pleines de zèle, ils
doivent déposer tout scrupule el cal . er
toutes les ; eiues dont les justes faibles sont
souvent agités. Surtout il faut bien se met te
dans l'esprit que ce ne sont pas les jours oui
doivent déterminer la communion, mais la
santé de l'Ame, sa ferveur, et le reste des
dispositions dont nous avons parlé. Dites-
moi, mes frères, si l'on faisait un festin dans
une famille où tous les parents fussent as-
semblés , voudriez-vous y prendre votre
place si vous aviez une fièvre ou une autre
indisposition qui vous obligeât à garder un
régime? Pourquoi donc n'aurez-vous pas les
mêmes égards pour le salut de votre âme
que pour la santé de \otrf corps? Hue le
temps pascal même ne soit pas pour vous uue
occasion de péril : la communion de Pâques
suppose les dispositions, el les ministres des
sacrements suspendent cette co
aussi bien que l'absolution, qiand ils le ju-
gent à propos pour le respect du sacrement
et pour l'avantage de ceux qui désirent s'eu
approcher.
Car voici le mécompte, je vous prie de le
bien remarquer : la crainte que l'on a de ne
pas communier ou à Pâques ou d Mi-
taines fêles marque que l'on n'a que de rès-
peliles idées du sacrement de l'a t i. et par
conséquent qu'on ne coonatt point Péteu ne
de tou ce que ce: le démarche exige de nous.
De là est venue la cause dune coutume l ès-
ordinaire dans les communautés, qui est de
communier souvent indépendamment de ces
dispositions, et d'attacher l'idée de la piété
et de la dévotion à cette fréquente commu-
nion, pend ml que la séparation el le retran-
chement de celle n urriture divine, à la-
quelle on en substitue une autre, convient à
l'étal de la persouue à nui on deii l'ordon-
ner. Le pain des larmes, le retranchement de
la s ciélé des hommes, la vigilance el l'ai—
lenlion s r . oi -même. \oilà celte nourriture
de pénitence qui est quelquefois nécessaire;
car il faut toujours subsliluer une nourri-
7G5
lure à l'autre, et comme on n'abandonne pas
un malade pour lui ôter les aliments qui sont
plus forts, et que l'on prend soin de lui en
donner de plus légers et de plus propres à
entretenir et à fortifier sa vie, il en es! de
même dans la vie spirituelle, et c'est la dif-
férence qu'il y a entre ceux qui se séparent
de l'autel par négligence et ceux qui le font
avec lumière; car ceux-là ne substituent au-
cune nourriture à celle dont ils se privent,
ci ainsi livrés à leur faiblesse, ils périssent
nécessairement. Ceux-ci au contraire substi-
tuent un aliment à celui qu'on leur ôte, qui
les soutient; ainsi les uns, en s'en privant,
ne font rien pour s'en approcher, et les au-
tres font tout pour s'en rendre dignes.
11 est vrai que l'amour-propre nous sé-
JhriC souvent, et que l'on veut avoir la répu-
tation do dévot sans qu'il en coûte rien. On
l'acquiert à la vérité à bon marché parmi
les hommes en communiant souvent; mais
on ne le devient véritablement que lorsque
l'on communie dignement. 11 faut pour cela
se faire des violences, se combattre soi-mê-
me, réprimer ses passions, se retrancher la
communion jusqu'à ce que les plaies de
l'âme soient guéries et qu'elle jouisse d'une
santé plus solide; mais il en coule trop par
cette vi ie-là : i! lautdonc suivre la première,
qui n'a pas été et qui n'est pas encore sans
approbateurs, et condamner la seconde, qui
met dans la contrainte, qui est incommode
et qui ne laisse pas que de gêner beaucoup.
Dieu nous garde de tomber dans un pareil
aveuglement ! Dieu détourne par sa grande
miséricorde cet esprit d'illusion et d'erreur
de dessus vous, mes très-chers frères I Ne
jugez personne; souvenez - vous surtout,
pour voire propre conduite, qu'il ne s'agit
pas de communier souvent ou rarement,
mais de communier dignement. Souvenez-
vous de l'excellence du don que Jésus-Christ
nous fait dans l'eueha: istie : j'ai essayé de
vous en tracer uneidéf ; et n'oubliez jamais
la grandeur du crime de la profanation de ce
don admirable. Il est plus ordinaire qu'on
ne pense: tel en est coupable qui n'en sait
rien, tel en a décrit toute l'horreur cl en a
fait des peintures affreuses, que ses passions,
ses faiblesses cl ses erreurs y ont entraîné
sans le savoir. Priez pour moi, mes chers
frères, afin que mes lumières ne me con-
damnent pas, et que mes paroles ne s'elè-
veiii pas contre, moi-même. Kniin j'ai es-
sayé de vous représenter les conditions du
bon usage du sacrement de l'eucharistie;
suivez-les avec fidélité , gémissez de ce
qu'elles ne sont pas suivies, c'est un hon-
neur que vou-. rendrez à Jésus-Christ ; car
c'est une grande partie de la piété des âmes
chrétiennes de rougir et de pleurer des dés-
ordres qui l'offensent, quoiqu'il ne soit pas
en leur pouvoir de les empêcher. Dédomma-
gez-le par votre amour des froideurs de lant
d'âmes qui le reçoivent indignement. Unis-
sez-vous à lui de telle manière que vous
n'en soyez jamais séparés. Je vous le sou-
haite. Ainsi soit-il.
SERMON POUR LE JOUR DE L'ASSOMPTION.
SERMON
POUR LE JOUR DE L'ASSOMPTION.
De la dévotion à la suinte Vierge.
706
Kx tioc benlani me dicent omnes ;eneraiiones.
Cette insign • faveur me fera nommer bienheureuse dans
la succession de tous tes siècles (Luc, I, 48).
Marie, mère de Dieu, est devenue celle de
tous les fidèles par Jésus-Christ, et la piété
qui nous attache à elle par un culte réglé est
pour nous un fonds abondant de miséricorde
et de grâce.
C'est, mes frères, de celle piété solide en-
vers la Mère de Dieu que je veux parler au-
jourd'hui; car je ne doute point qu'on ne
vous ail raconté plusieurs fois la fameuse
victoire qu'elle a remportée sur la mort, et
qu'on n'ait retracé à vos 3 eux toutes les
circonstances glorieuses de ce triomphe si
éclatant dont l'Eglise célèbre aujourd'hui
la mémoire. Cependant peut-être n'a-t-on
jamais pris soin de vous parler à fond de
l'obligation où nous sommes de rendre des
h ménages à celte excellente créature, ei des
fruits que produisent aux chrétiens les soins
qu'ils prennent de les lui rendre dans un
culte réglé. Ce jour me paraît plus propre
qu'aucun autre à parler des hommages qui
sont dus à la Mère de Dieu : puisque l'Eglise
l'a choisie pour nous la montrer dans sa
gloiie, il est important d'apprendre aux fi-
dèles qu'elle veut être honorée en esprit et
en vérité. Apprenons donc à porter notre
confiance vers celte éminente créature, car
l'Eglise ne nous la montre dans son triomphe
que pour nous donner une grande idée de
l'étendue de son pouvoir.
Ajoutons que ce jour est consacré à re-
nouveler dans le cœur des peuples ces sen-
timents d'amour, de confiance et de respect
qui sont dus à la M.^re de Dieu. Ce fut ce
jour même que Louis le Juste, père de Louis
le Grand, choisit pour mettre sa personne
sacrée et ses Etats sous la ■ rotection de Ma-
rie, cl c'est pour ce sujet que l'Eglise de
France fait aujourd'hui une solennité parti-
culière, clquc les peuples accourent en foule
pour rendre grâces à Dieu des suites heu-
reuses du vœu de leur monarque, dont ils
ressentent tous les jours les effets parla pro-
tection visible que Marie a accordée à ce
royaume d'une manière si étendue, que ce
sage et généreux prince qui le gouverne, le
maintient dais la paix, dans la prospérité,
dans l'abondance, au milieu des désordres,
des agitations cl des misères de toute l'Eu-
rope, et donne du s cours en même temps
aux. princes opprimés. Prince triomphant,
jouissez longtemps des fruits de celte foi si
vive et si héroïque, dont l'exemple comble
de joie et de consolation tous les fidèles.
Animons-nous donc à la reconnaissance
et à la piété envers la sainte Aïère de Dieu ;
je vais en découvrir les motifs et en régler
les mouvenienls dans c.' discours : il n'aura
q e deux parties. Dans la première je prou-
ver ai que c'est un devoir pour tous les chré-
tiens d'honorer celle que Dieu a honorée eu
tant de manières : première partie; dans la
7fû
UKATEUItS SACHES. DOM JEROME.
7GU
seconde jevoni montrerai que c'est une con-
solation pour tous les chrétiens de pouvoir
établir leur confiance sur celle que Dieu a
lionorée : seconde partie.
Vierge sainte, nous venons à vous avec
assurance d'obtenir votre protection auprès
de votre Dieu et le nôtre, puisque vous devez
vos grandeurs à nos misères, et que notre
chute a été la cause de votre élévation. Vous
n'êtes grande que parce que vous éles mère ;
vous n'êtes mère que parce que Dieu s'est
fait homme; et Dieu ne s'est fait homme que
parce que nous sommes devenus pécheurs :
ainsi vous nous devez dans un sens tout ce
que vous possédez de grandeurs. Nous es-
pérons que vous les emploierez à nous ren-
dre favorable celui de qui vous les avez
reçues. Nous demandons l'assistance du
Saint-Esprit par votre intercession. Ave,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour parler comme il faut de l'honneur
que tous les chrétiens doivent rendre à la
sainte Mère de Dieu, il est nécessaire de vous
dire pourquoi tous les chrétiens la doivent
honorer, quel honneur ils doivent lui ren-
dre et jusqu'où ils doivent porter cet hon-
neur. Nous allons donc traiter du fonde-
ment, de la qualité et de la mesure de l'hon-
neur que les chrétiens doivent rendre à la
Mère du Sauveur du monde; c'est, ce me
semble, tout ce qu'on peut proposer sur
cette matière.
Le fondement de l'honneur que les chré-
tiens doivent rendre à Marie, c'est celui que
Dieu lui a fait lui-même; c'est sur ce prin-
cipe que je prétends établir cette obligation:
Fecit mihi magna qui potens est, ex hoc bea-
tam me dirent omnes generationes : Le Sei-
gneur a fait en moi de grandes choses, et
c'est ce qui me fera appeler bienheureuse
dans la succession des siècles.
Or, voici ce qui suit naturellement, et ce
qui renferme la preuve de cette obligation :
il faut honorer ceux que Dieu honore. Dieu
a honoré Marie plus que toutes les créatures
ensemble; donc nous devons honorer la
sainte Mère du Sauveur du monde d'une
manière toute singulière. En effet, les grâ-
ces d'un prince attirent le respect des hom-
mes à ceux sur qui il les a répandues, et
quand un souverain a honoré quelqu'un des
marques glorieuses de son amitié, il doit
être honoré par ses sujets.
Par là nous voyons pourquoi le Sauveur
du monde veut bien prendre sur lui-même
le mépris que les hommes font de ceux qu'il
a revêtus du ministère de sa parole : Qui vos
spernit, me spernit, et qu'il châtie ceux qui
les rejettent, comme s'ils l'avaient rejeté lui-
même ; et c'est pour la même raison que saint
Paul avertit les Romains, que quiconque perd
le respect dû aux souverains, et refuse d'oliéir
aux princes qui sont établis sur la terre pour
exercer la puissance de Pieu, de qui ils sont
les images, résiste à l'ordre de Dieu et attire
$a condamnation.
Or, mes frères, de toutes les créatures Ma-
rie est celle que Dieu a le plus houoree. Il l'a
choisie pour en Faire la Mrrede Jésus-Christ.
Il l'a remplie de tous les dons, de tooles les
grandeurs et de toutes les prérogative* qui
conviennent à cette excellente dignité de
Mère de Dieu, et on doit reconnaître eu elle
trois plénitudes de grâces qu'elle a reçoei
dans les trois moments les plus lignalés de
s i v îe.
D'abord celle qu'elle a reçue dans le mo-
ment signalé de sa naissance : plénitude de
grâce qui a éloigné de celle naissance jus-
qu'à l'odeur même du péché, si je puis m'ex-
primer ainsi; plénitude qui la dispose au
plus grand de lous les biens, qui est celui
de concevoir le Fils de Dieu, et d'être mère
et vierge tout ensemble. Ensuite, au moment
que le Verbe de Dieu a été formé dans son
sein, elle a reçu toute la perfection de la
charité et de l'amour de Dieu , qui est la
source de tout bien, par la présence de son
Fils en elle. Enfin celle qu'elle a reçue au
moment de sa mort : elle est entrée dans le
sein de Dieu, que j'appelle la grâce de la
gloire ou la consommation de !a grâce, (.'est
ce qui l'a mise dans la jouissance et dans la
possession de tous les biens d'une manière
proportionnée à sa dignité.
Que vous puis-je dire, mes frères, sur la
manière dont Dieu l'a honorée? Son amour
envers elle a été immense, disent les saint-,
Pères, puisqu'il l'a rendue capab'e de con-
tenir le Verbe divin dans son sein ; et c'est de
l'immensité de cet amour qu'il faut tirer la
conséquence de l'immensité des honneurs
dont il l'a comblée et des grandeurs où il l'a
élevée.
Comme nous ne pouvons vous expliquer
la profondeur de ce mystère, tenons-nous-
en à ce qu'elle dit elle-même, étant pénétrée
et remplie de toutes ses grandeurs. Il a fait,
dit-elle, en mot de grandes choses : oui, mes
frères, et si grandes qu'il n'est pas possible
de les exprimer. Mais celte impuissance
augmente l'obligation où nous sommes de
l'honorer , et elle sert à nous faire con-
naître la manière ineffable dont Dieu l'a ho-
norée lui-même. Car s'il faut honorer ceux
que Dieu honore, toute sa conduite n'ayant
été qu'un ordre continuel qui l'a élevée au
plus haut point de grandeur où une simple
créalurc puisse être portée, il faut conclure
que toutes les créatures de la terre doivent
fondre aux pieds de celle que Dieu a aimée
d'une façon si singulière, et qu'ils la doivent
honorer à proportion des dons excellents
dont il lui a plu la distinguer de lous les êtres
créés.
Or, mes frères, par sa seule qualité de
Mère de Dieu, le Sauveur du monde ne l'a-
l-il pas honorée lui-même durant tout le
cours de sa vie mortelle? n'a-t-il pas ies| « t
son ouvrage, et n'est-il pas demeure à sou
égard dans une dépendance exacte?
Que si le Père éternel a pris soin d'hono-
rer son Verbe dans ses plus grandes huiui-
lialious, en le faisant reconnaître pour sou
Fils, ce Verbe divin a »oulu honorer sa
Mère dans tout le cours de sa vie mortelle,
en prenant la qualité de Fils de l'homme,
c'est-à-dire, de fils de Marie, et c'est pour
tons les chrétiens un engagement indispen-
sable à l'honorer; car comme le Fils de
l'homme est chef de tous ceux qu'il a rendus
enfants de Dieu en se faisant homme, tous
ceux qui sont enfants de Diou sont renfer
mes dans le Fils de l'homme; ils ne forment
qu'un seul fils de l'homme avec lui, et ils
doivent s'unir à lui par conséquent, pour
honorer celle de qui ils sont devenus les en-
fants en sa personne; et c'est sur ce principe
qu'on peut expliquer la pensée de quelques
mystiques, qui disent que la vraie piété en-
vers Marie est une marque de prédestina-
tion. En effet, c'est une marque que nous
sommes remplis de l'esprit de son Fils, et que
nous lui appartenons si nous l'honorons avec
son Fils et par l'esprit de son Fils; et l'hon-
neur que nous lui rendons alors aura Dieu
pour fin.
Car ne nous y trompons pas, voici quelle
est la qualité de l'honneur et du culte que
nous rendons à Marie: il est entièrement,
absolument et nécessairement subordonne
à celui de Dieu. Nous regardons Jésus-Christ
en elle, et l'honorant avec lui et par son es-
(>rit, nous ne séparons jamais le Fils d'avec
a Mère; elle n'est rien que par son Fils, et
elle retomberait dans le néant et dans l'a-
bîme de toutes les misères dont il l'a pré-
servée comme sa mère, si elle pouvait en
être séparée un instant.
Voilà ce que l'Eglise sainte a voulu même
nous faire entendre d'une manière sensible,
lorsque, exposant à nos yeux les images de
celte excellente créature pour être l'objet do
notre vénération , elle nous la représente
toujours tenant son adorable Fils entre ses
bras et sur son sein. On voit souvent Jésus-
Christ sans sa Mère, mais on ne doit voir
jamais Marie sans Jésus. Jésus tout seul est
adorable, mais Marie sans Jésus ne mérite
rien. Toute sa gloire est colle de son Fils, et
l'honneur que nous lui rendons est subor-
donné au sien par un rapport et une dépen-
dance nécessaire; non qu'il n'y ait en elle
un mérite propre et particulier, digne de
respect et d'honneur; mais ce mérite vient
de Dieu. Il l'a distinguée de tous les autres
saints par un mérite propre; mais elle est
réunie avec tous dans Dieu, où est la source
de tout mérite.
Ce serait donc un grand abus si l'honneur
qu'on lui rend s'arrêtait à elle sans remon-
ter à son Fils. Ce serait une étrange erreur
de borner notre culte à sa grandeur propre,
comme si elle était une souveraine indépen-
dante, elle que nous regardons comme une
pure créature, qui ne peut point ne pas dé-
pendre de Dieu, lequel lui-même ne peut ac-
corder aucune grâce, aucune puissance, que
pour faire connaître et adorer la sienne.
Ainsi, mes très-chers frères, toutes les pra-
tiques saintes et réglées par l'Eglise, qui
marquent la piété des fidèles à l'égard do
la sainte Vierge, tout le service si auguste et
si religieux qui lui est. rendu, tous les ordres
saïuts et toute» les congrégations inonasti-
SERMON POUR LE JOUR DE L'ASSOMPTION. 770
;ques qui font une profession particulière de
J'honorer, ne sont que des moyens inspirés
'de Dieu et formés par sa grâce pour nous con-
duire à lui par Marie, et pour remonter de la
Mère au Fils.
C'est un point essentiel dans la religion
que tout honneur et tonte gloire appartienne
primitivement à Dieu : Soli Deo honor et glo-
ria, dit saint Paul; et on ne peut bien hono-
rer les créatures qu'en honorant en elles le
Créateur. Ainsi, mes frères, remplissez-vous
bien de celte importante vérité pour donner
[an culle que vous rendrez à la sainte Vierge
la retenue qu'il doit avoir. L'honneur qu'on
lui rendrait en le terminant précisément à sa
personne, sans vouloir le rapporter à Dieu,
serait vain et même illégitime; mais celui
qu'on lui rend comme à la servante de Dieu
et à la sainte Mère du Sauveur du monde est
légitime, saint et agréable à cette excellente
créature, qui sert et qui adore le même Sei-
gneur que nous.
Hé! vous qui êtes, nos très-chers frères,
nouvellement revenus à l'unité catholique,
revenez donc aussi, au nom du Seigneur, des
fausses impressions d'une prétendue idolâ-
trie, qu'on vous avait données sur le culte
que nous rendons à la Mère de Dieu. Ne
croyez pas non plus que nous changions de
langage. Tel a été le dogme constant de l'E-
glise sainte dans tous les siècles. Nous ne
mettons point notre religion à adorer des
personnes mortes, uous les devons honorer
comme des modèles qu'on nous propose pour
les suivre, et non pas les adorer comme les
objets de notre religion.
Voilà ce qui regarde la qualité et la nature
de l'honneur dû à la Mère du Sauveur du
monde: mais jusqu'où le doit-on porter et
quelle en doit être la mesure? 11 est facile de
répondre à cette demande : car cet honneur
est subordonné à celui de Dieu par une dé-
pendance nécessaire, comme nous venons
de le dire; mais aussi tout ce qui n'appar-
tient pas à Dieu lui peut être attribué par
honneur, et c'est exactement à quoi on peut
réduire la mesure dont il s'agit.
Considérez donc d'abord que, comme les
hommes peuvent se tromper dans ce qui peut
convenir à la créature, et qu'ainsi, abusés par
une piété fausse et trompeuse, ils offense-
raient Marie en la pensant honorer, il faut
qu'ils s'en tiennent à ce qui est prescrit par
la sainte Eglise. De plus, quand même on ne
serait pas en danger de tomber dans ce dés-
ordre, et qu'on n'attribuerait à Marie que
ce qui lui peut convenir, il y a un autre pé-
ril à craindre, c'est que les gens outrés dans
leurs dévotions ne tirent de fausses consé-
quences d'un principe qui est vrai absolu-
ment; car il est vrai que Dieu aurait pu lui
donner beaucoup de prérogatives qu'il ne lui
a point accordées, quoiqu'il parût même con-
venable de les lui donner afin de lui faire plus
d'honneur : par exemple, la grâce de l'impas-
sibilité, la mettant tout d'un coup en état de
ne rien souffrir; celle de faire des miracles,
et ainsi d'autres dons. C'est donc une fausse
conséquence, tirée d'un principe véritable,
771
que de dire
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
772
Dieu pool faire toile eho<-e, done
il l'a faite. Ajoutes à cela qu'il ne nous ap-
partient pas de juger qu'il soi) bienséant à
I?) qualité de Mère de Dteu que Di u lui eom-
muniqne telles grâces ou els dons; il n'y a
que Dieu seul qui - ichc ce qui lui contient,
et c'est à nous à adorer sa conduit:' : Via
neœ non $unl ve Irœ.
La grande règle pour éviter de semblab es
dangers cl pour ne se tromper jamais dans
des choses si importantes, c'est de nous eu
tenir précisément à l'Ecriture et à ce qui en
est tiré évidemment, ou à ce que l'Eglise
sainte a déterminé : voilà nos règles et notre
mesure, ne passons point au delà.
Ne nous imputez donc pas mes très-chers
frères nouvellement revenus à l'unité, les
excès de l'indiscrétion et du zèle des faux
dévois -, car l'Eglise ne les a jamais connus
que pour les rejeter. Pour nous, mes fret
qui sommes toujours demeures dans le sein
de l'Eglise par la miséricorde du Seigneur,
demeurons dans les Ici nies qu'elle nous a
prescrits. Marie n'a que faire des honneurs
dérègles que notre imagination peut inventer.
Apprenez que tous les hommages que vous
lui rendez ne sont qu'une fausse monnaie qui
n'est pas frappée au coin de la vérité et qui
ne peut avoir cours, si l'Eglise ne les a poi.;l
prescrits ou approuvés : ainsi ils ne vous .at-
tireront jamais les elfcts de la confiance que
voiiï devez avoir en eux : c'est de celte con-
(iance que nous allons parier dans la se-
conde partie.
SECONDE PARTIE.
Etablir et régler la conGance des fidèles en
Marie, c'est, nies frères, ce que j'entreprends
t?e faire dansla dernière partie de ce discours.
Le crédit de Marie doit établir noire con-
fiance, comme la sorbordination et la discré-
tion de Marie doivent la régler. Ceci bien ex-
pliqué inspirera la confiance à ceu\ qui
s'étaient fait un scandale de la confiance des
Gdèles en ceile dont les qualités sont si pro-
pres à en donner, et en qui le Sauveur du
monde nous a lui-même inspiré d'en avoir.
Et d'abord il est certain que le crédit de
Marie doit établir la confiance que nous
avons en elle. Je vous prie de bien remar-
quer quels sont les vrais principes de la foi
et de la doctrine de l'Eglise sur cet article,
Nous ne reconnaissons de puissance propre,
essentielle et originale, qu'en Jésus-Christ:
Toute puissance, dit-il, ma été donnée dan* le
ciel et sur lu terre. L'apôtre saint Paul dit
que Dieu nous a combles en Jésus-Christ de
tontes sortes de bénédictions spirituelles pour
le ciel; voilà donc le centre de toute puissance,
la source de toutes les grâces et le principe
de tous les dons. Il a associé à celte puis-
; ance de faire du bien ceux qu'il a choisis
pour être comme les canaux par lesquels
il répand ses dons, et à la sollicitation de
qui il les accorde. Enfin cette puissance est
plus ou moins étendue, à proportion des
rapports et des relati us qu'ils ont à Je- |«
Christ, ou de la pari qu'ils oui eue à l'accom-
plissement des mystères par lesquels la grâce
lé communiquée el répandue sur les hom-
mes. C'est ce qui fiil que les saints, a qui
nous adressons no-, prières, sont ministre!
de cette grâce par voie d*fnierecmion. La
puissance qu'ils ont de nous faire du Meji
n'est donc qu'une plus grande lacilité de
nous en oh! nir île Dieu par Jésus-Christ,
ce qui vient de l'accès plu libre aupiès de
lui que leur donne l'avantage de lui éir • ui i-
par une charité consommée dans l'état de la
gloire.
Or, mes frères, de toutes les créatures au-
cune n'a jamais eu de plus étroite relation
à Jésus-Christ, ni plus de part à l'aecini-
plissement du mystère par lequel la grâce
a été répandue sur les hommes, que la
sainte Vierge. C'est elle dont Dieu s' sti *i
ur donner Jésus-Christ au monde, il l'a
rendue la Mère v'u Sauveur du monde. Le
l'ère a une autorité sur son Fils, < t Marie a
part à cette puissance, et elle est revêtue de
l'autorité de mère à son égaid, quoique sa
créature et l'ouvrage de ses mains, lia donné
droit à Marie sur celui qui n'esl formé en
elle qu'après son consentement. Peut-on
douter qu'elle n'ait une espèce de droit sur
toutes les grâces qui coulent de cet!'- -ource?
et le l'ère éternel, qui a voulu que la forma-
tion de l'auteur des grâces dans son sein, i t
la consommation de ce grand mystère des
miséricordes par cette formation, ait dé-
pendu de sa volonté, n'a-t-il pas voulu aussi
nous faire entendre par là en quelque ma-
nière que, pour nous conformer à l'ordre de
sa conduite, nous devons nous adresser à
Marie pour obtenir celles dont nous avons
besoin? C'est dans ce sens que plusieurs
saints Pères ont dil que tonte notre pléni-
tude vient de Marie : umnis plenitudo Ck isti
est in Maria, non p.is sans dépendre de Jé-
sus-Christ, en qui réside toute plénitude,
m lis par l'ordre qu'il a mis dans l'économie
du corps de son Eglise; il en est le chef,
Marie en est le cou, pour ainsi dire, par où
toutes les grâces descendent sur les ti 14
comme les esprits se communiquent aux
membres du corps: In Christo tteut m ca-
pite. in Maria sicut in collo c irporis.
L'Apôtre nous donne une belle idée de
cette économie du corps mystique dans le
chapitre H de l'Epîlre aux Colossiens : il
nous dit que nous devons demeurer attachés
à celui qui est la tête et le chef, duquel tout le
corps recevant l'influence par tes vaisseaux
qui enjoignent et en lient toutes les pa lies,
s'entretient et s'augmente par l'accroissement
que Dieu lui d >nn ; et voilà ce qui marque
une dépendance nécessaire et une parfaite
subordination entre le Créateur et la créa-
ture. Aussi cette sainte Mère du Sauveur du
monde a-t-elle pris soin de nous faire enten-
dre que toute cette grandeur cl t. aile e lie
puissance est on effet de la miséricorde de
celui qm a daigné regarder la bassesse île sa
servante, el que dans la succession des -
clés on aura raison de la nomm t u*
reuse, puisque tout ce qu'elle a de grandeur,
d'élévation et de puissance çsl un effet de
773
SERMON POUR LE JOUR DE L'ASSOMPTION.
774
son bonheur renfermé dans la grâce de 9on
élection.
C'est sur ce principe qu'en parlant de Ma-
rie les Pères se sotU quelquefois servis des
ternies qui ne lui conviennent pas absolu-
ment, à prendre les choses à la rigueur, ter-
mes dont on ne doit jamais se servir dans
l'exacte théologie, comme de l'appeler toute-
puissante, de dire qu'elle a opéré notre salut,
qu'elle est la source de la grâce, qu'elle est
notre espérance, notre consolation, noire
vie; qu'elle délie les chaînes du péché, et
d'autres semblables expressions qu'on trouve
plus particulièrement dans un discours de
saint Cyrille d'Alexandrie, prononcé dans
le concile d'Ephèse , l'année 431, en pré-
sence des Pères qui le composaient, et qu'en
nous a si souvent reprochées comme les
preuves d'un culte idolâtre qui attribuait
à. la créature ce qui ne peut appartenir qu'à
Dieu; mais la mauvaise foi de ce reproche
. doit exciter notre compassion. Quel est, je
ne dis pas le catholique, mais le chrétien,
qui ait jamais eu le front de meitre la créa-
ture à la place du Créateur? Peut-on croire
que pas un des Pères île ce concile n'aurait
eu assez de zèle pour l'honneur de Dieu,
pour reprendre un évêque qui aurait eu ues
sentiments si indignes de la religion et si
opposés à la foi? (ju'csl-ce donc qui ne voit
pas que saint Cyrille et tous les autres que
leur zèle pour la gloire de la Mère du Sau-
veur du monde semble avoir fait excéder
dans leurs expressions, étaient dans les sen-
timenls où nous sommes? et n'est-il pas évi-
dent que i'on n'a jamais regardé la sainte
Vierge que comme une créature plus favo-
risée que les autres, et qu'on ne lui a attri-
bué tous ces titres d'honneur que dans la
subordination et avec la dépendance que
nous venons d'expliquer ? Ils pariaient de-
vant les fn.èles, qui convenaient des mémos
principes; ils parlaient librement un lan-
gage dont le sens était entendu de tout le
monde ; car chacun convenait que la sainte
Vierge n'étaii honorée que comme Mère de
Dieu. On comprenait fort bien que tout ce
qu'on attribuait à celte excellente créature
était rapporté à la gloire de Dieu, et qu'on
voulait honorer le Fils dans la Mère.
Entrez donc, mes frères, dans le sens d'un
langage qui ne peut scandaliser personne
quand il est entendu. Nous parlons aujour-
d'hui comme tes Pères ont parlé autrefois;
ils ont pensé comme nous pensons aujour-
d'hui. Nous établissons notre confiance sur
le crédit de Marie, et son crédit sur la toute-
puissance de son Fils. Etablis sur des prin-
cipes si chrétiens et si solides, je vous ex-
h rie à meitre voire confiance en la sainte
Vierge. Elle est pleine de charité pour nous,
rien ne peut nous empêcher de l'appeler
Mère des miséricordes; il est certain que
Marie a pour nous la tendresse d'une mère
et qu'elle nous regarde comme ses enfants,
c'est une q alité q l'elie a acquise en deve-
nant celle du Sauveur du monde; elle est
la nôtre cou. me elle est la sienne, quoique
différemment; car elle est la mère de Jésus-
Christ selon la chair, et la nôlrc selon l'es-
prit. Elle lui a donné la nouvelle nature
dans laquelle il convient avec nous; mais
par cette nouvelle génération qui l'a fait
homme, on peut dire qu'elle nous a acquis
la grâce inestimable de participer à sa na-
ture éternelle et divine. Elle est certainement,
dit saint Augustin, la mère (les membres de Jé-
sus-Christ, c'est-à-dire de tous les fidèles,
puisqu'elle est véritablement selon la chair la
mère de ce chef dont nous sommes les mem-
bres. Or, mes frères, il ne faut pas douter
qu'elle ne soit disposée à faire à notre égard
l'office d'une tendre mère et qu'elle n'en ait
les sentiments.
C'est sans doute dans cette pensée que
l'Eglise sainte nous inspire de nous mettre
sous la protection de cette tendre mère au
dernier moment de notre vie, où nous devons
recevoir le jugement décisif de notre éter-
nité: Et in hora mortis nostrœ. 11 ne faut
pourtant pas porter ces vues de confiance
au delà des bornes d'une :age discrétion, de
peur qu'en excédant nous ne déshonoras-
sions Marie. C'est cequi arriverait, mes frè-
res, si nous pensions donner à Marie la mi-
s ricorde en partage, laissant la justice toute
seule à Jésus-Christ, en sorte qu'on ne le
regardât que comme un juge irrité, qui veut
confondre les coupables, et Ma;ie comme
une mère de miséricorde qui s'oppose par sa
puissance à l'exécution de ses desseins, et
qui surmonte sa colère et son indignation
par sa tendresse et par l'amour qu'elle a
pour les hommes pécheurs. Ce serait, dis-je,
un horrible blasphème, mes très-chers frè-
res, que de séparer ainsi Marie d'avec sou
Fils. Elle ne peut avoir d'autre volonté que
la sienne, et elle enseigne à tous les hom-
mes, en la personne de ceux qui servaient
aux noces deCana, où elle obtint le premier
miracle du Sauveur du monde, qu'elle ne
demandait grâce et qu'elle ne l'obtenait que
pour ceux qui faisaient la volonté de son.
Fils en toutes choses : Quodcunque dixerii
vobis, facile.
Hélas 1 mes chers frères, si Marie pouvait
se séparer de Jésus-Christ, qu'aurions-nous
en possédanlMarie, qu'aurions-nous si nous
n'avions pas Jésus-Christ? La tendresse est
réglée par la discrétion, elle est la mère de
la sagesse, elle demeure dans l'ordre du
souverain, elle obtient, elle n'accorde pas.
H est vrai qu'elle obtient tout ce qu'elle de-
mande, mais elle ne demande que ce qui est
agréable à son Fils, et ce serait la déshono-
rer extrêmement, et excéder dans notre con-
fiance d'une manière criminelle, si nous es-
périons qu'elle nous protégera dans nos
péchés contre la justice de Jésus- Christ, et
qu'il y eût des reserves de charité dans les
entrailles de cette mère de miséricorde, ca-
paiiles de sauver ceux qui vivent dans les
ordres, et qui meurent sans pénitence et
sans conversion.
nez donc garde à ne pas vous endormir
sur la honne loi d'une dévotion aisée et
qui ne consiste que dans des pra-
tiques extérieures, et qui, saua rvglcr notre
77.'
OHATEUtS SACRES. DOM JEROME.
77<j
cœur, sans détruire nos passions, tant nous
mettre dans l'exercice de la mortification et
de la pénitence, nous entretiennent dans la
confiance téméraire det oui obtenir, sans rien
faire, de la miséricorde de celle qui ne peut
regarder qu'avec indignation tous ceux qui
n'aiment point son Fils, et qui ne veulent
pas s'appliquer comme ils doivent à l'aire sa
sainte volonté.
Souvenez-vous, encore une fois, de l'ana-
logie du corps que je vous ai exposée, il n'y
a qu'un moment, après saint l'aul. Jésus-
Christ en est le chef, les chrétiens en sont les
membres; mais les influences et les esprits
qui partent du chef ne se répandent qui: sur
les membres ; ainsi il faut être du corps
mystique de Jésus-Christ, il faut être dans
la dépendance du chef, pour recevoir ses in-
fluences qui se portent aux membres, ce
qui ne peut être si nous ne vivons de la vie
du chef au moins dans le désir. 11 est bon de
dire le chapelet, de porter le scapulaire, le
petit habit de la sainte Vierge; mais il faut
qu'il soit doublé, in vestilu deaurato. L'ha-
bit de l'Eglise est une robe couverte d'or,
c'est-à-dire de la charité.
Sainte Mère du Sauveur du monde, obte-
nez-nous les bénédictions de votre Fils ado-
rable, et versez-les sur ce discours, afin qu'il
produise les effets que je me suis proposés
en le commençant. Faites auprès de Dieu
par votre intercession que nos frères nou-
vellement réunis ouvrent les yeux à la vé-
rité, qu'ils connaissent que nous vous hono-
rons comme vous devez et comme vous
voulez l'être, c'est-à-dire dans la personne
de votre Fils, de qui nous ne vous sépare-
rons jamais. Qu'ils sachent que nous nous
confions en vous comme Mère de Dieu, et
que nous ne nous séparerons non plus de
votre puissance, que nous ne séparerons vo-
tre honneur de celui de votre adorable Fils.
Oue s'ils ne veulent pas ouvrir les yeux à
la vérité, ni se rendre à une déclaration si
sincère de la créance et de la foi de l'Eglise,
faites par voire intercession que les enfants
de celte Eglise se confirment de plus en plus
dans la foi et dans la solide piele dont ils
vous honorent, afin que nous disions, dans
lès transports de notre joie, ce quedisait au-
trefois saint Bernard : Etsi hœrelicus non
surrexit de Ecclesia , tamen confirmatur in
fiâe. C'est le fruit »ie la glorieuse entreprise
que notre incomparable monarque a exécu-
tée d'une manière si digne de celte foi pleine
et solide que Dieu lui a donnée. Il a ren-
versé les temples que la rébellion avait éle-
vés-, il a ruiné le culte que la nécessité avait
obligé de souffrir. Si Dieu n'a pas converti
les cœurs, la religion au moins est triom-
phante, et l'Eglise de France est redevable à
la piété de Louis le Crand, toujours auguste
el toujours invincible, du triomphe qu'elle
vient île remporter sur une troupe d'enfants
révoltés qui insultaient à la tendresse et à
la charité de cette Mère affligée, qui -les invi-
taient à rentrer dans l'union depuis plus d'un
siècle.
Je tous invite donc, mes très-chers frères,
à joindre votre voix à celle de l'Eglise pour
rendre grâces au ciel des soins qu'il prend
ili 1 1 pandre ses dons sur la personne sacrée
de louis le Crand, qui est le fruit des vœu*
si chrétiens de Louis le Juste ; répandez donc
vos cœnrs devant la majesté de Dieu, el
rendez-vous caution pour tout le royaume
de l'inviolable fidélité de tous les sujets qui
le i omposent à remplir les vo:u\ de leur
prince et à honorer la Mère de Dieu d'un
culte digne de sa grandeur.
Ah! que le triomphe de l'Eglise, qui est
l'épouse de Jésus-Christ, attirera de béné-
dictions de l'époux sur la personne sacrée
el sur l'auguste postérité du prince qui nous
gouverne! Demandons-les par l'intercession
de celle que l'Eglise honore en ce jour, et
mettons-nous sous sa protection, afin qu'elle
nous conduise à son Fils adorable pour jouir
de la gloire. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LE DIX- HUITIÈME DIMANCHE APRÈS LA
PENTECÔTE.
Sur l'évangile du paralytique. Motifs de con-
solation, de confiance et d'espérance pour
un pécheur, et instructions pour un péni-
tent.
El ecce oiïerebanl paralylicum jacenlem in leclo.
On lui présenta un paralytique couché dans un fil
(Mattli., IX, 2).
L'évangile que l'Eglise nous propose au-
jourd'hui, mes frères , contient ce qui se
passa dans une maison de la ville de Ca-
pharnaùm où le Sauveur du monde faisait
sa résidence ordinaire. Un jour qu'il était
dans celte maison, il s'assembla autour de
lui un si grand nombre de personnes, que la
maison et l'espace d'auprès la porte ne les
pouvaient contenir. Il y avait auprès de lui
îles pharisiens et des docteurs de la loi qui
étaient venus de tous les villages de la Cali-
lée, du pays de la Judée et de la ville de Jé-
rusalem. 11 leur prêchait à tous la parole de
Dieu, et il faisait éclater le pouvoir que Dieu
lui avait donné pour la guérison des ma-
lades.
On voulut lui présenter un paralytique,
mais on ne savait par où le faire entrer, à
cause de la foule du peuple. Ceux qui le por-
taient montèrent sur le toit de la maison, et
ayant fait une ouverture, ils descendirent par
là le lil où était couche le malade, qu'ils
placèrent devant le Fils de Dieu. Jesus-
Christ, voyant leur foi, dit au parai) tique :
Mon fils, ayez confiince,vos péchés vous sont
remis. Ces paroles déplurent aux pharisiens
et aux docteurs qui élaicnl là, et ils pen-
saient en eux-mêmes que, n'y ayant que
Dieu qui puisse remettre les péchés, il fal-
lait que lésas, qui s'attribuait ce pouvoir, fût
un blasphémateur ; mais lui, qui pénétrait
le fond dei cœurs, leur dit : Pourquoi vous
entretenez-vous dans ces mauvaises pensées?
Lequel croyez -vous plus aisé de dire à ce pa-
ralytique: Vos pèches vous sont pardonnes,
et tes lui remettre, ou bien de lui duc : Lcvez-
rous, emportez votre lit et marchez. Or, afin
777
SERMON POUR LE DIX-HUITIEME DIMANCHE APRES LA PENTECOTE.
778
que vous sachiez que le Fils de l'homme a la
puissance de remettre les péchés : Levez-vous,
dit-il, au paralytique, emportez votre lit, et
allez-vous-en en votre maison. Le malade se
leva en même temps devant tout le monde, em-
porta le lit où il était couché , et s'en alla
chez lui rendant gloire à Dieu.
Voilà l'Evangile, et comme tout ce qui y
est rapporté regarde le paralytique, atta-
chons-nous à lui sans le perdre de vue dans
ce discours, afin de tirer de ce qui le regarde
les instructions qui nous conviennent.
Je yeux donc le considérer dans deux
états : dans celui de la maladie dont il désire
de guérir, dans celui de la guérison qu'il a
obtenue de Jésus-Christ.
Je vois, mes frères, dans ce qui lui arrive
avant sa guérison une idée naturelle de tout
ce qui peut soutenir et consoler un pécheur
qui pense à se convertir, mais qui est acca-
blé par le poids de ses péchés. Je vois dans
ce que le Sauveur du monde lui dit, après
avoir opéré sa guérison, une autre idée très-
naturelle de la conduite que doit tenir un
pénitent pour assurer sa conversion après
l'avoir obtenue par la miséricorde deDieu. II
n'y a donc personne qui ne soit intéressé
dans cette matière ; car ou il faut songer sé-
rieusement à se convertir, ou il faut s'appli-
quer à satisfaire à la justice de Dieu par une
pénitence solide, sage et persévérante, et
c'est de quoi je vais vous parler dans ce
discours.
Je produirai les consolations du pécheur
dans le secours que reçoit le paralytique
malade : première partie ; je découvrirai les
instructions du pénitent dans les avis que
le Sauveur du monde donne au paralytique
guéri : seconde partie.
Ce sera toute la matière de ce discours.
Demandons l'assistance du ciel. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour ne point perdre de vue notre paraly-
tique, comme nous nous le sommes proposé,
il est important, avant que de produire le
fondement des consolations du pécheur sur
les secours que le paralytique reçoit dans
sa maladie, d'établir une égalité de disposi-
tions entre le pécheur que nous entreprenons
de consoler et le paralytique que nous vou-
lons suivre.
Or, mes frères, ce paralytique voulait gué-
rir, c'est ce qui l'obligea implorer le secours
de ses amis pour venir trouver le Sauveur
du monde. C'est dans cette vue qu'il veut
bien sortir de sa maison, se faire porter
dans celle où était .lésus-Christ, et s'exposer
à des mouvements aussi violents pour un
homme réduit dans l'état où il était, que
sont ceux d'être élevé à force de br;is sur le
toit d'une maison , et descendu dans le lieu
où était le Sauveur du monde. Tout cela
marque le désir qu'il avait d'être guéri. Il y
a môme un fondement solide de croire qu'il
irait la santé de son âme préféra hlement
à celle de son corps, dont il abandonnait le
•soin à ses amis, puisque Jésus-Christ lui re-
mit ses péchés avant que de le délivrer de
Orateurs sacrés. XXX.
ses maux ; et c'est ce qu'il est important
d'établir : car le pécheur que nous entrepre-
nons de consoler doit désirer sa conversion,
il faut qu'il veuille guérir : prévenu par la
miséricorde divine, il faut que le pécheur
l'excite, qu'il l'enflamme, qu'il l'augmente,
qu'il la fortifie par des désirs toujours nou-
veaux, afin de se rendre digne d'obtenir de
Dieu celte volonté saine, forte, capable de
faire le bien, car l'ouvrage de la conversion
a son commencement et son progrès. Or,
cela étant supposé, voici les fondements de
la conversion d'un pécheur qui veut se con-
vertir, et revenir à Dieu par Jésus-Christ
sur l'idée des secours et des avantages que
reçoit le paralytique.
Ce malade, réduit à une misère extrême,
incapable de marcher, accablé sous le poids
de ses maux, apprend qu'il y a dans la Ga-
lilée et dans la ville même de Capharnaùm,
qui en était la capitale, un médecin fameux
qui guérit tous les malades qu'on lui pré-
sente. On lui rapporte qu'il paraît un homme
qui fait des miracles, qui a une puissance
absolue sur tous les maux, sur les démons
mêmes, qui rend la santé aux malades, qui
apaise les tempêtes, qui délivre les possédés,
tout cela par sa seule parole, et que les preu^
ves de toutes ces merveilles sont évidentes
et sensibles. Voilà sans doute un grand su-
jet de consolation pour un pauvre malade
qui souffre depuis longtemps sans aucune
espérance : il y a un homme qui peut me
guérir, car il en a guéri une infinité d'autres :
premier avautage.
Mais ce malade languit depuis plusieurs
années, il est sans force; tous ses membres,
affaiblis et comme morts par l'infirmité qui
l'accable, le rendent incapable de s'aider.
De quoi lui sert-il d'apprendre qu'il y a un
médecin qui peut le guérir, s'il ne lui est pas
possible de l'aller trouver? Cette nouvelle
ne peut que lui donner de l'inquiétude et
augmenter ses maux; muis voici quatre de
ses amis qui s'offrent de le porter au méde-
cin, doter tous les obstacles qui lepourraient
empêcher d'en approcher, de le mettre sous
ses yeux et de prier pour lui : second avan-
tage.
il y est porté, on le met devant lui, et le
médecin, en le regardant, ne lui demande
autre chose pour le guérir, sinon qu'il se fie
à lui, qu'il ait confiance en sa capacité et
en sa vertu : Confide, fili : troisième avan-
tage.
Or, chrétiens pécheurs, qui languissez
sous le poids de vos iniquités, voici le fon-
dement de votre consolation, entrez-y bien :
il y a un Sauveur qui peut et qui veut opérer
votre conversion : première consolation. En
supposant votre soumission, les conseils de
vos amis fidèles vous enseigneront et vous
aideront à obtenir votre conversion : deuxiè-
me consolation. Vous pouvez vous en rendre
dignes par votre confiance en la vertu du
Sauveur : troisième consolation. Expliquons
tout ceci, et réveillon.-, les pécheurs qui lan-
guissent dans leurs iniquités.
Je viens donc à ce pauvre pécheur accablé
25
ORATEURS SACRES. DOM JER'
77!i
sons le poids dp sos crimes, el qnf, lerobla
ble à ce malade de l'Eva»nglle, est réduite
ir l'excès de sos maux p! à ne \ ou voir
pas f ire par lui-même le moindre mouve-
ment pour se soulager, et je viens lui dire
qu'il y a un médecin qui veut et qui peut le
guérir. Ainsi, pécheurs, je viens à vous
comme l'ange aux pasteurs : ne craignez
point, car je viens vous apporter une nou-
velle qui sera pour tout le peuple le sujet
d'une grande joie : c'rs! qu'il vous est ni un
Sauveur, el ce Sauveur, c'est le médiateur
entre Dieu et les hommes. Jésus-Christ Hom-
me-Dieu : Homo Christus Jésus. Or, m s
frères, ce médiateur, cet Homme-Dieu, Jé-
sus-Christ, a la puissance de guérir les mala-
des et de convertir les pécheurs. Il peut ren-
dre la santé au corps et revêtir l'âme de la
justice : l'un sert de preuve à l'autre dans
notre évangile, et c'est par cette unique
preuve que je veux réveiller et nourrir la
confiance du pécheur. En effet il n'est Sau-
veur qu" parce qu'il remet les péchés : Jpse
enim salvum faciet; aussi est-ce de la rémis-
sion des péchés qu'il parle d'abord à ce ma-
lade : Confiée, fi'i, rèmittuntur peccata tua.
Il est vrai que les pharisiens furent setnda-
lisés de cette parole. Que veut-il dire? di-
saient-ils; quel autre que Dieu peut remettre
les péchés? Cet homme a assurément pro-
noncé dos blasphèmes. Mais le Sauveur du
monde prit celle occasion pour les convain-
cre qu'il était le Fils de Dieu et le Messie
promis parle* prophètes, qui, ayant toute la
puissance du Père, avait par conséquent le
pouvoir de remettre les péchés ; et il leur
dit : La rémission des péchés que je promets
à cet homme est une grâce invisible et un
miracle intérieur sur lequel vous ne pouvez
porter aucun jugement ; mais voulez-vous
recevoir en preuve, pour cet effet intérieur
duquel vous ne pouvez juger, un miracle
sensible et qui tombera sous vos veux? Dites-
moi lequel à votre gré vous paraîtra plus fa-
cile, ou de dire à cet homme : Vos péchés
vous sont remis, et les lui remettre en e/jet,
ou de lui dire : Levez-vous , et le mettre en
état d'exécuter ce commandement devant
vous? Or, afin que vous sachiez que je puis
faire le premier, écoutez ce que je vais dire;
Levez-vous, emportez votre lit, el voyez ce
que cet homme va faire : au même moment
le paralytique se leva; ainsi le miracle exté-
rieur devint la preuve du miracle intérieur,
et la puissance que le Sauveur du monde a
sur l'âme du pécheur pour sa justification
demeure constamment établie par le pou-
voir qu'il exerce sur le corps du malade pour
sa guerison. El voilà, mes frères, le fonde-
ment de la consolation des pécheurs, de sa-
voir que Jésus-Christ peut remettre les pé-
chés, et c'est pour leur donner celte conso-
lation qu'il a pris soin d'établir si solidement
celle vérité capitale de la religion. Mais s'il
veut que les Juifs tirent une conséquence en
faveur de ce qui ne paraissait pis a leurs
yeux, d'un fait constantdontils soûl témoins,
et qu'ils apprennent ce qu'il est capable de
produire daiu l'âme par ce qu'il opère en
780
leur présence, pourquoi, pécheur- qui I 'é-
routez et qui pei retourner à lui, M
ez-VOUS pas en voire faveur sur ce
■, i.i'. r des autres ? Une foule
de faits constants et de miracles extérieur!
se présente à vous pour confirmer cette
te vertu qu'il a de remettre
les péché* et d'opérer la conversion. lele*
les veux sur un persécuteur devenu un ajO-
Ire, el jugez, par le changement si extraor-
dinaire «le -a conduite, de celui a : lit
dans son âme. Considérez cette femme -i fa-
meuse dans l'Evangile p;;r ses déréglemei
une si célèbre par sa fidélité; 1 1 mm
nez-vo is que de pareils prodiges ne peuvent
être que des effets de la conversion du cour
qu'opèrela grâce «le Jésus-Christ ; mais n ou-
bliez jamais en mémo temps que Dieu ne
vous propose ces exemples fameux que pour
nourrir voire espérance, et entrez bien dans
cette pensée si consolante de saint Bernard,
qui considère ce qui se passa dans la salle
où entra celle femme pécheresse. Elle fit
couler, dit-il, un lorrent de larme en la pr -
sence du Sauveur, elle versa un parfum pré-
cieux sur ses pieds ; ce parfum répandit une
odeur qui embauma tous les conviés. // se
passe, dit ce saint docteur, quelque chose de
semblable dans la conversion de tous les pé-
cheurs : les larmes qu'ils versent sont les mar-
ques de leur conversion, on toit du change-
ment dans leur conduite, leurs bonnes actions
tiennent lieu d'un parfum précieux auprès de
Jésus-Christ, et après avoir baigné ses pyds,
il en sort une odeu- d'espérance propre à ré-
veiller et à encourager tous les pécheurs.
Prenez donc part à cette espérance, pé-
cheurs, soyez convaincus d'une vérité si im-
portante. Comme ce malade trouva des amis
qui l'aidèrent, le pécheur en trouvera
mémo qui le secourront : et quels serait si s
amis? Ce sont les membres de l'Eglise, SWf
frères, les fidèles qui prieront pour I .i. les
ministres de Jésus-Christ, les pasteurs de
l'Eglise qui p-endront soin de le porter, de
l'élever surletoil, de le découvrir pour le
lare descendre, et pour le placer auuresde
lésus-Cbrist.
Oui, pécheur, la foi, la charité de 1 Eglise,
les prières de tes frères t'ouvriront un che-
min et le mettront en mouvement pour ap-
procher de Jesus-Christ ; car les VOBUX H les
larmes de tout le corps de l'Eulise. que saint
Augustin appell I « gé nissemenl de la co-
lombe, obtiennent au pécheur le désir de sa
conversion pI In grâce pour la demander.
Mais les ministres de Jésus-Christ et les
pasteurs de son Eglise, comme les amis du
paralytique, le porteront. Or qu'est-ce que
de porter ce malade? c'est lui faire sen-
tir les effets dune charité compatissante,
éclairée, tendre et prudente, qui n'a rien le
rude, rien d'incommode, rien d'impérieux,
rien de rebutant, rien de précipite. Charité
dont l'apôtre saint Pauloousadooi él idé en
disant aux Cabales qu'if In "< comme
* font s qu'il avait déjà enfantés, et p ur
qui ii sentait de nouveau 1rs dotil urs d
fantement, jusqu'à w î*< Jcsus-Lltrtst fit
781
SERMON POUR LE DIX-HUITIEME DIMANCHE APRES LA PENTECOTE.
782
formé en eux : et en disant encore aux Thes-
saloniciens : Je me suis comme fait enfant
avec vous, de même qu'une nourrice qui flatte
et qui caresse ses enfants.
C'est dans ces expressions si touchantes
que lepécheurdoit reconnaître les sentiments
et la situation de ces amis fidèles que Dieu
envoie pour le soulager dans ses faiblesses
et pour l'aider dans l'exécution du désir de
s'approcher de Jésus-Christ qu'il a formé
dans son cœur. 11 faut donc qu'il s'abandonne
à leur charité et à leurs soins; il faut qu'il
les choisisse bien et qu'il ne se livre pas im-
prudemment.S'il tombe en de bonnes mains,
on saura s'accommodera ses faiblesses sans
le flatter dans ses passions, on saura lui
permettre ce qui se peut souffrir sans l'éloi-
gner des règles qu'il faut garder, on saura
étudier le degré de la grâce de Jésus-Christ,
on suivra son progrès, on examinera ses
opérations pours'ajuster à ses mouvements:
ainsi ces amis fidèles le porteront pour l'ap-
procher de Jésus-Christ, ils sauront l'élever
quand il en sera temps, en le détachant peu
à peu des pensées de la terre et de l'estime
des choses présentes , pour lui donner des
vues plus relevées et dignes d'un chrétien
qui est formé pour le ciel et destiné à jouir
de Dieu. Ils lui apprendront à se regarder
du côté de son âme, et non pas, comme il a
toujours fait, du côté de son corps qui doit
périr.
Mais, après l'avoir élevé, ils prendront
soin de découvrir le toit, et de faire en sa fa-
veur une ouverture aisée et faciie pour ap-
procher de Jésus-Christ, c'est-à-dire qu'ils
s'appliqueront à dissiper toutes les difficultés
qu'un défaut de pratique, qu'une crainte mal
fondée, qu'un reste de respect humain, et
que les égards de la coutume, qu'une fausse
délicatesse, que l'amour de nous-mêmes,
qu'on ne quitte point absolument, forment
toujours contre les suites de la conversion,
contre les œuvres de la pénitence, et contre
les mouvements qu'il faut faire pour s'ap-
procher tout à fait de Jésus-Christ et en re-
cevoir l'entière guérisoo des plaies de l'âme.
Ainsi déterminé par leurs conseils, animé
par leurs paroles, soutenu par leurs exem-
ples, il se ti ouvera aux pieds de Jésus-Christ.
Tvls sont les secours que le pécheur doit
attendre do la charité de ces amis fidèles
toi jqurs prêts à le conduire dans les voies
dvi salut, à I aider et à obtenir la guérison de
son âme, que le souverain médecin veut et
l lui accorder. Car, comme dit si bien
saint Augustin, il a plus d'envie de nous don-
ner que nous de recevoir, il désire plus do
nous tirer de nos misère i que nous ne sou-
haitons d'er. sortir: Plus vult ille misercri
quain vos a mil ria i.i-crari. Que l'homme
doue, ajoute le même saint Augustin, rou-
gisse de sa paresse : Erubescut humana pi-
gritia; car enfin le pécheur peut se rendre
digne d'obtenir sa conversion par sa con-
fiance en la vertu de son médecin, et par sa
soumission aux conseils de ses charitables
amis.
Il s'agit donc de vouloir guérir; car si ou
le veut sincèrement, cette volouté pleine et
sincère renfermera et la confiance en la
vertu de Jésus-Christ , et la soumission à
l'autorité et aux soins de ses ministres. 11
est vrai que c'est lui-même qui donne celte
volonté qu'il nous demande; mais fortifions
cette bonne volonté qu'il nous donne, par
nos désirs, par nos vœux, par nos transports
et par nos soins de nous séparer de tout ce
qui peut nourrir un amour contraire à cette
volonté.
Alors nous avancerons l'ouvrage de notre
conversion , nous nous rendrons dignes que
le médecin opère la guérison parfaite de nos
âmes , et nous nous trouverons auprès de
Jésus-Christ presque sans peine, et avec
une facilité qui vient de la douceur et de la
suavité du nouvel amour : car si vous dési-
rez votre conversion ardemment , disait
saint Paulin, vous trouverez le chemin court
et facile; mais vous le trouverez long et dif-
ficile, si vous le désirez froidement.
Achevons de vous faire sentir les consola-
tions que vous devez avoir dans votre con-
version; car peut-être nous direz-vous : Je
suis persuadé, je suis même certain que Dieu
peut me convertir, mais puis-je assurer- qu'il
le voudra? Les exemples que vous produi-
sez sont des preuves qu'il a le pouvoir de
remettre les péchés et de convertir ceux
qu'il lui plaît, mais sont-ce des assurances
pour moi qu'il me convertira ? Ce que je
puis vous répondre, mon cher frère, c'est
qu'il le veut, et que toutes les manières dont
il s'est expliqué sur cette volonté sont géné-
rales et regardent tous les pécheurs. C'est ce
qui t'ait qu'il dit lui-même qu'il est venu pour
appeler les pécheurs à la pénitence, que le
Fils de l'homme est venu pour chercher et pour
sauver ce qui était perdu , et enfin pour ne
pas multiplier ces témoignages à l'infini, l'a-
pôtre saint Paul nous dit que Jésus-Christ
est venu dans le monde sauver les pécheurs.
Voilà, mes frères, ce qu'a dit le Sauveur
lui-même , et ce qu'a dit son apôtre en son
nom ; voyons maintenant ce que Jésus-Christ
a fait pour nous.
11 s'est uni par une charité incompréhen-
sible à notre nature , il a voulu être une
portion de notre substance, un sang de no-
tre sang, une chair de notre chair, et tout
cela pour nous donner celte confiance si né-
cessaire à notre salut dans les faiblesses et
les péchés où nous sommes. // s'ett Inimitié
jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. Il y
a attaché 1$ péché } gui est le titre de la dam-
nation éternelle , et de son propre sang il en
a effacé les caractères. Quelles frayeurs no
doivent pas s'apaiser à la vue de cette hos-
tie divine ! Appuyez-vous sur les mérites de
Jesus-Chrisl , qui est l'Agneau innocent qui
a été immolé, el qui est sur le trône de la di-
vinité, sur lequel il peut dire qu'il portera
éternellement dans ses plaies el dans son
sang l'imagerie son sacrifice, afin de fléchir
la justice de'ou Père, el d'obtenir pour nous
les effets île sa miséricorde.
Enfin n'oublions jamais que, comme le sa-
lut vient de Dieu, la damnation ne vient que
;rj
IEURS SACRES. F)OM JEROME.
;\à
de nous. Adorons la justice de Dieu, qoi con-
damne tant de coupables; mais soyons as-
surés que ce n'est que par notre propre
faute que Dieu nous abandonne.il veut nous
sauver, il est mort pour tous, que tous donc,
espèrent. Adorons lout ce qui passe notre
Intelligence, mais soyons certains , comme
ledit le concile de Trente , que Dieu ne nous
abandonne qut parce que nous sommes les
premiers qui l'abandonnom. Allons donc ,
comme le dit l'Apôtre , nous présenter avec
confiance devant le trône de la grâce, afin d'y
recevoir miséricorde et d'y trouver les secours
de sa grâce dans nos besoins.
Voilà les consolations que j'avais promises
au pécheur, en* exposant les secours que re-
çoit notre malade paralytique de l'Evangile.
Écoutez, pénitents, vous en qui Dieu a opéré
la guérison des plaies de l'âme par le nouvel
amour, les instructions qui vous regardent;
nous les tirerons des avis que le Sauveur
du monde donne au paralytique qu'il a gué-
ri : c'est le second point.
SECONDE PARTIE.
Ce serait une étrange erreur , mes très-
chers frères, que de croire qu'un pécheur
que Dieu a converti par sa miséricorde n'ait
plus besoin de lui, et que, jouissant en paix
du bienfait de la guérison de son âme , il
peut en conserver les avantages, sans le se-
cours de nouvelles grâces , qu'il ne peut mé-
riter que par un travail continuel. A Dieu
ne plaise que nous entrions dans une pensée
si contraire aux principes de la religion ! car
c'est un article de la foi chrétienne que, sans
un secours spécial que Dieu ne donne pas à
tout le monde, nous ne pouvons demeurer
dans la justice, ni persévérer dans la grâce
jusqu'à la fin ; et c'est pour cela que l'Apôtre
exhorte les chrétiens à opérer leur salut avec
crainte et avec tremblement. Confirmons tou-
tes ces vérités par les avis que le Sauveur
du monde donne au paralytique; car, après
l'avoir guéri de sa maladie, il lui dit : Levez-
vous, emportez votre lit, et allez-vous-en en
votre maison. Apprenons donc, des avis qu'il
lui donne, les instructions que nous devons
suivre pour assurer la guérison de notre
âme et le rétablissement de la vie de Dieu en
nous, c'est-à-dire l'amour de Dieu, qui nous
donne des mouvements pour le salut et
nous fait marcher dans les voies de justice ,
qui nous conduit à notre maison , je veux
dire à la gloire éternelle , laquelle nous est
destinée, comme enfants de Dieu.
Le Sauveur ordonna trois choses à ce pa-
ralytique : 1° de se iever, surge, car il était
dans son lit, jacentem in lecto; 2' ce fut de
marcher, ambula, car il était paralytique et
incapable de tout mouvement, qui erat para-
ît/ticus; 3° ce fut de s'en aller dans sa mai-
son, vade in domum tuani, car il en était
éloigné. Or ces trois avis du Sauveur sont
les trois importantes instructions qu'il faut
expliquer au pénitent qui veut conserver
la santé de son âme opéiéc par-«a conver-
sion.
Il faut donc d'abord qu'il seule combien il
est beureux pour lui de pouvoir être levé ,
surge; et pourquoi cria'.' c'est qne le péché
est une effroyable chute • l'Ecriture n'en a
jamais parlé autrement. Bll effet, saint Jean
nous l'apprend eu parlant du péché de
l'ange. Cumulent es-tu tombé du ciel, Lucifer,
toi '/ui paraissais si brillant au point du jour !
Et l'apôtre saint l'aul, qui exhorte les Bphé-
sieni à quitter le péché , leur dit : Levez-
vous , vous gui dormez; sortez d'entre les
morts, et Jésus-< in tst vous éclairera. Celle
expression de saint l'aul, qui joint les ténè-
bres a la chute, nous apprend comment le pé-
ché en est une véritable, que nous ne faisons
qu'a cause que nous fermons les yeux à la
lumière; mais pour la bien comprendre il
faut se représenter ce que c'est que l'homme
revêtu de la grâce de Jésus-Christ, et ce que
ce même homme devient lorsqu'il en est dé-
pouillé par le péché.
Le prophète royal nous marque l'un et
l'autre lorsqu'il nous dit : L'homme étant
dans l'honneur ne l'a pas compris ; il a été mis
au rang des bêles sans raison, et il leur est
devenu semblable. Vous voyez dans ces pa-
roles une idée de ce que l'homme est par la
grâce et ce qu'il devient par le péché. Sa di-
gnité est d'avoir été créé à l'image de Dieu ,
d'avoir reçu de son Créateur le pouvoir de
le connaître cl de l'aimer; sa dignité est d'ê-
tre le frère de Jésus-Christ, et par lui enfant
adoplif de son Père éternel, l'héritier de sa
gloire, élevé au-dessus de tout ce qui est pé-
rissable et destiné à posséder des biens infi-
nis et étemels : voilà ce qu'il est par la
grâce. Mais qu'est devenu cet homme par le
péché? il est mis au rang des bêtes , il a ef-
facé l'image de Dieu en lui pour port> r celle
du démon ; il a renoncé à la dignité d'enfant
de Dieu pour se rendre l'esclave de sou en-
nemi; il a méprisé son héritage et les biens
infinis qu'il lui avait préparés, pour courir
après un fantôme et pour suivre ce qui n'a
qu'une vaine apparence de bien.
Voilà la chute déplorable que le péché fait
faire à l'homme; voilà les funestes effets de
son attachement à la terre et de ce repos
trompeur et criminel qu'il cherche dans la
jouissance déréglée des créatures qui fait ce
renversement. 11 devient semblable aux bê-
tes, et comme elles il agit sans connaissance
et sans raison. De là . mes frères , il est aisé
de comprendre le bonheur d'un pénitent qui
se sent capable, par la grâce de Jesus-Chrisl,
d'être relevé ; car c'est ai oir quitte cette v oie
d'égarement qui nous conduit à notre porte,
c'est avoir quitté la créature pour l'Etre
souverain, et mépriser ce qui passe si légè-
rement pour ce qui est éternel: c'est estimer
les choses ce qu'elles raient : Dieu sur lout,
les créatures par rapport à Dieu; l'élerniie
prélérablemenl à toutes choses, et toutes
choses dans l'ordre du salut éternel et comme
des moyens et des voies pour y arriver. Mes
frères, la foi seule ne suffit pas pour le saint,
il faut des œuvres; la voie du salut est l'u-
nion de la foi et des <euvres. l.e juste et
l'homme de bien, c'est celui qui croit comme
l'Eglise et q ii i agit comme il croit.
Sur ces principes-là qui appartiennent à
785
SERMON POUR LE DIX-HUITIEME DIMANCHE APRES LA PENTECOTE.
78<i
la foi , quel est le véritable pénitent? c'est
celui qui , ayant renoncé à son péché , l'ex-
pie par la satisfaction et par les oeuvres la-
borieuses ; car vouloir simplement le détes-
ter, ce n'est pas, dit le pape saint Grégoire,
être un véritable pénitent; il faut non-seule-
ment que l'amour de Dieu en forme dans le
cœur une détestalion sincère , mais il faut
encore que le même amour nous applique
à l'effacer par une satisfaction sérieuse , lé-
gitime, proportionnée, sage et laborieuse.
Voilà la première règle renfermée dans le
premier conseil que Jésus-Christ donne au
paralytique de noire évangile.
La seconde renferme un des principaux
moyens pour accomplir ce premier précepte
et pour acquérir la solidité si essentielle à
la conversion, et c'est proprement la pre-
mière œuvre du pécheur converti, ou la pre-
mière démarche du pénitent qui vient de se
lever et qui est debout : elle consiste à em-
porter son lit. Qu'est-ce que cela signifie, et
comment emporte-t-on sou lit? c'est en
éloignant toutes les occasions du péché , en
ôlant tout ce qui a pu servir à l'iniquité, en
se privant des choses dans lesquelles le pé-
cheur prenait un repos criminel ; il faut qu'il
n'en paraisse ni trace ni vestige; le lit du
paralytique est enlevé, on n'en voit plus
rien.
Cette seconde règle est fondée sur cette
vérité, essentielle dans la doctrine de la pé-
nitence, qu'il ne peut y avoir de vraie et so-
lide pénitence si ou ne se sépare de toutes
les occasions du péché; car pour qu'elle soit
véritable elle doit être sincère, et comment
pourrait-elle être sincère si on conserve en-
core quelque chose qui appartienne au pé-
ché ? Non, mes frères, cela ne peut pas être,
on rejette bien loin et on éloigne de devant
ses yeux ce qu'on hait véritablement. Pour
être parfaite elle doit être de durée, car toute
pénitence qui est suivie d'une prompte re-
chute dans le péché n'a point ce qui doit la
faire passer pour véritable, au jugement des
saints Pères de l'Eglise, et comment pourra-
t-elle être de durée si vous conservez des
choses qui par elles-mêmes vous portent à
retomber dans le péché?
Il faut donc quitter les compagnies dan-
gereuses par elles- mêmes ou par la dissipa-
tion qu'elles procurent, rompre tous ces
commerces illicites , abandonner ceux dont
la société nous entraîne dans le désordre : il
n'y a sans cela ni conversion, ni pénitence,
ni guérison.
Enfin, la troisième règle consiste à donner
des preuves solides et sensibles du rétablis-
sement de la santé : car non-seulement il
faut que le Lt soit ôlé et qu'il ne paraisse plus
aucun vestige de maladie, mais il faut qu'on
voie des marques du rétablissement par la
pratique des œuvres contraires aux faibles-
ses de la maladie et aux désordres du péché.
// se leva en même temps, dit l'Evangile, il
emporta son lit et s'en alla. Ceci nous figure
une vérité fondamentale dans l'œuvre de la
justification, c'est que tout homme qui est
justifié doit être une nouvelle créature en Jé-
sus-Christ; car comme cet homme qui avait
été créé à l'image de Dieu a été tellement
défiguré par le péché qu'il n'était plus re-
connaissable, il faut que la grâce de Jésus-
Christ le renouvelle, qu'elle forme en lui de
nouveau les traits d'enfant de Dieu sur Jésus-
Christ, qui est l'original et comme l'image
de Dieu invisible, et c'est ce qui se fait parla,
pratique des vertus. Et de même que l'image,
du vieil homme a été formée en nous par ses.
œuvres, comme parle saint Paul, qui senties
actes du péché qui nous avaient rendus ses
esclaves, il faut que l'image de Jésus-Christ
soit formée en nous par les œuvres, c'est-à-
dire par des actions contraires à celles qui
Pavaient effacé. Ainsi, ce paralytique qui
était couché se lève ; il languissait sur son
lit, il le porte et il s'en va dans sa maison en
rendant gloire au Seigneur : c'est ce qui est
renfermé dans le troisième conseil que Jésus-
Christ lui donne.
Or, mes frères, il est aisé de comprendre
ce que c'est que d'aller dans sa maison, pour
un homme que la grâce de Jésus-Christ a
converti, à qui il a ouvert les yeux pour lui
faire voir la chute et l'aveuglement déplora-
ble de son chois, à qui il a fait rompre les
liens qui l'y tenaient encore attaché, et à qui
il a donné la force d'emporter son lit et de
marcher. Qu'est-ce pour cet homme-là que
d'aller dans sa maison? c'est de n'avoir qu'un
désir, et de dire comme le Prophète : J'ai de-
mandé à Dieu une chose, et je la lui deman-
derai toujours, qui est d'habiter dans la mai-
son du Seigneur. Imaginez- vous, mes frères,
quelle dut être la pensée de ce paralytique
lorsqu'il se vit guéri : ce fut sans doute de
retourner dans sa maison pour faire part de
sa joie et de son bonheur à sa famille, et de
jouir avec eux du rétablissement de sa santé.
Il était sans doute dans l'empressement d'al-
ler prendre comme une nouvelle possession
de ses biens, qu'il avait perdus en quelque
sorte , parce que son incommodité l'avait
empêché d'en jouir. Telle doit être la dispo-
sition d'un pécheur converti : il ue doit plus
avoir de pensée que pour la maison du Sei-
gneur, que pour cet héritage éternel : sem-
blable au peuple de Dieu retournant à Jéru-
salem après une longue captivité : Je me ré-
jouis, disait ce peuple, à cause de ce qui m'a
été dit que nous irons dans la maison du Sei-
gneur. L'amour des biens présents ne doit
plus être dans son cœur; relevé de sa chute
funeste, il ne doit plus porter sa vue que vers
celle Jérusalem céleste; il ne doit plus se
proposer que l'acquisition de ce bien unique
dans tous les moments de sa vie; il doit être
attentif à considérer si tout ce qu'il entre-
prend et tout ce qu'il fait le conduit à celle
fin; il doit se dire souvent à lui-même : Le
Seigneur m'ordonne d'aller dans ma maison,
ce que je fais ne m'en détourne-t-il point? Al-
ler dans sa maison, c'est employer le moyen
qui peut nous faire arriver à cette fin uni-
que, c'est-à-dire l'amour do Dieu qui peut
nous conduire tous dans celte maison, ne dé-
sirant, ne faisant que ce qui nous y peut in-
troduire, ne le faisant que pour plaire à Dieu,
^87
ORATEURS SACHES. l.OM JEROME.
'
ci n'agissant qu'à cause qu'on l'aime si en
l'aimant, et pour l'aimer durant tonte l'éti -
Élite. Celui «|ui vil de celle manière rend
gloire À Dieu, quelque long que soit soit
voyage et quelque temps que le Seigneur
veuille différer l'heuveux moment de sou
rappel.
Voilà, nies très-chers frères, l'exposition
simple et naturelle des avis que le Sauveur
du momie donne au paralytique de notre
évangile après l'avoir guéri, et dans ces avis
les instructions que le pénitent doit suivre
servent à confirmer sa guérison et à sortir
entièrement de cette paralysie de l'âme, si
commune et si dangereuse, figurée par celle
de cet homme; mais à quoi noua servirai! de
les avoir reçus si nous ne recourons à celui
qui peut seul nous mettre en étal de les sui-
vre? C'est donc à vous, ô mon Sauveur, que
nous avons recours I Nous croyons que vous
êtes le souverain et l'unique médecin de nos
âmes, que vous avez la puissance et la vo-
lonté de nous guérir, et nous recourons à
votre miséricorde pour vous supplier de nous
guérir, comme vous avez guéri le paralyti-
que de notre évangile.
Adressez-nous, Seigneur, à des amis fidè-
les qui prient pour nous, mais qui ne nous
entretiennent point dans nos maladies par
une lâche complaisance , et qui , dans la
crainte de nous causer quelque douleur pré-
sente, ne nous exposent pas à en souffrir
d'effroyables dans l'éternité, mais qui nous
portent à vous et qui n'aient d'autre soin que
de nous approcher de vous.
Donnez -nous cette conGance en votre
vertu, qui ne peut venir que de votre grâce;
cette soumission aux conseils de ceux qui
nous portent à vous, qui ne peut être qu'un
effet de celte foi vive qui vient de vous. Oué-
rissez-nous, Seigneur, et alors nous serons
guéris. Si une fois nous le sommes, nous
marcherons dans les voies de la justice, et
toujours soutenus par de nouveaux secours
de votre grâce qui surmonteront toutes nos
faiblesses, nous avancerons à grands pas
vers cette maison permanente où nous trou-
verons uu repos éternel. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LA FÊTE OE SAINT MAUR, ABBÉ.
(15 janvier.)
Gratia Dei suai id quod suui, et gratis ejus in me vacua
nofi fuit.
Ce que y suis, c'est par la grâce de Dieu que je le suis,
et sa grâce n'a point été inutile en moi (l Cor., XV, 10).
Comme c'est la miséricorde du Sauveur qui
fait les saints, on ne peut parler d'eux sans
exposer leur conduite aux yeux des chré-
tiens comme uu modèle qu'ils doivent imiter,
et sans découvrir la conduite de la grâce sur
eux et leur conduite par la grâce. C'est, mes
frères, l'idée que j'ai prise dans ces paroles
de l'Apôtre pour l'appliquer au grand saint
Maur, de qui la solennité nous assemble :
Gratia Dei mm id quod sum : C'est la miséri-
corde du Sauveur qui l'a élevé à ce point de
saiuteté qui le rend l'objet de notre vénéra
tiou, el c'est en suivant les mouvements
de
11- n'j est ,-irri\é. A < 1 ! j . . i l»C
i cil qui l'a prévenu t el lâchons
livre I - menti de cette grdet qui
l'a conduit. Voyons comme i
point clé inutile en lui, examinons se< u| -
ratio
quel* mouvements il est a oint de
sainteté qui le r< ad aujourd'hui l'obji t des
honneurs qu'i reçoit. Or. o i peut eonsi I
rcr la grâce du Sauveur dans ce . il
en irois différents temps, qui ont part
toute sa vie : dans sou commencement, dans
son progrès, dans sa consommation.
Dans son commencement, elle est cou r-
vée par les soins d'u n -éducation l ule saii.
première partie ; dans son progrès, elle Oit
augmentée par les exercices dune vie lab >-
rieuse: deuxième partie; cel . ne lui
ayant point été donnée pour lui seul, nous
ajoutons que dans sa consommation elle est
communiquée par les effusions d'une char, té
ardente : troisième partie.
Voilà les opérations de la grâce en saint
Maur. Demandons les lumières du Saiul-!.
prit. Ave, Maria.
PUUIÈBB PAKTIE.
La miséricorde que Dieu fit à saint Maur
consista d'abord, nies frères, à disposer les
choses de telle sorte qu'étant sort, du inonde
dès sa tendre jeunesse, il le conduisit dans la
solitude de Sublac , où l'innocence el la
grâce dont il l'avait prévenu furent conser-
vées par les soins d'une éducation sa. nie.
Mais je ne puis vous exposer parfaitement
toutes les circonstances de celle miséricorde
cl de ce premier mouvement de la grâce, sans
vous parler de trois personnes qui y eurent
part. La première, c'est Equice, père de saint
Maur, qui le présenta au monastère; la se-
conde, ce fut saint Benoît, qui le reçut: ella
troisième, ce fut saint Maur lui-même, qui y
enlra; et pour exposer loutes les circonsl
ces de cette miséricorde, il faut reconnaître
la sagesse d'Kquice qui le présente, la sain-
teté de saint Benoit qui l'instruit, et le bon-
heur de Maur qui reçut ses instructions.
Toutes ces choses sont admirablement dispo-
sées par la Providence, et elle les fail entrer
dans l'ordre des desseins qu'elle a formés sur
notre saiul.
En effet, mes frères, ne doit-on pas recon-
naître que ce fut un effet des dispositions de
la Providence d'inspirer à Equice de quitter
Rome pour aller visiter saint Benoit daus la
solitude de Sublae, et pour être témoin des
merveilles que Dieu opérait eu la personne
de ces saints solitaires, el cela non par une
simple curiosité, mais avec le dessein de
mettre son enfant entre les mains de saint
Benoit pour le charger des soins de son i do-
câlionï Ne faut-il pas dire que ce fui 1'.
d'une sage-se admirable que Dieu av. il ri
sée dans Pâme de ce g and seigneur? Car y
a-l-il rien de si oppose a l'esprit du monde
que celte conduite? quelle éducation pouvait
recevoir dans une solitude le Gis d'un séna-
teur romain? que pouvait apprend parmi
des solitaires un jeune homme né dans l'é-
clat, et des 90 le cours de sa fortune,
789
SERMON POUR LA FETE DE SAINT MAUR.
790
à entrer dans celle de son père et à succéder
à ses charges et à ses emplois? Mes frères,
il fallait qu'Equice fût prévenu des lumières
d'une sagesse toute divine pour ne vc.irdans
son fils que la qualité de chrétien, et pour
oublier sa naissance et sa fortune; pour ne
voir que les périls du inonde, et n'eu consi-
dérer la grandeur et l'état que comme un
obstacle au salut; pour s'oublier enfin lui-
même, étouffer sa tendresse, renoncer à son
enfant, et ne se souvenir uniquement que de
son devoir et de l'importante obligation de
conservera Dieu ce qu'il avait reçu de lui.
Reconnaissons donc la sagesse d'Equipe,
qui le présente malgré les fausses lumières
de la sagesse trompeuse du monde, et admi-
rons aussi la charité de saint Benoît, qui in-
terrompt sa retraite et qui ouvre son monas-
tère pour y recevoir des personnes dont la
manière et la conduite sont si opposées à
celles des solitaires Mais Dieu avait destiné
ce grand saint pour travailler dans le cin-
quième siècle au rétablissement de la disci-
pline de l'Eglise, qui lui est redevable de
beaucoup de choses. Considérons que la cor-
ruption des mœurs s'introduit dans l'Eglise,
quelque soin que les évêques prennent d'in-
struire en public et de s'élever contre les
vices, si l'on ne prend soin dans les familles
d'élever les entants selon l'esprit de l'Evan-
gile. Car si on les élève selon l'esprit du
monde, à mesure qu'ils avanceront en âge,
et même qu'ils participeront à nos saints
mystères, ce seront de nouveaux ennemis de
la discipline qui fortifieront le parti de la
corruption. Il n'y a donc presque que par la
sainte éducation des enfants qu'on puisse ré-
tablir la pureté de la discipline.
Ce fut ce zèle pour la beauté de l'Eglise qui
obligea saint Benoît d'ouvrir ses monastères
aux enfants pour les y recevoir, et de les ad-
mettre dans la solitude pour y conserver l'in-
nocence de leur baptême et les établir dans
l'esprit du christianisme, afin que si Dieu
les rappelait ensuite dans le inoude, ils fus-
sent plus capables de résister à sa corrup-
tion, et qu'ils pussent porter aux autres l'o-
deur de la vertu dont ils s'étaient remplis
dans le monastère. Il ne quittait pas sa so-
litude pour aller les chercher, mais il leur
permettait d'y venir sucer la piété dans un
âge où on ne devait pas craindre qu'ils y ap-
portassent la corruption. Saint Maur était
dans cet état lorsqu'il y fut offert par Equlce.
sou père, et saint Benoit n'hésita pas à le
recevoir; car, outre ces vues générales de
charité, il en oui de particulières sur sa per-
sonne: il était son parent, et cette alliance
l'intéressait davantage dans son salut.
Ce fut ainsi que la provider.ee de Dieu dis-
posa ce qui était nécessaire pour faire réus-
sir les desseins qu'elle avait formés sur saint
Maur, et que ce jeune homme se vit heureu-
sement dans un lieu propre à conserver son
innocence et à augmenter la miséricorde de
Dieu et les dons qu'il avait mis en lui. (Juel
avantage pour ce j une homme 1 II est ravi
au monde dès l'âge de douze ans, afin que la
malice n'altère point sou innocence, il porte
le joug du Seigneur dès sa jeunesse, et s'at-
tire par Là mille bénédictions. Il n'a jamais
connu le monde : qu'heureuse est l'igno-
rance qui nous empêche de connaître ce que
nous n'apprenons jamais sans nous exposer
au péril de nous perdre! Je ne m'arrêterai
pas davantage à vous décrire le bonheur de
saint Maur, et à vous marquer le progrès
qu'il fit sous la conduite d'un si saint maître;
vous le verrez par la suite de sa vie dans la
deuxième partie, après que j'aurai fait
quelques réflexions sur les mouvements de
la Providence sur sa personne. Nous avons
donc reconnu la sagesse de son père, qui l'a
présenté; la charité de saint Benoît, qui l'a
reçu, et son bonheur à lui-même d'avoir été
offert : de là je tire trois conséquence;, et je
fais trois réflexions.
1°1. a sagesse d'Equice, qui s'est conduit
d'une manière si chrétienne dans l'acquit de
ses obligations de père, ma que à tous ceux
qui le sont ce qu'ils doiveut aux enfants qua
la Providence leur a donnés : il faut que ,
comme Equice, ils aient en vue le salu! de
leurs enfants avant toute autre c'iose, qu'ils
songent à l'obligation de les rendre à Uicu
de qui ils les ont reçus ; que, dans quelque
état qu'ils embrassent, ils leur apprennent
que le capital est de se consacrer à Dieu, en
ne perdant jamais de vue les principes de la
religion ; et comme ils sont chargés de leur
éducation, dont ils doivent répondre au ju-
gement de Dieu sur leur salut, ils doivent
penser sérieusement à chercher les moyens
de satisfaire à celte importante obligation.
2° La charité de saini Benoit et les qualités
de ce grand saint, qui reçoit saint Maur dans
son monastère, m'apprennent que si Dieu
permet aux pères et aux mères chrétiens de
se décharger de l'éducation de leurs enfants
sur des personnes à qui ils les contient, il
faut que ces personnes soient destinées de
Dieu à cel emploi et Choisies avec beaucoup
de soin : car il n'y a rien de plus nécessaire
et de plus difficile que de trouver une per-
sonne à qui vous paissiez confier l'éducation
de vos enfants. C'est là une obligation es-
sentielle de votre état, et nue des plus gran-
des affaires et des 5>lus importantes de votre
condition.
3° Enfin quel bonheur pour saint Maur de
lomber entre les mains d'un aussi excellent
maître que saint Benoît! Le bonheur ou le
malheur éternel dépend presque toujours île
la bonne ou de la mauvaise éducation qu'on
leur donne : ils n'ont presque que ce seul se-
cours par le moyen duquel ils peuvent con-
server l'innocence de leur baptême, et on ne
connaît point assez que la perte de celte in-
nocence est la source malheureuse de tous
les désordres de la vie que l'on cher, ne sou-
vent ailleurs, comme sa conservation est la
source de tous les biens. Vous ressehtet tous
les jours dans vos familles l«s suites déplo-
rables de celle perte dans le dérèglement >>e
la vie de vos enfants, et vous les ressentez
tonj >ur> sans le connaître. Vous allez \ i
les suites heureuses de sa conservation dans
la conduite de seint Maur, en qui.cllc lut con-
791
ORATEURS SACRES. DOS! JEROME.
ras
scrvéc par les soins d'une éducation sainte,
mais en qui elle fut augmentée par les exer-
cices d'une ne laborieuse : c'est le sujet du
deuxième point.
DEUXIÈME PARTIE.
C'est une erreur dangereuse que de croire
qu'on puisse avancer dans l'ouvrage de la
perfection et voir croître en nous les dons
qu'il a plu* à Dieu d'y mettre par sa miséri-
corde, si nous n'y travaillons avec soin, et
ui nous ne nous appliquons à les augmenter
parles exercices d'une vie laborieuse. Saint
Augustin remarque que les hommes tombent
pour l'ordinaire dans l'un de ces deux e\cès,
qui ruinent l'économie de leur salut et de
leur perfection : les uns l'attribuent à leurs
propres œuvres, et, ne regardant jamais que
leurs actions, ils négligent de recourir à la
miséricorde de Dieu, qui commence, qui sou-
tient et qui couronne en nous toutes nos œu-
vres. Les autres ne regardent que la miséri-
corde de Dieu, ils ne nous parlent que de l'ef-
ficacité de la grâce de Jésus-Christ, et, né-
gligeant d'entrer dans les voies que la loi
leur enseigne, ils attendent la perfectionna
sainteté et la gloire sans vouloir travailler à
l'acquérir; ainsi les uns se perdent parce
qu'ils sont négligents, et les autres parce
qu'ils sont présomptueux. Or, mes frères, on
ne peut prendre trop de précautions contre
cet abus, et voici, selon saint Augustin, ce
qu'il faut faire pour l'éviter. 11 faut marcher
entre l'orgueil et la paresse, il ne faut être
ni superbe ni négligent : on est superbe lors-
qu'on se croit capable de faire quelque
chose par soi-même pour le salut éternel, et
on est négligent lorsqu'on ne veut rien faire
du tout. Notre grand saint évita admirable-
ment ces deux excès : il ne fut point super-
be, et il reconnut toujours devant Dieu que
la grâce l'avait fait ce qu'il était, que c'était
elle qui l'avait choisi, que c'était elle qui
l'avait séparé du monde, que c'était elle qui
l'avait conduit dans la solitude; mais il ne
fut point négligent, il reconnut qu'il fallait
travailler, que la vie du chrétien, et par con-
séquent celle du religieux, est une vie labo-
rieuse, et qu'on n'arrive ni à la perfection
ni à la sainteté que par le travail. Il recon-
nut que la solitude n'est propre qu'à faire
des superbes ou des malheureux, quand on
ne s'y occupe pas dans les emplois qui con-
tiennent aux solitaires.
Les saints Pères donnent trois différentes
occupa lions aux solitaires, et ce sont celles qui
onl partagé toute la vie de saint Maur : la
première, c'est la prière, qui occupe l'esprit
et le cœur; la seconde, c'est lamortificalion,
qui combat les désirs des sens; la troisième
c'est le travail, qui applique le corps. Il est
impossible que notre solitude soit sainte
sans la pratique de ces vertus. Sans la
prière et l'oraison, notre esprit s'élève et no-
tre solitude nous rendant vains et superbes,
nous ne devenons tout au plus que des phi-
losophes orgueilleux. Sans la mortification,
nos sens cherchent à se satisfaire, et se plon-
geant daus une espèce de sensualité raffinée,
nous ne sommes qae des voluptueux. Sans
le travail, notre corpi s appesantit daus une
honteuse oisiveté, et nous ne sommes que de
lâches fainéants.
\ oici donc, mes frères, quelle a été la vie
laborieuse de saint Maur dans la solitude :
son esprit a été continuellement appliqué à
Dieu par l'oraison, ses sens combattus et
comme éteints dans leurs désirs par une sé-
vère mortification, et son corps exercé par
un travail persévérant. Voilà les exercices
de celte vie laborieuse par où saint Maur a
augmenté le don que la miséricorde de Dieu
avait mis en lui. Lisez sa vie, mes frères, et
vous y verrez la pratique exacte de tous les
exercices des solitaires : vous verrez que son
oraison fut continuelle; car, sans parler des
psalmodies et des veilles de la nuit qu'il fai-
sait en commun avec ses frères, auxquelles
il se préparait en récitant tout le psautier en
son particulier, il fui toujours dans l'exercice
decelte oraison que l'esprit de Dieu forme en
nous, c'est-à-dire dans un désir continuel de
Dieu, dans un amour persévérant, dans un
gémissement à la vue de ses misères qui
vient de la charité.
Tel doit être l'exercice et l'occupation d'un
solitaire que saint Jean nous a marque dans
ces paroles : Vox clamantis in désert* :
C'est une voix qui crie dans le désert. Il faut
qu'il ne lève jamais les yeux de dessus lui-
même : il y verra un horrible désert et une
affreuse stérilité, une terre qui ne pousse
que des épines et des ronces, c'est-à-dire une
âme plongée dans la faiblesse, un cœur tout
rempli d'imperfection, un fonds inépuisable
de misères. Cette vue continuelle de son
néant l'obligera de crier vers Dieu; tout son
emploi ne sera plus qu'un cri du cœur vers
lui. pour en obtenir le secours, et ainsi il ne
sera plus qu'une voix, criant incessamment
dans son désert : Miséricorde : Vox claman-
tis. Mais, comme cet esprit d'oraison qui
nous tient dans l'humilité en nous décou-
vrant notre fonds nous fait voir en même
temps combien nos sens et notre corps don-
nent des secours à ce mauvais fonds pour
l'entretenir et pour l'augmenter, il nous dé-
couvre aussi l'obligation où nous sommes de
combattre incessamment les désirs des sens
par l'exercice d'une mortification continuelle.
En effet la pénitence de Maur était excessi\e
et paraît incroyable à ceux qui la mesurent
selon les forces humaines. Fauste, son con-
frère, qui en avait été le témoin oculaire, as-
sure qu'il ne quitta jamais le ciliée, qu'il
n'avait point d'autre lit qu'un amas de chaux
et de sable, sur lequel il prenait uu peu de
repos, et qu'encore il trouvait ce lieu de re-
pos trop délicat, de sorte qu'il dormait de-
bout ou assis, quand l'excessive lassitude l'y
contraignait. Son jeûne fut toujours très-ri-
goureux, cl. le voulant rendre plus sévère
aux jours destinés par l'Eglise à la pénitence,
il se contentait deux fois la semaine de
prendre un morceau de pain sec, .1 l'imita-
tion de saint Benott, qui passa tous les ca-
rêmes de la même sorlc. Les désirs des seus
ne s'accommodent guère à ce genre de vie,
793
SERMON POUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL.
7M
qui ne l'exemptait pas même des fatigues
d'un travail presque continuel : vous l'eus-
siez vu, dans le bâtiment des monastères
dont il a plu à la Providence de le rendre
fondateur, abattant le bois, labourant la
terre, portant le ciment et la chaux, roulant
les pierres , et ne craignant point d'appli-
quer aux exercices d'un manœuvre des
mains dont Dieu se servait pour opérer de
grands miracles. Tels furent les travaux de
saint Maur, et tels furent les moyens dont il
se servit pour augmenter le don de Dieu et
accroître la grâce de Jésus-Christ en lui. On
n'oserait , mes frères, vous proposer une
semblable conduite pour exemple : la seule
idée de ce genre de vie est capable de vous
effrayer; mais au moins regardez-la comme
un reproche de votre lâcheté et comme une
condamnation de votre mollesse; car on peut
tout avec la grâce du Sauveur. Souvenez-
vous-en la regardant, que la vie du chrétien
est une vie de pénitence, et pensez à la vô-
tre; souvenez-vous que vous avez contracté
au baptême l'engagement de suivre Jésus-
Christ et de porter la croix après lui comme
saint Maur : voyez si vous songez à vous en
acquitter ; souvenez-vous enfin que vous
prétendez à la même gloire que ce grand
saint s'est acquise par tant de travaux, et
reconnaissez devant Dieu ce que vous faites
et ce que vous souffrez pour la mériter.
Mais il est temps de dire un mot des effu-
sions d'une charité si ardente et augmentée
par tant de travaux : ce sera la matière de
ma troisième partie.
TROISIÈME PARTIE.
Il faudrait, mes frères, un discours entier
pour vous marquer toutes les circonstances
des effusions de la charité du grand saint
Maur, et encore ne pourrais-je le faire qu'im-
parfaitement. Rien n';ipproche davantage de
l'apostolat que la mission de cet illustre solitai-
re, et si j'avais le temps de vous en décrire les
circonstances, vousy verriez, mes frères, une
idée fort naturelle de la conduite des apôtres
dans les fonctions de leur ministère : en ef-
fet, l'idée de la mission des apôtres doit être
prise sur celle du Fils de Dieu, puisqu'il a
dit lui-même dans l'Evangile qu'il les en-
voyait comme son Père l'avait envoyé. Or, il
faut considérer dans la mission du Fils de
Dieu le motif de son entreprise, c'est l'a-
mour des hommes; la conduite de celte en-
treprise, qu'il a soutenue malgré les peines
elles travaux qu'il a fallu souffrir; enfin
l'exécution de cette entreprise qui s'est ache-
vée par les miracles et les prodiges qui l'ont
consommée.
La mission des apôtres étant donc prise
sur celle du Fils de Dieu, on doit dire que la
charité en a élé le motif, que les peines et les
travaux en ont traversé l'exécution, et qu'en-
fin les prodiges et les miracles l'ont confir-
mée ; c'est ce que nous trouvons dans celle
de saint Maur : la charité en est le motif, les
travaux en font l'épreuve, et les prodiges en
couronnent l'exécution.
Celte charilé-qui l'anime dans l'entreprise
régue partout, et elle le rend fort dans les
épreuves et agissant pour l'exécution. Quel
autre motif pouvait-il avoir que le désir du
salut de ses frères, lorsqu'il prit la résolu-
tion de se séparer de saint Benoît et des chers
confrères de sa solitude, pour venir établir
un monastère de son ordre, qu'un évêque du
Mans avait demandé avec de grandes instan-
ces à saint Benoît? Quelle autre force que
celle qui nous est donnée par la charité pou-
vait être capable de le soutenir au milieu
des peines et des travaux qu'il endure dansce
voyage, des contre-temps qui lui arrivèrent,
des persécutions qu'on lui suscita? 11 n'y a,
mes frères, que l'amour de Dieuet celui du sa-
lut de nos frères, il n'y a qu'une ardente cha-
rité, qui cherche à se répandre parce qu'elle
est pressée par son abondance, qui puisse
soutenir au milieu de ces épreuves l'âme
d'un solitaire né pour les délices innocentes
de la retraite et pour le repos sacré du dé-
sert. Mais, semblable à ces torrents qui tom-
bent du haut des montagnes, et qui, après
avoir roulé leurs eaux dans le désert, vien-
nent faire de grandes inondations dans la
campagne, où ils entraînent tout ce qui s'op-
pose à leur passage, saint Maur, sorti de sa
retraite par charité, pressé par les ardeurs
de cette vertu qui l'anime, ne trouve rien
de difficile dans son entreprise, et passe par-
dessus tous les obstacles qu'où lui veut op-
poser, de quelque part qu'ils lui viennent.
Dieu enfin couronne les ardeurs de cette
charité par un heureux succès. Les marques
de son apostolat paraissent par les miracles,
par les prodiges et par les effets extraordi-
naires de la puissance divine. EnGn l'établis-
sement de son ordre en France, les grands
biens que l'Eglise en a reçus, et le rétablis-
sement de ce même ordre dans cette célèbre
congrégation qui porte son nom, congréga-
tion qui a été chercher l'esprit de saint Be-
noît dans les cendres des dignes enfants de
cet illustre père, pour représenter sous son
invocation l'image de celte première ferveur
des anciens moines et les fruits de leurs tra-
vaux pour le service de l'Eglise, sont les
marques visibles et éclatantes de la charité de
ce grand saint, et l'effet des soins qu'il a pris
de communiquer le don qu'il avait reçu de la
miséricorde de Dieu. 11 en a reçu la* récom-
pense, mes frères, car Dieu preud plaisir à
couronner ses propres dons dans ceux eu
qui il lui a plu de les mettre. Mettons-nous
donc en étal de voir couronner en nous ceux
qu'il y a mis. Appliquons-nousà les conser-
ver, travaillons à les augmenter, et atten-
dons-en la récompense dans l'éternité. Je
vous la souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LA FÊTE DELA CONVERSION DE SAINT PAl'L.
(25 janvier.)
Mon misericordlam Dei coosecuius smn, ni in me primo
oslcnderct Uirisius JetUl omnem patietiiiain, ad informa-
lionc.m eorura qui rredllori snnt illi.
Jésus-Christ m'd fait miséricorde, pour frire, paraître en
moi le promet la parfaite patience , el pour donner en nui
personne un modèle a ceux qui croiront en lui (I Tintoth .
I. 16]
Ce n'est point, mes frères, la fêle de saint
798
ORATEURS SACRES. I»n\f JEROMI
7 G
Paul <|ue je viens célébrer dans ce lemple
sacré, <>ù la piôlé nooi assemb e; ce ne sont
point les louanges de eel apôlreqae je viens
raconter aux fidèles : ce sont les miséricor-
des du Seigneur que je viens exposer auv
pécheurs clans ce discours.
Saul a reçu miséricorde, c'est la gloire de
ce persécuteur devenu un apôtre ; mais ce
persécuteur est converti pour devenir comme
un modèle et un exemple à ceux qui croi-
ront en Jésus-Christ : voilà ce qui doit rele-
ver notre espérance, quelque grandes que
soient nos misères, et quelque profondes que
puissent être nos plaies.
En effet, comme nous voyons qu'un mé-
decin qui a guéri un malade abandonné et
de qui on n'attendait plus que la mort s'at-
tire la confiance de tous ceux qui se trou-
vent frappés d'une maladie aussi dangereuse,
espérant de recevoir un semblable secours,
qui peut désespérer de sa conversion quand
on jette les yeux sur Saul converti? et jus-
qu'où ne doit pas aller la confiance des pé-
cheurs en la vertu de cette grâce qui fait en
un moment d'un persécuteur un disciple de
Jésus-Christ, un des plus saints apôtres de
son Eglise?
Il ne faut pourtant pas se laisser tellement
éblouir à l'éclat de celle lumière, qu'on s'a-
bandonne aux dangereuses illusions d'une
espérance téméraire : il faut étudier les mou-
vements de Paul changé par la grâce, eu
établissant notre espéiance sur cette grâce
qui l'a changé ; car il ne nous est pas seule-
ment proposé pour réveiller notre espérance,
mais aussi pour régler notre conduite : J'ai
reçu miséricorde, dit-il dans les paroles de
mou texte, afin que je fusse le premier en qui
Jésus—Christ fit éclater son extrême patience,
et que je devinsse comme un modèle et un
exemple à ceux qui croiront en lui.
Ainsi, mes frères, pour suivre cette idée et
pour entrer dans ces paroles selon l'esprit
de saint Paul même, je vais vous proposer
deux choses dans les deux parties de ce dis-
cours : dans la première j'exposerai les fon-
dements de notre espérance dans la vertu de
la grâce qui convertit Saul : J'ai reçu misé-
ricorde, afin que je fusse le premier t
Jésus-Christ fit éclater son extrême patience:
première partie; dans la seconde j'exposerai
les règles de uoire conduite dans la fidélité
de Paul à correspondre à celle grâce : Afin,
dit-il, que je devinsse comme un modèle et
comme un exemple à ceux qui croiront en lui :
seconde partie.
Nous nourrirons l'espérance des humbles
en proposant la conversion de Saul ; nous
confondrons la témérité des présomptueux
en retraçant la conduite de Paul. C'est loule
l'idée de ce discours. Demandons les lumiè-
res de l'Esprit-Sainl. .lie, Marin.
PUEMIi'lU: PARTIE.
Il faut exposer toutes les circonstances de
la conversion de Saul pour vous découvrir
toule la vertu de la grâce qui l'a converti, et
pour donner en même temps à notre con-
fiance eu la vctîu de Jésus-Christ toule l'é-
tendue qu'elle doit avoir. Remarquez donc
trois circonstances ; îopres à rous con-
vaincre de lonl ce que je prétend! re
voir : Jésu -Christ le prévient el ré le efa r-
cher, première circonstance; dans le i i
de sa plus grande fureur contre l'Eglise, se-
conde circonstance; pour en faire un îles plus
digues ministres de l'Eglise qne Saul ener-
a détruire, troisii me circonstance, uuel
effet produira donc la conversion de Niul
sur les plus ah indonnés, quand ils feront
réflexion sur celle miséricorde inépuisable
de Jésus-Christ qui prévient cet ennemi, sur
celte force in vin< ible qui abat ce furieux,
enfin sur cette magnificence infinie qui él
ce persécuteur si connu de Ions 1rs fidèles.
Entrons dans toul ce mystère de la u
ricorde de Jésus-Christ. Il fallait qu'il allât
chercher Saul et qu'il le prévînt : cirqu'i
ce que l'homme dans le péché? C'est un
malheureux qui s'e>t jeié volonlairement et
par son choix dans un abime d'où il ne peut
plus se retirer sans un secours dont il est
indigne; c'est celle brebis qui s'est égarée,
qui se perdrait entièrement, si le pasteur
n'allait la chercher et s'il ne la rapportait
sur ses épaulas.
C'est donc la miséricorde de Jésus-Christ,
mes chers frères, qui va chercher Saul par
un effet de la pure bonté décelai qui veut le
prévenir. Ou'avail-il en effet en lui qui le
rendit digne de celte faveur, ou plutôt n'è-
tait-il pas très-indigne qu'il pensât à lui,
puisque toutes ses démarches étaient un ob-
stacle à sa coir.ersion el un sujel propre à
exciter l'indignation de Dieu contre lui? 11
étail entré l'on avant dans la counaissance
des vérités delà loi, sa vie irréprochable
était réglée par ses principes, il était tout
brûlant de zèle pour son observation. (
là un mérite, à parler en gênerai, et tout
cela est admirable en lui-même; mais tout
cela formait un grand fonds d'orgueil, d ob-
stination et de faux zèle, qui 1' vaii pion
dans un abîme d'où la seule grâc •■ de
Christ le pouvait retirer. 11 av ail cale ce qui
étaiî bon, el s'était fait par son orgueil un
poison qui lui aurait donné la mort pour tou-
jours , si Jésus-Christ, qui l'avait des ine
pour la vie, ne l'avait cherche par sa nti
ricorde. D'ailleurs quel temps Jésus-Christ
choisit-il pour loi en faire sentir les effets,
et quelle est la disposition de Saul contre
l'Eglise quand le Sauveur pense É le préve-
nir '.' Saul, dit l'Ecriture, était encore plein de
menaces et ne. respirant qu le séngéis disci-
pie» de Jésus-t hrist. Ce Saul avait ele cl
dès sa jeunesse dans des sentiments da»er-
sion contre Jésus-Chrisi et contre son Eglise.
h avait commencé de bonne heure à persé-
cuter Ses minisires, il fui i recul lorsqu'on
lapida saint Etienne, et comme il n'avait
peut-être pas encore la force de Contribuer
à sa mort de ses propres mams. il 1 lapida,
disent les Pères, par les mai s de ions ceux
qui ie lapidèrent, dont il s'offrit de garder les
v lemenîs durant celte cruei e exécution. //
mil <i mort dam Jérusalem plusi les,
hommes et femmes, qu'il tirait par force de
797
SERMON POUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL.
793
leurs maisons, en ayant reçu le pouvoir du
grand conseil des Juif», et lorsqu'on les fai-
sait mourir il y donnait son consentement.
Celte fureur, comme il l'appelle lui-même,
qui le transportait contre eux, le portait à
les persécuter jusque dans les villes étran-
gères, et il alla demander au grand prêtre,
comme chef du grand conseil des Juifs, des
lettres pour les synagogues de Damas , afin
que s'il trouvait quelques personnes de cette
secte, il les amenât prisonnières à Jérusalem
pour être punies.
Quels épouvantables efforts du faux zèle
de cet homme si éclaLé et si religieux ob-
servateur de la loi ! Tout ce qu'il avait lu et
peut-être vu de Jésus-Christ, de sa vie mira-
culeuse et des prodiges de sa mort; tout ce
qu'il avait ouï dire des merveilles de la Pen-
tecôte, de la prédication des apôtres et de la
descente du Saint-Esprit ; les conversions de
tant d'âmes et de tant de prêtres, les prodi-
ges de la vie et de. la mort de saint Etienne,
tant de passages de l'Ecriture qu'il savait
sans doute, cités par les apôtres et confirmés
par les événements, tout cela ne put arrêter
l'impétuosité de son faux zèle, ni lui faire
ouvrir les yeux à tant de lumières. 11 vint,
la fureur dans l'âme, les menaces dans la
bouche, les armes à la main, pour enlever
tout ce qu'il trouverait de disciples de Jésus-
Christ et de sujets de son Eglise.
Mais c'est ici que Jésus-Christ l'attend : il
vient en personne pour résister à cet en-
nemi qui n'en veut qu'à lui, et il lui fait en-
tendre, par la manière dont il lui parle, que
c'est le persécuter lui-même que de faire
souffrir son Eglise et dans ses enfants et dans
ses ministres, parce que le chef qui est dans
le ciel et les membres qui sont sur la
terre ne forment qu'un corps. Vous ne vous
montrez pas toujours à ceux qui persécu-
tent cette Eglise, Seigneur, mais vous la dé-
fendez toujours contre ceux qui s'en sépa-
rent, qui la divisent, qui la troublent et qui
la déshonorent.
Que je vois de merveilles dans cette appa-
rition de Jésus-Christ à Saul et dans les cir-
constances qui l'accompagnent 1 11 veut en
quelque façon nous rendre visible l'ouvrage
de sa conversion et de la grâce qui l'a pro-
duit. Il vient en personne pour nous appren-
dre qu'il est l'auteur de cet ouvrage; il em-
ploie tout pour l'achever : la lumière qui
aveugle Saul en plein midi, la main qui l'a-
bat pour le relever, la voix qui lui fait des
reproches pour l'attirer à lui, IodI ce qui
frappe ici no* yeux se passe invisiblement
dans le cœur du pécheur lorsque la grâce
travaille à le changer. 11 faut qu'elle brillé
dans son esprit par d<> nouvelles lumières
qui l'aveuglent, pour l'empêcher de »oir ce
qu'il voyait auparavant et pour lui f.:ire voir
ce qu'il ne voyait pas; il faut que des repro-
ches salutaires agitent son cœur et troublent
heureusement son âme, et qu'une main in-
visible l'humilie et -le terrasse.
"Voilà l'ouvrage <!c cette grâce intérieure
cause un reu vêlement universel dans
l'âme de Saul et qui l'assujettit ; mais, ô pro-
fonde sagesse de notre Dieu dans la conduite
de cet ouvrag!" ! il choisit pour l'accomplir
un temps propre à nous donner encore de
nouvelles preuves du triomphede celte grâce.
Vous attendez que ce furieux soit prêt à
faire éclater les desseins de sa rage contre
les enfants et les ministres de votre Eglise,
afin de vous servir de ses desseins mêmes
pour l'accomplissement des vôtres. Quelle
gloire eût-ce été pour vous, Seigneur, de
prendre un homme élevé et instruit par les
apôtres pour l'associer avec eux dans les
fonctions du sacré ministère ? Il n'y aurait
eu rien de rare ni de singulier dans cette
conduite, vous en voulez tenir une qui ap-
prenne à toute la terre que les hommes ne
peuvent rien contre vos desseins, et que vous
les accomplissez par les voies mêmes qu'ils
ont choisies pour les renverser. Vous vous
servez des préparatifs d'une cruelle et san-
glante persécution pour donner de la conso-
lation aux fidèles, pourrélablir votre Eglise,
et vous conduisez Saul à la mission aposto-
lique par la mission sacrilège qu'il vient de
demander au grand prêtre des Juifs pour
verser le sang de ceux à qui vous le destinez
pour apôtre.
C'est la troisième circonstance qu'il y a à
remarquer dans cette conversion, qui nous
découvre la magnificence de la grâce de Jé-
sus-Christ, qui relève ce persécuteur abattu
pour en faire un apôtre; car Jésus-Christ lui
dit, comme il le rapporte lui-même : Levez-
vous et tenez-vous debout, cir je vous ni ap-
paru pour vous établir ministre et témoin des
choses que vous avez vues, et de celles aussi
que je vous montrerai en vous apparaissant
de nouveau. Voilà, mes frères, la consom-
mation de la patience de Jésus-Christ envers
cet ennemi, et l'accomplissement de ses mi-
séricordes sur ce pécheur converti : il en fait
un apôtre.
La grâce de sa conversion fut accompa-
gnée d'une plénitude de lumière et d'onction,
et l'apparition de Jésus-Christ à ce persécu-
teur fut comme une espèce de Pentecôte
qui le remplit de l'esprit de Dieu et de cette
vertu d'en haut dont les autres apôtres
avaient été remplis parla descente du Saint-
Esprit. Cette grâce et celte onction agissent
sur son tempérament et sur son ardeur na-
turelle pour les consacrer aux exercices de
son ministère; la fureur d'un ennemi se
change dans te zèle d'un apôtre : celte ar-
deur qu'il avait fait paraître pour persécuter
les disciples du Sauveur, il l'emploie à les
aire; il fait pour l'établissement de son
Eglise ce qu'il avait fait pour sa ruine, et ce
furieux qui ne cherchait qu'à verser le sang
des chrétiens ne soupire plus qu'après les
occasions de répandre le sien pour les iuté—
n is de Jésus-Christ. Ainsi Dieu fait-il paraî-
tre la force de la grâce en consacrant à sa
propre gloire les instruments dont le pé-
cheur s était servi pour lui faire injure: ainsi
fait-il éclater la magnificence de sa grâce, en
sanctifiant ce que ce pécheur avait cor-
rompu, et eu lui fournissant jusque dans ses
799 ORATEURS SACHES
inclination! naturelles de quoi réparer le dé-
règlement de sa conduite.
\ enei donc ici, pécheurs que la multitude
de vus péchés effraye, que la qualité et le
nombre de vos iniquités épouvantent; venez
voir l'ouvrage de la grâce en la personne de
Saul, et réveillez voire espérance à la vue
de ce grand ouvrage. Vous avez reconnu les
qualités du cœur de ce persécuteur dans ce
que je viens de vous dire; il a dû vous pa-
raître brillant par les lumières de son esprit,
par les connaissances de la loi et par la ré-
gularité de sa vie, étant de la secte des pha-
risiens. Vous avez vu sa durcie :fl/on zèle
allait jusqu'à persécuter l'Eglise de Jésus-
Cltrist, dit-il lui-même ; il était parmi ceux.
qui lapidèrent saint Etienne, et peul-ètre
plus endurci que pas un deux, car il gardait
les vêtements de ceux qui le lapidaient; il ré-
sistait à la vérité et il se révoltait contre l'E-
vangile. Jésus-Christ crie du haut du ciel:
Saul, Saul. pourquoi me perse calez-vous ?
et cette seule parole fait disparaître tout d'un
coup toutes les résistances de Saul. Ah ! s'é-
crie saint Augustin, Dieu par cet exemple crie
en quelque sorte à tous les pécheurs : Venez,
que ceux qui ont soif s'approchent et qu'ils
boivent : Saul a persécuté saint I: tienne jus-
qu'à la mort, et Saul, maintenant changé en
eau vive, invite tous les pécheurs à venir boire
à la source.
Il ne faut donc pas que le pécheur ait ja-
mais la pensée que Dieu ne lui pardonnera
pas ses offenses, cl qu'elles sont trop gran-
des pour pouvoir lui être remises : qu'il con-
sidère la bonté infinie de Jésus-Christ, qui a
daigné se faire homme et prendre une chair
comme la nôtre. Jésus-Christ descend encore
pour aller chercher Saul, et il se plall tous
les jours à réveiller un pécheur du plus pro-
fond assoupissement où il soit, et à lui faire
élever la voix du fond de l'abîme où ses pé-
chés le retiennent cl l'oppriment. Qu'il fasse
réflexion sur la force de celle voix qui ren-
verse, qui humilie, qui terrasse ce fier en-
nemi dans le plus grand emportement de sa
fureur. Peut-on perdre l'espérance quand on
est l'enfant d'un Père et la créature d'un
Dieu qui peut, quand il lui plaît, faire de
semblables renversements dans l'âme et
changer tout d'un coup un loup en un
agneau?
C'est pour nourrir celle espérance que Saul
assure toute l'Eglise qu'i7 a reçu miséricorde,
afin qu'il fût le premier en quiJésus-i'hi ist fit
éclater son extrême patience; mais c'est afin
que cette espérance ne soit pas vaine que
l'Eglise nous expose tout ce qui se passa
dans la conversion de ce persécuteur, pour
nous tracer la fidélité de cet apôtre à corres
noM jer.uME.
KOO
pondre à la grâce, afin qu'elle nous serve de
règle pour notre conduite et qu'il devienne
comme un modèle et un exemple à ceux qui
croiront en Jésus-Christ : c'est ma seconde
partie.
SECONDE PARTIE.
Il est à propos, mes très-chers frères, d'é-
tablir quelques principes, afin de rendre plus
utile ce que nous avons à «lire d'important
dans cette seconde partie, qui doit renfermer
loul le fruil de ce dJ*< >urs et nous mettre en
état de suivre l'excellent modèle que l'EgliM
nous propose dans la fidélité de Paul à cor-
respondre à la grâce qui l'a converti.
I 11 y a des conversions extraordinaires,
réservées dans les trésors de la miséricorde
de Dieu, dans lesquelles il fait senlir sa puis-
sance absolue, et où il parait qu'il est !e
maître dans l'empire de la grâce. Il laisse
descendre le pécheur dans le plus profond de
l'abîme pour l'en retirer avec éclat, faisant
tout en lui par la force invincible de sa
grâce. Ces coups-là sont des miracles qui ne
doivent pas nous servir de règle dans la pra-
tique; nous devons bien prendre garde l m
pas nous en flatter, il y aurait de l'insolence
i les demander cl de la témérité à les atten-
dre. Telle a été la conduite de Dieu dans la
conversion de Saul.
2* Dieu se renferme comme dans une espèce
d'ordre naturel pour les opérations ordinai-
res de sa grâce, cl il agit pour la formation
de l'homme intérieur à peu près comme dans
celle de l'homme naturel : il commence par
peu et il conduit son ouvrage par degrés-, il
prévient, mais il veut que nous agissions;
tout est de lui, tout est de nous; la grâce
fait (oui dans la volonté, et la volonté fait
tout par la grâce. Aussi voyons-nous que
l'esprit de Dieu se sert dans l'Ecriture de dif-
férentes expressions qui marquent qu'il vent
que l'homme agisse avec lui dans l'ouvrage
de sa conversion, et qu'il ne l'accomplit que
par le concours de deux voloniés, de celle
de Dieu, qui agit dans celle de l'homme, et
de celle de l'homme, qui consent à celle de
Dieu. Ainsi nous voyons qu'il fait dire au
pécheur : Convertissez-nous, Seigneur, vous
qui êtes notre salut; et dans un autre endroit
il dil au pécheur : Convertissez-vous à moi
de tout votre cœur. Il promet au pécheur de
lui ôter ce cicur de pierre et de lui en don-
ner un de chair; il lui demande par un autre
prophète qu'il se fasse lui-même un cœur
nouveau.
II y a donc des occasions où l'on peut dire
dans un très-bon sens qu'il convertit
l'homme, sans lui demander qu'il se conver-
tisse ; qu'il lui arrache le cœur de pierre pour
lui en donner un de chair, sans attendre
qu'il s'applique à se donner un cœur nou-
veau. Mais dans la voie ordinaire il veut
qu'il travaille par lui et avec lui à l'accom-
plissement de cet ouvrage, et c'est dans la fi-
délité à suivre cet ordre de Dieu et à ména-
ger les différents effets de sa grâce en nous
pour arriver a la perfection de son ou» rage,
que consistent l'obligation et les soins de ce-
lui qui pense à se convertir; car il faut, aux
termes de l'Ecriture, mettre la main à l'.iu-
rre et travailler A bâtir le temple de Dieu.
Considérons donc maintenant en détail ce
qui s'est accompli dans la e nvei iou de
Saul, afin de l'imiter et d'apprendre à simre
le* mouvements delà grâce.
Que fait d'abord la grâce à l'égard de es
persécuteur qu'elle veut changer? Il fut en-
m
SERMON POUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL.
802
vironné et frappé tout d'un coup d'une lu-
mière du ciel, et, comme il dit lui-même en
rendant compte de ce qui lui était arrivé
dans cette occasion : Je vis en plein midi
briller une lumière du ciel plus éclatante que
celle du soleil, qui m'environna et tous ceux
qui m accompagnaient. C'est par là, mes frè-
res, que la grâce commence l'ouvrage de la
conversion : elie répand des lumières dans
l'esprit qui produiraient en nous l'effet que
produisit en Saul celle qui le frappa, si nous
savions les ménager. L'Ecriture nous dit
qu'ayant les yeux ouverts il ne voyait poiut:
heureux aveuglement qui ne sert qu'à ou-
vrir les yeux de l'âme, qui empêche ce per-
sécuteur de voir ce qu'il voyait et lui fait
voir ce qu'il ne voyait point.
Ouvrez les yeux, chrétiens, comme Saul
les ouvrit; fermez-les comme il les ferma,
si vous voulez commencer l'ouvrage de votre
conversion. Défiez-vous des fausses lumières
de votre esprit ; que les maximes du monde
vous deviennent suspectes. Ne suivez pas
comme certains des principes qui ne peuvent
que vous égarer. Ouvrez les yeux sur les vé-
rités de la foi, écoutez les règles de l'Evan-
gile ; recevez les lumières que Dieu veut ré-
pandre dans votre esprit, par ces maximes
que vous trouvez, comme par hasard, dans
une lecture sainte que vous avez faite sans
attention, par ces vérités fortes que vous
avez entendues dans une prédication , qui
vous ont fait eutrevoir ce que vous ne dé-
couvriez pas auparavant. Ménagez ces lu-
mières, elles sont capables de vous mener
loin en vous rendant les vôt/es suspectes;
elles vous conduiront à cet aveuglement heu-
reux qui vous fera voir la lumière de la vé-
rité et de la vie; elles vous appliqueront à
cette voix intérieure qui parle dans votre
cœur. Les aveugles sont plus attentifs, parce
qu'ils ne sont point distraits par les objets
extérieurs. Saul écoute la voix de Jésus-
Christ après que la lumière du ciel l'a aveu-
glé.
L'Ecriture ajoute qu'après que la lumière
l'eut frappé, il entendit une voix qui lui dit:
Saul, Saul, pourquoi me peusécutez-vous ?
et il répondit : Qui étes-vous, Seigneur ? et
le Seigneur lui dit ; Je suis Jésus que vous
persécutez. Lu voix se fait entendre, Saul
écoule, il interroge Jésus, Jésus répond:
que de mystères, mes frères 1 que d'instruc-
tions I Ah 1 si vous rentriez dans votre cœur
à la faveur des lumières que le ciel y répand,
vous entendriez la voix de Dieu, car il parle
dans le temps qu'il éclaire ; il parle par les
remords qu'il excite dans la conscience, les
dégoûts pour le monde, les ennuis secrets
qui se font sentir au milieu des plaisirs, les
lfé< hircments du cœur durant la fausse joie.
Ce sont des voix que nous ne voulons pas
entendre. Heureux qui ne se rend pas sourd
à ces reproches intérieurs et à ces coups se-
crets que Dieu frappe dans le temps qu'il
éclaire I S'il ouvre les yeux et qu'il se rende
attentif, il reconnaîtra la grandeur et l'énor-
mité des péchés; il apprendra que ces cri-
mes ne sont pas des choses légères, que c'est
Dieu môme qu'il a offensé, que c'est Jésus-
Christ qu'il persécute ; que tout est à crain-
dre du Dieu qui va jeter le trouble dans son
cœur s'il ne prend soin d'en ôter ce qui lui
déplaît, mais aussi qu'il doit tout espérer
d'un Dieu qui s'est fait homme. A quoi ce
trouble excité par les reproches que Dieu
fait au pécheur le conduira-t-il, s'il les écou-
te ? Poursuivons ce que dit l'Ecriture en rap-
portant la conversion de Saul : Et alors, tout
tremblant et effrayé, il dit au Seigneur : Que
voulez-vous que je fasse ? Cette crainte des
jugements de Dieu est le premier mouve-
ment d'un pécheur qu'il a éclairé par sa
miséricorde. Alors, tremblant et effrayé, il
dit. : Seigneur, que voulez-vous que je fasse?
C'est l'état où doit être un pécheur qui ré-
fléchit sur sa vie et sur les jugements de Dieu;
car tout homme qui n'est pas effrayé de cette
vue ne sait pas ce que c'est que Dieu et ce
que c'est que le péché, et il ne comprend pas
que c'est lui qui est offensé par le péché ni
que c'est lui qui le doit punir, et que ce
Dieu offensé et vengeur dans sa propre of-
fense agit sans miséricorde quand le temps
de la vengeance est venu, que le temps est à
sa disposition, et qu'il n'y a pas un moment
dans la vie du pécheur où il ne puisse tom-
ber entre les mains du Dieu vivant.
Ces vues, mes frères, percent le cœur d'un
pécheur et le remplissent d'une sainte
frayeur qui produit d'excellents effets. Hien
ne fixe nos pas dans la voie de Dieu comme
la crainte salutaire de la rigueur de sa jus-
tice soutenue par la charité. Ceux qui crai-
gnent ainsi les jugements de Dieu n'appré-
hendent plus ceux des hommes qui sont con-
traires à ceux de Dieu; ils se soumettent
avec humilité à ceux qui savent ménager
les impressions de celte crainte pour les
faire marcher dans les voies de la justice.
C'est encore une disposition où l'Ecriture
nous montre saint Paul dans le récit qu'elle
nous fait de sa conversion. Ou le conduit
donc par la main et on le mène à Damas.
Que peut faire un homme éclairé par de nou-
velles lumières qu'il ne développe pas en-
core, troublé par une voix secrèle qu'il
n'entend pas distinctement, effrayé par des
vues terribles qui ne semblent propres qu'à
le désespérer; que peut, dis-je, faire cet
homme, que de demander à connaître la vo-
lonté de Dieu ? car comme la source de tous
ses désordres, c'est sa volonté corrompue, à
laquelle il faut renoncer, la source de sa
sanctification, c'est la volonté de Dieu, qu'il
faut connaître pour s'y abandonner entière-
ment. Mais comment la connailra-t-il s'il ne
s'adresse pas à un homme qui la lui décou-
vre ? C'est l'ordre de Dieu: saint Paul, tout
éclairé qu'il était, est envoyé à Ananie, qui
était un homme fort simple, pour lui dire co
qu'il fallait faire. Ainsi, quelques lumières
que Dieu nous ait données, quand nous au-
rions vu, comme saint Paul, les rayons d'une
lumière toule nouvelle, il faut se soumettre
au jugement de ses ministres : je dis s'y sou-
mettre, et aller à eux avec la disposition de
s'abandonner entièrement à leur conduite;
807)
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
804
car on rencontra assez de gens qui entr'ou-
vri'iit les yeux à la lumière, qui se rendent al-
Leutiffl à quelques r. proches, qui entrent
dans quelque frayeur Bar leur état et sur les
jugements de Dieu, qui cherchent an homme
et qui vont a lui; mais ils en veulent un se-
lon leur cœur et non pas selon leurs besoins ;
ils veulent bien suivre ses lumiè.es, mais ils
ne veulent pas renoncer aux leurs ; ils pré-
tendent que leurs raisons entrent dans celle
de sa conduite, et en raisonnant avec celui
qu'ils ne devraient qu'écouler avec soumis-
sion, ils soumettent la lumière de Oieu à leurs
propres lumières, et au lieu que le véritable
pénitent dit à Jésus-Christ : Que voulez vous
que je fusse? ceux qui conduisent les âmes
dans l'Eglise sont souvent obligés de deman-
der à ceux qui viennent à eux : Que voulez-
vous que je lasse? comment voulez-vous que
je vous traite? C'est donc avec une disposi-
tion de dépendance absolue, avec une en-
tière soumission, avec une simplicité d'en-
fant, qu'il faut aller à l'homme de Dieu. Mais
qui nous découvrira cet homme? me direz-
vous : la même simplicité qui vous le fera
chercher. Priez comme Saul, demandez de
tout votre cœur à Oieu de connaître sa vo-
lonté, il vous enverra à celui qu'il vous a
destiné ; il le fera même aller au-devant de
vous, car il inspire à ses serviteurs d'aller
chercher ceux qui le cherchent avec simpli-
cité par la prière, comme il envoie Ananie
au-devant de Saul en la maison de Judas.
La véritable règle pour trouver un bon di-
recteur, c'est de voir comment se conduisent
les personnes qui vont à lui.
Mais quel que soit celui à qui vous vous
adressez, comptez qu'il ne sera pas l'homme
de Dieu, s'il ne suit pas l'ordre que Oieu vous
a marqué lui-même dans la conduite qu'il a
tenue sur Saul. Avaut que de lui envoyer
Ananie pour lui l'aire l'imposition des mains,
il fut trois jours, dit l'Ecriture, sans boire ni
manger. Qu'etait-il nécessaire de tenir dans
une telle privation un homme en qui il s'é-
tait passé de si grandes choses? Cet homme,
si touché, si abattu, si effrayé, si soumis, ne
devait-il pas être rétabli dans le même mo-
ment? et puisque Oieu avait réuni dans sa
conversion les effets de sa grâce, qu'il ne
produit que par degrés dans les autres pé-
cheurs qu'il convertit, pourquoi séparc-l-il
la réconciliation de ses autres effets?
Cette conduite , mes très-chers frères, ren-
ferme une excellente leçon et pour les direc-
teurs et pour ceux qui s'adressent à eux.
Jésus-Christ , souverain médecin des âmes ,
ne précipite rien dans la réconciliation de
saint Paul, toute miraculeuse qu'elle est;
apprenons donc à n'aller pas si vite, surtout
dans celle des grands pécheurs que la misé-
ricorde de Dieu nous adresse. Ananie tremble
quand Dieu même lui parle d'aller chercher
Saul ; le ministère est toujours redoutable ,
quoiqu'on n'y soit appliqué que parla vo-
cation du Seigneur. Vous ne ferez votre de-
voir, ministres de Jésus-Christ , qu'eu sui-
vant les règles qu'il vous prescrit ici lui-
mêiuc dans la conduite qu'il a tenue à l'é-
gard de Saul. Nous, pécheurs, ne vous plai-
gnez pas qu'on l'pbserve à voire égard : re-
connaissez au contraire qui tom-
bés entre les main- de l'homme de Oieu.
Saint Paul demeure tr is joui ;■ U la
vue . dans la pratique d'un jeûne rigoureux
et d'une prière continuelle. Ces joun
dans cet éiai d'humiliation el de pi ni nce
nous enseignent la conduite qu'il faut tenir
avec les pécheurs dans l'administration dp
la pénitence : il faut leur donner le temps de
porter et de sentir le poids du péché; il faut
qu'ils connaissent ce qu'ils sont et à quoi
ils se sont réduits par eux-mêmes ; il Etui
leur donner le loisir de demander l'esprit de
pénitence et de contrition, qu'ils sachant ce
qu'il vaut et qu'ils l'achètent en quelque fa-
çon par les larmes, par les prières, par les
gémissements ; il laut enfin qu'ils eommen-
cent à satisfaire à la justice de Dieu , qu'ils
forment une certaine habitude de pénitence
qui soil comme garant du changement de
leur cœur, avant que de les réconcilier avec
Dieu.
Heureux celui qui est conduit par cette
voie I elle le mènera infailliblement à la per-
fection de la pénitence . dont l'Ecriture nous
donne l'idée dans ce qu'elle continue de rap-
porter de la conversion de Saul. Aussitôt ,
dit-elle , il prêcha Jesus-t'luist dans le> si/na-
gogues, assurant qu'il était le Fils de Dieu.
Jl s'efforce, dès qu'il est converti , de dé ruire
son péché par une voie toute contraire : il a
voulu renverser la religion chrétienne pour
faire triompher la loi des Juifs : il s'applique,
aussitôt que Oieu l'a changé , à convaincre
les Juifs mêmes que Jésus-Christ est le vé-
ritable Messie ; il consacre la science qu'il a
dans la loi à la gloire du Sauveur du monde,
et l'ardeur du nouvel esprit dont il est pé-
nétré le porte à réparer le tort qu'il a fait à
son Eglise.
Ne comptez pas , mes frères, que vous
soyez véritablement convertis si on ne voit
un changement pareil dans votre conduite.
Par où connaîlra-l-on que vous êtes péné-
trés d'am lur p >ur celui qui \ous a reg irdes
avec miséricorde, et de reconnaissance pour la
grâce que vous avez reçue, si on ne vous
voit pas chercher les voies de lui satisfaire
et de réparer les injures que vous lui avez
laites? Et par où les reparerez-vous si vous
ne suivez une conduite tout opposée à celle
que vous avez tenue? (Juellc autre marque
ci itainc peut-on avoir de votre conversion
si ce n'est le changement de votre caur , et
par où verra-t-on que ce changement est
fait s'il ne parait pas dans vos actions ? Les
affections du cœur règlent les mouvements
de la vie ; fiiles noue des actions contraires
à celles que vous avez faites, si vous voulez
que je croie que votre cœur est changé.
Celle grâce qui vous a convertis i si le.
principe d'une vie nouvelle . qui se fortifie
par les actions qu'elle fait produire. Ne croyez
donc pas que vous soyei véritablement con-
vertis si vous ne vous établissez dans le bien
par la pratique des vertus opposées aux vi-
ces auxquels vous vous êtes abandounés. Il
805
SERMON SUR LES GRANDEURS DE JESUS-CHRIST.
SERMON
SOG
faut que vous changiez de façon de vivre, de
paroles , de desseins , de pensées ; il faut
que votre changement ne soit pas seulement
ou ce que vous faites profession d'une loi qui
vous était inconnue , mais en ce que vous
n'obéissez plus à vos passions, en ce que
vous êtes plus justes envers votre prochain ,
pîus sévères envers vous-mêmes, plus res-
pectueux pour Dieu.
Vous avez vu tout ceci dans celle du per-
sécuteur des fidèles : ses fausses lumières se
sont dissipées , sa fureur s'est éteinte , il est
tombé par (erre sans force et sans mouve-
ment ; mais, peu de temps après, d'autres lu-
mières ont succédé aux premières , il s'est
senti animé d'un nouveau zèle et rempli
d'une force toute divine; enfin ,1a reconnais-
sance du nouvel esprit dont il était plein, le zèle
du salut de ses frères, le désir de réparer les
maux qu'il a faits à l'Eglise , lui ouvrent les
yeux et en font tout d'un coup un apôtre.
Voilà, mes frères , le modèle que l'Eglise
nous présente aujourd'hui. Bénissons Dieu
de la conversion de ce persécuteur, adorons
ses miséricordes sur cet apôtre et sur son
Eglise, et plus encore sur son Eglise que sur
lui , car c'est pour elle qu'il l'a converti et
qu'il lui a changé le cœur. I
Admirons cet ouvrage : Dieu fait , quand
il lui plaît, de ces conversions extraordi-
naires pour manifester le pouvoir de sa
grâce, mais il ne fait pas toujours de ces mi-
racles éclatants, il ne rassemble pas tant d'ef-
fets différents de sa grâce pour opérer tout
d'un coup de semblables prodiges : il agit
d'une manière plus simple, il commence par
de moindres effets l'ouvrage des conversions
ordinaires, quoiqu'il accomplisse à propor-
tion tout ce qui s'est fait dans celle de Saul.
C'est donc à vous , mes frères , à étudier ces
mouvements , à ménager ces premiers effets,
à suivre par degrés les opérations de la grâce
en nous. L'ouvrage de notre conversion se-
rait beaucoup plus avancé si nous y avions
donné celte application que je vous demande;
mais nous voulons que Dieu fasse des mi-
racles pour nous , nous voulons qu'il nous
convertisse sans vouloir nous-mêmes tra-
vaillera nous convertir; nous voulons qu'il
nous éclaire sans renoncer à nos lumières,
qu'il change notre cœur sans en bannir nos
passions, qu'il nous humiliesans nous abattre,
et qu'il fasse de nous de nouveaux hommes
sans rien changer dans nos engagements et
dans nos pratiques.
Prenons une autre voie , nies très-chers
frères , recourons à lui avec confiance : ce
qu'il a fait pour Saul est un solide fonde-
ment d'espérance pour tous les pécheurs :
le désir de nous convertir, qu'il forme dans
noire cœur, est un commencement de con-
version ; ménageons-le avec humilité. De-
mandons toujours comme si nous ne pou-
vions rien ; travaillons avec application
comme si nous .pouvions tout , et espérons
qu'avec sa sainte grâce il couronnera ses ou-
vrages d'une gloire éternelle : je vous la
souhaite. Ainsi soil-il.
SUR LES GRANDEURS !>E JESUS-CHRIST-
. (28 janvier. )
Unus Dnminus Jésus Christus , per quem omnia et nos
per ipsum ; sed non in omnibus est scienlia.
Il h' ij a qu'un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ , par
lequel (pûtes choses ont été faites, comme c'est aussi pur lui
que nous sommes ce que nous sommes ; mais tous n'ont point
celte connaissance (l Cor., VIII, 6, 7).
Ces paroles renferment le malheur de ceux
à qui l'apôtre saint Paul s'adressait, et qui
consistait à ne pas avoir la connaissance de
Jésus-Christ. Ce malheur, mes frères , n'est
pas tombé seulement sur les païens à qui
saint Paul parlait dans les premiers siècles
de l'Eglise ; mais il régnait encore d'une fa-
çon déplorable, quoique d'une autre manière,
parmi les chrétiens dans les derniers temps ,
lorsque Dieu suscita un prêtre selon son
cœur, quia pris soin d'en assembler d'autres
en son nom, pour renouveler la vraie science
de Jésus-Christ dans son Eglise.
C'est donc, mes très-chers frères, pour
entrer, autant que Dieu m'en rendra ca-
pable, dans l'esprit et dans les intentions de
ces saints prêtres si liés aux intérêts de Jé-
sus-Christ , que j'entreprends aujourd'hui
de vous le prêcher tout entier selon les pa-
roles de mon texte. Regardons-le donc dans
sa personne , dans sa vie et dans sa grâce ;
c'est ce que nous allons faire dans ce dis-
cours : nous le regarderons dans sa personne,
comme l'objet de nos adorations ; nous le
regarderons dans sa vie, comme le modèle
de notre conduite; nous le regarderons dans
sa sainte grâce , comme le fondement de nos
espérances.
Nous saurons parfaitement Jésus-Christ,
et nous le connaîtrons comme il faut le con-
naître, si nous savons adorer la personne de
Jésus-Christ : première partie ; retracer la
vie de Jésus-Christ : deuxième partie ; nous
abandonner à la grâce de Jésus-Christ :
troisième partie. C'est tout ce que j'ai à pro-
poser dans ce discours, après avoir iniDloré
l'assistance du ciel. Ave, Maria.
PREMIERE PARTIE.
Saint Paul , mes très-chers frères , faisait
profession de ne connaître que Jésus-Christ,
et je ne suis pas surpris que ce saint apôtre
ait borné toutes ses lumières à cette seule
connaissance, puisqu'un autre apôtre nous
assure que la vie éternelle consiste à con-
naître Dieu et Jésus-Christ qu'il a envoyé ;
mais je suis étrangement surpris que des
chrétiens qui font profession d'être tous à
Jésus-Christ el qui n'espèrent rien que par
lui , donnent néanmoins si peu d'application
à le connaître et s'informent si peu de la ma-
nière de le bien connaîlrc. Car ne vous y
trompez pas, il y a une sorte de connais-
sance de Jésus-Christ qui ne dissipe pas
l'ignorance dont je me plains , et qui ne met
guère de différence entre nous cl ceux do
qui saint Paul disait : Tous n'ont pas cette
science; mais il y en a une autre qui nous
tire de celte ignorance et qui dissipe les té-
,S07
ORATEURS SACRES. IXJM JEROME.
813
nèbrêl intérieures qui rognent plus dans le
cœur que sur l'esprit , et assurément celle-
ci n'est pas donnée à tous.
La première peut nous donner aes idées
de Jésus-Christ , mais ce ne sont que des
idées ; elle nous peut apprendre Jésus-Christ,
mais elle ne nous unit pas à Jésus-Christ :
c'est une connaissance dont le malin esprit
se fait honneur et dont ceux qui lui appar-
tiennent ne sont pas privés. La seconde i -
seulement nous fait connaître Jésus-Christ ,
mais elle nous unit à Jésus-Christ : elle nous
donne des idées sur la dignité de son être ,
elle nous attache à sa personne : connais-
sance salutaire et pratique qui est bien moins
un effet des attentions de notre esprit que
désaffections de notre cœur: connaissance
en un mot qui ne peut être produite en nous
que par cet esprit, sans lequel, selon saint
Paul , nous ne saurions confesser que Jésus -
Christ est le Seigneur.
C'est , chrétiens , de cette connaissance de
Jésus-Christ que je veux vous parler dans
ce discours : je veux d'abord vous le pro-
poser dans sa personne divine et dans ces
deux natures inséparablement unies dans
son incarnation , c'est-à-dire vous présenter
ce composé admirable de l'Homme-Dieu qui
nous est donné pour être l'objet de nos ado-
rations.
C'est ici , mes frères , le premier rapport
que nous avons à Jésus-Christ , c'est le pre-
mier devoir que nous découvre la connais-
sance de sa personne divine : car si saint
Paul nous assure que dès que Dieu cul intro-
duit de nouveau son premier-né dans le
monde, il ordonna aux anges de l'adorer,
quoiqu'il ne se fût pas fait ange, que doivent
faire les hommes pour qui il s'est fait homme,
et quelle serait leur ingratitude et leur
aveuglement s'ils portaient ailleurs leurs
adorations ? Il faut donc que nous regardions
la personne de Jésus-Christ comme le centre
et le principe de nos adorations ; c'est sous
ces deux vues que nous dorons regarder celte
personne divine, si nous voulons en prendre
l'idée qui lui convient et le connaître de
celte connaissance qui nous unit à lui.
En effet, il est le centre de nos adorations,
parce que, outre que lui seul doit être ado-
ré, c'est à lui seul que nous devons rappor-
ter nos adorations; car rien n'est plus grand,
rien n'est plus saint que lui. (Juc vous dirai-
je, chrétiens, pour vous faire connaître le
mérite, la sainteté et les grandeurs de Jésus-
Christ? vous representerai-je d'abord que sa
venue a été l'objet de L'attente, des vœux,
des empressements, des soupirs des patriar-
ches et de tous les justes de l'Ancien Testa-
ment? ils l'ont appelé le désiré de toutes les
nations: Desideratus cunclis gentibus. Tour-
nez-vous vers nous : Convertere, Domine;
jusqu'à quand nous rejetlercz-vous? Faites-
nous connaître votre droite, c'est-à-dire,
selon saint Augustin, le Fils de Dieu, le
Christ, dont les hommes, accablés sous le
poids de leurs péchés et de tant de maux iim
en étaient les justes peines, souhaitaient l'a-
vénemeul avec ardeur. Faites-nous-le con-
naître en le rendant visible par son incar-
nat ion, afin que nous soyons instruits par
lui, non-seulement à l'extérieur, e rame nos
pires, mai- dans le cœur. Ces discours ar-
dents doivent au moins être considéré*
comme de Farorables préjugés du mérite et
de la sainteté de celui qui les avait fait naître
dans l'âme de ces justes.
Mais quels qu'ils pui-sent élre, reconnais-
sons, chrétiens, qu'ils sont infiniment au-
dessous nu mérite, de la sainteté et des gran-
deurs de celui qu'ils ont obtenu. I. rouions
sur cela le grand saint Augustin. // n'y a ja-
mais eu, dit ce grand homme, d'effusion plus
abondante de la bonté de Dieu sur le genre
humain, que lorsque la Sagesse même, c'est-
à-dire son propre Fils, qui lai est coétirnel et
consubstantiel, a daigné se revêtir de tout ce
qui appartient à la nature de l'homme, c'est-
à-dire lorsque le Verbe s'est fait chair et qu'il
a habité parmi nous. C'est là le plus grand et le
plus digne ouvrage de la bonté d'un Dieu qui
se rend pauvre pour nous enrichir de $a pu -
vrelé , qui te fait infirme pour guérir des ma-
lades, qui devient esclave pour délivrer ceux
qui l'étaient, et qui donne le premier des mar-
ques du j.lus tendre amour à ceux qui ne
pensaient pas à l'aimer. (Juel abîme de tageiêê
clans la consommation de cet ouvrage divin,
qui nous découvre tant de puissance et tant
de bonté ! Celui qui était invisible pnr sa na-
ture se rend visible par son iricarnation, et il
se proportionne à la faiblesse de nos yeux,
gui ne pouvaient pas supporter l'éclat de sa
majesté, il s'est rendu le modèle des hommes,
il a trouvé le moyen de les rappeler par les
choses sensibles auxquelles ils étaient attachés,
aux choses spirituelles desquelles ils s'étaient
éloignés entièrement.
Peut-on être surpris après cela que le pro-
phète Isaïe donne tant de qualités excellen-
tes à ce petit enfant qui nous est né, à ce
fils qui nous a été donne? Il l'appelle l'Admi-
rable, et c'est à juste titre, si nous considé-
rons tout ce qu'il réunit de grand, mais plus
encore, dit saint Bernard, par le changement
qu'il a fait dans nos cœurs et par l'empire
qu'il s'est acquis sur la volonté des hommes.
Il l'appelle {e conseiller, le Dieu, le fort, le
père du siècle futur, le prince de la paix. C'est
donc là le centre de nos adorations, c'est là
que nous devons porter tous nos hommage»;
car ('nomme, dit saint Augustin, ne doit ado-
rer que ce qui est l'objet de l'adoration de
toute créature raisonnable.
Nous croyons sans hésiter que les anges
mêmes, ces substances si nobles et si pures
qui sont les minisires les plus excellents de
la toute-puissance de Dieu, ne désirent autre
chose eux-mêmes, sinon que nous adorions
avec eux celui qu'ils adorent, et dont la con-
templation éternelle faii leur bonheur, rmmMCi
elle doit faire le nôtre: car ce ne sera pas
parce que nous verrons les saints que nous
serons éternellement heureux dans le ciel,
mais ce sera parce que nous verrons colle
vente éternelle. Nous prenons pari à leur
bonheur et à leur joie, nous les honorons par
un sentiment d'amour et de charité, et mm
809
SERMON SUR LES GRANDEURS DE JESUS-CUR1ST.
810
par un dévouement de servitude; mais nous
ne leur bâtissons point de temples, et ils sont
bien éloignés de demander de nous ces sortes
d'honneurs, puisqu'ils savent que lorsque
nous avons la charité nous sommes les tem-
ples du Dieu souverain qu'ils adorent comme
nous.
C'est donc Jésus-Christ seul que nous ado-
rons, c'est sur celte sainte montagne que nos
pères ont porlé leurs adorations, c'est là le
centre où elles doivent se terminer; mais
c'est aussi de dessus cette montagne qu'il
faut adorer: c'est celte terre d'où coulent le
lait et le miel. Car comme Jésus-Christ doit
être le centre de toute adoration, parce que
rien n'est plus grand que sa personne divine,
rien aussi n'est plus saint que lui : il est le
Saint des saints , il est dans sa personne la
source de toute adoration , il n'y a que par
lui que nous le puissions adorer, et il est en
nous la source de toute adoration. Pour ex-
poser Jésus-Christ tout entier, il faut retra-
cer toute la religion.
En effet, mes frères, toute créature est
faite pour adorer Dieu ; car, comme Dieu n'a
pu former la créature que pour lui-même, no
pouvant pas n'élre point la fin de toutes cho-
ses, il n'y a point de créature qui ne porte
dans sa nature et dans l'essence de son être
une obligation de retourner à lui : si elle est
raisonnable , elle ne peut y retourner que
par l'adoration; elle ne doit rechercher <;ue
lui, ne reconnaître que lui pour son unique
bien, ne vouloir que lui ; mais celte créature
ne peut adorer Dieu qu'imparfaitement , car,
pour que Padoralion soit absolument par-
faite, il faut qu'il y ait un rapport de mérite
et de prix entre l'adoration et celui à qui
elle est rendue, et c'est ce qui ne se trouvera
jamais lorsqu'il n'y aura que la créature qui
adore. Adam dans son innocence fui s:ms
doute dans son genre un parfait adorateur de
la Divinité : il adora Dieu saintement, il était
saint; mais comme il n'était qu'homme, il ne
l'adora qu'imparfaitement: le mérile de son
adoration était borné et réduit aux termes du
mérite d'une créature qui ne peut rien avoir
d'infini, et par conséquent rien qui ne soit
au-dessous de Dieu.
Il n'y a donc qu'une créature d'un mérile
infini qui puisse adorer Dieu selon toute sa
dignité ; et où trouverons-nous cette créa-
ture si ce n'est dans la personne de Jésus-
Cluist .' Il fallait , pour former ce véritable
adorateur, qu'il fût homme cl qu'il fût Dieu:
il fallait qu'il fût homme, parce qo un Dieu
ne peut pas être adorateur, il doit toujours
être adoré ; il fallait cependant qu'il fût Dieu,
car un homme ne peut offrir que des hon-
neurs finis, et de tels honneurs ne sont pas
proportionnés à la dignité d'un Dieu, et ne
suffisaient pas pour lui rendre ce que le pé-
ché lui a ôlé. Jésus-Christ seul pouvait donc
être cet adorateur, lui seul pouvait offrir une
adoration infinie: car, comme toutes les ac-
tions portent avec elles le prix et le mérite
de la dignité de 'la personne qui Jcs produit,
îîinsi la nature que le Verbe sesl unie ayant
perdu un certain être humain et reçu en
Orateurs sw:hi . \\\.
place un être divin , ne subsistant plus que
par cet être et dans une personne divine,
toutes les actions de cet Homme-Dieu ont
porté avec elles un mérite et une valeur in-
finie. Il n'y a donc eu nuile adoration vrai-
ment digne de Dieu jusqu'à la venue de Jé-
sus-Christ, et c'est ce que le Sauveur du
monde enseignait à la Samaritaine lorsqu'il
lui dit : L'heure est venue que les vrais adora-
teurs adoreront le Père en esprit et en vérité.
Jusque-là il n'y avait eu que des adorations
imparfaites ; lui seul est le véritable adora-
teur du Père, lui seul l'adore en esprit et en
vérité ; c'est donc en lui que se trouve la
source de toute adoration.
Mais, mes frères , cette source est ouverte
pour nous, car il n'y a que par lui que nous
puissions adorer en esprit et en vérité : aussi
dit-il à la même femme que l'heure est venue
où les vrais adorateurs adoreront en esprit et
en vérité; car nous le sommes en lui, et
même nous ne formons avec lui qu'un seul
adorateur, nous ne formons qu'un corps avec
Jésus-Christ ; le chef ot les membres ne font
qu'un même homme, et ne formant qu'un
corps avec Jésus- Christ et l'ayant pour chef,
nous sommes animés de son esprit. Saint
Paul nous dit : Parce que vous êtes les enfants
de Dieu , Dieu a envoyé dans vos cœurs l'es-
prit de son Fils. Donc , si nous ne formons
qu'un corps avec lui , si ce corps est animé
de son esprit , c'est lui qui agit en nous. Le
Verbe a été fait chair et il a habité parmi nous.
Ce n'est pas seulement parce que cet Homme-
Dieu a conversé avec les hommes, mais parce
qu'il est dans nous tous qui sommes ses en-
fants , et qu'il y est comme un autre nous-
mêmes , qu'il y adore son Père en nous et
par nous, et que nous l'adorons par lui. Voi-
là jusqu'où la dignité de chrétien est portée
par les rapports et par les liaisons qu'il a
avec la personne de Jésus-Christ. Non-seu-
lement il est destiné à aimer, à servir, à ado-
rer Dieu , mais il aime Dieu par lui-même ;
c'est par lui-même qu'il le sert, c'esl par lui-
même qu'il l'adore ; il ne va à lui que par lui,
cl Jésus-Christ est tout ensemble l'objet et
le moyen de son adoration.
Comprenez bien , mes frères , cette émi-
nente dignité de \oirc consécration, et la
haute élévation de l'état d'un chrétien au-
dessu de celui d'un juif. Il avait bien le même
objet que vous dans son adoration, il la
rapportait à Dieu : ainsi il n'était pas un faux
adorateur, il adorait celui à qui l'adoration
état due; mais il n'était qu'un adorateur
très-imparfait, parce qu'il ne lui rendait son
culte que par le sacrifice des animaux. Le
chrétien au contraire est un adorateur par-
fait , puisque c'est par Jésus -Christ qu'il
adore, et qu'il ne peut adorer pleinement que
par lui. L'excellence de son adoration réunit
et égale le moyen à l'objet ; il adore Dieu, et
il l'adore par Jésus-Christ. Ce sont là, chré-
tiens, l(>s idées que nous devons avoir sur la
personne de Jésus-Christ , quo nous avons
regardé d'abord comme l'objet de nos adora-
tions. 11 en est le centre, il en est la source,
prr qnem omnia , et nos per ipsum. Il faut
20
m
ORATRl RS SACRES. DOM JEROME.
812
maintenant le regarder dam a vie mbmm
le modèle de noire conduite : c'est la sujet du
deuxième point.
OEUXIKVH-: PARTIR.
C'est une vérité qui appartient a la foi cl
qui csl un des principes de la religion, que
tout chrétien doit regarder la vie de Jésus-
Christ rommfi la règle de la sienne, et l'étu-
dier comme le modèle de sa couduite. C'est
ta celte voie nouvelle, cette voie vivante dans
laquelle nous devons marclier par la foi :
voie unique, hors laquelle il n'y a qu'égare-
ment ; voie qui conduit à 1 1 v ic et qui est ex-
posée à nos sens par sa vie même et par ses
mystères. C'est ce qui l'ait que saint Paul re-
commande aux chrétiens de jeter les yeux
sur Jésus-Christ , comme sur l'auteur et le
consommateur de la foi. Par là , mes frères ,
comprenez que si nous connaissons la per-
sonne de Jésus-Christ , il faut encore nous
appliquer à connaître sa vie et à l'étudier,
comme !e modèle qui doit régler la nôtre ;
car il était nécessaire absolument pour notre
salut que ce modèle fût exposé à nos yeux,
et il n'était pas possible de nous en exposer
un plus excellent. Ainsi c'est donc pour nous
une obligation de salut de l'étudier et de le
sui\re, mais nous ne saurions être convain-
cus comme il faut de la nécessité où nous
étions que la vie de Jésus-Cnist lût exposée
à nos yeux pour servir de modèle à outre
conduite, si nous ne retraçons l'idée de l'état
où nous avions été réduits par le péché. Ne
craignez pas, mes frères, que ceci nous éloi-
gne de notre matière, nous ne perdrons pas
Jésus-Chrisl de vue : il y a une relation na-
turelle entre le malade et le médecin ; le fon-
dement de la religion est établi sur ces deux
hommes, et on ne peul entrer dans la con-
naissance de l'un que par celle de l'autre.
Retraçons donc en deux mots l'état où nous
avait réduits cet homme par qui tous les
maux qui nous accablent sont entrés dans la
nature. Heureux dans l'étal de son inno-
cence, il connaissait et il aimait Dieu qui
levait formé ; malheureux depuis son péché,
il fut dépouillé de ces deux avantages : il
perdil toul d'un coup la connaissance et l'a-
mour de son Dieu; l'aveuglement d'espril et
la corruption du cœur furent ainsi les deux
plaies qu'il reçut par son crime. Le change-
ment qui se fit en lui fut si déplorable, que
son âme, qui rendait sa chair spirituelle par
l'empire qu'elle avait sur elle et par l'im-
pression qu'elle y faisait à cause de son union
avec Dieu, était devenue elle-même toule
matérielle et incapable de connaître cl d'ai-
mer autre chose que des objets sensibles et
corporels. Il est vrai qu'elle n'avait qu'à ren-
trer en elle-même pour retourner vers son
Dieu, car il étail au dedans d'elie cl il luisait
encore dans ses ténèbres ; mais elle en elail
sortie. Elle était tellement dissipée et le poids
qui l'entraînait l'avait reodue si charn
qu'elle ne connaissait et n'aimait plus que
des corps.
Dans cet état il lui fallait un maître qui fût
à oortée de sa disposition, un maiire qui pût
la ramener aux choses spirituelles par la vue
de< objels sensibles, uu maitre revêtu 'l'un
corps, afin de s'insinuer par nos sens jus-
qu'au fond de notre aine, et y porter une
connaissance et un amour de la justice capa-
ble de dissiper l'aveuglern ni de noire esprit
et la corruption de notre cœur.
Or, vous le voyez ce maiire qui s'est rendu
visible pour nous enseigner, c'est I Verbe
qui s'est fait chair et qui a h bile parai
nous, pour nous détacher des biens sensibles
et nous ebver à l'amour des biens invisibles;
il s'est rendu visible lui-même, et s'est anéanti
en se révélant de noire chair pour devenir
ce modèle nécessaire , mais en mém t • ups
si excelle
Cette excellence doit se prendre de la <\\~
gnité du modèle même el de la manière qu'il
a choisie pour nous proposer ce que nous
avions à i miter. Ce modèle, c'est Jésus-Thrisi
lui-même, c'est la vertu et la sagesse de Dieu,
c'est la vérité.
Il n'en faut pas davantage pourcomprendre
quelle est la dignité de ce modèle qui nous
est proposé. Jesus-Christ est la vertu de Dieu,
c'est la sagesse infinie, la vérité éternelle- et
pour retracer en nous l'image de la Divinité,
que nous y avons efiacée par notre péché,
il vient se charger de nos misères, el -e
rendre semblable à nous pour nous mettre
en état de devenir semblables à lui. I! a com-
mencé par marquer à ceux qu'il voulait ins-
truire l'estime qu'il faisait d'eux, pour s'in-
sinuer dans leur cœur, en se montrant i
nous dans notre propre nature ; après s'être
insinué dans le cœur de ceux qu'il voulait
instruire, il a voulu s'établir une certaine
autorité dans leur esprit , et leur donner de
grandes idées de lui-même: ainsi il s'est ap-
pliqué à leur faire voir que si son amour l'a-
vait réduit à se rendre semblable à eux en se
révélant de leur nature , sa puissance n'en
étail pas diminuée , et qu'il portait sous les
faiblesses de l'humanité loute la force, toute
la majesté el loule la vertu d'un Dieu.
H leur a donc fait voir qu'il était vérita-
blement Dieu et véritablement homme. Ses
miracles et les bienfaits dont il les a comblés
ont été les preuves de sa divinité, comme sa
passion cl ses souffrances les ont convaincus
qu'il était homme ; el il n'y a aucune action
de sa vie qui n'aille à marquer l'une et l'autre
de ces deux natures. Il élait nécessaire qu'ils
fussent convaincus de l'union de ces deux
natures, mais il fallait qu'ils le reconnussent
pour un Dieu avant que de le recevoir pour
maiire : car tous les homme- elanl engages
dans l'aveuglement, aucun n'était capable
d'éclairer les autres, et ils étaient irop pleins
d'orgueil pour se soumettre à leurs sembla-
bles. D'ailleurs il fallait qu'ils fussent per-
suadés qu'il élait homme, capable d être
louché de toutes les choses sensibles, sus-
ceptible comme eux de ton es le- lenl tioM
agréables que l'homme peut recevoir
leur usage, a issi bien que de la douleur qu'il
res>enl par leur privation, aûn que, lui
v vaut rejeter ce qu'ils avaient toujours pour-
suivi avec lant d'ardeur el embrasser ce
SERMON SUR LES GRANDEURS DE JESUS-CHRIST.
814
qu'ils avaient toujours rejeté avec tant de
soin, ils pussent comprendre que ce qu'ils
avaient regardé connue des maux n'en était
point réellement, et que ce qu'ils avaient
recherché comme des biens n'en avait que
les apparences.
Il aurait pu, à la vérité, se servir de son
autorité pour les rappeler de leur égarement
et pour leur commander les vertus; il aurait
pu leur dire seulement : Si vous ne vous hu-
miliez, vous n'entrerez point dans le royaume
des cieux, et ainsi du reste; mais il n'a pas
voulu mettre la force en usage; il n'a
rien voulu établir que par voie d'enseigne-
ment et de persuasion ; il a choisi une voie
douce et aimable; il a mieux aimé dompter
le cœur par l'insinuation que par la force :
Apprenez de moi, dit-il, que je sm's doux et
humble de cœur. Chrétiens, qui ne se rendrait
pas à ce maître? Quelle fierté pourrait tenir
contre ces paroles, soutenues de la dignité
infinie et des profonds abaissements de relui
qui les a prononcées?
Les hommes couraient avec une ardeur in-
satiable après les richesses de la terre, qui
sont les instruments de la volupté : il s'est
rendu pauvre. Ils ne cherchaient qu'à s'éle-
ver au-dessus des autres par les dignités, il
u'a pas voulu souffrir qu'on le fil roi. Leur
orgueil leur donnait de l'horreur pour les
outrages, il en a essuyé en toutes manières.
Ils ne pouvaient souffrir les injures les plus
légères, en est-il de plus atroces que celle
que souffre un juste et un innocent qui se
yoit condamné a la mort? La douleur leur
était insupportable, il a été déchiré de coups.
Enfin, mes frères, en se privant de tous les
biens dont l'amour nous porte au mal, il a
fait voir le peu de cas qu'on en doit faire, et
en s'exposant à tous les maux dont la crainte
nous détourne de la recherche de la vérité,
c'est-à-dire des choses éternelles et invisi-
bles, opposées aux choses sensibles, qui ne
sont que mensonges et illusions, il a mis
tous les maux sous ses pieds.
Faut-il présentement vous presser sur la
conséquence naturelle de ces vérités, et vous
dire qu'il est d'une obligation indispensable
pour nous d'étudier ce modèle et de le sui-
vre? Le Sauveur du monde ne nous dit-il pas
qu'il est la voie, et n'ajoute-t-il pas qu'il nous
a donné l'exemple afin que nous fassions de
même? C'est donc là l'élude d'un chrétien :
copier Jésus-Christ, régler sa conduite sur
celle du Sauveur. On ne saurait dire qu'on
le connaît, qu'on se connaît soi-même et
qu'on connaît la religion, quand on néglige
celle application et celle étude, puisque tou-
tes les. obligations d'un chrétien sont ren-
fermées dans cette application, et son salut
dans l'avantage d'y réussir. N'est-ce pas ce
que saint Paul nous .marque si précisément
quand il nous dit que, comme nous avons porté
l image de l'homme terrestre, il faut que nous
portion* l'image de l'homme céletle'/ Car Dieu
ne considère en nous que Jésus-Christ et son
image, et celle image ne se forme en nous
<iue par la pratique des vertus dont il nous a
donné l'exemple ; c'est donc un devoir indis-
pensable de les éludier et de les suivre.
Il est vrai que chaque chrétien ne peut pas
ressembler en toutes choses à Jésus-Christ,
que toutes ses vertus et tous ses exemples
ne conviennent pas à chaque état eu parti-
culier; mais toute l'Eglise doit représenter
lout Jésus-Christ. Cette multitude qu'il unit
à lui par la grâce et par la charité est véri-
tablement son corps mystique , et comme
toute la société des chrétiens prise ensemble
ne fait qu'un seul Jésus-Christ, il s'ensuit
que chaque particulier doit lui ressembler
dans son état et être reconnu pour son mem-
bre, comme loule l'Eglise doit le représenter
en lout son corps. C'est en conséquence de
cette vérité qu'un grand serviteur de Dieu a
fait cette belle réflexion, que le Sauveur du
monde, ne nous ayant point laissé par écrit
de grandes instructions louchant la piété
chrétienne, il a voulu nous faire entendre
qu'elle ne pouvait être di nement représen-
tée que par les actions vivantes de sa vie
mortelle ; et comme il renouvelle celte vie
tous les jours en la communiquant aux chré-
tiens par la foi et par la charité, c'est par
celte loi agissante et par la charité qu'ils
doivent représenter Jésus-Christ.
11 nous a laissé trois monuments qui sub
sisteroni jusqu'à la fin des siècles : celui de
sa mort dans l'adorable eucharistie, celui de
sa doctrine dans son Evangile, et celui de sa
vie dans les vrais chrétiens, qui sont des ta-
bleaux de celte vie divine plus excellents en
un sens que les seuls écrits de son Evangile,
qui ne contient que le récit de ses actions :
car l'Evangile ne renferme que la vie passée
de Jésus-Christ, dans des caractères qu'on
peut appeler morts, au lieu que les véri-
tables chrétiens contiennent sa vie présente
aussi bien que sa vie passée; ils la décou-
vrent, ils la montrent, ils la font lire, ils la
représentent aux yeux de tout le monde.
De là venait autrefois que les païens,
voyant le désintéressement, la simplicité, la
douceur cl les autres vertus des premiers
chrétiens, disaient en les admirant : Les dieux
sont descendus sur la terre et ont conversé
parmi nous; car Jésus-Christ vivait vérita-
blement dans les premiers fidèles, comme
l'apôtre saint Paul dit qu'il vivait en lui. En
ell'et Jésus-Christ retrace et renouvelle sa vie
dans tous ceux qui vivent dans le monde
comme il a vécu et comme il a recommandé
à tous les chrétien* d'y vivre ; et il ne les au-
rait pas appelés ses cohéritiers, ses associés
à la filiation divine, à sa royauté, à sa divi-
nité même, si leur vie n'élait pas ici-bas sem-
blable à la sienne. Telle est l'obligation in-
dispensable d'étudier celte vie et de copier ce
modèle di\ in.
Qui croirait se pouvoir sauver en vivant
d'une autre manière tomberait dans l'illusion
des enfants de Zébédée, aspirant à la gloire
sans vouloir suivre les seuls moyens parles-
quels on y peut parvenir: mais, hélas I Sei-
gneur, où sont-ils ces table mx véritables de
Jesus-Chrisl? où lmuve-l-on de ces image»
fidèles? quel rapport y a-l-il enire la conduite
815
de*' chrétiens que nous voyons, cl celle de
Jésus-Christ qui est contenue dans l'Krangile
cl (jui nous est proposée pour modèle? Son-
geons à relie parole de saint Paul : Ceux
qu'il « connus dans ta prescience, il les tt atiiii
prédestinée pour tire conformée à Vimage de
son Fils. Il n'y a pas un «le nous, mes frères,
qui ne veuille être du nombre des prédesti-
nés; mais en même temps faites-vous cette
réflexion, que d'être prédestiné pour le ciel
c'est être prédestiné pour être conforme à
Jésus-Christ 1 Si vous la faites, cellcréllcxion,
n'en demeurez pas là, poussez-la plus loin
el considérez quelle est votre conformité avec
la sienne : où trouverons-nous dans nos
mœurs celle modestie, celle pauvreté, celte
patience, cette frugalité, celle morlificalion
dont il nous a donné l'exemple? vivons-nous
comme lui? pensons-nous comme lui? esti-
mons-nous ce qu'il a estimé? aimons-nous ce
qu'il a aimé? Quel rapport, mrs frères!
Nous avons tous été appelés à la foi, nous
avons reçu la vie de Jésus-Christ dans le
baptême, nous avons été unis à son corps : ce
sont autant d'heureux préjugés de noire élec-
tion, mais il la faut assurer par la confor-
mité de noire vie avec la sienne, c'est à quoi
tout élu est appelé et prédestiné. Kfforccz-
vous donc de plus en plus d'affermir votre
élection parles bonnes œuvres. Point de salut
pour nous sans les œuvres : c'est le sceau de
l'élection de Dieu, parce que c'est le moyen
par lequel il accomplit ses desseins; mais il
faut avoir recours à la vertu de Jésus-Christ
cl à la vertu do sa sainte grâce qui fait ac-
complir les œuvres : c'est la troisième vue
dans laquelle il faut nécessairement le consi-
dérer pour le connaître loul entier : c'est la
dernière partie.
TROISIÈME PARTIE.
De quoi nous servirait-il de connaîire la
dignilé de la personne de Jésus-Christ ol
délie instruits du mérite de sa vie, si nous
ne connaissions pas sa grâce et sa vertu?
Quel avantage serait-ce pour nous de savoir
que celte personne divine doit être l'objet de
nos adorations, et que sa vie nous est propo-
sée pour être le modèle de noire conduite, si
nous n'étions pas assurés de trouver en lui
une grâce qui nous rende capables d'adorer
véritablement sa personne et d'imiter sa vie?
Je cherchais, dit saint Augustin, par où je
pouvais m élever; mais c'est à quoi je ne pou-
rais parvenir qu'en recourant à Jésus-Christ,
homme médiateur entre Dieu cl les hommes, et
Dieu lui-même.
Il faut donc, chrétiens, pour que nous con-
naissions Jésus-Christ loul entier, que nous
le regardions comme le fondement unique
de ims espérances dans sa grâce; car toute
grâce cl toute vertu sonl en Jésus-Christ, el
elles y sont pour être communiquées. Parla
il est clair que toute grâce élanl en lui uni-
quement, il est donc le seul objet de mon
espérance, et que la grâce étant en lui pour
être communiquée, mon espérance ne peut
pas être \aine.
Ot'i mes frères, la grâce esl en Jcsus-Chrrsl,
ORATEURS SACRES. DOM JEROMI..
M
grâce dont l'étendue, la sainteté, la puissance,
I efficacité répond à la dignité de Fils de Dien,
grâce par conséquent qui no pouvait être
qu'en lui : car quel est l'ange, dit saint Paul,
c'est-à-dire quelle est la créature, quelque
excellente qu'elle p lisse être, <i r/ui I Se'-
(jneur ait jamais dit : Asseyez-vous à ma
droite? Sachez donc, di ail salai Pierre aux
Juifs <] u i l'avaient crucifié (el je dis la même
chose aux chrétiens qui f ml profeasioa d'être
ù lui elqui vivent comme s'ils ne le connais-
saient pas), sachez qu'il n'y a point de
pour vous par aucun dure; car nul autre
nom sous le ciel n'a été donné aux hommes
par lequel nous devions vire tauti
C'est donc en vous, ô Seigneur! <]u<- jo
trouve le (résor, la source, le principe, le
plénitude de toute grâce. C'est vous seul qui
pouvez m'en remplir, p in qu \ oui seul en
éles plein, et que la divinité habile en vous,
non pas par une simple effusion de grâce,
mais par union substantielle et perpétuelle.
A Dieu ne plaise que je pense à chercher
quelque chose hors de vous, puisque tout est
en vous! C'est vous que je regarde comme
le seul et unique objet de mon espérance;
c'est vers vous que je porte toute ma con-
fiance, tout mon amour, toute ma reconnais-
sance; et si je détourne quelquefois les jeux
sur les saints, c'est pour vous adorer dans
leur personne, c'est pour honorer vos dons
el votre munificence qui les a fails ce qu'ils
sont; c'est cnGn pour me soutenir et pour
m'animer par cette pensée si consolante ,
que ce que vous avez fait pour eux, vous
voulez le faire pour ceux qui >ous appar-
tiennent, et que vous êtes préi à répandre vos
dons sur tous les membres vivants du corps
mystique dont votre amour vous a rendu le
chef.
Mais nous ajoutons que celte grâce qui est
en lui y est pour nous être communiquée,
car il est cet homme fa il pour la vie. Il ne
faul pas lui laire l'injure de donner plus de
force à la créature pour nous perdre, qu'au
Créateur pour nous sauver. Nous reconnais-
sons qu'Adam a été pour tous les hommes
un principe de péché, de mon et de condam-
nation; nous savons par sainl Paul que le
péché est cnlré dans le monde par un seul
homme, et la mort par le péché, et qu'ainsi la
mort est passée dans tous les hommes par ce
seul homme, en qui tous les hommes ont péché ;
mais nous savons aussi que Jésus-Chrbt est
un principe de grâce, de vie el de gloire.
Adam esl le chef naturel de lous les hom-
mes pécheurs, Jésus-Christ est le chef spiri-
tuel et surnaturel de tous les fidèles, en qui
Dieu a mis, comme dans sa source, la grâce
qui les a sanctifiés. Adam, en qualile de | é-
cheur, a communiqué son péché à tous ses
descendants par la voie de la génération;
Jésus-Christ, souverainement jusle, commu-
nique la grâce et la justice à lous les fidèles
par l'application des mérites de sa passion :
communication de grâce qui s'est faile dans
tous les temps, et qui se fera jusqu'à la con-
sommation de tous les siècles d'une manière
gratuite, générale et abondaule : car c'est en
817
SERMON POUR LA FETE DE SAINT SEVERIN.
8(8
lui, dil saint Paul, que nous avons été com-
blés de toutes sortes de bénédictions pour le
ciel; de sorte que nous devons dire que,
comme au commencement du monde Dieu
imprima à ses créatures, en les bénissant,
une admirable fécondité qui leur fit produire
dans le cours de tous les siècles, leurs sem-
blables, ainsi Jésus-Christ, qui est devenu
par son incarnation le principe du nouveau
monde, a communiqué dans tous les tempg,
par la bénédiction toute nouvelle qu'il a
donnée, une autre sorte de fécondité plus
heureuse, plus spirituelle et toute divine, qui
fait produire continuellement des fruits de
vie et de grâce. Ainsi, Sauveur du monde, si
je vous regarde comme le seul objet de mon
espérance, parce que toute 5>râcc est en vous
uniquement, comme dans sa source cl dans
son principe, cette espérance s'anime et se
fortifie, parce que je sais que vous n'avez
celte grâce que pour la répandre sur les
hommes, et je dis avec le roi-prophète : Ex-
sultdjo in Deo Jesu meo : Je tressaillerai de
joie en Dieu mon Sauveur.
Ne passons pas légèrement sur celle com-
munication de grâce qui sort de Jésus-Christ
et qui se répand sur les membres de son
corps mystique, puisque c'est le fondement
de notre espérance. Expliquons en peu de
mots, et pour nourrir celte espérance, el pour
mieux connaître Jésus-Christ, qui en est
l'objet et le fondement, comment celte com-
munication s'est faite dans tous les temps et
comment elle se fera jusqu'à la consomma-
tion des siècles. Oui, mes frères, elle s'est
faite dans tous les temps d'une manière gé-
nérale et abondante; car, comme dil saint
Augustin en écrivant à saint Hilairc, il est
vrai que Jésus-Christ n'est venu au monde
sous une chair mortelle que beaucoup de siè-
cles après Adam; cependant, comme lou.'e jus-
tification se rapporte à Jésus-Christ, ce qu'il
y a eu de justes dans le temps de l'ancienne loi
n'ont été délivrés et justifiés que par la même
foi par laquelle nous le sommes, c'est-à-dire
par la foi de l'incarnation, qui leur avait été
prédite en ce temps-là, comme elle nous est an-
noncée à présent. Et dans une lettre à Optât,
le même saint dit encore : Comme il y a eu
des justes, c'al -à-dire de véritables adora-
teurs du vrai Dieu, avant aussi bien qu'après
l'incarnation de ce divin Sauveur, en qui ré-
side la plénitude de la grâce, il ne faut point
douter que ce qui est écrit, qu'il n'y a point
d'autre nom que le sien dans le ciel ni sur la
terre par où nous puissions être sauvés, a
commencé d'avoir lieu pour le salut du genre
humain dès qu'il a été corrompu par Adam,
parce que, comme c'est par Adam que tous
sont morts, c'est par Jésus-Christ i/uc tous
sont vivifiés ; c'est-à-dire que, comme nul ne
se trouve sous l'empire de la mort que par
Adam, nul aussi ne se trouve dans le royaume
dt la lie que par Jésus-Christ; cl romm c'est
par Adam i/ur tuas 1rs hommes naissent im-
pirs, c'est par Jésus-Christ que tout ce qu'il y
u de justes est justifié.
C'est donc dans tous les temps qu'il a ré-
pandu sa grâce sur tous les hommes, sur
ceux qui ont marché devant son incarnation
comme sur ceux qui suivent, et il continuera
à la répandre jusqu'à la fin des siècles ; car
l'Apôtre m'assure que Jésus-Christ était hier,
qu'il est aujourd'hui, et qu'il sera le même
jusqu'à la consommation des siècles. Que cette
vérité est consolante, mes chers frères !
Voilà, chrétiens, les vues que la miséri-
corde de Dieu m'a données sur Jésus-Christ:
les avez- vous pénétrées, mes très -chers frè-
res ? L'avcz-vous toujours regardé -comme
l'unique objet de vos adorations, comme le
modèle de voire conduite, comme le seul oit-
jet de vos espérances ? Si vous les avez eues ,
les avez-vous suivies ? et ne pourrait-on pas
vous reprocher, comme à ces philosophes
dont parle saint Paul, qu'ayant connu Dieu,
vous ne l'avez point glorifié comme Dieu, et
que vous ne lui avez pas rendu grâces?
Avouons-le, mes Hères, mais que ce soit
en gémissant, le nombre est bien petit de
ceux qui connaissent Jésus-Christ : on n'a
que des idées vagues sur Jésus-Christ, que
des vues générales sur sa vie, que de cer-
taines notions confuses et embarrassées sur
les liaisons qui nous attachent à sa personne,
sur les rapports que nous avons à sa vie. sur
la dépendance de sa grâce; mais on n'éclair-
cit point ces idées, ou ne suit pas même ces
vues générales, on craint d'entrer dans les
vérités qu'elle nous fait entrevoir, de peur
d'être obligé de les regarder comme des sour-
ces de devoirs importants et essentiels, qui
doivent régler notre vie, entrer dans notre
conduite, animer tous nos sentiments et for-*
mer nos pensées et tous nos désirs.
La négligence a porté nos connaissances
jusqu'à abuser des lumières dont il nous a
éclairés, et on lombe sans s'en apercevoir
dans les ténèbres et dans l'aveuglement du
cœur, jusqu'à ne connaître plus la religion.
Recourons donc à la grâce de Jésus-Christ,
mes très-chers frères. Pour détourner eu
malheur qui nous menace, apprenons à con-
naître Jésus-Christ, portons vers lui toutes
nos adorations, attachons-nous à suivre ses
exemples, étudions ses maximes dans son
Evangile, apprenons-y à faire de sa vie la
modèle de la nôtre, mettons uniquement no-
tre espérance dans sa sainte grâce, enfin ho-
norons ceux qui s'appliquent uniquement à
nous faire connaître Jésus-Christ, qui retra-
cent sa vie à nos yeux par leur conduite, et
qui mériteront par là la gloire éternelle que
je vous souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
POUll LA FÊTE »>E SAINT S 10 V IC R I V , ABBÉ RT
solitaire (1 1 février).
Non invCDi LanUm Ddem in Israël.
Je n'ai punit trouvé nue si fframle foi en Israël (Mattli.,
VIII, 10).
Quoique le Sauveur du monde ail donné
de très-grandes louanges au centonier de l'K-
vangile à qui s'appliquent les paroles de mon
te\te, on ne doit point le comparer aux pa -
triarches ni aux grandes âmes de l'ancienne
loi, el lorsque, après avoir admiré le léinoi-
819
ORATEURS SACRES
gnasjc de sa foi, il dit à cens qui le suivaient
qu'il n'avait point trouvé une si grande loi
dans tout Israël, il voulait seulement parler
du peuple et de ceux qu'il avait vus lui-même
depuis qu'il s'appliquait au ministère de la
parole.
finisi, mes frères, je ne prétends pas l'aire
de comparaison de la foi de saint Severin, à
gai j'ai dessein d'appliquer ces paroles, avec
le ci ntenier de l'Evangile; mais je puis dire
avec assurance que l'on ne peu! trop admirer
la foi dont Dieu a prévenu ce grand saint dès
sa jeunesse, et par laquelle il l'a conduit jus-
qu'à la consommation de sa vie. L'apôtre
saint Paul, en nous disant que lejuste vit dans
la foi, nous a marqué par ces paroles le ca-
racière de. notre saint ; car celle qu'il plut à
Dieu de mettre en lui fut comme une source
de vie répandue d'une manière admirable
dans tous ses mouvements.
Examinons donc ce que la loi a fait en sa
personne, et disons, pour faire son éloge et
partager ce discours, que la foi l'a appelé
dans la solitude, comme un autre Abraham :
première partie ; que la foi l'a conduit dans
la cour, comme un autre Moïse : deuxième
partie; enfin que la foi l'a couronné dans le
temple, comme Siméon : troisième partie.
Implorons Marie pour obtenir le secours du
ciel. Ave, Maria
PREMIÈRE PARTIE.
Comme la foi produit différents effets dans
le cœur des chrétietis, les théologiens, en
suivant les expressions de l'Ecriture sainte,
lui donnent différents noms, que nous expli-
querons dans les différentes parties de ce
discours , afin de ne pas confondre ce que
Dieu a l'ait par la foi dans notre illustre
saint.
Je considère d'abord la foi <omme une lu-
mière céleste répandue dans l'esprit du chré-
tien pour l'éclairer et pour lui montrer d'au-
tres voies que celles que lui découvre la na-
ture, et dans lesquelles le monde le veut
engager : lumière accompagnée d'un mouve-
ment intérieur qui le porte dans ces voies, et
d'une onction de la ^ràce qui lui fait foi m r
la résolution de la suivre. C'est ainsi que l'a-
pôtre saint Paul nous décrit cette foi dans ce
qu'il rapporte de celle d'Abraham : C'est par
la foi, dit-il, que celui ijui a reçu de Dieu le
nom d'Abraham lui obéit, en s'en allant dans
la terre qu'il devait recevoir pour héritage, et
qu'il partit sans savoir où il al
Cette foi venant du ciel est appelée dans
l'Ecriture une vocation , et comme reçue
dans le cœur de l'homme qui en suil les lu-
mières, la même Ecriture lui donne le nom
d'obéissance. Or, mes frères, celle foi reçue
dans le cœur de l'homme, et le mérite de
l'obéissance qu'il lui rend, croissent à pro-
portion que les choses qu'il quitte pour sui-
vre ces lumières et marcher dans ses voies
sont plus capables de le retenir, et qu'il est
plus fortement sollicite à suivre d'autres
voies que celles qu'elle lui monde. C'esl
pourquoi les saints Pères relèvent si fort la
fui et l'obéUsance d'Abraham, à qui Dieu
DUM JEROME. Ko
commande de sortir de son pays, de quiit< r
ses parents et d'abandon'.' r -ou propre père,
pour aller dans un lieu qu'il ne kli
point en particulier. Or voici quelque < lio^e
nblable que la foi nous lait von en l,i
personne de saint Severin : Dieu l'ap
dans la solitude, et il ne pensa qu'a l.i lui»
vie, sans considérer toutes les clios' » qui
devaient le retenir da..s le monde. Il i tait
d'une naissauce illustre, mailre d'une for-
lune avantageuse et dans le plus bel â.
la vie. La gloire d'j monde que sa :
lui donnait, les biens dont il était a-suc
la fortune, et l'espérance de jouir longtemps
de tous les avantages dont il | liai—
ter, formaient de grands obstacles à sa re-
traite. Il ne faut pas s'étendre beaucoup sur
la liaison que le pèche a mise ; Dire ces <,|i-
jets de la concupiscence, comme l'Ecriture
les appelle, et le cœur de l'homme qu'elle a
infecté, pour faire connaître quelle violence
il doit se faire pour les rejeter quand il se
viennent offrir à lui, qu'il semble être né
pour les posséder, et que toutes tes choses
se présentent dans un âge où les préventions
nous aveuglent, où l'expérience nous man-
que, où li s passions nous entraînent. Vous
jugez bien que, pour quitter les voies du
monde et embrasser celle de la solitude, il
faut que la foi fasse de puissantes impres-
sions dans un cœur.
C'esl l'idée que vous devez prendre de
celle qu'elle a faite dans le cœur de notre
jeune solitaire : ell lui adoucit tellement ce
chemin et la voie qu'elle lui fil prendre, et
elle lui fit si bien voir le* difficultés et ce pé-
ril des voies du monde, que, devenant sa^e
avant l'âge, il s'élève au-dessus des préven-
tions, et, sa foi suppléant au défaut d
expérience, il apprit à juger des choses non
pas sur ce qu'elle --e.it. mais sur ce
qu'elles sont en eflet. Ainsi il co ..para la
gloire du monde avec l'obscurité de la -oli-
lude, non pas du côte d< l'éclat de celle gloire
qui nous éblouit, mais du côté u re; os et de
la retraiie, qui contribuée non- rendre heu-
reux.. U compara les grandeurs du monde
avec la soumi->-i n et la dépendance de la
solitude, non pas du l'empire ei de
l'autorité que celle-là nous donne, mais du
côté où l'assurance de celle-ci nous met. Il
compara les biens d i la fortune et les com-
modités du corps avec la pauvreté el lee souf-
frances de la solitude, non pas du coté du
plaisir court el iu parfait que ces biens peu-
vent nous donner, mais du côté d'une éter-
nelle félicité où elles nous mènent; el, bien
loin que son ige lût un obstacle aux desseins
de la foi, il regarda coi .el d'une très-
grande miséricorde d'être prévenu de ces lu-
mières avanl que d'avoir fait des ci .
ments difficiles à rompre el contraires a ceux
de M»n baptême, de pouvoir commencer de
bonne heure une carrière dans I quelle OU
ne peut mai cher asseï longtemps pour le
prix de la récompense promise, el de s'assu-
rer les av anlag< s d'une v ic bienheureuse qui
ne finira point, par le sacrifice d'une vie mi-
sérable qui peut finir à chaque instant.
821
SERMON POUR LA FETE DE SAINT SEVER1N.
822
Voilà l'ouvrage de la foi dans notre illus-
tre saint, voilà le triomphe auquel nous ap-
plaudissons ; mais croyez- vous ne devoir
contribuer à sa gloire que par de simples ap-
plaudissements? croyez-vous avoir digne-
ment célébré la mémoire de votre saint pa-
tron en donnant des louanges stériles à ses
actions? et ne savez- vous point que les
louanges que vous lui donnerez seront une
condamnation que vous prononcerez contre
vous-mêmes, si vous ne vous appliquez pas à
imiler par votre conduite ce que vous approu-
vez par vos louanges? Voyons donc si, après
avoir reçu les mêmes lumières et une sem-
blable vocation que la sienne, nous nous
sommes mis en devoir de les suivre et d'y
obéir comme il l'a fait.
Vous n'ignorez pas, mes frères, que l'apô-
tre saint Paul appelle les chrétiens des en-
fants de lumière, el pour rendre son expres-
sion plus forte, il les appelle eux-mêmes lu-
mière de Noire-Seigneur : Nunc autem lux in
Domino. Examinons donc d'où vient celle
dénomination des chrétiens, et les consé-
quences qu'il en faut tirer, selon la doctrine
de saint Paul. Or, mes frères, celle double
dénomination a deux rapports, selon l'ex-
plication des sainls Pères : un qui regarde
les chrétiens mêmes, l'autre qui regarde leurs
frères : elle marque dans les chrétiens celte
abondance de lumières qu'ils ont reçues de
Dieu dans le baptême, qui pour ce sujet est
appelé par Teriuliien, s a crament um illumina-
tionis; et c'est pour cela que l'Apôtre les ap-
pelle enfants de la lumière. C'est la généra-
lion dans la lumière parla grâce du baptême
qui mel en eux une lumière divine el une
sagesse semblable à celle de Jésus-Christ, au
nom duquel ils soal baptises, et de qui ils
sont revêtus par leur baptême.
Mais en même temps elle marque aux
chrétiens une obligation indispensable de se
conduire dans tous leurs mouvements sur
les principes de celte lumière qu'ils ont re-
çue, en sorte que toutes leurs actions fassent
comme un corps de lumière qui serve de
flambeau aux autres pour les conduire, et
qu'étant eux-mêmes pénétrés , pour ainsi
dire, des lumières de la foi, ils deviennent la
lumière de leurs frères, comme le 1er péné-
tré du feu jelte assez d'éclat pour servir de
(lambeau. C'est ce que signifient ces paroles :
Nunc aillent lux in Domino.
Nous apprenons donc de ce non), que l'A-
pôtre donne aux chrétiens, ce que c'est que
le nouvel être du chrétien par la foi, et les
obligations du chrétien par ce nouvel élre.
Or, mes frères, en recevant ce nouvel être
p:ir la foi, nous avons reçu des lumières
scmblabli s à celles de noire illustre saint et
une pareille vocation : car la foi qui nous
éclaire est appelée par les Pères une voix qui
nous appelle; ainsi, dans le bap.èmc, où
nous avons quille le parti du monde pour
prendre celui de Jésus-Chrisl, et où nous
avons renoncé aux pompes de l'un pour em-
brasser la pauvreté de l'autre, nous avons
reçu des lumières qui nous ont fait connaîtra
ce qu'il } av il de meilleur pour le suivre,
el ce qui était pernicieux pour le rejeter, et
ces mêmes lumières qui nous ont éclairés
pour faire ce choix forment une voix qui
nous appelle toujours et qui nous demande
l'accomplissemenl des obligations où nous
sommes entrés. En un mot, le baptême a fait
en vous, qui êles chrétiens, ce que la foi et
la vocation singulière ont fait dans les plus
grands solitaires et dans les plus saints moi-
nes, et par la consécration de ce baptême
Dieu demande de vous ce qu'il exige d'eux
par la sainteté de leur professiou.
Il est vrai, mes frères, et je n'ai garde de
donner atteinte le moins du monde à la per-
fection d'un état dont la profession fait toute
ma gloire, la consécration des veux de reli-
gion ajoute beaucoup à la perfection ordi«
naire des chrétiens, et les religieux accom-
plissent les règles de l'Evangile d'une ma-
nière plus pleine que les fidèles du commun,
puisqu'ils abandonnent réellement et en effet
ce que les autres ne quittent que par désir
el par affection ; mais comme c'est une per-
nicieuse erreur que de s'imaginer qu'il n'y a
que les religieux qui soient obligés à bien
vivre, et que les autres peuvent vivre négli-
gemment, on doit représenter aux chré-
tiens que la perfection qui est marquée dans
l'Ecriture est pour lont le inonde, el que
quand Jésus-Christ et les apôtres ont parlé
de renoncer au monde, de mourir à soi-
même, de combattre ses passions, ils ont
parlé à tous et n'ont point lait de distinction
de personnes ni de conditions ; que le mémo
modèle de perfection nous est proposé à
tous , et qu'étant obligés d'imiter Jésus-
Christ, il n'y a point d'état dans le christia-
nisme plus obligé que d'autres à tendre à la
perfection, quoiqu'il y ait différents degrés
de perfection dans les différents étals ; enfin,
que tous sont obligés à marcher dans la voie
étroite, pour arriver à la gloire éternelle à
laquelle tous sont appelés. Ce sont là les
motifs qui m'ont engagé à représenter aux
chrétiens leurs obligations essentielles, avec
d'autant plus de raison, que, faisant aujour-
d'hui l'éloge d'un saint solitaire, on pourrait
croire plus facilement qu'il suffit de louer ses
vertus sans songer à suivre ses exemples,
que sa conduite n'est pas une règle pour
la nôtre, et que ce qui a fait sa sainteté n'en-
tre point dans les voies de notre sanctifica-
tion. A Dieu ne plaise, mes frères, que vous
tombiez dans celle erreur 1 sachez que la foi
vous doit conduite comme elle la conduit
dans la solitude intérieure, si vous voulez
assurer votre salut. Vous avez renoncé au
monde par votre baptême, el la foi qui vous
a fait faire celle renonciation vous appelle.
dans un certain genre de vie. pour la soute-
nir qui, selon les vues de la loi, me parait
plus difficile que celui que saint Sévetia ;i
embrassé el que les solitaires embrasent à
son exemple.
Je condamne l'erreur de Pelage avec toute
ri,^lise,el je ne crois pas, comme cet ennemi
de la vérité, qu'on ne puisse se sancli
dans l'usage des richesses et qu'il faille quit-
ter absolument le commerce du inonde pour
845
',ii. H ki >)M ii KONI
«44
se sauver; mail rien ne peut m'empêcher de
dire, en considérant l'état 'les choses , qu'a
près avoir renoncé au monde par son baptê-
me, il est bien difficile d"y demeurer ; qu'étant
obligé de le haïr, il faulélre bien en garde pour
vivre avec lui, parler comme lui et posséder
ses biens; qu'étanl obligé de se renoncer soi-
même après avoir renoncé à toutes les pom-
pes du monde, il faut être bien hardi pour
commander aux autres, recevoir des hon-
neurs et posséder des dignités; qu'étanl obli-
gé de combattre ses passions, il est bien dé-
licat de demeurer dans un lieu où tout est fait
poiir les exciter, où on trouve mille moyens
de les satisfaire, et où même on ne se fait pas
un devoir de les couvrir. Il faut plus de force
pour demeurer au milieu de tant de périls et
y vivre en chrétien, qu'il n'en faul pour quit-
ter le monde et pour vivre en solitaire ; mais
heureux celui qui sait renoncer à celle gloire
pour embrasser dans la retraite un parti
plus sûr! Souvenez-vous surtout, si- vous
n'êtes pas appelés à cette solitude parfaite où
Dieu ne conduit que les grandes âmes, comme
Abraham et votre saint patron, que vous
êtes obliges de vivre dans une solitude d'af-
fection et dans une séparation de cœur tres-
diflicile dans l'usage des choses du monde, et
absolument nécessaire pour le salut. C'est à
vous de vous examiner, pour reconnaître si
votre manière de vivre s'accorde avec les
obligations de votre baptême, et si vous
pouvez espérer que voire foi vous soutiendra
dans le monde, ainsi qu'elle a soutenu saint
Séverin dans la cour, où elle l'a conduit
comme un autre Moïse : c'est le sujet de la
deuxième partie.
DEUXIÈME l'ARTIE.
Nous ne parlerons plus de la foi dans celle
deuxième partie, sous l'idée que nous en
avons donnée dans la première : comme elle
va produire différents effets dans la personne
de notre saint, il faul vous marquer les dif-
férentes idées que l'Ecriture nous en donne,
afin de distinguer tout ce qu'elle fait en lui,
et de reconnaître mieux comment elle le sou-
tient au milieu de la cour, où elle le conduit
comme un autre Moïse. Je trouve donc que
la foi est souvent prise dans l'Ecriture pour
une certaine confiance de l'homme dans le
pouvoir de Dieu, qui lui fait croire ferme-
ment qu'il fera en son nom tous les miracles
nécessaires pour sa gloire et pour l'accom-
plissement de ses desseins. La foi est prise
encore dans l'Ecriture pour la fidélité de
l'homme à demeurer attaché aux promesses
de Dieu, et à rejeter tous les avantages pré-
sents, pour ne pas perdre le droit aux biens
invisibles et éternels. Enfin la foi est prise
pour le couronnement de celte confiance et
do celte fidélité, parce qu'elle en est le prin-
cipe et qu'on luien rapporte les effets, comme
on attribue aux empereurs, disent les i n (or—
prêtes, la victoire des soldats qui ont com-
battu par leurs ordres. Or, après cet éclair-
cissement nécessaire, je dis, mes frères, que
la foi a soutenu noire solitaire dans la cour,
où elle le conduit comme un autre Moïse;
i ar )'• 1 1 marque que ce qui s« pa »sa dans la
cour de Pharaon, où ce prophète lut conduit,
et ce qui marqua la grandeur de sa loi, s'o-
père de même dans la cour de Clovis, où la
foi conduisit notre solitaire.
Ce prophète y fit des prodiges, et sa foi fut
si grande, que. Dieu lui abandonnant son
pouvoir, il devint comme le Dieu de Pharaon,
selon l'expression de l'Ecriture. Si fidélité
lut si étonnante, que, tout mi-érable qu'il
était dans sa fortune par sa naissance, il a -
ma mieux voir augmenter sa misère en mé-
prisant les offres d'une grande princesse et
tous les trésors de l'Egypte qui lui étaient ou-
verts, que de renoncer à l'effet des prou,
de son Dieu. Enfin la confiance que ce pro-
phète avait en Dieu fut si parfaite, que -a
mémoire est célébrée d'une manière admira-
ble dans l'éloge que l'apôtre saint Paul a
consacré à la foi des grands hommes de l'au-
cienne loi.
La foi l'a donc soutenu dans la cour de ce
prince, puisque par elle il a tout soumis,
puisque pour elle il a tout méprisé, puisque
par elle il a tout mérité. Or, mes frères, ce
que la foi a fait pour Moïse dans la cour d'un
prince idolâtre, elle l'a fait pour notre illus-
tre saint dans la cour d'un prince très-chré-
tien : il quitta sa solitude pour venir secourir
Clovis dans une maladie de langueur qui
mettait en danger la vie de ce grand prince;
mais je ne peux le voir sortir de sa solitude,
où il est entré comme un autre Abraham,
sans marquer encore une nouvelle circon-
stance dans les rapports que la foi a mis en-
tre ce patriarche et notre saint : c'est que ,
pour obéir aux ordres de Dieu, il fallait sa-
crifier ses enfants ; car il en avait formé dans
sa solitude, où sa retraite, devenue féconde
par son zèle, l'avait rendu père de saints dis-
ciples, auxquels il était attaché et desquels
il se sépara. Oubliant qu'il eu était le père,
pour se souvenir seulement, comme Abra-
ham, qu'il élait serviteur d'un Dieu auquel il
fallait obéir en renonçant à tout autre inté-
rêt, il abandonna ses chers enfants, sans es-
pérance de les revoir jamais : et. soutenu par
la loi qui le conduisait, quittant sa solitude,
il prit le chemin de la cour, où il devait faire
tant de prodiges et donner tant de marques
de sa fidélité.
Je ne vous dirai rien de ce qu'il fil avant
que d'arriver à la cour de Clovis : lou* les
malades qui se présentèrent à lui furent gué-
ris, et ce que le Sauveur du monde dit dans
saint Jean, que celui qui croit en lui fera tes
n livres (jii'it a faites, et en fera encore de p/»>
grandei, s'accomplit eu la personne de notre
saint. 11 n'y eut ni maladies ni démons mê-
me qui pussent remisier à sa vertu, la foi
ayant mis la puissance de Dieu entre s s
mains. Il entre enfin dans la chambre du roi.
et, se penchant sur ce prince, il commanda à
la fièvre de le quitter, et la fièvre le quitta
au même instant.
Ce miracle éclatant, fait sur une personne
si chère à tous les peuples, de qui la rie li
néccssairecl si précieuse A l'empire français,
était comme désespérée, acquit à noire saint
8»r
SEKMON POUR LA FETE DE SAINT SEVEH1N
820
toute l'estime et tout le crédit que vous pou-
vez penser. On le regarda comme le libéra-
teur d'un grand roi qu'on est en danger de
perdre, et ce grand roi lui-même, sensible,
autant qu'il le devait, à un bienfait si esti-
mable, n'oublia rien pour en marquer sa re-
connaissance à son bienfaiteur.
Ce fut ici, mes frères, que notre solitaire
eul besoin de toute sa fidélité pour se soute-
nir, et où, sa foi étant devenue comme re-
cueil de sa sainteté, il fallut songer à défen-
dre sa vertu contre le mérite de ses miracles :
car, après la miraculeuse guérison de ce
prince, tout s'étant déclaré pour lui, sa foi
3e vil exposéeà d'étranges épreuves ; et quand
je vois ce saint les soutenir toules avec une
constance et une fermeté admirables, je ne
puis m'empêchcr de dire : Peut-on trouver
une aussi grande foi en Israël? Non inveni
t'antam ficlem in Israël. Je n'en marquerai que
quelques-unes, n'étant pas possible de vous les
exposer toutes. Représentez-vous ce que peu-
vent faire sur un cœur la vaine gloire et la
complaisance où l'exposaient les acclama-
lions du peuple, les applaudissements de la
cour, les honneurs et la vénération d'un
grand roi. Si saint Bernard a dit autrefois que
les moines gagnaient beaucoup à demeurer
dans la solitude, parce que, leur vie n'étant
point exposée aux yeux des hommes, ils n'é-
taient point au hasard d'être estimés saints
avant que de l'être, à quel danger était donc
exposé ce grand saint, au milieu d'une cour
où tout retentissait de ses louanges ! et quelle
a dû être sa foi, pour savoir se cacher à ses
propres yeux, lorsqu'il éclatait à ceux de
toute la cour, et de s'estimer lui-même un
serviteur inutile, pendant qu'on l'admirait
comme un homme miraculeux !
Croyez-vous que la pénitence et cette au-
stérité de vie qu'il avait toujours pratiquées
n'eurent pas de peine à se soutenir, en vi-
vant parmi des gens à qui ces exercices cl
ces manières déplaisent même dans les au-
tres, parce qu'elles condamnent toujours en
eux un genre de vie qui y est opposé ? Com-
hien se présente-t-il de raisons pour affai-
blir l'austérité et introduire le relâchement!
Combien ces prétextes de bienséance, d'une
honnête conformité et d'une complaisance
raisonnable el nécessaire aux rencontres des
temps et des lieux, aux manières et à l'hu-
meur des gens, ne font-ils point d'impres-
sion ! Les vues mêmes d'une charité sage el
judicieuse, qui sait se relâcher pour se ren-
dre utile, ne se présentent-elles pas ? et com-
bien en a-t-on vu qui, séduits par ces illu-
Jious, ont couru risque de perdre leur vertu
pour le salut d autrui, et se sont perdus eux-
mêmes pour sauver les autres !
Que la résidence dans les lieux où l'on ne
fait pas profession de suivre les règles exac-
tes de la religion est dangereuse, quelque
prétexte qui y engage I 11 faut être animé
d'une foi bien puissante cl solidement enra-
cinée dans la charité, pour s'y soutenir ; et
c'est ce que nous devons admirer dans notre
incomparable saint solitaire, <|ni vécut au
milieu de la cour comme dans l'horreur de
son désert, el qui ne soupira qu'après sa so-
litude, lorsque tant de moyens de la quitter
se venaient offrir à lui.
Je n'admire pas qu'un homme ne pense
qu'à unir ses jours dans une solitude où il
est comme enterré par sa profession, in-
connu à toute la terre, el sans aucun moyen
de se produire: il y a, mes frères, de la néces-
sitée prendre ce parti, et il y aurait même sou-
vent de l'extravagance à songer à en pren-
dre un autre. Mais qu'un homme de qualité
qui s'est engagé très-jeune dans la solitude,
après y avoir passé un nombre d-'années
avec beaucoup d'honneur, vienne à eu sortir
par une rencontre glorieuse, et que, ren-
trant dans le monde avec éclat, il s'y sou-
tienne par une conduite digne d'admiration
et capable de lui attirer l'estime, la faveur
et le crédit de tout ce qu'il y a de grand,
j'admire que l'inconstance et l'ambition, si
naturelles à l'homme , que les ennuis delà
solitude et la facilité de réussir, ne persua-
dent pas à cet homme qu'il y a de grands
biens à faire hors de sa solitude, et qu'il ne
pense pas à se mettre en repos, sous pré-
texte de procurer le salut d'autrui par cha-
rité.
La fidélité de notre solitaire est donc d'au-
tant plus admirable qu'elle le soutient contre
l'inconstance, qu'elle le défend contre l'am-
bition,qu'elle lui rend aimables les peines
de sa solitude, cl qu'elle lui fait mépriser la
faveur d'un grand roi et fouler aux pieds
tous les biens qu'il lui présentait. Pcut-élre,
mes frères, me direz-vous qu'il n'avait garde
de penser à s'établir à la cour, puisqu'avant
que de sortir de sa solitude il avait eu une
vision dans laquelle Dieu lui marqua tout
ce qui lui devait arriver dans son voyage, et
l'avertit qu'après avoir rendu la santé au
prince, il quitterait la cour pour aller finir
sa vie dans une autre solitude, qu'il lui mar-
quait. Mais , croyez-moi , à moins d'une
grande foi , les révélations deviennent aisé-
ment suspectes dans de pareilles conjonc-
tures, et l'on serait bien porté à se persuader
facilement par humilité qu'on est indigne de
ces faveurs du ciel, si l'on se trouvait dans
de pareilles circonstances. Que rien donc ne
vous empêche de donner à la fidélité de
notre solitaire toutes les louanges qu'elle
mérite. Comparons-le avec. Moïse, puisque,
aussi bien que ce prophète, il fait éclater la
puissance de Dieu par le mérile de sa foi au
milieu de la cour des rois, et que comme lui
il en a méprisé les grandeurs et les hon-
neurs, demeurant aussi ferme et aussi con-
stant que s'il avait vu de ses yeux la majesté
de celui à qui il devait être fidèle, et les
récompenses qu'il avail promises à sa fidé-
lité. An ! quelle condamnation pour la noire,
mes frères ! Ce grand saint est fidèle jusqu'à
mépriser ce qu'on lui offre, de peur que l'ac-
c tant il ne parût faire quelque eslime des
choses auxquelles il avail renonce, el qu'on
ne peut aimer s lus perdre le droit aux biens
éternels que la foi nous promet; et nous ,
engagés comme lui à être fidèles, espérant
les mêmes biens éternels , nous aimons le
827
ORATEURS SACRES. DUM JEROME.
monde cl ses biens, quoique nous j ayons
renoncé. Aveuglés par noire amour, nom
courons après ce qui nous luit, cl, abandon-
nant ce qui ne saurait nous manquer si nous
étions fidèles, nous poursuivons toujours ce
que nous n'acquerrons jamais par tous nos
soins. Je serais coulent si, en laissant à notre
illustre saint la gloire d'avoir refusé ce qu'on
lui offrait, nous (lions assez sages pour re-
noncer à ce qu'on nous n fuse, et si la vue
des duretés que le monde a pour ceu\ qui
le. suivent nous obligeait à retourner à Dieu
par la foi, el à demeurer dans les engage-
ments que nous nous sommes faits avec ce
divin maître, qui n'a que de la douceur et
des biens pour ceux qui s'attachent à lui.
Mais pour voir l'ouvrage de la foi dans sa
consommation, il fallait qu'elle couronnât
celui qui l'avait fait triompher avec lant
d'éclat ; c'est ce qu'elle fil pour notre saint ,
qu'elle couronna dans le temple, comme Si-
méon : c'est le troisième point.
TBOISIÈME PAItTIE.
Je n'aurai pas le temps de vous marquer
Dicn au long les admirables rapports que la
foi a mis entre Siméon et notre solitaire ,
qu'elle couronne dans le temple, comme ce
juste de l'ancienne loi. Mais pour achever
son éloge, et pour vous animer à être fidèles
par la vue de l'heureuse fin de ceux qui l'ont
été, je dirai seulement qu'ayant quille la
cour et passé dans la solitude que Dieu lui
avait marquée, il vint dans le lieu où il
devait recevoir la récompense de ses Ira-
vaux , étant poussé par l'esprit de Dieu ,
comme un autre Siméon : Yenit in spiritu in
icmplo. Là, mes frères, après s'être décou-
vert à deux saints prêtres qui servaient Dieu
dans une chapelle bâtie au milieu de ce dé-
sert, et leur avoir communiqué les ordres
du ciel sur sa personne, il ne leur parla
plus que de la mort. Dégagé de tous les
autres soins, el comme tenant le Fils de
Dieu entre ses br.is, par un renouvellement
de celle foi qui le lui avait toujours rendu
présent dans tous les mouvements de sa vio:
Accepit eum in ulnas suas, il lui demandait
qu'il lui plût de faire avancer cet heureux
moment où il devait le posséder : Ninic <!i-
miltis servum liutm. Ainsi ce;te grande âme,
qui n'avait jamais agi que par la foi, sortit de
son corps pour aller'jouir de ce Dieu dentelle
avait fait éclater la puissance dans la cour
des rois, et qu'elle avait préféré à toutes
leurs grandeurs. Que celte fin est heureuse,
mais qu'il est dangereux de se flatter d'en
faire une pareille, quand on ne prend pas
des mesures qui y conduisent en réglant sa
vie sur les lumières de la foi! Car quollc ap-
parence y a-l-il qu'un homme qui a a:mé
le monde, el qui s'en est rendu l'esclave,
malgré les engagements de son baptême et
la fidélité qu'il doit à Dieu, méritera d'être
couronné par la foi, dont il n'a jamais connu
I es di voira ni retendue durant sa vie? Alors
la foi, qui produit une profonde paix dans
l'âme des justes, excitera -un trouble épou-
vantable dans celle des pécheurs. Ces lu-
mières qui découvrent aux uns la récom-
pense qu'ils ont méritée, montrent aux | li-
tres les ( bâtiments qui les attendent, et, ou-
vrant .1 tous une même porte qui conduit à
l'éternité, les uns y entrent avec eonfi
et les aulres avec désespoir. Je ^n\s bien que
l»:cu est plein de nritértoordo et qui; peui
faire des miracles, mais qu'il est dangereux
et téméraire loul ensemble d'en allendre pour
son salut !
Adressons-nous donc a Dieu, pour lui faire
la prii : homme de l'Evangile : Credo,
Domine: Seigneur, je crois : suppléez au dé-
faut de ma loi. Défions-nous, mes frères, de
celle qui est en nous, si elle n'est opér
Souvent elle est si faible, qu'elle n < n mé-
rite presque pa- le nom. Demandons en NRM
eetse l'accroissement a Dieu. Employons
pour cela le, prières et les larmes, afin
qu'après avoir publié l'abondance de celle
de saint Séverin, nous ne soyons pas con-
damnés par la faiblesse de la noire, et que
nous méritions le ciel : c'est ce que je vous
souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON
POtn LA FÊTE DE SAINTE CLOTILDE (3 juin'.
M:igna est (ides tua.
0 femme! que voire foi est grande (Molth., XV, 28)1
Gomme la foi est une vertu qui doit être
commune à tous les enfants de Dieu, on peui,
mes très-chers frères, examiner ses diffé-
rentes opérations dans chaque saint, où elle
se trouve, el quand on y rencontre des pro-
di.es dignes de notre admiration, il est tou-
jours permis, pour marquer son adm ra-
tion, de se servir de ces paroles : (Jue votre
foi est grande! ÀJayna mJ f des tuai Je laisse
donc à laChanauee ce qu'il > a de propre dans
les preuves de la foi, et j'admire les promptes
el persévérantes opérations de cette vertu
dans l'âme de celle infidèle; mais, mes
frères , ce qu'il y a de particulier daus celle
de noire admirable sa nie est si surprenant,
qu'il me semble que l'on ne peut faire son
éloge si on ne parle de sa foi, et qu'on u'c
peut parler dignement si on ne dit qu'ell>
ele grande: Magna est /ides tua. Ainsi, comme
le juste nt par 1 1 foi, dit l'Eciilure, on doit
parler de la grandeur de cette ri rlu comme
on parle de celle de la vie des hommes, c'est-
à-dire par rapport aux emplois qui la ren-
dent illustre : or. la l ie des hommes se passe
dans le soin de former des desseins pour
leur gloire, dans l'application à vaincre les
obstacles qui s'opposent à leur exécution, et
dans le plaisir de jouir du fruit de leur suc-
cès. C'est ce qui fait que, lorsqu'il arrive
es desseins d'un homme ont été grands,
qu'il a vaincu de puissants obstacles pour
les e\éeuter, et qu'enfin il a heureus ment
réussi, ou ne craint point de le placer parmi
les grands hommes el de publier que sa vie
est i lustre.
C'est sur ces principes que je reai établir
la grandeur de la foi de notre incomparable
reine, pour jushiier la vérité tics paroles de
mon te\ le. Celte grande sainte n'a vécu que
par la foi, cl elle a rendu sa vie illustre el
PS)
M
829
SERMON POUR LA FETE DE SAINTE CLOTILDE.
830
grande devant Dieu par la foi : c'est ce que
vous allez reconnaître, dans les entreprises
difficiles qu'elle lui fit former : première
partie; dans les épreuves terribles qu'elle lui
fit soutenir : deuxième partie; dans les suc-
cès heureux dont elle fut couronnée : troi-
sième partie.
Demandons les lumières du Saint-Esprit.
Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Il faut avouer, mes frères, que la conduite
de Dieu est admirable, et qu'il fait éclater
de temps en temps aux yeux des hommes
des prodiges qui leur apprennent bien qu'il
est leur souverain, et que, Lorsqu'il a résolu
quelque chose, il renverse comme il lui plaît
et les conseils et les obstacles qu'ils y pré-
tendent opposer.
Pharaon forme des desseins de mort contre
tout le peuple de Dieu, et lorsqu'il croit
avoir pris des mesuri s infaillibles pour y
réussir, la Providence conserve un enfant
dans le péril ; elle le fait échapper au nau-
frage, elle veut qu'il soit élevé dans sa cour
même, et qu'il prenne lui-même soin de l'é-
ducation de celui qui doil renverser tous ses
dessens et rendre la liberté au peuple qu'il
veut exterminer. Les commencements de la
vie de la grande sainte Clotilde nous offrent
un prodige aussi frappant : en effet, mes
frères, Gondebaud, ayant résolu d'exterminer
toute la race de Childéric, ne pardonna ni
à ce prince, ni à sa fei me, ni à ses enfants,
à la réserve de ses deux filles ; et on ne peut
apporter aucune raison de celle conduite
que l'arrangement admirable de la provi-
dence divine. A la vue du berceau de la jeune
Clotilde, qu'on voit flotter sur le cruel déluge
formé du sang de toute sa famille, on pou-
vait donc faire la même demande que firent
autrefois les parents de Zacbarie, étonnés
par les prodiges qui s'opèrent à la naissance
de saint Jean-Baptiste : Quis putas puer isle
erit? Que pensez-vous que sera cet enfant,
et à quoi croyez-vous que la Providence le
destine? Nam et manu s ejus cum ipso est :
car il faudrait être aveugle pour ne pas dé-
couvrir qu'il y a une protection manifeste
de Dieu sur sa personne, et que c'est sa
main toute-puissante qui l'a tirée de tant de
périls. Il est aisé de se confirmer dans cette
pensée quand on passe de ce premier mi-
racle de la Providence au second qu'elle fit
en faveur de Clotilde : ce fut, mes frères, de
lui conserver la pureté de la foi, quoiqu'elle
permît qu'elle reçût son éducation dans une
cour infectée de l'arianism<\ Ce prodige sans
doute a quelque chose de surprenant, et on
ne saurait comprendre comment il est pos-
sible qu'une jeune Ame, aussi facile aux im-
pressions de l'erreur, ait pu se conserver
fidèle au milieu des débordements de l'hé-
résie, et qu'elle ait échappé à la mort spiri-
tuelle qu'on essayait d'insinuer dans son
âme, en y versant des principes contraires à
la foi. C'est la foi elle-même qui l'a défendue
dans ces périls : comme elle avait dessein
d'en faire un jour son héroïne, elle en prit
possession de bonne heure, et se rendit maî-
tresse de son esprit aussitôt qu'elle fut ca-
pable de discernement. C'est la foi qui a pris
plaisir de faire couler cette veine d'eau douce
au milieu d'une mer agitée, pour venir en-
suite se répandre dans un pays idolâtre, et
le laver de toutes les taches que l'idoiâtrie et
l'hérésie pouvaient produire.
Ainsi, mes frères, nous pouvons dire de
notre incomparahle reine que Dieu voulut
que sa foi fût pure et qu'elle se conservât
dans la maison de Gondebaud, parce qu'il la
destinait à être le ministre de la foi auprès
des Français.
Après cela je ne crains point d'étaler à vos
yeux les entreprises qu'elle lui fit former, et
si j'en relève les difficultés, ce ne sera que
pour élever la grandeur de sa foi. Ces entre-
prises furent, mes frères, <le faire passer
dans la France idolâtre cette foi qu'elle avait
gardée pure dans la Bourgogne infectée de
l'arianisme; et remarquez que ce q«i relève
extrêmement la difficulté de cette entreprise,
c'est la chose en elle-même : elle forme le
dessein de convertir un royaume idolâtre;
c'est le caractère de la personne par qui elle
entreprend de commencer cet ouvrage, il
s'agit du roi ; enfin sa propre disposition
forme une nouvelle difficulté: c'est une simple
fille, princesse par son sang à la vérilé et
reine par son alliance, mais destituée de touî
secours et fortifiée de sa seule foi. Avouez
donc qu'il faut qu'elle soit grande pour for-
mer de semblables desseins, et qu'en consi-
dérant ses entreprises on ne peut pas s'em-
pêcher de dire : 0 femme! que votre foi esl
grande l
Elle se propose donc de convertir un
royaume idolâtre; mais ne peut-on pas lui
demander d'abord si elle fait réflexion sur la
difficulté de cette entreprise? Savez-vous ,
grande princesse, ce que c'est que l'attache -
meni des peuples à leur religion? Savez-vous
que si les Etals forment des corps, la religion
en est le cœur? c'est elle qui les anime, c'est
elle qui sert de fondement à toutes les lois;
et comme elle porte les hommes au cullo
d'une même divinité, elle les réunit tous dans
ce point sans opposition : de sorte que ceux
qui ont d'ailleurs des antipathies dans l'hu-
meur et différentes laçons de penser dans les
intérêts, s'accordent entre eux et prennent
les mêmes sentiments pour l'intérêt de la
religion, quand ou l'attaque dans son fonde-
ment. Vous allez donc attaquer des peuples
dans ce qu'ils ont de plus précieux; vous
allez attaquer des peuples français, qui se
piquent «l'être les plus religieux; vous allez
leur reprocher les erreurs de leur ancienne
religion et leur en proposer une autre : celle
que vous leur proposerez, c'est la religion
des chrétiens, c'est-à-dire une religion qui
n'enseigne que l'humilité, qui ne promet que
des croix, qui ne recommande «pue la pau-
vreté, «|ui lient la nature dans une contrainte
perpétuelle, «pui ne propose pour objet de
ses adorations qu'un Dieu crucifié, et qui n'a
de récompense que pour une autre vie ,
qu'elle nous promet et que nous ne connais-
il- 1
ORATEURS SACRES. I>0M JMUJME.
g»
sons poiat. Grande sainte, que l;i différence
de ces sentiments ;ivcc ceux do la religion
qu'ils professent formera d'obstacles à votre
dessein ! Ils oui des dieux risibles cl qui
s'expliquent à eux par 1rs oracles qu'ils leur
rendent; ils oui (les dieux commodes, qui ne
combattent point les inclinations de la na-
ture, mais au contraire qui en autorisent le
dérèglement par leurs exemples. Reconnais-
sez la difliculté de celle entreprise. Mais,
mes frères, ne voyez-vous pas en même temps
quelle est la grandeur de celle foi, que toutes
ces difficultés n'ébranlent pas? Et par qni
commencerez-vous cet ouvrage si dillicile?
par la conversion du roi, car elle n'accepta
l'honneur de son alliance qu'à condition
qu'il se ferait chrétien.
Quoi ! grande princesse, la difficulté de
celte entreprise ne vous effraye point 1 Ne
savez-vous pas de quelle conséquence sonl
ces sortes de changements dans un Etal? Ils
ne se peuvent faire sans en ébranler les fon-
dements et mettre toutes choses en péril par
une révolution dangereuse. Ne savez-vous
pis qu'une des règles de la politique hu-
maine esl de vivre selon les lois de la reli-
gion de nos pères, comme nous nous condui-
sons par les lumières du même soleil qui les
a éclairés, et comme nous habitons la même
lerre qu'ils ont habitée? 11 est vrai qu'il vous
a fait promettre par son ambassadeur d'em-
brasser la religion que vous professez ; mais
ne savez-vous pas que les promesses d'un
homme qui aime n'engagent point les intérêts
d'un roi, et qu'il saura bien rejeter sur les cir-
constances de ses peuples el de son royaume
le manque de parole que la passion lui a fait
avancer? Voilà, mes frères, la situation de
Clotilde lorsqu'elle quitta la Bourgogne pour
passer en France. Je m'imagine voir l'invin-
cible Judith, sortant de liélhulie, marchant à
travers les ombres el les horreurs de la nuit,
engagée dans le camp de ses ennemis, ex-
posée seule à toutes leurs insultes et n'ayant
que sa propre générosité pour soutien. C'est
l'idée des périls où la foi expose noire in-
comparable sainte : elle sort de lu Bourgogne
pour venir dans la cour de Clovis, où les
erreurs du paganisme faisaieut régner une
horrible nuit; elle s'engage seule dans le
camp de ses ennemis, car qu'est ce que le
peu de fidèles qui l'avaient suivie au milieu
d'une cour idolâtre, que le mauvais exemple
pouvait séduire ou que la crainte pouvait
abattre? Elle a la parole du roi, mais encore
une fois elle n'y doil compter que faiblement;
il l'aime, je l'avoue, mais je ne sais si ce
n'est point un sujet de crainte pour elle plu-
tôt qu'un fondement d'espérance; car elle
l'aime comme elle en est aimée, et cel amour
mutuel qui les unit esl capable de faire naître
dans le cœur de Clotilde pour les sentiments
du roi son époux une espèce de complaisance
qui doit naturellement ralentir le zelc cl les
intérêts de la gloire de Dieu, et c'est la
grande raison que l'Eglise a toujours eue de
blâmer les alliances formées avec les infidèles.
Mais je ne m'aperçois pas qu'en mettant
les choses dans la vraisemblance j'oublie
que la foi avait prévenu noire admirable
princesse d'une force qui la mettait à cou-
vert de lous ces dangers; je ne pouvais ce-
pendant passer sous silence les circonstances
délicates où elle s'est trouvée, puisque tontes
ces difficultés, capables d'épouranter un
autre esprit que celui de Clotilde, ne purent
pas l'empêcher de suivre la volonté du ciel
qui l'appelle en France pour cxécu'er les
desseins de la Providence. File y vint donc,
mes frères, fortifiée de sa seule foi; pour se
rendre terrible aux ennemis de la religion,
elle se met à couvert sous le bouclier de la
foi, elle regarde sans crainte tous les obsta-
cles qu'il faut vaincre; mais elle eut I l
que cette foi fût puissante, car après ces
difficultés qui accompagnaient son entreprise
il lui resta encore de terribles épreuves à
soutenir : c'est le sujet du deuxième point.
DEUXIÈME PARTIE
Quelque difficiles que fussent les entre-
prises de Clotilde, elle les fit néanmoins
réussir. Il esl vrai, mes frères, que nous ne
devons pas tellement attribuer ces bons suc-
cès à la prudence de Clotilde, que nous ne
reconnaissions en même lemps qu'elle devait
beaucoup aux qualilés que la nature avait
versées dans l'âme de Clovis. Ce prince avait
une inclination naturelle pour la vertu ,
beaucoup de noblesse et de grandeur d'âme;
cl, comme nous voyons que les pierres pré-
cieuses jettent au milieu de la nuit un cer-
tain éclat qui fait connaître ce qu'elles valent,
on voyait au milieu des erreurs du paganis-
me, cl parmi les dérèglements de l'idolâtrie,
un certain fond heureux dans l'âme de Clo-
vis. Ce fut aussi ce qui fortifia Clotilde dans
ses desseins : elle espéra beaucoup de ce bon
naturel, et son espérance ne fu! point vainc.
En effet, quand le fond est bon et qu'il y a
dans l'âme un principe de reclilude el un
amour naturel de la justice, quelques em-
portements qui paraissent dans la jeunesse,
quelque violentes que soient les passions,
on en revient. L'âge ralentissant ces pre-
miers feux, la raison se rend la maîtresse,
à la fin l'âme reprend la liberté de ses mou-
vements naturels, toules ses bonnes inclina-
lions agissent, cl nous voyons quelquefois
une grande sagesse succéder aux emporte-
ments d'une jeunesse passionné.'.
Ce fut là, mes frères, l'adresse de Clotilde
et les soins de cette prudence qu'elle avail
reçue du ciel, de savoir ménager les bonm-s
dispositions de Clovis. Elle savait bien qu'il
n'était pas à propos de se presser dans une
affaire de cette nature; car, comme a dit ex-
cellemment TcrtuUien, ce n'est pas entendre
les intérêts de la religion chrétienne, que de
contraindre à la recevoir : Nec religionis tst
cogère religionem. Elle se contente donc de
faire convenir le roi de la promesse qu'il lui
avail faite avant que de quitter la Bourgo-
gne, et d'obtenir la liberté de faire les c\cr-
cices do la religion dans son palais avec les
personnes qui l'avaient suivie. Elle se sou-
vient bien que la loi a paru d'abord comme
un petit lleuve qui n'a forme qu'un petit
833
SERMON I'OUR LA FETE DE SAINTE CLOTILDE.
854
ruisseau, roulant ses eaux tantôt en ligne
droile, tantôt en serpentant; qu'au commen-
cement il n'arrosait que de petites plaines
grasses et fertiles , lorsque le nom de Dieu
n'était connu que dans la Judée; qu'après,
en se divisant en divers bras, il a formé de
petites îles, lorsque le peuple de Dieu s'est
mêlé parmi ces nations où au milieu de l'im-
piété il a conservé la pure'ié de la loi; et
qu'enfin l'esprit de Dieu, se répandant comme
un déluge, n'a plus fait qu'une loi et un seul
élément spirituel, comme la mer qui n'est
que l'assemblage de toutes les eaux. Elle
sait donc, celle sage princesse, s'accommoder
à la disposition du temps; elle se contente
de former une espèce de petite île dans s:i
maison, au milieu de ce vaste océan de l'i-
dolâtrie qui inonde la cour du roi son époux,
où sa foi est connue, et où ses sujets sont en
assurance au milieu des tempêtes et de l'im-
piété.
Mais comme elle pense toujours à augmen-
ter le nombre des adorateurs de son Dieu,
voyant qu'il avait béni son alliance et qu'elle
était sur le point de donner un enfant à son
époux, et peut-être un successeur à son roi,
elle se hasarda de lui demander que , pour
témoignage de la sincérité de la promesse
qu'il lui avait faite, il commençât sa conver-
sion en la personne de cet enfant, et qu'il le
consacrât au Dieu des chrétiens par le bap-
tême, comme un gage de la consécration
qu'il avait promis de lui faire et de sa per-
sonne et de son Ktat. Sa proposition fut fa-
vorablement écoulée, et le roi lui accorda ce
qu'elle lui demandait.
Jugez, mes frères, quelle fut la joie de
celle grande sainte et de lous les sujets véri-
tables de Jésus-Christ : mais, hélas ! celle
joie ne fut pas de longue durée, et ce qui de-
vait êlre en apparence une grande espérance
pour la conversion de Clovis et pour les pro-
grès de ia foi dans sou royaume, pensa bien
renverser les desseins de Clotildc, et bannir
pour toujours l'idée de cette nouvelle reli-
gion qu'elle enseignait. Ce jeune prince, que
notre histoire appelle Ingomer, n'eut pas
plutôt reçu le baptême , qu'il perdit la vie.
Ce sacrement de regénération, par un secret
jugement de Dieu , semble devenir pour lui
un sacrement de mort, lmaginons-nouscc que
ce coup fatal produisit dans l'esprit de Clovis
et dans celui de tous les courtisans: ce pas-
sage d'une si grande joie à une désolation si
profonde ne se fait point sans que les ressen-
timents éclatent avec excès. Le roi reprocha
à Clolildc qu'elle avait fait mourir son en-
fant, et que ses dieux, irrités de l'impiété à
laquelle il avait consenti pour lui plaire, l'a-
vaient frappé dans leur fureur.
Grande sainlc, que répondez-vous à ce re-
proche, cl que pensez-vous de cet événement
fatal ? Elle répond au roi avec une constance
cl une modestie divine : Et moi , sire , je re-
mercie mon Dieu de ce qu'il lui a plu rece-
voir le premier fruit de mon sein et le placer
dans son paradis ; il peut, quand il lui plaira,
nous en donner un autre. Voilà le plus grand
ouvrage de sa foi, et l'épreuve la plus terri-
ble qu'elle pouvait soutenir. Médilons en
toute la grandeur, reconnaissons sur cet
exemple le défaut de notre confiance en Dieu,
et confondons-nous à la vue de la loi de cette
grande reine.
Elle a donc quitté son pays pour suivre
l'inspiration du ciel, qui lui a persuadé de
venir en France afin d'y apporter la connais-
sance du vrai Dieu ; et quand elle y est, et
que par ses soins elle a l'ait quelque avance
pour le succès de ses desseins, le ciel paraît
l'abandonner et lui manquer. Il me semble,
mes frèies , que je vois dans la conduite du
ciel sur celle grande princesse une idée de
celle que Dieu garda autrefois sur les mages,
qu'il lira de leurs .royaumes pour venir ado-
rer Jésus-Christ enfant, et qu'il laissa sans
guide et sans étoile dans la cour d'Hérode
Clotilde n'avait d'autre ressource que le ciel,
c'est de là qu'elle attendait tout son secours ;
sa confiance en Dieu c'est L'étoile qui la guide
dans tous ses desseins, et le ciel l'abandonne
quand clic a le plus besoin de son secours.
Mais encore , s'il est permis de raisonner
sur la conduite de la Providence, quelle
peut être la raison de cet arrangement?
Peut-il jamais se traiter sur la terre une
affaire où elle ait plus de part ? 11 s'agit d'é-
tablir le cultcde Dieu dans un grand royaume
idolâtre, d'arracher à l'empire du démon une
multitude presque infinie d'esclaves, qu'elle
relient malheureusement captifs, pour les
rendre à leur Rédempteur. Jésus Christ aver-
tit ses disciples dans l'Evangile qu'ils ne
doivent pas s'étonner si le ciel ne les exauce
point lorsqu'ils demanderont des choses vai-
nes, et que c'est comme s'ils n'avaient rien
demandé, l'eut-on demander une chose plus
solide et plus juste que celle dont il s'agit ici?
et cependant où en est le succès ? Est-ce que
les mains de celle qui les élève vers le ciel
pour ce sujet ne sont pas innocentes ? Le dé-
règlement de sa vie nuit-il à l'accomplisse-
ment de ses vœux ? et Dieu veut-il punir no-
tre sainte de quelque péché secret par le re-
fus de ses justes demandes ? Non, non, chré-
tiens, c'est une sainlc, Dieu veut l'éprouver:
il connaît la grandeur de sa confiance et do
sa fui, mais il veut en recevoir encore ce té-
moignage ; il veut confondre par cet exemple
le défaut de noire confiance en son pouvoir,
Cl nous apprendre de quelle manière nous
devons recevoir le refus apparent des juslcs
demandes que nous lui faisons.
Apprenez donc, chrétiens, sur cet exem-
ple, que vous ne devez pas vous lasser d'im-
plorer la miséricorde de Dieu, quoiqu'il sem-
ble d'abord ne pas vous écouter dans les de-
mandes qui vous paraissent juslcs. Sachez
que ce délai ou cet événement contraire à
vos désirs csl un effet de sa miséricorde :
comme il connaît qu'il n'y a presque que la
vue de vos intérêts qui vous oblige de penser
à lui, il diffère l'exécution de ce que vous
souhaitez pour vous mettre dans l'heureuse
nécessité dépensera lui pins longtemps; s'il
vous accordait loul d'un coup ce que vous
demandez, vous l'oublieriez après que vous
l'auriez obtenu. C'est donc l'amour moine
838
ORATF.UUS SACBE . HOM Jt.li <
836
qui loi donne celle dureté dont vous vous
plaignez: il diffère, afin que ce délai vous
oblige à chercher les moyens de 1 fléchir,
âne vous preniez des dispositions [dus dignes
d'obtenir ce que vous demandez, et plus ca-
pables quelquefois à vous en faire obtenir
davantage: sachez enGn chrétiens, que Dieu
se platt à soti.ir r di s violence- de notre part.
Il veut qu'on lui arrache avec effort ce qu'il
a résolu de nous donner avec amour j cl,
semblable à cet ange contre qui Jacob com-
battit toute une nuit pour avoir sa béné-
diction, il se défend de nous donner la sienne
pour éprouver notre persévérance et notre
foi. Mais, 6 mon Dieu! n'étiez-vous pas assez
certain de celle de la grande Qolilde après
cette première épreuve ? en fallait-il encore
one? fallait-il que le second prince que vous
accordâtes à ses vœux lui exposé au même
péril (juc le premier? Car, mes frères, ce fut
le surcroît d'épreuves que Dieu voulait avoir
de la foi de notre reine : il lui donna un se-
cond (ils, que notre histoire appelle Clodo-
mer ; et à peine eut-il reçu le baplême, qu'il
tomba dans une maladie si épouvantable, que
loutelacour !e crut mort. Jugez quels durent
être les emportements du roi et les plaintes
de tous les princes ; jugez quelles durent
être les imprécations qu'on prononça contre
la religion des chrétiens. Nous éliez témoin
de toutes ces choses, grande reine, et c'était
contre vous que tous es coups étaient frap-
pés ; mais quels étaient les sentiments de vo-
tre cœur durant cette tempête qui menaçait
toujours vos desseins d'un renversement gé-
néral ? Vous ne désespérâtes point du succès.
Elle se relire dans le secrel pour adorer la
providence de Dieu ; elle reconnaît que ce
sont ses péchés qui irritent le ciel ; elle les
déleste, elle reconnaît qu'elle est indigne de
contribuer à un dessein si jusle que celui
qu'elle a formé, et que Dieu veut le faire
réussir sans qu'elle y ait de part ; et dans
celte disposition , humiliée devant Dieu,
anéantie en sa présence, accablée sous le
poids de son affliction, elle lui demande qu'il
sauve la vie de ce prince, d'où dépend ni
l'intérêt de l'Eglise, l'honneur de. ses aulels
el la gloire de son nom. Dieu l'exauce, mes
frères, et, après avoir combattu contre elle
durant toute la nuit de cette épreuve, elle lui
arrache sa bénédiction. Voilà, chrétiens, le
fruit des épreuves de la foi de Clolilde : car
enfin les affaires changeront de face , Dieu
versera sa bénédiction sur ses desseins, et
elle en remportera tout le succès que méri-
tait une aussi grande foi. Je vais vous en
faire le récit en peu de mots dans la troi-
sième partie de ce discours.
TROISIÈME PABTIS.
Je trouve quelque chose d'admirable, mes
frères, dans tous le^ heureux succès que la
foi de Clolilde lui fit remporter après ses
épreuves ; car comme elle força Dieu de lui
donner sa bénédiction, qu'elle prit , pour
ainsi dire, avec violence , il n'en fut plus le
maître , si j'ose ainsi parler ; et cette béné-
diction fut si grande, qu'elle la vit avec com-
plaisance s'étendre plus loin qu'elle n'eût
osé penser. Ainsi élu vit !a eonrersioa du
roi sou époux el celle de tout ce grand
royaume ; elle vit fleurir la religion, linno-
cence el la sainteté : elle v il ce prince, qui te-
nait anp irav a ni à l'idolâtrie, combattre pour
la virile et Uicrde sa propre m, un kl roi d
\ isigolbs, q ti défendait l'hérésie des ari«Mj
enfin elle le vit rendre son âme entre les
mains de Dieu avec une si grande estime de
sainteté, qu'on ne lui en a pas refusé U nom,
pour récompense de tant de verlu». Dieu
donna aussi à Clolilde un nom plus auguste
et plus saint que celui qu'elle avait porté
jusqu'alors. C'était une grande princi -s e que
lout son royaume estimait; mais sa loi l'a
rendue une grande sainte que loule l'Eglise
universelle honore : on doit la regarder
comme une princesse remplie de l'esprit de
Dieu, qui a sauvé les sujets qu'elle a gouver-
nés, et qui s'est rendue leur apôtre en deve-
nant leur souveraine ; c'est ce qui faii qu'il
me semble que nous devons finir son éloge
parles paroles dont se servit autrefois le
pie de Bélhnlie pour bénir l'invincible
Judith : Vous êtes toute la gloire de notre ;.u-
lion ; et nous devons ce que nous sommes à
la grandeur de vo're foi et à la fermeté de
votre cœur. Voilà quels ont été les ouvrages
de la foi dans cette sainte reine : par elle
elle a formé des entreprises difficiles, par
elle elle a soutenu des épreuves terribles, et
avec elle elle a été couronnée de très-heu-
reux succès. Disons-le donc, mes frères, en
finissant : 0 femme! que votre foi est grande!
Mais il ne sertit pas jusle , mes chères
sœurs (lj, de finir ce discours sans vous
louer et sans vous instruire : sans vous
louer d'avoir ressuscité la mémoire el le sou-
venir de cetie grande reine en la prenant
pour patronne et pour protectrice de voire
communauté ; el par raj port à l'instruction
que vous devez tirer de ce que nous avons
dit, sachez que, comme vos desseins ont
quelque rapport avec ceux de Clolilde, il
pourra y en avoir dans vos épreuves el peut-
être dans vos succès. Le zèle de la loi vous
applique à la conversion des infidèles , il
fuit que la force et la grandeur de cette
même loi vous fasse soutenir avec constance
et avec fermeté les épreuves où il plaira à la
Providence de vous appliquer ; souvenez-
vous que la conversion des âmes csl lou-
v rage de Dieu, ci qu'il faul, comme Qotilde,
attendre en paix qu'il achève par sa puis-
sance ce qu'il veut bien quelquefois com-
mencer par notre ministère. Par là vous
mériterez de recevoir un jour la récompense
de voire foi : c'esl ce que je vous souhaite.
Ainsi soil-il.
SERMON
rOLR LA FETE DE SAINT JEAN-U APT1STE
■2't ju:n).
Hic reoit in lesUiuoniam, m lestimoaiaa pi i
lamine, et otnnes creSi reni per iIIudi.
1 1 'vint pour servir d< irrendreu à
lu IwitH'i t, afin qui tous n ussi'nl par lai [Jouit., I .
Ces paroles, mes très-chers frères, renfer-
(1) La conmmuaulé des nouvelles catholiques, où ce sermou fut prêché.
837
SERMON POUR LA FETE DE SAINT JEAN-BAPTISTE.
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ment (outes les louanges que l'on peut don-
nera saint Jean-Baptiste, et elles expriment
toutes celles qui sont répandues dans les
endroits de l'Evangile où Jésus-Christ lui-
même en a parlé; et comme Dieu ne met ses
dons dans les créatures que par rapport aux
desseins qu'il a formés sur elles , on doit
dire qu'ayant desliné saint Jean à être son
précurseur et le témoin de sa divinité devant
les hommes , il ne l'a prévenu de toutes ces
grâces admirables qui l'ont rendu grand au
jugement de Dieu même, que pour le rendre
(ligne de cette excellente fonction : ainsi nous
aurons dit de lui tout ce qu'on en peut dire,
et nous aurons exposé à vos yeux tout ce
qu'on en peut même penser de grand , quand
nous vous aurons lait voir que c'est lui qui
est venu pour servir de témoin et pour ren-
dre témoignage à la lumière, afin que tous
crussent par lui.
Considérons donc notre saint, mes chers
frères, dans trois états différents qui parta-
geront toute sa vie: dans le sein de sa mè-
re, où la grâce le prévient; dans les déserts
de la Judée , où la pénitence et la vertu le
soutiennent ; dans la cour d'Hérode, où l'in-
justice l'opprime. Dans le sein de sa mère il
rend témoignage du Messie aux justes qui
l'attendaient , dans les déserts de la Judée il
le rend aux peuples qui l'ignoraient, dans la
cour d'Hérode il le rend aux superbes qui
le méprisaient; par le premier témoignage
il console les justes, par le second il instruit
les peuples , et par le troisième il confond
les superbes : voilà ce qui fait la gloire du
grand Jean-Baptiste; mais, afin que nous
trouvions notre instruction dans les louan-
ges que nous donnerons à ce grand saint,
puisqu'il n'a rendu témoignage qu'afin que
tous crussent en Jésus-Christ par lui, nous
examinerons les effets qu'ont produits en
nous les vérités dont il a rendu témoignage.
Ce sera après avoir demandé l'assistance du
ciel par l'intercession de celle qui fut pré-
sente à la naissance de notre saint , et qui,
ayant été ministre de la grâce pour lui, ne
refusera pas de l'être pour nous. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Si c'est une grande gloire pour un homme
que d'être choisi pour rendre témoignage
de grandes choses , il semble qu'on ne puisse
rien ajouter à celle d'être desliné à le ren-
dre des mystères do la religion et de l'au-
teur de la religion même : c'est pourquoi
l'Kcriture sainte nous marque que le Fils
de Dieu dit à ses apôtres , lorsqu'il allait se
séparer d'eux, qu'jVs recevraient la vertu du
S<tinf-lïsprit , ({ni descendrait sur euxt et
, qu'jV.ç lui rendraient témoiqna'jedanslaJu-
d >, dans la Samarie et jusqu'aux extrémités
de In terre , pour nous apprendre que tout
ce qu'il avait fait pour eux, et tout ce qu'il
aliail faire encore en leur envoyant son Es-
prit-Saint , se terminait à les rendre dignes
d'être ses lémoi is. I.a gloire même dé re
martyr, qui renferme un degré de charité
excellente, se termine à rendre le chrétien
(ligne d'être le témoin de la religion ; or,
mes frères, ce que les patriarches et les pro-
phètes, ce que les apôtres et les martyrs
n'ont appris que par une longue succession
de temps et de travaux, saint Jean l'obtient
tout d'un coup : ils sont nés, ils ont travail-
lé , il a fallu même qu'ils aient versé leur
sang pour rendre témoignage à Jésus-Christ;
niais Jean-Baptisle lui rend témoignage par
sa seule naissance, et il fait avant que de
naître ce que les autres n'ont pu faire qu'en
mourant.
Appliquons-nous à expliquer les circon-
stances de ce témoignage si miraculeux ;
mais comme il prend sa source et sa force
dans la grâce qui a prévenu Jean-Baptiste
dans le sein de sa mère, où ce témoignage
est rendu, il ne faut pas omettre ce que saint
Bernard dit d'une manière si admirable sur
le privilège de sa sanctification. Tous les
hommes, dit ce saint , sont conçus dans l'i-
niquité , et nous n'en exceptons que celui-là
seul qui n'a point fait de péché: Solus (lie
qui peccatum non fecil excipitur. Comme il
venait pour ôler le péché des autres, il ne
devait pas en être souillé lui-même; et, sans
prendre la chair du péché , il suffisait qu'il
en eût pris la ressemblance. Ce principe de
corruption étant donc commun à tous les
hommes , nous en connaissons deux, dit le
même saint Bernard , qui ont été sanctifiés
dans le sein de leur mère , Jérémie et saint
Jean-Baptiste. Ce n'est pas, dit ce Père , que
nous doutions du privilège de Marie; car
nous savons que la manière dont elle l'a été
passe de beaucoup les deux dont nous par-
lons ; nous ne croyons pas même qu'elle ait
eu besoin d'être purifiée; nous ne croyons
pas même que le démon ait jamais eu de
pouvoir sur elle; nous suivons la pieuse
pensée de l'Eglise, qui croit qu'elle a été
conçue d ;ns la justice et préservée de tout
péché par Jésus-Christ et pour Jésus-Christ;
mais, entre les deux autres dont je parle ,
saint Jean-Baptiste l'a emporté assurément :
car Jérémie est sanctifié dans le sein de sa
mère , et saint Jean y est rempli du Saint-
Esprit; l'un par sa sanctification ne fait que
perdre la tache de son origine, et l'autre par
la sienne reçoit non-seulement la grâce qui
le purifie , mais une vie abondante de grâce
qui le remplit. En un mol, saint Bernard ne
craint point de dire que saint Jean-Baptiste
est arrivé en un instant où les apôtres ne
sont arrivés que par degrés, puisque le Fils
de Dieu leur donne le Saint-Esprit peu de
temps après sa résurrection, mais qu'il leur
a fallu demeurer cinquante jours dans la
retraite pour mériter d'en être remplis, au
lieu que Jean-Baptiste dans le même instant
perd la lâche de son origine, reçoit la grâce
qui le sanctifie et est rempli de lÊspril-Saint.
Tout ceci est admirable, dit encore saint
Bernard, n'en soyons pas cependant surpris.
Comment le Roi de la gloire et le Rédemp-
teur du monde aurait-il pu être présent à
in-Baptiste dans le sein de sa mère qui l'y
ail, sans y opérer des miracles en le
prévenant d'une grâce qui le distinguât de
tous les autres hommes? Ainsi ue vous étoo-
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oimrx'its svcftEs. »om JEROME
MO
nez donc pas , mes frères, si je ilis qno dans
le sein «le sa mère il rend témoignage à la
venue de Jésus-Christ et à sa mère même;
car si Elisabeth reconnaît le Sauveur dans
le sein de Marie, comme il paraît par la ma-
nière dont elle la salue, en l'appelant la Mè-
re de son Sauveur, en loi disant qu'elle est
bénie cnlre loules les femmes et que le fruit
de son venlre est béni , n'est-ce pas du tres-
saillement de son enfant dans son sein qu'el-
le'l'a appris, et ce tressaillement u'cst-il pas
regarde par les saints Pères comme un té-
moignage rendu par saint Jean à sa mère
de la venue et de la présence du Messie? Ce
qui fait dire à saint Ambroisc celte parole
qui renferme tant de mystères que les deux
mères prophétisent par l'esprit des enfants
qu'elles portent dans leur sein , c'est-à-dire
que , comme Jesus-Chrisl , qui est dans le
sein de Marie , se sert de sa mère pour ef-
facer la tache originelle de saint Jean et
pour le remplir de la grâce, Jean -Baptiste
se sert de la bouebe d'Elisabeth pour an-
noncer la venue du Messie , dont il lui avait
rendu témoignage par le tressaillement de
joie qu'elle avait senti aussitôt que Marie
lui avait parlé. Mais allons plus lo;n , et di-
sons que la seule nouvelle de la naissance
ou de la conception de Jcan-Baplistc est un
témoignage pour son père de la venue du
Messie; car dès que Zacbaric apprend de la
bouche de l'ange que sa femme devait con-
cevoir un enfant, il le regarde dès lors comme
le prophète du Très-Haut et comme celui
qui devait marcher devant le Seigneur pour
lui préparer ses voies, et il annonce en mê-
me temps que le Dieu d'Israël allait visiter
son peuple, le racheter et lui susciter un
puissant Sauveur. Est-il nécessaire mainte-
nant d'ajouter que ce témoignage remplit
de joie l'âme de ceux qui y curent part?
l'ange n'en assure-t-il pas Zacbaric? Vous
en serez, lui dit-il, dans la joie et dans le ra-
vissement , et plusieurs se réjouiront de sa
naissance; non-seulement par les raisons
générales qui excitent la joie , car la mère
est rendue féconde de stérile qu'elle était, et
le père, qui était muet, rentre dans la liber-
té de la langue par un miracle éclatant.
Mais s'il faut vous donner, mes frères, quel-
que raison de celte joie , il n'y a qu'à vous
représenter quels étaient les désirs des jus-
tes, qui sentaient leurs misères et qui con-
naissaient bien qu'elles ne pouvaient Unir
que par la venue du Messie qui leur était
promis et qu'ils attendaient. 11 ne faut que
vous obliger à faire réflexion sur les motifs
de cette joie , que Zacbaric allègue dans le
cantique qu'elle lui fait chanter à la nais-
sance de son fils, Béni soit, dil-il, le Sei-
gneur, le Dieu d'Israël, parce qu'il a visité et
racheté son peuple. Voilà les motifs de celte
joie : Dieu nous visite par son Verbe, el le
Verbe comme victime nous rachètera par
son sang. // viendra , dit-il , pour éclairer
ceux qui étaient ensevelis dans 1rs ténèbres
et dans V ombre de 1a mort, ci pour conduire
nos pas dan» le chemin de la puix. <juel sujcl
de joie! Enfin Zacharh reçoit I assurance
de la renne de ccli-i qui doit dissiper les lé-
nèbi il l'ignoram <• du péché et de la mort,
pour tourner vers le ciel les meurs el les in-
clinations d'un peuple grossier et charnel,
el pour donner la véritable paix . ceux qui
avaient vécu dans les alarmes , dans la ser-
vitude ( l dans les troubles de la guerre. Voi-
là, mes frères, de quelle manière le premier
témoignage que Jean-Baptiste a rendu a la
venue du Messie comble de joie les justes qui
le reçoivent.
A\ant sa naissance, pour ainsi dire, il
tourne leurs cœurs vers le Sauveur qu'il
leur promet , et le leur propose comme leur
unique consolation. C'est ce que signilic
cette paroi'1 : Plusieurs se réjouiront de s,i
naissance. Si nous venons maintenant à
miner l'effet que ce premier témoignage
doit produire dans notre cœur, où en serons-
nous? Nous jouissons des fruits de ce témoi-
gnage, car nous savons que Jésus-Christ est
venu, et nous croyons de plus qu'il doit ve-
nir encore. Les justes, qui apprennent sa
renne par Jean-Baptiste, se réjouissent et
mettent e:i lui toute leur consola.ion ; mais
l'espérance de son retour fail-cllc notre uni-
que joie, cl est-ce dans l'attente du Sauveur
que nous mettons tout notre espoir? Saint
Augustin fait celle belle réflexion, avec la-
quelle je finis celle première parlie : Dépita
le commencement du monde jusqu'à la fin de
tous les siècles, tes vœux de tous les saints
qui ont vécu , qui vivent et qui vivront, se
sont tous terminés à Jcsus-Christ seul : et ce
désir ne s'est point borné au temps de son in-
carnation, il s'étend encore jusqu'à la fin du
monde, où ce Désiré des nations viendra. Les
premiers temps ont eu des saints qui ont sou-
haité son premier avènement , et ces temps-ci
en ont qui désirent son second. Reconnais-
sons donc à ce caractère , mes chers hrères,
si nous sommes les membres de ce corps qui
est répandu dans toute la terre el qui s étend
dans tous les temps ; car si cela est, nous de-
vons être pressés de ce désir du Sauveur ;
et ce désir, croissant en nous, doil nous dé-
tacher de toutes les choses de la terre; il
doit nous affaiblir d'un côté pour nous for-
tifier de l'autre; il doit diminuer en nous
l'amour des créatures cl y augmenter l'a-
mour de Dieu ; il doit nous rendre insensi-
bles aux maux comme aux bien-, de celle
vie, ne cherchant de la consolation et de la
joie que dans celui qui doit être le terme et
la fin de tous nos désirs. Voilà, mes frères,
ce que doit produire en nous le premier té-
moignage que Jcan-Baplistc rend au Sauveur.
Examinons les circonstances du deuxième :
c'est le deuxième point.
OBI \ll Ml r-ARTlE.
Je ne saurais lire dans l'Evangile que
Jcan-Bapliste quille la maison de son père
pour se retirer dans le désert , qu'il y vivait
de sauterelles et de miel sauvage, et qu'il
avait un vêtement de poils de chameau et une
ceinture de cuir autour de ses reins, sans
m'écricr avec saint Bernard : Mon iii.u'.
quth homicides, quels sacrilèges, quels crimes
811
SERMON POUR LA FETE DE SAINT JEAN-BAPTISTE.
842
avait donc commis celui que Dieu avait sanc-
tifié dès le sein de sa mère , pour se séparer de
la compagnie de ses parents, qui étaient des
saints, et pour s'engager dans les exercices
d'une vie si terrible! Je pourrais, mes frères,
dire avec saint Bernard que c'est pour nous
animer à la pénitence, que celui qui devait la
prêcher en a usé ainsi pour nous porter à
punir en nous les excès dont nous sommes
coupables , pour nous confondre dans notre
délicatesse et dans notre lâcheté ; mais je
laisse ces raisons , afin de vous en donner
d'autres de la conduite de saint Jean-Baptiste
qui conviennent mieux à mon sujet. Il entre
donc dans ces exercices laborieux de la pé-
nitence , il suit un genre de vie si terrible ,
pour se rendre digne de sa fonction , pour
être capable d'instruire les peuples sur la
connaissance du Messie, enfin pour leur ren-
dre témoignage de la venue et de la mission
de Jésus-Christ, d'une manière forte, invin-
cible et digne de la sainteté, de l'humilité et
de l'amour de ce divin précurseur pour son
Maître.
Or, afin d'entrer dans ce que j'avance ici,
il faut remarquer que les prédictions que les
prophètes avaient faites de la venue du Mes-
sie étaient obscures. Il n'y a qu'à considérer
dans ces prédictions la manière dont il était
prédit : quelquefois ils en parlaient comme
d'un roi qui ne viendrait que pour enrichir
son peuple; tantôt ils en parlaient comme
d'un conquérant qui détruirait leurs enne-
mis; d'autres fois ils en parlaient comme de-
vant être véritablement caché, comme ne de-
vant point être connu, comme devant être
une pierre d'achoppement, à laquelle plu-
sieurs se heurteraient : ainsi , ces manières
obscures de s'exprimer, et qui semblaient
même se contredire, rendaient la connais-
sance du Messie difficile. Il y avait, à la vé-
rité, d'admirables raisons de cette conduite
de Dieu sur les peuples , qui voulait par là
rendre le Messie connaissable aux bons et
méconnaissable aux méchants : mais ces ré-
flexions ne sont pas précisément de mon su-
jet. Voilà donc d'un côté ce que les Ecritures
annonçaient du Messie. D'un autre côté , les
Juifs, ce peuple qui se flattait de son élection,
de l'amour que Dieu avait eu pour Abraham
leur père, et des prodiges qu'il avait faits
pour eux, étaient accoutumés aux miracles
éclatants, et n'ayant regardé ces prodiges de
la mer Rouge, de la terre de Chanaan, de la
chute de la manne, cl le reste des faveurs que
Dieu avait faites à leurs pères, que comme
un abrégé des grandes actions de leurMessie,
ils attendaient de lui des choses encore plus
éclatante! , et dont ces prodiges passés n'é-
laient que comme les préludes.
Lors donc que le temps du Messie que l'on
attendait fut vcnu,l'éclatdesa fortune n'ayant
aucun rapport à l'idée qu'ils en avaient con-
çue, et comme on ne trouvait au contraire
que des misères et des infirmités où l'on ne
M'était figuré que de la puissance et de la
grandeur, vous comprenez bien quelles fu-
rent les difficultés qui s'opposèrent aux suc-
cès des fonctions de Jean-Baptiste.
OnATEuns saches. XXX.
Or, que fait-il pour montrer aux Juifs ce-
lui qu'ils auraient eu tant de peine à con-
naître dans un état si opposé à l'idée qu'ils
en avaient prise? Il entre dans le désert, il
joint à une naissance illustre une vie admi-
rable; il ne suit pas le Sauveur, il se fait des
disciples qui ne sont pas contraires à Jésus-
Christ, mais qui semblent aussi ne lui être
pas soumis; et tout cela pour s'acquérir par-
mi les Juifs celte autorité et ce crédit qui les
obligea de le respecter comme le Messie , et
à lui offrir même de le reconnaître en celte
qualité , afin qu'ils eussent plus de foi pour
son témoignage, et qu'ils reconnussent le
Messie en la personne de Jésus-Christ sur sa
parole.
Voilà, mes frères, ce qui fait dire à notre
saint : Ce n'est pas moi qui suis le Christ; et
il le leur montre, en leur disant qu'il ne l'é-
tait pas. Il leur apprend que son baptême,
qu'ils viennent lui demander avec tant d'em-
pressement, n'a pas la vertu de remettre les
péchés, mais que c'est celui qu'il leur dit être
le Messie qui doit les effacer. Il leur apprend
qu'il n'est qu'une voix et qu'une ombre pour
relever son éclat, et que quand le temps de
paraître pour lui sera venu, on verra effacer
ce qu'il a de brillant, comme on voit qu'un
flambeau, sans s'éteindre, n'éclaire plus lors-
que le soleil luit. Ne faut-il pas reconnaître
que celui-là est au-dessus de toute louange,
de qui la vérité par essence dit qu'il surpasse
en mérite tous ceux qui sont nés des femmes?
C'est ainsi que Jean-Baptiste rend témoi-
gnage à Jésus-Christ dans les déserts de la Ju-
dée, et qu'il le montre à ceux que Dieu avait
préparés à le connaître : il se sacrifie tout
entier à la gloire de celui qu'il annonce; il
lui renvoie ses disciples, il ne veut avoir de
mérite que pour en faire hommage au Sau-
veur; il prétend que toute l'estime que sa
vertu lui a acquise ne doit servir qu'à ren-
dre plus fort le témoignage qu'il donne en sa
faveur.
Ah ! qu'il est puissant ce témoignage! car
enfin, dit saint Augustin, quel autre témoi-
gnage les Juifs pourraient-ils attendre de la
mission de Jésus-Christ, que de voir un hom-
me qui pouvait le détruire se détruire au
contraire lui-même pour l'établir. Ne passons
pas sur un si grand exemple sans y arrêter
nos réflexions.
Jean-Baptiste a rendu lémoignageà la gran-
deur du Messie, caché sous des dehors si mi-
sérables et si humbles, et il l'a fait reconnaî-
tre aux Juifs en cet état, qui était si opposé
à l'idée qu'ils s'en étaient formée; mais nous,
mes frères, à qui les mystères de la religion
et de la venue du Messie sont révélés par la
foi , pouvons-nous dire que nous le recon-
naissons sous ces dehors , nous qui savons
par la doctrine de l'Apôtre que toutes les cho-
ses auxquelles les Juifs s'attachaient à la let-
tre n'étaient que des figures, et que les véri
tables ennemis du peuple de Dieu n'étaient
pas les Babyloniens, mais nos passions ; nous
qui savons que, s'il a enrichi nos pères dans
l'ancienne loi, c'est qu'ayant dessein de nous
priver des biens charnels et périssables, dans
27
«47>
ORATLURS SACHES. DOM JEROMI.
)a nouvelle loi, qui est la loi de perfection, il
voulait montrer que Ce c'était pas par im-
puitiaocc qu'il réduisait les siens et lui-même
a cet état; nous enfin qui savons que le
royaume de Dieu n'est pas dans la chair, niais
dans l'esprit, pouvons-nous dire qui- nous le
reconnaissons pour le Messie sous Ces dehors
de misère et de dépouillement, pendant que
nous vivons d'une manière opposée à ses
.sentiments et à sa conduite .' Nou . reconnais-
sons un Dieu dans la pauvreté, et nous vou-
lons vivre dans le luxe ; nous l'adorons dans
un état humilié, et nous ne formons que des
desseins de grandeur et d'élévation. Ce n'est
Îias là profiter du témoignage de saint Jean-
tapliste. Non, mes chers frères, nous ne re-
connaissons le Messie que jour le temps de
son avènement passé; nos passions et notre
cupidité nous cachent les lumières que la foi
nous donne sur son avènement futur, et nous
vivons 'l'une façon charnelle dans une loi
toute d'esprit. Rendez grâces au Seigneur,
saintes âmes , vraiment épouses de Jésus-
Christ, de ce qu'il vous a fait estimer son
abaissement jusqu'à tout quitter pour le sui-
vie dans son étal caché. Rendez grâces à sa
miséricorde, vous qui avez part au ministère
de son précurseur, puisque vous avez l'avan-
tage de rendre, comme Jean-Raptiste, témoi-
gnage à sa grandeur, en vous sacrifiant à an-
noncer un Dieu caché que le monde ne veut
point connaître.
Demandez à Dieu, pour ceux que la Provi-
dence associe aux fonctions de Jean-Baplis-
tc, et qui sont engagés à rendre témoignage
à Jésus-Christ devant son peuple par le mi-
nistère sacré, qu'ils suivent l'exemple de ce
précurseur dans leur ministère; car il ne fau-
drait entrer dans ces fonctions si saintes et
si redoutables qu'après avoir pénétré ces pa-
roles que l'évangéliste saint Luc rapporte de
saint Jean-Baplisie : Or l'enfant croissait et
se fortifiait en esprit, et il demeurait dans lis
dés rts jusqu'au jour qu'il devait paraître de-
vant le peuple d'Jsracï.
Voilà, mes frères, les devoirs d'un prédica-
teur évangélique , avant que de commencer
les fonctions de son ministère. Il faut qu'il
soit enfant par l'innocence de son âme et par
la simplicité de son cœur , qu'il ait pris soiu
de croître dans la piété en se nourrissant du
pain de la prière; il faut qu'il donne le temps
à son zèle de se fortifier par la lecture de
l'iicriture sainte et des saints l'ères, afin que
ce zèle soit selon la science, et non. pas aveu-
gle et indiscret ; il faut enfin qu'il demeure
dans la retraite et dans le silence, jusqu'à ce
que Dieu l'en relire cl qu'il l'expose lui-mê-
me au jour.
Finissons celle partie par une réflexion
sur les succès du ministère du précurseur et
sur la manièredont il en exerce les fonctions.
11 rend témoignage à Jésus-Christ, dil levau-
gélisle sainl Jean, en disant : Voici celui qui
doit venir après moi, et qui a </<• préféré à
mot, parce qu'il était avant moi. li faudrait,
mes frères, ne prêcher que .Icsus-Ch. isl, el
dans le mi i 1ère nous ne devons appliqi • i
les chrétiens qu'à Jesus-CiinsI uniqui nu'iil,
en nous cachant nous-mêmes, et en ne re-
cherchant nulle gloire que la sienne. Bai et
Jean r nroie iplei à Jésus-Chris 1 1
no'is enseigner que nous ne iefoni
nous Ittaeberceui que nous instruisons
n s exemples étaient rafris, il y aurait i
moins d'ambition et d'Intérél dans les fonc-
tions du ministère lacré, il s. l'ambition et
l'intérêt n'y entraient pour rien, mes I ètf
on verrait bien d'autres fruit- : Jésus-Cfa
serait connu el servi bien plus parlaitement :
car ce lurent celte humilité sincère et ce
désintéressement rentable qui don èrenl la
force à saint Jean d'annoncer le Messie dans
la cour d'Herode, elde lui rendre un dernier
lémoigni m lequel il confond les su-
perbes, quoique l'injustice l'opprime : c'c-l
ma dernière partie.
i uoisi; m:, partik.
Comme on parle ordinairement de ce troi-
sième témoignage que Jean-Baptiste a rendu
à Jésus-Christ, dans le jour que l'Eglise
sainte fait la solennité de sa mort, je n'eu
dirai que fort peu de chose en finissant ce
discours, et je me contenterai de cette unique
proposition : que ce lioisième témoignage
donne à saint Jean plus de gloire que les
deux autres dont nous avons parlé. Il ••!
vrai que ce témoignage ne renarde pas, ab-
solument parlant, Jé»us-Chrisl d'une maniè-
re directe, puisqu'il ne s'agissait pas prêt i-
sémenl de le faire connaître â Uérode, el qu'il
ne regardait que sa doctrine violée par la
conduite d'Herode: mais je le regarde comme
plus glorieux à Jean-Baptiste que les deux
autres, parce qu'on peut dire en un sens
qu'il faut plus de force pour rendre témoi-
gnage à sa doctrine qu'à lui-même , cl sur-
tout dans la cour des grands, où il semble
qu'on fas>e gloire de la méconnaîtra el de no
la pas suivre.
Quand on ne nous parle que de Jésus-
Christel qu'on ne nous expose que des mys-
tères qui le regardent, on reconnaît sa gran-
deur, on admire sa patience, on loue sa pau-
vreté : ces sentiments ne nous coûtent rien;
mais quand ou nous parle de sa doctrine, et
qu'en appliquant les maximes de sou Evan-
gile à nos dérèglements particuliers, on nous
dit, comme sainl Jean à Herode : La loi vous
défend ce que votre pas-ion vous inspire,
on ne peut soulTiir Jesus-Chnsi dans sa I i :
or c'est de ce dernier témoignage que saint
Jean lire plus de gloire. H n'y a rien en effet
de si grand, comme le reconnaît saint Ber-
nard, que de le voir, s'élevaut au-dessus de
toutes les vues humaines et de toutes le> con-
sidérations d'intérêt, reprendre avec fermeté
un roi lier et cruel, el l'avertir de son dés-
ordre au milieu de sa cour. Tout ce que nous
avons dit jusqu'ici esl ilTacé par cr seul en-
droit , ou plutôt (oui ce que uous avons dit
jusqu'ici e-l confirmé par ce seul trait; el il
fallait avoir ete prévenu d'une grâce aussi
abondante, et soutenu d'une vertu aussi pu-
re , pour montrer tant de force i t de Icr-
inele. Ce n'est \i..- que nous exhortions tous
les ministres de Jous-CLiasi à imiter ce zelo.
m
SERMON POUR LA FETE DE SAINTE MADELEINE.
846
Dieu lai-même conduisait Jean-Baptiste, et .
lui faisait sentir que c'était lui qui lui inspi-
rait ses démarches. Que personne ne flatte
les hommes dans leurs vices, car c'est con-
sentir aux crimes que de se taire, lorsqu'on
doit reprendre; mais il faut garder beaucoup
de discrétion, et ne se pas laisser aller où
l'ardeur d'un zèle mal réglé pourrait souvent
nous entraîner. Le chagrin, l'humeur, la va-
nité prennent souvent les apparences du zèle,
et il n'arrive que trop ordinairement que
nous parlons pour nous-mêmes quand nous
prétendons défendre la justice et la vérité. II
faut être, comme saint Jein, attaché à Jésus-
Christ, humble, pénitent et désintéressé, et
avoir même une mission particulière, comme
lui, pour reprendre avec force et pour con-
fondre les superbes.
Pour nous, mes frères, honorons la grâce
qui l'a prévenu, imitons la vertu qui l'a sou-
tenu, détestons l'injustice qui l'a opprimé, et
demandons à Dieu qu'il mette dans notre
cœur l'amour des vérités dont il a rendu té-
moignage, afin que nous soyons rendus di-
gnes d'aller jouir dans le ciel de celui dont il
a été le témoin sur la terre. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LA FÊTE DE SAINTE MADELEINE
(22 juillet)
Dont il est parlé dans l'Evangile, et qui n'est pas
la Pécheresse (1).
Ordinavii in me charitaiem ; fulcile me Horions; slipale
me malis, quia amorc langueo.
Il a réglé dans moi mon amour ; soulenez-moi avec des
(leurs, fortifiez-moi avec des fruits, parce que je languis d'a-
mour (CanL, 11, 5).
Comme l'Eglise est comparée dans Je Can-
tique des cantiques à une armée rangée en
bataille, on peut dire que toutes les voies par
lesquelles Dieu a conduit les âmes justes à la
perfection en les faisant triompher du monde
et de la chair, sont comme autant d'étendards
dilïérents, sous lesquels ils ont combattu
pour sa gloire. Or, mes frères , ces diverses
voies se réunissent à une seule. Comme dans
la loi nouvelle , il n'y a p!us d'autre cliemin
pour aller à Dieu que la charité, ceux qui
appartiennent à cette loi n'ont donc plus
d'autres étendards que celui de l'amour :
ainsi ceux qui sont allés à Dieu par la v ie
de la foi sur ses promesses, de la crainte de
ses jugements, de la confiance en sa miséri-
corde, de la pénileoce et de l'austérité, ont
tous combattu sous l'étendard de l'amour
qui agit sous diverses formes. Mais celamour,
qui se diversifie el qui prend différents noms
dans la conduite dea autres saints, a toujours
été le même et n'a point pris d'autres noms
(I) Celte opinion de Dom Jérôme touchant la distinction
de Mari -Madeleine el de Marie la Pécheresse , opinion
qui du rnste ne nui eu rien au mérite de ce discours, où
il célèbre dignement les louanges de la sainte amante da
Sauveur, vieni d'être admirablement réfutée par un prêtre
da clergé Ipice, auteur de la dernière Vie da
M . Olier, dans un otrvi i nous venons de publier sous
le litre de : Monumenlê inédits tw VnpottolatAetcunte w -
rû -Mi.dcii ine, saint Lazare et les murex apôtres de ta Pro-
vence, 2 vol. m-;". L'assertion ()<■ Dom Jérôme, qui dislin-
gue «tarie-Madeleine d'avec la Péi ni i e donl il e il fait
mention dans saint Luc, repose sur une erreur nul i
répandue a peu niés généralement 6 sou époque, si qu'a
dans les mouvements différents de Marie-
Madeleine; car on peut dire que le caractère
de cette incomparable amante du Sauveur du
monde est marqué naturellement dans ces
paroles de mon lexte : Ordinavit in me cha~
ritatem. Je suis résolu à ne vous parler que
de son amour, puisque c'est de son amour
seul que l'Evangile nous parle. Je vous en
découvrirai la grandeur et je vous en expo-
serai les récompenses. Tout ceci est renfermé
dans ces paroles -.Ordinavit in me chnritatem:
l'Epoux sacré m'a fait combattre sous l'éten-
dard de l'amour; et comme un si grand amour
pour l'Epoux ne peut pas être sans une gran-
de récompense de la part du même Epoux,
qui a mis cet amour dans le cœur, il est dit
ensuite : Fulcite me floribus, stipate me ma-
lis; c'est-à-dire qu'on a répandu sur elle à
pleines mains et des fleurs et des fruits; ce
qui marque les prérogatives d'honneur et de
grâce donl elle a été comblée. Enfin, pour
montrer que toutes ces prérogatives sont des
suites de cet amour fort, tendre et languis-
sant qui fait le caractère de cette divine
amante, prévenue, animée et couronnée par
l'amour, elle avoue qu'elle languit d'amour :
Quia amore langueo. Réduisons tout ceci à
ces deux propositions : rien de plus grand
que l'amour de Madeleine pour Jésus-Christ;
rien de si privilégié que cet amour.
La grandeur de l'amour fait le mérite de
Madeleine: première partie; les privilèges
de cet amour en sont les récompenses: se-
conde partie.
Mais , comme saint Bernard nous avertit
que celui qui n'est pas pénétré de l'amour
ne saurait parler de l'amour que d'une ma-
nière barbare : Lingua amoris ei qui non,
amnt , barbara est , je m'adresse à cet esprit
divin, par qui l'amour est répandu dans nos
cœurs, afin qu'il me donne les sentiments et
les expressions nécessaires pour en parler
dignement. C'est ce que je lui demande par
l'intercession de celle qui en fut pénétrée ,
lorsque l'ange lui dit : Ave , Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Puisque nous entreprenons de parler de
l'amour divin, il faut prendre dans l'Ecriture
sainte ce qui peut servir à vous en marquer
les traits, et je ne me servirai que de ce que
l'Evangile nous découvre, pour vous donner
l'idée de l'amour de Madeleine. Or , dans ce
qu'il nous a rapporté de celle amante sainte
et innocente de Jésus-Christ , la première
chose qui nous découvre la grandeur de son
amour pour Jésus-Christ , c'est ce qu'elle a
sacrifié pour le suivre ; la seconde , c'est ce
qu'elle a embrassé pour s'attacher à lui ; la
vaieni accréditée les sophismes du docteur Launoy, dans
une dissertation latine Intitulée : De commenlilio Laxari,
Mngdalena:, Murthce el Maximini in Proviticiam appui su.
Nous engageons fortement nos honoraires lecteurs a .se
procurer I ouvrage vraiment mnoumenl al que nous annon-
çons dans celte noie. Ils y trouveront des trésors île .cicuce
ei d'érudition, des aperçus nonveaux sur une question de
la plus haute, importance, qui intéresse également la cu-
i i | té des savants et la piété 'les liilèlcs ; • ritin, une foule
de monuments authentiques el incontestable? qui tous éta-
bli senl i'wiité de personne de sainte Marie-Madeleine,
Marie de Héllwnie el la Pécheresse dont parle l'êvangéliste
saint Luc. (ISdit.)
847
OltATKI KS SACfU
troisième, c'est ce qu'elle a souffert pour
être fidèle el constante dans sou attachement
à Jésus-Chi iit.
C'est par là que je veux vous montrer la
grandeur de l'amour de Madeleine pour Je-
sus-Christ dans ses sacrilices.dans son union
et dans sis souffrances. Commençons par
les sacrifices qu'elle a faits . m is aupara-
vant établissons l'état de Madeleine , et di-
sons quelle l'ut celte amante de Jésus-Christ,
et de quelle manière la providence la con-
duisit a lui.
Ce que nous si vous de certain sur l'état
de Madeleine , c'est qu elle allait de ville en
ville cl de village en village pour suivre Jé-
sus-Christ, qui prêchait l'Evangile et qui
annonçait le. royaume de Dieu avec les douze
apôtres qu'il avait choisis. 7/ y (nuit auiâi
quelques femmes, dit saint Luc au VIII* cha-
pitre de son Evangile , qui avaient été déli-
vrées de malins esprits, et guéries de leurs ma-
ladies , el Marie , surnommée Madeleine , qui
avait élé délivrée de sept démons. Voici aussi
ce que saint Marc rapporte , en parlant de
l'apparition de Jésus-Christ après sa résur-
rection : Jésus-CItrisl, étant ressuscité le pre-
mier jour delà semaine , apparut à Marie-Ma-
deleine, dont il ai ait chassé sept démons.
Quelles inductions devons-nous tirer do ce
texte des Evangiles sur l'état de Marie Ma-
deleine? Elle avait été possédée du démon ,
et même de sept ; ce qu'on ne doit pas ex-
pliquer moralement , mais réellement de
sept démons. Jésus-Christ l'en avait déli-
vrée , elle l'avait suivi en reconnaissance de
ce grand bienfait. Elle n'est pas la péche-
resse dont parle saint Luc , qui n'est point
nommée dans 1 Evangile, ni Marie, sœur de
Marthe, qui n'était point de Galilée, comme
celle-ci ; ce qui a élé reconnu et déterminé
par l'ordre d'un savant prélat , comme le
missel el le bréviaire de Paris en l'ont loi.
Enlln on peut fort bien supposer que Marie
Madeleine était vierge, puisque les évangé-
listes ont pris soin de nommer les maris ou
les enfants de celles qui ne l'étaient pas; ce
qu'ils n'ont pas l'ait à l'égard de Madeleine ,
se contentant seulement de la nommer, sans
rien ajouter. Mais, comme les anciens Pères
n'en ont rien dit, ceci peut être pris pour
une conjecture , qu'il est libre de croire ou
de rejeter, quoiqu'elle paraisse n'être pas
sans fondement.
Cela étant supposé, nous pouvons dire que
Marie -Madeleine, animée par un ardent
amour et par une juste reconnaissance pour
Jésus-Christ , a sacrilié à son bienfaiteur sa
famille , qu'elle a quillée pour le suivre , ses
biens , qu'elle a employés à le soulager , sa
propre personne , qu'elle a dévouée à son
service , et sa propre gloire , qu'elle a expo-
sée dans le sacrilice qu'elle a lait de tout ce
que nous venons de dire. Peut-on imaginer
quelque chose de plus parfait que celle re-
connaissance qui ne ménage rien el qui sa-
crifie tout à son libérateur?
Elle abandonne donc d'abord sa famille
et ses parents, dont la tendresse, l'amitié, les
affaires, les intérêts, les passions forment
g. DOM JEROME. 81*
ordinairement de grands obstacles à la re-
connaissance ei ,i |f fidélité que nous devoM
à Ji sus-Christ : < 'est pourquoi nous vovons
dans l'Evangile qu'il les met au nombre des
Choses qu'il faut quitter pour le suivre. Aus-
si, dit-il, it quelqu'un » l'en! à moi , et n? hait
jais w/7! pire et $a «éVi . - - frère» et sc> •
et même ta propre vie, il tu peut être mon d* -
ciplc; CC qui se doit entendre quand ils nous
détournent de JésuS'Christ. C'est pourquoi
nous voyons que les v rais disciples de ce di-
\ in Saut eur,étant appelés à s'>n sen Ice, ont
accompagné de ce sacrifice leur correspon-
dance à sa vocation et leur fidélité à le sui-
vre ; car il est dit , en parlant de lacqfJM et
de Jean, fils de Zébédée, qu'aussitôt qu'il les
appela ils quittèrent leurs filets et leur père,
cl le suivirent. Voilà ce que fait celt ■ amante
fidèle de Jésus-Christ , que nous pouvons
comparer en quelque chose avec lesapôlr -,
puisqu'elle a élé appelée à peu prè> dans le
même temps qu'eux , cl qu'elle a eu paît
d'une certaine manière à leur ministère. Elle
ne veut plus connaître personne que Jésus-
Christ: si elle retourna quelquefois dans sa
famille depuis que Jésus l'eut délivrée des
sept démons qui la possédaient , ce ne fut
qu'en passant, et sa principale résidence
était auprès du Sauveur du monde ; car l'E-
vangile nous apprend qu'elle était avec lui ,
aussi bien que quelques autr. s femmes qui
l'assistaient de leurs biens : autre circon-
stance qui nous découvre l'élendue de son
sacrilice el de la reconnaissance qu'elle avait
pour ses bien faits.
Elle n'a pas avec cela épargné sa per-
sonne: elle se dévoua entièrement à son ser-
vice. Semblable dans celte conduite à la
belle-mère de saint Pierre, qu'il guérit de la
fièvre , et qui . se levant de son lit, se mit
aussitôt à servir le Sauveur , Madeleine ne
se vit pas plutôt délivrée des démons qui la
possédaient, qu'elle se consacra au service
de son libérateur, reconnaissant qu'elle n'é-
tait plus à elle , mais qu'elle appartenait à
celui qui se l'était acquise eu la délivrant de
la tyrannie du démon.
Elle n'eut plus de biens ni de richesses
que pour Jésus-Christ et pour ses apôtres.
Quelle gloire pour ces saintes finîmes d'être
les ministres delà Providence a l'égard du
Eils unique du Très-Haut; de contribuer à
la prédication de l'Evangile, à la conversion
des âmes . à l'opération de t int de miracles
et à l'établissement du royaume de Dieu , et
enfin d'être une ressource pour Jésus-Christ
dans ses besoins !
.Mon Dieu . que vous répandez de lumiè-
res dans une âme dont vous prenez posses-
sion 1 que vous la rende/ savante en peu de
temps , et qu'elle sait bientôt l'usage qu'elle
doit faire de ses richesses quand elle est
remplie de vos biens ! Mais c'est peu que le
sacrifice que Madeleine fait de sa famille
qu'elle a quittée pour suivre Jesus-Chrisl ;
de celui de sa personne qu'elle a dévouée à
son service; de son repos qu'elle a inter-
rompu parles fréqueuts voyages qu'elle fait t
•pour raccompagner ; de celui de ses biens
841)
SERMON POUR LA FETE DE SAINTE MADELEINE.
destinés à ses besoins : tout cela me paraît
peu de chose en comparaison de celui de sa
gloire qu'elle a exposée aux discours et à la
censure du monde , qui ne manque jamais
de critiquer les démarches les plus exactes
et les actions les plus saintes , lorsqu'elles
sont accompagnées de quelques circonstan-
ces qui frappent par la nouveauté.
Je vous prie de bien entrer dans ceci : car
quoiqu'il soit certain que c'était une prati-
que commune parmi les Juifs que des fem-
mes de piété s'attachassent à ceux qui les in-
struisaient, sans que personne s'en offensât,
comme nous le marque saint Jérôme, et qu'à
considérer la chose en elle-même, Madeleine
ne s'exposait à rien en s'attachant à un
homme qui l'instruisait dans la piété, cepen-
dant,si vous considérez que cet homme était
un nouveau venu parmi les Juifs, n'ayant
aucune autorité, rejeté parmi les pharisiens
et les docteurs de la loi, qui étaient les grands
directeurs de ce temps-là , vous comprenez
bien que ce choix exposa Madeleine à mille
réflexions désagréables et même injurieuses.
Les hommes ont toujours été faits de la
même façon : d'une part il y a toujours eu
dans les états une obligation pour le salut
de quitter la voie commune , c'est-à-dire la
voie large qui conduit à la mort . pour s'at-
tacher à Jésus-Christ, et de marcher par la
voie étroite que lui seul enseigne ; et d'autre
part Jésus-Christ a toujours été et sera tou-
jours rejeté par le plus grand nombre ; car
ses voies ont toujours paru et paraîtront
toujours nouvelles et extraordinaires dans
tous les étals à ceux qui aiment celles du
monde. Ainsi , embrasser les voies de Jésus-
Christ et le prendre pour son unique con-
ducteur, c'est s'exposer à la censure et à la
contradiction des hommes. C'est ce qui véri-
fie cette parole de saint Paul : que tous ceux
qui veulent vivre dans la piété avec Jésus-
Christ seront persécutés. Le monde en effet a
attaché une espèce de honte à abandonner le
parti et les maximes du siècle, pour se con-
vertir parfaitement à Dieu , lorsqu'on fait
par sa naissance ou par sa fortune quelque
figure, dans le monde ; et de là il s'ensuit que
l'amour d'une fausse gloire et la crainte de
celle prétendue confusion empêchent un
grand nombre de personnes d'embrasser le
parli de Jésus-Christ. Celte considération
n'arrêta point Madeleine : elle sacrifia sa
gloire aux intérêts de son salut , et la fausse
honte n'empêcha poinl sa reconnaissance.
Mais vous verrez mieux toul le mérite de ce
sacrifice dans la seconde preuve de la gran-
deurdeson amour, qui consisledanscequ'elle
embrasse pour s'attacher à Jésus-Christ.
Pour bien entrer dans cette considération
de la grandeur de son amour pour Jésus-
Chrisl , il faut se représenlcr quel était l'état
naturel de Jésus-Christ , la situation des
hommes à son égard, la doctrine qu'il ensei-
gnait, enfin la vie qu'il menait: tout cela
n'était pas propre a lui adirer des disci
pics ei à attacher beaucoup de monde à sa
personne,
boa état était pauvre et forl méprisable
850
aux yeux des hommes : il dit de lui-même
que le Fils de l'homme n'npas oùreposer sa
tête: voilà son état. Il fallait qu'il fût pauvre,
puisqu'il venait être la gloire des pauvres ,
la honte et la condamnation des riches , et
qu'il ne devait donner ses richesses éternel-
les qu'à ceux qui seraient pauvres d'espril ;
mais cet état ne devait pas lui attirer l'esti-
me et l'approbation des hommes. Aussi leur
situation à son égard était-elle bien éloignée
de ses sentiments ; car il paraît , par le mé-
pris qu'en faisaient ceux de son pays , que ,
pour affaiblir l'éclat de sa sagesse et la force
de ses discours, ils se rejetaient sur la bas-
sesse de sa condition. N'est-ce pas, disaient-
ils, le fils de ce charpentier? Sa mère ne s'ap-
pelle-t-elle pas Marie ? Il ne se présente rien
en tout cela qui puisse nourrir l'amour-pro-
pre et qui soit capable de. lier les gens à un
tel homme , par des vues et des considéra-
tions humaines ; aussi Madeleine n'est-elle
conduite et animée que par un amour que la
foi éclaire.
Mais quelle doctrine enseigne cet homme
si pauvre et si méprisé? la plus rebutanlo
pour la nature, la plus dure aux sens, la
plus opposée à une certaine raison qui prend
ses principes dans la nature et qui se con-
duit par sentiment. Il ne parle que de se re-
noncer soi-même, que de porter sa croix
tous les jours ; il ne prédit à ses disciples que
des misères et des maux; il ne leur fait en-
trevoir que des persécutions et des tourments
durant cette vie, et s'il leur donne quelque
espérance, ce n'est que pour après la mort.
Sa vie est conforme à ses principes : il ne
possède rien, il est dans la dépendance de
tout le monde, il est méprisé par les grands,
il n'a de société qu'fivec les pauvres, il n'est
éi oulé que par le simple peuple ; les phari-
siens le méprisent, le calomnient; ils le
poursuivent, ils le persécutent, ils soulèvent
contre lui les puissances spirituelles et tem-
porelles; enfin la prédiction de Sjméon, qu'il
devait être en butte à la contradiction, s'ac-
complit à la lettre dans toutes les circons-
tances de sa vie.
C'est à cet homme-là que s'attache cette
fidèle amante. L'idée du bienfait qu'elle a
reçu l'occupe uniquement; tout lui paraît
beau, noble, grand dans celui à qui elle est
redevable. Rien ne lui par aH difficile quand il
s'agit de lui marquer sa reconnaissance.
Mon Dieu , quelle condamnation pour
ceux qui demeurent froids, languissants, im-
mobiles , après avoir reçu des bienfaits qui
surpassent ceux qui excitent la reconnais-
sance de Madeleine! Mais achevons d'expo-
ser toute la grandeur de son amour en ra-
contant ce que l'Evangile rapporledcs souf-
frances qu'elle a endurées pour soutenir- son
attachement à Jésus-Christ et pour lui don-
ner des marques de sa fidélité jusqu'à la fin.
C'est ici, mes frères, que nous voyons
ectic force et celte fermeté de l'amour divin,
marquées par ces paroles du Cantique : tou-
tes les eaux du inonde ne sauraient éteindre
la charité et l'amour , ni les vents les plus in-
pélucux l'étouffer .
851
ORATEURS SACRES I)(»M JEROMK.
Madeleine a-t-elle abandonne Jcsm -Christ
dans le moment qu'élant livre à ses ennemis,
tous ses disciples le qnilleiit ! Qu'un de
npôtres le tr.ihisse et le vende, < l qu'an au-
Ire le renie, Madeleine ne le quille, point.
Lorsqu'il est condamne et attache à la croix,
Madeleine est toujours fidèle. Tous les sou-
lèvements «lu siècle contre lui De l'effrayent
point, tonte la fureur des puissances du
monde déclarées contre cet innocent, tous
les fleuves impétueux de mille tentations
différentes ne sont pas capables d'éteindre
le feu de son amour. Elle va lui donner des
marques de sa fidélité jusqu'au pied de la
croix. On fuit dans de pareilles occasions;
bien loin de sr produire, l'on cherche à se
cacher: lorsqu'il est arrivé quelque disgrâce
dans une famille, on affecte de changer de
nom, pour paraître n'avoir nulle liaison
avec celui sur qui elle est tombée; mais
Madeleine connaît la gloire de toute celte
infamie qui environne le Sauveur du monde:
elle met la sienne à donner des marques de
sa ûdélité el de sa constance à cet innocent ,
devenu l'objet du mépris de tout le monde.
Elle va mêler les soupirs el les larmes avec
son sang, et j'ose dire que , plus forte que
Pierre, il était réservé à cette sainte amante
de dire: Quand il me faudrait mourir avec
vous, je ne tous renoncerai point. Ah ! l'on
ne relève point assez l'amour, la constance,
la générosité, la grandeur d'âme de celte
sainte; la mort même, non, la mort, à qui
tout doit céder, n'est pas capable d'interrom-
pre ni d'arrêter le cours des preuves de son
amour pour Jésus-Christ.
Les disciples du Sauveur perdent courage
en le voyant dans le tombeau : ils se con-
tentent de dire qu'ils avaient espéré, spera-
bamus, et ils s'en retournent chez eux sans
se mettre davantage en peine du corps de
leur n, aiiie.
Madeleine est impatiente que le jour soit
venu pour aller lui rendre ses devoirs : dès
qu'il commence à paraître, elle se met en
chemin pour aller coller sa bouche sur les
pieds de celui qu'elle avait suivi dans lous
ses voyages, depuis qu'il l'avait délivrée de la
possession des sept démons. Quel fut son
trouble et quelle fut son agitation quand elle
ne trouva pas ce corps adorable! Son amour
et sa douleur la troublent; elle parle à un
homme qui n'avai! tout au plus que l'air d'un
jardinier, pour savoir s'il n'a point emporté
le corps de son maître, cl elle lui dit : Sei-
gneur, si c'est vous qui l'avez âté, dites-moi
où tous l'avez mis, et je l'empoi '7; r i . l.lio
vient avertir les apôtres de ce qui était arri-
vé; elle cherche, elle s'agite, elle s'informe à
tout le monde où l'on a mis le corps de son
mailrc, elle soupire, elle verse des laim •>.
Eles-vous convaincus, mes frères, de la gran-
deur de l'amour de Madeleine par ce qu'elle
a sacrifié pour suivre Jésus-Christ, par ce
qu'elle a embrasse pour l'attacher à lui, et
par tout ce qu'elle a souffert pour soutenir
avec une constance héroïque et une force
toute divine l'attachement qu'elle a eu pour
son bienfaiteur el son mailre?
Mai-, hclas! de quelle ulililé peut— il élre
pour nous d'admirer la grande*! de
amour et d'applaudir à la reconnais anee si
parfaite de celte sainte amante, pendant que
nous ne songeons pas à la suivit- dam le»
mouvements de s n im -ur, ni a l'imiii r dans
sa litlelilé et dan- l'exactitude <!< - | i <>n-
naissanec? c'est là pourtant le fruit qu'il faut
tirer de ce discoui -. Nous devons reconnu
que nous avons plus reçu de Je as-Christ
que Madeleine n'en avait r> eu: nous devons
être persuadés que la reconnaissance d >i|
croître et se multiplier à proportion sjes
bienfaits aug mentent j enfin non- - ssmei
obligés de nous examiner el d'entrer en
compte avec nous-mêmes sur la coi da s
que nous tenons à l'égard de Jésus-Christ,
notre bienfaiteur.
En effet, Madeleine est délivrée, pa la
vertu de Jésus-Christ, de sept démons qui la
possédaient : voilà le bienfait qu'elle a reçu
de Jésus-Christ el le motif qui l'a attachée a
lui; et nous, nous avons été arraché» à la
puissance des ténèbres, dit saint Paul : voilà
l'égalité du bienfait : délivrance de la tyran-
nie du démon et de la puissance des ténèbres
de part el d'autre. Mais voici en quoi le liieu-
faii que nous avons reçu excède c>-lui qui a
été accordé à Madeleine : la possession ou le
démon était de Madeleine ne s'étendait quo
sur le corps, elle ne produisait que quelques
agit liions violentes; mais celle dont Jésus-
Christ nous délivre par la grâce regarde
l'âme, et elle cause d'étranges dérèglements
dans ses facultés el dans ses puissances. Or,
comme vous savez, il faut faire plus d'étal
de l'âme que du corps, puisque le Seigneur
nous dit dans l'Evangile de ne pas craindre
ceux qui n'ont de puissance que sur le corps,
sans rien pouvoir sur l'âme.
Celle de Madeleine n'était pas volontaire,
die pouvait être sous la tyrannie du dén
sans être ennemie de Dieu : celle dont nous
sommes délivrés par la grâce est un effet de
notre choix; c'est nous-mêmes qui, renon-
çant à la lidélilé que nous devons à Dieu,
nous soumettons librement à l'empire de son
ennemi.
La simple possession, telle qu'élait celle de
Madeleine, n'efface pas en nous l'image de
Dieu : nous pouvons toujours être ses en-
fants, quoique son ennemi nous tyrannise.
Mais la possession de l'âme, telle. que celle
que nous contractons par le péché, efface en
nous celle image; elle y imprime celle do dé-
mon, et nous ne pouvons la porter sans re-
noncer à Jésus-Christ.
Enfin Madeleine n'est délivrée qu'une fois
par Jésus-Christ, el nous combien de fois l'a-
votis-nous été 1 Combien de fois s'e<l-il pré-
sente pour briser nos fers! que ne fait-il pas
tous les jours pour nous deliv rer de cette I > -
ranniel U se présente, il nous appelle, il
nous sollicile.il nous piesse.il nous offre des
secours et des forces contre 1 s entreprises el
les violences de cet ennemi : jusqu où ne doit
donc pa- aller notre reconnaissance!
Voyons donc maintenant où nous en som-
mes : c'esl la conclusion de ces deux vérités
853
SERMON POUR LA FETE DE SAINTE MADELEINE.
S54
que nous venons d'établir. Ecoutons saint
Paul : Ayant été affranchis du péché, vous
êtes devenus esclaves de la justice. Cela veut
dire que, comme il n'y a point de milieu en-
tre l'état du péché et celui de la grâce, entre
la justice et l'iniquité, il n'y a point de dispo-
sition indifférente : il faut être ou au monde
ou à Dieu, ou au démon ou à Jésus-Christ;
et comme l'un nous a dominés absolument
durant sa possession, il faut que nous pas-
sions absolument sous la domination de l'au-
tre. Vous n'êtes plus à vous-mêmes, dit encore
le même apôtre, car vous avez été rachetés
d'un grand prix ; glorifiez Dieu et le portez
dans votre corps.
C'est ce qu'a fait Madeleine; mais, chré-
tiens auditeurs, le faites-vous? L'amour de
vos familles n'est-il pas un grand obstacle à
celui que vous devez à Dieu? Usez-vous
pour sa gloire des biens que vous avez reçus
de lui? La dispensalion que vous en faites
est-elle réglée sur sa volonté et sur les lois
qu'il vous a prescrites? Le glorifiez-vous par
la tempérance, par la modestie, par la pu-
reté qui convient à vos corps, qui sont par
Jésus-Christ les temples du Saint-Esprit? En-
fin mettez-vous votre gloire à vivre selon son
Evangile, à vous régler sur ses préceptes?
Ne rougissez-vous point d'être du nombre de
ses disciples? car c'est en rougir que de ne
pas suivre ses exemples dans la crainte de
déplaire au monde ou d'en attirer les mé-
pris. Pour vous, mes très-chères sœurs, on
voit bien que vous avez quitté vos familles
pour suivre celui qui vous a délivrées de la
servitude du démon et de la possession du
prince qui règne dans le monde : vous lui
avez consacré vos personnes, vous avez mé-
prisé vos biens, et vous avez pris des routes
tout opposées à celles du monde, pour lui
marquer votre reconnaissance et consacrer
votre fidélité à la grâce de voire vocation;
mais tout cela est-il soutenu par un amour
constant, par une charité vive et toujours
agissante? Vous savez la parabole des dix
vierges : le défaut de l'huile en exclut cinq
de la salle du festin. Craignez, cependant
animez-vous, mes très-chères sœurs, par la
vue des récompenses et des couronnes que
Jésus-Christ promet à la fidélité de ses épou-
ses. Nous allons exposer quelles sont celles
que Madeleine a reçues de lui : c'est le sujet
du second point.
SECONDE PARTIE.
Nous vous avons découvert la grandeur de
l'amour de Madeleine, il faut vous en expo-
ser les récompenses. Celui à qui elle s'est
consacrée sous l'étendard de la charité, selon
le sens des premières paroles de mon texte :
Ordinavit in me charitalem, n'a pas manqué
de récompenser son amour et de couronner
sa charité. C'est ce qui paraît dans les
dernières paroles qui suivent : Fulcite me
florib us, stipule me malù. 11 a pris soin de ré-
pandre sur elle et des fleurs et des fruits, par
let prérogatives d'honneur et do grâces dont
elle a été comblée, et c'est ce qui va former
les récompenses et composer les couronnes
qu'elle a reçues de celui à qui elle s'est atta-
chée par les liens de la charité.
Je renfermerai donc toutes ses récompen-
ses et toutes ses couronnes dans les privilè-
ges qu'elle a eus, voilà les fleurs d'honneur
dont il l'a revêtue : Fulcite me floribus ; et
dans les dons des grâces dont il l'a remplie,
voilà les fruits : Stipate me malis. Or, les pri-
vilèges d'honneur dont il l'a revêtue et les
fleurs qu'il a répandues sur elle à pleines
mains consistent en ce qu'il se l'est associée :
il a bien voulu qu'elle l'accompagnât dans
ses voyages et ses courses continuelles et
évangéliques ; il a reçu de ses mains les se-
cours dont il a eu besoin dans ses nécessités
et dans les travaux où l'engageait sa mis-
sion; enfin il l'a lice avec sa sainte Mère,
qu'elle ne quitta plus et qu'elle suivit après
la mort de son cher maître : voilà les hon-
neurs et les fleurs que le Suiveur du monde
a bien voulu répandre sur elle.
En effet, rattachement qu'elle eut pour sa
personne ne fut-il pas récompensé glorieu-
sement lorsqu'il voulut bien se l'associer et
la renlre la compagne de ses voyages? Que
devons-nous penser de l'honneur que reçut
Madeleine en se voyant associée à celui qui
venait, par sa vertu, de la dé'ivrer de la pos-
session des démons, écoutant tous les jours
les discours qu'il faisait à ses apôires, voyant
ses miracles, assistant à ses prédications,
étant témoin de mille \ertus qu'il pratiquait!
Que cette association est glorieuse pour Ma-
deleine! Mais Jésus-Christ a encore reçu de
notre sainte les secours dont il a eu besoin
dans les nécessités et dans les travaux où
l'engageait son ministère. Joseph a l'honneur
de porter le nom de père du Sauveur du
monde, parce qu'il a été l'époux de Marie,
mère de Dieu, et parce qu'il l'a nourri pen-
dant la plus grande partie de sa vie privé:' :
quelle gloire donc pour Madeleine d'avoir eu
part à cet avantage durant la meilleure par-
lie de sa vie publique, <iu cours de son mi-
nistère et de sa mission ! quel meilleur usage
des biens qui doivent périr, et qu'on emploie
ordinairement si mal, que de les faire servir
à la subsistance de celui qui en est l'auteur,
et de les rendre, pour sa propre utilité, dans
sa nécessité, dans son besoin, à celui-là
même de la libéralité et de la providence de
qui on les a reçus.
Vous pouvez prendre part à cet avantage
et vous revêtir de cette gloire, chrétiens qui
m'écoutez. 11 est vrai que vous ne donnerez
pas les vôtres à Jésus-Christ immédiatement,
car c'est le privilège de Madeleine; mais vous
les donner* z aux membres du corps mysti-
que du même Jésus-Christ, en qui il est et en
qui il habile, et qui vous a dit qu i toute» les
fois que vous feriez ces choses au f,lu< petit de
ceux qui sont à lui, il les tiendrait faites à
lui-même. Vous ne serez pas exclues de cet
avantage, mes très-chères sœurs, quoique
vous ayez renoncé à ces biens qui périssent,
si vous respectez vos sœurs, si vous les aidez
dans leurs besoins, si vous les servez par les
vues de la foi et pour honorer en elles celui
dont elles sont les épouses par leur roi»
«55
ORATEURS SACRES. DOM .1. ROME.
830
cralion, el qui par cette raison entrent d'une
façon plus particulière dans le bien qu'on
leur fait, en son nom.
Enfin Jésus-Christ lia Madeleine avec sa
sainie mère d'une façon plus particulière,
alin qu'elle ne restât pas seule après sa
mort; car il paraît certain, selon les auteurs
les plus exacts fondés sur le témoignage des
anciens, que la très-sainte; Vierge s'etant re-
tirée chez saint Jean, à qui Jésus-Christ en
avait conlié le soin, Madeleine les suivit et
vint même à Ephèse, où cet apôtre conduisit
Marie.
Ce dernier caractère d'honneur n'est pas
inoins glorieux à Madeleine que les deux
autres : c'est une récompense de son amour
qui en découvre bien la grandeur, cl qui
nous montre combien Jésus-Chrisl en était
touché : car comme il n'avait rien de plus
cher que sa sainte mère, il ne pouvait pas
marquer plus d'estime pour Madeleine que
de la rendre sa compagne; et Madeleine, de
sa part, connaissant ce que Marie était à Jé-
sus-Christ, ne pouvait pas lui témoigner plus
d'attachement après sa mort que de se livrer
à sa mère et de se substituer à son cher
maître, pour continuer en la personne de sa
mère les services et les soins qu'elle avait re-
çus de son fils. La voilà donc toute couverte
de Heurs que la main de son bien-aimé a ver-
sées sur elle; la voilà toute brillante de l'é-
clat de ses privilèges d'honneur qui l'envi-
ronnent : Fulcite me fhribus. Mais les ileurs
que Jésus-Christ répand produisent des fruits
solides : Stipule me malis : c'est ce que j'ai
appeïé les dons de grâce qu'il lui a plu de
mettre dans Madeleine pour couronner son
amour; car elle les reçut, ces dons, au pied
de la croix du Sauveur, où elle assista au
moment de sa mort, et dans le jardin où
Jésus-Christ ressuscita et où il se montra à
elle.
Or, mes frères, quelle abondance de grâ-
ces a dû puiser dans cette première source
Madeleine, qui était au pied de la croix, où
sou amour l'avait conduite! <Jue croyez-vous
que puisait notre sainte amante dans cette
liqueur divine, source de toute bénédiction
et de toute grâce, qui coulait à gros bouil-
lons et se répandait à grands Ilots pour le
salut des hommes ? Les saints Pères ont re-
gardé comme un des premiers effets de celte
grâce que les saintes femmes, c'est-à-dire la
sainte Vierge, Madeleine, cl Marie, femme de
Cléophas, aient surmonté la timidité de leur
sexe, l'horreur d'un tel spectacle, et le péril
où les pouvait mettre la fureur d'un peuple
animé, pendant que saint Pierre d'un cote
vient de le renier par la crainte d'une ser-
rante, et que i'ilate l'a livré pour éviter une
disgrâce dont il n'était menacé que légère-
ment. Quelle abondance de grâces 1 quels
dons communiqués à celte amante intrépide
que Jésus-Christ veut couronner 1
Mais elle en trouva une nouvelle source
dans ce jardin où son maître ressuscité se
montra à elle. De combien de lumières el de
connaissances celte apparition fut-elle ac-
compagnée 1 Ne peut-on pas dire qu'elle re-
çut alors les prémices de l'esprit nouveau
que les apôtres se glorifièrent d'avoir reçu
depuis? Elle fui alors elle-mé ne l'apôtre de
Jésus-Christ ressuscité , auprès de sei apô-
tres, qui apprirent de Madeleine la nouvelle
de la résurrection de leur maître, ver- qui il
l'envoya pour la leur annoncer.
Concluons ce discours, et disons, mes trèt-
cbères sœurs, que comme l'amour n'est ja-
mais sans mouvement quand il est véritable,
les mouvements de l'amour ne sont jamais
véritables qu'ils ne soient récompensés.
Vous avez vu ce que l'amour de recon-
naissance a fait faire à Madeleine, et ce que
Madeleine a mérité par cet amour ; qui d'en-
tre nous peut se dispenser d'aimer, et qui
peut se flatter d'aimer, si son amour ne pro-
duit rien ? Voilà le rapport particulier que
lésus-Cbrist a eu avec.Madeleine, el celui qui
doit subsister entre lui et toutes les créatu-
res qu'il a rachetées par son sang. Tout cela
est renfermé dans ces paroles de l'épouse du
C antique, qui doiv 'ni èlre la devise de toutes
les âmes chrétiennes, cl qui ne doivent ja-
mais sortir de vos esprits et de vos cœurs,
mes liés chères sœurs : Ditectus mifii , et eyo
ilti : mon bien-aimé s'est donné à moi entiè-
rement , et je suis à lui par autant de litres
qu'il est à moi.
Nos cœurs sont à vous, divin Jésus ; mais
prenez-en possession : donnez- nous celle re-
connaissance dont nous nous sentons rede-
vables, et que uous ne saurions vous rendre
si vous ne nous !a donnez ; faites que nous
vous aimions, aûn que nous soyons rendus
dignes des récompenses que vous préparez a
ceux qui vous aiment ; c'est ce que je vous
souhaite. Ainsi soil-il.
SERMON
POLR L4 FÊTE DE SAINTE ELISABETH.
(19 novembre.)
Millier, niairna esl fuies lua.
0 femme ! que votre foi est <i>ande (Matlii., Vf, SE '
Le Sauveur du monde ne fui point frappé
d'admiration, disent les saiuls Pères , quand
il loua si hautement la foi de cette femme
chananéenne à l'occasion de laquelle il pro-
nonça ces paroles que j'ai prises pour mon
texlè; rien ne pouvait le surprendre de tout
ce qui se trouve dans les créatures . parce
qu'il n'y a rien qu'il ne connaisse, et il ne
donna des louanges à la foi de la Chana-
néenne, que pour rendre les hommes atten-
tifs aux vertus qui la soutenaient el à la con-
duite de celle qui en était animée.
Aujourd'hui, mes frères , je reprends ces
paroles pour les appliquer à sainie Elisabeth,
fille d'un roi de Hongrie etfemmedu landgrave
de Thuringe, étant frappé d'admiration à la
vue des grandes choses que la loi a opérées
en elle, el je voudrais vous engager à les con-
sidérer avec moi.
L'apôtre saint Paul a dit autrefois que le
juste vil de la foi; et quand les saints lV-rcs
oui explique ces paroles, ils nous ont dil que
la loi devail être dans la vie du chrétien à
peu près ce qu'esl le sang dans la >ie de
857
SERMON POUR LA FETE DE SAINTE ELISABETH.
858
l'homme : il l'anime dans toutes ses entre-
prises, il le soutient dans toutes -ses opéra-
tions ; il en doit être ainsi de la foi , elle est
le principe de la vie du chrétien, il faut qu'elle
entre dans tous ses mouvements, qu'elle soit
de tous ses conseils, qu'elle anime toutes ses
entreprises, qu'elle le soutienne dans toutes
ses opérations; et c'est ce que la Providence
nous a fait voir dans la conduite de l'illustre
sainte dont la solennité nous assemble. Elle
a appelé la foi dans toutes ses délibérations,
comme son conseil ; elle l'a fait entrer dans
toutes ses actions, comme sa force ; elle s'est
trouvée dans toutes ses souffrances, comme
sa consolation. 0 millier! magna est fides tua!
Femme sainte et illustre, que votre foi a été
grande dans une condition , dans un âge et
dans des conjonctures où les personnes de vo-
tre rang ne pensent guère à la consulter 1
C'est, mes frères, ce qui a relevé la foi de
celte sainte princesse, et c'est ce qui doit
être l'objet de notre admiration et nous ren-
dre attentifs aux grands ouvrages de celte foi
héroïque que je vais exposer dans les trois
parties de ce discours.
Celte foi qu'elle a appelé dans toutes ses
délibérations, comme son conseil, lui a fait
voir toute la petitesse des grandeurs du
monde au milieu de leur plus brillant éclat:
première partie ; cette foi qu'elle a fait en-
trer dans toutes ses entreprises, comme sa
force, lui a fait embrasser toute la perfection
de l'Evangile , malgré les obstacles que sa
condition v opposait : deuxième partie; cette
foi qui l'a soutenue dans toutes ses souffran-
ces, comme sa consolation, lui a fait suppor-
ter les épreuves du plus terrible de tous les
abandonnemenls : troisième partie.
Voilà le sujet de notre admiration et celui
de votre attention en même temps. Deman-
dons le secours du ciel par l'intercession de
la très-sainte Vierge. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Comme saint Paul, en définissanlla foi dans
l'Epitre aux Hébreux, l'appelle une persua-
sion ferme et certaine des choses qui ne se
voient point, argumentum non apparentium,
il faut qu'elle rende présentes à l'esprit du
chrétien des choses qui ne subsistent pas en-
core, et qu'elle leur donne une existence et
Une solidité qui fassent qu'il n'en doute pas
plus que si la main les touchait déjà, et qu'il
en soit aussi fortement persuadé et convaincu
que si elles étaient prouvées en elles-mêmes
par une démonstration évidente et sensible.
Or, mes frères, ce témoignage de la foi est
reçu par le chrétien avec plus ou moins de
soumission, à proportion que l'esprit ou le
cœur a plus ou moins d'objets sensibles et
présents qu'il peut substituer à ceux dont la
loi lui rend témoignage : car un homme qui
ne possède rien se laisse loucher volontiers
par l'espérance d'un bien futur qu'on lui pro-
met; mais il est difficile de persuader à un
homme de mépriser les biens qu'il possède ,
sous l'espérance qu'on lui donne d'autres
biens qu'il ne connaît point; d'estimer comme
de la poussière ce qui lui attire l'es lime, la
considération, les services et rattachement
des homnies ; ce qui sert à contenter tous ses
désirs, à fournir à tous ses besoins, à satis-
faire toutes ses passions, pour donner son
estime et son attachement à des biens qui ne
paraissent point, et dont il n'a nulle assu-
rance que celle qu'il reçoit par le témoignage
que la foi lui rend*
Avouez, mes frères, que la foi doit être
bien grande quand elle produit de sembla-
bles effets : il faut qu'elle détruise et qu'elle
établisse , il faut qu'elle aille au-devant de
tous les préjugés qui flattent la nature, et qui
s'accordent si bien avec ses inclinations ,
pour les dissiper, et que, par la force du té-
moignage qu'elle rend à l'esprit et au cœur,
elle y établisse une ferme croyance et un
amour sincère de ce qu'on ne voit point. Que
vous fûtes heureuse, grande et illustre sain-
le, d'être prévenue par une miséricorde si
abondante, d'avoir reçu un don de foi si rare,
une soumission si entière à ses lumières, que
vous avez consultées dans toutes vos délibé-
rations, et un abandonnemenlsi absolu à son
témoignage, que vous avez suivi fidèlement
partout comme votre conseil 1 Car s'il est vrai
que la multitude et la variété des objets sen-
sibles, l'éclat et la qualité des biens présents,
débauchent l'esprit et le cœur de cette sou-
mission au témoignage de la foi, si les pré-
jugés de la naissance, de la fortune, du rang,
des principes du monde, des maximes du siè-
cle, détruisent les lumières de la foi et leur
ferment l'entrée dans l'esprit des grands, qui
a dû les recevoir moins que la princesse Eli-
sabelh, fille du grand monarque André II ,
roi de Hongrie, femme de Louis, comte pala-
tin, landgrave de Thuringe, prince de Hesso
el de Saxe, élevée dans une cour magnifique
par une belle-mère qui la reçut dès l'âge do
quatre ans, cl qui ne consultait rien moins
que les lumières de la foi pour régler les sen-
timents de sa conduite! Cette jeune princesse
se trouva en naissant environnée de tout ce
qui peut flatter l'orgueil, étouffer l'esprit du
christianisme, -aveugler l'âme et corrompre
un cœur chrétien.
Ce n'est guère aux lumières de la foi qu'on
a recours pour régler les sentiments de son
cœur, quand on est élevé dans ces places
éminentes. On a pour l'ordinaire des vues
hien différentes de celles qu'elle inspire. Le
règne de Nabuchodonosor devient illustre, et
son cœur s'élève dans cette gloire, dit l'Ecri-
ture. Les avantages du siècle, les grandeurs
du monde, sont comme des feux au milieu
desquels vivent ceux qui les possèdent. Ils
jettent aux yeux de ceux qui les regardent
un éclat qui leur inspire ou de la crainte, ou
du respect, ou de l'envie, selon les passions
qui régnent dans leur cœur.
Ils excitent une ardeur insatiable dans
ceux qui les possèdent ; mais ils y élèvent en
même temps une fumée qui leur cache la vue
du ciel el des lumières qui en sortent. Celles
qu'il plut à Dieu de répandre dans l'âme do
notre princesse furent assez fortes pour dis-
siper toute cette obscurité, el comme il sem-
ble quelquefois que la terre va tomber dans
859
ORATEURS SACRES. DOM JEROME.
S M)
une nuit obscure ot être enicvelie dam d i
paisses ténèbres par des nuages qui couvrent
I,. toleil» mais comme on voil aussi tout d un
coup les nuées se dissiper, le soleil rej araî-
Ire et la terri- éclairée de tous côtés par les
lumières qu'il répand, amsi fit-on celle [eune
princesse, livrée à l'âge de quatre ans à une
belle-mère qui ne se conduisait que par l'es-
prit du monde , plongée dans les ténèbres
d'une éducation toute humaine , environnée
des maximes de l'ambition , de la vanité, de
la fausse gloire, qui vont le- lumières, les
règles et les principes de la cour ; ainsi, dis-
je"la vit-on divinement pénétrée d'un rayon
du ciel qui dissipa tous ses nuages, et qui
lui donna la foi pour son conseil dans toutes
ses délibérations.
Ce fui donc par ses lumières qu'elle se con-
duisit dès ses plus tendres années; clic ne
consulta qu'elle quand elle eut besoin de
prendre son parti, et de délibérer sur quel-
que chose. Je ne vous produirai qu'un exem-
ple des vues que la foi lui donna dans sa
grande jeunesse. Son historien rapporte que
Sophie, mère du landgrave qui devait être
l'époux de notre jeune princesse , la faisait
élever avec Agnès, sœur du prince. Elles
étaient toutes deux vêtues de la même ma-
nière, portant toutes deux des couronnes en-
richies de pierreries, selon la coutume du
pays; mais, dès qu'on entrait dans l'église ,
Elisabeth était la couronne de dessus sa tête
et ne la remettait que quand il en fallait sor-
tir. La princesse Sophie lui demanda la rai-
son qui l'obligeait d'en user ainsi , et pour-
quoi elle ne laissait pas sa couronne sur sa
tête comme sa sœur : Dieu me garde, lui dit
cet enfant, de commettre une si grande irré-
vérence que serait celle de porter sur ma tète
une couronne toute brillante de pierreries
dans le même lieu où je vois la tête de Jésus-
Christ, mon Sauveur, si cruellement couron-
née d'épines!
On peut juger par les premières vues de
cet enfant quelles ont été celles qui ont réglé
toute sa vie ; elle les a toujours prises de la
foi : c'est d'elle qu'elle a appris l'eslime quelle
devait avoir des grandeurs du siècle qui l'en-
vironnaient, et qui lui a fait dire, comme
ce/te illustre reine de l'Ancien Testament,
qu'elle avait en abomination tous les riches
ornements qu'elle portait; c'est elle qui lui a
appris l'usage qu'elle devait faire de son rang
et de sa grandeur, qui la liaient à une infi-
nité de personnes auxquelles elle était rede-
vable de mille devoirs de charité et de jus-
tice : car la grandeur n'est qu'un pur min s-
lère qu'il faut exercer par l'ordre de Dieu;
mais il n'y a que la foi uni instruise les grands
de ce devoir, et que la charité qui le leur
lisse remplir. Ce lu la foi qui lui fit regar-
der celle vie comme un passage qui conduit
à l'éternité, où il faut marcher avec beaucoup
de cire, nspeciion pour ne pas se détourner
en se jetant dans les égarements que les voies
du siècle ouvrent de toutes part, au\ grands
du monde.
Ainsi la foi entra l-elle dans toutes ses dé-
libérations, comme son conseil; ainsi lui Bi-
elle voir la petitesse des grandeurs du monde
au il. il eu de leur plus brillant éclat. Mail
mon Dieu! vous seul donne/ c I \ue> élevi
et excellentes à qui il vous plaît; vous seul
répandez cette lumière vive, jointe à l'amour
de ce qu'elle montre, selon rotrebon plaisir :
car votre Apôtre m'apprend que la foi n*( si
pas donnée à tous. M.iis n'oublions pas en
même temps que cette foi se nourrit, qu'elle
croil et qu'elle se fortifie par les moj ens que
la miséiicor le nous a foun is, et qu'Elis*-
!,. t!i a pratiquées : car, sans parler de <■ ttc
prière continuelle que nous devons fai;
Dieu dans toutes nos entreprises, pour lui
demander qu'il nous conduise pai son esprit
et qu'il nous remplisse de la foi : Adaugt I
bit /idem: il faut, dit Tertullicn, recourir à
l'Ecriture, qui est le livre de la foi et on on
trouve de quoi se nourrir. Permettez-moi
d'appliquer ici ce que dit saint Paul, je ne dé-
tournerai pas les paroles de cet apôtre de
leur sens naturel, par l'application que j'en
veux faire à la conduite de sainte Elisabeth
pour nous instruire. Saint I' iu dit que la foi
vient de ce qu'on a oui, et on a oui parce (pie
la parole de Dieu a été préchét. Voilà une
source de la foi et une voie pour la fortifier :
s'aitacher à la parole de Jésus-Christ. L'A-
pôtre dit un peu auparavant : Mait comment
entendront-ils. si personne ne leur prêche? et
comment prêcheront-ils s'ils ne sont envoyés?
Voilà une seconde source de la foi, une se-
conde voie pour la fortifier : consulter les mi-
nistres de Jésus-Christ. Là-dessus je dis qua
la foi d'Elisabeth a été grande : Dieu l'a pré-
venue, il est vrai, il a versé de grandes lu-
mières dans son esprit; mais elle s'est atta-
chée aux sources de la foi, elle a fait beau-
coup de bonnes lectures, et c'est là qu'elle a
trouvé les justes idées des choses et qu'elle a
appris l'estime cl l'usage qu'elle devait faire
de ses grandeurs; c'est là qu'elle s'est ins-
truite de ses devoirs et de la manière de les
remplir; c'est là qu'elle a connu Jésus-Christ
et qu'elle a appris à le voir en tout, et c' -t
pare que nous ne recourons pas à ces sour-
ces de lumières que nous avons de si fausses
idées des choses et que nous tombons tous
les jours dans une infinité de fautes. Il ne Faut
pas douter que l'ignorance ne soit une souri e
malheureuse dont est sorti ce déplorable
dérèglement des mœurs que nous \ oyons
dans tous les états; car on aveugle qui ne
voit pas le jour ne peut que s'égarer en mar-
chant, et ceu\ qui n'ont pas les yeux ou-
verts sur la lumière de l'Ecriture et des bons
livre; marchent comme dans les ténèbres. Si
donc bOUl sommes de ces aveugles, prenons
les bous livres , où la parole de Dieu est
broyée et mise à notre portée; appliquons-
nous à y méditer et à nous entretei
le même esprit que les aveugles qui S*ap|
(liaient de Jésus-Christ : ils ne
pas en s'en approchant, mais ils s'en
chaienl pour être rendus capables de la lu-
mière; il leur suffisait d'être a ' il
é ait l'our leur faire déairer de renir à lui et
d'y être conduits. La persuasion q ' m est
aveugle est une heureuse et sainte disposi-
861
SERMON POUR LA FETE DE SAINTE ELISABETH.
8C2
tion pour être éclairé, el ce qui fait que la
plupart des hommes n'entrent pas assez dans
les vérités qui leur sont nécessaires, c'est
qu'ils ne sont pas assez persuadés de leur
ignorance.
Ce malheur est assez général, mais il est
plus commun parmi les grands du monde :
ils sont ordinairement trop occupés d'eux-
mêmes pour trouver des heures pour lire.
L'Ecriture sainte n'a rien qui leur plaise, sa
simplicité les dégoûte, ils n'en voient pas
l'utilité, ils ne connaissent pas le besoin
qu'ils ont de s'instruire, et, mesurant tout
par leur propre grandeur, ils s'imaginent
qu'il n'est pas possible d'être ignorant quand
on est puissant. Les bons livres les ennuient,
on n'est pas porté à lire ce qui parle de ce
que l'on n'aime point.
Elisabeth se déûa d'elle-même, elle pria,
elle eut recours aux saintes lectures, elle en
fit ses délices, elle trouva Jésus-Christ dans
celle étude; elle fut remplie de ses lumières
et pénétrée des vues de la foi , et cette foi se
fortifia en elle de plus en plus. Elle ajoute à
ce premier soin celui de consulter les minis-
tres de Jésus-Christ. La Providence lui en-
voya un excellent prêtre, nommé Conrard,
de la ville de Marpurg, qui était célèbre par
la pureté de sa vie et de sa doctrine. Elle mit
sa conscience entre les mains de ce saint
homme, qui, trouvant un sujet disposé si
heureusement, n'eut pas i'e peine à former
en elle l'esprit de Jésus-Christ, et à lui ap-
prendre à se régler en toutes choses par les
vues de la foi.
Un directeur éclairé, ferme, désintéressé,
est un trésor inestimable pour toutes sortes
de personnes, mais infiniment plus pour les
grands du monde; car ou ils éblouissent les
ministres de Jésus-Christ par l'éclat de leurs
grandeurs et les rendent timides, ou i!s les
embarrassent par les fausses lueurs de leurs
raisons apparentes et les rendent douteux
dans leurs décisions, ou ils les frappent par
leur autorité et les engagent par leur puis-
sance, et ils les rendent lâches et intéressés.
De là vient qu'il se trouve si peu de gens qui
disent la vérité aux grands du monde, dont
là vie se passe dans de si étranges égare-
ments sans qu'on les avertisse. Ceux qui les
approchent avec de bonnes intentions se cor-
rompent avec eux assez souvent, et les gens
de bien fuient de peur de se gâter.
Conrard n'eut rien à craindre avec cette
princesse : elle sentit le besoin qu'elle avait
d'un homme éclairé el consommé en piété et
en sagesse. Elle se tint très-heureuse de pou-
voir enlendre ses avis, el très-éloignéc de cet
orgueil ordinaire des grands, qui dédaignent
de se soumettre à la lumière des petits, et qui
regardent leur élévation comme inaccessible
aux conseils des sages.
Ce ministre, à la vérité, trouva l'esprit de
cette princesse disposé à recevoir toutes les
lumières el tout. le bien qu'il y voulut répan-
dre, et comme il vil qu'elle appelait la foi
dans toutes ses délibérations, comme so>i
conseil, il ne feignit pas de lui laisser cm
brasser toute la perfection de l'Evangile, as-
suré que la foi entrerait dans toutes ses en-
treprises comme sa force : c'est le deuxième
point.
DEUXIÈME PARTIE.
Ce n'est pas assez que la foi soit lumi-
neuse, il faut encore qu'elle soit agissante,
et en vain nous donnerait-elle des lumières
pour découvrir le vrai, si elle ne nous don-
nait pas des forces pour pratiquer le bien.
H y a cependant un nombre infini de per-
sonnes qui s'en tiennent aux simples idées
delà vertu, et qui se flattent de penser comme
des disciples de Jésus-Christ, pendant qu'ils
agissent comme des amateurs du monde, et
dans lesquels on trouve une sorte de religion
d'esprit, qui n'est autre chose qu'une vraie
illusion. Elle règne surtout parmi les grands
du monde, qui se forment une religion pour
leur élat, sans vouloir s'assujettir à régler
leur état sur la religion, en se faisant des
pratiques accommodantes à leur orgueil, à
leur délicatesse et à leurs passions, au lieu
de suivre celles qui sont prescrites par l'E-
vangile.
Cette sorte de religion dont je parle, et qui
est si commune dans le monde, réforme celle
de Jésus-Christ ; elle la retouche, elle y laisse
ce qu'elle approuve, elle en ôte ce qui lui dé-
plaît, elle se forme une idée des vertus qui
n'incommodent point les passions, qui ne de-
mandent à l'esprit qu'une simple estime pour
ce qu'elles ont de beau et d'éclatant, sans en-
gager ni le cœur ni les sens dans des prati-
ques qui les peuvent blesser: ainsi on fait
cas de la pénitence, mais on ne s'engage à
rien de ce qui fait souffrir, on estime la pau-
vreté , mais on ne se dépouille pas de la
moindre chose; on fait de grands éloges de
l'humilité, mais on veut toujours tenir le
premier rang. Ceci, mes frères, est une dan-
gereuse illusion et fort commune dans tous
les étals : car il y a même une espèce de dé-
votion aisée, tournée sur ce pied-là; cepen-
dant rien n'est plus éloigné des vraies idées
de la religion, puisque le salut n'est que l'u-
nion de la foi et des œuvres. La foi est la
racine de la piélé, et les œuvres en sont les
fruits. Toute racine qui ne produit rien est
morte; toutes vos idées de foi sont donc vai-
ncs, si je ne vois point d'œuvres ; c'est à elles
à répondre de la foi, comme aux fruits à
rendre sensible la vie de la racine. Où il n'y
a point d'œuvres il n'y a point de foi , et où
il n'y a point de foi il ne peut y avoir do
salut.
Toutes les grandes pratiques de la religion
sont communes à tous les états : l'humilité,
la pauvreté, la patience, l'obligation de por-
ter sa croix comme un disciple de Jésus-
Christ, ce qui renferme tout ce que la disci-
pline de l'Evangile a de rigoureux, a été im-
posé à tous les chrétiens par le Sauveur du
monde, que nous regardons tous également
comme notre maître. Il n'y a que la faiblesse
et la langueur de la foi qui fasse douter de
cette vérilé, si absolument nécessaire pour
le salut, et qui a fait inventer toutes les dan-
gereuses subtilités, pour se décharger des
8o:»
OllATKl'RS SACHES. DOM JLHOME.
i
pratitiucs qui incommodent lei passion:-. et
qui répriment l'orgueil. Mes frères, on serait
beaucoup plus saint si on avait un peu moins
d'esprit. Ce n'est pas qu'il ne Taille garder
des mesures, la religion ne dérange rien :
saint Augustin appelle la vertu l'amour do
l'ordre : Amor ordinis; elle donne aux bien-
séances de l'état loul ce qui convient à la
justice et à la raison réglée par la foi.
Elle apprend donc à faire une sage dis-
tinction entre la personne et l'état , et elle
accorde à l'état, par bienséance et pour main-
tenir l'ordre de Dieu dans les choses exté-
rieures, ce qu'elle refuse à la personne, pour
la conserver dans l'esprit de la religion et
dans la pratique des vérins. Ainsi elle per-
met à un prince d'être magnifique pour sa-
tisfaire aux bienséances de son éiai, de se
servir des choses qui sont propres à impri-
mer du respect à ceux qui ne se laissent tou-
cher que par ce qui frappe les sens, pendant
qu'elle lui ordonne d'être humble devant
Dieu et modéré dans ce qui regarde sa per-
sonne en particulier.
Ce sont les lumières de la foi qui servent à
faire cette distinction, et c'est la force de la
foi qui la fait soutenir : car, après avoir com-
pris par ces lumières qu'il y a une distinction
entre la personne et l'état, qu'on est chré-
tien quoiqu'on soit prince, qu'on est disciple
de Jésus-Christ quoique maître d'un grand
royaume, qu'on est pécheur quoiqu'on soit
monarque, et qu'on cesse en quelque sorte
d'êlre prince et monarque lorsque, après
avoir satisfait aux devoirs éclatants de ces
éminentes conditions, on se trouve seul de-
vant Dieu, aux yeux de qui on est homme,
chrétien, pécheur ; après avoir, dis-je, distin-
gué ces deux états par les lumières de la foi,
on les confond bientôt, si la force de la ioi
qui nous a fait faire celle distinction ne nous
secoure pour la soutenir.
On laisse jouir le pécheur des droits de sa
naissance, et le chrétien se croil permis pour
toujours ce qui n'est accordé au monarque
qu'aux jours de la magnificence , si la force
de la foi ne lui montre la vérité de cette dis-
tinction, et certainement il faut que celle foi
soil grande et même héroïque, pour combat-
tre contre tant d'ennemis qui s'opposent à
une conduite modeste et chrétienne, pour ré-
sister aux flatteurs qui en conseillent une
tout opposée, pour fermer les yeux à l'exem-
ple qui l'inspire, pour ne pas écouter les
maximes du monde qui l'autorisent, et pour
s'élever contre la présomption qui semble
avoir anéanti celle distinction. Encore une
fois, il faut une force héroïque pour demeu-
rer dans un étal qui nous expose tous les
jours à de nouveaux combats, et où à tous
les moments de la vie il faut vaincre ou
périr.
C'est la condition des grands : on ne leur
Ole pas leurs richesses, mais on exige d'eux
l'amour et l'esprit de la pauvreté; on les
laisse dans leurs grandeurs, mais on leur
recommande d'être humbles; on ne leui é-
fend pas 1,'usage des commodités de la vie,
mais oo les oblige d'être mortifiés dans leurs
plaisirs et tempérants d ins la bonne chère.
Ce sont là les règles du christianisme, il n'y
a rien à rabattre : ou cette conduite, ou l'ex-
clusion du salut. Le temps est court : (Jue
ceux, dit l'Apôtre, qui usent de ce monde,
soient comme s'ils n'en tuaient j/oinl. Celte
parole est bientôt prononcée, divin A oire;
mais <iue la pratique de ce qu'elle nous re-
commande est dillicile! Il n'y a que la seule
force de la foi qui nous y puisse soutenir :
au-si, mes frères, c'a été par la foi qu'Elisa-
beth en a rempli toute l'étendue d'une ma-
nière admirable.
(Test cette foi qu'elle a fait entrer dans
toutes ses entreprises, qui lui a fait embras-
ser toute la perfection de l'Evangile, malgré
tous les obstacles que sa condition y opposait.
Mais qu'est-ce que celle perfection èvaagé-
liquc? Elle consiste à n'avoir que Dieu en
vue dans tous ses mouvements, à s'oublier
soi-même dans toutes les occasions, et à se
ressouvenir partout de son prochain. C'est,
mes frères, cette perfection que cette illustre
princesse a embrassée dan s toute son étendue:
car elle a fait peu pour elle-même, elle a
beaucoup fait pour les autres, elle a tout
rapporté a Dieu. Que ne puis-je vous la faire
voir soutenue par les forces de la foi dans
toutes les privations qu'elle a soutenues,
dans tous les empressements qu'elle a eus
pour le prochain, dans tous les sacrifices que
la force de la foi lui a fait offrir au Seigneur!
Elle a fait peu pour elle-même, c'esi-à-
dire qu'elle a su s'oublier dans toutes les
occasions, ne s'accorder rien, quoiqu'elle
pût facilement se donner tout, se prescrire
un nécessaire très-resserré, dans une condi-
tion où l'on ne connaît plus de superflu, et
où la conduite la plus exacte a bien de la
peine à mettre des bornes : lisez la vie de
cette grande sainte, et vous verrez qu'on ne
peut pas porter plus loin la mortification,
la modestie, la simplicité, la pauvreté, le
dépouillement.
Princesse en public, pénitente en secret ;
magnifique quand il faut paraître, pauvre,
dépouillée, dès que ces moments sont passés;
sur le trône pour soutenir sa dignité, dans
la poussière pour gagner le ciel : c'est là ce
que j'appelle s'oublier soi-même. Elle a fait
beaucoup pour les autres; car j'appelle faire
beaucoup pour les autres de se donner aux
autres sans réserve, quand il semble que les
autres ne soient faits que pour nous, n'avoir
un cœur que pour les aimer, n'avoir des
mains que pour les servir, n'avoir des biens
que pour les soulager. Elle a su rapporter
tout à Dieu, c'est-à-dire n'avoir que lui en
vue dans tous ses mouvements, s'oublier
soi-même pour tout parce qu'on a toujours
l'idée de sa grandeur présente, faire beau-
coup pour les autres, parce qu'on le regarde
uniquement dans leurs personnes ; enfin ne
s'attacher a son époux que pour l'attacher
lui-même a Dieu.
Cette sainte femme rend a l'homme selon
l'esprit ce qu'elle en a»ail reçu selon la
chair dans sa première formation. Dieu prit
une côle de I homme pour en fane la Icntme :
8C5
SERMON POUR LA FETE DE SAINTE ELISABETH.
8J6
cette cote est lo symbole de la Force; elle la
lui rend selon l'esprit, en l'attachant a Dieu,
qui est noire unique force, et en lui appre-
nant à être uniquement à lui. Elle rapporte
tou t à Dieu en ne souhai tan tu'a voir des enfants
que pour voir augmenter le nombre de ses
adorateurs, en n'entrant dans les affaires
du prochain que pour faire entrer Dieu
dans son cœur, en ne répandant ses biens sur
les misérables que pour leur faire sentir,
reconnaître, adorer sa providence, en ne
s'appliquant à panser les plaies de leurs corps
que dans l'espérance de guérir les maladies
de leurs âmes.
N'admirez-vous pas, mes frères, le mer-
veilleux triomphe de la loi , qui élève tous
les jours le cœur de cette princesse au-dessus
de toutes les difficultés que ceux de son rang
trouvent à marcher dans les voies de la per-
fection chrétienne, et qui ne fait aucune dé-
marche que pour faire triompher une vertu
chrétienne, de quelque vice qui s'élève pour
la combattre ?
Avouons ici de bonne foi qu'il faut que
nous cédions à la vertu de ceux qui savent
faire un si saint usage de leur grandeur.
Confessons qu'il faut plus de force pour être
toujours pauvre en possédant de grands
biens, que pour les abandonner une fois. Re-
connaissons qu'il faut plus de foi pour garder
son cœur libre au milieu des richesses, que
pour sacriGer les richesses, afin de conserver
son cœur. C'est ce que nous devons admirer
dans la conduite de cette incomparable prin-
cesse. Ce n'est pourtant pas toutcequelafoi a
fait en elle : elle l'a soutenue dans ses souf-
frances, comme sa consolation; c'est un des
plus beaux endroits de sa vie et une des plus
glorieuses circonstances du triomphe de sa
loi, que je ne pourrai marquer qu'en passant:
c'est le troisième point.
TROISIÈME PARTIE.
L'affliction est en un sens la consommation
de la foi ; c'est le couronnement des grandes
actions qu'elle nous fait faire, et il manque-
rait quelque chose à sa perfection, si, après
avoir été le conseil du juste dans ses délibé-
rations et sa force dans ses entreprises, elle
n'était pas encore sa consolation dans ses
souffrances.
Il faut prendre ainsi ces paroles de saint
Paul aux chrétiens de la ville de Philippe :
C'est, leur disait-il, une excellente grâce que
Dieu vous a faite, non-seulement de ce </uc
vous croyez en Jésus-Christ, mais encore de ce
que vous souffrez pour lui. En effet, tout le
christianisme est renfermé dans ces deux
grâces, croire en Jésus-Christ et souffrir pour
lui. La miséricorde de Dieu sur nous est
commencée en nous par la grâce qui nous
fait croire, et ellccslconsommée par la grâce
qui nous fait souffrir : car le christianisme
noua propose Jésus-Christ sous deux qua-
lités qui nous attachent à lui par des devoirs
qui se rapportent à ces qualités, et dans l'ac-
complissement desquels se rencontre .la per-
fection du chrétien : il nous le représente
comme notre maître, cl la grâce de la foi
nous rend ses disciples ; il nous le représente
comme la victime du sacrifice de notre ré-
conciliation et le consommateur de la foi, et
la grâce de la souffrance nous engage à être
ses imitateurs; par l'une nous apprenons sa
doctrine, et par l'autre nous la pratiquons;
dasis l'une je reçois de lui, il m'éclaire, il
m'instruit, il me dirige; dans l'autre, quoi-
que je reçoive de lui, il reçoit de moi, je lui
offre ce que j'endure, et par mes souffrances
il devient mon redevable, pour ainsi dire, en
quelque chose : et comme on va de l'un à
l'autre dans l'ordre de la grâce, celui qui a eu
plus de foi dans sa conduite a plus de force
dans ses souffrances. Or, ces principes posés,
quelle idée devons-nous nous former des
souffrances d'Elisabeth et de sa force dans ses
souffrances? Jusqu'où Dieu a-t-il dû la pous-
ser par les épreuves, et jusqu'à quel point
P a-t-il consolée en l'éprouvant? Je sens bien
que je ne peindrai jamais ce qui me reste à
vous dire avec des couleurs assez vives pour
vous en donner une juste idée; mais imagi-
nez-vous tout ce qu'il y a de plus propre à
affliger une fidèle épouse, une souveraine
légitime et une tendre mère. Vous compre-
nez sans doute que je veux vous parler de
la mort précipitée d'un époux tendrement
aimé, de la félonie de sujets lâches et in-
grats, qu'on avait accablés de biens, et des
malheurs dont ses enfants se trouvent atta-
qués. Toutes ces disgrâces tombent sur elle
tout à la lois, et elle est frappée de ces coups
si terribles dans le même temps.
Elle apprend par la bouche de sa belle-
mère la mort du landgrave son mari. Le frèro
de ce prince, à la tête d'une cabale, s'empare
du gouvernement de l'Etat, et chasse de son
propre palais celte jeune veuve affligée; la
rage de ses ennemis s'étend sur ses chers
enfants, et Dieu, qui ne voulait pas que rien
manquât aux épreuves de celte illustre veu-
ve, permit que, par un nouveau genre d'in-
bumanilé, on rendît ces princes innocents
participants de l'infortune de leur mère, pour
augmenter le poids de sa douleur.
Je ne sais pas, mes frères, s'il s'est jamais
vu un plus triste spectacle. Celle que tout
le monde honorait se vil abandonnée de tout
le monde, et il n'y eut pour celte princesse
qu'un instant entre l'amour de ses sujets,
uni au respect le plus profond, et l'oubli. On
vit la fille d'un grand roi , la veuve d'un
prince puissant, tomber en un moment du
comble de toutes les grandeurs dans une af-
freuse nécessité de toutes choses; on la vit
sans époux, sans Etats, chargée de trois en-
fants, qu'elle porte sur son cou en cherchant
de quoi vivre, demandant pour aumône un
coin dans une misérable hôtellerie pour se
mettre à couvert. Ses enfants, qui auraient
dû êlre sa consolation dans la perle de son
illustre époux, ne paraissent à ses jeux que
pour la tourmenter, et ne sont collés sur
son sein que pour rendre sa douleur plus
cruelle.
Il ne nous appartient pas de nous plaindre
dans nos peines, mes chers frères,* et c'est
bien à tort que nous écoulerions les témoigna-
XU7
ORATEURS SACRES. bOM JEROME.
m
ges (le compassion qu'on veut nous donner
quclquefoii inr l'exercice de noire pénitence
ci sur les souffrances de notre ne monasti-
que. La moindre circoml ince de ce qu'a
souffert celte illustre princesse paise Infini-
ment lotit ce que noos pouvons endurer, et
uno heure de la vie d'Elisabeth dam celle
misérable hôtellerie, où elle se retire avec
si i enfants, esl un plus beau spectacle aux
yeux de Dieu que celui d'une vie de plusieurs
années dans la pénitence ordinaire que nous
pratiquons.
Que ne puis-jevous représenter les senti-
ments de cette princesse dans cet état , pour
les exposer aux yeux de l'Eglise ! Que n'esl-il
en mon pouvoir de retracer le> dispositions de
son cœur, les consolations que la foi versa
dans son esprit, les onctions qu'elle répandit
dans son âme, pour confondre ceux qui ne
veulent rien endurer, pour soutenir ceux
qui souffrent, et pour cou vaincre les chrétiens
que les maux les plus vils sont affaiblis par
les onctions de la loi 1
Cette tempête fut apaisée, ses ennemis se
réconcilièrent avec elle, on lui rendit la jus-
lice qui lui était due, et ceux qui avaient été
effrayés par ce coup de foudre qui l'avait
frappée, étant sortis d'une espèce de stupidité
et de léthargie où les disgrâces qui nous ar-
rivent mettent ordinairement ceux qui ne
sonl que de faibles amis, revinrent à elle
pour lui faire des offres et pour lui témoigner,
quand il n'était plus temps, le dévouement
qu'ils avaient pour sa personne et la part
qu'ils prenaient dans ses intérêts.
Mais cette sage princesse, qui s'était tou-
jours conduite par les lumières de la foi,
qu'elle avait appelée dans toutes ses délibé-
rations comme son conseil, n'avait garde de
prendre d'autres lumières que les siennes
dans cette occasion. Elle mettait le monde à
sa juste; valeur, et elle le connaissait trop
pour s'y livrer une seconde lois. Comme un
autre MoTse, elle aima mieux être affligée
ave< le peuple de Dieu que de jouir du plai-
sir si orl ni se trouve avec les pécheurs.
Comme fille et disciple de Jésus-Cbmt, péné-
trée d'une foi vive et soutenue par l'exemple
de Jésos-Cbr st, elle voulut comme lui con-
sommer sa fol dans les souffrances Elle
demeura donc séparée des créatures,
unie à Dieu, caillée aux yeux du monde, et
simplement connue de celui qui veut être
servi dans le secret. Bile passa le reste de sa
vie, qui ne fui que de quatre années
la perte de sou illustre époux, d .ris la prière,
dans les larmes, dans les œuvres de la misé-
ricorde, et elle la finit dans le baiser du -
gneur. O mulierl à femme 1 que votre foi esl
grande 1 Nous avons admiré !a foi de celte
lemrue : craignons, mes frères, qu'elle ne
nous confonde, et c'est ce qui arrivera i fail-
liblement si nous prenons dans uos délibéra-
lions d'autres conseils que ceux qu'elle a
pris, si nous nous appuyons sur d'autres
forces dans nos entreprises, et si nous ait ri-
dons d'un autre côté des consolations il. us
nos afflictions. Adressons-nous donc à Jésus-
Christ, pour lui faire cette prière que les
apôtres lui firent : Seigneur, augmentes en
nous la foi; nous en avons reçu les luni
donnez-nous la force, qui nous fasse agir
comme des gens éclaires par la foi. Faites
que nous en soyons les disciples en suivant
ces lumières, les coopérateurs en agissant
par la force, et les consommateurs eu souf-
frant a vecl'onclion et la douceur qu'elle ins-
pire dans les plus violentes épreuves, afin
qu'ayant vécu de la foi qui esl la vie du juste,
nous recevions les rccjmpenses éternelles.
Ainsi soit-il.
discours
POUR UNE RETRAITE DE HUIT JOURS
PRIÈRE AVANT LA RETRAITE.
C'est à vous, 6 mon Dieu! que je m'adresse
pour vous dire, comme voire prophète: Failes-
moi marcher dans le sentier de vos préceptes,
car c'est tout ce que je désire. Mais, quoique
je le désire de tout mon cœur , je reconnus
cependant que cette volonté ne suffit pas, et
que j'ai besoin que vous soyez vous-même mon
conducteur : car qu'est-ce que cette volonté f
combien de fois ai-je été trompé ! que de re-
traites tan» fruits ! que de résolutions sans
exécution ! que de projets sans suite ! Il faut
donc, Sciqneur, que voua soyez mon conduc-
teur ; il faut que ce soit vous qui me meniez
dans la solitude pour que j'in puisse reem i "
les fruits; sans vous tous mes efforts i
muftis*, et je sortirai d< la relr ite, OÙ j'en-
tre aujourd'hui, plus criminelle que je n'étais
en y entrant. Je me défie, Saune ur, de cette
volonté qui vient de moi ; je vous demande
celle que cous formez vous même, puisque vo-
tre Apôtre m'apprend que. tout dépend non de
celui qui 9SUt, ni de ce ui qui court, m lis de
Dieu, qui fait miséricorde. Ma volonté
(/u'inconstanec et légèreté; 90» forces lium mes
ne sont qu'impuissance et uc faiblesse; ci. fin
le fonds d'uiir créature tille que je suis, n'est
i/ue misère, corruption et indi'/nité. C e.-t i
vous, Seigneur, que je m'adresse, et puisque
vous promettez de conduire duns la têii >< ie
tes âmes que vous aine: al tirer- douceoicnt <)
vous, et de parler à leur coeur, j'ose /
Seigneur, que je suis de et nombre, npri <s |
les miséricordes que j "ai reçues de votre bon-
té,et j'espère la grâce de réussit éssns cite
i c : je vous la demande de tout mon
cœur, (i mon Dieu ! avec un d - ,( de
l'obtenir par les mérites de Jésus-Cknst, en
869
PREMIER DISCOURS POUR UlNE RETRAITE
Ainsi
870
qui seul je mets toute ma confiance
soit-il.
PREMIER DISCOURS.
Âd dandam scientiam salutis plcbi ejus, in remissionem
peccatorum eorum, per viscera misericordiœ Dei nnsiri.
Pour donner à sou peuple la connaissance du &alul , afin
qu'il obtienne la rémission de ses péchés par les entrailles
de la miséricorde de noire Dieu (Luc, I, 77, 78).
Ce fut, mes chères sœurs, le motif de la
mission de Jean-Baptiste : il fut envoyé pour
donner aux Juifs la connaissance du salut,
afin qu'ils obtinssent la rémission de leurs
péchés.
C'est la fin que nous devons nous proposer
dans l'entreprise dont nous faisons aujour-
d'hui l'ouverture; et il faut, mes chères sœurs,
quenous examinionsensemble tout cequiap-
parlient à la science si importante de notre
salut, pour nous mettre en état d'obtenir la
rémission de nos péchés.
Commençons donc aujourd'hui par nous
convaincre que la retraite est un exercice né-
cessaire pour arriver à cette fin si impor-
tante ; vous en jugerez ainsi si vous faites at-
tention, 1° que nous ne sommes sur la terre
que pour faire notre salut ; 2° que nous avons
reçu de puissants secours pour y travailler;
3° que nous formons tous les jours de nou-
veaux obstacles à l'accomplissement de cet
ouvrage; k" qu'il n'est rien de plus impor-
tant que de voir à quoi nous en sommes, de
peur d'être surpris; 5° que c'est dans la re-
traite qu'on peut faire cet examen plus utile-
ment.
En effet, nous ne sommes sur la terre que
pour travailler à l'ouvrage de noire salut, et
c'est premièrement pour y travailler que le
temps de celle vie nous est donné : car voici
en deux mots l'abrégé de l'histoire du mal-
heur do l'homme et de la miséricorde de Dieu
sur lui.
Créé dans la justice et formé pour Dieu, il
le possédait et il jouissait d'une vie inno-
cente et agréable, qui le devail conduire à
une félicité consommée, si en péchant il ne se
fût pas détaché de Dieu; mais, la mort étant
entrée dans le monde par le péché, il perdit
tous les avantages de ce premier élat : il fut
livré entièrement à la mort, voilà son mal-
heur; mais voici l'effet de la miséricorde de
Dieu sur lui. Jésus-Christ, le Sauveur du
monde, l'a racheté, Jésus-Christ s'est mis
entre l'homme et le bras de sou Père pour
Obtenir ce délai, qu'on appelle le temps pré-
sent, ou la vie, durant laquelle l'homme
peut profiler du fruit de la morl du Média-
teur : de sorle que le temps présent, ou la
v .c, n'est, à proprement parler, qu'un as-
semblage de moments incertains pour leur
durée, formés par la miséricorde de Dieu,
durant lesquels il suspend l'exécution de
l'Arrêt de morl rendu contre tous les hommes
en la personne du premier, afin de nous don-
ner le temps de nous racheter de la mort du
pérhé et d'acheter la vie éternelle par la
pratique des bonnes œuvres.
La vie ne non- est donnée que pour celle
œuvre, c'est là la seule chose nécessaire : il
faut donc vivre sur la lerre en passant, il faut
y vivre pour Dieu, afin de vivre éternellement
dans le ciel avec Dieu.
Toutes les paraboles de l'Evangile tendent
à nous prouver celle importante vérité; mais,
sans entreprendre de les parcourir, celle du
IV1 chapitre de saint Luc, où un homme de
grande naissance donne à ses serviteurs des
marcs d'argent avant que de partir et d'aller
dans un pays fort éloigné, en leur recom-
mandant de les faire profiler jusqu'à son re-
tour, n'est-elle pas une fi ièle expression de
tout ce que je viens de vous dire ?
Cet homme d'une grande naissance n'est-il
pas Jésus-Christ qui nous a acquis par sa mort
le temps de travailler ? Les talents, ne sont-
ce pas ces moments incertains qui se pèsent?
La vie, celle durée incertaine, n'est-elle pas
marquée par son éloigueuienl et par son re-
tour, qui est entre ses mains, et qui peut finir
quand il lui plaira ? Cel ordre de les faire
profiler, n'est-ce pas l'usage qu'il veut que
nous fassions de la vie pour acheter le
salut?
C'est donc précisément pour cela que nous
sommes sur la terre. Mon Dieu, quel ef-
froyable aveuglement dans ceux qui ne font
aucune réflexion sur cette importante vérité,
qui ont reçu la vie et qui vivent sans faire
réflexion pourquoi ils l'ont reçue, qui la
passent dans de vains amusements, qui ne
songent qu'à s'établir dans un pays où ils ne
seront plus demain ! Malheur à ceux qui at-
tendent à l'extrémité de leur vie à travailler
à un ouvrage pour lequel toute la vie leur a
été donnée ! Le salut est un trésor vraiment
caché pour eux ; mais il faut le chercher, peu
de personnes le trouvent : il faut cepeudant
tout donner pour l'obtenir. Qu'il est honteux
de ne pas faire pour le salut ce qu'un négo-
ciant fait pour des richesses périssables 1 Voilà
donc une première vérilé certaine : nous ne
sommes sur la terre que pour travailler à
notre salut; mais si l'entreprise est considé-
rable, nous avons reçu de puissants secours:
car il nous a mis dans un élat qui éloigne de
nous loules les grandes occasions de l'offen-
ser et d'oublier l'affaire du salut ; il vous a
arrachées de la puissance des ténèbres, il
vous a tirées du monde, où lout est corrom-
pu ; ii vous a mises dans un royaume de lu-
mière cl à portée de tous les biens. En efiel,
n'èles-vous pas ici, dans ce- pâturages abon-
dants, pour augmenter en vous les forces de
l'homme nouveau ? Tout est san tiliant dans
ce royaume de lumière où il vous a placées :
règles, exercices, lois, exemples, entretiens,
peines, épreuves, maladies, santé ; loul mène
à Dieu, ou du moins loul y peut et tout y
doit mener. Car tout ce qui vous entoure
entre dans l'ordre du salut : les lumières ne
manquent pas; les instructions, les lectures,
les exhortations, la facilité d'approcher de
Dieu par la pratique si fréquente d,: la prière,
l'usage ordinaire de ce qu'il y a de plus lâint
dans l'Eglise, tout est commun enlre .lesus-
Clmsl l vous; et il me semble que Jésus-
Christ peut duc à une religieuse ce que le
père de l'cufaul prodigue disait à son fils
;\1\
ORATEURS SACRES. I«>U JEROME.
aine : Mon fils, rous êtU toujours avec moi,
et tout ce que fat eut à vous.
C'est donc ici celle vigne dont parle IsaYe,
qni est plantée sur un lieu élevé. La perfec-
tion chréiicimo est coite moûtagne gratte et
fertile par tous les dons que Dieu y répand,
Réparée du inonde, environnée d'une haie
qui la met à couvert des approches des hom-
me! et de la contagion du tiède. !1 a bâti une
tour au milieu d'elle, d'où les mini-Ires de
.!< Mis-Christ, qui conduisent celles qui y ha-
bitent, découvrent les mouvements des en-
nemis qui voudraient entreprendre de les in-
sulter.
Un pressoir est dressé au milieu, c'est cet
aulel sacré d'où découle le sangadorabl de
l'Agneau, source inépuisable de notre vertu
et de nos forces. Qu'est-ce que Dieu a dû faire
de plus à sa vigne que ce qu'il lui a fait? Il
est donc clair que nous avons reçu de pui-
sants secours pour travailler à notre salut,
mais il ne l'est pas moins que nous formons
tous les jours de. nouveaux obstacles à l'a-
vancement de cet ouvrage.
Jugez-vous, mes sœurs, rentrez en vous-
mêmes. Avez-vous proGté de tous les avan-
tages que vous avez? Ces dons et ces talents
ont-ils augmenté entre vos mains ; ou plutôt
n'ètes-vous pas coupables de mille négli-
gences dans l'ouvrage de votre salut et de
votre perfection? Etes-vous plus proches de
Dieu, pour être plus éloignées du monde par
votre profession? L'exercice de la prière
vous unit-il plus intimement à lui? L'usage
des sacrements vous donne-t-il plus de force
pour combattre vos passions et pour avan-
cer dans les voies de la justice ?
Jugez-vous, mes très-chères sœurs: que
de négligence dans la prière ! que de légère
té dans les discours! que d'indiscrétion dans
les paroles 1 que d'immorlification dans la
conduite! que d'impatience dans les contra-
dictions 1 que d'orgueil et de murmures dans
les corrections 1 que d'infidélité dans les ob-
servances ! que de résistance aux inspira-
tions de Dieu! que d'abus des grâces et des
lutnières! Combien avons-nous arrêté le
cours des miséricordes de Dieu sur nous
dans l'usage d%s sacrements, par le défaut de
préparation! Di»vi veuille même que nous ne
les ayons pas profanés par une attache se-
crète à nos défauts et à nos passions I
Prenons donc garde de n'être pas du
nombre de ceux qui disent: Je suis riche, je
suis comblé de biens, je n'ai besoin de rien;
et vous ne savez pas que vous êtes miséra-
ble et malheureux, pauvre aveugle!
Ne vous flattez donc pas d'une vaine espé-
rance sur la sainteté de votre profession ;
mais examinez soigneusement si vous en
avez conservé la grâce et rempli les enga-
gements. Car nous devons nous dire chacun
en particulier; Nous sommes environnés de
faiblesse de tous côtés; nous avons la répu-
tation d'être vivants, cl peut-être sommes-
nous morts devant Dieu. Cependant il n'y a
rien de plus important que de savoir à quoi
nous en sommes, de peur d'être surpris. Car
qu'y a-t-il de certain? n'avez-vous pas des
expériences sensibles que c'est une grande
erreur de compter tur !■' jeunette el •■ur une
rfgooreute tante? Il raul te dire loo les
jours ce qu'lsaïedit au roi Rxéekiei: Donnes
ordre aux affaires de votre maison, car »
n'i n réchapperez pus.
Tout homme est condamné à mourir, rien
n'est si incertain que le moment d'une mort
certaine cl inévitable ; rien de si dangereux
que d'être surpris dans une affaire qui dé-
pend d'un moment et qui est irréparal
rien de plus important qu<' de savoir au ju^le
à quoi 00 eu est: niais comment le conii.ii
tre? en examinant sa vie par rapport à ses
devoirs, sa conduite sur ses obligations, sa
fidélité sur les grâces reçues, sou pro_
dans la perfection sur ses lumières et sur les
secours qui ont élé donnés, la pureté de son
cœur par se- attaches, la solidité de ses ver-
tus par sa charité, enfin son état devant Dieu
par son amour.
Ah! qu'il est important de s'examiner soi-
gneusement sur tous ces articles, de peur
que nous ne tombions dans d'élranges mé-
comptes, et que ce que nous regardon-
comme de l'or, selon ce que dit saint Ber-
nard, ne «oit véritablement de l'écume de-
vant Dieu!
.Mais où cette recherche et cet examen peu-
vent-ils se faire plus tûrement que dans la
retraite où vous allez entrer? Ecoutez ce que
dit le Seigneur lui-même par son prophète:
Je le mènerai dans ta solitude, et je lui par-
lerai au cœur: c'est donc là qu'il parle. Aussi
voyons-nous que, lorsqu'il veut découvrir à
ses disciples les grands mystères renfermes
dans sa transfiguration, il les mène seuls
avec lui sur une haute montagne. Il faut
donc s'éloigner du monde, s'élever de la
terre, et suivre Jésus-Christ sur la montagne
pour recevoir ses lumières. // ne criera paint,
et personne n'entendra sa voix dans les rues,
dit un prophète. Terrible préjugé contre les
gens du monde, qui sont toujours dans l'a-
gitation, dans le mouvement des passions,
le l'intérêt, des affaires, des plaisirs, des
conversations inutiles, d'un flux et reflux de
visites, et dans un commerce perpétuel d'a-
musements où Dieu ne se fait point entendre!
11 ne répand point ses lumières dans une
âme agitée par ses passions : Nom in comme-
tione Dominas : un vase plein et rempli d'une
eau agitée et bourbeuse ne présente que con-
fusion; si elle reçoit quelque rayon de lu-
mière, il est dissipé presque aussitôt.
Ne sentons-nous pas que les yeux qui
sont dans un mouvenicnl continuel et qui se
tournent de tous côtes en même temps ne
sauraient voir exactement les objets qui se
présentent à eux? Il faut que la vue se Bxe
et s'arrête, si nous voulons regarder attenti-
vement et considérer parfaitement un objet :
ainsi, lorsque noire ;imc est distraite el par-
tagée par une multitude de soins, elle n'est
point capable de considérer la rérité avec
l'exactitude et l'attention qu'elle demande.
Les soins même les p. us innocents el les
plus légitimes en eux-mêmes sont, dit saint
Basile flans sa lettre à saint Grégoire deNa-
Wl
DEUXIEME DISCOURS TOUR UNE RETRAITE.
87*
zianze, comme une tempête qui remplit
l'air de nuages et d'obscurité; et comme,
ajoute-t-il, on dompte aisément les bêtes fa-
rouches en les caressant, ainsi les passions
et les maladies de l'âme, étant comme as-
soupies par le repos et dans le silence, n'é-
tant point irritées par de continuelles occa-
sions, deviennent plus faciles à dompter par
les mesures que l'on prend et parles secours
qu'on reçoit dans une retraite. Un vaisseau,
dit saint Chrysostome, qui est battu sans
relâche par les flots de la mer, se ruine in-
sensiblement. Il faut donc qu'une âme reli-
gieuse et chrétienne cherche dans sa retraite
même le port tranquille d'une solitude plus
profonde, afin qu'en imitant un pilote sage
et expert, elle puisse elle-même se réparer
et se rétablir de tous les dommages qu'elle a
pu souffrir dans les occupations extérieures
de son état.
Que celte pratique où vous allez entrer
est donc excellente, mes très-chères sœurs 1
Semblables au prophète David, vous pouvez
dire : Je me suis humilié, j'ai garde le si-
lence, pour dire de meilleures choses. Je de-
mande à Dieu de tout mon cœur que vous
puissiez ajouter avec ce saint roi : Que mou
cœur s'échauffe au dedans : Concaluit cor
meum intra me; qu'en pensant à vos misères
et à vos faiblesses, il s'allume un feu au fond
de voire âme, non pas un feu consumant,
mais un feu tel que celui que vit Moïse dans
le buisson du désert, qui était ardent sans se
consumer; un feu qui ne serve qu'à détruire
vos faiblesses et vos imperfections, et à pu-
rifier vos cœurs; un feu enfin qui se nour-
risse et s'entretienne en l'augmentant tou-
jours par la méditation des saintes Ecritures,
que saint Auguslin appelle les chastes déli-
ces de l'âme chrétienne ; et que dans cette
retraite vous vous éloigniez absolument du
monde pour entrer dans le commerce le
plus intime que vous allez avoir avec Dieu,
afin qu'il puisse retomber sur nous quelques
gouttes de celte rosée céleste que Dieu veut
répandre sur vous avec abondance.
DEUXIÈME DISCOURS.
Ducam eam in solitiulinem, et loqnar ad cor ejus.
Je lu mènerai dans la solitude, cl je parlerai à son cœur
(Ose, II, 14).
J'essayai hier, mes chères sœurs, de vous
convaincre de la nécessité de prendre du
temps pour se retirer dans une solitude plus
profonde, aGn que, dégagées de lous autres
soins, vous puissiez, dans une paix parfaite
et dans une tranquillité entière, rentrer dans
vous-mêmes, vous demander complc de vo-
tre conduite, examiner de plus près les affai-
res de votre salut, et vous mettre en état
d'éviter la surprise dans une affaire aussi
importante que celle-ci.
11 faut aujourd'hui vous parler des dispo-
sitions qu'il faut prendre pour réussir dans
celle retraite, et pour en tirer tout le fruil
que nous en attendons par la miséricorde de
Dieu.
Or, mes sœurs, il y a trois sortes de dispo-
sitions : les dispositions éloignées, les dispo-
0«atelrs SACRÉS. XXX.
sitions prochaines, enfin les dispositions plus
précises encore. Nous ne vous parlerons au-
jourd'hui que des éloignées, et je les réduis
à trois : 1° il faut recourir à Dieu pour lui
demander la grâce de réussir en celte re-
traite; 2° il faut s'exposer à ses ministres
sans déguisement, nous montrer tels que
nous sommes, afin qu'ils nous révèlent le
fond de notre cœur, et qu'ils nous aident à
nous reconnaître tels que nous sommes ; 3" il
faut demandera Dieu qu'il forme dans notre
cœur une résolution sincère, solide et vraie
de renoncer à tout ce qui peut former quel-
que obstacle à notre perfection, et commen-
cer à exécuter ce que l'on aura résolu.
Je dis donc d'abord qu'il faut demander à
Dieu qu'il nous conduise : nous ne réussi-
rions pas si lui-même ne nous conduisait. II
n'y a qu'à faire réflexion sur les paroles du
Prophète : Ducam eam in solitudinem : Je la
mènerai dans la solitude. Il faut que ce soit
lui qui y mène l'âme, car autrement il ne
lui parlera pas au cœur : Et loqnar ad cor.
Ce ne doit donc être aucun motif humain
qui nous engage dans cet exercice : ce ne doit
être ni la coutume, quoique bonne et louable,
c'est-à-dire qu'on ne doit point se mettre en
retraite parce qu'on s'y met à certains temps
et que cette pratique est établie dans la mai-
son ; car si l'institution est bonne, l'intention
n'est pas suffisante. Il faut des vues dignes
d'un enfant de Dieu qui veut s'approcher de
son père pour en êlre instruit, et d'une épouse
qui veut jouir des embrassements de son
époux et parler avec lui le langage du cœur.
Ce ne doit pas être non plus la crainte d'être
distinguée si on ne faisait pas ce que font les
autres : car ce serait agir, selon que le dit
saint Paul, comme des esclaves, par la crainte
d'être punis, et non pas par l'amour de son
devoir. Cette vue est indigne des servantes
de Jésus-Christ, dit l'Apôtre : Ut servi Chrisli
facientes volunlatem Dei ex animo. 11 faut
faire son œuvre avec une pleinevolonté etdu
fond du cœur. Enfin l'humeur ne doit entrer
pour rien dans la résolution que nous pre-
nons d'entrer en retraite : et j'entends par
humeur un certain amour du repos, une tié-
deur qui provient d'un tempérament taci-
turne, quelquefois même uucccrlaine indiffé-
rence pour les autres, de qui on n'est pas
fâché do se séparer pour jouir de soi-même.
Il faut %onc que ce soit Dieu qui nous
conduise : Ducam eam; il n'y a que lui qui
puisse nous y mener utilement, car il dit
qu'il parlera à celle qu'il conduira. Or, que
dirail-il à celles qui n'iraient que parce que
les autres y vont? Il ne parle qu'à ci lies
qu'il conduit. Que dirait-il à celles qui n'i-
raient que pour éviter d'être reprises? H n'a
rien à leur dire, car elles sont satisfaites,
puisqu'elles évitent le reproche de leurs
sœurs. Enfin que pourraii-il dire à celles
qui y vont par humeur? Il leur dirait : Pre-
nez soin de vous entretenir vous-mêmes,
puisque vous n'êtes entrées ici que pour
vous-mêmes. Et ne prenez pas ici le ch;ingc,
mes chères sœurs, il y a une sorte de lan-
gage que Dieu tient à celles qu'il n'a pas
'28
«75
OKATEDns SACRES. DOM 1EROME.
876
conduites, fort différent île celui qu'il lienl a
cellea qui ton! conduite! par ion esprit.
Il est des unes et dei autres comme 'les
Juifs et des chrétien* : il est certain que Dit n
8 parlé aux Juils par la bouche des prophète-,
cependant les Juifs oe sont poinl entrât dans
L'intelligence de la loi : ils eu ont reçu la let-
tre, et ils n'en ont point reçu l'esprit; il en
a u--é avec eux comme ils en usaient eux-
mêmes avec lui : ils lui donnaient l'extérieur
sans lui donner le cœur; il leur a donné
la lettre de la loi sans leur en donner l'espnl ;
ils portaient les Ecritures qui contenaient les
promesses et loules les vérités de la religion
qui enseignaient Jésus-Christ, cependant ils
ne l'ont point connu; ils ont été iaus le dé-
sert, ils é aient au pied de la montagne où
Dieu donnait la loi à Moïse, et ils ne I ont
point entendu; ils la voyaient, et ils ne la
comprenaient pas.
Mais à légard des chrétiens, il en a usé
ci'une autre manière : il leur a donné l'esprit
de la loi ; il t<e s'est pas contenté d'écrire
pour eux lu lui sur des tables de pierre, dit
saint Paul, mais sur des tables de chair, qui
sont nos cœurs. Le cœur de l'homme est donc-
comme du papier sur lequel Dieu écrit; ce
qu'il y écrit, c'est la charité, c'est son amour;
et l'instrument dont il se sert pour écrire,
c'est le Saint-Esprit, qui est appelé le doigt
de Dieu. Qu'est-ce donc que recevoir l'esprit,
et non pas la lettre seulement? c'est, mes
sœurs, recevoir de Dieu, qui nous parle en
nous donnant la 1 i, la grâce et la charité
qui fait garder la loi; c'est ce que signiûent
les paroles du Prophète : Je parlerai à son
cœur : Loquar ad cor.
Or, revenons. Comme il y a eu des Juifs
au cœur de qui il a parlé, comme Abraham,
Isaac et Jacob, qui n'étaient juifs que de
nom, il y a des chrétiens qui sont juifs en
cflet, au cœur de qui il ne parle point. Il y
a des épouses de nom au cieur de qui il ne
parle point non plus : ce sont celles qui ne
sont pas conduites par son esprit, mais par
des vues purement humaines. 11 leur parle,
elles connaissent leurs devoirs, elles n igno-
rent pas les vérités, mais elles n'ont que la
lettre qui tue, comme dit saint Augustin. La
loi nous fait bien connaître le péché, mais
ellcnenousle fait poir.léviler, elle l'augmente,
bien loin de le diminuer. Le mal du viole-
ment de la loi est surajouté au mauvais dé-
sir que la cupidité fait nailre. Ainsi, mes
chères sœurs, la connaissance de la vérité
ne sert alors qu'à nous rendre plus coupa-
bles, quand nous ne la pratiquons pas. Les
lumières sur la vertu, les instructions sur la
pratique du bien, les grâces que Dieu nous
fait dans une retraite, les avertissements que
nous y recevons, les voies qu'on nous y ou-
vre pour avancer dans la justice, tout cela
nous rend plus criminels; car en ne les sui-
vant pas nous ajoutons le mépris de tous les
avantages à l'amour de nons-mémes. C'est là
ce fonds de cupidité intérieure qui nous em-
pêche d'en profiter. Dieu nous parle mais
notre cœur ne lui parle point : ce cœur si
occupé à d'aulros choses, il écoute un autre
langage. C'eet donc ,i vous, ô mon Dieu, que
je m'adresse pour roni dire comme votre
Propfa t'' ! l> due me, Domine, xu -rmiliiin
mandalontm tuortttn, quia iptcwn wolui : 1 ai-
tes-moi marcher iê I le sentier de vos pré-
ceptes, car c'est tout ce que je désire.
Prenez jiarde cependant, mes très-chères
sœurs, que quoique le Prophète désire de
marcher dans la w>ie des préceptes, et qu'il
dise avec, vérité qu'il le vent e! qu'il l'aime,
quia ipsam volui, cependant cette volonté ne
sultil pa>, et il a besoin que Dieu lui serve de
conducteur; car qu'est-ce que cette volonté?
Combien de lois ai-je été trompe! que de
retraites sans fruit (que de résolutioni susu
exécution! il faut donc, Seigneur, que ro«S
soyez mon conducteur, il faut que ce soit
vous qui me meniez dans la solitude, pour
que j'en puisse recueillir les fruits; sans ce
nouveau secours, tous mes efforts seront in-
utiles, et je sortirai de la retraite, où j'entre
aujourd'hui, plus criminelle que je n'étais
en y entrant. Je me défie de ma volonté, je
vous demande celle que vous formez vous-
même; car j'ai appris de votre saint Apôtre
que tout dépend de Dieu qui fait miséricorde.
Encore une lois, qu'est-ce que cette volon é
qui n'est qu'inconstance et que léj retél
Qu'est-ce que des fore s humaines qui ne sont
qu'impuissance et faiblesse ! Qu'est-ce enfin
que tout le fonds d'une créature qui n est
que misère, faiblesse et dis ipalion! C'est
donc à vous, Seigneur, que je m'adresse, et
puisque vous promettez de conduire dans la
solitude celle que vou* aurez attirée douce-
ment à vous : Ecve eqo luelabo eam, et de
parler à son cœur, et loquar ad cor, j'ose
présumer que je suis de ce nombre, aptes
toutes les miséricordes que j'ai reçues de vo-
tre bonté, et j'espère encore la grâce de réus-
sir dans cette retraite.
Mais il y a, mes chères sœurs, une seconde
disposition, dont nous devons parler : il faut
s'exposer aux ministres de Jesus-ChrM s us
déguisement, et se montrer tels que nous
sommes, afin qu'ils nous révèlent le fond do
notre cœur et qu'ils nous aident à nous con-
naître parfaitement, car c'est le fruit prin-
cipal de noire retraite. Celte seconde propo-
sition est importante, et pour la Lien entendre
il faut être persuadés que nous avons besoin
d'un ministre de Jésus-Christ qui nous con-
duise en son nom dans noir' retraite, qu'il
faut lui découvrir notre cœur et se montrer
à lui tels que nous sommes, enfin que le
principal office qu'il puisse nous rendre,
c'est de nous aider à nous connaître, car
c'est à quoi il faut tendre dans la retraite.
El d'abord je vous dirai, mes chères sœurs,
ce que Tobie dit à son fils lorsqu'il était prêt
à partir pour s'en aller au pays des Mèdea
dans la ville de llauès : Perge mine, et in-
quire tibialiquem fidclcm virum qui eut treum:
Aile/ chercher présentement quelque homme
fidèle qui puisse aller arec tous. Meeroyexpat
vous suf/iie à 9ou» même, disait sainl Jérôme
à Rustique, et ne tout menez p«s en chemin
sans un quidc. Après tout, c'est l'ordre de
Dieu, cl voici uuc .belle idée du iondemeul
877
DEUXIEME DISCOUItS POUR UNE RETRAITE.
.578
de cet ordre, selon la pensée de saint Au-
gustin. Il est dit au IIe chapitre «le la Genèse
qu'il sortait de la terre une fontaine qui ar-
rosait toute la surface du paradis terrestre,
et il est dit auparavant que Dieu n'avait point
encore fait pleuvoir sur la terre, et qu'il n'y
avait point d'hommes pour la labourer. Ceci,
dit saint Augustin, nous marque la différence
du premier homme dans son innocence, et
des hommes sortis de lui après le péché;
car alors le cœur de l'homme étanl pur et
tel que Dieu l'avait créé, il n'avait pas besoin
d'être instruit par un autre homme, comme
une lerre qui a besoin d'être arrosée par les
eaux de la pluie; mais il avait dans lui-
même la souveraine vérité, qui, comme une
source de lumière et de grâce éclairait son
esprit et remplissait sans cesse le fond
de son cœur : De fonte suo mimante verilate
saliabatur ; mais après que le premier homme
s'est élevé contre Dieu, et que, sortant en
quelque sorte de lui-même par son orgueil,
il a perdu ce trésor intérieur et spirituel, et
nous a tous réduits avec lui à une extrême
indigence, nous avons besoin nécessairement
d'apprendre la vérité de la bouche des minis-
tres de Dieu, qui sont comme des nuées spiri-
tuelles par lesquelles le Saint-Esprit répand les
eaux de sa ^râce pour arroser la sécheresse
etla siérilité des âmes. C'est par eux que celte
pluie que Dieu a destinée pour les peuples
qui sont son héritage est répandue : c'est
une pluie qui vient immédiatement du ciel,
où elle est formée, comme la pluie ordinaire
qui se forme des vapeurs que le soleil élève
de la terre; et comme Dieu se sert de ses mi-
nistres pour la répandre, c'est à eux qu'il
faut aller pour la recevoir. Ainsi donc,
comme Tobie dit à son fil s prêt à se mettre
en chemin : Cherchez présentement un homme
fidèle, on ne doit point marcher dans le désert
sans un Moïse pour nous conduire: c'est lui
qui fait tomber la manne, c'est lui qui fait
tomber des rochers des eaux abondantes, qui
abreuvent et qui désaltèrent. Nous avons
donc besoin d'un ministre de Jésus-Christ
qui nous conduise en son nom dans cette
retraite; il faut lui découvrir noire cœur et
se montrer à lui tels que nous sommes. Il
ne faut que faire réflexion sur ce qui se passa
entre l'ange qui conduisit Tobie et ce jeune
homme, pour se former une idée de la cou- j
duile qu'il faut tenir avec le ministre de Jé-
sus-Christ, qui prend soin de nous conduire
dans la solitude, afin de parvenir â une heu-
reuse alliance avec le Seigneur, qui doit
être la lin de noire retraite, cl qui est figurée
par celle du jeune Tobie avec la fille de Ra-
:;uel. On y voit un abandonnement entier de
ce jeune homme, à l'égard de l'ange Raphaël,
un soin étonnant de lui découvrir toutes ses
craintes, une confiance entière à lui expo-
ser tous ses besoins, une fidélité parfaite à
exécuter tout ce qu'il lui ordonne, et par là
un succès merveilleux de toute celle con-
duite, qui comble de joie les deu\ familles
de Tobie et de Raguel. C'est la manière dont
il en faut user avec le ministre de Jésus-
Cbrisl : il faut avec une sage ingénuité lui
découvrir les maladies de son âme sans dis-
simulation, évitant les manières de se dé-
couvrir en s'excusant, de rejeter les défauts
d'observance sur l'infirmilé, les manque-
ments contre la charité sur les manières du
prochain, certaines entreprises contre la dé-
pendance sur les airs rudes et impolis des
personnes do qui on dépend, en un mot,
voulant bien donner quelque chose aux re-
proches de sa conscience, mais voulant d'ail-
leurs ménager l'amour-propre, qui n'aime
ni la contrainte ni l'humiliation. Gardons-
nous bien du mauvais artifice de ceux qui
font une espèce de violence à ceux qu'ils con-
sultent sur leurs défauts, qui ne découvrent
qu'à demi les raisons qui pourraient porter
les ministres de Jésus-Christ à retrancher
ce qu'ils ne voudraient pas quitter, et qui au
contraire s'appliquent à faire valoir tout ce
qui est favorable à leurs inclinations : de
sorte que, faisant pencher celui qu'ils con-
sultent du côté qui leur plaît davantage, ils
réussissent à se tromper eux-mêines en trom-
pant ceux qu'ils neconsultent que pour trou-
ver une sorte d'approbation ; ce qui ne sert
qu'à les faire marcher avec une pernicieuse
confiance dans la voie de leurs passions. Ne
faisons pas non plus comme ceux qui n'ex-
posent que de certains défauts sur lesquels
on est indifférent, mais qui gardent un pro-
fond silence sur les principaux objets de leurs
attaches, qu'ils justifient toujours quand la
conscience les leur représente, et qu'ils met-
tent toujours du nombre îles choses sur les-
quelles ils ont besoin d'avis : de sorte qu'a-
près vingt jours de retraite et un nombre
infini de conférences avec les ministres de
Jésus-Christ, on se trouve dans les mêmes
défauts, dans les mêmes passions, et sans
aucun avancement, soit dans la perfection,
soit dans les voies de la justice chrétienne.
Eloignons-nous de ces dangereux artifices
de l'amour-propre; agissons avec droiture
lorsqu'il s'agit de nos plus importants inté-
rêts; exposons notre cœur avec simplicité ,
et attirons sur nous les lumières du ciel par
la pureté de nos intentions; autrement nous
nous priverions du principal office que nous
doit rendre celui qui nous conduit , qui est
de nous révéler notre propre cœur, et nous
donner la connaissance de l'état de notre
àme. C'est pour cela que le prophète Mala-
chie nous dit que les lèvres du prêtre seront
les dépositaires de la science, et que c'est de
sa bouche que l'on recherchera la connaissance
de la loi, parce qu'il est l'ange du Seigneur
des armées, c'est-à-dire son ambassadeur et
l'interprète de ses volontés.
Il ne nous reste plus qu'une chose à dire
pour finir cet entretien, c'est de demander à
Dieu que nous puissions former dans noire
cœur une résolution sincère , solide , vraie ,
de renoncer à tout ce qui forme quelque ob-
stacle à notre avancement dani le bien.
Adressons-nous avec l'Eglise à l'adorable
Trinité, pour demander à chacune des per-
sonnes en particulier ce. qu'elle lui demande
pour tou^ les fidèles : lia posse quod jubés ;
J'atcr : Père éternel , rendez-nous capables
871)
ORATEURS ^ M i.
d'exécuter tout ce que vous nous comman-
dez pour arriver à la perfection. Ha scire,
Fili, quod doees : lils de Dieu, lumière éier-
11 t-IIe, source de toute vérité , faites-nous
connaître les voies de la justice et loute l'é-
tendue de la perfection. Foc corde loto, Spi-
ritus, nos telle (juod probas botium : Esprit-
Saint, qui donnez la bonne volonté, donnez-
nous l'amour de la justice , formez en nous
ce désir plein et efficace de inarcher dans
toutes les voies de la perfection. Ainsi
soit-il.
TROISIÈME DISCOURS
Descendat a l singulare certaim-n.
Qu'il vienne 1e bullre seul à seul (I Rey., XVII, 10).
Après vous avoir parlé dans le dernier en-
tretien des dispositions générales et éloi-
gnées pour réussir dans la retraite, je vais
vous parler aujourd'hui des dispositions
plus particulières et plus prochaines , sui-
vant ce que porte ce texte du premier livre
des Rois : Qu'il vienne se battre seul à seul.
Le Philistin qui (il cette proposition était un
homme plein de lui-même, que l'orgueil et
la confiance en ses propres forces faisait
parler, croyant qu'il n'y avait personne dans
tout Israël qui fût capable de lui résister. Or,
mes chères sœurs, nous nous servons des
paroles de ce superbe Philistin aQn de vous
faire sentir que nos pensées doivent être
bien éloignées de ses sentiments. Il se con-
fiait en ses propres forces , et nous devons
nous défier des nôtres; il donnait dans l'il-
lusion, et nous voulons apprendre à l'éviter.
Rejetons ces sentiments , profitons de ses
paroles , et tirons-en trois instructions pro-
pres à nous faire entrer dans des disposi-
tions aussi prochaines que nécessaires pour
réussir dans notre retraite.
1° Il ne faut pas se contenter de certaines
vues vagues et générales de perfection <'l de
changement de vie et d'avancement dans le
bien , qui se terminent à peu de chose ,
et souvent à rien : Descendat ad singulare
cerlamen. 2° Ayant choisi son ennemi, il
faut sur-le-champ prendre des mesures pour
le combattre : Descendat ad singulare cerla-
men. 3" Il faut se porter avec vivacité à dé-
truire ce que nous sentons être plus opposé
aux desseins de Dieu sur nous, et s'éloigner
de tout ce qui peut faire plus d'obstacle à
notre perfection : Descendat ad singulare cer-
tamen.
Et d'abord instruisons-nous, mes chères
sœurs , et reconnaissons les illusions que
nous nous taisons à nous-mêmes dans l'ou-
vrage de notre salut et de notre perfection :
car nous sommes convaincus que nous ne
saurions non-seulement arriver à la perfec-
tion , mais même au salut, sans la connais-
sance, l'amour et la pratique de la vérité. La
connaissance de la vérité nous fait plaisir ,
niais l'amour de la vérité nous trompe , et
nous pensons l'avoir quand il n'en est rien.
D'ailleurs, la pratique de la vérité nous dé-
courage; or c'est par ce découragement que.
nous pouvons reconnaître que nous n'avons
qu'une connaissance stérile et qu'un faux
F.S. DOM JEROME- .180
amour de la vérité. En effet, la jo;e que nous
donne la connaissance de la vérité nooi la
lait recevoir avec plaisir : ainsi, quand il ne
s'agit que d'une certaine lum ère que la vé-
rité porte dans l'esprit où elle est reçu.' . il
lui est toujours ouvert; toutes les vérités
spéculatives se font recevoir sans peine,
comme l'unité de l'essence d'un Dieu en trois
personnes, la Trinité de ces personnes dans
l'unité de l'essence, et ainsi des autres véri-
lés qui répandent la lumière dans l'esprit ;
niais il n'en est pas de même des vérités de
pratique, c'est-à-dire de celles qui exigent de
nous des choses qui nous metteut dans quel-
que sorte de contrainte. Tilles sont les véri-
tés qui nous apprennent qu'on n'est disciple
de Jésus-Christ qu'en portant sa croix tous
les jours , qu'on n'obtiendra le pardon de
ses fautes qu'en pardonnant au prochain les
injures que nous en avons reçues, et ainsi
du reste.
Comme ces vérités combattent nos pas-
sions, nous voudrions ne les point connaître,
parce que le mauvais amour de nous-mêmes
s'oppose à l'amour qui leur est dû, et le fonds
de notre corruption s'oppose sans cesse a la
pratique, qui est la suite nécessaire de l'a-
mour. Ne prenons point le change, en disant
que nous recevons les vérités pratiques
comme les spéculatives, parce que nous
convenons des unes comme des autres , et
que nous sommes aussi sûrs et aussi soumis
à la vérité qu'il faut porter sa croix pour
être sauvé , comme à celle qui nous oblige
de croire le mystère de la sainte Trinité.
C'est ici que notre amour-propre nous
fait illusion , en séparant ce qu'il y a de
dogme et de croyance d'avec ce qu'il y a de
pratique. Nous convenons qu'il faut porter
sa croix , et nous honorons cette vérité pré-
cisément comme vérité, ainsi que nous ho-
norons la vérité d'un mystère spéculatif. Je
dis plus : nous croyons [aimer, et c'est ici
que notre cupidité nous trompe , et que l'a-
niour-propre nous fait illusion : car 1 amour
des vérités dogmatiques se termine à l'ado-
ration, mais celui des vérités pratiques ne se
prouve que par l'action et par la pratique
de la vertu que la vérité nous enseigne , ce
qui est le fruit et la production de l'amour.
Nous convenons donc, mes chères sœurs ,
de toutes les propositions générales . qu'il
faut porter sa croix, qu'il faut combattre ses
passions , que nous n'arriverons à la gloire
que par la voie des humiliations, et le reste;
mais nous ne lirons point de ces vérités II >>
conséquences qu'il en faut tirer; ce n'est pas
assez de dire : 11 faut se faire violence, il est
nécessaire d'agir en conséquence. Je vais
donc, se faut-il dire à soi-même, faire telle
action, agir de telle manière. Nous sommes
de mauvais logiciens dans l'affaire du salut et
de notre perfection; nous admettons les preu-
ves d'une proposition, et noua n'en lirons pres-
que jamais les conséquences . connue nous
le devons. Saint Thomas dit dans quelque
endroit que si le démon prêchait, il prêche-
rait comme certaines gens qui >e contentent
de proposer des vérité» générales, sans nous
881
TROISIEME DISCOURS POUR UNE RETRAITE.
832
mener à la pratique, en nous ouvrant sim-
plement les voies pour faire ce qu'ils nous
ont enseigné; car le démon convient malgré
lui de toutes les vérités générales, qu'il faut
aimer Dieu, faire pénitence, porter sa croix ;
mais il s'en lient là.
Ainsi, mes chères sœurs , défions-nous de
ces vues vagues et générales ; donnons-nous
bien de garde de nous en tenir à dire : Je
veux réformer ma conduite, je veux com-
battre mes passions, je ne veux plus languir
dans les misères qui m'accablent , je veux
sortir de celte retraite-ci tout autre que je
n'y suis entrée , je veux me renouveler en
esprit, cl prendre une nouvelle vigueur pour
marcher à grands pas dans les voies de la
perfection de l'état que j'ai embrassé.
Défions-nous, encore un coup, de ces vues
vagues; on n'aime pas ce qui peut conduire
au renouvellement d'esprit , parce qu'on le
connaît simplement. On revient du désert ,
comme on y est entré , quand on n'y entre
qu'avec des vues générales ; on rapporte ses
imperfections et ses défauls, quand on ne les
regarde qu'en gros. Semblable à ces peuples
dont il est parlé dans le IV" livre des Rois ,
qui écoutaient avec une sorte d'attention ce
que leur disait le prêtre du Seigneur, lou-
chant l'obligation de servir Dieu, et touchant
la sévérité de ses jugements; ils concevaient
des sentiments de crainte et de respect pour
le Seigneur, mais en même temps ils sui-
vaient leurs idoles. Avec les vues vagues et
générales, on accommode Dieu et les idoles ;
on se propose une certaine idée de réforma-
tion,dechangement, mais on demeure attaché
aux choses qui font obstacle à notre avan-
cement dans le bien. On se repaît de l'idée
de la perfection , et on ne rompt point avec
les objets qui nous retiennent dans la fai-
blesse. Dieu se trouve dans la suprême ré-
gion de l'esprit, et la créature demeure dans
le fond du cœur. Je vous renvoie à vous-mê-
mes, mes chères sœurs : voyez le profit que
vous avez tiré des retraites précédentes où
vous n'avez eu que des vues vagues et géné-
rales de perfection et de changement. Il faut
donc s'attacher à un défaut pour le combat-
tre ; il faut reconnaître quelle est la passion
dominante et entreprendre de la surmonter;
il faut convenir de ce qui est le plus puis-
sant obstacle à noire salut avec le ministre
de Jésus-Christ qui nous conduit , et pren-
dre des mesures pour le détruire. C'est ce
que j'ai appelé se battre seul à seul : Descen-
dat ad singulare eertamen.
Quand un gios d'ennemis vient à une ar-
mée, et que nous n'avons pas assez de force
pour le vaincre ou pour lui résister, on se
retranche, on ne s'expose point à ses efforts,
on cherche un poste avantageux, et si l'on
peut le prendre au déGIé, on en vient à bout.
Voyez ce fier Philistin : quelque confiance
qu'il eût en sa (aille énorme , en ses armes
excellentes, en sa force extraordinaire, il ne
se présente pas néanmoins pour combattre
lui seul contre toute l'armée d'Israël; il de-
mande qu'on choisisse un homme d'entre le
peuple de Dieu : Lligitc ex vohis virum , et
qu'il vienne se battre seul à seul, et descen-
dat ad singulare eertamen. Or ce choix, mes
chères sœurs, étant fait, il faut sur-le-champ
prendre des mesures pour le combattre :
c'est ma seconde vérité.
II y a longtemps que saint Augustin a dit
que le vice qui nous domine le premier est
le dernier que nous surmontons, et il nous
fait remarquer, dans le premier livre de ses
Confessions, que l'on commence ordinaire-
ment dès l'enfance à être sujet aux mêmes pas-
sions que Von retient encore dans un âge
avancé. Ainsi, mes chères sœurs, on peut
dire qu'il en est en quelque sorte de l'homme
intérieur et invisible comme de l'homme ex-
térieur et que nous voyons. Nous avons tous
le même principe de vie, qui est l'âme; nous
sommes tous composés des mêmes parties :
cependant chaque homme a au milieu de ces
mêmes parties des traits qui le distinguent
de tous les autres, et un certain degré de
singularité qui empêche qu'on ne le confonde
avec eux.
Il en est à peu près de même de l'hommo
intérieur et invisible qui est caché dans
le cœur. Nous avons tous un même principe
de vie : la charité dans les justes, la cupidité
dans les pécheurs. Cet homme intérieur a
cependant un degré d'individualité qui le
dislingue de tous les autres. Dans les justes,
à la verilé, c'est la vertu, et dans les pécheurs
c'est le vice; mais dans les jusles il y a une
vertu favorite qu'on pratique plus volontiers,
et dont on n'interrompt l'exercice que diffi-
cilement : c'est proprement le penchant, ou,
si vous voulez, comme l'impression naturelle
de la charité. De même, dans le pécheur,
c'est un vice dominant qui entre presquo
dans tous nos mouvements, qui forme les
plus grands obstacles à notre perfection et
qui corrompt toutes nos œuvres, si nous ne
travaillons continuellement à le combattre.
Saint Augustin l'appelle le démon de chaque
homme : c'est ce démon qu'il faut, attaquer
sans cesse; ce démon doux et flatteur, dit ce
saint docteur, qui nous prend par des caresses,
et de qui le ton agréable et insinuant est bien
plus à craindre que celui du commandement.
C'est pour celte raison que saint Bernard
appelle la passion dominante et ce vice
propre qui forme tant d'obstacles à l'ouvrage
de notre perfection, l'enfant chéri de notre
cœur et l'tsaac bien-aimé de chaque chrétien.
Entrez bien dans la pensée de ce Père, elle
est excellente. C'est dans le sermon 79,
où, expliquant ces paroles du psaume CVII :
ParalwH cor meum, Deus, mon cœur est pré-
paré, ô mon Dieu! Le Prophète fait voir, dit
ce grand saint, qu'il doit >/ avoir une double
préparation dans l'âme, afin qu'elle soit en état
de suivre Dieu partout où il l'appelle ; car
elle est prête quelquefois de suivre Dieu en
certaines choses, et clic ne l'est pas de le suivre
dans 1rs autres. Quand Dieu dit aux justes,
comme Sara le dit à Abraham : Chassez celle
servante cl son fils, c'est-à-dire, renoncez aux
désirs de la chair cl des sens, quittez le monde
et ses plaisirs, méprisez ces biens et suivez-
moi dans la solitude, ce discours de Sara, dit
OR ATI ITtS SACRES. DOM JF.ROMK.
8*4
V Ecriture, parut dur à Abraham; car il ai-
mait IsmuHl. Cependant il s'en trouva qui
obéissent à ce commandement! Voui êtes de
ce nombre, met chères sœurs : Dieu vous a
fait entendre sa voix, cl, quelque dur que
soit à la nature ce commandement qui nous
sépare de ce qui nous est cher, la grâce de
Jésus-Chrisi vous l'a fait exécuter.
Mai; DieU, a joule saint Bernard, a fait un
autre commandement à Abraham bien plus
di/fic le à exécuter que le premier. Prenez
Jsauc, votre fils unique, qui vous est si iher,
et allez me l'offrir en holocauste; c'est-à-dire,
renoncez à la concupiscence et a l'amour—
propre qui est né d'elle ; immolez-moi la de-
sirs les plus tendres de votre cœur, cette in< li-
nation favorite, ce vce dominant que nous
ne condamnons jamais absolument, et que nous
épargnons toujours, dont nous ne confessons
jamais les effets, sans les rejeter sur les con-
jonctures, et sans alléguer mille raisons pour
le mettre à couvert de la condamnation. C'est
là ce vice qu'il faut combattre, c'est là ce
cher enfant qu'il faut offrir en holocauste
au Seigneur; et de peur que nous ne nous
fassions illusion à nous-mêmes, et que cet
objet de nos attaches, revêtu des couleurs du
bien, ne nous paraisse une vertu dont il faut
défendre la pratique et soutenir les droits,
écoulez ce que saint Bernard ajoute : Privez-'
vous de cet exercice, bon en lui-même, mais
mal placé. Défaites-vous de cette occupation
utile pour une autre, mais pernicieuse pour
vous. Sortez de ce repos prétendu et de cette
tranquillité trompeuse que vous goûtez dans
une oisiveté consacrée par l'amour-propre,
sous le nom spécieux de prière et de contem-
plation. Quittez toutes ces pratiques pour vous
rendre à l'obéissance. Interrompez ces exer-
cices pour rendre au prochain les devoirs que
la charité demande de vous. Comprenez bien
que comme toute la grandeur et toute la sain-
teté d'Abraham a consisté dans la plénitude
de sa foi et de sa dépendance absolue du pou-
voir souverain de Dieu, qui en est insépara-
ble, toute votre per fiction consiste à faire la
volonté de Dieu, et que le plus grand obstacle
que vous puissiez y apporter, c'est de vous
conduire par la vôtre. Déûez-vous donc de
toutes les entreprises, quoique saintes en
apparence, où vous u'étes conduites que par
goût et où votre volonté seule a part.
11 faut se porter avec vivacité contre tout
ce qui s'oppose en nous à la volonté de
Dieu, et s'éloigner de lout ce qui fait obstacle
à notre avancement dans le bien. Il ne faut
ménager ni penchant, ni habitude, ni incli-
nation, ni pratique, ni exercice de vertu, au
préjudice de celle dépendance absolue de la
volonté connue de celui sans qui nous ne
pouvons que nous égarer. 11 faut donc égor-
ger cette passion dominante, celle funeste
production de noire amour- propre, sous
quelque figure qu'elle puisse se cacher. Il eu
faut user comme Samuel en usa à l'égard
d'Agag, ce malheureux roi d'Amalec que
S.iùJ avait ménagé contre l'ordie de Dieu :
il faut le couper en morceaux, il faut lout
détruire, lout arrachor, ne laisser aucune
fibre de cette malheureuse racine; c'est-. i-
dire qu'il faut prendre sur-le-cha | devant
le Seigneur toutes les mesures peur réussir
dans ce sacrifice si important pour notre
perfection.
Je vous laisse le soin <!e prendre ces me-
sures arec le ministre de Jésus-Chrisl oui
vous conduit. Adressez-vous i lui, m - li
chères sœurs; et comme autrefois Seul, percé
d'un coup dont il ne pouvait pas L'u rit , di-
sait à un soldat échappé du peuple d'Ama-
lec : Appuyez - nous sur moi, el achevez
de me luer , parce que mou Ame S*t
tout entière en moi, adbuc tut a anima sera
in me est; dites comme lui à votre guida : Je
me défie de moi-même; les inclinaiious de
mon amour-propre sont encore toutes vi-
vantes ; la nécessité d'y renoncer m'est con-
nue, je n'ai pas la force de prendre des me-
sures pour y réussir, je suis dans un acca-
blement de douleur; je veux el je ne veux
pas, sta saper me, rendez-vous maître de
celle volonté rebelle, et inlerfice me, et donnez
le coup de la mort a cet am<>ur-pr pre si op-
posé à ma perfection, en lui o'.aut par l'au-
torité du Seigneur, que vous exercez sur moi,
tout ce qui l'a nourri jusqu'ici. Heureuse
celle mort d s passions qui conduit à la vie,
que je vous souhaite. Ainsi soil-il.
QUATRIÈME DISCOURS.
Qnae terra tua, et quo vadis, vol ex quo populo la
D'où êiet-vcw. où allez-vous, el quel est votre peuple (Jo-
1015,1,8)?
Je veux vous parler encore aujourd'hui,
mes chères sœurs, des dispositions prochaines
que vous de.ez prendre pour r< ndre votre
retraite utile, et p mr lirer de celle pratique
si saintement établie parmi vous tout ce
qu'elle peut produire de bon pour votre a\ an-
cement dans les voies de la justice, et dans la
perfection de votre état. Je veux donc m » -
difier avec vous dans ce discours, et pour
cela examiner ensemble ce que nous sommes
et ce que le Seigneur a fait pour nous par sa
grande miséricorde, afin que, retraçant l'idée
générale de nos principaux devoirs, nous re-
connaissions à quoi nous eu sommes ave le
Seigneur sur les obligations de notre état]
;.insi examinons d'abord qui nous sommes.
Quœ terra tua? D'où éles-vous, disaient les
gens de l'équipage du vaisseau où était Jo-
ins : Quo vadis? où allcz-\ons? Ex quo po-
pulo tu es? quel est voire peuple?
Nous sommes chrétiens, mes chères sœurs,
régénères en Dieu par le sang de Jésus-
Christ. Voilà ce que nous sommes : Quœ
titra tua? D'où sommes-nous venus, et d'où
Jésus-Christ nous a-t-il tirés? du monde où
nous sommes nés. Yoiià d'où nous venons :
Ex quo populo es tu? Où avons-nous été
conduits? dans la solitude, dans j Je
la perfection chrétienne ; voilà le chemin que
nous tenons : Quo vadis?
examinons lout ceci. Nous sommes (lire-
tiens, il est vrai; m is savez-voos véritable-
ment ce que c'e.-t qu'un chrétien? Connais-
se /-le par la dignité de cet être dit m que nous
recevons dans le baptême, el par les enga-
885 QUATRIEME DISCOURS POUR UNE RETRAITE,
gements où nous mettent les conditions sous
886
lesquelles nous recevons cet être divin.
Le seul témoignage de saint Pierre, c'est-
à-dire l'expression dont il se sert dans sa
seconde Epîlre canonique, suffit pour nous
donner la plus grande et la plus noble idée
que nous puissions nous former de la di-
gnité du chrétien. Il dit donc à tous les fidèles
que Dieu a non-seulement accompli par Jésus-
Christ toutes les promesses qu'il avait faites à
nos pères, mais qu'il les a surpassées, en nous
faisant part d'une grâce qui est au-dessus de
toutes les riche ses du monde, qui consiste à
nous rendre participants de la nature divine;
et cela par l'effttsion du Saint-Esprit et la
vertu de sa grâce, qui est comme une seconde
âme qui la meut, qui l'anime et qui la fait agir
pour Dieu. Or, voici comme cette merveille
s'accomplit en nous : la miséricorde de Dieu
nous élève à celte grandeur divine par Jésus-
Christ, en tons rendant semblables à lui :
Conformes fieri imagine* Filiisui; car c'est
à quoi nous sommes destinés : Quos prœde-
stinavit conformes fieri; et voici la manière
grande , merveilleuse , divine et glorieuse
dont ce dessein élerneî s'est accompli dans
ce temps sur chacun de nous : Le Père éternel
a formé une famille et un peuple choisi, par
lequel il veut être adoré éternellement. Celte
famille est composée de plusieurs enfants;
l'un est appelé l'aîné, primogenilus, et les
autres son) ses frères. Il ne rougit point, dit
saint Pilul, de les appeler ses frères : Non
confunditur fralres cos rocare. Jésus-Christ
est donc l'aîné de sa famille, parce qu'il est
fils par nature, et nous sommes ses frères,
parce que nous ne sommes enfants que par
adoption. Nous entrons dans cette famille par
une naissance qui est appelée régénération.
Car, comme dit saint Augustin, nous pou-
vons dire que, pour mettre une sorte de con-
formité entre tous les enfants dune même
famille, Dieu a voulu que les cadets eussent
deux sortes de naissance. Comme le premier-
né, Jésus-Christ a une naissance éternelle
dans le sein de son Père, et une temporelle
dans le sein de sa mère ; il est Dieu par la
première ; il e*t Homme-Dieu par la seconde.
Les chrétiens ont deux naissances, une na-
turelle dans le sein de leur mère, et une sur-
naturelle dans le sein de l'Eglise.
Le Fils de Dieu, ce premier-né, sort du
sein de son Père, pour prendre dans le sein
d'une Vierge une naissance humaine. Le
chrétien, en sortant du sein de sa mère,
prend une naissance divine dans le sein de
l'Eglise. Le Fils de Dieu, ce premier-né, sort
d'un être divin sans le perdre, pour prendre
un être humain, et s'appelle Christ; nous
sorlonsd'un êtrchumains.ins le perdre, pour
prendre un être divin, et nous sommes ap-
pelés chrétiens ; et comme le mystère (le t'in-
cflrntttion du Verbe s'est accompli dans le
sein de la Vierge, le mystère de notre adop-
tior. et de la régénération des fidèles s'ac-
complit dans I" sein de l'Eglise, qui est au
chrétien ce que le scinde cette. Vierge si pure
a été à Jésus-Christ.
Mais ce qu'.il y-n d'admirable et de glorieux
pour le chrétien, c'est que, par un effet ex-
cellent de l'amour de Dieu pour nous, qui
relève infiniment l'être du chrétien, il a
voulu que notre filiation divine ne fût pas
moins l'ouvrage du Saint-Esprit que l'incar-
nation de son Verbe.
Il faut entendre parler saint Augustin sur
ce degré de dignité et de grandeur des chré-
tiens, quiconsacrelesenfanls de Dieu dans le
sein de l'Eg!ise.Ce divin esprit, quiest stérile
dans le sein delà Divinité, aune admirable fé'
couditéau dehors, et elle a paru dans deux ren-
contres signalées, qui sont deux merveilles
incomparables qu'il a opérées dans le monde,
l'une dans le sein de Marie, lorsqu'il a formé
Jésus-Chrisi, l'autre dans le sein de l'Eglise,
lorsqu'il a formé le chrétien.
C'est une vérité qui appartient à la foi, que
le Saint-Esprit a formé Jésus-Christ dans le
sein de Marie ; mais ce qu'il n'a fait qu'une
fois dans la sainte Vierge, il le fait tous les
jours dans l'Eglise, autant de fois que quel-
qu'un se présente pour être baptisé. Ainsi le
baptême est comme l'extension de l'incar-
nation dans le sein de Marie. Ayant pris une
partie de son sang très-pur, il a formé un
homme, et dans le même instant, se trou-
vant uni à la personne du Verbe, cet homme
est devenu le Fils de Dieu par nature; de
même, mes chères soeurs, dans le sein de l'E-
glise le même esprit prend la vertu et l'es-
prit du sang de Jésus-Christ, et le versant
dans l'âme du chrétien, il en fait un enfant
de Dieu par adoption et par grâce : en sorie,
dit saint Augustin, que la même grâce qui
a fait Jésus-Christ fait aussi le chrétien, et
que le même esprit qui a fait naître le Fils
de Dieu fait renaître tous ses frères et les
rend enfants adoptifs de Dieu.
Comprenez- vous bien présentement la di-
gnité du chrétien, son élévation, sa gran-
deur? Voilà, mes sœurs, ce que nous som-
mes par Jésus-Christ. Nous ne pouvons pas,
dit saint Augustin, être portés plus haut :
participants de la nature divine, formés par
le même esprit qui a formé Jésus-Christ, frè-
res de l'Homme-Dieu, héritiers du royaume
de son Père ; Aynosce, o Christianc, digni-
tatem. Mais aussi, comme chrétiens, recon-
naissons les obligations que cette dignité
nous impose, car elle ne nous est donnée
qu'à des conditions. Saint Jean dit que Dieu
a donné à tous ceux qui ont reçu son Fils le
pouvoir d'être faits enfants de Dieu, c'est ce.
que nous venons d'expliquer; ensuite il
ajoute qu'ils ne sont point nés du sang ni de
la volonté de lu chair, ni de la volonté de
l'homme ; voyons donc, suivant les paroles
de cet apôtre, quels sont les engagements
du chrétien. En effet, comme c'est au bap-
tême que l'alliance de Dieu avec le chrétien
se fait par Jésus-Christ, c'est là qu'il con-
Iracte si s engagements avec lui : car, comme
dans la première alliance que Dieu contracta
avec les hommes par Moïse, ce premier lé-
gislateur prit du sang de la victime qu'il iio-
iii la, et, le mêlant avec de l'eau, en ai rusa
premièrement le livre de la loi et ensuite tout
le peuple, et leur dit : tous promettez tM
887
ORATEl'KS SACHES. DOM JEltOME.
K88
Seigneur de le servir et de le reconnaître pour
votre Dieu, et le Seigneur de même vous pro-
met de vous reconnaître pour son peuple ; à
quoi tout le peuple répondit : Nous promet-
tons d'accomplir fidèlement toutes les volon-
tiê et toutes les ordonnances du Seigneur ;
ainsi, dans la nouvelle alliance que Dieu a
contractée avec les chrétiens par Jésus-
Cbrist, il a voulu être la victime, cl la scel-
ler de son propre sang pour la rendre plus
sainte et plus inviolable. C'est pourquoi saint
Jean dit que Jésus-Christ est venu avec Veuu
et avec le sang. Or dans celte alliance nous
prenons Dieu pour notre père et il nous
prend pour ses enfants. Nous renonçons aux
pompes de Satan, et nous prenons comme
enfants de Dieu son royaume pour notre hé-
ritage. Tout ceci est renfermé dans les pro-
messes que nous faisons à notre baptême ;
car on nous demande : Ne renoncez-vous pas
au démon ? nous disons : J'q renonce. Ne re-
noncez-vous pas à ses œuvres? Oui, disons-
nous. Ne renoncez-vous pas à ses pompes ?
et nous répondons : J'y renonce. Tout ceci
va plus loin que l'on ne pense ; car en re-
nonçant au démon on se donne entièrement
à Dieu. On nous demande si nous ne croyons
pas tout ce qui est compris dans le Symbole,
et nous répondons par trois fois : Je crois.
Ainsi nous livrons notre âme, notre intelli-
gence et notre volonté à Dieu. En renonçant
au démon nous nous engageons dans la pra-
tique de toutes les vertus opposées à ses
œuvres, et principalement dans celle de l'a-
mour de Dieu, qui est l'âme de toutes les
vertus. En renonçant aux pompes de Satan,
nous renonçons à toutes les occasions pro-
chaines du péché, à tous les lieux, à toutes
les assemblées, à tout ce qui tient à Satan.
Ah 1 mes chères sœurs, que ces obligations
sont étendues, et que le monde les connaît
peu 1 Sait-on qu'un chrétien baptisé au nom
des trois personnes de la sainte Trinité est
un religieux de la religion dont Jésus-Christ
est le fondateur, que sa règle est l'Evangile,
qu'ayant renoncé au démon et à ses œuvres
il a renoncé à tous désirs, à toutes pensées,
paroles, entreprises, actions contraires à la
loi de Dieu, et surtout à l'orgueil, qui est la
source de tout péché ; qu'ayant renoncé à
ses pompes il a renoncé à toutes les vanités
du monde et à tout ce qui sert à entretenir
en nous l'esprit d'ambition, de vaine gloire,
à réveiller et à enflammer les passions, comme
les danses, les festins, les spectacles et tous
les divertissements déréglés ; que, nous étant
livrés à Dieu par Jésus-Christ, nous avons
fait un vœu solennel d'adorer Dieu unique-
ment et de le servir par Jésus-Christ, de nous
unir à lui et de nous y attacher inviolablc-
nient comme à notre principe et à notre fin
par les liens de la loi, de l'espérance cl de la
charité: que nous sommes obligés de retra-
cer la vie de Jesus-Christ dans la nôtre ; que
c'est la fin de notre prédestination et de no-
tre vocation : Prœdestinavit fteri imagines
\Filii sut? Tout chrétien doit donc vivre se-
i l'esprit de Jésus-Christ. De quelque con-
dition qu'il soit, il est obligé de t'attachera
lui pour continuer sa vie sur la terre par
l'imitation de son humilité, de sa pauvreté
et de son amour pour Dieu et pour le pro-
chain, de son opposition au monde, de son
détachement des richesses, des honneurs et
des plaisirs. Voilà, tues chères sœurs, nos
engagements comme chrétiens ; malheur a
ceux qui cherchent des raisons pour adoucir
ce joug dur à l'amour-propre et a la nature
corrompue, et qui croient marcher en IMI<
rance en mirant un autre chemin, parce
qu'il est plus fréquenté et que la multitude
le suit. Au jour de notre mort, la profession
de notre baptême sera représentée telle que
nous l'avons prononcée ; alors on présen-
tera à chacun de nous le sceau de son bap-
tême, pour voir s'il n'aura point été ri «le,
chacun se souviendra de ces paroles que le
ministre de Jésus-Christ a dites en le revê-
tant de la robe de la première innocence :
Hecevez ce vêlement blanc, saint et sans ta-
che ; portez-le tel que vous le recevez devant
le tribunal de Noire-Seigneur Jésus-Christ,
afin que vous ayez la vie éternelle ; car sans
cl a il n'y d d'espérance pour i/ui que ce soit.
Voici donc, selon saint Ambroise, la défini-
tion d'un chrétien donnée par saint Paul :
Ego enim sum Chrislus; ce qui veut dire : le
suis un homme en Jésus-Christ, c'est-a-dire.
un homme chrétien, qui est tout à Jésus-
Christ. Voilà, mes chères sœurs, ce que nous
sommes. Chargés des engagements du bap-
tême, revêtus de l'éminente qualité d'enfants
de Dieu, nous sommes liés à lui par des en-
gagements très-précis , très-importants et
très-indispensables que le monde ne con-
naît pas. C'est de ce monde av eugle et mal-
heureux que Dieu vous a fait sortir : Ex
quo populo es tu ? C'est sur quoi je vais faire
ma seconde rétlexion. D'où venez-vous? >a
monde.
Après avoir donné l'idée de l'excellence
de la qualité de chrétien et de l'étendue des
engagements où nous sommes entrés en la
recevant, je ne saurais, mes chères sœurs,
vous donnerune preuve plus sensible et plus
vive de la miséricorde de Dieu sur vous,
qu'en vous faisant faire réflexion sur le lieu
d'où vous êtes sorties ci en vous demandant
d'où vous venez. Vous êtes sortiesdu monde ;
or qu'est-ce que le monde d'où vous clés
sorties ? C'est une assemblée de gens qui
comme vous ont reçu l'auguste qualité de
chrétiens, qui ont contracte comme vous les
mêmes alliances avec Dieu par Jésus-Christ,
qui ont les mêmes droits à sou héritage, et
qui se nourrissent de l'espérance d'y parve-
nir ; qui sont entrés dans les mêmes engage-
ments, <jui ont fait vœu de marcher dans les
mêmes voies, qui se sont entièrement livres
à Dieu par Jésus-Christ, qui ont renonce à
Satan, à ses œuvres et à toutes ses pompes.
Cependant ces mêmes gens vivent dans un
violentent gênerai de tous leurs engagements
avec autant de sécurité que s'ils n'en avaient
contracte aucun. En effet, qu'est-ce que
c'est que la vie des gens du inonde, sinon
un cercle perpétuel d'actions et de mouve-
ments contraires aux obligations du chris-
889
QUATRIEME ÏMSCOURS POUR UNE RETRAITE.
890
tianisme. L'ambition, l'avarice, la volupté,
animent toutes leurs entreprises, et quand
ils se seraient engagés à mener une vie tout
opposée à celle que prescrit l'Evangile, ils
ne pourraient pas s'y prendre d'une autre
façon. Pour vous prouver ce que j'avance
ici, tirons la preuve de cette vérité de saint
Jean. Tout ce qui est dans le monde, dit cet
apôtre, est la concupiscence de la chair , ou la
concupiscence des yeux, ou la superbe de la
vie ; c'est-à-dire que ce corps des méchants
révoltés contre l'Evangile qui forme le monde
n'est animé que par les différentes passions
des plaisirs des sens, de la cupidité des ri-
chesses, du désir de toutes les curiosités
vaines et criminelles, de l'orgueil, de l'amour
des honneurs et de l'élévation. Quelle ef-
froyable opposition de sentiments aux vô-
tres, Seigneur 1 et que peut-on penser de
ceux qui s'y abandonnent ainsi 1 Le nombre
cependant en est bien grand parmi ceux
mêmes qui se flattent de ne les pas suivre.
Leur vie est-elle autre chose qu'un cercle
d'affaires que l'avarice et la cupidité fait
entreprendre , d'intrigues que l'ambition
mène, de divertissements et de piaisirs que
la mollesse inspire ? On garde quelques pra-
tiques de religion, mais on n'en a pas l'es-
prit ; on accommode le monde auquel on a
renoncé avec la religion qu'on a embrassée
et qu'on ne connaît point; on lit l'Evangile
de Jésus-Christ dans les familles qu'on ap-
pelle chrétiennes, et on y suit en tout les
maximes du monde ; on y abhorre les cri-
mes, mais on y souffre tous les vices qui ne
sont point grossiers et qui ne déshonorent
point ; on y fréquente les sacrements, mais
on n'y voit ni changement dans la vie, ni
réformation de mœurs, ni avancement dans
la pratique du bien. Que peut-on penser de
toutes ces personnes qui sont à Jésus-Christ
sans lui appartenir? Car qui n'a point l'es-
prit de Jésus-Christ n'est point à lui, dit saint
Paul. Voilà donc l'état effroyable de ce
monde que vous avez quitté, mes chères
sœurs : où l'on devient chrétien sans le
savoir, où l'on vit sans s'informer de ce que
c'est que de l'être ; ou, chargé du poids du
baptême, comme parlent les Pères, on meurt
non-seulement sans en avoir rempli les de-
voirs, mais même sans en avoir connu les
engagements. Au reste, je ne dirai pas qu'ils
sont impossibles à observer dans le monde ;
à Dieu ne plaise I ce serait une hérésie qui a
été avancée, combattue et condamnée ; mais
je dirai hardiment que c'est une terrible
erreur de croire qu'on s'y sauve en vivant
comme y vivent, je ne dis pas les libertins,
m lis ce qu'on appelle les plus honnêtes gens;
car rien n'est plus vrai que la vie de ceux
dont je viens de parler se termine tout au
plus a ne faire point de grands maux, sans
s'appliquer à la pratique du bien, comme
s'il suffisait, pour être chrétien, de n'être
point coupable, sans être saint. Que la mi-
séricorde de Dieu, mes chères sirurs, est
donc grande à votre égard, puisque c'est lui
qui vous a retirées de ce monde 1
Car il y a trois sortes de chrétiens qui for-
ment le monde : il y a des libertins déclarés
qui se moquent de toutes les pratiques de re-
ligion, et qui se font des sujets de raillerie
de tout ce qu'on y observe. 11 y a d'au-
tres hommes qui se font illusion à eux-
mêmes, qui se dérobent aux lumières de l'E-
vangile dans la crainte d'en être éclairés,
qui négligent d'apprendre ce qu'ils ne veu-
lent pas observer ; et qui, prenant pour sûres
des maximes qui flattent leurs passions, re-
jettent des vérités et des règles qui les met-
traient dans la contrainte. Le nombre de
ceux-ci est très-grand. Enfin il y en a qui
sont retenus par une lâche timidité, qui se-
raient chrétiens s'ils osaient l'être, qui se ca-
chent quand ils veulent honorer le Seigneur,
qui manquent à une infinité de devoirs par la
crainte d'une mauvaise honte, et qui, pour
ne pas s'exposer au mépris et à la raillerie
des hommes, s'attirent la colère et l'indigna-
tion de Dieu. Le nombre de ceux-ci est pour
le moins aussi multiplié que l'autre. Ainsi,
quelle miséricorde sur vous, mes sœurs, que
Dieu ail bien voulu vous tenir par sa main
puissante et vous instruire, afin que vous ne
marchiez pas dans la voie de ce peuple ! En-
core une fois c'est d'entre ce malheureux
peuple que vous êtes sorties : Ex quo populo
es tu ?
Qu'elle est donc admirable , celte miséri-
corde, qui vous a retirées d'un lieu inondé pir
le mensonge, par le larcin, l'homicide, L'adul-
tère; d'un lieu où tous les biens sont faux, puis-
qu'il n'y a aucune vérité dans ce que l'on pos-
sède; où tous lesmauxsonlréels,eloùcnfinles
biens faux et les maux réels conduisent in-
failliblement ceux qui y sont liés par le cœur
à une désolation effroyable !
Mais où vous conduit cette main puissante
qui vous a retirées de ce lieu dangereux ?
Quo radis? Dans la retraite, dans l'heureuse
solitude du cloître. Je ne m'arrêterai point à
faire un vain éloge de la dignité de notre
profession, nous en parlerons dans une autre
occasion, évitons seulement un double mé-
compte; celui du monde à notre égard pour
flatter ses passions, le nôtre à l'égard du
monde pour nourrir notre vanité. Par les vœux
monastiques nous ne faisons que prendre un
chemin plus court pour accomplir les vœux
de notre baptême, et par là nous fermons
l'entrée au démon ; car c'est une barrièro
contre tous les objets do la concupiscence
que la retraite; l'on y est à couvert de l'im-
pression des passions les plus grossières, on
y est dans l'usage de tous les moycus pro-
pres pour comhaitre les passions les plus dé-
licates : tout y contribue, et chacun nous
aide pour y réussir ; on est dans les exercices
d'une guerre déclarée contre l'homme cor-
rompu et contre l'amour-propre qui nourrit
la corruption, car tout lui est contraire ; ou
marche par les voies les plus sûres et les
plus courtes pour arriver à la perfection, où
tous les chrétiens sont appelés en qualité
d'enfants de Dieu. Enfin nous sommes hors
de ce torrent si dangereux où tant d'hommes,
liés les uns aux autres par des chaînes do
ténèbres, sont entraînés de compagnie dans
891
ORATEURS SACRES. I)()M JKROMF.
•:
cet ôtniior brûlant do soufre el de feu, qui est
appel*'' la lèeonde mort, aui termei de l'Kcri-
lure; et, liées l<s unes aux aulres par d'heu-
reuses chaînes de lumière, vous êtes entraî-
nées dans les v ies de la justice et dans I i
pratique du bien par une espèce de nécessité
que saint Augustin et saint Rernard ont ap-
pelée mille fuis heureuse : Félix nécessita*.
parce qu'elle vous contraint en quelque
sorte à faire le liien : Qwe ad tneliora cotn-
pellit. Sentez, mes Irès-ehèrcs sn-urs, les
avantages de votre état; tressaillez de joie à
la vuedes miséricordes du Seigneur sur vous.
Enfin je vous dirai avec Saint Put : Vous
avez été introduites par la vertu du sang de
Jésus-Christ dans la demeure des sainls : In
introitu ëanctorum, in sanguine ChritH. Ap-
prochez-vous de lui avec un cœur vraiment
sincère el une pleine loi : Accedamus cum
vero corde in plenitudine fidei.
Nous entrerons demain dans le détail des
devoirs que nous sommes obligés de rendre
à celui qui nous a prévenus par une miséri-
corde si admirable. Je vous souhaite la grâce
de Jésus-Christ pour les bien comprendre et
pour les remplir dignement. Ainsi soit-il.
CINQUIÈME DISCOURS.
Vêlera transiernnt, ecce facta sunt omnia nova.
Ce qui eïail vieux esl passé, el tout est nouveau (II Cor.,
V, 17).
Je me suis proposé, mes très-chères sœurs,
de vous parler aujourd'hui des devoirs des
solitaires, et de vous marquer ce qu'ils sont
obligés de rendre au Seigneur dans la con-
duite de leur vie , pour répondre à celte
grande miséricorde de Dieu qui a été les
chercher dans les égarements du monde pour
les en retirer, et j'ai pensé qu'il fallait vous
donner d'abord l'idée juste d'un bon solitaire,
d'un parlait religieux et d'une excellente re-
ligieuse; car par ce moyen il sera facile de
voir d'un coup d'œil ce que l'on doit à Dieu,
lorsqu'on est revêtu de cette qualité. Or, mes
chères sœurs, qu'est-ce qu'un bon moine,
une excellente religieuse, une digne épouse
de Jesus-Chrisl? C'est une nouvelle créature:
In Chrislo nova creatura , comme dit saint
Paul. C'est une créature engagée dans un
genre de vie dans lequel tout ce qui était
vieux esl passé : Vêlera transiernnt, ajoute
le même apôtre, et où tout esl devenu nou-
veau : Ecce facta sunt omnia nota. Ainsi en
trois mots une bonne religieuse est une soli-
taire parfaite; c'est une créature perdue ab-
solument pour le monde, armée sans relâche
contre elle-même, enfin livrée entièrement
à Jésus-Chrisl.
Kilo esl perdue pour le monde : nous n'a-
vons point d'idée d'une perle plus profonde
que celle que nous fournit l'image d'une
mort, el rien ne parait plus perdu pour nous
que ceux qu'elle nous a enlevés pour tou-
jours; et voilà l'idée que doit donne- l'étal
de noire profession. Aussi les saints Pores
ont- ils applique à ceux qui l'embrassent
plusieurs expressions de L'Ecriture, qui sont
toutes propres à soutenir cette idée. Ils nous
appliquent les paroles que David a dites de
lui-mémo à l'occasion de la fureur de se en-
nemis, ou lie lésât-Chris! par rapport à --es
souffrances dus le cour» de sa passion : Cens
qu' me volent se 100I enfuis loin de moi; j'é-
tais mi- ou oubli et efl Ce de I 11 r eo-ur,
comme si j'eusse été mort : Qui tidtbamt m$
fora . (tir/rant a me. Que s'en fait-il, me*
SŒOTS, que ces paroles ne se \ériliont à la
lettre par la conduite du monde à notre
i rd? le monde ne fuit-il H les ■ersOM
de notre profession dès qu'ils les \ oient. A
peine renient-ils lier conversation avec nous.
S'ils nous voient quelquefois par bienséance,
ils sont si pressés de nous quitter, qu'on
peut dire qu'ils fuient dès qu'ils : ous ont
a us. comme <>n fuit la vue d'ut mort anpl
duqu"! on s'est ren In, ou par devoir de bien-
séance, ou par curiosité : (Jui videbunt me
foras fugrrunt a mr.
N'arrivo-l-il pas assez 'ouvent qu'après
nous avoir vus entrer dans notre tombeau le
jour de noire profession, ils nous uohlienlf
A peine se SOnvieunent-ils de nous : O'ili-
vioni datas sum; comme si, en entrant dans
le cloître, nous sortions de leur cœur : Tan-
quam mortuus a corde. Nous sommes encore
à leur égard, selon les Pères, comme ceux
qui, selon le même prophète, ayant été bles-
sés à mort, dorment dans les sépulcre- et
dont on ne se souvient plus : Sicul vulnerati
in sepulcris.
Rendons grâces au Seigneur, quand, par
un nouvel effet de sa miséricorde, il permet
que nos amis du monde nous traitent ainsi et
que nos proches nous bandonnent: Foetus
sum opprobrium vicinis meis ta'.de a timoré
mords, puisqu'ils nous aident par là à de-
meurer dans l'étal où nous nous sommes mis
parles obligations de notre profession; et
malheur à ceux qui lèveraient Ifl tote el qui
feraient quelques signes à ceux qui les fi.i
pour les inviter à approcher de leurs tom-
beaux! Ces expressions, mes chère- -ours,
sont exactes, et nous dosons nous regarder
précisément comme des morts à l'égard dn
monde depuis notre profession, puisque nous
sommes perdus pour lui réellement ; H la
raison de cette vérité, cY-l que la consécra-
tion des VTOOX est à proprement parler l'im-
molation d'un holocauste, qui ne -ouffre ni
restriction, ni réserve, et où tout est entn
ment consumé par le feu. Car il y a une irès-
grande différence entre vous , mes chères
sœurs, et les chrétiens du commun. H est
vrai que nous sommes tous les ur.s el 1rs au-
tres morts et ensevelis avec Jetas-Christ par
le bftptéme, que tous les chrétiens doivent
être morts au monde, à ses biens, à ses hon-
neurs, à ses plaisirs; voici cependant ce qui
nous distingue, nous aulres religieux, c'est
qu'il suffit au chrétien, pour satisffl re i i -
devoirs, de renoncer au monde et à (oui ce
qui est du monde par la disposition de - u
coMir. !l iloii bien prendre garde qu
qu'il lui -oit permi- de conserver la posses-
sion et l'usage du momie el de s* • biens, il
•Oit néanmoins en être dégagé par \i\\ senti-
ment intérieur. Il faut donc qu'il soit panrra
dans I abondance» chaste dans le mariage,
893 CINQUIEME DISCOURS
tempérant dans la bonne chère, et appliqué
à Dieu dans le commerce du monde. Mais
pour vous, mes chères sœurs, ce n'est pas
assez, il faut être réellement dans le déta-
chement actuel de toutes les choses sensi-
bles. Le vrai solitaire ne doit plus prendre
de part à rien; il n'est pas plus touché de la
louange ou de la flatterie que de la médi-
sance. Qu'on le regarde, qu'on détourne les
yeux de dessus lui, il est également insensi-
ble à tout. Sa vie est cachée avec Jésus-Christ
en Dieu; elle est éteinte pour le monde, elle
ne subsiste plus que pour Dieu.
Du jour, mes chères sœurs, que vous vous
êtes données à Jésus-Christ, vous êtes per-
dues pour le monde : le voile dont vous vous
êtes couvertes est le suaire qui vous a ense-
velies; votre monastère est votre tombeau;
c'est la demeure éternelle d'une mort d'où il
ne faut sortir que pour entrer dans l'éternité
bienheureuse, et où, en vivant mortes au
monde et dans l'insensibilité d'un mort pour
tout ce qui regarde le monde, vous devez
faire voir à toute la terre, en soutenant les
engagements de votre sainte profession, que
l'amour est aussi fort nue la mort : Fords est
ut mors diteclio; et qu'il consume entière-
ment les victimes qu'on lui offre, ne leur lais-
sant qu'aut;inl de vie qu'il en faut pour être
armées sans relâche contre elles-mêmes.
Mais qu'est-ce que s'armer contre soi-mê-
me? Entrez bien dans cette obligation, elle
est une suite nécessaire de notre état présent:
car notre état nous lie à deux hommes, au
vieil et au nouveau. L'un est Adam, et l'au-
tre Jésus-Christ; et je vous regarde, mes
chères sœurs, ou dans les liens d'Adam, in
vinculis Adam, ou dans les liens de Jésus-
Christ, in vinculis charitntis; et j'ajoute que
vous êtes attachées par ces deux liens. En
effet, reconnaissons le devant Dieu, nous
avons été sédui's par les attraits d'Adam,
mais Dieu, par sa grande miséricorde, nous
a lies à lui par les attraits de sa charité;
c'est-à-dire, en un mot, que nous avons été
ennemis de Dieu par le péché, nous qu'il a
bien voulu rendre ses épouses par su cha-
rité.
Or, mes chères sœurs, comme ennemies de
Dieu et en qualité de pécheresses, il faut non-
seulement que vous soyez armées .contre
vous-mêmes, mais irritées et sans pitié, ne
vous pardonnant rien, et mettant tout en
usage pour détruire en vous l'ennemi de
Dieu, c'est-à-dire le péché : en un mot,
vous devez tout faire pour briser entière-
ment les liens d'Adam, in funiculis Adam.
Comme épouses de Jésus-Christ et atta-
chées à lui par les liens si doux de la charité,
il faut que vous soyez armées contre vous-
mêmes, et dans uncaltentioii continuelle pour
arracher jusqu'aux moindres fibres du péché,
pour vous dépouiller avec quelque violence
que ce soit de tous les restes du vieil homme,
pot vous revêtir de tous les ornements du
nouveau, afin de vous rendre agréables a
votre époux par les attraits de la charité : In
vinculis charitntis. Ces engagements vont
plus loiu, mes chères sœurs, qu'on ne pense,
POUR UNE RETRAITE.
8<J4
et ne vous permettent aucun relâche : aussi
se faut-il bien mettre d;ins l'esprit qu'on ne
satisfait pas à la justice de Dieu par peu de
chose, et qu'il en coûte beaucoup pour se
rendre une digne épouse de Jésus-Christ.
Il sulfit, mes très-chères sœurs, d'avoir man-
qué de fidélité à Jésus-Christ une seule fois
grièvement, pour être son ennemi, et vous
ne doutez point qu'un seul péché mortel est
suffisant pour nous obliger à marcher tou-
jours dans les voies étroites de la pénitence.
Cela supposé, appliquons-nous cette règle,
et voyons ce que nous sommes effectivement
devant Dieu : nous trouverons que nous
sommes obligés de faire pénitence, parce que
nous nous sommes chargés volontairement
des liens d'Adam. Apprenons donc ici ce que
c'est que la pénitence, les vues que les péni-
tents doivent avoir, la conduite qu'ils doi-
vent tenir.
La pénitence est une vertu établie par la
miséricorde de Dieu en la place de la justice ;
il faut par conséquent que je règle mes vues
et ma conduite sur (elle de Dieu irrité con-
tre moi : car si je suis rentré en grâce avec
lui par la charité, qui a opéré la conver-
sion de mon cœur , il faut que j'entre
dans ses sentiments, que j'aime ce qu'il aime
et que je haïsse ce qu'ii hait. C'est en vue
de celte vérité que saint Augustin, mettant
le pécheur converti dans les intérêts de Dieu
qu'il aime, l'appelle un homme irrité contre
lui-même: Homo sibimet irascens ; et c'est
en conséquence de ces sentiments que le
même saint ajoute à l'idée qu'il nous a don-
née d'un pécheur converti et d'un véritable
pénitent, cette nouvelle qualité qui suit natu-
rellement de la première : Homo (prise mactat
Deo. Le pénitent n'est pas seulement un
homme irrite contre lui-même, mais c'est un
homme qui se sacrifie à Dieu, qui s'immole
par les exercices laborieux de la pénitence;
c'est un homme qui se dit à lui-même : J'ai pé-
ché contre Dieu, j'ai mérité de périr éternelle-
ment ; c'est un homme qui compare les tour-
ments de l'éternité qu'il a mérités avec les
souffrances de cette vie, qu'il ne regarde plus
par celte comparaison que comme des peines
en peinture; c'est un homme qui se dit, avec
saint Chrysoslome : 11 faut que le malade
ait recours à la médecine de la pénitence,
dont il n'avait pas besoin quand il se portait
bien; il faut appliquer le fer delà componc-
tion, le feu de la douleur, les fomentations
des soupirs; il faut laver les ulcères du cœur
avec les larmes de ses yeux ; il faut que les
cilices enlèvent les souillures du corps : il
est juste que celui qui n'a pas pris soin de
conserver sa sanléel sa vie supporte la cure
amère de la pénitence. Lisez, mes chères
sœurs, le cinquième degré de l'Echelle de
saint 'eau Climaque, et vous y verrez, dans
la description des exercices des pénitents du
monastère, de la prison, jusqu'où des reli-
gion v pénétrés des inlidéiilés qu'ils avaient
commises contre leur Dieu ont pousse leur
pénitence. Kn voici une légère esquisse. On
voyait que leurs genoux s'étaient endurcis
par le grand nombre de leurs agenouille-
B9.'»
ORATMUHS SACRES. DOM JEROME.
*%
monls. Leurs yeux s'étaient léchés et en-
foncés dans la léte à force de pleurer. Ils
avaient perdu tout le poil de leurs paupières,
cl avaient creuse la peau de leurs joues par
l'ardeur cuisante de leurs larmes am
Leurs visages étaient si maigres et si pâles,
qu'en les comparant à celui d'un morl on n'y
eût point trouvé de différence. Ils avaient
meurtri leur poitrine à force de se frapper, et
leurs poumons, pressés par la violence des
coups qu'ils s'étaient donnés, leur faisaient
cracher le sang. Enfin on ne savait en ce
lieu-là ce que c'était que de coucher sur un
lit. Qu'est-ce, s'écrie ce grand homme, que la
douleur de ceux qui pleurent la mort de leurs
proches et de leurs amis, en comparaison de
ces travaux ? Qu'est-ce que l'ennui des exilés?
Certainement les peines involontaires de toute $
ces personnes ne sont rien auprès des souf-
frances volontaires des saints pénitents; et je
vous prie, mes frères, ajoule saint Jean Clt-
tnaque, de ne pas croire que ce que je vous dis
soit une fable.
Voilà, mes chères sœurs, l'image de la pé-
nitence de ceux qui ont voulu rompre entiè-
rement les liens d'Adam, dont ils avaient été
assez malheureux pour se charger volon-
tairement; mais si ces liens sont entièrement
rompus, si la paix est faite heureusement
avec Dieu, et que, comme de dignes épouses,
nous soyons liés à lui par les liens de la cha-
rité, ne croyons pas, mes chères sœurs,
qu'il faille pour cela vivre en paix avec nous-
mêmes. Ne soyez pas sans crainte de l'offense
qui vous a été remise, dit le Sage, parce que
les crimes sont les blessures profondes de
l'âme, qui la laissent très-faible après même
que la plaie est refermée.
il faut être incessamment armé contre soi-
même et dans une attention continuelle,
pour arracher jusqu'aux moindres fibres du
péché; et ce serait, mes chères sœurs, mal
connaître l'état dn chrétien depuis le péché,
que de croire qu'il puisse jouir d'un repos
sans trouble et d'une paix parfaite dans la
vie présente. L'Ecriture nous en donne bien
d'autres idées. La vie de l'homme est un
combat perpétuel : Militia est vita hominum.
L'apôtre saint l'aul nous dit : Quand je veux
faire le bien, je trouve en moi une loi op-
posée, parce que le mal habite en moi ; je me
plais dans la loi de Dieu, selon l'homme inté-
rieur, mais je sens dans mes membres xme loi
qui combat contre la loi de l'esprit, et qui me
tient en servitude sous la loi du péché. C'est
donc un étrange composé que le chrétien :
il est à Jésus-Christ et à Adam tout ensemble;
il appartient au péché et à la grâce. De là
naît l'obligation d'avoir sans cesse les armes
à la main pour arracher les restes du péché,
c'est-à dire pour affaiblir par la pénitence
celle loi des membres si opposée à celle de
l'esprit. C'est donc là notre devoir el noire
attention, principalement dans une retraite.
11 faut combattre loul ce que la chair et le
sang nous inspirent, en arrêter loules les
inclinations, tous les sentimenls, toutes les
ardeurs, combattre toutes les passions avec
tant de fermeté et de persévérance, que nous
nous en rendions les maîtres et que rien
n'empêche que l'esprit de Dieu ne règne en
nous d'une manière abtolue. // faut , dit
saint Jean Climaqne, qu'un véritable Militaire,
louché dans le fond de l'âme de la tris/
talutaire de la pénitence, soit toujours oc-
cupé de la pensée de lamort, qu'il n'arrête
pas le cours de ses larmes, jusqu'à ce qu'il ait
vu, comme un autre Lazare, que ./■ i ' kriit
ett irn < vert lui, qu'il a ôté la pierre d'en-
durcissement de dessus son cieur . et délivré
son esprit des liens du jiéché. Souvenons-
nous bien, mes chères sœurs, de ces paroles
de saint Augustin, que le premier vice au-
quel l'âme s'est laisse vaincre est aussi le der-
nier qu'elle surmonte. Souvenez-vous que si
nous sommes exempts des crimes grossiers,
par un effet de la miséricorde de Dieu, nous
devons combattre nos humeurs el nos incli-
nations, pour les assujettir à la volonté de
Dieu, prenant garde de ne pas agir confor-
mément aux pensées qu'elles pourraient nous
inspirer, parce que cet instinct, ce goût, ce
plaisir, cet amour que nous avons po :r tout
ce qui vient de nous, est ce levain que l'a-
pôtre saint Paul nous recommande tlcpuryr,
afin d'être une nouvelle pâte, et pour pré-
senter au banquet de l'Agneau, auquel nous
sommes appelés, un j,ain sans levain de sin-
cérité et de vérité. Enfin, souvenez- vous donc
que vous devez vou» revêtir de tous les or-
nements du nouvel homme, pour vous ren-
dre agréables à votre Epoux, en retraçant sa
vie dans vos actions el dans votre conduite.
Jugez, mes chères sœurs, sur cela, quelle
doit être la vie d'une épouse de Jésus-Christ.
Elle doit lui dire, comme la femme de Moïse,
Sponsus sanguinum tu rnihi es : Vous m'êtes
un époux de sang. Elle doit savoir que l'image
de son Epoux ne se formera jamais en elle,
que par les plaies qu'elle aura le courage de
se faire à elle-même, et qu'elle doil en aller
prendre les traits dans le dépouillement, dam
les humiliations el dans les souffrances da
Jésus-Christ.
Enfin elle ne doit plus rien ménager, puis-
qu'elle est livrée entièrement à Jésus-Christ.
Ses devoirs sont renfermés dans ces paroles
de Jésus-Christ qu'elle doil entendre, rece-
voir, comprendre et pénétrer, comme si elles
n'avaient été dites que pour elle unique-
ment : Sancti estote, quoniam sanctus sum :
Que ma sainteté soit la règle el la mesure de
la vôtre. En effet, vous voyez que l'époux,
dans les Cantiques, veut que la beauté de
l'épouse soit parfaite et accomplie. Son cœur
est tellement sensible à tout ce qui vient
d'elle, que l'indifférence d'un de ses regards,
le dérangement d'un de ses cheveux, lui fait
une blessure profonde : Vulnerasti cor meum
in uno oculorum tuorum cl in uno crine co'li
tui. Aussi ne veut-il pas qu'il y ail en elle le
moindre défaut ni la moindre lâche : Jota
pulchra es, tnnuanira. 11 la nomme deux lois
belle, pour nous marquer quel e dot avoir
une double beauté, et qu'il faut qui lie n'ait
pas moins de pureté dans .«-on .'une *;ue d'in-
tégrité dans son corps : Quam pulchra M,
ami eu mes/ >.e croyez donc pas. mes chères
8S7
SIXIEME DISCOURS POUR UNE RETRAITE.
m
sœurs, que vous puissiez être agréables à un
Epoux à qui vous êtes livrées entièrement
par les engagements si saints de votre pro-
fession, parce que vous êtes exemptes des im-
puretés grossières, si vous ne l'êtes pas en
même temps de l'orgueil, de la colère, de
l'envie, de la paresse, et d'un certain amour-
propre qui nous met toujours à nos yeux
au-dessus de ce que nous sommes réellement.
Enfin souvenez-vous que du jour de votre pro-
fession vous êtes à cet Homme-Dieu, sans
réserve, sans exception, et d'une manière
irrévocable pour jamais.
Il faut donc, mes chères sœurs, que votre
vie soit pure. Vous devez vous proposer une
sainteté parfaite, il faut y tendre continuelle-
ment, il faut vous y élever par toutes sortes
de voies; et comme Dieu vous a appelées à
cette haute perfection, il faut non-seulement
éviter les moindres défauts, puisque la per-
fection n'en souffre aucun, mais il faut entrer
dans la pratique des plus excellentes vertus.
Enfin, mes chères sœurs, je ne vous dirai rien
de trop, en vous disant, après un grand ser-
viteur de Dieu, très-éclairé sur les devoirs
de notre état, que ce degré de vertu qui sau-
verait une femme du monde ne peut exemp-
ter une religieuse de la condamnation. Dieu
Vous fasse la grâce de bien entrer dans de si
importantes vérités 1 A insi soit— il.
SIXIÈME DISCOURS.
Nolite diligere munilum, neque ea quœ in mundo sunt.
N'aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde
(1 Joan., Il, 15).
Après vous avoir donné l'idée juste d'une
parfaite religieuse dans le dernier discours,
il faut, mes chères sœurs, vous marquer dans
celui-ci quelles sont les obligations et la con-
duite qu'il faut qu'elle tienne pour soutenir
la dignité de son caractère. Nous dîmes dans
le dernier discours qu'une bonne religieuse
doit être perdue pour le monde, et elle doit
dire, non pas par un esprit d'orgueii et de
mépris pour ceux qui sont liés au monde,
mais par un esprit de reconnaissance pour
la miséricorde que Dieu lui a faite : Vous êtes
d'ici-bas, vous autres, mais je suis d'en haut ;
ainsi je n'ai plus rien de commun avec vous.
Or, pour soutenir ce caractère et répondre
à la miséricorde qu'elle a reçue de Dieu,
voici quelle doit être sa conduite. 1° Il faut
qu'elle soit fortement persuadée que le monde
est son plus grand ennemi, que le commerce
qu'elle a avec le monde lui est pernicieux,
que la vue même du monde est pleine de con-
tagion; 2° il faut qu'elle s'applique à l'éloi-
gner; 3" il faut qu'elle ait un vrai désir d'en
être oubliée entièrement.
En effet, qu'est-ce que le monde? que de-
vons-nous entendre par le monde? Car vous
devez regarder comme votre ennemi celui de
qui le commerce ne peut vous être que très-
perniricux, et dont la seule vue est pleine de
contagion. Voici donc ce que c'est que le
inonde : c'est un certain lieu où habitent des
hommes en passant pour aller à Dieu, en
usant selon ses desseins des moyens établis
par l'auteur de ce lieu, qui les leur fournit
pour cette fin. Or le monde, pris dans ce sens-
là, est l'ouvrage de Dieu dans toutes ses par-
ties. Mais quel est le monde qui ne connaît
point Dieu et qui est son ennemi? C'est un
nombre d'hommes qui sont dans ce monde,
formés de la main de Dieu, qui, au lieu de se
servir de ce qui y est et de ce qui ne s'y
trouve qu'afin d'en user, pour arriver à la i
jouissance et à la possession de Dieu, s'y atta- 1
client comme à leur fin, y mettent leur bon-
heur et oublient celui auquel ils doivent al-
ler, en usant de ces moyens contre les des-
seins de l'auteur de la nature.
Représentons-nous, dit saint Augustin, que
nous sommes des voyageurs, pour qui il n'y a
de bonheur à attendre que dans la patrie ; mais
que faudrait-il penser de nous dans cette cir-
constance, si, venant à nous laisser toucher
des beautés et des agréments de la route et de
la commodité des voitures qui nous condui-
raient,nous nous arrêtions tellement à vouloir
jouir des choses dont nous ne devrions qu'em-
prunter l'usage, que nous ne voulussions point
voir finir le voyage, et que, enchantés par
une fausse et funeste joie, nous nous éloignas-
sions de la patrie dont la jouissance et les
charmes nous devraient rendre parfaitement
heureux? 11 est donc évident que dans cette
vie mortelle, où nous voyageons éloignés de
Dieu, il faut user de ce monde et non pas en
jouir. II faut s'en servir pour contempler et
admirer dans les créatures les grandeurs in-
visibles de Dieu, et s'élever des choses sen-
sibles et passagères à celles qui sont spiri-
tuelles et permanentes.
C'est ainsi que les justes en ont usé, c'est
ainsi que les vrais chrétiens en usent par
nécessité, comme d'un moyen pour arriver à
leur fin, qui est Dieu, avec la modération ré-
glée sur les desseins et sur la volonté de celui
qui nous les apprête, et qu'ils n'en jouissent
pas avec un attachement et une cupidité dont
l'amour de préférence et de repos fait le cri-
me. Ceux qui en usent ainsi ne sont pas du
monde, (lit saint Jean , quoiqu'ils soient dans
le monde, et ils sont dans ce monde bienheu-
reux pour qui Jésus-Christ prie et que saint
Augustin appelle mundus salvatus. Ce que
nous appelous donc le monde, c'est un cer-
tain nombre de personnes opposées aux des-
seins de Dieu, qui renversent l'ordre établi
par la loi éternelle et par la vérité immuable,
et qui veulent jouir des choses dont ils ne
doivent qu'user.
Voilà, mes chères sœurs, ce qui compose
et ce qui constitue le dérèglement du monde,
c'est l'amour déréglé des choses présentes et
périssables : les hommes qui sont animes de
cet amour s'appellent le monde.
H ne faut pas s'étonner maintenant si Dieu
hait le monde. C'est un ennemi opposé à tous
ses desseins, qui renverse toutes ses lois, qui
le chasse de son cœur pour y établir la créa-
ture en sa place. Jugez de là si l'on a raison
de vous dire que le monde est votre plus
grand ennemi , puisqu'il est celui de Dieu, de
qui vous êtes |. g épouses ; il ne vous ost donc
pas permis de le regarder avec indifférence,
mais il faut le haïr. Tout commerce avec lui
8M
ORATEURS SACRES, dom JEROME.
000
no saurai! vous être que pernicieux : il pente
luut autrement que vous, il ne peut donc vous
tenu qu'un langage qui tende à affaiblir les
i -ri les cl les sentiments doul volic cu:ur doit
être rempli, el comme il est attaché à ses
erreurs, et qu'il prend ses ténèbres pour la
I re, (oui ce que, vous lui pourrez dire
n'esl piis capable de l'éclairer et de le ic-
roeltre dans la voie. Fuyez-le donc, puisque
le moindre mal qui vous peut arriver dans
son commerce, c'est de perdre un temps pré-
cieux i!oni vous devez Lire un usage consacré
aille <rs par voire règle.
Fuyez, encore un coup, dérobez-vous aux
yeux de ce nioude pernicieux sous le voile
dont vous êtes couvertes, car sa seule vue
est contagieuse; et il me semble que je ne
dirai lien de trop quand je dirai qu'une
femme, dans le ajustements et dans les pa-
rures indécentes de son luxe et de sa vanité,
est contagieuse par sa seule vue à des vier-
ges chrétiennes et religieuses, en sorte qu'on
lui peut appliquer ces paroles de saint Pierre:
Elles ont les yeux pleins d'adultères, et elles
attirent à elles par des amorces tiomjieuses les
âmes légères el inconstantes. Saint Ambroisc
dit, en parlant de David, qui ne tomba dans
l'adultère eldtiv. l'homicide que pou,- avoir
regardé par hasard une personne qui se
trouva à portée de sa vue, de dessus un bal-
con où il était entré pour prendre l'air après
une assez longue maladie, qu'il eûl mieux
valu pour lui qu'il eût toujours été malade
que d'avoir recouvré la santé de son corps
pour venir faire une plaie mortelle à son âme.
II vaut bien mieux pour nous, mes chères
sœurs, qu'on nous accuse d'impolitesse, et
qu'on nous reproche d'être farouches en
fuyant le monde et en rejetant son commerce,
que de nous livrer indiscrètement entre les
mains d'un ennemi qui nous aborde avec des
airs doux et gracieux, mais pleins de venin
el de contagion. Vous vous en êtes éloignées,
mes chères sœurs, vous avez mis une bar-
rière entre lui et vous ; dites à toutes le> per-
sonnes de ce monde corrompu ce qu'Abra-
ham disait au mauvais riche : Il y a un grand
abîme entre vous it nous, (le sorte que ceux
qui voudraient passer d'ici vers vous ne le
peuvent, comme on ne le peut d'ici où cous
êtes.
Ainsi donc, apprenez qu'étant perdus pour
le monde par les engagements de notre pio-
fession, nous devons non-seulement le re-
garder comme notre plus grand ennemi,
mais il faut faire connaître que ce sentiment
est sincèrement dans notre cœur par une ap-
plication continuelle à éloigner le monde de
nous. Ne nous y trompons pas, mes ibères
sieurs, nous ne saurions nous assurer que
nous haïssons le monde comme notre profes-
sion nous y oblige, si nous ne nous appli-
quions pas à l'éloigner. Tonte épouse de
Jésus-Christ doit dire a son époux : Le prince
du monde va venir, et il n'a aucun droit sur
moi. Toute épouse de Jésus-Christ doit écou-
ter comme sa règle celle parole de saint Paul :
J\e vous conformez point aa siècle prêtent ;
« M otite conjor.mari-huic sœculo , » mais qu'il
se l.isse en vous une transformation par le
renouvellement de votre esprit •. S*é refor-
ni m novitatt tentut vettti, <>r. pour
entrer dans cetle disposition et éloigner le
monde de nous entièrement, voici ce qu'il
faut observer : il faut renoncer pleinement
à tout ce qui t'appelle l'esprit du monde; il
faui s'éloigner entièrement de toutes ses ma»
nions; il laul enfin en éviter la fréquentation
avec soin, et même avec une sorte de dut
Après vous avoir donne l'idée de ce que
nous entendons par le mon le, il est aise de
Comprendre ce que c'e^l que son esprit : c'est
la cu|/ii!ilé, ou, ce qui est la même i b.OM, le
désir dérégie des choses du monde et le mau-
vais usage qu'on en fait. Or, mes sœur i |
esprit ne laisse pas (pie de suivre quelque-
fois dans la retraite ceux el «elles qui ont
quitté le monde, et c'est à cet esprit que doit
renoncer pleinement une créature qui est
perdue pour le monde par sa profession. Cet
esprit du monde et de convoitise se retrouve
dans le désir déréglé d'augmenter les biens
du monastère et de s'enrichir pour > vivre
plus commodément. Prenez garie. mes ché-
ri s sœurs, à celle parole de saint liernard :
La pauvreté en elle-même n'e-t pas une ver-
tu, mais c'est l'amour de !a pauvreté: N<m
enim paupertas virtus reputatur, sed nauper-
latis amor. Ce n'est pas la pauvreté seule,
mais l'amour de la pauvreté qui fait les re-
ntables pauvres, et nous devons dire que
comme la joie d'un avare est de trouver des
moyens et des expédients pour devenir ri-
che, l'attention et le désir d'une vraie reli-
gieuse doil être de ne perdre aucune occa-
sion d'avancer encore plus dans le détache-
ment des choses d'ici-bas. Jugez, mes très-
chères sœurs, si celle disposition peut s'ac-
corder avec le désir continuel d'augmenter
les biens temporels, et de f.iire sans cesse de
nouvelles acquisitions pour s'enrichir. On ne
peut cependant défendre de faire ces s irt< -
d'augmentations de biens lorsqu'elles se font
par le ménage de l'épargne sur les choses
qui ne sont point nécessaires à la subsistance
raisonnable des sœurs. Le superflu des biens,
c'est-à-dire ce qui reste aprèâ que le monas-
tère a le nécessaire, peut encore servir à eu
augmenter le revenu, pourvu que le molil
soil d'être, par celle augmentation, à portée
de recevoir des filles gratis. Alors c'est pro-
curer des secours aux membres de Jésus-
Christ, c'est les soulager dans leur misère el
les racheter de la corruption du inonde et de
la perle de leurs âmes.
Mais il faut bannir l'esprit du monde dans
ces acquisitions, et s'établir solidement sur
ce principe essentiel, que, s'il n'est pas dé-
fendu d'acquérir, il n'est jamais permis de
s'agrandir par le pur motif de posséder plus
de biens et plus de domaine.
Une autre chose nécessaire pour éloigner
le monde de nous, c'est de nous éloij D r
nous-mêmes entièrement de toutes ses ma-
nières. Ceci est un point fort recommandé
dai s la règle de saint Beuolt, cel excellent
législateur des solitaires d Occident. 11 faut
donc s'éloigner des manières d'agir des geus
901
SIXIEME DISCOURS POUR UNE RETRAITE.
902
du monde; le soin de les copier est une mar-
que de l'estime qu'on a pour eux, et celle
opinion ne peut être qu'une suite de l'amour
qu'on conerve pour leur esprit; comme au
contraire l'attention de s'écarter de leur ma-
nière d'agir est une preuve du peu d'estime
qu'on en a. Or, le défaut d'estime pour une
personne marque que l'on condamne l'es-
prit qui la fait agir. Nous nous sommes dé-
clarés hautement contre leurs manières par
la différence que nous avons mise entre no-
tre vie, nos vèlcuienls, nos manières et cel-
les des gens du monde, et celle différence
doit s'étendre et régner sur tout. Qu'est-ce
en effet aux jeux du monde qu'une épouse
de Jésus-Christ qui djnne dans la gentillesse
et dans l'agréable, et qui affecte des airs de
propreté et d'arrangement étudiés, dans son
sac et sous la bure? Elle se rend ridicule
quand elle affecte de parler le langage du
monde et de le copier dans ses expressions.
11 faut qu'elle oublie ses manières de s'expri-
mer, et que comme Joseph, en sorlant do
l'Egypte, entendit une langue qui lui était
étrangère, elle sache que le cœur nouveau
est formé par la grâce de Jésus-Christ, et que
ses épouses ne parlent plus le langage du
monde corrompu auquel elles ont renoncé.
La pauvreté et la simplicité doivent paraître
sur tout ce qui est à leur usa;:c; elles doivent
éloigner d'elles tout ce qui pourrait avoir
l'air du fasle et de la curiosité du monde. Nous
pressons tous les jours les gens du siècle sur
la pratique de ces vertus, qui les regardent
comme chrétiens et disciples d'un Dieu pau-
vre et dépouillé. Ils s'excusent souvent sur
leur condition, sur la bienséance et sur la
nécessité où ils se trouvent de ne se pas éloi-
gner trop de ceux avec lesquels ils se trou-
vent obligés de vivre, et quelquefois ils ont
raison. Mais une épouse de Jésus-Christ, mais
un moine ne saurait alléguer rien de sem-
blable; c'est au contraire par la raison de la
nécessité où il est de vivre comme ceux de sa
condition, qu'il doit éviter tout air de re-
cherche et de curiosité, puisqu'il a embrassé
un genre de vie qui l'engage à la pratique
d'une humililé et d'une abjection sans ré-
serve. Croyez-moi, mes chères sœurs, c'est
une science que celle de connaître el de pra-
tiquer les bienséances de son étal, l'amour-
propre n'y trouve même que trop souvent son
complc.
L'humilité et la simplicité bien placées font
beaucoup d'honneur aux personnes de notre
profession ; certains airs au contraire les
déshonorent infiniment. Le bon sens ut frap-
pé, dit un grand homme, de voir des meubles
pauvres dans la maison d'un prince, el la i ai-
son éclairée n'approuve jamais des richesses
el des embellissements curieux dans la demeure
des pénitents.
Ceux-là donc, mes chères sœurs, se trom-
pent grossièrement qui, dans une profession
aussi opposée au monde qu'est la nôtre, veu-
lent conserver des inclinalions, des vues et
des pensées tout humaines; qui se persua-
dent qu'il leur est permis d'imiter ceux avec
lesquels ils ont rompu (oui commerce; qui
affectent sottement d'en copier les airs, les
manières et les modes dans les discours, dans
le manger, dans les vêtements, et qui, ne
pouvant pas quitter entièrement tout l'exté-
rieur de l'air de leur profession, font con-
naître par leur conduite qu'ils n'en ont ni les
sentiments ni l'esprit.
Enfin, souvenons-nous, mes très-chères
sœurs, que nous sommes entièrement per-
dus pour le monde par les engagements sa-
crés de notre profession, et n'ayons plus de
fréquentation avec ceux qui l'habitent. Je ne
voudrais pas cependant condamner absolu-
ment de certains devoirs de bienséance quand
on essaye de les animer de la charité, el qu'il
ne s'y trouve rien d'essentiel aux devoirs de
sa profession en les remplissant; mais rien
n'est si opposé à l'esprit de la retraite et de
notre profession, qu'un certain désir de voir,
de converser, d'entretenir commerce avec les
gens du monde pour qui nous sommes per-
dus par les engagements de notre profession.
Ce désir ne peut être que l'effet de l'amour
que nous conservons pour les personnes que
nous avons quittées. Mais, me direz-vous,
est-il défendu de voir des amis chrétiens, de
converser avec des gens d'Eglise estimables,
d'entrelenir quelque commerce avec des per-
sonnes raisonnables et qui peuvent nous êlre
de quelque utilité?
Non, cela n'est pas absolument défendu,
mais ces commerces ne nous sont permis
qu'autant qu'ils n'intéressent point nos de-
voirs principaux. Or, ces sortes d'euipresse-
ments pour voir et pour converser avec le
monde sont des effets d'un amour qui no
convient plus au renoncement absolu que
nous y avons fait, et celle situation esl pré-
cisément la même que celle où se trouva le
peuple de Dieu après qu'il eut passé la mer
Rouge et qu'il fut entré dans le désert. Il
s'ennuya dans cette relraile, il s'accoutuma
aux miracles que Dieu avait faits en sa fa-
veur, il se dégoûta de la manne qui tombait
du ciel, en un mot, revenant sur ce qu'il
avait quille, il regretta les oignons d'iigyple :
et comme il ne pouvait plus y retourner, à
cause de la mer qui lui en fermait le pas-
sage, il s'y transportait par ses désirs : Corde,
dit saint Bernard, redit runt in Jiqyptum.
Voilà l'élald'un solitaire qui s'ennuie, voilà
la disposition d'une vierge chrétienne qui
sent toujours les impressions d'un amour il-
légitime pour ce qu'elle a quitté : elle ne peut
retourner dans le monde, les chemins lui en
sont fermés, il y a une mer à passer; mais
elle y retourne par ses désirs, elle appelle le
monde à elle, elle le prie de se rapprocher.
Or, mes sœurs, nous ne sommes véritable-
ment que ce que nous sommes devant Dieu,
cela esl certain; nous pouvons paraîtra auv
yeux des hommes ce que nous ne sommes
point, nous les trompons par des apparen-
ces, mais nous ne saurions en imposer à
Dieu.
Que diriez-vous si vous voyiez une reli-
gieuse sorl.r de son cloilrc tous les jours pour
aller rendre dei viviles, quitter furtivement
su solitude pour aile; converser avec le mon-
!)03
ORATEURS SACRES. DOM JEROME,
tic? Vous en seriez icandaliiées, < l vous au-
riez raison; vous regarderiez cette Bile arec
indignation. Quelle différence cependant y
;i-t-il de colle Bile avec celle de qui le ccenr
sort tous les jours contre ses obligations pour
aller chercher ce qu'elle a quitte, pour taire
rapprocher d'elle ce qu'elle en a sépare par
un engagement solennel passé avec Dieu.'
Voici la différence : c'est que celle-là vous
scandalise et celle-ci vous trompe; l'une ne
garde pas des mesures qui sauvent sa réputa-
tion dans l'esprit des hommes, et l'autre vit
dans des dispositions qui la rendent crimi-
nelle aux yeux de Dieu ; elle se perd au ju-
gement de Dieu en conservant dans la pen-
sée des hommes l'honneur d'un sacrifice que
la disposition de son cœur rend inutile et sa-
crilège, et on peut dire qu'elle est semblable
à un martyr aveugle et dignede compassion,
lequel, après avoir essuyé des peines et sup-
porté des tourments, exposerait le fruit de
ses travaux pour vouloir sentir seulement,
en allant au supplice, l'odeur de l'encens que
les païens offriraient aux idoles. Quel aveu-
glement, mes chères sœurs, et quelles mi-
sères! Nous sommes perdus pour le monde,
soyons-le pleinement, éloignons-le de nous
comme nous nous sommes éloignés de lui,
et conservons dans notre cœur un vrai et
sincère désir d'en être oubliés tout à fait. C'est
la plus heureuse situation où puisse se trou-
ver une épouse de Jésus-Christ; il n'en faut
plus chercher d'autre preuve que celle que
nous fournissent ces paroles du Sauveur du
monde : Si le monde vous hait, sachez qu'il
m'a haï devant vous. Si vous étiez du mondé,
le monde, mes chères sœurs, vous aimerait,
parce qu'il aime tout ce qui est à lui. Y a-t-il
un plus grand malheur pour une vierge chré-
tienne que d'être encore du monde après y
avoir renoncé ? et au contraire y a-t-il quel-
que chose qui puisse la consoler davantage,
et lui donner une assurance plus certaine
qu'elle est dans l'esprit de sa vocation, et
qu'elle est séparée réellement et véritable-
ment du monde, que de voir que le monde
la hait? Or, une marque de celte haine du
monde pour elle, c'est qu'il l'oublie; car il
ne l'oublierait pas s'il l'aimait, puisque le
Sauveur du monde nous assure que le monde
aime ce qui est à lui , par conséquent ce qu'il
oublie n'est point à lui.
Quel bonheur, mes chères sœurs, qu'il
n'en coûte que l'amitié du monde pour pos-
séder Jésus-Christ! que l'oubli du monde
nous attire les bontés de notre Dieu ! Prenons
donc bien garde de réveiller le monde quand
il nous oublie; faisons plutôt tous nos efTorls
pour qu'il ne pense pas à nous; enfonçons-
nous dans nos tombeaux, pour qu'il n'ait au-
cun souvenir de nous ; ne l'attirons point par
des plaintes sur son oubli, par des sollicita-
tions et par des reproches. Ne perdons jamais
de vue la réponse du Sauveur du monde à ce
disciple qui lui demande la permission d'aller
ensevelir son père avant que de se mettre
tout à lait à sa suite : Suivez-moi, lui dit le
Sauveur du monde, et laissez aux morts le
soin d'ensevelir les morts
Il ne refuse pas, disent les Pères, qu'on
rende ces devoirs; mais il veut nous appren-
dre que nous n'avons rien de plu impor-
tant que l'affaire de notre salut et l'accom-
plissement de la volonté de Dieu, à quoi tout
doit céder. Or, s'il donne ce conseil ;, celai
qui n'est point encore i i le suirre,
sera-t-il permis à ceux qui se sont livrée en-
tièrement à lui par des rœox solennels et des
engagements indissolubles , de retourner
vers ce qu'ils ont quitté et de rechercher ce
qu'ils ont rejeté? Si nous disons aux gens du
siècle, que quelques liens retiennent tou-
jours quand Dieu les appelle : N*écoutei
point la \oiv du sang, méprisez tous ses
éganis, ne faites point d'attention sur ces
devoirs de la vie civile quand il est question
de votre salut, que doit-on dire à une vier-
ge chrétienne qui doit être élevée au-dessus
de tous ces égards, qui doit mépriser toutes
ces vues, qui doit se regarder comme une
personne ensevelie dans la solitude, où elle
ne vit plus que pour Dieu, et qui doit être
ravie que le monde ne pense plus à elle?
C'est alors qu'elle pourra dire ces paroles
dans toute leur étendue, comme David le> a
dites étant persécuté et oublié par sa famille
et par ses proches : Soyez à mon aide, ne
m'abandonnez pas, et ne me méprisez pas, 6
Dieu qtà êtes mon Sauveur ! Mon père et ma
mère m'ont abandonnerais le Seigneur s'est
chargé de moi pour en j/rendre soin. Prescri-
vez-moi, Seigneur, la loi que je dois suivre
dans cette voie, et conduisez-moi dans le droit
chemin. 11 vous mènera, mes chères sœurs,
à la vie éternelle, si vous suivez les maximes
que nous vous exposons ici : je vous la sou-
haite. Ainsi soit-il.
SEPTIÈME DISCOURS.
Tradili snmus e^ro et populus meus, ut conleramur, ju-
gulemur, et pereamus.
A'oiis taon» été livrés, moi et mon pïuple, pour être /ou-
lés aux pieds , pour être égoryét, cl exterminés (Ktiher.,
C'est ainsi que parlait la reine Eslher
pour loucher le cœur d'Assuérus et obtenir
grâce pour tout son peuple. Je me sers de
ces paroles, mes très-chères sœurs, pour vous
donner une idée plus étendue des obligations
d'une parfaite religieuse, regardée par rap-
port à elle-même.
Nous avons dil en général dans un autre
discours que c'était une personne armée con-
tre elle-même; il faut aujourd'hui vous dé-
couvrir en détail ses obligations sous cette
qualité.
Ainsi on doit dire qu'une parfaite reli-
gieuse, armée contre elle-même, ne se doit
épargner en rien; il faut que tout soit sacri-
fie, laine et le corps, les pensées de l'esprit
et les affections du cœur. Qu'une proposi-
tion si dure en apparence ne vous effraye
pas, mes très-chères sœurs : Vous sa\e/ que
celui qui perd son dnie pour le Seigneur la
doit retrouver sûrement , et que ce corps plein
de corruption doit ressusciter incorruptible.
Tout ceci se terminera donc à une violence
905
SEPTIEME DISCOURS
passagère qui nous conduira à une félicité
fixe et permanente. Or, pour vaincre dans
les combats qu'une vierge chrétienne doit
soutenir contre elle-même, afin de rempor-
ter une victoire qui la rendra digne d'être
couronnée, 1° il faut qu'elle s'applique à re-
tenir continuellement les légèretés de son
esprit, qui se dissipe aisément; 2° à fixer les
inconstances du cœur, qui s'échappe facile-
ment ; 3° à surmonter les résistances qu'elle
trouvera en elle, qui répugnent toujours au
bien. Commençons à vous prouver la pre-
mière proposition.
L'esprit de l'homme, mes chères sœurs,
n'est fait que pour la vérité. C'est sa nour-
riture sur la terre, dit saint Augustin, et la
félicité qu'il attend dans le ciel n'est autre
chose que la joie qui se trouve dans la vérité.
Il en jouissait dans l'état d'innocence, il l'a
perdue par le péché , c'est-à-dire que la
transgression du précepte qui lui avait été
fait s'est terminée à lui faire connaître sa mi-
sère cl à le jeter dans l'ignorance et dans
l'erreur. De toutes les lumières dont le Sei-
gneur avait rempli l'esprit du premier
homme, et qu'il y avait mises en dépôt pour
les répandre sur sa postérité, il ne nous
reste plus qu'un sentiment confus de notre
dégradation et de notre ruine. Heureux en=-
core si nous en étions bien convaincus, et
si, par un aveuglement d'obstination et de
choix, nous ne voulions pas prendre les té-
nèbres pour la lumière, et suivie avec com-
plaisance les légèretés de notre esprit qui
nous conduisent d'erreur en erreur, et qui
nous engagent à combattre contre nous-mê-
mes, pour reprendre le chemin de la vérité!
Entrez bien en ceci.
Nous avons déjà dit qu'il y avait en nous
deux hommes, le vieil et le nouveau, Adam
elJésus-Chrisl. Le premier est plus ancien
que le second, si j'ose ainsi parler, c'est-à-
dire que nous appartenons bien plus à Adam,
malheureusement pour nous, qu'à Jésus-
Christ. Nous sommes, dit saint Augustin,
régénérés dans la pointe de l'âme, tout, est
firesque vieux en nous ; c'est ce qui fait que
es impressions du vieil homme sont plus vi-
ves que celles du nouveau. Nous avons bien
plus de pente au mal qu'au bien, aux ténè-
bres qu'à la lumière, à l'erreur qu'à la vé-
rité. Le mauvais sentiment est toujours le
premier qui se forme en nous. Ce qui est en
nous du vieil Adam est plus fort, plus vif,
plus agissant que ce que nous tenons du nou-
veau; les sens l'emportent sur la foi; l'er-
reur et le mensonge sur la vérité. Do là la
nécessité de combattre les obstacles qui s'op-
posent à notre retour vers elle, cl de faire
îles efforts continuels pour y arriver. Elle
est la nourriture de l'esprit de l'homme,
mais il est nécessaire qu'il travaille pour ve-
nir au point de s'en nourrir. Terrible diffé-
rence entre le premier homme cl nous 1 11
était dans le paradis terrestre, nous en som-
mes chassés. Là il cultivait la terre, mais ce
travail étail délicieux, dit saint Augustin ;
ici nous devons travailler pour être nourris
OllATIil/RS SACRÉS. XXX.
POUR UNE RETRAITE. 906
de la vérité; mais que ce pain nous coûte
cher! nous ne mangeons ce pain qu'à la
sueur de noire corps : In sudore vultus lui.
Ce fonds de terre ne produit plus que des
broussailles et des épines : Terra in opère
tuo spinas et tribulos germinabil libi : c'est-
à-dire que d'abord notre âme, remplie des
lumières de Dieu et pénétrée de la vérité,
n'était formée que pour contempler sa gran-
deur et pour s'élever à lui par de continuel-
les admirations, par des actes d'adoration
toujours nouveaux, par une application fixe
àla contemplation de ses divines perfections;
mais celte âme présentement ne peut pres-
que s'élever vers lui, et n'y pense que par
des intervalles fort courts. Elle est interrom-
pue par mille pensées vaines et frivoles dès
qu'elle songe à s'en occuper. Vous le savez,
mes chères sœurs, quelles sont les interrup-
tions auxquelles nous sommes sujcîs tous
les jours, dans l'application que nous vou-
lons donner à la méditation de la vérité.
Quelle foule de pensées inutiles nous acca-
blent, même malgré nous, et se glissent à
notre insu si subitement dans notre cœur,
qu'il n'est pas possible de s'en apercevoir et
de les remarquer 1 Ces sortes de pensées dé-
rangent les âmes, comme les vers réduisent
en poussière les vêtements. Vous pensez
trouver un habit pour vous vêtir, quand
vous allez dans un lieu que vous avez cru
propre à le conserver, et vous ne trouvez
plus qu'une poassière arrangée qui se dis-
sipe quand vous y louchez : ainsi on se met
en la présence de Dieu, on se forme un sujet
pour le méditer, on croit se remplir de
grandes vérités cl animer son cœur par de
pressants motifs ; mais l'esprit c-A emporté
par mille pensées vaincs qui se succèdent les
unes aux autres, et on se trouve, à la fin de
son temps, vide, froid et sans mouvement
pour le bien.
Il est vrai, mes chères sœurs, et vous le
savez sans doute, que l'on peut considérer
les distractions en deux manières : les unes
sonl involontaires cl surprennent les élus
mêmes dans la ferveur de la prière, et lors-
qu'ils s'efforcent davantage de se conserver
dans la présence de Dieu. 11 y en a d'autres
qui sonl volontaires, que nous nous procu-
rons à nous-mêmes, qui sonl les effets de la
légèrelé de notre esprit, qui se remplit do
mille idées inutiles , vaines , indignes do
nous. Il faut donc combattre c^s deux obsta-
cles que la légèrelé de notre esprit forme
au retour de la vérité en nous et à l'éléva-
tion de noire âme vers Dieu, source de loule
vérité. Les sainls oui gémi sous le poids de
ces légèretés involontaires, et voici c.ommo
sainl Grégoire, en a parlé : l.eurscœurs, ditee
saint pape, sont dans une solitude continuelle,
cl ils ressentent de vives afflictions lorsqu'ils
se voient troublés parles moindres de ces agi-
tations cl de ces mouvements. Par rapport à
celles qui sonl volontaires, et que l'espril se
procure à lui-même, on ne peut les regarder
(pie comme des effets de l'insensibilité et de
la durcie de noire cœur, du peu d'estime que
'29
907
ORATFt'R* SACRES D'-M JFP.OMF
008
nous faisons ia la vérité, ci du piu de res-
peel que nous portons à la m ij.slô de Dieu.
Car qu'est-ce que de se distraire <!e Dieu
quand l'égarement esl volontaire? Ceci quit-
ler le Créateur pour cherche* e( pour suivi"
la créature. C'ait se détourner de lui pour 10
tourner vers elle; ce qui M peut se faire
que l'on ne donne à la créature. dans le fond
de son cœur, une préférence secrète.
Qui peu. comprendre, dit encore saint Gré-
goire, le grand nombre de fautes que l'on
commet par des pensées vagabondes et in-
constantes auxquelles on s'arrête? On peul
aiaei éviter les occasions de péché, niais
il n'y a rien de si difficile que de garantir
son esprit tle pensées inutiles. Iïiles sont
plus dangereuses qu'on ne pense. Ellea ont
une malignité cacliée, et à moins que l'eu
n'y apporte des remèdes propn s et puis-
sants, elles infectent nos âmes, elles se ré-
p, mil. ni sur tout le corps de nos actions et
nous jettent dans un affreux aveuglement et
dans un déplorable éloignement de la vérité.
C'est donc, mes chères amure, une, occu-
pation très-nécessaire et très-importante que
de combattre ces sortes de pensées, que de
faire une guerre continuelle à son esprit et
détruire sans cesse cea sortes de pensées
pour ne s'occuper que de la vue et de la con-
templation de la vérité ; et c'est ce qui se
doit faire par l'application continuelle à re-
trancher de sa mémoire et de son imagi ri-
lion toute idée vaine et inutile, en s'inlerdi-
sant toute mauvaise curiosité de savoir et
de connaître une infinité de choses qui se
passent dans nos familles, auxquelles nous
avons renoncé; dans le monastère, de la
conduite duquel nous ne sommes point char-
gés ; dans la conduite de nos s-. "urs, dont
nous ne répondons point; en vrillant beau-
coup sur nous-mêmes, pour ne laisser entrer
dans notre esprit que des pensées propres
à nous élever vers Dieu et à nous conduire à
la vérité.
Ceci demande de la vigilance cl de l'atten-
tion; mais l'avantage d'éviter les maux où
nous jettent ces légèretés d'esprit, et celui
de nous rapprocher de la vérité, mérite bien
que nous nous appliquions à ce travail.
Tant que notre âme, dans le cours de no-
tre vie, sera comme inondée par le torrent
de ses passions, il esl impossible qu'elle ne
.soit agitée pur une multitude de pensées ;
mais ('est à elle à veiller et à appui 1er tous
ses soins pour voir quelles sont celles à qui
elle doit donner entrée : car si elle s'occupe
par le désir de s'avancer dans la perfection,
par l'espérance de la gloire, par la contem-
plation de la majesté de Dieu et des choses
éternelles , les pensées saintes qui se seront
élevées de ces saints exercices nous rappro-
cheront de la vérité, et, en arrêtant les lé-
gèretés de notre esprit, serviront beaucoup
a fixer les inconstances de notre cœur. Les
dispositions de ce cœur Ue son! pas meil'e l-
rea que celles de notre esprit ; si notre esprit
a des légèretés, notre cœur a ses ineouslan-
. Il faut pour le moins autant d'attention
et de travail pour fixer les unes que pour ar-
rêter les antres : le mal vient de la même
source; car comme l'esprit Ml ht ponr la
vérité, le cœur l'est pour la justice. L appli-
cation de l'un esl de conn litre, et celle de
l'antre est d'aimer; cl la bonheur de l'un et
de l'autre cou iste à posséder Dieu et à être
rempli de ce grand objet par la oouMniesanM
cl par l'amour; c'est ce qui fait la f< '
.Mais comme 1 un et l'autre par le | (••
sont détachés de cet objet [i ur retomber sur
la créature, l'un cherché à se remplir de
vainej connaissances a la place de la \> rite
qu'il a quittée, et l'autre court après un
bonheur qu'il imagine dans la jouissance des
créatures; c'est la source de ci
( es plus dangereu i i encore que les lé
tés de l'esprit.
Pour bien entendre ceci, et c'est notre se-
conde rélle\ion, il faut savoir que l'homme
a été fait pour Dieu, et que l'excellence de i;i
nature consiste en ce qu'il l'a r udu capable
de le posséder. En effet. Lieu nous a faits
/tour lui, et mire cœur est toujours sJautJ I n-
i/italion et dans le trouble, tsasfas'd ce qu'il
soil au point de ne elierclter son repos qu'en
lui, dil saint Augustin. La sour e de se-
talions et de sis incons ncei vient de n'être
pas convaincu qu'il ne peut trouver de f r-
melé et de solidité que dans le Créateur : I
cherche parmi les créatures ce qu il n'v
trouvera jamais; il voltige d'objet en objet,
cl, ne trouvant qu'un grand vide partout, il
cherche toujours et ne se repose jamais. Or,
quiconque est tourmenté est malheureux ; la
misère et le bonheur ne sauraient subsister
ensemble dans un même homme, il faut donc
revenir à Dieu, car nous ne saurions être
h "ureux que par la possession de ce qui est
meilleur que nous; mais, pour revenir à lui
solidement, il faut fKer les inconstances du
cœur; il faut renoncer aux créatures, cl re-
trancher toutes les liaisons qu'un faux amour
et l'idée d'un bonheur trompeur voudrait en-
tretenir avec elles.
Il fait se dérober à ce cœur tourmente,
séduit et malade; et ne nous imaginons pas
que ce soil une chose si difficile, proposons-
nous seulement d'ouvrir les yeux pour n'être
plus trompés, désirons d'être guéris ; consi-
dérons les créatures en elles-mêmes, et les
objets qui causent les inconstances de notée
CiBUf , et assurément nous revien. Irons à
Dieu. L'homme était heureux, il a quitté son
bonheur pour courir après les créatures, et
il ne trouve partout que du vide: mais Dieu
a rendu les créatures si pauvres, qu'elles ne
peuvent lui donner de consolations solides.
Il faut donc qu'il revienne à lui. L'amertume
même des peines que la miséricorde de Dieu
nous fait s ruffrir, en punition de ce que nous
nous sommes laisse séduire, devient . entré
les mains de sa miséricorde, un moyen pool
nous faire revenir à lui. Donnons-lui donc,
mes chères sœurs, toutes les affections de
notre c t r, arrachons les moindres i
qui pou. raient nous lier le moins du m
aux créatures. Je sai i ien que t ul amour
jour les créaiuree n'est pas mortel,
qu'il n'est pas toujours dominant, mais il est
909
HUITIEME DISCOURS POUR UNE RETRAITE.
toujours dangereux , c'est toujours un com-
mencement d'infidélité, et ce seul mol doit
faire trembler une épouse.
Prenons pour notre règle celle de saint
Bernard : Modus diligendi Deum sine modo
diligere. la mesure de notre amour, c'est
d'aimer sans mesure, et de ne rien admettre
dans notre cœur qui puisse affaiblir notre
amour. Celui qui aime véritablement, dit saint
Jean Climaquc. se représente sans cesse le vi-
sage de la personne qu'il aime , et le regarde
arec tant de joie dans sa seule pen e'e , que le
sommeil même n'est pas capable de détourner
son affection, puisqu'elle lui en fait même voir
l'objet en songe. Il en doit être ainsi de l'amour
de Dieu : c'est ce qui fait dire à l'épouse des
Cantiques, blessée du trait de l'amour divin :
Je dors , par la nécessité de la nature; mais
mon cœur veille , par la grandeur de mon
amour.
Après tout, mes chères sœurs, ne nous
plaignons ni de la jalousie, ni des sévérités
de la délicatesse que nous devons apporter
dans notre amour pour le Créateur : c'est
moins pour lui que pour nous-mêmes qu'il
veut nous arracher si absolument aux créa-
tures , et anéantir dans notre cœur toute
affection et toute pente vers elles; car nous
ne devons aimer que les choses dont la pos-
session nous peut rendre heureux. Or on ne
saurait jouir en paix de ce que l'on sent bien
qu'on doit perdre, et comment peut-on être
heureux étant continuellement tourmenté
par la crainte de perdre ce qu'on aime?ei telles
sont toutes les créatures et tous les biens de
celte vie. C'est donc un effet de la bonté de
Dieu de se substituer en leur place , lui qui
est le seul bien qui peut nous rendre heu-
reux , et que rien ne nous peut ôter malgré
nous. Mais comme on n'arrive à la possession
de ce souverai i et de cet unique bien de
l'âme que par la pratique du bien, disons un
mot de la nécessité de surmonter les rési-
stances qui se rencontrent pour pratiquer ce
bien.
Nous avons déjà dit que le corps livrait un
combalcontinuel à l'esprit, etqu'il formait des
résistances à tout le bien que l'esprit voulait
entreprendre; c'est donc notre principal en-
nemi, contre lequel nous evons toujours
être armés. N'écoulons pas le monde , qui
enseigne que ce n'est pas viv.c que de se
combattre et se renoncer continuellement soi-
même, licuuions Jésus-Christ an contraire,
qui nous dit parla bouche de son Apùtro :
Si vous fuites mourir par l'esprit les œuvres
de la chair, vous vivrez, En effet, mes sœurs,
comme le corps qui aura élé soumis à I es-
pril , et qui aura servi d'instrument à ses
bonnes œuvres , sortira immortel Ju tom-
beau, où il aura été exposé à la corruption,
la mortification et la pénitence le conservera
et le préparera à la bienheureuse immorta-
lité : la h. oit qui nous detruil est un passage
à un étal plus heureux, elle nous fait naître
pour l'immortalité , perdant qu'on croit
qu'elle nous anéantit.
Ainsi, mes chères sœurs, ceux qui comme
vous IM se contentent pas seulement de re-
910
fuser à leurs corps les délices de la vie, mais
qui les affligent par les austérités de la péni-
tence, et qui les tiennent dans un assujettis-
sement continuel par les exercices d'une
mortification vive, continuelle et sans relâ-
che , passeront toujours , au jugement des
hommes sages, pour ennemis d'eux-mêmes ,
quoiqu'ils soient du nombre de ceux qui s'ai-
ment le plus et qui cherchent leurs intérêts
avei plus d'ardeur. N'interrompez donc point
celle guerre innocente, mes très-chères sœurs;
animez-vous-y au contraire de plus en plus,
puisqu'elle doit vous procurer une paix éter-
nelle. N'oubliez jamais que l'emploi d'une
vierge chrétienne sur la terre, c'est de com-
battre; que son devoir, c'est de vaincre , et
qu'elle trouvera sa gloire et son triomphe
dans le sein de l'immortalité : je vous la sou-
h iite. Ainsi s oit-il.
HUITIÈME DISCOURS.
Ego atilein Christi.
Peur moi je suis à Jésus-Christ (I Cor., I, 12).
Une parfaite religieuse, livrée entièrement
à Jésus-Christ par sa profession, doit pren-
dre pour sa devise ces paroles de saint Paul :
Pour moi, je suis à Jésus-Christ. Il s'agit
maintenant d'examiner l'étendue de ces cn-
gagementsavec Jésus-Christsous ces qualités
d'époux et d'épouse, puisque nous avons exa-
miné les autres devoirs sous les différents
caractères que sa profession sainte lui im-
prime. Or il n'y a point d'engagement plus
universel que celui qt.e contracte une épouse
avec son époux ; c'est pourquoi, dit le Fils de
Dieu , L'homme abandonnera son père et sa
mère , et il demeurera attaché à sa femme; et
ils formeront tous deux une société plus in-
time et plus inséparable que celle des pères
et des mères avec leurs entants ; société d'âme
et de corps, de vie et de biens.
C'esl donc sur l'idée de l'union de l'époux
et de l'épouse qu'il faut, selon saint Bernard,
que nous formions l'idée de celle qui doit
être entre l'épouse, selon la foi, el Jésus-
Christ qui est l'époux. Or voici comme parle
saint Bernard : Une épouse livrée à son
époux n'a plus rien qui lui soit propre; tout
est commun, lout est confondu; il faut qu'il
y ail une seule el même communauté de
biens, une iréme lablc , et vivre des mêmes
aliments : Çuibus omnia communia nihil a se
divisum hubentibu* , una hœr éditas , una
domus, una mriisa, unus cibus. Ainsi l'épouse
livrée entièrement à son époux doit n'avoir
d'autre bien que celui de son époux , ni
d'autre volonté que la sienne. Expliquons
ceci , mes chères sœurs.
Il est à propos, pour animer noire recon-
naissance envers un époux qui a tout fait
pour nous, que je, vous dise que l'on cherche
ordinairement une sorlc d'égalité entre les
personnes que l'on veut unir par celle al-
lianre. Si l'on veut qu'un mariage soit heu-
reux, on le fait entre des personnes égales;
. is où trouver de l'égalité entre Jésus-Christ
et les âmes qu'il choisit pour ses épouses?
C'esl un roi , el nous sommes ses vassaux ,
quelle différence I H y a plus : quelles sont
!)il
les qualités «le rot époux cl de ce roi, et
quelles sont tes vôtres? 11 est saint, et vous
êtes blessées Je la plaie du péché . 11 est libre
et souverain , et vous éles esclaves et char-
gées des chaînes du péché. Il est roi et plein de
richesses, et vous éles dépouillées et réduites
à la plus profonde misère; quelles opposi-
tions! Cependant il vous a choisies et vous
a enrichies de ■•es grâces : et pour vous faire
comprendre rétendue de sa miséricorde, il a
jeté les veux sur vous, quand il vous a donné
sa grâce, afin qu'il trouvât en vous quelque
chose d'admirable cl digne de lui. Quelle
gloire, mes chères sœurs , que d'entrer dans
une telle communauté , et quelle obligation
de lui garder la fidélité dans les devoirs que
vous avez contractés par une telle alliance!
Or, comme les biens sont confondus dans les
alliances humaines, il faut dans ceilc-ci que
l'épouse n'en ait plus d'autres que ceux de
son époux : Una hœreditas, una domus. Mais
quels sont les biens de l'époux qui vous a
choisies et à. qui vous vous éles livrées? C'est
la pauvreté. 11 a dit dans l'Evangile qu'iï n'a
pas où reposer sa (été ; de riche qu'il était , il
s'est fait pauvre , dil l'Apôtre, pour vous en-
richir; né dans un établc , exposé aux inju-
res de l'air, ayant mené une vie obscure et
cachée dans le travail et dans la dépendance,
mort nu sur une croix, enterré dans un sé-
pulcre d'emprunt, il a ennobli et consacré la
pauvreté dans sa personne. Quel est l'héri-
tage de ses enfanis sur la lerre? La pauvreté,
l'abnégalion de soi-même, le dépouillement,
enfin le détachement intérieur de tout ce qui
s'appelle biens, richesses, honneurs, luxe et
inagnificcnccll rejette ceux qui ne renoncent
pas aux biens périssables, lln'admc'lra donc
jamais au nombre de ses épouses celles qui
n'auront pas renoncé à ces sortes de biens ,
il n'admet point des biens étrangers dans sa
famille, où tout doit cire spirituel.
Comprenez bien , mes chères soeurs, jus-
qu'où doit aller celle pauvreté cl l'amour
de celle verlu pour avoir quelque rapport
avec le dépouillement de Jésus-Christ et la
pauvre'é où il s'est réduit pour se mettre en
état de faire alliance avec nous. Saint Ber-
nard nous l'apprendra, car il veut que dans
Ja pratique de cette vertu , pour la rendre
parfaite et pour nous assurer qu'elle est en
nous au point où elle doit être , afin de ré-
pondre à ce que nous devons à Jésus-Christ,
nous nous fassions une loi de ne rien deman-
der cl do ne rien désirer. En effet , pour élre
véritablement pauvres avec notre époux , il
ne suffit pas , mes chères sœurs , d'avoir re-
noncé à la propriété de vos biens et de vous
être réduites à ce dépouillement extérieur cl
à celle désapproprialion essentielle à votre
état, et qui est une suilc nécessaire de voire
profession ; il faut que celle disposition ex-
térieure soit soutenue et animée d'un senti-
ment intérieur et d'un détachement plein et
entier produit par la foi qui nous attachée
Jésus-Christ pauvre, et qui nous fasse aimer
l'esprit de pauvreté. Car prenez garde que
ce n'est pas la pauvreté qui fait les vrais
pauvres tels que Jésus-Christ les demande ,
ORATEURS SACRES. DOM JEROMK 012
c'est l'amour de celte verlu ; comme ce ne
sont pai les tourments et les supplices qui
font les marl)rs , mais la charité , l'amour
de Dieu, la cause Je Jésus-Christ et les inté-
rêt! de la foi et de la vérité , pour la défense
de laquelle ils souffrent : A'o» est pvim, ted
causa ; autrement il tau Irait honorer les
chaînes d'un scélérat. Disons la même < bote
de la pauvreté : Non pœna, sed causa ; sans
cela il faudrait respecter les haillons d'un
misérable.
C'est dans la disposition du cœur que se
trouve la verlu. Heureux , dil Jésus-Christ ,
les pauvres d'esprit , c'est-à-dire qui oui l'es-
prit et l'amour de la pauvreté ! Beatt jkiu-
peres spirilu! Or. cette disposition ne sera
jamais telle qu'elle doit élre, si une épouse
n'est pas dans la disposition de ne rien de-
mander. Elle est dépouillée d< tout droit sur
les choses périssables ; elle doit s'abandon-
ner pour loutes clioses à la Providence ; elle
n'a d'aulre ressource que les soins de son
époux pour elle ; elle doit se ressouvenir
qu'il n'avait pas lui-même où reposer sa
tête. Loin donc d'une épouse de Jésus-Christ,
non-seulement les empressements , mais les
soins pour les choses qui sont dans la classe,
du superflu, pour les commodités , pour les
choses plus belles , plus propres, plus cu-
rieuses ; ce qu'il y a de plus simple, de plus
vil et, comme disait saint Ambroise, ce qui est
moindre aux yeux, forme en nous les plus
beaux traits de ressemblance de Jésus-
Christ.
Une épouse ne doit rien désirer des choses
périssables ; car le désir est l'effet de l'a-
mour, et l'amour île ces choses périssables
est incompatible avec les dispositions du
cœur que nous venons de supposer ; car
c'est l'amour de la pau\rcté qui fait le pau-
vre et l'amour des richesses qui fait le riche;
ce qui fait dire à saint Augustin : Abraham
a été pauvre dans les richesses, parce qu'il
les a possédées sans les aimer ; c'est pour
cela que Lazare, qui était dépouillé des biens
de la lerre , est porlé dans son sein par les
mains des anges , comme dans le trône de
la pauvreté qui régnait dans le cœur de ce
patriarche. Et ne serait-ce pas se rendre dou-
blement misérable , que de porler les désirs
de son cœur vers des choses qu'on a quittées,
en risquant de perdre celles qu'on a préten-
du acquérir en les quittant?
Enfin, la marque sûre que le cœur est
dans la disposition où il doit être à l'égard
de la pauvreté , c'est si l'on se sent dans la
tranquillité lorsque quelque chose vient à
nous manquer. Une épouse de Jésus-Christ
doit être dans la même égalité d'âme lors-
que quelque chose lui manque.
Mais à quoi servirait celle communauté
de biens cl celle réunion du même esprit de
pauvreté, si l'union des volontés dans le reste
des actions ne l'aceompagne pas ? il ne suf-
fit pas que les biens soient communs, il faut
que les cœurs soient unis et que les \ "tou-
tes soient confondues : car que serait-ce si
elles étaient opposées? c'est ce que saint
Bernard explique , eu disant qu'il faul n'a-
915
HUITIEME DISCOURS POUR UNE RETRAITE.
914
voir plus d'autre table ni d'autre nourriture
que celle de son époux : Una mensa , unus
eibus.
Pour bien entendre ceci , il faut se rap-
peler une expression du Sauveur du monde,
qui nous a dit dans son Evangile que sa
nourriture consistait dans l'accomplissement
de la volonté de son Père : Meus cibus est ut
faciam voluntatem Patris met. Or, le Sauveur
du monde a voulu nous apprendre par celte
expression que, comme la nourriture est un
principe de vie, parce qu'elle sert à l'entre-
tenir, c'est par l'accomplissement de la vo-
lonté de son Père qu'il a entretenu sa vie
comme homme , et même qu'il ne l'a reçue
que pour accomplir cette volonté ; car c'est
l'obéissance seule qui a formé l'être de
l'homme nouveau, comme la désobéissance
a formé celui du vieil homme. Par la déso-
béissance d'un seul, tous sont morts, dit saint
Paul , et par l'obéissance d'un autre , tous
ceux qui vivent ont reçu la vie. Le nouvel
homme est donc formé pour obéir : In capite
libri scriplum est de me, voilà le principe de
sa vie ; c'est pour obéir qu'il est né ; il n'a
entretenu celte vie qu'en obéissant : Meus ci-
bus est facere voluntatem Patris mei , c'est ce
dont il s'est nourri; il n'a fini sa vie que par
obéissance ; Filius hominis secundum quod
scriplum est vadit , c'est la la perfection efc
la consommation de son être. Or, si Jésus-
Christ est fait pour Dieu , selon l'expression
de saint Paul , le chrétien est fait pour Jésus-
Christ : Vos aulem Cltrisli. Jugez, mes chères
sœurs, quelle doit être la conformité et l'u-
nion de la volonté d'une vierge chrétienne à
celle de Jésus-Christ par les simples engage-
ments communs de tous les chrétiens. Comme
il n'a reçu la vie que pour faire la volonté do
son Père , qu'il n'a vécu qu'en la faisant ,
qu'il n'est mort que pour l'accomplir, une
vierge ne vit que pour faire cotte volonté :
Vita in volunlale ejus.
? C'est la pensée de saint Augustin, qui ap-
pelle l'obéissance la seule et l'unique vertu
des chrétiens. Kt en effet, comme la déso-
béissance peut êlrc appelée le péché univer-
sel , parce que tous les péchés se sont trou-
vés renfermés dans la révolte du premier
homme contre Dieu , la dépendance et la
soumission peut donc aussi être appelée la
verlu universelle , parce qu'elle renferme
loutcs les autres.
Rien n'est donc plus important que de ré-
gler sa vie sur la volonté du Seigneur, et
l'alliance que vous avez formée avec votre
Epoux ne peut subsister que par celte con-
formité et par cetle union intime do votre
volonté avec la sienne. Or, mes chères sœurs,
la volonlé de votre Epoux vous est marquée
par vos règles et par les commandements et
les ordres des personnes qui vous conduisent
en son nom et qui sont revêtues de son au-
torité. C'csl l'avantage de votre état que tout
soit fixe, que tout soit déterminé, que toute.-,
vos démarches soient réglées ; car un des
grands obstacles au salut des gens du siècle,
c'est l'incertitude de leurs voies , non pas
qu'ils n'aient des règles, car outre les com-
mandements marqués si précisément , et lo
grand précepte de l'amour de Dieu , chaque
état a les siennes , il ne s'agit que de les ap-
pliquer ; mais la nécessité d'entretenir com-
merce avec le monde et les besoins différents
des étals où ils sont liés, les jettent dans des
maximes qui affaiblissent en eux l'amour de
Dieu cl les éloignent de la voie des pré-
ceptes, si elles ne forment pas même sou-
vent des oh'lacles presque invincibles à leur
accomplissement. Pour nous , mes chères
sœurs, tout est réglé dans notre état, toutes
nos voies sont sûres , et en marchant par
celles de l'obéissance , nous ne saurions
nous écarter de la voie du salut.
Il faut donc qu'une épouse fidèle n'écoute
plus que la voix de son Epoux et qu'elle
n'ait plus d'autre volonté que la sienne ,
qu'elle apprendra toujours sûrement de la
bouche de ceux qui la conduisent en son
nom et de la règle à laquelle elle s'est vouée.
La disposition où doit être l'épouse fidèle
est donc de n'avoir aucun mouvement que
celui qu'on lui donne. Les moindres choses
deviennent pour elles des mériies infinis,
quand elles sont faites par obéissance ; les
plus grandes sont de nulle valeur quand on
les entreprend par sa propre volonté. Mais
finissons en disant que , pour rendre votre
communauté parfaite avec l'Epoux adorable,
qui vous a choisies pour ses épouses par sa
grande miséricorde , vous ne devez point
avoir d'autre couche que celle de votre
Epoux : Unus lhorus,una cliam caro, comme
dit saint Bernard. Vous comprenez sans
doule que celte couche de voire Epoux c'est
la croix , sur laquelle il a engendré l'Eglise,
comme parlent les saints Pères , et qu'étant
unies à lui en qualité d'épouses , il faut que
vous ne fassiez avec lui qu'une seule victime
digne d'être offerte au Père éternel. C'est le
devoir d'une épouse fidèle de suivre en tou-
tes choses le sort de son époux , et toutes
celles qui portent celte glorieuse qualité doi-
vent s'appliquer ces paroles de saint Paul :
Nous sommes des brebis destinées à être
égorgées : /Eslimati sunuis sicut oves occi—
sionis ; mais pour vivre conformément à
cetle glorieuse dcslinalion, il faut, mes chères
sœurs, ne se ménager sur rien. Il faut qu'une
épouse de Jésus-Christ ait toujours le glaive
à la main et qu'elle cherche continuellement
dans sa conduite de nouvelles victimes et de
nouveaux sacrifices à présenter à Dieu par
Jésus-Christ , afin qu'elle puisse dire avec
saint Paul : Chrislo confixus sum cruci , je
suis collée sur la croix ; Vivo eqojumnonego,
vivit vero in me CUrislus : Je vis, il est vrai ,
mais c'e t par Jésus-Christ et pour Jésus-
Christ, car c'est lui qui vil en moi
Tel doit être le fruit de votre retraite, mes
Ires-chères sœurs , et telle ai— je sujet d'es-
pérer qu'elle sera par la miséricorde de
Dieu.
l'Rlï.lli; l'OUll LA UN DE LA RBTBAITB.
J'ai reçu, mon Dieu! les lumières qu'il
vous a plu de répandre sur moi dans cette
retraite , où je ne suis entrée que pour up-
H8
prendre votre volonté el je vous en rends de
iinbles fictions de grée , Seigneur,
je ne suis point en af turance , quoiqu'il me
terrible </ue je connaisse ee qu voue voulez te
moi. Faites que la lumière, de la vérité dissipe
n 'S épaisses ténèbres, et (I qui pounai-je m'a-
dre<ser pour empêcher que met faible ses et lu
corruption de mm eeeîtr ne ma téduieenl , aï
ce n'est à vous ! J vous deman le don , Sei-
gneur, votre iirâce, afin qaeHe dissipe et t dan-
gereuses ténèbres qui m'ont empêché jus u'ici
de voir aussi clairement les vérités que v >us
m'avez découvertes ; je vous li demande, cette
gréce qui donne V amour de ces vérités , celte
grâce qui peut seule me les faire pra
di'/nein nt , cette gréce , enfin , qui , me ren-
dant toujours ottenthe à l'union que fa con-
tractée arec Jésus-Chrisl dans mon l/apléine ,
et que j'ai renouvelée dans ma profession, le
tienne louj nirs appliquée « combattre mes
passions et à détruire le vieil komms perr te
glaive d'une morti/icalion continuelle , afin
que je puisse dire, comme votre Apô're : Ce
n'est plus moi qui vis , c'est Jésus-Chrisl qui
vil en moi. Ainsi soit-il.
S— ■ i -. i ■ ■ - - i ■' <
SERMON
POUR LA SOLENNITÉ DES SAINTS DE L'ORDRE.
Prêché dans un couvent de filles.
Filii sanctorum sumiis, et vilam illam exspectamus quam
Deus daturus est liis qui (idem suam nuuquam mutant.
ab eo.
Nous sommes enfants des saints, et nous attendons celte
vie que Dieu doit donner à ceux qui ne violent jamais la fi-
délité qu'ils lui ont promue (Tob., II, 18).
Ainsi parlait 'c saint homme Tobie dans
sa famille, pour animer ses parents et ses
alliés à la \erlu et !os soutenir dans la prati-
que du bien : Ne parlez pas comme vous fai-
tes, leur disait-il, rien n'est perdu de ce que
nous faisons pour Dieu; souvenez-vous qw.
nous sommes les enfants de< saints. Nous ap-
partenons i Abraham, êi Isaac et êi Jacob.
Leur conduite doit régler la nôtre. Nous at-
tendons celte vie que Dieu doit donner à ceux
qui ne violent jamais la fidélité qn'ih lui ont
promise. Ainsi parlerai-je aujourd'hui, mes
Ires-chères sœurs, dans la famille de saint
Augustin, où nous nous trouvons pour so-
lenniser la fête de vos saints frères, et pour
nous animer à la pratique des vertus q u i tes
a couronnés de cotle gloire immortelle. Je
ne ferai que vous expliquer simp'emrnt les
paroles de mon texle; elles renferment trois
choses qui me paraissent fort propres à nous
faire entrer naturellement dans l'esprit de la
solennité qui nous assemble : la première,
c'est l'alliance que Tobie el sa famille avait
avec les saints qu'il représente à ses proches:
Filii sanctorum sinnns; la sceonde, c'est la
vue de cette vie bienheureuse qu'ils atten-
daient : Vitam illam exspectamus ; la troi-
sième, c'est la condition sous laquelle elle
csi promise, et la voie qu'il faut tenir pour
y arriver: Quam Deus daturus est his qui
fidetn suam nunquam mutant se M. Or, nies
sœurs, je regarde les sainls dont nous solen-
nisons aujourd'hui la mémoire sous trois
.du II- IBS SACRES. DOM JEROME. IM
qualités différente--, et dans ces trois qu ali-
i lelles nous rendons lis lion-
publics à des hommes si saint», je
trouve des motifs admirables pour n>>us ani-
mer à suivre leur conduite, cl pour nous
soutenir dans la pratique des verlus dont ils
nous ont donné l'exemple.
I Cmmm vos fi «t- i, i u s devez avoir p.irt
aux biens qu'ils possèdent : ils on1 été vos
i , Dieu par sa miséricorde vou-aéfi-
. eux par une vocation commune; c'est
votre gloire, nous sommes les enfanls des
sainls : premier.' partie. S* ComOM lunlieii-
rcux.nous honorons I i grandeur et la m
li en de i-'i ■, qui les a couronnés et dont
vous attendez la mime ré..-.,mpcii-t- Us Ml
bienheureux, vous êtes appelées à la même
félicité qu'ils possèdent; c'est votre espé-
rance, nous attendons cet'e vie : deuxième
partie. 3" Comme justes, nous applaudissons
à leurs combats et à leurs victoires : ils ont
été justes, et leur justice les a rendus dignes
de l'éternelle félicité; il faut les suivre dans
les voies de la justice, Dieu ne la doit don-
ner qu'à ceux, qui ne violent point la fidélité
qu'ils lui ont promise : troisième parlie.
Voilà, ce me semble, l'esprit de l'Eglise
dans la solennité qui nous assemble. Deman-
dons à Dieu qu'il nous y fasse entrer par le
sien, et recourons à l'intercession de la sainte
Vierge. Ave, Maria.
PREMIÈRE
C'est un grand sujet
nous, mes très-chères
temps la matière d'une pro'onde reconnais-
sance envers Dieu, de ce que par son infinie
miséricorde il a bien voulu noua égaler aux
sainls de qui nous faisons la mémoire : cl
c'est ce qui fait que nous pouvons commen-
cer ce discours en vous disant ce q
Paul disait aux Colossiens : Rendez grd es à
Dieu qui vous a rendus dignes d'avo r part su
sort et à l'héritage des saints. Eu i (Tel, qu'a-i-
il fait sur la terre pour ceux que nous hono-
rons en commun, qu'on ne puisse pas dire
en un sens très-véritable qu ii a fait | oor
chacun de nous en particulier? Il n'y a pas
une de vous à qui nous ne puissions dire qu'il
luiadonné, comme l'esprit de Dii u le d.i de
Moïse, parla grâce de >a vocaii m, un pria-
PARTIE.
de consolation pour
sœurs, cl en mémo
<i|ie et une source de gloire semblable à
celle des saints.
Retraçons l'idée de ce qu'il a fait pour" vos
sainls frères, alin devons remettre devant
les veux ce qu'il a fait pour vous, el pour
y voir cote heureuse égalité qui fait votre
gloire, afin qu elle ne soit pas un jour le su-
jet de votre condamna i. m. Or, mes sœurs,
vous trouverez ce qu'il a fait pour c ix dans
ces paroles de saint Paul : Il les a (lus
en lui avant la création du monde par l'a-
mour qu'il leur a porc, afin qu'ils / |
wmlS el irrépréhensibles devant tes yeux. Le
motif de leur élection a été s ! mie,
c'est par l'amour qu il leur a p rie. H u v a
nulle autre cause de ce choix. Je vous ai
choisis el je vous ai sépares de Unis les au-
tres, parce que je vous ai a. mes. L'effet do
917 SEKMON POUR LA SOLENNITE DES SAIM'S DE L'ORDRE
ce choix, c'est de les avoir rendus saints. Il
<M8
ne les a point choisis parce qu'ils étaient
saints; car l'Apôtre dit qu'ils ont été choisis
avant la création du monde. Il a donc pensé
à les former pour lui avant qu'ils fussent en
état de penser à lui, aGn que vous fussiez
particulièrement à lui.
Mais peut-être me direz-vous : il les a
choisis parce qu'ils devaient êlre saints.
Dites plutôt, pour parler le langage de l'E-
criture et ne vous pas éloigner eu sens de
saint Paul; ils sont devenus sainls, parce
q d'il les a choisis, le décret de leur élection
renfermant la grâce qui a produit en eux le
mérite qui les a rendus sainls et irrépréhen-
sibles aux yeux de Dieu, selon les desseins
éternels de sa miséricorde sur eux.
Enfin le fruit et la consommation de ce
choix, c'est qu'il les a rendus dignes d'avoir
part à l'héritage des saints, dont il les a mis
en possession pour couronner en eux tous
les dons de sa miséricorde. Or présentement
il s'agit de vous faire voir que ce qu'il a fait
pour vos frères il le fait pour vous, et que,
par un effet de sa grande miséricorde, il
vous a égalées à eux. En effet il vous a choi-
si, s : car par où êtes- vous entrées dans l'é-
tal où vous êtes à présenl, si ce n'est pas
par une suite du choix qu'il a fait de vous
par préférence à un nombre infini d'autres
créatures qu'il a laissées dans le train ordi-
naire de la vie?
Hé 1 quel dut être le motif de ce choix? sa
miséricorde et sa bonté par rapport à vous;
car quel mérite lui avez-vous offert pour le
déterminer à ce choix ? Formées dans lin i—
quilé, conçues dans le péc!.é, nées dans l'air
in'ec é du monde, si cont ifjieux et si con-
traire à la sainteté de votre baptême, élevées
dans ses maximes, peut-être déjà pénétrées
du dangereux amour de ses faux biens, liées
à des conditions et à des fortunes qui allaient
v.;us jeter dans le torrent de la corruption
qui entraîne presque tous les hommes, c'est
dans ces dangereuses et funestes dispositions
qu'il vous a prises. Où donc trouver des mo-
tifs <!e son choix par rapport à vous, sinon
dans le fonds inépuisable de sa bonté?
Mais quel a été l'effet de celle élection et
•le ce choix? Qu'a-t-il prétendu en vous éga-
lant à vos sainls frères? le voici : il a voulu
que, vous ayant égalées à eux dans la dignilé
et dans l'avantage de la profession, vous leur
devinssiez semblables dans le mérite et dans
la sainteté. C'est dans eette seconde vue de
sa miser corde sur vous qu'il en a attaché
les moyens à la grâce de votre vocation; car
qu'a-l-il fait en vous appelant? il vous a fait
sortir des voies de l'erreur ei it l'égarement;
mais ce n'est pal tout, il vous a introduites
dans le royaume de son Fils bien-aimé, et
ce royaume, c'est l'Eglise; et les assemblées
différentes des vierges < hréliennes dans l'E-
glise font la plus illustre portion du troupeau
de Jésus-Christ : portion du troupeau choi-
si ', re fermée dans des lois plus précises,
conduite par un chemin plus court et plus
sûr, et dirigée par un pasteur attentif et ap-
pliqué. C'i si donc, mes chères sœurs, aux
règles de voire étal et à la fidélité à les gar-
der que Dieu a attaché les voies de votre
sanctification; c'est en les observant avec
exat litude, avec ferveur, avec respect, avec
humilité, avec simplicité, avec patience, que
vos sainls frères se sont sanctifiés, et c'est
en les imitant dans celte fidèle observance
que vous vous sanctifierez.
Disons donc ce que saint Paul disait aux
Galates : La circoncision ne sert de rien ; c'est-
à-dire que ce serait une dangereuse illusion,
mes chères sœurs, que de prétendre attacher
votre sanctification à des pratiques d'austé-
rité que votre règle n'ordonne pas, pendant
que vous négligeriez ce qu'elle vous com-
mande, et de chercher dos voies étrangères
pour arriver à la perfection, pendant qu'il
n'y en a plus d'au!res pour vous que celles
que Dieu lui-même vous a marquées en vous
liant à un état où se s ni sanctifiés tant do
sainls et de saintes de qui vous célébrez au-
jourd'hui la mémoire. Ne vous y trompez pas,
mes chères sœur?, les voies étrangères pa-
raissent droites et assurées, et souvent au
lieu de conduire à la vie, elles mènent à la
mort. C'est de ceux qui suivent ces voies que
parle saint Augustin, quand il dit: Vous pré-
tendez entrer dans le port, mais par la route
que vous tenez, votre barque va se briser c li-
tre les rochers.
Cette réflexion me conduit naturellement
à ma deuxième proposition : ce n'esl point
assez que la miséricorde de Dieu vous ait.
égalées par la vocation à vos saints frères
de qui vous faites la mémoire; ils vous assu-
rent encore le droit que vous avez à l'héri-
tage dont ils sont allés prendre possession.
Itcgardez-les donc maintenant comme des
bienheureux qui possèdent une gl >ire à la-
quelle nous sommes appelés, et sur laquelle
nous avons droit, comme enfants du même
père qui les a couronnés : c'est le sujet du
deuxième point.
DEUXIÈME PARTIE
Ledroità l'héritage est acquis aux enfants:
Quod filii, et hœredes, dil l'apôtre saint Pau! ;
le pacte que Dieu avait fait ave:- les Juifs
s'accomplit avec les chrétiens : Vous serez
monpeuple, leur dil-il, et in ferai votre Dira.
Il leur promettait ce que les rois de la terre
peuvent donner à des peuples fidèles, des
biens temporels, une félicite passagère, des
héritages qu'il faut quitter; et il donne aux
chrétiens ce qu'un Dieu seul peut donnera
des créatures fidèles, des biens éternels, une
félicité fixe et permanente, un héritage d gne
de lui, dit saint Augustin. C'est, mes chères
sœurs, un second degré d'égalité qu'il a | lu
à la miséricorde de Dieu de mettre entre vos
sainls frères et vous. Comme eux, il vous a
choisies pour ses enfants ; comme eux, vous
l'avez choisi pour votre père. Vous pouv z
lui dire comme eux : Vous voyez q'e nour.
avons tout (/uitté. et que nous vous avons
suivi, (juell' réconiptnse nous donnerez-cous?
El il vous répondra : Jr vous assuve (jur vous
serez assis sur douze Irônrs, ri que vous juge-
rez les douze tribus d'Israël. Un peut donc.
y tu
<>i;\ll I ItS >\i RKS DOM il ROME.
vous dire que c'est ici pour vous le (aherna-
elo «le Dieu avec les hommes. Il demeurera
avec eux, et ils seront sou peuple, et Dieu
demeurant en eux sera leur Dieu. Je ne sau-
rais douter, mes chères sœurs, que vous ne
sentiez des désirs ardents d'entrer en posses-
sion de celte gloire qui vous est promise ;
car c'est la situation du cœur d'un véritable
chrétien, et nul n'est digne de porter cette
qualité qu'il ne scnlece désir, toutes les fois
qu'il dit à Dieu : Que votre règne arrive :
Advcniat regnum luum.
Car après tout qui est-ce, dit saint Cypricn,
qui, se voyant séparé de ses proches, ne dé-
sire pas d'y être réuni? Qui es!-cc qui, se
voyant sur la mer battu des vents, exposé à
(1rs tempêtes fréquentes et violentes, dans
une incertitude continuelle du succès de sa
navigation, ne demande pas avec ardeur un
vent favorable qui le conduise au port? 11
faut donc, mes chères sœurs, ne pas oublier,
en solennisanl cette fête, que nous sommes
dans le chemin que nos saints frères ont suivi
pour arriver au bonheur étemel et à cette
gloire que nous honorons dans leurs person-
nes, et que nous espérons de posséder bien-
tôt avec eux, comme enfants choisis par la
miséricorde du même père : Vilam illam ex-
spectumus. Ainsi nous devons, comme nos
saints frères, vivre sans attache à tout ce qui
est passager; car un voyageur qui s'arrête
à tout sur son chemin n'est plus voyageur,
et ne marque point assez d'estime ni assez
d'ardeur pour sa patrie. 11 ne doit s'arrêter
que pour des nécessités inévitables : il dort
peu, il ne mange que pour le besoin, il ne
converse qu'en passant; et s'il est louché de
quelque chose sur sa roule, rien n'est capa-
ble de lui faire oublier qu'il faut qu'il s'a-
vance vers ceux à qui il désire de se rejoin-
dre. Telles doivent êlre les impressions que
l'idée du bonheur des saints, auquel nous
sommes appelés, doit faire dans notre cœur.
Ce qui doit nous consoler dans le retarde-
ment de la possession de l'héritage des en-
fants, cl nous soutenir dans les ennuis de
notre exil, c'est la pensée si réelle et si so-
lide que par la communion du corps et du
sang adorable de Jésus-Christ, nous jouis-
sons déjà de ce bonheur, puisqu'il est vrai
que la divine eucharistie fait l'union des deux
Eglises, cl égale d'une façon très-réelle les
juslcs avec les bienheureux : les bienheu-
reux jouissent de Dieu à découvert, cl les
justes le possèdent dans ce sacrement, sous
des voiles à la vérité, mais réellement et en
effet. Mais souvenez-vous surtout que la voie
qui a conduit vos saints frères à la félicité
éternelle vous est commune : c'est par la
croix, c'est par la fidélité et l'exactitude à
garder les lois de leur état qu'ils y sont ar-
rivés. Nous devons donc supporter les croix
que Dieu nous envoie, et regarder les mala-
dies,les humiliations et tous les événements
qui nous détachent des créatures, comme
autant de vents favorables que la Profit! euce
lâche de ses trésors, pour nous faire entrer
promptcmcul dans le port du salut éternel.
Ainsi, inos chères sœurs, j'appliquerai ici
cette parole de saint Grégoire de Nazianze,
eu parlant du déair qu'avaient ces généreux
Machabées de signaler leur zelc pour la
gloire de Dieu : Ils n'avaient tous qu'un dé-
sir, dit ce Père, ils tendaient tous à la m
fin, et ils ne connaissaient tous qu'une seule
et unique voie pour y arriver : c'était celle de
verser leur tang pour maintenir la loi du Sei-
gneur en lui gardant une fidélité inviolable.
J'ai essayé de vous convaincre de celle vé-
rité, il n'y a qu'un moment, en vous disant
qu'il n'y avait point d'autre voie de sanctifi-
cation pour vous que l'exacte fidélité dans
l'obéissance et l'observation des règles de
votre profession : c'est par là qu'ils ont mé-
rité d'entrer en possession de l'héritage des-
tiné aux enfants, puisque c'est par là qu'ils
ont été reconnus justes; et c'est par là, mes
chères sœurs, qu'il faut le devenir; car la
justice, selon i'Ecriturc, consiste dans la fidé-
lité à marcher dans la voie des préceptes :
apprenons à y marcher d'une manière irré-
préhensible pour arriver à cette félicité ; car
Dieu ne se donne qu'à ceux qui ne violent
point la fidélité qu'ils lui ont promise : c'est
le sujet de la dernière partie.
TROISIÈME PARTIS
Ce serait une étrange erreur, mes chères
sœurs, que de croire que vous honoreriez
vos saints frères comme-Dieu veut que vous
les honoriez, si vous vous contentiez de leur
rendre des hommages extérieurs, sans vous
appliquer à suivre leurs exemples et à re-
tracer leur conduite en les imitant dans la
pratique de leurs vertus. Saint Augustin, in-
struisant son peuple sur la manière d'hono-
' rer les martyrs, dans une assemblée qui s'é-
tait faite au jour de leur fête, lui disait que
toute celte pompe et celle magnificence se-
rait vaine, si on ne pensait pas à demander à
Dieu la grâce d'imiter ce qui pouvait nous
convenir dans la conduite des saints mar-
tyrs, et que, à parler précisément, la solen-
nité que l'Eglise faisait dans le jour de leur
fête était autant pour exciter les peuples à
imiter leurs vertus qu'à leur rendre des hom-
mages dont il est vrai de dire qu'ils n'ont
aucun besoin. En effet, dit saint Bernard,
dans la pensée de ce Père, dont il parait dan-j
tous ses ouvrages qu'il avait si bien pris les
principes et l'esprit, comment peuvent con-
tribuer à la gloire de ceux que le l'ère cé-
leste prend soin d'honorer lui-même , les
hommages que les hommes leur rendent sur
la terre? La gloire des saints est fondée sur
leurs actions et sur leurs souffrances, et I -
unes et les autres, qui sont les ouvrages de
Dieu en eux, subsistent devant lui et devant
les hommes, indépendamment de nos hom-
mages. Mais il y a plus : ce ne sont pas pré-
cisément leurs actions ni leurs souffrances
que nous honorons, c'est plutôt l'esprit qui
a animé leurs souffrances et leurs actions.
C'est ce qui fait dire à saint Augustin que
dans les martyrs nous n'honorons pas leurs
tourments, mais leur charité et leur foi dans
les tourments : Non pvna, sed causa. Car si
les tourments étaient précisément l'objet de
921
SERMON POUR LA SOLENNITE I>ES SAINTS DE L'ORDRE.
922
nos respects, nous devrions honorer les fers
d'un scélérat comme les chaînes d'un mar-
tyr; la solitude et l'abstinence d'un malheu-
reux que ses crimes ont relégué dans un ca-
chot affreux, comme celle d'un solitaire que
la foi et l'amour de Dieu ont renfermé dans
la sainte obscurité d'un cloître.
Or, mes sœurs, comme c'est cet esprit qui
est l'objet de nos respects, c'est précisément
à nous revêlir de cet esprit que l'Eglise veut
nous porter, lorsque, dans la solennité de la
fête des saints, elle nous raconte leurs souf-
frances et nous expose leurs vertus. Il faut
donc joindre l'imitation à la louange, comme
il faut joindre les soins de marcher dans les
voies de la justice à l'avantage d'y être en-
trés par la miséricorde de Dieu; car c'est à
ces conditions qu'il nous a distingués de tant
d'autres pour nous égaler aux saints en tant
de manières et par tant de rapports. Ce serait
une étrange erreur de croire qu'il suffit d'en-
trer dans la solitude où vos saints frères se
sont sanctifiés, sans travailler à vous sancti-
fier par la fidélité à suivre les moyens qu'ils
ont employés pour y réussir. Celle erreur
est assurément grossière. Ne \ ourrail-on
point dire cependant de plusieurs ce que dit
saint Augustin de l'erreur de ceux qui pro-
mettaient le salut à tous ceux qui avaient
reçu le baptême, quelque vie qu'ils menas-
sent, pourvu qu'ils ne renonçassent point
formellement à Ja foi ? Car il y a un grand
nombre de personnes qui prétendent tirer
beaucoup d'avantage des marques extérieu-
res de la religion, et qui se flattent d'obtenir
les récompenses qu'elle propose , pourvu
qu'elles en conservent les dehors; el encore
une fois ne pourrions-nous point dire de
beaucoup de communautés ce que Richard
de Saint-Victor a dit de quelques-unes de
son temps, qu'elles étaient à peu près comme
le sépulcre du Sauveur du monde après sa
résurrection? Quand les apôtres y allèrent,
ils n'y trouvèrent plus que le suaire et les
linceuls où il avait été enseveli : Jésus-
Christ n'y était plus. On conserve l'extérieur,
on y voit encore quelques pratiques propres
et particulières aux différentes institutions,
mais l'esprit n'y est plus. 11 n'y a plus que
des dehors, on ne voit plus que l'habit, le
suaire et les linceuls. Semblables encore, se-
lon la pensée de saint Chrysostome, en par-
lant de l'Eglise même, où la ferveur des pre-
miers siècles ne se trouvait plus, à une prin-
cesse qui, de riche el puissante qu'elle était,
est devenue pauvre, qui n'a plus que les
vases où elle renfermait les trésors précieux
qu'elle possédait dans sa splendeur; ainsi je
ne sais si nous serions bien loin de compte,
en disant que nous liouvons bien des assem-
blées religieuses où lous ceux el celles qui
les composent s'engagent à Dieu par des
vieux solennels à vivre d'une certaine fa-
çon, et où en même temps un grand nombre
passent leur vie à chercher des prélcxles
pour s'en dispenser. Rendez grâces à Dieu,
mes chères sœurs, de ce -que sa miséricorde
Vous a conduites dans une maison où le pre-
mier esprit s'est conservé par la charité qui
y règne ; mais craignez de tomber dans le re-
lâchement, et évitez l'erreur de ceux qui,
mesurant leur propre perfection à la sainteté
de leur état, se croient déjà saints parce
qu'ils sont entrés dans une profession qui les
engage à le devenir, et qu'ils se contentent
de paraître ce qu'ils devraient être aux yeux
do ceux qui ne les considèrent qu'en pas-
sant, sans se mettre en peine d'être réelle-
ment aux yeux de Dieu ce qu'ils paraissent à
ceux des hommes.
Rien n'est si terrible que cet état, car on
est d'autant plus misérable devant Dieu
qu'on mène une vie qui ne répond pas à la
dignité d'un état saint, et l'égalité que la mi-
séricorde de Dieu a bien voulu mettre entre
vos saints frères et vous dans cette vie ne
vous rendrait que plus misérables dans l'é-
lernité, si vous n? la souteniez pas en vous
appliquant à les imiter dans leur conduite.
Il ne faut pas compter sur la dignité de
notre profession, ni prétendre de se revêtir
d'un état saint en menant une vie lâche et
déréglée. Dieu saura bien séparer ces deux
choses à notre confusion. Dieu ne nous sau-
vera pas pour nous avoir appelés à une pro-
fession sainte; mais il nous punira plus sé-
vèrement si nous n'y avons pas vécu sainte-
ment. 11 arrivera, au jour terrible de son ju-
gement , que beaucoup de celles que les
hommes auront honorées dans ce monde
comme ses épouses, leur paraîtront plus mi-
sérables que les païens mêmes qui ne l'ont
point connu, et seront en effet plus malheu-
reuses qu'eux durant toute l'éternité. C'est
dans ce sens que le Sauveur du monde dit
que les publicains et les femmes de mau-
vaise vie précéderont les princes des prê-
tres. Mes chères sœurs, souvenez-vous qu'un
degré de vertu qui sera suffisant pour le sa-
lut d'une femme du monde ne le sera pas
pour celui d'une vierge.
Détournons donc ce malheur en marchant
sur les pas de nos saints frères. Travaillons
à l'ouvrage de noire sanctification, en sui-
vant les exemples qu'ils nous ont donnés, et
en animant nos travaux de l'esprit qui a
sanctifié leurs actions et leur conduite. Car
à quoi serviraient vos jeûnes, s'ils n'étaient
pas animés de l'amour de la pénitence? Votre
solitude serait ennuyeuse, si l'esprit de la
prière ne l'animait pas. Vos prières seraient
inutiles, si elles ne partaient pas d'un cœur
pénétré de ses misères et d'une solide et
humble confiance en la miséricorde de Dieu.
Soutenez donc les engagements de votre
état avec humilité, avec patience, avec cou-
rage. L'Eglise vous retrace aujourd'hui la
gloire du triomphe de vos saints frères, pour
vous animer à les suivre dans les voies qui
les ont conduits à celte gloire immortelle
dont ils sont revêtus. Voudricz-vous risquer
le fruit de tant de sacrifices déjà faits et de
tant de travaux soufferts, en vous livrant au
relâchement, à la négligence cl à !a tiédeur?
Si vous avez beaucoup travaillé, vos tra-
vaux ne peuvent pas encore durer long-
temps; la peine va finir, la récompense est
proche; il ne faut plus qu'un faible effort, et
'j23
OltATEl'IlS SACRES. WM JEROME.
M
MM niiez prisse; dans le roxaume il.- la ;,ii\
pour vous réunir à vos maints frèn
vous attendent. Si vous ne 1 litrs nue de corn*
mencer vos travaux , considérez qu'ils peu—
vent Unir demain, qac la vie c si tnVinrer-
laine, que la récompense qui v on ^ es( pro-
mise est iné* lie, que rus saints frères prient
piiir vou-. Car, eomoM dit saisi Bern ml, si
les lieux vou- séparent, leurs cinir- le- rap-
prochent de vous. Ce qu'ils n i s uiVerl dans
celte terre de misère et d'aflli lion les rend
sensibles à ce que vous endurez, et le souve-
nir des besoins qu'ils ont eus durai. t leur
exil les fail penser aux vôtre*. Travail'
nous réunir à eux; soutenons la gloire- de
celte égalité que Dieu par sa miséricorde a
bien voulu mettre cnlre eux et nous. Ils ont
été nos livres, c'est votre gloire; il.
dent la gloire, c'est votre espérance ; ils ont
élé justes, c'est le fondement de nos devoirs,
afin que nous devenions leurs compagnons
dans la gloire éternelle. Ainsi soit-il.
SERMON
POCR LA VÊTt'RE D'UNE RELIGIEUSE.
Transfigurants est anle eos.
Il fui ii ans/iguré devant eux (Malth., XVII, 2).
L'Eglise, ma chère sœur, nous expose dans
ce jour un mystère de la vie du Sauveur du
monde dont les circonslances nous présen-
tent une image si nalurellede la miséricorde
que ce même Sauveur commence aujour-
d'hui à répandre sur vous, qu'il ne faut que
vous les retracer simplement pour vous don-
ner une idée juste et en même temps une
estime infinie de la conduite qu'il plaît à sa
bonté de tenir à votre égard. Il choisit des
disciples parmi ceux qui sont à sa suite, et
il les distingue des antres; il les conduit sur
une montagne élevée, pendant qu'il laisse
les autres dans la campagne; enfin il les
rend les témoins du miracle de sa transfigu-
ration. Il fait dans ce moment, ma sœur,
quelque chose de semblable en votre faveur,
1° Il vous distingue et il vous élève au-des-
sus des chrétiens du commun en vous choi-
sissant: nous vous expliquerons ce premier
mouvement de sa miséricorde dans la pre-
mière partie ; Sr" il vous conduit sur une fer-
tile cl sainte montagne, dont nous vous ex-
pliquerons les avantages et les biens dans
la deuxième partie ; â° il veut enfin opérer
en vous une transfiguration prise sur le mo-
dèle de la sienne, dont nous vous donne-
rons l'idée dans la troisième partie de ce dis-
cours.
Suivez-moi dans celte idée, ma très-chère
>œur, elle vous donnera celle que vous de-
vez avoir de la miséricorde que Dieu veut
vous l'aire; mais demandons les lumières de
son Esprit par l'intercession de Marie. Ave,
Maria.
PREMIERE PARTIE.
1! est écrit dans l'évangile <>ù le mystère
que l'Eglise solennise aujourd'hui est rap-
porté, que le Sauveur du monde pi il en par-
ticulier Pierre, Jacques et Jean. Le choix
qu'il fil de ces trois disciples est une suite du
premier qu'il avait faild'iux avec les docuz
qn'il avait cl • es apodes, et l'un
(t l'autre fui un pur cil t de sa miséricorde
el de si bonté, car e'esl uniquement laOJ sa
vol, nié qu'il prend Im mollis duchoiv qn'il
(ait des hommes « et de la distinction qu'il
mel entre eux. l'ouï ee qu'on peut trouver
de mérite d i:s l'homme est un présent gra-
tuit , dit saint Augustin, puisque l'homm ne
mérite de recevoir aucun bien du Père des
lumières, de qui descend lout don p
q l'en recevant la grâce qu'il ne mérite point.
Ce ne sont donc point les qualités d
a] 6li es ni leur mérite q i 1 ■•- ont la Ich
I or le Sauveur; c'est t:n ordr. établi par --a
e pour l'aicom • ut de ses des-
e réglé p.sr ia volonté, dans lequi I il
l'ail entrer ceux qu'il lui plaît. Ce n'est pas
cependant que ces apôtres fument sans mé-
rite; mais ce qu'ils < n onl est une suil de
cette volonté souveraine de Dieu qui le- a
ch isis, el le m rit même est une grâce, se-
lon saint Augustin: Ipsttm meritum est gra-
tin. Telle <st, ma sœur, la source, le prin-
cipe et le motif du ch >ix de ses apôtres et de
la distinct on que Jésus-Christ fait d'eux et
des autres qu'il laisse au bas de la munlagne;
et vous trouverez que tel est le fondement
de la miséricorde qu'il vous fait aujourd'hui.
Elle est pour vous, comme pour ses apolr -
la suite d'une aulre et la confirmation de la
première grâce par laquelle il lui a plu de
vou : appeler à lui.
Entrez bien dans cette pensée, ma
chère soeur, e! pour vous la rendre ph
sible fa 'c; réflexion avec moi qu'il y a diffé-
rents (lais pour les chrétiens dans l'E.
ils sont l us transportés par le.:r père hors
de la terre de leur naissance, c'est-à-dire
que, par la grâce de leur baptême, il-
sépares du monde el établis dan- l'I
par Jésus-Christ.
Cette première séparation, qui est com-
mune à lous les chrétiens, est perfectionnée
par une autre qui est particulière à ceux
qu'on distingue dans l'Eglise parle nom de
solitaires ou de religieux. Les premieis ne
s ml plus du monde, non plus que I.
couds; car tout chrétien y a renoncé, et celle
renonciation va bien loin; mats les premiers
qui n'ont pas ajouté une renonciation par-
ti uli're à la séparation commune, entre-
tiennent encore un certain commerce d. us
le monde, qui leur l'ail des liaisons, qui leur
donne des vues et qui les engage à des ac-
tions qu'on ne peut pas condamner absolu-
ment, mais qui les exposent à des | ériil
pa les de f i ire trembler lout homme qui au-
ra les idées qu'il doit avoir des obligations
d'un chrétien, des engagements qu il a pris
avec Dieu par Jésus-€hi isl d us le baptême,
cl de la sainteté à laquelle il est appelé, et
qui considère en même temps la vie du
inonde, les maxiin s qui y régnent el la t on-
duil qu'on y lient. C'est la \ ON
qui a ouvert les solitudes, qui a | eu;
déserts, et quia inspirée tant alleu*
aux intérêts de leur salut d'einbi
la voie d, s conseils pour ue pas tomber daus
025
SERMON POUR LA YETURE D'UNE RELIGIEUSE.
920
le violement des préceptes. Des homme?,
éclairés par la foi, convaincus de la sainlelé
du christianisme et de celle que Dieu de-
mande de ceux qu'il y a appelés, ont com-
pris avec un prophète qu'il n'y a point de
justice, point de vérité, point de connais-
sance de Dieu sur la terre; ils se sonl sépa-
rés de ces injustes, de ces aveugles, de ces
infidèles, et ils ont demandé au Seigneur,
avec un autre prophète, que le Seigneur leur
montrât ses voies: Vins tuas, Domine, de-
monslra mihi, et semitas tuas edocc me. Il
faut pourtant avouer qu'ils n'ont pas préten-
du mettre au rang de ceux qui s'égarent tous
ceux qui resent dans les engagements du
sièc'e, car ils ont hien su que Dieu a des
saint i dans tous les états; mais, éclairés par
les paroles du Seigneur, qui dit qu'il ne pi ie
pas pour le inonde, attentifs à sa voix lors-
qu'il recommande à sou peuple de fuir du
milieu de Babylone, à celle de son Apôtre,
qui dit : Séparez-vous de celle race corrompue
du monde; en entendant un autre qui dit :
N'aimez point le monde ; sentant d'ailleurs
leur co ruption et se défiant de leur propre
faiblesse, ils ont compris que, dans une af-
faire aussi importante que celle du salut, il
ne fallait rien hasarder, que la souveraine
sagesse consistait à prendre le plus sûr, et
que la demeure du monde étant si dange-
reuse, le parti d'un chrétien dans certaines
circonstances, et qui tend plus vivement h la
perfection, était de le quitter. Or, ma sœur,
c'est à cette espèce de gens si sages qu'il
veut voui associer aujourd'hui. Vous sépâ-
rar.t de la mullilu 'e, il vous unit au petit
nombre; vous retirant de la voie large, il
vous conduit dur. la vue étroite, et pendant
qu'il laisse lu gros de ses disciples au bas de
la montagne, exposés au péril si ordinaire
et si commun d'abandonner la vérité pour
ne suivre dans leur vie que les opinions des
hommes cl les impressions de leur exemple,
il vous conduit sur la montagne, pour vous
faire entendre non pas la voix des hommes,
mais celle du ciel, et vous associer à te
nombre si petit des disciples choisis, qui ont
établi le plan d' leur vie sur les principes si
solides de la vérité. Quelles impressions doi-
vcni faire sur votre âme, ma très-chère sœur,
la gloire de cette distinction, et l'avantage
d'être prévenue par une grâce si singulière?
Comme elle est une suite de celle qui vous a
faite dire 'icône, que vous n'avez pu mériter,
on peut dire qu'elle est aussi gratuite, puis-
que l'homme, encore une fois, ne mérite de
recevoir aucun bien du Père des lumières,
de qui descend loul don parfait, que parce
qu'il en a r< çu d'abord sans l'avoir mérité.
Répandez donc votre cœur en la présence du
Seigneur, et ne cessez jamais de dire avec
l'apôtre saint Paul: Béni soit Dieu, père de
Notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a élus
en lui dès l'éternité, pour nous faire saints,
et qui nous a prédestinés par un pur effet de
sa honte.
Tout est miséricorde, tout est bonté, tout
est grâce dans la conduite que Dieu lient sur
nous, comme dans celle qu'il lient sur ses
apôtres, qu'il distingue des autres dans l'ac-
complissement de ce mystère; mais lout est
grand, tout est magnifique dans les do is qu'il
lui plaît de vous faire aujourd'hui, ma chère
sœur, comme tout brille et tout est éclatant
de gloire sur la montagne où il les conduit;
et j'ose dire qu'il ne s'y passe rien que nous
ne retrouvions sur celle où il veut vous con-
duire aujourd'hui, et dont je vais vous expo-
ser les avantages et les biens, dans la deuxiè-
me réflexion.
DEUXIÈME PARTIE.
Le prophète-roi, voulant nous donner une
idée de l'Eglise dans le psaume LXVII, l'ap-
pelle la montagne où il a plu à Dieu de faire
sa demeure : M on s in quo beneplacitum est
Deo. C'est pourquoi il nous assure que cette
montagne est fertile et grasse : Mons coa-
gulatns,mons pinguis.
Or, ce qu'il dit de l'Eglise en général, je
puis le dire de cette partie de l'Eglise à la-
quelle vous vous unissez aujourd'hui, ma
très^-chère sœur, puisque les vierges chré-
tiennes auxquelles la miséricorde de Dieu
vous associe, en vous séparant du reste des
fidèles, sont appelées par les saints Pères la
plus illustre portion de ce troupeau choisi
par JésusrChrist ; mais que vous dirai-je
des avantages et des biens que Dieu a ren-
fermés sur celte montagne où il vous con-
duit aujourd'hui? Quelle est sa fertilité?
quelle est la graisse qui en découle?
Arrêtons nos idées et renfermons-nous dans
ce qui se passe sur celle montagne où le
Sauveur du monde conduit ses disciples pour
les rendre témoins du miracle qui s'accomplit
sur sa personne; il n'y a rien qui n'ait un
rapport naturel avec les avantages qu'il vous
prépare dans le lieu où sa miséricorde vous
conduit, el qui sera pour vous, comme [tour
ses disciples, une montagne de grâce et de
bénédiction. Pour ne rien perdre de ce que
l'Evangile nous en rapporte, il y a plusieurs
choses à remarquer qui son: toutes impor-
tantes. La première, c'est la hauteur de cette
montagne, qui est grande, selon l'expression
de l'Evangile : In montent excelsum ; la
deuxième, c'est la situation : elle était reti-
rée du commerce et fort à l'écart : seorsum;
la troisième, ce sont les gens qu'on y trouve:
c'est Moïse et Elie : Apparuerunt illis Moyses
et Elias cum eo lor/uentes; la quatrième, ce
sont les discours qu'on y lient : on y parle
de ce que Jésus-Christ devait souffrir dans Jé-
rusalem : Diccbant excessum rjus; la cinquiè-
me, c'est la voix qu'on y entend et le Maître
qui y parle : c'est le Père éternel, le Dieu de
vériîé: Et ecce vox de nube ; la sixième, c'est,
la personne que le Père éternel se substitue
pour nous parler en son nom: Hic est Filius
meus, ipsum uudite.
Que d'avanlages, ma très chère smur 1
que «le biens sur cette montagne où la misé-
ricorde de Dieu vous conduit I El si je vous
fais voir que lout ce qui est rapporté de celle
du Thaï) or convient au lieu où la grâce de
Jésus-Christ vous instruit, pourriez-vous
croire qu'il y eût ailleurs une montagne plus
'•-27
OllATEI.'US SACRES. DOM JFUOMI .
irai
fertile et pms grasse: Ut quid tvêpicamini
montes coagulatOi? Parcourons un peu loul
ceci, ma sœur, cl instruisons-nous.
Je vous dirai peu de choses sur la hau-
teur de celte montagne, c'est-à-dire sur le
mérite de la profession que vous voulez em-
brasser ; car il est bien plus important de
nous arrêter sur ce qui regarde les engage-
ments et les devoirs de celte profession si
sainte, que de donner du temps à en décrire
les avantages el à en découvrir la gloire.
Il faut pourtant reconnaître que celte
montagne est haute, que la profession où
vous aspirez est éminente , et que ceux que
Dieu y a véritablement appelés, et qui en
remplissent les devoirs, tiennent parmi les
disciples du Sauveur un rang qui les élève
au-dessus des autres. Ces disciples que Jésus-
Christ conduisit avec lui sur le Thabor, le
furent à l'égard de ceux qu'il laissa au bas
de la montagne. Il faut entendre parler saint
Bernard, cel homme si fidèle aux devoirs de
sa profession et si instruit de ses avantages.
Votre profession est très-haute, dhail-il à ses
solitaires ; elle vous élève jusque dans les
deux, et elle vous rend semblables aux anges,
parce qu'en ne vous appliquant qu'à croître
toujours dans la connaissance et dans l'amour
de Dieu, ce qui est l'essentiel de vos devoirs,
vous avez l'avantage de représenter sur la
terre les occupations des anges, qui ne sont
appliqués qu'à le connaître et à l'aimer, el que
vous les représentez par une vie toute spiri-
tuelle, toute uniforme, toute égale, toute de
Dieu, toute pour Dieu, toute procédante de
l'esprit de Dieu et de l'amour de Dieu, comme
celle des anges dans le ciel. Une chanoinessc
doit être toute appliquée à chanter les louan-
ges du Seigneur et à adorer la grandeur et
la majesté de Dieu.
Peut-on rien trouver de plus éminent, rien
de plus haut que celle montagne où Dieu
vous conduit? Telle est donc sa hauteur;
mais voici sa situation. Eilc est retirée du
commun et fort à l'écart; mais pourquoi
cette montagne si élevée au-dessus de la
terre par sa hauteur se trouvc-t-elle encore
si séparée de la voie commune par sa situa-
tion? Ceci est une excellente instruction
pour vous, ma sœur ; comprenez donc, s'il
vous plaît, que comme le Seigneur ne vous a
distinguée du commun qu'en vous élevant et
vous conduisant sur la montagne, vous ne
conserverez les avantages de celle distinc-
tion qu'autant que vous serez exacte à vous
tenir dans la séparation des créatures dont
il vous a distinguée. C'est le mystère de la
situation de celle montagne: une vierge chré-
tienne doit se dire continuellement : Il n'y a
plus de monde pour moi, mes entretiens ne
doivent plus elfe qu'avec les anges et avec
les bienheureux ; ou si la fragilité humaine
ou l'état présent de la vie ne me permet pas
d'élre continuellement élevée vers le ciel
avec Jésus-Christ et avec ses apôtres, au
moins n'aurai-jo plus de commerce qu'avec
les plus excellents chrétiens et ceux qui par
les avantages de la vie nouvelle sont entiè-
rement séparés du monde et n'y veulent plut
•voir aucun rapport.
Je me souviens, ma sœur, sur ce sujet d'un
beau mol de saint Jérôme à Bnstoebie ; il lui
défend, dans la lettre quatorzième du second
livre , d'entretenir aucun commerce réglé
avec les femmes du monde, et même les plus
distinguées par leur condition, el il lui en
donne celle raison : ffe songez-vous pas que
c'est en qinlque sorte vous dégrader que d'al-
ler chercher la compagnie de celles qui ne sont
alliée* qu'à des hommes mortels , vous qui
avez Dieu même pour époux? Tenez-vous donc
séparée, soutenez la dignité de votie rang,
et qu'un saint orgueil vous empêche de vous
faire voir à celles qui sont au-dessous de tous.
Ainsi ceux qui ont des choses les idées qui s
en doivent avoir ne regardent pas la sep i-
ralion et la clôture de ces sainles épouses de
Jésus-Christ comme une loi dure , imposée
par l'autorité des législateurs : ils les regar-
dent au contraire comme une barrière que
les âmes consacrées à Dieu, qui ne veulent
voir el aimer que lui, ont posée entre elles el
ceux qui sont du monde, afin de pouvoir
leur dire comme Abraham disait au mauvais
riche : Il y a un très-grand abîme et un es-
pace infini entre vous et nous , en sorte qu'il
ne vous est pas permis de venir à nous, non
plus qu'à nous d'aller à vous.
-Mais après loul que quittez-vous, ma très -
chère sœur, en vous séparant extérieure-
ment des créatures, que vous ne trouviez
avec avantage sur celte montagne où vous
devez vivre à l'écart? Qui sont ceu* qu'on
y trouve, scion le rapport de l'Evangile .'
C'est Moïse et Elie, les plus grands hommes
de l'ancienne loi ; c'est saint l'ierre , saint
Jacques et saint Jean, les premiers ministres
de la nouvelle loi.
Vous voyez sans doute déjà , ma chère
sœur, quel est le caractère de celles à qui
vous allez vous associer : ce sont des per-
sonnes sorties du monde, dont elles ont mé-
prisé la fortune et les biens, choisies par le
Seigneur, distinguées par la grâce du com-
mun des fidèles, conduites par son esprit sur
la montagne, éclairées de ses lumières, pé-
nétrées de ses vérités, vivant selon sa loi,
suivant ses conseils, attachées à faite sa vo-
lonlé. Vous trouverez dans leur société le
zèle d'Elie, la douceur de Moïse, la foi de
Pierre, l'amour de Jean, la Gdélité de Jac~
qucs;cn un mot, vous n'y verrez rien qui
ne vous porte à Dieu, cl vous pourrez diic,
comme le Prophète , en entrant dans celle
heureuse société : Je suis, 6 Seigneur! avec
celles ijui vous craignent et qui garder
commandements.
Voulez-vous savoir, ma chère sœur, de
quoi ces prophètes s'entretiennent ave
sus-Christ en la pr< senec de ses apôtre- . i I
quelle est la matière de la conversation de
ces personnes saintes? Saint Luc nous le
rapporte. Ils parlaient (iu Sain cor. de sa
sortie du monde et de ce qu'il devait souffrir
dans Jérusalem. Tels doivent être le- en-
tretiens de ccuv qui habitent sur celle mon-
tagne où le Seigneur vous conduit aujour-
P29
SERMON TOUR LA VETURE D'UNE RELIGIEUSE.
H30
d'hui , ma très-chère sœur. On n'y parle
jamais, selon les règles établies par les saints
Pères, qu'on regarde comme les maîtres de
cette vie si sainte, de choses curieuses, vai-
nes et inutiles; l'on bannit tous les discours
qui peuvent affaiblir la vigueur de l'esprit,
la solidité des sentiments et le recueillement
de l'âme; on rejette bien loin ces paroles
folles et indiscrètes dont l'usage est défendu
aux chrétiens par saint Paul , qui ne con-
viennent ni à la dignité de notre état, ni à la
sainteté de notre consécration; on ne parle
sur cette montagne que de ce qui peut con-
tribuer à produire le parfait dégagement du
cœur, à augmenter le mépris pour le monde
qu'on a quitté, et à nous faire vivre dans la
reconnaissance due à la miséricorde de Dieu,
qui nous a séparés par sa grâce.
Là on conserve le recueillement par des
discours tout pleins de feu : Ignitum elo-
quium tuum; de peur que , dans le repos de
cette vie si réglée et si au-dessus du trouble
des passions, on ne vînt à dire comme Pier-
re : Nous sommes bien ici , on interrompt
celle joie et cette prospérité spirituelle par
la vue des souffrances de Jésus-Christ, et on
se dit souvent qu'il faut acheter les avanta-
ges et les délices de l'éternité par des tra-
vaux continuels qui aient quelque rapport
avec ceux du Sauveur du monde. Que de
biens , ma très-chère sœur, pour ceux qui
vivent sur cette montagne selon les règles
établies par les Pères 1 C'est trop peu dire à
l'avantage de la vie qu'on doit y mener, que
de n'en reconnaître pour maîtres et pour in-
stituteurs que des hommes saints et choisis
du ciel, pour en tracer l'idée et y conduire
les autres; c'est Dieu lui-même qui l'a éta-
blie, et ces grands hommes n'ont été que les
exécuteurs des desseins de sa miséricorde.
C'est aussi ce qui s'est passé au ïhabor,
c'est la voix du ciel qu'on y entend; et le
maître qui y parle, c'est le Père éternel.
Nous pouvons donc dire, ma très chère
sœur, de celte sainte montagne, ce que saint
Jean dit dans son Apocalvpsc de la céleste
Jérusalem dont elle est l'image, qu'elle n'a
point besoin d'être éclairée dans un certain
sens par le soleil ou par la lune, c'est-à-dire
par des lumières inférieures et humaines ,
parce que c'est la lumière de Dieu qui l'é~
claire, et que l'Agneau en est la lampe.
Ici, ma sœur, on n'entend que la voix du
Père éternel, on s'attache à la loi préci-
sément; on va prendre dans les Ecritures
les règles de sa conduite , la solution de ses
doutes, les lumières de son esprit, la nourri-
ture de son âme , la consolation et la force
de son cœur. Ici l'on s'enveloppe dans l'heu-
reux nuage d'une humble soumission aux
paroles de la loi et aux vérités de l'Evangile;
on ne veut point ici de ces dangereuses in-
terprétations des hommes qui affaiblissent
la force de ces vérités saintes , et au travers
de ces nuages la voix du Père se fait enten-
dre à ceux qui l'écoulcnt avec humilité.
Que resle-t-il à vous dire, ma très-chère
sœur, pour achever le parallèle de la mon-
tagne du Thabor et de cçllc où la miséri-
corde de Dieu vous conduit? qu'ici comme
sur le Thabor tout disparaît aux yeux de
ceux qui y habitent, et qu'après avoir en-
tendu la voix et s'être abattus sur l'autorité
de cette voix, ils ne voient plus que le Fils
en se relevant , et ils ne regardent unique-
ment que Jésus-Christ : Neminem viderunt
nisi solum Jesum. Que de vérités , ma très-
chère sœur, et que de choses excellentes !
que de principes de religion dans cette der-
nière circonstance et ce dernier rapport du
Thabor et de la solitude où vous entrez 1
Ne regardons que Jésus-Christ, qui de-
meure seul sur le Thabor avec ses apôtres.
Lui seul est la source de notre être, le prin-
cipe de la grâce qui nous sancliûe, le modèle
et le sanctificateur des œuvres qui nous
rendent dignes des promesses, le consomma-
teur de l'œuvre de notre salut, l'unique objet
de nos espérances comme de notre félicité.
Nous ne voulons donc voir, Sauveur du
monde , que vous en Dieu et Dieu en vous :
Neminem viderunt nisi solum Jesum. Je
n'entre pas plus avant dans des vérités si
vastes et si relevées; il faut, ma chère sœur,
vous apprendre en peu de mots quelle doit
être celle transfiguration que Jésus-Christ
veut opérer en vous sur le modèle de la sien-
ne : c'est la troisième partie.
TROISIÈME PARTIE.
Je remarque trois choses dans la transfi-
guration du Sauveur du monde: 1° qu'elle
se faisait sur l'extérieur de Jésus-Christ ; 2'
qu'elle paraît aux yeux des apôtres ; 3° qu'el-
le était l'roduilepar la disposition intérieure
du Sauveur du monde. Expliquons ceci en
peu de mots.
Elle se fit sur l'extérieur du Sauveur du
monde , c'est-à-dire que son visage, où rien
ne paraissait d'extraordinaire , devint com-
me le soleil, et que ses habits , qui étaient
comme ceux des autres , devinrent blancs
comme la neige. De plus ses apôtres s'aper-
çurent de ce changement et en furent com-
blés de joie; ce qui fit dire à saint Pierre:
Seigneur, nous sommes bien ici. Enfin toutes
ces merveilles avaient leur source dans la
disposition intérieure de Jésus-Christ; il
possédait toute la plénitude de la Divinité,
et il suspendait tout l'éclat de sa gloire et
l'empêchait de se répandre au dehors, ce qui
était nécessaire pour l'accomplissement des
desseins de sa miséricorde. Car si les Juifs
l'eussent connu, dit saint Paul, ils n'eussent
jamais crucifié le Seigneur de la gloire. Il
laissa donc paraître dans ce moment quel-
que éclat de cette gloire; il laissa échapper
quelque rayon de sa divinité , qui frappa les
yeux de ses apôtres et qui les mit dans l'ad-
miration.
Or, ma sœur, c'est sur cette idée que vous
devez prendre celle de la transfiguration que
le Sauveur du monde veut opérer en vous.
I'1 Elle va commencer par l'extérieur, et
voici naturellement les changements qui
vont se faire : vous aile/ changer de lieu ,
vous allez quitter celui où vous êtes née
pour entrer dans celui où vous êtes résolue
931
ORATEURS s\<-RLS. UOM JEROME.
m
d'aller vous préparer à mourir. Vous sortez
du monde i où vous laisses la ouenraua dot
Ddèlei ; tous .il cz vous d> puuiller pour tou-
jours dei vêlements du siècle ci des vains
OT OC menti qu'on y porte, pour vuiii rc
de vêtements blancs comme 1 1 aeige; enfin
vous allez quitter le nom de \olre lamille
pour ou prendre un autre : nous anez do ic
elre changée en une autre personne; voila
celle transfiguration extérieure.
2° Il n'est pas possible que les autres ne
s'aperçoivent de ce changement; mai*, ni
chère sœur, ce u'esl pas assez qu'ils le re-
marquent , i! faut encore qu'il-, en soient
charmél et qu'il les nielle dans l'admiration.
Ecoulez les belles p. noies de saint Augustin
qui expriment si bien loutc L'étendue de ce
changement : Voici, dit ce saini docteur, un
nouveau voyageur; il est clian'jé et irantfi-
ijaré en tout: la candeur de sa eonduilfi et
l'innocence de ses mains brillent bien davan-
tage à nos yeux que lu blancJteur des habit»
dont il est revêtu. Il tient anéantie voie, et il
parait, par la morti/icatiou de ses sens, \,<\r
la modestie de son maintien, par le recueille-
ment de son esprit , qu'il a quitté les voies du
monde , ei qu'il demeure sur la montagne qui
est un lieu de récollection et de prire. Il
parle tout un autre langage; la douceur, la
simplicité, la discrétion répandues dans tous
ses discours nous apprennent qu'il est chan-
gé entièrement. C'est , ma chère sœur, de ce
changement que vos sœurs doivent s'a-
percevoir ; c'exl ce changement qui les char-
mera et qui les comble; a de joi ■ , parce que
si elles remarquent que la grâce de .'ésus-
Christ l'ai fait en vous , elles reconnaîtront
que vous êtes digne d'avoir été admise dans
une société où l'on ne souffre pas qu'il en-
tre rien de ce qui tient encore du vieil hom-
me, et où l'on ne sent admettre que île nou-
velles créatures en Jésus-Ciirisl.
3° Mais il faut que ces changements pio-
cèuent de l'intérieur, qu'ils aient leur sour-
ce dans les disposions de voire âme ; car
c'est l'esprit qui vivifie , et la chair ne sert de
rien. En vain sortiriez- vous du monde, si
vous ne renonciez pas entièrement à son
nspr.it. Il serait tort inutile de vous dépouil-
ler de< habits du siècle , si vous ne quittez
pas toutes les liaisons qui pourraient vous
attacher aux créatures que vous y laissez,
et qui partageraient un cœur dont Dieu veut
être le maître entièrement. Lu quittant vo-
tre non, oubliez-vous vous-même, et, ne
\ous souvenant plus de ce que vous avez
été , ne songez qu'a ce que vous prétendez
devenir.
Enfin, ma chère sœur, souvenez-vous que
voire transfiguration ne sera point vérita-
ble si elle n'est intérieure, et qu'elle ne sera
pas parfaite si elle ne consiste uniquement
qu'à vous unir à ces vierges chrétiennes qui
vous tendent les bras. Ce lut dans la prière
que le visage de Je us-Christ parut tout au-
ue cl que ses habits devinrent blancs et
< l latents; c'est par la prière que MOUS , ou-
\ous espérer la grâce qui nous change et
uous Iransligure inlct ieureuicul. N'inlerrow-
pcz jamais cet exercice, que tous vos mou-
vements soient des p In que vous
les obtenir cette grâce parti b le la
miséricorde de Dieu qui vous a déjà i i
nue , (t que nois puissions dire qm
transfiguration est pleinement accomplir.
Ainsi soil-il.
SERMON
PO! Il l M l'HOFKSSIUN.
Noli a' tiiru upere, ied tins.
point, mais craignez [Boni., XI, 20).
Ainsi parlait l'apôtre saint Paul, dans VI'.-
I litre aux Romains, pour réprimer l'orgueil
de ces peuples, et pour empêcher qu'ils ne
s'élevassent à c,;usc de la grâce qu'ils a\ aient
reçue, en demeurant fermes sur le tronc de
<• i arbre mystique ù ils avaient été entés
en la place des Juifs infidèle*. Ainsi doit par-
ler tout ministre de Jésus-Ci. rist, ma très-
chère sœur, à celles que Dieu appelle comme
\ous par sa miséricorde à la plus haulc per-
fection du chri lianisme , pour leur donner
nue juste idée de leur état et pour les p;é»e-
njr i outre le dangereux orgueil qui pourrait
leur inspirer du mépris pour ceu\ qui' D eu
a lai ses dans un d*. gré de perfeelion infé-
rieure.
Il est vrai, ma chère sœur, que Dieu a
mis de la différence entre les âmes qu'il ap-
pelle dans la solitude et celles qu'il laisse
dans le commerce du monde ; mais celle dif-
férence ne doit pas élever les unes au-d -sus
des autres, et si la lâcheté des chrétiens, qui
leur a fait abandonner la perfection de l'E-
vangile, a donné de l'éolal et a revêtu d'une
i aine gloire la profession monastique, par
laquelle nous ne faisons que l'embrasser, il
faut reconnaître que, comme nous ne som-
mes que substitues à la place de ces i lire-
liens lâches et timides que le poids «I : bap-
tême épouvante, et qui sont effray.
quelque sorte par la dignité de leur cons -
dation, nous ne devons pas nous élever,
puisque nous ne persévérons dans la fidélité
qui leur a fait peur que par la grâce qui
nons soutient, et que nous devons tout crain-
dre, puisque nous pouvons déchoir â tout
moment par les infidélités dont nous som-
mes capables.
J'espère, ma chère sœur, qu'en suivant
celle idée je vous donnerai celle que vous
devez avoir de votre état, afin que vous ne
vous éleviez jamais, et je vous marquerai
les engagements où vous entrez, afin que
vous craigniez toujours : ainsi je vais vous
faire voir, dans la première partie de ce dis-
cours, que la gloire qui pa: ail attachée à vo-
lioii ne doit pas vous élever; dans la
seconde, je vous montrerai que les engage-
ments qui sont inséparables de voire prt
sion \ou< doivent faire craindre. C'est toute
l'idée de ce discours. Ave, Maria.
PBsuiens paiuik.
11 n'y a que l'esprit d'erreur qui pi
f rmer les yeux pour ne pas voir la u luire
qui environne l'action qu Me/ taire,
ma urèe-cbère saur. Qusites* sus biens, se
séparer de ceux qu'où aime, choisir la croix
933
SERMON POUR UNE PROFESSION.
934
pour son partage, et la porter tous les jours
de sa vie , se renoncer soi-même, et suivre
Jésus-Chiisl, faire tout ce qui est nécessaire
pour devenir son disciple et être disciple du
Sauveur du monde, c'est toute la gloire et
toute la perfection du christianisme. D'ail-
leurs, celte action qui vous met au nombre
des disciples de Jésus-Christ vous donncdroit
sur les récompenses qu'il leur a promises.
Hé I qui pourrait douter qu'une action qui
vous acquiert le droit déjuger le monde avec
Jésus-Chrisl, et qui vous donne place auprès
du trône de sa gloire, ne vous revête de
l'éclat de celte même gloire dès celle vie,
puisque vous y commencez le jugement du
monde par l'abandonncment que vous en
faites? Disons donc ;ivec saint Bernard que
voire profession est très-élevée, qu'elle égale
celle des anges, et qu'elle n'est point infé-
rieure à la pureté de ces esprits si purs. Au
milieu de celle gloire, ne vous laissez pas
éblouir, ma chère sœur, prenez une iu.e
juste de votre état, et pour vous la donner
telle qu'elle puisse vous empêcher de vous
élever, entrez bien dans ces deux considéra-
lions: 1° c'est qu'en entrant dans la solitude
pour y marcher dans la voie des conseils,
vous ajoutez piU de chose aux obligations
communes à tous les chrétiens; 2° c'est que
ce qu'il y a de différence entre eux et vous
est l'ouvrage de la miséricorde de Dieu.
Or, la preuve de la première considération
dépend de la connaissance de l'être du chré-
tien, des devoirs du chrétien en conséquence
de son être, et de sa situation eu égard à son
être et à ses devoirs. L'apôtre saint Paul
nous donne l'idée de l'être du chrétien en
plusieurs endroits de ses Epîlres. Ne savez-
rous pas, dit-il, que nous tous qui avons été
baptisés en Jésus- Christ, nous avons été ba~-
ptisés en sa mort ? c'est-à-dire que nous
avons reçu la vie qui nous l'ail chrétiens par
la mort de Jésus-Christ, et qu'ainsi celte vie
est uye mort à l'égard du monde. L'êlre du
chrétien est donc un être de mort par rap-
port à la vie présente. Rien n'est plus com-
mun que celle idée dans toute l'Ecriture, et
plus conforme aux principes de la religion,
lui conséquence de cet être, voici les devoirs
du chrétien (c'est toujours saint Paul qui
continue de parler) : Nous avons été ensevelis
avec lui pur te baptême pour mourir au
péché.
Or, mourir au péché, c'est, comme parle
le même Apôtre, représenter la mort de Jé-
sus-Christ ; et la représenter, c'est vivre se-
lon celle mort. C'est mourir au monde et à
toutes ses affections aussi réellement que
Jésus-Chrisl, par sa mort, s'est privé de tou-
tes les fonctions de la vie corporelle.
Voila les devoirs du chrétien, el n'être pas
dans cette disposition après avoir déclaré an
baptême que l'on renonce au momie, c'est
n'y avoir renoncé que de bouche, et non pas
en effet. Le chrétien doit donc élre mort aux
irs, à ses bictti et à sa propre vie;
c.'i s!-à-di:e à l'amour déréglé de toutes ces
chotea ; et aimant Dieu plus que tout cela, il
doil être disposé à tout perdre dès qu'il ne
pourra plus jouir de tout cela sans perdre
Dieu.
De là j'apprends quelle est la situation
d'un chrétien : c'esl un homme à qui il est
permis de conserver des richesses, mais à
qui il est défendu de Ie> aimer; qui les pos-
sède légitimement, mais qui ne peut en dis-
poser que selon la volonté du Seigneur, et à
qui, au milieu de ses biens, il est ordonné de
conserver l'amour et l'esprit de la pauvreté.
C'est un homme à qui il est ordonné d'être
humble dans l'élévation, modeste dans les
grandeurs, chaste dans la sensualité, tempé-
rant dans la bonne chère el moriifié dans les
plaisirs ; en un mot, c'est un homme, dit
saint Jérôme, réduit dans la nécessité de
vaincre tous les jours de sa vie des ennemis
qui ne l'attaquent qu'en le Caressant, ou de
périr éternellement s'il est vaincu. Voilà la
situation et l'état d'un chrétien également pé-
nible et dangereux. Que faisons-nous, nous
autres, et qu'allcz-vous faire, ma très-chère
sre.ir, pour éviter également cette peine et
ces dangers? Vous quillez tout, et vous
fuyez. Appelez, si vous voulez, celle fuile
une faiblesse ; qu'il y a de sagesse dans cette
fuite, el que celte sorte de faiblesse est un
grand effort de la foi! Car en me relirant du
combat, je me mels en assurance et j'évite le
danger d'être vaincu. Or il y a deux maniè-
res de vaincre les obstacles que le monde
forme au salut des chrétiens, ou de les at-
tendre pour le combattre, ou de fuir pour
éviter le combat : je fuis pour ne pas com-
battre, et je sais qu'en fuyant je n'ai pas en-
core remporté la vicloire; mais au moins je
fais ce que je puis pour n'être pas vaincu; et,
semblable à ceux qui se défendent dans une
place assiégée, je me retranche et je ruine
les dehors pour incommoder ceux qui m'at-
taquent. Mais il ne faut pas que ces ré-
flexions, quoique justes, nous écartent : re-
venons. Par où donc sommes-nous distin-
gués du reste des chrétiens, et au fond quelle
est précisément la différence de leur état et
du nôtre? Elle consiste dans l'abandonne-
ment actuel el pour toujours que nous fai-
sons des biens que les chrétiens doivent être
prêts à quitter dès qu'ils ne pourront pLs
les posséder sans être infidèles à Jésus-
Christ. Après tout, celle différence n'est pas
grand'1 ; car un vrai chrétien doil être disposé
à faire dans tous les moments de sa vie ce
que nous n'avons fait qu'une fois. Ces*, dit
saint Augustin, cette heurcue disposition
de cœur qui a produit à l' lùjlise tant d'il-
lustres a artyrs de l'un et de l'autre sexe ; c'est
ce qui a fait que plusieurs qui n'avaient pas
eu le courage de tendre à la perfection en re-
nonçant à tous leurs biens, y ont été élevés
tout d'un coup en devenant les imitateurs de
la ]>nssion de Jésus-Christ. Ç
INç, croyez dune pas, ma chère sœur, que I
toute la perfection el la sainteté du chris' ia- f
nistne soient attachées à notre profession.
lez pas croire, dit saint Bernard, que toute
i d vint ne soit répandue qur sur la
barbe d'Aaron; elle est versée sur la téie, et la
léten'est noint seulement pour porter la barbe,
93!
ORATEURS SACRES. ROM II ROME
iflfl
mai* elle influe sur tout le corps; c'est-à-dire
que loute la sainteté n'est pas seulement daoi
ceux qui semblent loucher de plus près à
Jésus-Christ par leur profession, comme la
barbe lient à la télé immédiatement. Tous les
membres «lu corps mystique y ont leur pari ;
et comme Jésus-Christ en est le chef, lui dont
toute sainteté et toute justice découlent, il la
répand jusque sur les parties les plus éloi-
gnées , et il arrive même souvent que celles
qui sont de beaucoup inférieures aux autres
par leur situation surpassent en mérite cel-
les qui sont plus élevées par leur rang.
Preuez donc garde, ma ebére sœur, de ne
vous pas élever. Vous ajoutez peu de chose
aux obligations communes à tous les chré-
tiens, et de plus la différence qui se trouve
entre eux et vous est l'ouvrage de la miséri-
corde de Dieu. Le sens des paroles que saint
l'aul emploie dans l'endroit où j'ai pris
celles de mon texte pour réprimer l'orgueil
des Romains est merveilleux pour expliquer
celle seconde considération. Il découvre à
ces peuples, 1° la nature de la grâce qui les
distingue ; 2° le motif qui a obligé Dieu de la
leur accorder ; 3" les conditions sur lesquel-
les il la leur accorde. Il leur découvre la na-
ture de leur grâce par ces paroles: Les bran-
ches naturelles ont été rompues, afin que je
fusse enté en leur place. Leur grâce est une
grâce de substitution; ils ont été enlés en la
place des Juifs, qu'il a rompus et arrachés de
l'arbre, à cause de leur incrédulité.
C'est l'idée naturelle de ce que nous som-
mes dans l'Eglise de Jésus-Christ: nous
sommes entés sur ces véritables adorateurs,
qui eurent l'amour de Dieu dans un degré si
éminent, qu'on les voyait renoncer non-
seulement à leurs biens , à leurs frères
et à leurs propres enfants , mais même
à leur propre vie, et préférer à toutes les
forlunesdu monde la gloire de la perdre pour
la confession du nom de Jésus-Christ. C'est
à ces véritables adorateurs de la majesté de
Dieu que nous avons succédé, et la grâce de
notre vocation est une grâce de substitution.
En effet, les chrétiens venant à se multiplier,
la ferveur commença à s'affaiblir dans l'E-
glise. Cette mère des enfants de Dieu devint
languissante, pour avoir été trop féconde, dit
Sa.lvicn. Les plaisirs de la paix lui ravirent
ceux que les horreurs de la guerre ne lui
avaient pu faire perdre, el les branches de cet
arbre mystique, que les secousses de la perse-
cation n'avaient pu rompre, se détachèrent
dans le calme et tombèrent dans la belle sai-
son. Cependant Dieu, qui voulait maintenir
cette pureté parfaite dans son Eglise, se form i
lui-même de nouveaux martyrs: il choisit dee
gens parmi ceux que le relâchement commen-
çait à corrompre, auxquels il inspira de mé-
priser par un renoncement volontaire ce que
les premiers abandonnaient plutôt que de per-
dre la foi ; el afin qu'ils ne leur fussent infé-
rieurs en rien, il les arma contre eux-mêmes,
appelant à leur secours la faim, la soif il les
injures de toutes les saisons. Ils se composè-
rent un martyre qui n'avait pas toute l'hor-
reur de relui des tyrans, mais qui tuppl il
ce défaut ]iar sa longueur. I etl de là, mes
chères SO! is, d'où nous sommes venu
/clc inspiré de Dieu et fariné par la charité
s'est répandu sur les anachorètes et sur les
i îles. Les l'aul cl les Antoine qui furent
les premières victimes de ce nouveau mar-
tyre ont élé les premiers fondateurs de la vie
que nous embrassons; el nous avons clé
subslitués avec eux en la place des apôtres
et dec martyrs, que les chrétiens allai nés sa
monde et à eux-mêmes n'étaient plus dignes
de remplir.
La seconde chose que saint Paul apprend
aux Romains, c'est que celle substitution a
été faite par grâce. Vous n'étiez, leur dit-il,
qu'un olivier sauvage qui tuez < té enlés ; cl
c'est là le motif de la substitution. He! par
où, ma très-chère sœur, sommes-nous enlés
en la place que nous tenons? C'est l'ouvraqe
de la miséricorde de Dieu, cl non pas un effet
de votre mérite, dit saint Augustin : prenez
donc garde de ne vous pas élever.
La troisième chose que saint Paul apprend
aux Romains, c'est la condition sous la-
quelle cette grâce leur a clé accordée : Si
toutefois, leur dit-il, tous demeurez dans l'étal
ferme où sa bonté vous a mis, autrement vous
serez aussi arrachés comme eux. Celle der-
nière réllexion n'est pas moins forte que les
deux autres pour empêcher votre orgueil ;
car enfin cette bonté que Dieu nous a témoi-
gnée nous deviendra entièrement* inutile, si
nous ne persévérons pas dans l'état où il
nous a mis, cl si nous sommes assez mal-
heureux que d'en sortir par un orgueilsccrcl,
qui nous porterait à mépriser ceux à qui il
n'a pas fait la même grâce qu'à nous.
Toutes ces vérités sont propres, ma très-
chère sœur, à vous donner une juste idée de
l'état que vous embrassez, et à vous appren-
dre que vous ne devez pas vous élever au-
dessus de ceux que Dieu n'y a pas appelés.
Sa miséricorde a fait beaucoup pour vous,
mais il vous reste encore beaucoup de cho-
ses à faire. // n'est pas temps, dit saint Pau-
lin, 'de donner la couronne à un athlète qui ne
fait que quitter ses habits el entrer dans la
lice sans avoir combattu. Ne chantons donc
pas la victoire au commencement du com-
bat. Vous avez oté les obstacles qui s'oppo-
sent à votre perfection, et qui auraient pu
vous empêcher d'y travailler ; retenez que
c'est peu de chose : Noli altum sapere ; mais
souvenez-vous que les engagements qui sont
inséparables decette profession vous doivent
faire craindre: Scd lime; c'est la seconde
partie.
SECONDE PARTIE.
Trois choses vous doivent faire craindre
dans l'état que vous embrassez, ma chère
sœur : I I. 'étendue de la perfection où «tous
êtes obligée de tendre; 2° les petites
que nous avons de celle perfection el de son
étendue, elle principe d'où elles viennent,
c'est-à-dire ce qui affaiblit celles que nous
devrions avoir ; •'! un fonds de faiblesse qui
est en nous, qui nous fait enshrasser ces pe-
tites idées cl qui combat la volonté de leudre
957
SERMON POUR UNE PROFESSION.
958
à celteexcellenteperfection par la plus exacte
pratique des règles.
Si vous considérez bien ces trois choses,
ma très-chère sœur, et que je puisse vous les
représenter aussi vivement que je les conçois
et que je les ressens , vous comprendrez
sans doute que, bien loin de nous élever dans
notre état, nous devons toujours craindre,
toujours trembler et toujours gémir devant
Dieu : Noli altum sapere, sed lime.
Or, pour vous donner l'idée que vous devez
avoir de l'excellence et de l'étendue de la
perfection à laquelle vous vous obligez de
tendre dans l'état que vous embrassez, il ne
faut que vous représenter encore une fois ce
que je vous disais il n'y a qu'un moment,
que Dieu nous a choisis pour retracer dans
notre conduite la sainteté des premiers fidè-
les ; c'est-à-dire, ma chère sœur, qu'il faut
que nous retracions l'extrême pauvreté et le
dépouillement universel des apôtres , par
un renoncement général à tout ce qui est
renfermé dans l'ordre des biens de la terre ;
il faut que nous retracions la force invinci-
ble et l'intrépide fermeté des martyrs, par un
amour général de la croix, et par une prati-
que continuelle de la mortification pour la
destruction du vieil homme.
Je ne détruis pas ici ce que j'ai dit dans
ma première partie ; car tous ces devoirs es-
sentiels dans notre état ajoutent peu de chose
aux obligations d'un chrétien, puisque pour
l'être il faut non-seulement qu'il n'aime pas,
contre l'ordre de Dieu, les biens qu'il possède,
mais qu'il soit disposé à les perdre tous plu-
tôt que de consentir de faire une action qui
puisse le priver de la grâce de Jésus-Christ:
il faut qu'il renonce non-seulement à l'amour
de tous les plaisirs illicites, mais qu'il soit
disposé à mourir plutôt que d'user, contre
l'ordre de Dieu, d'aucun de ceux qui lui sont
permis.
Oui, chrétiens, il faut que vous ayez dans
le cœur l'amour de celte perfection des apô-
tres et des martyrs que nous entreprenons,
par la grâce de Jésus-Christ, de retracer dans
notre conduite, et que vous soyez disposés à
nous suivre par la voie des conseils. Ajou-
tons à tout ceci, ma très-chère sœur, pour
vous donner une idée juste de la perfection
que nous embrassons, que nous sommes ap-
rielés à retracer en nous l'image de Dieu, que
e péché y a effacée ; car c'est, à proprement
parler, la fin de ces vœux solennels qui font
l'essence de notre état. Si nous renonçons
aux biens de la terre, c'est pour ne nous plus
occuper que des richesses de l'élernilé. Nous
ne sacrifions le corps que pour ne plus pen-
ser qu'à la sanctification de l'âme, cl nous
ne travaillons â la sanclifier qu'afin d'y voir
rétablir l'image de la Divinité. Or, ma (hère
sœur, on n'arrive à lout ceci que par des
moyens qui aient quelque proportion avec
ce but que l'on se propose. Ainsi un simple
renoncement à la propriété et au domaine
des biens extérieurs ne suffit, pas pour arri-
ver à celte entière désoccupation de la terre,
qui est essentielle dans notre état : il faul,
ma chère sœur, que nous travaillions à roin-
Orateurs saches. XXX.
pre tous les liens de cette vie terrestre et
passagère, et que par toutes sortes de voies
nous lâchions d'acquérir un affranchisse-
ment de tous les soins et de toutes les affai-
res humaines, aGn d'être plus prompts et
plus disposés à entrer dans les voies de Dieu
les plus parfaites.il ne suffit pas même d'être
éloigné de lout commerce qui peut souiller
l'âme et le corps, pour être pur : il faut être
vierge dans toute la conduite de notre vie.
Vous voyez jusqu'où doit aller le renonce-
ment à soi-même, quelle doit élre l'extinc-
tion de notre propre volonté, puisque nous
devons ne plus vivre que de Jésus-Christ et
retracer en notre âme cette image de la Divi-
nité que le péché a effacée.
Ahl ma chère sœur, que la perfection où
nous sommes appelés est excellente, et que
l'obligation d'y travailler a d'étendue! Quel-
les pratiques de vertu ne renferme-t-elle
pas ! Où sont les réserves qu'elle peut nous
permettre? Quels retours vers la terre ou
vers les personnes que nousy avons laissées,
ne lui sont-ils pas contraires! Nous nous
sommes donnés à Dieu en holocauste; tout
ce qui est de nous doit donc lui être consa-
cré, et nous ne saurions en reprendre la
moindre chose pour l'appliquer à un autre
usage.
Mon Dieu! faites-moi connaître l'étendue
de mes obligations; mais fortifiez-moi en
même temps par votre grande miséricorde,
de peur que ma faiblesse n'en soit accablée.
Eclairez mes yeux, ô mon Dieu! afin que je
ne m'endorme point du sommeil de la mort.
Ne permettez jamais que de dangereuses pré-
ventions affaiblissent en moi l'idée de mes
devoirs, et que je me laisse séduire parles
fausses maximes dont le relâchement se sert
pour les diminuer. Car nous ne connaissons
que trop par notre expérience la vérité de ce
que saint Augustin nous a si bien marqué,
en nous disant qu'i7 ne faut pas encore se
croire dans une entière sûreté au milieu d'une
profonde solitude où tout parait réglé, puis-
qu'on y trouve encore des occasions de se re-
lâcher. Il est vrai, continue cet incomparable
docteur, que parmi les serviteurs et les servan*
tes de Dieu qui vivent ensemble dans une même
maison, on y rencontre de grandes âmes, ony
voit des saints qui vaquent à la prière el aux
louanges du Seigneur, qui se nourrissent de
sa parole, qui font leurs délices de ses Ecritu-
res, qui travaillent de leurs mains, et q*e l'a-
varice ne porte pas à vouloir acquérir des ri-
chesses. Cependant i c'est toujours saint Au-
gustin qui parle), dans ces lieux si vénérables
el si saints, qu'on peut les comparer au para-
dis terrestre, sachez qu'il y a un serpent à
craindre, qui tâche d'inspirer à ceux qui y ha-
bitent ce qu'il inspira autrefois à nos premiers
parents. Il essaya alors de retirer l'homme de
la dépendance de Dieu, en lui inspirant du
mépris pour sa loi, sachant bien qu'il retoni'
berait sur lui-même, c'est-à-dire dans l'abîme
de toutes les misères, s'il s'élevait contre son
Dieu et son souverain. Par là il renversa cet
homme si fort et si parfait, qui Dieu axait
. créé avec tant d'avantages ; cl c'est par la
30
m ORATFt'RS SACRES
mfme voie qu'il travaille à vous fuite perdre
ceux que nous avons reçus pur su miséricorde :
car, comme nous ne sourions nous soutenir
dan» la perfection, ni remplir les obligations
dont nous sommes chargée, </uc pur les se-
cours continuels de la grâce, et que nous ne
pouvons nous en rendre dignes i/ue par ta pra-
tique exacte et fidèle de nos règles, Oui sont
comme les liens qui nous attachent à lui, et
comme une espèce de pacte formé entre Dieu
et nous, dont l'observation nous mérite un se-
cours et une force qui nous rend capables
d'arriver à la perfection d'un état si saint, il
essaye de nous cacher la vue de cette perfec-
tion, à laquelle nous sommes appelés, et d'af-
faiblir l'estime et l'amour d(S moyens néces-
saires pour y arriver. Il travaille èi réussir à
l'une de ces entreprises, en vous faisant jeter
les yeux sur la conduite de ceux qui se sont
relâchés dans leurs devoirs, en nous faisant
juger de la perfection vu nous devons tendre,
par celle des personnes avec qui nous vivons.
Il ta he de nous persuader que Dieu ne de-
mande de nous que ce que nous voyons en
elles ; ainsi, pour nous séduire, il se sert de
l'exemple de ceux avec qui nous sommes liés.
Lu femme que vous m'uvez donnée, dit à Dieu
le piemier homme, m'a trompé : Mulier quanti
dedisti milii, decepil me. // tire des forc<s de
celte persuasion pour affaiblir l'estime des rè-
gles, de l'amour de l'ordre et de l'exactitude.
Dès qu'onne voit plus cette perfection de l'état
dans toute son excellence, et qu'on s'est ac-
coutumé à lu réduire à la vie commune et re-
lâchée, on est bientôt persuadé qu'il nesl pas
nécessaire de se contraindre pour observer des
règles qui fontquelque violenceà la nature; on
écoule volontiers toutes les raisons qui nous
en déchargent: Cur praecepit Dominus?
A quoi bon toute cette gêne? Le cœur s'ouvre
à toutes lesmauvaises muxitnes ; onreçoit tous
les faux principes comme vrais, on s'attache à
toutes les dangereuses probabilités comme, à
des règles sûres, et enfin on en vient jusqu'à
s'endormir du dernier sommeil de la mort,
aux termes de l'Ecriture, c'est-à-dire que ion
tombe dans cet aveuglement déplorable de
croire qu'on puisse remplir les devoirs d'une
vie pénitente sans travailler continuellement
à la mortification de sa sens, qu'on puisse
être pauvre en se donnunî quelques commodi-
tés, que la seule délicatesse rend nécessaires,
et qu'on ne doive pas craindre le châtiment
des épouses in fidèles, en violant (es lois de l'al-
liance. Ce sujet de craindre n'est pas indif-
férent, ma chère sœur; saint Augustin ne l'a
pas regardé comme tel, quand il a dit que
la plus cruelle persécution des justes en cette
rie, c'est de se voir mêlés parmi les michunts ;
d'où il est aisé de conclure qu'une des plus
dangereuses tentations pour ceux qui sont
obligés de marcher dans la voie étroite, c'est
de vivre avec des persunnos relâchées; he 1
où ne s'en trouve-t-il point 1
Mais, ma chère .sœur, il ne faut pas vous
découvrir le mal sans vont en donner le re-
mède. Nous l'apprendrons de saint Augus-
tin. Ne prenez jamais, dit-il, de liuisun avec
ceux qui s'éloignent de la règle, et n'approu-
vât /F.ROM F.
riz aucun discours, aucune maxime qui tende
à affaiblir l'amour de l'ordre. ït< prin z-l<s
duu- h urs éipirements, non ; as par une cor-
rection formelle, qu'il t convient de faire que
quand on en est chargé par état, mais pal l •-
niformité de votre rie, / ar un a fa< henient in-
violable aux règles. Voilà l'excellente correc-
tion de laquelle chacun ot capable.
Il vous reste une troisième < -ho-c à crain-
dre, c'est, ma très-chère saur, votre propre
personne, c'est vous-même, ci c'est
nemi que tous ne potiii z éviter nbs lumsnl,
poursuit saint Augustin. Vous n'aurez
de commerce avecles personnesqui s'é oignent
de la voie étroite, vous nt vous conformerez
en rien à la conduite de ceux qui sont r lâ-
chés, et vous rejetterez comme pernicieuse»
toutes l' s maxime* qui peuvent affaiblir l'idée
de ta perfecti m oèi ious (liez tendre; mais
nous avons , continue ce >aiit docteur, de
grand» et de continuels combats à sou enir
contre nous-mêmes dans ce cœur coi rompu ;
cl il n'y a point d'homme qui ne trouve au d -
dans de lui une multitude d'ennemis toujours
opposés aux bonii's r solution* que la grâce
de Jésus-Christ lui fait former dans son cœur.
Le chagrin, l'inconstance, la paresse, l'or-
gueil, la recherche de nous-mêmes, le préteste
des faux besoins, s'opposent incessamment à
l'uniformité de notre vie, et combattent pour
le rclâhement coude no» devoirs, et souvent
même coAtre ce que notre cœur désire.
Que ferons-nous donc, ma très-chère sœur,
étant appelés à une si haute perfection, dans
un état si saint, ayant tant d'obstacles à
surmonter, soit de la part des autres, soit à
cause de notre propre faiblesse, qui nous en-
traîne toujours du côté du relâchement, et
qui est prête à recevoir avec une si grande
avidité tout ce qui est propre à l'autoriser ?
Recourons à saint Augustin, et écoutons les
derniers avis de cet incomparable docteur.
Demeurez, dit-il, dans l'humilité, dans la
crainte et dans le tremblement. Si COtU WteX
sujet de vous réjouir pur ce que le Seigneur
a fait en vous, il faut toujours que celle jois
soit eccompagnée d'une sorte de crainte, afin
que la grâces qui ont clé données ne vous
portent point à devenir superbe e! ingrat
(Qu >d datum est liumili aufiralur superbu).
Prenez donc garde, ma très-chère soeur, de
ne vous élever jamais. Rien n'est si opposé
à notre état que l'orgueil. Comme c'est par
la miséricorde de Dieu que nous sommes ce
que nous sommes, c'est elle qui peut nous
soutenir, et il abandonne les superbes. Hu-
miliez-vous donc, ma très-chère sœur, bien
loin de vous élever. La gloire qui est atta-
chée à l'action que vous allez faire est un
effet de la miséricorde de Dieu, craignez de
la perdre eu vous élevant. Les engagements
de notre profession lont grands, erai
d'y succomber; car nous avons de redouta-
bles ennemis autour de nous et au dedans
de n us-, appuyez- vous sur Jésos-Chrisl ;
mettez en lui toute rolre confiance ; atten-
de! lotit de sa sainte grâce : c'est pour nous
inspirer ce sentiment qu'il a dit dans l'Lvau-
gilc qu'il était la voie, la vérité et lu vie.
comme s'il voulait dire en s'attribuant ces
qualités : Quel sujet avez-vous de craindre?
c'est par ma vertu que vous marchez, c'est à
moi nue vous voulez venir ; mettez donc
toute votre confiance en moi, car c'est en
moi uniquement que vous trouverez votre
repos. C'est ce repos que je vous souhaite,
( te. Ainsi soi t — il -
AUTRE SERMON
POUR UNE PROFESSION.
Qui in Judaea sunt fugiant ad montes.
Que ceux qui sont dans la Judée s'enfuient sur les mon-
tagnes (M atlh., XXIV, 1G).
J'observerai dans ce discours, ma chère
sœur, ce que j'observe ordinairement dans
des occasions pareilles à celle pour laquelle
vous nous assemblez. J'y retrace ordinaire-
ment l'idée de la miséricorde que Dieu a faite
à celles qui se consacrent à lui , où il se
trouve presque toujours des circonstances
singulières dignes d'une attention qu'on ne
donne point à des discours vagues et géné-
raux. J'en vais prendre l'idée dans la partie
de l'évangile que l'Eglise nous lit aujour-
d'hui, pour servir de nourriture à notre
âme, parce qu'il me paraît très-convenable
à mon dessein. Or, ma chère sœur, il y a des
circonstances singulier es dans !a miséricorde
que Dieu vous fait, et elles paraissent mar-
quées naturellement dans cet évangile; je
vais donc vous les retracer dans ce discours,
qui aura deux parties : dans la première je
vous donnerai l'idée de la miséricorde de
Dieu sur vous ; dans la seconde je vous tra-
cerai la conduite que vous devez tenir pour
ménager les fruits de celte miséricorde. Nous
ne sortirons point de notre évangile. De-
mandons l'assistance du Saint-Esprit. Ave,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Le Sauveur du monde avait dit aux juifs
qu'ilsvcrraient leur ville foulée aux pieds par
les gentils ; qu'ils passeraient par le fil de
l'épée, ou qu'ils seraient emmenés captifs
dans toutes les nations ; qu'ils seraient enfin
accablés de tous les maux dont Dieu les
avait menacés dans ses Ecritures, et qu'ils
seraient réduilsà une allliction telle qu'il n'y
en avait jamais eu et qu'il n'y en aurait ja-
mais de semblable. Après cette affreuse des-
cription, il leur dit ces paroles -.Alors, que
ceux qui sont dans la Judée s'enfuient sur les
monlai/nes.
Ces paroles renferment, 1° la fuite de la
Judée; 2 la retraite sur les montagnes; or je
trouve dans ces paroles l'idée naturelle de la
mi éricorde que Dieu vous a faite, ma chère
sœur. Elle consiste, l°à vousavoir fait sortir
du monde, où vous a\iez vécu; 2" à vous
avoir lait entrer dans la solitude, où vous
voulez finir vos jours. Mais, pour bien com-
prendre toute l'étendue de cette miséricorde,
il faut vous donner une idée du monde, en
suivant celle que le Sauveur nous donne de
la talée, en nous disant que l'abomination
ri la désolation sont iant le lieu saint ; et
n'est-ce pas là l'étal de ce monde, qui fait
une prolession extérieure d'être à Jésus-
DEUXIEME SERMON POUR UNE PROFESSION.
942
Chi ist? n'est-ce pas du monde, c'est-à-dire de
ce corps d'hommes qui ont l'esprit et la vie
toujours opposés à la loi de Jésus-Christ, que
saint Jean nous a parlé quand il a dit que
tout ce qu'il y a dans le monde est la concu-
piscence de la chair, ou la concupiscence des
yeux, ou l'orgueil de la vie? c'est-à-dire que
le corps des méchants qui forme le monde
n'est animé que de la passion des plaisirs
des sens, de la cupidité des richesses, du dé-
sir des curiosités vaines et criminelles, de
l'orgueil, de l'amour des honneurs et de la
grandeur humaine. Quelle effroyable oppo-
sition entre ces sentiments et les vôtres, ô
Seigneur Jésus ! Hé! que peut-on penser de
ceux qui les suivent, et qui vivent cependant
dans notre Eglise et dans la participation
extérieure de nos sacremen's? n'est-ce pas
l'abomination de la désolation dans ce lieu
saint? Ceux qui vivent ainsi vous appar-
tiennent, 6 Sauveur du monde 1 comme des
coupables appartiennent à un juge qui va
les condamner; aussi avez - vous dit que
vous ne priez pas pour le monde.
Voilà, ma chère sœur, par où on peut ap-
pliquer au inonde l'idée de cette abomination
dans le lieu saint dont il est parlé dans cet
évangile, et dont il vous fait sortir par sa
grâce; mais qu'a-t-il fait pour vous en faire
sortir? Il a tenu une conduite contraire à
celle qu'il paraît dans cet évangile avoir
voulu tenir avec les Juifs qui appartenaient
à la loi nouvelle : il leur commande de sor-
tir avant que la désolation de Jérusalem ar-
rive, et à votre égard il a voulu que vous
vissiez la désolation pour vous obliger à
prendre la fuite. lia renversé votre fortune,
afin de vous séparer du monde, où vous n'é-
l.ez déjà que trop attachée et dans lequel
vous alliez vous perdre. Il a fait périr le
monde sous vos mains, de peur que vous ne
périssiez avec lui , et il vous a arraché par
sa miséricorde ce qui n'aurait servi qu'à
vous y lier davantage, en nourrissant votre
orgueil et vos passions. Heureuses celles
qu'il chasse par violence, quand il les sou-
tient par sou esprit ! mais combien y en a-
t-il qu'il a frappées de même, et qui ne l'ont
point entendu 1 combien y en a-t-il qui, com-
me les soldais dans le jardin des Oliviers, ont
été renversées et sont tombées par terre, mais
dont le cœur ne s'étant point laissé toucher
par sou amour, ne se sont point converties
cl n'ont fait aucun usa^e de ce renverse-
ment? il vous a ouvert les yeux sur sa con-
duite à votre égard, il vous a fait compren-
dre ce qu'il voulait de vous, en vous frap-
pant aussi rudement qu'il a fait; ainsi, ma
chère sœur, étant de dessus vos yeux le voile
dont parle saint Paul, qui demeure sur le
co'ur d'un grand nombre de chrétiens, il vous
a fait comprendre qu'il fallait le suivre dans
la solitude et l'aller chercher sur les monta-
gnes : Fuginnl ad montes. Vous voyez déjà
quelle est celle montagne dont je veux vous
parler : c'est celte sainte maison , que j'apr
pellerai une montagne, aux termes de l'Ecri-
ture ; montague grasse, fertile; montagne
où Dieu habile et où le Seigneur habitera
9ii ORATEURS SACRES. DOM JEROME
tant que la paix cl la charité o,ui y régnent
continueront d'y régner, cl où l'on enseigne
les règles de la perfection qu'on y pratique
On j csl à cou\crt de l'iri.pt ession des pas-
sions grossières, on y csl dans l'otage des
moyens propres à combattre les plus délica-
tes et les plus imperceptibles ; on y suit les
moyens les plus sûrs pour accomplir les de-
voirs auxquels oblige le grand seeau du bap-
tême commun à tous les chrétiens, cl dont
les obligations sont inconnues presque de
lous ; on y est dans les exercice! d'une
guerre déclarée contre l'homme corrompu,
cl contre l'amour-proprc qui nourrit sa cor-
ruption ; on y est hors de ce torrent dange-
reux où tant d'hommes, liés les uns aux au-
tres par des chaînes de ténèbres, sont entraî-
nés (Je compagnie dans cet étang brûlant de
feu et de soufre dont parle l'Ecriture; on y
marche enfin par les voies les plus courtes
pour arriver à la perfection où nous som-
mes lousappelés en qualité d'enfants de Dieu.
C'est donc sur cette montagne que la grâce de
Jésus-Christ vous a appris à fuir. Vous de-
vez la regarder comme une montagne, elle
l'est pour vous plus que pour un autre; car
vous avez eu plus de peine à y mouler; il a
fallu cinq années d'efforts et de persévérance
pour y parvenir. Combien d'obstacles s'y
sont-ils opposés lit était juste , ma (hère
sœur, que cela fût ainsi : vous aviez été at-
tachée au monde plus qu'une autre, et vous
aviez contracté davantage de ces ordu-
res dont se noircissent ceux qui s'y atta-
chent. 11 fallait en quitter les affections, et
que le cœur lût purifié par une plus longue
épreuve.
Moïse lui-même ne monta sur la montagne
d'Horeb qu'après avoir Ole les souliers de ses
pieds. Enfin vous y voilà sur celte montagne
où la grâce de Jésus-Chrisl vois a appelée,
et vous y avez été conduite par la main sage
et charitable du digne ministre de Jésus-
Christ qui va recevoir de voire bouche l'as-
surance de la résolution que vous avez prise
d'y vivre toujours. Apprenez ce que vous de-
vez faire pour ménager les fruits de la misé-
ricorde de celui oui vous y a appelée : c'est
le second point.
ni»
Il faut oublier tout ce qui peut appartenu
à cette miison vrs laquelle nous ne devoM
plus tourner les yeux. Or, tout ce qui est
dans celte vallée que nous avons quittée
pour passer sur la montagne se reluit à rua
biens , à vos proches et à tous-même. L'ou-
bli du chemin \ers sa maison esl ■éeeiMi t
pour s'affermir utilement sur la montagne
où la miséricorde de Dieu vous a conduite, et
il consiste à croire que Jésus-Christ n'est
pour vous que sur celle montagne. Si l'on
vous dit que le Christ est ailleurs, n'en croyez
rien, et soyez sûre qu'il n'y a point d'autres
voies pour aller à lui que les règles et les
obser va ncos de cet te m d i son. Regardez comme
des illusions pour vous toutes les vues de
perfection qui ne sont pas renfermées dans
les règles de la vie d'une chanoinesse régu-
lière. L'austérité d'une capucine est excel-
SECONDE PARTIE.
Je réduirai, ma chère sœur, à Irois choses
ce que vous devez faire pour ménager les
fruits de la miséricorde de Oieu sur vous,
dont je tiens de vous donner l'idée, et je les
prendrai dans l'Evangile. 1 ' Il faut vous atta-
cher à celle montagne et y demeurer ferme :
Qui in ta to non descendat tollcre aliquid de
domo sun : Oue celui qui est au haut du toit
ne descende point pour emporter quelque
chose de sa maison : premier devoir. 2° Il
faut travailler fidèlement sur cette montagne
cl n'y pas demeurer oisive : Qui in aijro non
revertatur tollere tunicmn suam : Que celui qui
sera dans les champs ne retourne point pren-
dre ses vêlements : deuxième devoir. S' Il
faut travailler toujours sans relâche : Orale,
ne fuga vestra fiât in hieme vcl sabbato : troi-
sième devoir.
lente, mais elle n'est pas la voie d'une cha-
noinesse : Si on vous dit : Le Christ est dan»
le désert, n'y allez pas. La solitude d'une
chartreuse est merveilleuse, mais elle ne
convient point à la vie de société d'une cha-
noinesse régulière. Renoncez à votre propre
esprit et à toutes les pensées d'une sorte
d'estime mal entendue sur ces différents gen-
res de vie. Renlermez-vous dans cette règle
de charité et d'amour de Dieu que saint Au-
gustin vous a tracée et que vous embrassez
aujourd'hui. Vous aurez le mérite de la dure
austérité et de l'affreuse solilude en servant
Dieu en esprit et en vérité, dans la douceur
de la règle dont vous allez faire profession.
Que l'idée cependant de la douceur de vie que
j'attache à votre profession ne vous trompe
pas, ma chère sœur. Elle vous engage à tra-
vailler, mais d'une manière différente : l'E-
vangile nous en averlit. En effet, il appelle
aussi un champ celte montagne où elle nous
conseille de fuir; or le champ est un lieu où
l'on travaille, et l'Evangile nous le marque,
puisqu'il ajoute : Que celui qui est dans le
champ se donne bien de garde de retourner
pour prendre ses vêlements.
Les ouvriers les quittent pour travailler.et
ils ne les prennent que quand ils veulent
quitter leur ouvrage; ainsi non-seulement il
faut travailler dans le champ de cette monta-
gne, mais il ne faut jamais cesser de le faire,
puisqu'il nous défend de reprendre nos vêle-
ments, et que d'ailleurs il nous avertit de
prier, afin que notre fuite n'arrive point du-
rant l'hiver ni au jour du sabbat; car par là
il a prétendu que, comme l'hiver est une sai-
son morte, où la nature semble ne plus tra-
vailler, que le sabbal est un jour de repos, où
le commerce des œuvres laborieuses esl in-
terrompu . il fallait bien nous donner de
garde de croire que la vie de retraite et de
séparation que l'on mène sur la montagne
lût une vie de repos, désoccupée et sans tra-
vail.
11 sera aisé de se convaincre de ce que
nous avançons ici quand on considérera que
nous avons des crimes propres à expier,
ceux du peuple à pleurer, des passions à
combattre, un orgueil à dompter, une chair
à sountcllrc, un esprit à fixer, des vertus à
945
SENTIMENTS DE PENITENCE POUR UN MOURANT.
946
acquérir, un ciel à mériter, un Dieu à apai-
ser et la vie de Jésus-Christ à retracer.
Voilà la matière de nos travaux : Elie était
sorti de la cour de Jésabel, il était entré dans
le désert, il y avait fait quelques journées, il
y avait bu de l'eau des larmes et mangé le
pain de la pénitence; il s'y endort. L'ange du
Seigneur revient une seconde fois, il le
frappe et il lui dit : Lecez-vous et mangez,
car il vous reste un grand chemin à faire. Il
en est de même de vous, ma chère sœur.
Vous avez quitté la Judée, rende* grâces au
Seigneur; il vous a conduite sur la monta-
gne, n'oubliez jamais ce bienfait : demeurez
ferme, ne tournez jamais la tête du côté de
celte malheureuse société du monde que
tous avez quittée. 11 n'y a plus que la charité
qui nous puisse permettre de jeter les yeux
sur les personnes que nous y avons laissées.
Plus de part à leurs intérêts, plus de soins,
plus d'égards, si ce n'est à ceux du salut. Te-
nez-vous dans la voie que Dieu vous a ou-
verte. On se perd en corrompant sa voie, et
ou la corrompt en se nourrissant des idées
d'un bien étranger qu'on se propose pendant
qu'on néglige celui que Dieu demande de
nous dans notre état. C'est ce que saint Am-
broise appelle être dévot en idée et en pa-
resseux : Corde devotus, opère piger, religio-
sus affeclu, oliosus actu. Le ciel et la terre
passeront, mais les paroles d'engagement à
Jésus-Christ, que vous allez prononcer entre
les mains de son ministre, ne passeront point.
Ce sera sur ces paroles que vous serez jugée
à la mort; mais vous y serez fidèle dans vo-
tre vie. Je l'espère de la miséricorde de Dieu,
qui achèvera en vous ce qu'il a commencé;
et par là vous comprendrez l'étendue de cette
miséricorde. Je vous la souhaite. Ainsi soit-il.
SENTIMENTS
DE PENITENCE POUR UN MOURANT.
PREMIER SENTIMENT.
Se reconnaître pécheur.
Oui, Seigneur, je me reconnais pécheur;
j'ai péché contre le ciel et contre vous : je ne
suis plus digne d'être appelé votre enfant.
IIe SENTIMENT.
Se reconnaître digne de la mort.
Seigneur, je suis digne de la mort; votre
Apôtre m'apprend que la mort est le prix et
le fruit du péché, et vous-même vous en avez
prononcé l'arrêt contre tous les hommes en
la personne du premier. J'ai donc mérilé de
mourir dès que j'ai commencé de vivre, et je
n'ai fait en vivant que me rendre digne de la
mort de plus en plus; car j'ai souillé mon
âme par toutes les iniquités que j'ai commi-
ses, et j'ai mérité la mort éternelle par ces
iniquités, qui sont sans nombre. Oui, mon
Dieu, je suis digne de la mort.
III' SENTIMENT.
Accepter l'arrêt de la mort.
O mon Dieul je consens que cet arrêt de
mort s'exécute sur moi. Qu'elle vienne donc,
cette mort, qu'elle exerce sur moi toute sa
puissance, qu'elle m'ôte la raison, qu'elle
éteigne toutes les lumières de mon esprit,
qu'elle anéantisse pour ici-bas toutes les puis-
sances de mon âme , qu'elle afflige mon
corps, qu'elle ronge ma chair, qu'elle me dé-
vore par les vers de la terre, auxquels je me
livre pour être leur pâture. Je me regarde
déjà dans ce tombeau qu'on me prépare, et
je m'y sacrifie comme une victime que le pé-
ché a rendue digne de la mort. Oui, mon
Dieu, j'y descends tout en vie pour y porter,
par la loi et par une humble soumission à
vos volontés, cet arrêt de mort que vous avez
rendu contre les pécheurs.
IV SENTIMENT.
Être bien aise que cet arrêt de mort ne s'exé'
cute que peir parties.
Mais,ô mon Dieu! quoique j'accepte la
mort, je ne vous demande pas qu'elle vienne
finir mes douleurs, ni consumer dans ce mo-
ment celte vie languissante que je mène de-
puis tant de temps. J'adore la conduite que
vous lenez sur moi. Je suis bien aise que
mon sacrifice ne se fasse que suivant volro
volonlé. Heureux, ô mon Dieu! si je pouvais
voir éteindre toutes les facultés de mon âme
l'une après l'autre, et mourir successive-
ment par tous les membres de mon corps,
afin que je pusse expier par autant de morts
particulières les péchés innombrables quo
j'ai commis contre votre volonlé par toutes
ces parties de mon être ! Oui, je le dis avec
votre Prophète, dans l'amertume de mon âme
cl dans le brisement de mon cœur, que la
mort se nourrisse de mon corps, qu'elle
broute et mes membres et ma chair, comme
les brebis broutent l'herbe des champs ; mais,
ô mon Dieu! soutenez-moi dans ce sacrifice.
Ve SENTIMENT.
Désapprouver toutes les dispositions contrai-
res à cet abandonnemenl.
Je sens ma faiblesse, ô mon Dieu! et si
vous ne m'assistez par votre sainte grâce, je
succomberai dans ces épreuves. Je l'implore
donc avec humilité comme mon unique ap-
pui, et je renonce de tout mon cœur à toutes
les dispositions contraires à cet abandonne-
ment que ma faiblesse et l'infirmité de ma
chair pourraient produire. Je m'unis à Vous
sur votre croix; vous n'y avez clé mis quo
pour moi, vous n'avez pas voulu en des-
cendre que le sacrifice ne fût consommé.
Mon cœur n'en veut pas descendre non plus;
je désire d'y mourir avec vous, et quoique
mon corps y répugne, je dirai toujours dans
le fond de mon cœur avec le Prophète : Je
prendrai le calice du salut, et j'invoquerai le
nom du Seigneur : Calicem sulutaris acci-
piam, et nomen Domini invocabo.
VI' SENTIMENT.
Désirer Dieu et son royaume.
Puis-je invoquer autre chose que volro
saint nom. ô mon Dieu! puisque je ne désire
que vous? Formez en moi, Seigneur, ces dé-
sirs ardents sans lesquels on n'est jamais di-
W7 ORATEURS SACRES. DE NES.MONR.
gne de vous voir. Mon cœur, il est vrai, s'est
occupé des créatures; et, se remplissant des
vanités du siècle, il ne s'est point assez ac-
coutumé à vous désirer. Mais recevez-le,
Suiveur du monde; vous avez toujours été
digne d'amour, vous m'avez toujours promis
dis richesses infinies et un royaume éternel,
el je n'ai jamais désiré, comme j'ai dû, ni
vous ni vos biens. Que dcviendrai-ji- quand
tout disparaîtra et que toutes les créatures
périront pour moi, si vous ne me tournez
vers vous, et si je ne regarde avec tout l'a-
mour que vous êtes capable d'inspirer ce
royaume éternel qui va s'ouvrir? Faites— lc-
moi désirer, ô mon Dieu! détachez ce cœur
des créature! qu'il va perdre, et remplissez-
le d'un désir ardent d'être uni à vous el de
vous posséder dans votre royaume éternel :
Fient, Domine Jesu : adveniat regnum tuum :
Venez, Seigneur Jésus : que votre royaume
arrive.
VIP SENTIMENT. -
Ml
(|u la fxn l< iln royaume de Dieu me soit ou-
vert ". (.'est la giâce de mon S uveur qui
foui' ma coi. fiance; car ('est dans Jésus-
Chrisl que noua Irouvons le salut, la VM tjl
1 irrcK ion : Ptr Domûum Ho$trun J<-
sum (In islam ; (,'hrhtus, in quo est salas , i ( i
et reauri ecti'j HOi lia.
V 111' 6BHT1MJ N I
S'unir à Jésus-Christ, pour qu'il nous offre à
son Père.
Oui, mon Dieu, je paraîtrai à la porte de
votre royaume avec confiance, quoique j'aie
mérité d'en être exclu pour toujours; je mo
présenterai sans crainte aux yeux du Roi de
gloire et de majesté qui y règne, quoique
j'aie mille fois mérité sa colère, parce que
je prétends ne m'y présenter que par Jésus-
Christ. Je suis tout rempli d'iniquités, mais
je suis couvert de son sang. Mes péchés me
rejettent, mais sa mort m'introduit; el, sa
croix à la main , je demande avec confiance
Attendre en paix («m >ment de Dieu el (a con-
sommation du sacrifice.
Os désirs, o mon Dieu ! et celle confiance
en la vertu du sang de Jcsus-Chn-t ne ten-
dent pas à m'élever, mais à mettre ma con-
fiance dans les dispositions de lotre provi-
dence sir ma personne el sur ma vie. J'ai
humilié mon cœur en votre présence par la
déclaration de mes crimes, que je rendrais
publique si c'était votre volonté et s'il était
nécessaire pour votre g'oire. J'ai reçu le
sceau de ma réconciliation avec vous par la
participation du corps et du sang de votre
fils. J'attends la consommation de mon lacri-
fice; mon âme est dans la paix, mon sort est
entre vos mains. J'attends sans inquiétude,
parce que je sais que c'est mon père qui doit
méjuger; je remets donc mon esprit entre
vos mains : In ma nu s tuas cummendo spiri-
tuni meum ; et je finirai ma vie dan-, le si-
lence, en disant avec votre Prophète : Four
moi, je me coucherai eu paix, et je jouirai
d'un n pos parfait ; à Dieu seul soit l'hon-
neur cl la gloire dans l'éternité : In pace in
idipsum durmi-tm et requieseam ; soli Deo ho
nor et glori t.
NOTICE SUR NESMOND.
Nesmo^d (Henri de), d'une famille illustre
de l'Angoumois, se destina de bonne heure
à l'état ecclésiastique, et fit ses études à Pa-
ris. Il ne larda pas à se faire un nom dis-
tingué dans le ministère de la prédication ,
et ses succès lui méritèrent l'évèché de Mon-
tauban. Il passa ensuite à l'archevêché
d'Albi, puis à celui de Toulouse. Reçu, en
1710, à l'académie française, à la place de
l'illustre Flécbier, il fut souvent choisi pour
porter la parole devant les assemblées du
clergé, et celles des Etals de Languedoc em-
pruntèrent plus d'une fois sa plu me et sa voix,
ce qui montre le cas qu'on faisait de son élo-
quence dans le siècle si éclairé de Louis XIV .
Ce prince, qui savait si bien apprécier tous
les genres de mérite, goûlail beaucoup la
manière de notre prélat. Un jour que Nes-
inond le haranguait, la mémoire lui man-
qua et il resta courl devant lui après avoir
prononcé quelques mots d'exorde. Le roi
lui dit alors avec bonté : « Je suis bien aise
que vous me donniez le temps de goûter les
belles choses que vous me dites (1). »
Henri de Nesmond mourut eu 1727. On
possèle un recueil de ses Sermons, Discours,
(1) On cilc à peu près lus mêmes paroles adressées par
Louis XIV à Massillon, au moment où ce grand homme,
Harangues, etc., qui furent publiés à Paris
en 17a4, 1 vol. iu-12. C'esl sans doute pai
erreur que le Dictionnaire historique do
l'abbé Feller, el la fiioaraphe universelle
rédigée par une so iétc de yens de lettres el
de savants, disent que les œuvres de Nes-
mond virent le jour à Taris en 1734 ; car
l'éditeur du recueil que nous r< produisons
se plaint, dans l'avertissement mis en tète
de sa publication , qu'on eût négligé jus-
qu'alors de rassembler les différent* écrits de
ce célèbre orateur, et il ajoute qu'il les publie
pour la première fois. Or cet éditeur écrivait
ces lignes en 17ôi, à propos de l'unique édi-
tion que l'on connaisse des ouvrages de
l'archevêque de Toulouse. Le style de Nes-
mond, simple, élégant, souvent énergique, se
fait encore remarquer par l'élévation des pen-
sées et la noblesse des images. S'il ne manquait
pas habituellement rie cette chaleur, de ce
l'eu qui anime el vivifie I s productions de
tant d'illustres orateurs s s contemporains,
on ne pourrait lui refuser une place hono-
rable parmi les meilleurs écrivains du siècle
de Louis le Grand.
prêchant en sa présence, s'arrêta uu instant au milieu de
son discours.
SERMONS
HARANGUES, DISCOURS, ETC.,
DE NESMOND.
DISCOURS
Prononcé à l'ouverture des Etats de la pro-
vince du Languedoc, dans la grande église
de Pézenas , le dimanche 23 novembre
1692.
Reddiie ergo omnibus débita : cui tribulnm, tribulum;
cui timorem, timorem ; cui honoreni, honorem.
Rendes donc à chacun ce qui lui est dû: ta crainte a qui
tous devez la crainte ; le tribut à qui vous devez le tribut,
et l'honneur à qui vous devez l'honneur (Rom., Xllt, 7).
Monseigneur (1),
C'est ainsi que s'expliquait autrefois l'A-
pôtre, lorsque, recueillant dans un même
lieu tous les principes île la souveraineté des
rois et de l'obéissance des sujets, il ensei-
gnait aux premiers fidèles de Rome ce qu'ils
devaient à leur prince et à leur patrie.
11 leur disait avec une éloquence unie et
animée que toute autorité est établie du ciel ;
que les rois, étant les images visibles de la
Divinité et les dépositaires de sa puis-
sance, ils attirent nos respects, notre véné-
ration et nos hommages; que, puisqu'ils
sont les anges tutélaires de leurs Etals et du
public, nous leur devons des tributs et des
secours quand ils les demandent ; que la sou-
mission et l'obéissance qu'on leur rend ne
sont point un fardeau servile qu'imposent la
crainte et la politique , mais un devoir
qu'exigent la naissance et la religion; qu'on
ne peut être un clnétien parfait si l'on n'est
citoyen fidèle, et que, comme il y a une cha-
rité commune qui nous fait compatir aux
nécessilés des fidèles qui sont nos frères, il
y a aussi dans le fond de nos cœurs et de
nos consciences une loi qui nous intéresse
dans les besoins de l'Etat dont nous sommes
les membres, cl dans ceux des princes qui
en sont les maîtres.
Pénétrés de cet esprit et de ces maximes,
nous nous rassemblons en ce lieu, mes frè-
res, pour remplir un des plus importants de-
voirs du caractère dont nous sommes revê-
tus dans celte pro\ince. Ce n'est point la sa-
gesse mondaine ni la piudcnce delà chair
qui nous excitent ici à l'accomplissement de
uos obligations, c est notre foi qui nous ins-
truit et qui nous anime; nous obéissons à
Dieu en rendant à César ce qui est dû à Cé-
sar, et c'est par cette raison qu'offrant au
Seigneuries prémices île ces Elals cl de nos
fonctions, tout ce que la religion a de plus
(f ) L'évêque de Carcassoune, ollicianl.
saint et de plus auguste consacre aujour-
d'hui les commencements de notre assem-
blée.
Le Saint-Esprit invoqué par le ministère d'un
pon tife,l'oh lai ion pure des mystères que l'Egli-
se appelleterribies, un minisire de Jésus-Christ
qui vient annoncer les vérités de l'Evangile,
el joindre, selon l'expression de saint Au-
gustin, à la majesté du sacrifice le sacre-
ment de la parole, le Sauveur du monde
présent sur nos autels, pour nous avertir
qu'il sera le témoin de nos délibérations et le
jugedenos justices, ce grand concours de fidè-
les empressés à adorer l'arche du Seigneur et à
la suivre, tout cet appareil de cérémonies
vénérables par la sainteté qui les accompa-
gne et par la ferveur de ceux qui y assistent :
tout cela ne jelte-t-il pas dans nos cœurs des
impressions de christianisme et de piété?
Nous venons secourir l'Etat dans sis be-
soins, pourvoir au soulagement des peuples
de celte province, nous édifier les uns les
autres par de bons exemples : peut-il y avoir
des obligations plus importantes dans la re-
ligion ? Hé 1 quels objets plus dignes de no-
tre application, de notre vigilance et de no-
tre zèle 1
Ne nous considérons point par conséquent,
mes frères, comme un corps politique, uni
par les liens extérieurs el par les intérêts
communs de la patrie. Jugeons de nos occu-
pations comme Dieu en juge lui-même. Nous
sommes un corps de chrétiens appelés ici à.
des fonctions qui entrent dans l'économie de
notre salut. Il y a dans les soins et dans les
affaires qui nous occupent une espèce de vo-
cation dont Dieu nous demandera compte, et
malheur à nous si nous regardions le temps
de uos Etats comme une saison qui ramène
la joie et les consolations de la terre, comme
un séjour où règne un commerce agréable
d'esprit, d'amusement et de politesse; et
quelle prévarication ne serait-ce point, s»
on n'avait ici d'autre motif que l'envie de
produire ses talents et ses lumières, si on
pensait bien plus à se rendre recommanda-
ble par son mérite qu'utile au bien public par
ses services, et si les désirs séculiers dont
parle l'Apôlrc, et les considération! humai-
nes étaient le mobile el le principe de notre
conduite ?
Grâce a Jésus-Christ, je prêche aujour-
d'hui, comme Saùl entre les prophètes, la
951
sagesse devant les parfaits ; chacun vient ici
convaincu du poids de sc> obligations. Tous
ces pontifes si distingués par leur doctrine,
leur piété et leur caractère, celle noblesse
aussi estimable par si sagrssc que par s.:in
courage, tous ces députés attentifs aux de-
voirs de li m- mission, sont plutôt mes mo-
dèles que le sujet de mes instructions, et, té-
moin tous les ans, Messieurs, de vos vertus
et de votre zèle, je viens moins vous édiGer
par mes paroles que m'animer moi-même
par vos exemples.
Recueillons ce discours, dont je vous ai
déjà insinué (oui le plan et tout le partage.
Rendons, selon le précepte de l'Apôtre et
les paroles de mon tcxle, à chacun ce que
nous lui devons : Jtfdditv ertjo omnibus dé-
bita. Craignons le Seigneur, c'est mon pre-
mier point; secouions le roi dans les pres-
santes nécessités de l'Etal, c'est mon deu-
xième point; édifions-nous les uns les autres
dans le cours de nos séances par la prati-
quedes vertus chrétiennes, c'est le troisième.
Nous devons de la crainte à Dieu, des se-
cours à l'Etat, de l'édification au pro-
chain , trois devoirs qui partagent la vio
chrétienne, et qui feront le sujet de votre
attention.
Esprit-Sainl, qui promettez voire protec-
tion à ceux qui s'assemblent au nom du Sei-
gneur, vous connaissez la pureté de nos in-
tentions, accomplissez votre promesse; ce
que saint Paul disait par humilité, je le dis
avec justice, que je ne fonde pas le succès de
mon discours sur mes paroles, dont je con-
nais l'inutilité et la faiblesse, mais sur votre
grâce, dont j'invoque la puissance. Répan-
dez votre onction divine dans le cœur de
ceux qui m'écoutent, et, suppléant par vos
dons à ce qui manquera à mes expressions,
bénissez le ministre et donnez en ce jour de
l'efficace à mon ministère. Je vous le de-
mande par l'intercession de Marie, en lui di-
sant : Ave, Maria.
PREMIER POINT.
11 n'y a point de devoir plus répété dans
l'Ecriture que celui de craindre le Seigneur,
soit que celle crainte, étant un mouvement
et une inspiration de la grâce, soit de l'es-
sence de la vie chrétienne et de la sanctifica-
tion des hommes soit que d'ordinaire elle
soit le principe de la conversion des pé-
cheurs, comme la charité l'est de la perfec-
tion et de la persévérance des justes, soit
qu'enfin les vues des jugements de Dieu et
de sa justice fassent plus d'impression sur la
plupart des chrétiens du monde que toutes
les réflexions de sa miséricorde et de sa
bonté.
C'est par cette raison que le prophète-roi,
si savant dans les désordres du péché cl dans
les ressources de la pénitence, nous repré-
sente le nom du Seigneur sous l'idée de saint
et de terrible, afin que, frappés de la ma-
jesté d'un Dieu puissant et vengeur de nos
infidélités, nous travaillions à notre sanc-
tification; et Salomon, après avoir dans ses
livres divin, expliqué les devoirs de toutes
ORATEURS SACHES. DE NESMOND.
b \t conditions différentes
maine, et prescrit
moyens
MH
de la société hu-
a loni les hommes les
de se sanctifier dans l'étal où la
Providence les a appelés, finit tous ses dis-
cours et tous ses préceptes par celui de
craindre Dieu et d'observer ses commande-
ments, comme le fondement cl l'abrégé de
noire salut. Oeum lime, et mandata <jus ob-
serva, hoc est enim omnis homo ; heureux lui-
même s'il n'eût point démenti ses propres
maximes, et si, déchu de cette sagesse infuse
dont le ciel l'avait favorisé, il ne nous avait
appris par le scandale de sa chute jusqu'à
quel point d'aveuglement I oubli de Dieu et
I inattention à ses jugements précipitent
souvent les âmes les plus saintes et les plus
parfaites.
L'Ecclésiastique, dans le premier chapitre
de son livre, donne encore plus d'étendue à
celte matière, quand il nous explique la na-
ture de la crainte de Dieu et lous ses effets :
il nous dit d'abord qu'elle chasse le péché,
que sans elle nous ne sommes ni pénitents
ni justifiés : Timor Domini expellit pecca-
tum; car si nous regardons ce que Dieu fait
pour nous l'inspirer et ce que le démon em-
ploie pour nous la ravir, nous compren-
drons que, comme ce Père de miséricorde ne
nous propose des images terribles qu'afin d'é«
tonner nolreenteridementetnous appliquer à
l'ouvrage de notre salut, cel esprit de malice
ne travaille qu'à nous ôter celte frayeur,
persuadé que c'est elle qui nous affermit
dans la pratique de nos devoirs et dans les
exercices du christianisme.
Le prophète-roi était convaincu de sa né-
cessité, quand il demandait à Dieu, au nom
de tous les pécheurs, de percer sa chair de
celle crainte salut lire, afin que celte vertu,
éteignant dans son cœur et dans le nôtre ces
traits de feu dont parle l'Apôtre, et qui sont
le monde, ses tentations et ses convoitises,
elle substitue en leur place des traits de fer
détrempes dans les amertumes de la péni-
tence , selon l'expression d'un prophète, et
que, retenus par l'appréhension des châli-
menlsdonl Dieu nous menace, nous marchions
dans l'observation de ses commandements.juS'
qu'à ce que, avançant par degrés dans le che-
min de la perfection chrétienne, le Seigneur
nous attache à lui par les liens plus doux et
plus saints d'une charité parfaite.
C'est ainsi que Tertullien appelle la ter-
reur qu'excitent en nous les jugements
de Dieu, le premier baptême de la jus-
tification des pénitents : Prima audirn-
tium intinctio, tnetus, parce que, sur la pro-
portion et le modèle du baptême, qui lave en
nous le péché du vieil homme, si nous som-
mes dans l'erreur, c'est elle qui nous en dé-
livre, si nous vivons dans les ombres de la
mort, c'esl par elle que nous en sortons, et
enfin si nous avons du penchant au mal, c'es!
elle qui l'arrête. Voici une induction sensi-
ble de cette vérité, que me fournit sainl Au-
gustin dans son commentairesurles Psaumes.
En effet, dit ce Père, vous menez une vie
mondaine et voluptueuse, et. vous aban-
donnant aux affections dépravées de la na-
955
DISCOURS l POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
954
ture corrompue, vous vivez dans le dérègle-
ment el dans le péché; oubliant Dieu et ou-
blié do lui, vous nourrissez dans voire cœur
des passions criminelles, el profanez dans
l'usage des sacrements tout ce que la reli-
gion a de plus redoutable et de plus auguste ;
attentif à ce qui peut plaire à vos sens, vous
vous accordez toutes les commodités qu'in-
vente et que fournit le luxe, aujourd'hui si
prodigue et si raffiné; insensible aux be-
soins des pauvres , vous ne prononcez
jamais sur la question du superflu, pour
élre en droit de leur refuser leur nécessaire ;
menant une vie régulière et innocente aux
yeux des hommes, vous la menez vide et
inutile aux yeux de Dieu; content d'éviter
les vices grossiers que le monde même con-
damne, vous croyez vivre sans péché parce
que vous vivez sans scandale; honorant Dieu
des lèvres seulement , pendant que votre
cœur se dissipe en amusements et en vains
désirs, vous priez sans attention el sans fer-
veur, vous remplissez les devoirs les plus
essentiels du christianisme sans goût et sans
dévotion. A tout cela quel remède, mes frè-
res, el quel est le premirr pas qui vous con-
duit à la pénitence ? Le Saint-Esprit l'a dit :
craignez le Seigneur, écoulez une voix inté-
rieure qui vous crie du fond de votre con-
science que les pécheurs seront livrés à ces
feux vengeurs dont l'horreur est décrite
dans l'Evangile; alors, étonnés de l'idée des
jugements de Dieu, vous vous convertirez el
vous éprouverez que la crainte de la colère
du Seigneur commence toujours l'ouvrage
de notre conversion, et que sa première mi-
séricorde est d'ordinaire de nous inspirer la
connaissance et le sentiment de sa justice.
La crainte de Dieu est encore appelée dans
l'Ecclésiastique le fondement de la sagesse:
Radix sapieniiœ est limere Deum; elle n'en
est, dis-je, que le commencement, puisqu'il
n'appartient qu'à la charité d'en être la
perfection et la plénitude. Cette crainte fai-
sait toute la justice de la loi mosaïque, mais
dans la loi de grâce elle n'est que la vertu
des faibles et des commençants, elle diminue
dans nous à mesure que l'amour divin s'y
perfectionne et s'y fortifie; le Sauveur du
inonde est venu graver, non pas sur des
tables de pierre, mais dans nos cœurs, une
loi parfaite, selon la doctrine et les expres-
sions de l'Apôtre; les menaces de sa colère
étaient l'objet des Juifs charnels et grossiers,
leur loi ne pouvait faire des prédestinés, et
s'il y a eu parmi eu des justes et des .par-
faits, c'est que, par une adoption anticipée,
ils appartenaient à la grâce de Jésus-Christ,
et que, perçant par leur foi les voiles obscurs
du temps cl du l'avenir, ils étaient chrétiens
avant la naissance mémo du christianisme.
Or, celle sagesse à laquelle la crainte dis-
pose est celte sagesse qui vient du ciel, selon
l'expression de l'apôtre saint Jacques, qui est
pacifique, modeste, pleine de miséricorde et
de compassion, détachée d'elle-même, tou-
jours attentive au bien public, telle enfin que
nous la -voyons dansée grand cardinal (1) que
(1) Le ca'diaal de Boni', archevêque de Narboooc.
sa protection et sa paternelle bonté rendent
encore plus cher à cette province que le siège
qu'il y occupe, qui n'emploie jamais plus vo-
lontiers son crédit auprès du prince que lors-
qu'il faut représenter nos besoins ou faire
valoir notre zèle, qui a su joindre à un mé-
rite solide et éprouvé dans toute l'Europe ces
grâces de l'esprit si nécessaires aux grands
emplois et aux grandes places, et dont la pru-
dence, tantôt occupée au bien de l'Etat, tan-
tôt à celui de la religion, a contribué à l'exal-
tation d'un souverain pontife sur la piété
duquel tant d'Eglises, gémissantes depuis
longtemps dans une triste et longue viduité,
fondent, par d'heureux préjugés, l'espoir
d'une paix si utile cl si désirée.
Mais à celte sagesse qui vient du ciel est
opposée celle du siècle, qui est terrestre, sen-
suelle, ennemie de Dieu el fille du démon :
ce sont les caractères que l'apôtre saint Jac-
ques lui donne, et c'est d'elle qu'il est écrit:
Le Seigneur confondra lu subtilité des sages et
la prudence des prudents; elle est par consé-
quent vaine et fausse dans son essence et
dans ses effets, non-seulement parce qu'elle
est contraire à la loi de Dieu, mais encore
parce qu'il y a dans les choses dont elle s'oc-
cupe un vide et un néant dont les mondains
eux-mêmes, dit saint Augustin, ne discon-
viennent pas quand ils sont sincères, et qui,
nous désabusant du monde par le monde
même, nous fait sentir par notre expérience
qu'il n'y a point d'autre sagesse que celle que
Dieu, selon l'expression figurée du prophète
Baruch, a apportée du ciel, qu'il a fait des-
cendre de la région des nuées, el qu'il a em-
menée de delà les mers, comme le trésor le
plus précieux de la vie spirituelle et comme
le vrai principe de la sanctification des
hommes.
Oui, mes frères, ce raffinement d'actions et
de démarches dont on se sert pour parvenir
aux fins que notre cupidité se propose, cette
adresse que l'on emploie pour dissimuler ses
pensées et pour deviner celles des autres, ce
commerce insinuant de paroles obligeantes et
de flatterie mutuelle, souvent pour se trom-
per et pour se surprendre, ces détours
ingénieux, selon l'expression de saint Gré-
goire, pour substituer à toute heure le men-
songe à la place de la vérité, celle application
continuelle qu'on a pour cacher des défauts
cl pour produire de fausses vertus, cet ar-
rangement d'égards el de bienséances, qu'on
observe par politique et qui fait presque toute
l'occupation de noire vie : voilà ce que le
monde appelle sagesse, el que l'homme qui
craint Dieu regarde comme perdition el
comme folie.
Mais quand je parle de l'obligation de
craindre Dieu, je n'entends pas une crainte
purement servile par laquelle le pécheur
n'observe qu'à regret les commandements, ne
rend aux lois du Seigneur qu'une obéissance
involontaire, no se sépare du péché qu'en
conservant dans son cœur la volonté de le
commettre, et qui, joignant au litre d'enfant
de Dieu les sentiments d'un esclave cl d'un
1IW
OltATKUtS SACRES, lu. NESMOND.
WO
mercenaire, no renonce à ses déi '■ 1 menti
que dans l'tmpotsibMilé de se snuslra re à la
justice du Sei neur et à se* vengeani
Telles étaient les disposition! d'Anliochus,
dont il est parlé dans le eco d livre des Ma-
chahées : quand la main de Dieu s'appesantit
sur lui et qu'il se vit frappé d'une plaie
mortelle, il commençai dit l'Ecriture, à réflé-
chir sur son orgueil el a rentrer dans la con-
naissance de soi-même ; il avoua qu'il était
juste que l'homme fût tournis à Dieu, et que
celui qui est mortel ne l'égalât pas à son
Seigneur el à son Maître; il ne peufl i qu à se
réconcilier avec les Juifs el qu'à leur faire
sentir les effet! de sa c emence; il ne voulait
plus adorer que le Dieu d'Israël el n'adresser
qu'à lui seul désormais tousses vœux et ses
sacrifice |,
D'où vient donc, demande saint Augustin,
que ce prince, en apparence si humble el si
pénitent, ne put pourtant trouver grâce de-
vant le Seigneur? S'il entra véritablement
dans la connaissance de ses crimes, cl s'il re-
connut la justice qui soumet à Dieu tous les
hommes, ne cessait-il pas par conséquent
d\ Ire superbe ? S'il priait le Seigneur avec
humilité et avec foi, n'était— il pas digne
d'obtenir miséricorde de celui qui la promet
aux pécheurs qui l'invoquent et qui la de-
mandent '.'
11 esl vrai, répond le même saint Augus-
tin; mais ce roi ne renonça point sincèrement
à sou impiété; la connaissance qu'il eut de
lui-même ne le rendit point | énile it, mais
hypocrite; il priait pour laguérisondu corps,
et non pas pour celle de l'àme; se- sentiments
étaient plutôt de la chair que d'un coeur pé-
nétré de son i.éaut et de la grandeur de
Dieu, et tout son repentir se terminait à des
larmes dissimulées et à des résolutions peu
sincères.
Combien y a-t-il de ; énitenecs semblables
à celle de ce prince, qui sent l'effet de la vio-
lence d'une, maladie ou de la crainte d'une
mort prochaine, et non pas de la douleur
d'avoir mal vécu 1 Combi n de restitutions
forcées, que le remords et l'impuissance de
jouir après sa mort des biens qu'on a volés
arrachent plutôt qu'un véritable motif d'une
justice surnaturelle 1 Combien y a-t-il au-
jourd'hui dans le christianisme de dévotions
saintes qui sont le fruit de l'intérêt, de la va-
nité, de la politique ! Dans ce grand nombre
de néophytes que nous avons vus revenir en
foule au sein de l'Eglise, si plusieurs nous
édifient par leurs exemples, combien d'au-
tres démentent par li ur tiédeur la grâce de
leur vocation ! Mais si nous gémissons de la
lenteur de leur réunion parfaite, louons au
moins leur zèle et leur fidélité pour le roi :
imitateurs en cela des maximes de Jésus -
Christ, ni laconuaissancc des conjonctures, ni
les offres de nos ennemis n'ont pu tenter leur
attachement pour leur pairie ; tant il esl vrai
que l'amour de la royauté el le grand mérite
du roi sont des liens chers à tous les Fran-
çais 1 Hé 1 peut-être que Dieu, louché d'une
conduite si sage et si conforme aux devoirs
du christianisme, achèvera de purifier la foi
de nos frères réunis, et que, déracinant de
1 m i mur ce re ie de préjugés «iui les relii ut
encore, nous \ errons re\ enir ces temps heu-
reux dont parlail saint Jérôme quand il disait
que la Franco seule était exempte des mal-
heurs et du monstre de l'hérésie : Solu G al lia
munslru non luihet.
Il y a une autre espèce de crainte, senile
à la vérité, mais pourtant sainte cl suri. a. u-
n Ile, puisqu'elle convertit le pécheur, et que,
selon la décision d'un grand concile, il
elle ne fait pas toute l'essence de la justi-
fie 1 1 ion, elle est au moins la disposi'ion qui
nous y conduit el nous y prépare. Or celle
crainte, quoique utile, est pourtant impar-
faite en elle-même, dit saint Uernard : le S i-
gneurdi mande des cœurs plus reconnaissant!
et plus épurés; le servir par l'appréhension
seule des châtiments, c'est lui v« iidre en
quelque façon notre culte. Les hommes, dans
les amitiés que forme entre eux la société
civile, voudraient-ils n'être aimés que par
intérêt et dans la vue du bien qu'ils font ou
du mal qu'ils peuvent faire? Pourquoi uffrent-
ils donc à Dieu des vœux mercenaires el un
encens intéressé ? Pourquoi ont-ils pour le
Créateur des sentiments dont ils reconnais-
sent l'imperfection dans la créature? et ces
motifs judaïques sont-ils dignes de la grâce
du Rédempteur elde la perfection du chris-
tianisme ?
Mais il y a une crainte parfaite, qui est le
partage el l'occupation des âmes justes, se-
lon l'expression du prophète-roi, el c'est celle
dont parle l'A; ôlre quand il nous dit d us
1 Fpîlre aux I\ imains que l'esprit qu* nous
avons reçu n'est pas un esprit de servitude ,
mais celui des enfants, par lequel nous appe-
lons Dieu noire Père ; crainte qui n'est autre
chose que celle charité qui fait les parlai s
sur la terre, et qui n'est différente de celle
dvS bienheureux qu'en ce qu'elle est grâce
et mérite dans les uns el récompense da s
les autres, ctque, la sainteté de ceux-ci étant
consommée par la possession de Dieu, ils
sont dans l'heureuse nécessité de l'aimer, et
par conséquent dans l'impossibilité de lui
déplaire.
Voulez-vous savoir, dit saint Augustin, si
vous avez celle crainte des enfants de Dieu,
interrogez votre cœur, pénétrez ses re, li I
sondez les sentiments de votre con çienec :
Juttrroga cor tuum : ces biens. c> s honne i =••
ces dignités que Dieu vous donne pour l'uti-
lité du prochain el pour votre propre sancti-
fication, les regardez- vous comme l'accom-
plissement de vos souhaits et le terme de vos
désirs ? Préferez-vous le séjour de l'Egypte
à toutes les bénédictions de la terre promise,
comme les Israélites dans le déserl ? Consi-
dérez-vou F ulre vie dans l'éloignement, et
comme un avenir fâcheux qui afflige bien
plus votre cœur qu'il n'anime \olie espé-
rance? Voudriez-vous que ce inonde, dont
les jours s'écoulent avec >aul de rapidité, fut
pour vous un étal de consistance el un séjour
fixect durable? Si cela est, vous ne craignez
point le Seigneur.
Mais si, plus sensible à l'attrait de ses mi-
957
DISCOURS I POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
9Ï'8
séricordes qu'aux motifs de sa colère et de sa
justice, vous dites, comme saint Paul : Qui
me séparera de la charité de Jésus-Christ f si,
dans le doute si vous êtes digae d'amour ou de
haine, vous opérez votre salut avec frayeur;
si, touché des biens invisibles que le Seigneur
promet à lous ceux qui le suivent, vous re-
gardez le monde comme une cité passagère
et un exil à charge à votre ferveur et à votre
foi; si, demandant sans cesse à Dieu la per-
sévérance dans la grâce, vous appréhendez
d'être un seul jour sans i'aimer cl d'être privé
de sa présence dans tout le cours de l'éter-
nité; si vous le craignez ainsi, vous l'aimez :
SI expavisti, amasli; semblable, dit encore ce
même Père, à une épouse vertueuse et fidèle,
qui lâche de plaire à son époux de peur de
s'allier son indifférence, qui souffre son
éloignement et son absence a\ec douleur, et
qui, lui conservant toute la délicatesse de ses
sentiments et de ses désirs, s'afflige des délais
d'un retour qui fait toute son attente et sou
impatience.
En effet, qu'est-ce qu'un chrétien, à con-
sidérer par les règles de l'Evangile son es-
sence, sa fin et ses devoirs ? c'est un homme
qui, connaissant tout le poids des vœux de
son biplême, ne s'occupe que du soin d'en
remplir les obligations ; qui, concevant la va-
nité des choses qui passent, médite les éter-
nelles vérités; qui, retenu par ce cos psde inoBt
qui retarde sou impatience , soupire, comme
sain! Paul, après le jour de ^n entière ré-
demption ; qui, rendant au Seigneur par sa
crainte et par son amour les hommages qui
lui sont dus, désire de se perdre dans le sein
de Dieu, qu'il regarde comme sa fin et son
origine.
Oui , mes frères, c'est par celle crainte
chaste et filiale, à laquelle se rapporienl tou-
tes les vci lus chrétiennes, que nous rendons
aux attributs de Dieu les hommages que
nous leur devons: nous honorons sa sagesse
quand nous vivons sous sa conduite et que
nons captivons notre esprit suus le joug de
ses commandements et de sa loi, sa justice
quand nous tremblons à la considération de
ses vengeances, sa providence en nous con-
fiant à ses soins cl à sa bonté, sa toute-puis-
sance en lui Consacrant <e que nous avons
et ce que nous sommes, la simplicité de son
être en rapportant à lui seul nos désirs et
nos volontés, son immensité lorsque nous
nous donnons à lui sans division et sans
partage, non d'une préférence de spécula -
lion, qui est plutôt une vaine pensée de l'en-
tendement qu'une solide affection du cœur,
mais d'une préférence effective, qui adore
et qui cherche le Créateur en tout temp* et
tous lieux, dans l'usage même des créatures.
Cependant qu'y ?-l-il de plus commun
parmi les chrétiens que ce partage, que ce
service des deux maîtres, que le Sauveur
condamne dans l'Evangile? On place dans un
même cœur l'arche d'alliance et l'image de
Dagon, et l'on voit régner Jésus-Christ et
Bélial dans le cercle d'une même vie; on
observe les devoirs extérieurs de la loi de
Dieu, par bieuséaucc cl par habitude de re-
ligion, et l'on se prêle au monde par incli-
nation et par attache; on croit pouvoir con-
cilier ses passions, ses plaisirs, ses spectacles
avec les principes de sa loi et les pratiques
du christianisme. Qu'il y a de demi-chrétiens,
imitateurs de ces demi-Juifs qui mêlaient sur
la montagne de Samarie le culte du vrai Dieu
avec l'adoration des idoles! Combien de fem-
mes mondaines réservent pour le Seigneur
le reste de leurs pensées, après avoir donné
à }a vanité, au désir de plaire, ces belles
années où la piété est d'autant plus agréable
à Dieu, qu'elle trouve plus d'écueils et plus
d'obstacles parmi les hommes I On quille le
monde par dépit, après qu'il nous a quittés
par indifférence, et l'on va souvent cacher
dans une retraite affectée, et qu'inspire le
chagrin plus que la piété, les débris du temps
et les ruines que fait la vieillesse.
Craignons donc le Seigneur, mes frères,
c'est l'obligation de notre étal et c'est le
fondement de notre sanctification; soyons
assez parfaits pour être pénétrés de celte
crainte des enfants de Dieu ; aimons celui qui
nous a aimés dans l'éternité, avant que nous
fussions dans la durée des temps, et dont la
prédilection qu'il a eue pour nous, avant
nous, comme parle l'Apôtre, a été la première
grâce de notre vocation. Comment peut-on
ne pas aimer Jésus-Christ, lui qui s'est con-
sacré tout entier à l'ouvrage de notre ré-
demption, et dont la charité, soit dans les
abaissements de son incarnation, soit dans
les humiliations de sa vie mortelle, soit dans
l'ignominie et le scandale de la croix, a été
en quelque façon si peu convenable â sa
grandeur et à sa gloire?
Mais, si nous ne sommes point parfaits,
soyons au moins pénilents, reconnaissons la
main de Dieu, appesantie sur nous par tant
de calamités publiques et particulières; hu-
milions-nous à la vue de tant de maux pré-
sents, cl détournons par une i raiute salutaire
les tribulations dont Dieu nous menace;
souvenons-nous qu'il mesure ses vengeances
sur l'amour qu'il a eu pour nous, qu'il pro-
portionne la sévérité de ses jugements à l'ex-
cès de ses miséricordes, et qu'il imite sa
charité dans l'étendue qu'il donne à sa colère
cl à sa justice. Vous avez vu l'obligation
qu'il y a de le craindre, eut timorem, timo-
rem; voyons colle que nous avons de secourir
le roi dans les besoins de l'Etat, cui tribu-
tum, ti ibulum: c'est mon deuxième point.
DEUXIÈME POINT.
Je ne puis, mes frères, vous proposer de
preuves plus solides de l'obligation de rendre
aux rois ce que nous leur devons, que la
manière dont l'apôtre saint Paul explique
cette vérité dans cette divine Epîtrc où il
nous découvre les plus grands mystères de
la religion et les principaux devoirs de la
morale chrétienne; il n'y a point de matière
qu'il ait traitée avec plus d'étendue que celle
dont je vais parler : il nous assure que la
paix et le repos des consciences, la félicité
des Etats, la sûreté même du culte divin,
roulent sur le ministère des princes et sur
y.vj
ORATEURS SACRES. DE NESMONU.
l'obéissance des sujets ; et l'apôlre saint
Pierre, après nous avoir recommandé «le
craindre Dieu et d'aimer nos frères (les deux
grands commandements de la lui nouvelle),
ajoute d'honorer les rois, connue s'il y avait
dans ces trois devoirs unité d'obligation et
de précepte.
Or, la nécessité de conti iDuer aux besoins
de l'État par nos subsides, qui sont comme
la marque et l'hommage de noire dépendance,
est fondée principalement sur deux raisons:
la religion nous l'ordonne, et notre intérêt
même nous y excite; la religion en est la
loi, et notre intérêt en est le motif; deux
raisons, Messieurs, que j'ai à vous proposer,
moins pour votre instruction que pour voire
éloge: votre fidélité, qui se distingue toujours,
ne laisse rien à faire à mes paroles, et je ne
viens pas animer voire zèle, mais \ous en
faire connaître tout le prix et luul le mérite.
Je dis donc que la religion nous ordonne
de secourir les princes dans leurs besoins,
et c'est la raison dont se servait ïertullien
lorsqu'il répondait aux reproches que fai-
saient les païens aux premiers fidèles. Vous
nous accusez, leur disait-il, d'avoir un esprit
d'indépendance pour nos maîtres et une in-
différence criminelle pour les nécessités de
l'Etat; tous vous trompez, les empereurs
n'ont point de soldats plus vaillants que nous,
ni de sujets plus fidèles; les légions chrétien-
nes sont invincibles, parce quelles sont ani-
mées par l'ordre du Dieu qu'elles adorent et
par les principes de la foi qu'elles professent;
nous payons nos tributs avec joie, et nous
sacrifions nos vies avec courage; pendant que
les uns répandent leur sang dans les hasards
de la guerre, les autres, renfermés dans les
soins d'une administration domestique, tirent
de leur économie et de leur substance des fonds
pour les intérêts de la patrie. Nos princes
sont encore plus les maîtres de nos cœurs que
de nos fortunes, et votre fidélité, qui n'est en
vous que l'effet d'une crainte humaine et d'un
intérêt politique, est en nous un devoir de
religion et un article de notre créance.
C'est ainsi que Tertullien louait le zèle
des premiers chrétiens de son temps, et saint
Jérôme nous assure que saint Paul n'a ex-
pliqué ce précepte avec tant de fore*; et d'ap-
plication que pour confondre la malice de
certains indépendants et de quelques enne-
mis de la subordination et de l'ordre, secta-
teurs de Judée de Galilée, qui disaient que
Dieu seul devait être appelé Maître et Sei-
gneur, et qui en liraient cette conséquence
factieuse, qu'il suffisait de porter au temple
les dîmes et les offrandes, et qu'il ne fallait
point payer de tributs aux princes, comme
si le Seigneur avait voulu se réserver à lui
seul cetle marque de notre dépendance et de
son pouvoir.
Mais saint Paul, que saint Chrysostomc
appelle le prédicateur de l'autorité des rois,
établit ma proposition, d'abord par l'inslilu-
tiou que Dieu a faite des puissances de la
terre : Omnis pointas a Deo ordinata est;
voilà le droit primitif, lit saint Grégoire pape
(t) l.e comte dePeyre.
remarque que, lorsque Samuel, selon les
ordres de Dieu, plaça Saiïl sur le trône d'Is-
raël, les Israélites pieux et dociles adorèrent
la vocation du Seigneur dans la personne de
ce roi, et que les seuls enfants de Déliai, c'est-
à-dire les ennemis de la loi , des ho:. mies
vains et orgueilleux, des libertins de cour et
d'esprit, si pernicieux au bien public, refu-
sèrent de s'y soumettre et d'apporter les dons
qui étaient dus à la souveraineté de ce nou-
veau prince. Filii veto Iielial desptxerunt
eum, et non nltulerunt ei munera.
L'Apôtre dit ensuite que les rois sont les
ministres du Seigneur; car, quoique Dieu
soit le chef invisible de l'univers, il leur en
confie, non par besoin mais par sagesse,
l'adminislr .lion cl la police, afin que, révélas
de la puissance qu'il leur commet, ils main-
tiennent parmi leurs sujets l'ordre et le repos
que la cupidité des hommes pourrait trou-
bler; pouvoir qui n'est pas fondé par consé-
quent sur un établissement humain, ni sur
la loi du plus fort, ni sur les qualités person-
nelles du plus vertueux, mais sur l'institution
de Dieu seul; et c'est par celte raison que
les princes sont appelés par l'Ecriture les
ministres, non pas des hommes, mais de
Dieu, pour marquer par ces termes la voca-
tion toute divine d'un ministère qui réside
dans les rois comme dans sa source, ensuite
par émanation dans ceux qu'ils choisissent
pour êlre les dépositaires de leur aulorilé,
et à qui l'apôtre saint Pierre nous ordonne
de rendre des tributs d'honneur et de véné-
ration : Subditi estote régi quasi prœcellenti,
et ducibus ab eo rnissis. Notre cœur, plus en-
core que notre devoir, nous inspire ces sen-
timents pour ce lieutenant général (1) qui
représente ici le caractère du prince; qui,
par la droiture de son cœur et la solidité do
son esprit, fait honorer dans sa personne
autant son mérite que sa dignité, et qui par
sa | résence nous console de la douleur de ne
plus posséder ici ce général (21 illustre dont
les vertus nous seront toujours chères et
toujours présentes, et dont la proteclion a
été aussi utile auprès du roi à celle province,
que sa prudence et sa valeur l'ont élé conlre
nos ennemis sur noire frontière.
Mais comme le ministère des rois a des oc-
cupations importantes, et qu'ils s'appliquent
tantôt pendant la paix à réformer les abus,
à maintenir les lois et à procurer la félicité
des royaumes, lanlôt pendant la gu< rre à
entretenir des armées nombreuses, à dissi, er
des ligues, à défendre les frontières; el ces
fonctions étant ou saintes en elles-mêmes ou
nécessaires au bien public, il s'ensuit, con-
clut l'Apôlre, que nos contributions, consa-
crées par la sainteté de ces motifs et par
l'importance de l'us.ige, sont précieuses aux
yeux de Dieu; que les efforts que nous fai-
sons du fond de noire pauvreté nous sont
imputés à mérite, el que ces bit ns que nous
sacrifions pour la défense de l'Etat, tout pas-
sagers qu'ils sont par leur matière, acquiè-
rent, par le précepte du Seigneur el par la
considération de l'utilité de la pairie, un
(a) Le duc de Moailles.
9G1
DISCOURS I POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
9Gâ
caractère de spiritualité pour l'avantage et
la perfection de notre salut. Aussi TEcriture
appelle les subsides une dette; ce n'est donc
pas seulement un don que notre naissance
exige de nous, ce n'est pas une libéralité
purement gratuit*1, que nous inspirent notre
fidélité et notre zèle, ce n'est pas un joug
que le pouvoir des princes impose sur la
fortune des sujets, c'est une dette dans toute
la rigueur de la justice : comme Dieu est le
Seigneur et le dispensateur suprême de nos
biens, il a voulu en réserver sur nous une
portion pour les nécessiiés de l'Etat, comme
il y en a une pour celle des pauvres ; et si la
charité chrétienne, qui s'occupe par l'au-
mône à soulager les besoins des malheureux,
et qui n'a qu'une utilité passagère, est pour-
tant un commandement si précis par l'Evan-
gile, que devons-nous penser de l'excellence
et de l'obligation de cette espèce de charité
qui pourvoit aux nécessités publiques, qui
prévient des malheurs universels, qui com-
prend dans l'étendue de ses motifs cl de ses
effets le bonheur et le repos de tout un
royaume?
Vous me direz sans doute que ces maxi-
mes sont certaines, que vous connaissez vos
devoirs, mais que la pratique en est difficile;
je l'avoue : permettons les gémissements à
ces malheureux qui, portant tout le poids du
jour et de la chaleur, n'ont pour ressource
que leur travail et leur industrie ; qui, victi-
mes innocentes d'une guerre longue et opi-
niâtre, perdent quelquefois dans un moment,
par la main du soldat et de l'ennemi , plu-
sieurs récolles dans une seule et l'espoir de
plusieurs années ; qui ne sèment et ne mois-
Bonnenl que pour acquill r leurs subsides ,
et à qui nous pouvons appliquer ce que dit
saint Augustin , que , pendant que les uns ,
aisés et opulents dans les villes , s'adonnent
au penchant de leurs convoitises , suites fu-
nestes du péché du premier homme , les au-
tres , dans les tribulations et les travaux de
la campagne , semblent en souffrir ici-bas
tou'e la malédiction et toute la peine.
Mais parmi tant de malheureux , combien
y a-t-il de citoyens qui sont avares et indif-
férents quand il faut contribuer aux besoins
publics , et qui ne sont que trop prodigues
pour entretenir leur faste et pour rechercher
leurs plaisirs 1 On ne s'entretient dans le
monde que de la diminution des revenus et
de la difficulté de subsister ; cependant il n'y
eut jamais plus de magnificence dans les bâ-
timents , dans les meubles et dans les modes
qu'invente tous les jours noire nation, fertile
en moyens de se ruiner ; les nécessités de
l'Etat nous coûlenl-elles ce que nous coû-
tent notre passioi et noire mollesse? Hé I
pourquoi rejelez-vous avec injustice sur les
subsides que vous payez le désordre de vos
affaires , qui est plutôt la suite des folles dé-
penses qui vous épuisent et qui vous consu-
ment?
Or, ce n'est pas seulement un devoir de
religion qui nous excite à secourir l'Etat ,
notre intérêt aussi nous y oblige (deuxième
réflexion ) ; et c'est la raison dont se servait
l'apôtre saint Pierre , quand il disait aux
prosélytes de la dispersion de l'Asie qu'ils
étaient libres à li vérité, puisqu'ils étaient
affranchis de la servitude du démon par la
grâce de l'adoption qu'ils avaient reçue dans
le baplême, mais que cette liberté n'était pas
une exemption de dépendance , parce qu'é-
tant les serviteursdeDieu ils devaient, et par
l'obligation de leur conscience, et par l'inté-
rêt même de leur conservation et de leur re-
pos , l'être aussi des princes que Dieu avait
établis pour les gouverner et pour les défen-
dre.
Vous pratiquez ces préceptes , Messieurs :
plus vous êtes libres , plus votre fidélité so
signale dans vos dons ; vous consultez bien
plus votre zèle que votre pouvoir. Celte li-
berté qui autrefois, pour me servir des paro-
les du même apôtre saint Pierre, dans les
temps difficiles et oubliés , était le prétexte
de la faction et de la cabale, est aujourd'hui
votre gloire et votre mérite ; et tout l'usage
que vous en faites est de vous épuiser sans
cesse par de nouveaux efforts pour soutenir
le poi 1s d'une guerre que nos péchés ont at-
tirée et que Dieu seul peut finir.
Souvenons-nous des temps heureux qui
l'ont précédée ; trompons , s'il est possible ,
l'idée de nos contributions présentes par le
ressouvenir de noire abondance passée et par
l'espoir d'un meilleur avenir.
Cette monarchie était formidable à tout
l'univers , et, pour parler le langage de l'E-
criture , toule la terre était dans la crainte et
dans le silence. Les uns, admirateurs de no-
tre gloire , recherchaient notre alliance ; les
autres , jaloux en secret de nos prospérités ,
redoutaient notre ascendant : l'opulence ,
suite ordinaire de la paix, faisait la félicité
publique , nos subsides n'excédaient point
notre pouvoir, et l'on venait des extrémités
du monde admirer le bonheur de ce florissant
royaume, et surtout la grandeur d'un roi
dont les héroïques actions paraîtront à la
postérité ou fabuleuses ou exagérées , et du-
quel nous pouvons dire ce que disait uue
grande reine à Salomon , qu'il surpasse les
autres rois par une dislance infinie de mé-
rite, cl la renommée même par la supériorité
de ses vertus: Vicisti famamvirtutibus luis.
Mais elle ne dura pas longtemps , celle
paix dont toute l'Europe jouissait. Les divi-
sions cl les ruptures entre les nations vien-
nent, selon l'apôtre saint Jacques , des ini-
quités des hommes; les maux que nous souf-
frons sont les peines des crimes que nous
commettons, et les créatures ne se soulèvent
les unes contre les autres que parce qu'elles
ont offensé celui qui les a créées.
En effet, quel usage avons-nous fait des
douceurs de la paix pour notre sanctifica-
tion ? Quelles réflexions faisons-nous pour
notre instruction sur les incommodités de la
guerre? Tout le monde gémit et se plaint,
et personne ne se convertit. Qui de nous
cherche la cause de ses malheurs dans ses
péchés el le remède dans la pénitence? Nous
sommes affligés , mais c'est de la tristesse de
ce monde qui produit la mort, cl non pas de
9C3
ORATEERS SACRES. DE NESMOND.
W4
colle qui est selon Pieu , qui assura le salut
et opère la conversion. V eut-il jamai • plus
de dérèglement dans les mœurs . plus d'or-
gueil et d'ostentation dans les prtti |Ues ex-
térieures de la piété, plus de venin dans la
médisance '.'
Je dis , plus de venin dans la médisam \t :
car y al il dans le coin ;orcc du monde des
conversations dont le prochain ne soit pas le
sujet ou la victime? Ou ami on ne peut cen-
surer ses actions , on se plaît à produire le
ridicule des personnes dans cm récils impos-
teurs que sème l'imprudence ou la calom-
nie ; les méchants ne se font-ils pas un plai-
sir de les répandre? les plus sages se font-ils
un scrupule de les écouler ? et les médisan-
ces les plus fausses et les plus grossières ,
quand elles sont inventées avec artifice et
débitées avec esprit , ne trouvent-elles pas
partout de l'impunité , de l'applaudissement
et de la créance ?
Mais ne bornons pas l'effet de nos subsides
au seul motif de notre conservation, et con-
solons-nous des efforts que nous faisons, par
la suite continuelle de nos victoires. Dieu
s'intéresse pour nous , selon sa proii.es e ,
parce que nous combattons pour lui , et re-
connaissons dans le succès qu'il donne à nos
armes l'emploi de nos contributions et la
justice de notre cause. Une adversité a trou-
blé dans celle campagne la joie de nos con-
stantes prospérités ; ruais les éléments ont
élé le principe de notre malbeur, et non pas
le courage de nos ennemis : les vaincus ont
acquis plus de gloire que les vainqueurs , et
celui à qui la mer et les Ilots obéissent , et
qui lire, selon l'expression d'un prophète,
les vents de ses trésors pour les distribuer
sur la terre, a voulu une seule fois nous faire
sentir le poids de nos iniquités par une dis-
grâce. Tous les événements glorieux de celle
campagne nous ont dédommagés de celle
perte: la prise d'une place autrefois la ter-
reur des plus grands capitaines , forte par
l'art et par la nature, défendue par le dérè-
glement des saisons, encouragée par une ar-
mée de libérateurs qu'elle voyait de ses mu-
railles, a élé l'ouvrage seulement de quelques
semaines; tous les alliés accoururent au
spectacle de sa capitulation plutôt qu'au se-
cours de ses défenseurs, el le roi, par sa va-
leur , son expérience , et malgré mille périls
dont nous frémissons encore , termina une
conquête que nos ennemis mêmes regardent
comme l'abrégé de sa gloire el le chef-d'œu-
vre de ses exploits.
Béni soyez-vous, Seigneur 1 Vous avez élé
le Dieu de" nos pères, vous êtes encore le nô-
tre ; nous adorons vos bontés , cl nous
voyons que vous n'avez pas raccourci sur
nous vos miséricordes.
Une victoire couronna cet important suc-
cès ; les ennemis, malgré la situation des
lieux et la supériorité du nombre , furent
contraints de se retirer el d'avouer leur dé-
faite; nos bataillons liront voir dans ce san-
glant combat que si on pouvait les attaquer,
on ne pouvait les vaincre , et égalèrent par
(t) Le dm du Maine.
une noble é.nulalion la gloire qu'avaient ac-
qin-" auparavant nos escadrons dans les
champs de Leuse et de I leurtlS , journées si
Honorables I noire nation et surtout à ce
leiuie prince (1) que celte province a pour
gouverneur , qui signala son bris i ar des
prodiges de courage , el qui ne fi pas BB0I01
admirer son intrépidité à nos soldais, qui
son savoir dans l'art militaire à DOS capitai-
ne-.
Tous ces avantages sont à la vérité .
rieux, mais qu'il en coule de d< en co
royaume épuise ! Les con'.re-iemps des sai-
sons , qui n'ont point retardé nos exploits ,
ont l'ait perdre presque partout l'espérai
des récolles. Nous avons \u ce que dit lo
Sage, au milieu de l'été la rigueur el les fri-
mas de l'hiver : la terre n'a produit (tue des
herbes au lieu des mu -sons; le ciel, au lien
de rosées, ne nous a donné que des pluies et
des tempêtes, c'est le langage de l'Ecriture ;
a la sécheresse îles dernières anaéea ont
succédé les inond lions de celle-ci. Rendez
grâces au ciel , peuples de ce beau (limai,
donl Dieu a béni les campagnes par une
heureuse fertilité, et qu'il a par sa protection
préservé des gémissements des antres con-
trées et d'une stérilité presque universelle.
Mais plus la guerre nous épuise par sa
durée , plus nous devons faire d'efforts pour
la soutenir ; la bon'.,' du Seigneur nous dé-
dommagera quelque jour de ce que nous
coûte la haine d'une ligue injuste: si nous
n'avons pas l'abondance que danne la paix ,
au moins nous en goûlons ici le repof : le fer
et le feu des ennemis n'ont dévore ni nos
maisons ni nos villes, et celte province a
dans son épuisement la consolation d'avoir
un intendant (2) qui connaît ses besoins et
qui les soulage, qui n'est pas nions le pro-
tecteur des peuples par la bonté de son na-
turel, que l'homme du roi par son applica-
tion et par son zèle : qui , par un mérite si
connu el si honoré, donne un nouvel éclata
l'ancienne gloire de sa famille, el qui , af-
franchi du motif dangereux de faire valoir
son ministère aux dépens de la vérité , ne
consulte dans son administration que les
mouvements de son équité el les inspira-
lions de sa conscience.
Oépcedela justieedeDieu! ne vousrcpose-
rez-vous point sur la terre? disait le prophète
Jérémie : O mucro Vomini! usquequu non
quitecos? ingreéertin vugiiiam (nom. Seigneur,
rempli rez-vous encore longtemps l'univers
des horreurs sanglantes de votre vengeance?
Soullrirez-vousqueEennemi du nom chrétien
Be prévale de nos d irisions? Vous avez permis
qu'un souverain d'une maison si catholique
prélorâlà la ruine presque certaine de cel em-
plie infidèle une guerre quedes soupçons mé-
nages avec arUlice lui ont inspirée: aussi avez-
vous voulu que le vol de l'aigle impériale, si
rapide dans la Hongrie, s'arrêtât sur les bords
du Rhin, el que , malgré l'inondation de tant
d'ennemis . nos troupes s'enrichissent tous
les jours de leurs perles et de leurs dépouil-
les. IN 'inspirerez-vous point des sentiments
'2) M.deRuville.
96:i
DISCOURS I POUR [/OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
960
de repentir à ceux qui , à la houle do la re-
ligion, onl toléré l'abomination de la désola-
tion dans le lieu saint , et les ministres de
l'erreur dans la chaire même de la vérité?
Ne metlrez-vous point des bornes à une
guerre si funeste à toute l'Europa? et voire
colère ne cédera-l-elle point à votre clémen-
ce ? vous qui , dans l'excès de votre justice ,
selon l'expression du Prophète, ne pouvez
oublier vos miséricordes.
Oui, mes frères, nos péchés ont mérité les
vengeances de Dieu , notre piété attirera ses
bontés. La colombe gémit , dit saint Augus-
tin, c'est-à-dire, les âmes saintes prient , et
Dieu accorde à leurs cris ei à leurs prières
le bonheur et la tranquillité des Etats. Les
grands succès, qui sont en apparence l'ou-
vrage de la valeur , de la sagesse cl de l'in-
dustrie des hommes, sont souvent la récom-
pense d'une âme juste, inconnue au monde,
etqueDieu s'est réservée dans le secret de sa
face ; le roi , après avoir été. le maître de la
guerre , sera encore une fois l'arbitre et le
pacificateur de l'Europe , cl si nos lauriers
sont depuis longtemps employés à couronner
nos vainqueurs ou à marquer nos victoires,
peut-être qu'à leur tour les branches de vos
oliviers seront bientôt le symbole d'une paix
solide et durable.
Demandons-la à Dieu celte paix dans nos
prières , méritons-la par nos vertus , cl édi-
tions-nous les uns les attifes dans le cours
de nos séances par de bons exemples , oui
honorent, honorent; c'est la troisième partie
de ce discours , que je finis en peu de paroles
pour ne pas abuser plus longtemps de votre
attention.
TROISIÈME POINT.
Quoique le précepte de rendre l'honneur à
ceux à qui nous le devons semble, dans le
sons le plus naturel , s'entendre dos puis-
sances de la terre à qui l'ordre du ciel nous
a soumis, cependant saint Jean Chrysostome
l'applique à celui de l'édification mutuelle ;
car comme nous sommes débiteurs à Dieu
de notre amour cl au& rois de nos respects
cl de nos hommages , nous le sommes aussi
au prochain de nos bons exemples , par les-
quels il est vrai de dire que nous rendons
l'honneur que nous devons au litre de chré-
tiens que nous portons depuis le baptême ;
et suivant cette pensée je dis que nous de-
vons tous, par la pratique des vertus de no-
tre état, honorer le ministère qui nous ap-
pelle en ce lieu, dans le même sens que saint
Paul se rendait témoignage à lui-même qu'il
honorait celui de l'apostolat par la sainteté
que demandaient de lui des fonctions si ex-
cellentes et si relevées.
Aussi le commandement en général le plus
recommandé à tous les chrétiens, et dont
l'expérience nous fait le plus connaître la
nécessité, est celui d'édifier nos f. ères ; et en
effet, ce serait donner des bernes trop étroi-
tes à la perfection chrétienne que d ! la ren-
fermer dans des vertus stériles et purement
intérieures : la même loi qui nous ordonne
de cacher une partie de nos bonnes œuvres
par humilité , nous commande aussi d'en
laisser voir par nécessité ce qui est néces-
saire à l'édification des autres , la sainteté
n'acquérant cette plénitude de justice dont
parle l'Ecriture que lorsqu'elle se communi-
que au prochain par l'efficace de l'imitation
et de l'exemple.
De là vient que l'Apôtre nous enseigne
que Dieu , dent la sagesse a établi des états
différents parmi les hommes, H assigné à
chacun de nous dos devoirs particuliers à la
condition où il nous appelle, a fait un pré-
cepte universel pour tous les états, renfer-
mé dans ces paroles : Unusquisque vestrum
proximo suo placeat in bonum ad œdifica-
tionem : Que chacun de vous se rende nlile
au prochain en PédifiGiU; et il ajoute que
cette obligation e-t plus ou moins essentielle
en nous a proportion que nous sommes éle-
vés, que plus on est distingué par les digni-
tés et par la naissance, plus on est respon-
sable de la régularité de sa conduite, et que,
comme les péchés des grands deviennent
d'ordinaire la mode et la règle des petits ,
leurs vertus aussi servent avec plus de fruN
à la sanctification du prochain et à l'hon-
neur et à l'avancement de la religion,
Or l'Ecriture a fait de l'exemple un pré-
cepte si précis et si absolu principalement
pour deux raisons : premièrement il con-
tribue à l'augmentation et à la gloire de
l'Eglise, et c'est ainsi que s'en explique Ter-
tullien , dans le livre de la Résurrection. On
reprochait aux premiers chrétiens, dit ee
Père, que leurs dogmes étaient incroyables,
que la raison se déclarait contre les mystères
de leur foi, que la mort qu'ils souffraient
pour elle élail plutôt un désespoir qu'une
action d'un véritable courage, et que la croix
de celui qu'ils adoraient n'était pas moins
injurieuse au législateur qu'à ceux qui
étaient les sectateurs do sa doctrine. Mais
lorsqu'on les voyait si purs et si irrépréhen-
sibles dans leur conduite, si charitables dans
la distribution de leurs biens, si humbles
dans leurs actions, leur vie devenait la preuve
de leur religion ; leur piété était l'apologie
do leurs dogmes, et leur sang était la fécon-
dité du christianisme. Los païens étaient tou-
chés et convertis par leurs vertus, el ceux
qui se révoltaient contre la vérité dos mys-
tères cédaient enfin à la persuasion do lu
sainteté et à la force du bon exemple.
C'est aussi par cette raison que Jésus-
Christ dit à tous les fidèles, dans la personne
de ses apôtres, qu'ils sont la lumière pour
éclairer tous cou* qui habitent dans la mai-
son du Seigneur, cl qu'il faut qu'elle paraisse
devant les hommes, afin qu'ils voient leurs
bonnes œuvres el qu'ils glorifient leur Père
qui est dans le ciel; précepte par conséquent
recommandé à tous les chrétiens, Surtout
dans dos assemblées comme celle-ci, où la
dissipation , inséparable du bruit et du
monde, dérange les plus fervents et les plus
parfaits, où la piété est aussi nécessaire
pour édifier les peuples, que le sont la pru-
dence et les lumières pour les gouverner, ci
est plus indispensable encore dans un sièclu
tel que le nôtre, où rien n'échappe à la eu-
967
OltATKUllS SACRES. DE NI 5MOND.
908
riosile ol à la malice, où l'on est comme on
spectacle aux mauvais jugements el à la
censure, et où L'injustice îles spectateurs. ,
bien loio «le supporter les imperfections et
les défauts, n'épargne pas 1 innocence et la
vertu même.
Secondement, Dieu ordonne que les fidèles
édifient leurs frères; car quoiqu'il puisse
par lui-même et par le seul attrait de sa
grâce nous inspirer l'observation de sa sainte
loi, cependant il se sert de l'exemple des
chrétiens parfaits, soit alin qu'ils coopèrent
avec lui à la sanctification des hommes, soit
qu'il veuille nous rendre la sainteté plus fa-
cile en nous la montrant imitable.
Ce fut par ce moyen que la conversion de
saint Augustin devint entière et parfaite :
il ne tenait plus au monde que par ses irré-
solutions et par ses craintes si ordinaires à
ceux qui veulent embrasser une vie chré-
tienne après en avoir mené une tout à fait
mondaine; il ne faisait pas le bien qu'il vou-
lait et faisait le mal qu'il ne voulait plus, et
il était dans cet état neutre et chancelant où
l'on n'a ni la volonté du péché, ni le mérite
de la pénitence. Mais quand il vit un fameux,
pécheur de son temps converti, il eut honte
de ne pas imiter dans le repentir et dans la
vertu celui qu'il n'avait que trop imité dans
ses dérèglements et dans ses crimes : il fut
déterminé par l'efficace de l'imitation.
L'exemple fil en lui ce que tous les autres
motifs n'avaient pu faire, et sa conversion ,
qui a été si utile et si importante à l'Eglise ,
fut la suite et le fruit de celle d'un autre.
Qu'ajouterai-je, mes frères, en finissant ?
vous dirai-je, comme l'apôtre saint Pierre :
Craignez Pieu, honorez le roi, aimez vos
semblables ? vous dirai-je : Que la conduite
de votre vie parmi les chrétiens soit pleine
d'édification , afin qu'en voyant vos bonnes
a uvres ils puissent vous louer cl vous imi-
ter ?
Grâces, encore une fois, à la miséricorde
du Seigneur, nous ne verrons ici que régu-
larité dans les mœurs, que paix et union en-
tre les uns, que vertu et que mérite dans les
autres. Les peuples, que leurs malheui s ren-
dent encore plus attentifs à la conduite de
leurs supérieurs, n'auront point à gémir do
votre faste et de vos dépenses, et celte com-
pagnie ne sera pas moins la bonne odeur
de la religion par ses exemples que le mo-
dèle des autres provinces par la prudence
de ses règlements , par le bon ordre de ses
affaires et par la sage administration de ses
revenus et de ses finances.
Fasse le ciel qu'on ne connaisse point
parmi nous l'image de ces assemblées mon-
daines et tumultueuses où l'on occupe tout
s m esprit à démêler des intérêts et à former
des intrigues, où la concurrence des emplois
fait tant d'inimitiés et de jalousies, où l'on
ue songe qu'à avancer ses projets ou à tra-
verser ses compétiteurs, où l'ambition règne
dans les uns et la cupidité dans les autres, et
où les inutilités cl les plaisirs sont presque
toute l'occupation de la vie qu'on y mène.
(I) L'évéque ofliciant.
Puissent les devoirs de zèle et de piélé
|Ue \ous pratiquerez être toujours présents
a votre mémoire, et puisions-nous mériter
l'éloge que faisait Tertullien des fi lèles
d'Afrique, q'iand il les appelait la gloire du
christianisme et l'abrégé de l'Evangile : Corn-
pendium Evangelii.
Seigneur, répandez vos dons sur (oui ceUI
qui composent une assemblée si auguste et
si vénérable; donnez-leur votre intelligence,
voire jugement el votre justice; protège!
celle province, célèbre par son zèle pour la
religion, estimable par son attachement pour
son prince, et qui n'est devenue le patrimoine
de nos rois que pour se sacrifier sans cesse
pour le repos el la gloire de ce royaume.
Donnez à nos peuples gémissants et épuisés
des récoltes abondantes ,. et , accordant la
fertilité à leurs campagnes , donnez-leur la
rosée du ciel el la graisse de la terre. Apres
avoir été pour nous le Dieu de la guerre ,
devenez le Dieu de la paix. Bénissez nos ar-
mes , surtout convertissez nos cœurs, aûn
qu'après vous avoir loué pendant celle vie ,
nous puissions, dans ce jour terrible où le
temps finit et où l'éternité commence , être
reçus dans le sein de la gloire, que je vous
souhaite , au nom du Père , du Fils et du
Saint-Esprit. Ainsi soil-il.
AUTRE DISCOURS,
Prononcé à l'ouverture de l'assemblée des
Etats du Languedoc.
Quare ergo, Domiue, pereussisii nos? Eipeclavimus pa-
cem, el non esi bonum; tempus curationis, et eccc lurba-
tio. Cogiiovimus, Domine, qnia percaviinns tibi.
Seigneur, pourquoi noua af/Ugez-vous ? Sous attendions
la paix , et la paix n'est point venue ; nom espérions la fin
de tus maux, et nous somma encore dans le trouble de la
guerre. Son, reconnaissions que nous tuons péché contre
vois (.lerem., XIV, 19, 20).
Monseigneur (1),
C'est ainsi que ce prophète , sanctifié
avant sa naissance, répandait son Ame de-
vant le Seigneur, cl que. accomplissant les
devoirs de sa mission , il exhortait à la pé-
nitence un peuple ingrat , qu'une heureuse
paix avait amolli et que les adversités sem-
blaient rendre plus impénitent et plus in-
sensible.
'l'a mût le prophète représente tous les
malheurs de la guerre la plus sanglante que
les Juifs eussent jamais soutenue, et qui
élait d'autant plus cruelle que la haine et la
jalousie l'avaient allumée ; lanlôl il décou-
vre tous les projets d'une ligue qu'avaient
formée contre eux le roi de Babylone et les
Assyriens, et qui n'avait pour fondement
que la grandeur et la gloire d'un royaume
chéri de Dieu ; tantôt il anime les Hébreux
à la défense de leur patrie par le péril
même de leur religion menacée ; il recueille
en eux l'amour de la sainte Sion el du tem-
ple de Jérusalem que leurs ennemis vou-
laient détruire, cl, par le récit des biens
qu'ils avaient à espérer ou des maux qu'ils
avaient à craindre, il tache d'exciter dans
leurs cœurs un reste de foi , que le péché
n'éteint pas toujours, el qui par la boiu-i de
969
DISCOURS » POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC. 970
la plus sainte de mon ministère, dans ce jour
l'humilité et
Dieu devient quelquefois le germe et le prin-
cipe de la pénitence.
Tels étaient les sentiments qu'inspirait à
Jérémie la considération des malheurs dont
le peuple juif était menacé; mais cherchons,
ajoutait-ildansson amertumeet dans sa don-
leur, la source de nos misères dans nos'déré^Ie-
inents etdans nos crimes. LeSeigneur cùtcté
fidèle à ses promesses si nous eussions été
fidèles à sa sainte loi ; lorsque nous fûmes
vertueux, l'empire de Juda fut toujours le
plus riche et le plus florissant royaume du
monde ; si nous nous plaignons des délais
d'une paix lente et fugitive, c'est du fond de
nos consciences criminelles que s'élèvent
les difficultés et les obstacles. Enfin les ju-
gements du Seigneur sont adorables, et
Dieu est juste quand il nous fait sentir les
effets de .sa vengeance et de sa colère. Co~
gnovimus, Domine, quia peccavimus tibi.
Je viens aujourd'hui, Messieurs, vous re-
nouveler les mêmes instructions dans des
événements presque semblables. Je veux
vous représenter toutes les puissances de
l'Europe conjurées pour notre destruction et
pour notre ruine: une ligue formidable,
qui , par un mystère de la Providence plutôt
que par les secrets de la politique, s'entre-
tient malgré le temps et malgré ses pertes ;
toutes les incommodités d'une guerre qui
par ses dépenses et par sa longueur épuise
notre sang et notre substance. A la vue de
tant de calamités, je viens exciter dans nos
cœurs le repentir de nos péchés, et, dans
l'espoir d'une paix aussi nécessaire à nos
ennemis qu'à nous-mêmes, fonder sur le
changement de nos mœurs nos motifs de
consolation et de confiance.
Quel moment plus favorable pour vous ins-
pirer la pratique des vertus chrétiennes que
celui dans lequel je parle? Soit coutume,
soit religion, tout respire ici un air de re-
cueillement et de piété ; vous consacrez le
commencement de vos Etals par les cérémo-
nies les plus augustes du christianisme. Un
ministre de la loi nouvelle, auquel s'unis-
sent tous ces grands pontifes, lève les mains
au ciel pour attirer sur vous le désir d'une
conversion solide; Jésus- Christ, hostie de
grâce et de propiliation , s'offre à son Père
sur cet autel pour désarmer sa colère ; au-
tour de l'arche du Seigneur se rangent tous
ces fidèles attentifs et humiliés, et nous in-
voquons en ce jour un Dieu qui ne résiste
point à des cœurs contrits , et qui, dans l'ex-
cès même de sa justice, ne saurait oublier ses
miséricordes.
N'attendez donc pas que je loue ces hom-
mes illusires que le mérite rend si dignes
de nos éloges et que la justice du prince a
couronnés. En d'autres lieux et dans d'au-
tres temps, admirateur de leurs vertus , j'ai-
me mieux les honorer ici par un silence
respectueux, plus convenable même à leur
modestie. Oserai-je, en présence de Jésus-
Christ anéanti, flatter les grandeurs et les di-
gnités de la créature? Puis-je mêler un en-
cens profane à celui qui fume sur ces autels ?
Hé ! dans la chaire de vérité, dans la fonction
Orateurs sacrés. XXX.
consacré a 1 numuite ev a la prière, je ne
dois louer que ce Dieu jaloux à qui seul ap-
partient toute gloire et toute louange.
Recueillons ce discours, dont je vous ai ,
déjà insinué tout le plan et tout le partage. \
Je vous ferai voir dans la première partie
que nos péchés sont la source d'une guerre
si fatale à toute l'Europe , et dont les pros-
pérités mêmes coûtent presque aussi cher que
les disgrâces; dans la seconde je vous mon-
trerai que la pénitence est le moyen unique
pour obtenir du ciel une paix que la provi-
dence humaine ne peut donner , et dont la
politique la plus éclairée ne saurait aplanir
les difficultés, si la Providence, à qui tout
est possible, ne les surmonte.
C'était sur ces considérations que Jérémie
fondait toute son espérance quand il disait à
Dieu : Nous reconnaissons que nous sommes
pécheurs ; ressouvenez-vous de l'alliance que
vous avez faite avec nos pères et avec nows-
mémes. En un mot, la guerre est la suite de
nos dérèglements, la paix sera la récom-
pense de notre conversion : deux réflexions
importantes, que je propose aujourd'hui à
vos cœurs touchés de vos besoins , et qui se-
ront la matière de votre attention. Mais afin
que ma parole ne retourne pas vide devant
le Seigneur, prions le Saint-Esprit qu'il la
rende efficace à mess auditeurs ; demandons-
le car l'intercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Quand les hommes raisonnent, dit saint
Jean Chrysostome, des causes de la guerre
par les vues de la sagesse humaine et de la
prudence de la chair, ils les cherchent ou
dans l'ambition des princes de la terre, qu'a-*
gite un désir excessif de gloire et souvent
celui d'étendre les limites de leurs Etats, ou
dans les ressorts de cette politique maligne et
mondaine qui se nourrit dans les divisions, et
qui pour des vues particulières remue le
monde entier par des "intrigues et pardes pré-
textes. Ils les regardent comme les suites do
ces intérêts différents qui divisent les nations
et qui les arment les unes contre les autres
pour s'attaquer et pour se détruire, ou comme
l'effet de celle inquiétude naturelle à l'hom-
me, qui se plaît dans la discorde, et qui aux
dépens de son repos cherche à troubler celui
des autres.
Aussi rien n'est plus ordinaire que d'at-
tribuer les succès des expéditions militaires
à la prévoyance des rois, à l'expérience de
leurs capitaines et à la valeur des soldats.
Malheur aux conquérants qui disent ces pa-
roles impies, que leur défend le Saint-Esprit:
C'est à ma puissance et à mon bras que je
dois ma gloire et ma réputation! N'est-ce
pas le Seigneur qui fait les héros par sa vo-
lonté, comme il fait les saints par sa grâce?
Hél que sont les plus grands princes de la
terre, que les instruments dont Dieu se sert
au gré de ses desseins, qu'il élève et qu'il
abaisse comme il lui plaît? et que sont leurs
actions les plus héroïques, que les, œuvres
31
1)71
OIUTKUU» SACRES. DE NESMOND.
de sa providence sur le gouvernement du
monde et sur la destinée de- royaumes |
Or il n'y a point de- vérité plus répétée
dans l'Krrilure que celle qui nous apprend
que les péchés des peuples attirent sur eux
ce fléau delà vengeance de Dieu, que saint
Augustin appelle avec raison le plus terrible
de tous les fléaux, parce qu'il confond dans
les calamités publiques louiez les fortunes
particulières, que l'innocent et le coupable
sont également les victimes de sa fureur,
qu'il éteint non-seulement les familles, mais
encore qu'il détruit les villes entières ; qu il
ravage non-seulement les provinces, mais
qu'il décide du sort des empires. Kl ne sont-
ce pas, conclut ce Père, les iniquités de noi
consciences el la dépravation de nos mœurs
qui, après avoir lassé la patience du Sei-
gneur, irritent enfin ia justice? semblables à
ces exhalaisons inalignes qui s'élèvent de la
terre et qui deviennent dans les nuées la
matière de ces tempêtes et de ces orages qui
ruinent les moissons et qui désolent toutes
les campagnes.
En effet , tant que les Israélites furent D-
dèles zélateurs de leur loi, tant qu'ils adorè-
rent sans mélange de culte le Dieu de leurs
pères et qu'ils ne se Oient point d'autres
dieux, de constantes prospérités suivirent
toujours leurs desseins; le Seigneur prodi-
gua pour eux jusqu'à ses miracles ; tous les
éléments obéissaient à leur voix, et le ciel
et la terre étaient comme les tributaires de
leurs désirs. Tous les peuples, soit crainte,
soit admiration, recheichaient leur alliance
et leur amitié, et les plus grands rois n'o-
saient attaquer que par des murmures se-
crets et impuissants une nation que le ciel
favorisait d'une si longue suite de bénédic-
tions et d'une protection si visible.
Telle était la promesse que Dieu avait faite
aux Juifs par la bouche de son serviteur
Moïse : S'ils écoutent ma voix, disait le Sei-
gneur, et s'ils marchent dans l'observation de
mes préceptes, je les rendrai formidables à tout
l'univers; mais je mesurerai mes grâces sur
leur reconnaissance, je m' éloignerai d'eux à
mesure qu'ils s' éloigneront de moi : s'ils cessent
de me servir et de m'adorcr, je permettrai à
leurs ennemis de les attaquer, je tes livrerai à
une guerre cruelle et sanglante; ceux qui
échapperont au glaive périront par les mala-
dies ; des sécheresses brûlantes ou des inon-
dations imprévues détruiront leurs récoltes ,
et ils seront l'objet de ma justice, après l'avoir
été si longtemps de mes miséricordes et de mes
bienfaits.
El c'est aussi l'ordre de la Providence que
les créatures ne se soulèvent jamais les unes
contre les autres qu'après qu'elles se sont
soulevées elles-mêmes contre celui qui les a
créées. Il y a au dedans de nous, selon l'ex-
pression de l'Apôtre, un royaume où par le
désordre des passions se forment ces agita-
tions qui se répandent ensuite sur la terre.
D'où viennent les guerres et les combats, dit
l'apôtre saint Jacques, que des désirs de la
convoitise qui régnent dans notie chair ? cl
comme Dieu a des punitions spirituelles et
972
livre à leur
invisibles pour les âmes, qu'il
réprobation et à leur perte, il a aussi des
châtiment! temporels dont il afilige les pé-
cheurs, souvent pour les corriger. Heureux
lorsque, par un petil nombre de mauvais
jours et par des peines passagères, ils peu-
vent racheter le poids des supplices éternels,
et que leurs afflictions deviennent la matière
de leur pénitence !
Aussi il n'y a point de litre que Dieu
prenne plus souvent dans les saint' s Kcri-
lures que celui de Dieu de la guerre, non-
seulement parce qu'il en conduit les succès
et qu'il en dirige les événements, mais en-
core pour nous faire voir que c'est lui qui
l'envoie sur la terre pour la punir. Les ad-
versités personnelles et particulières sont
quelquefois les marques de son amour, el
sont au moins dans les justes les épreuves
de leurs vertus; mais les adversités publi-
ques sont toujours les signes de sa fureur
et les suites des péchés des hommes; hé l
quel doit être leur endurcissement, dit saut
Augustin , puisqu'il faut un si redoutable
moyen pour les exciter à une conversion sin-
cère et solide ! En effet, au milieu des dou-
ceurs d'une heureuse paix, presque toujours
on oublie Dieu et on néglige les devoirs de
la religion : chacun, renfermé dans son re-
pos et content de son abondance, ne s'occupe
guère du soin de :-on salut. Mais dans les
tribulations d'une longue guerre, lorsqu'on
est épuisé par les subsides que les besoins du
prince rendent nécessaires, quand on appré-
hende pour sa patrie et pour soi-même,
lorsqu'aux nécessités de l'Ktal se joignent
les nécessités domestiques, ou qu'on est af-
fligé du présent et qu'on craint encore pour
l'avenir ; quand la mort nous enlève tous les
jours ceux qui nous sont chers ou par le
sang ou par l'amitié, alors on s'humilie sous
la main de Dieu, on ne l'adore d'ordinaire
que quand il nous frappe ; et telle est la
corruption des hommes, qu'ils ne reconnais-
sent sa puissance que quand il l'a fait sentir
par sa justice.
Cependant quel usage faisons-nous des
malheurs de la guerre pour notre sanctifi-
cation? Malgré celte plainte si commune que
les temps sont mauvais, le luxe ne fut ja-
mais si prodigue ni si général. On ne se re-
fuse rien de tout ce que suggèrent la mol-
lesse el la vanité, pour chercher les commo-
dités de la vie ou pour soutenir ce qu'on
appelle les bienséances de sa condition; on
trouve des fonds pour toutes les dépenses,
souvent excessives, de la cupidité, el on en
manque seulement pour tous les devoirs de
la miséricorde chrétienne. Vit-on les pauvres
plus oubliés? On les abandonne à leur mau-
\ «lis sort; les riches sont plus cruels pour
eux que la fortune, et, sur ce vain prétexte
que l'on n'a point de superflu, on se croit en
droit de leur refuser le nécessaire. Je ne
parle point de tant de dérèglements aujour-
d'hui si communs, et qui, naissant dans la
corruption de la cour, s'introduisent ensuite
dans les provinces à titre de mode el de po-
litesse; je passe sous silence la profanation
973
DISCOURS II POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
974
des sacrements les plus augustes du christia-
uisme, et dont on approche sans goût, sans
préparation et peut-être pir coutume et par
politique. Combien y a-t-il de libertins de
mœurs et surtout de raisonnement, qui font
gloire de douter des mystères les plus saints
de notre foi, qui, non contents de renfermer
leur infidélité dans le secret de leur cœur,
emploient leur faux esprit à disputer de tout
et à ne rien croire , qui regardent la soumis-
sion comme le partage des âmes faibles, et qui
deviennent sans principes et sans religion,
en craignant d'être trop crédules I Ne voit-
on pas les femmes mondaines, sans cesse oc-
cupées du désir de plaire, de celui de voir et
d'être vues, et peu attentives à la modestie
chrétienne qui devrait faire l'ornement de
ieur sexe, se faire un art de séduire ou s'ex-
poser au péril d'être séduites ? Faut-il
donc s'éionner si le ciel irrité nous frappe et
nous afflige? Et nous pouvons dire des con-
jonctures présentes ce que disait saint Jérôme
de l'irruption d'Alaric dans l'Italie, que la
force de nos ennemis vient moins de leur
union et de leur puissance que de la multi-
tude de nos péchés. Nostris viliis fortes sunt
barbari.
Aussi le Saint-Eiprit ne nous parle de la
guerre que sous l'idée de colère et de fureur,
et c'est ainsi que Dieu, selon les vues de sa
providence, a divers moyens convenables
aux différentes dispositions des hommes qu'il
veut ou confirmer dans la justice ou ramener
à la pénitence. Veut-il affermir dans la pieté
une âme juste et fidèle, il sufiil qu'il lui an-
nonce sa parole, qu'il lui représente ses mi-
séricordes, qu'il lui propose ses récompen-
ses, et, l'excitant à la vertu par l'attrait de
la vertu même, sa grâce lui fait accomplir ce
que la loi lui commande. Veut-il retirer de
l'égarement une âme qui commence seule-
ment â se perdre dans les voies du monde et
qui tient encore à Dieu par quelques senti-
ments de religion et par les remords d'une
conscience timide, il l'épouvante par des me-
naces, il soutient sa fragilité, il la secourt
dans hs tentations, et, lui inspirant la ter-
reur de ses jugements, il la convertit par sa
crainte et la perfectionne par son amour.
Mais quand les hommes sont venus à un
certain période de dérèglement, et que leur
cœur est endurci comme celui do Pharaon,
lorsque le péché se communique par la con-
tagion de l'exemple, et que d'un peuple en-
tier il s'en fait une même masse d'iniquité,
alors Dieu emploie les moyens les plus effi-
caces et les plus violenls : à une corruption
générale il applique une punition universelle,
et ces fléaux, les plus terrible! de sa justice,
sont les dernières ressources dont se sert sa
m.sencorde.
Que la politique raisonne donc selon les
vues de la prudence humaine, de cette variété
d'événements qui agitent aujourd'hui le
monde et qui se succèdent les uns aux au-
tres ; qu'elle parle de ces résolutions qui
font l'élévation ou la décadence des empires;
qu'elle admire la monarchie française, dont
l'Europe conjurée no peut obscurcir la gloire,
et qui se soutient avec dignité par la sagesse
du prince qui la gouverne et par la valeur
d'une nation belliqueuse qui la défend ;
qu'elle regarde avec étonnement un autre
sceptre qui, plus fragile que le roseau que
le vent agite, change si souvent de main par
l'inconstance des peuples et par l'adresse
des usurpateurs ; que le conseil des rois dis-
pose avec la prévoyance la plus consommée
tout ce qui peut contribuer aux heureux suc-
cès de la guerre, il sera toujours vrai de dire
que le démon, qui souffle la discorde dans
tout l'univers, n'est que l'instrument de la
colère de Dieu sur les hommes ; et nous ne
pouvons douter de la vérité de ce que dit
Salomon, que les malheurs des peuples vien-
nent de leurs péchés, comme leurs prospé-
rités sont la suite de leur justice : Justitia
élevât gentem, pauperes autem facit peccatum.
A la vérité, Dieu réserve ses jugements au
dernier jour, où il n'y aura plus de crainte
de chute pour les bons, ni d'espérance ni de
miséricorde pour les méchants. Cependant
il est de l'intérêt de sa gloire qu'il récom-
pense ou qu'il punisse les hommes dans le
cours même de ieur vie mortelle, parcs que
les justes murmureraient s'ils étaient sans
consolation, et les impies s'endurciraient s'ils
étaient sans adversités.
Et c'est sur ce principe, dit saint Augustin,
qu'encore que les vertus des premiers Ro-
mains fussent plutôt des vices déguisés que
de véritables vertus, et que celte sagesse
dont ils faisaient le mobile elle motif de leurs
actions ne lût qu'un raffinement délicat de
i'orgueil et de l'amour-propre , cependant
Dieu, par un ordre secret de sa providence ,
toujours juste dans ses desseins, leur avait
donné l'empire du monde pour prix de la
droiture extérieure de leurs mœurs et de
leur conduite. 11 jugea digne d'assujettir à
leur souveraineté les nations les plus éloi-
gnées, parce qu'ils assujettissaient leurs pas-
sions aux règles, quoique imparfaites, de la
sagesse humaine, pour nous apprendre, con-
clut ce Père, quelle confiance doivent avoir
en la protection de Dieu les peuples chrétiens
qui pratiquent sa sainte loi , puisqu'il" a ac-
cordé tant de gloire et tant de puissance aux
sages mêmes du paganisme.
11 est donc vrai que la piété rend les Etats
heureux et florissants ; et cette vérité paraît
encore avec plus d'éclat dans les succès de
la guerre ; car ce n'est ni le nombre, ni la
prudence, ni le courage, qui décident du sort
des combats ; si Dieu ne s'intéresse pour les
combattants, un contre-temps dérange sou-
vent les entreprises les mieux concertées. Les
armées les plus nombreuses sont quelque-
fois vaincues par des accidents imprévus de
la fortune, ou plutôt par les ordres de la
Providence. Le Seigneur, jaloux de son pou-
voir, ne, veut pas qu'on lui ravisse la gloire
des événements, et le Saint-lispi il nous ap-
prend que les victoires des Israélites furent
nions l'ouvrage de la valeur de Josue, que
de la ferveur et de la sainteté de Moïse.
Telles étaient les dispositions des premiers
fidèles dans les occasions de la guerre et dans
075
OIUTI-XRS SACIlKS. DE NESMOND.
970
les besoins de l'Etat, selon le témoignage de
Terlullien. Vous haïssez la relit/ion chrétien-
ne, disait- i) aux. païens, cl tous lu persécutez
en tous lieux pur des proscriptions et par des
supplices ; cependant c'est aux vertus et au
couraijedes chrétiens i/ue l'empire romain doit
sa réputation < t .ses victoires: pendant que
les uns combattent pour leur pairie, 1rs aunes
prient pour rendre le Dieu des armées propice
dans tous vos desseins. Aous n'épargnons ni
nos biens, ni notre vie même, pour le service
de nos empereurs. !\'otre fidélité n'est point
l'effet de la crainte ni de la politique, mais
le devoir le plus essentiel de lu loi que nous
professons. Les légions chrétiennes sont in-
vincibles, parce qu'elles sont encore ]ilus ani-
mées par leur piété f/ue par leur valeur. JJi !
quels ennemis peuvent résister à des troupes
gui aux armrs matérielles, i/uc l'intrépidité
rend redoutables, ajoutent encore les armes
spirituelles de la vertu, de la pénitence et de
la prière ?
Ne professons-nous pas, mes frères, la
même foi ? n'adorons-nous pas le même
Dieu, et dans les temps malheureux où nous
sommes n'avons-nous pas les mêmes besoins?
Ne reviendront-ils point ces jours, pour mé-
diter la loi de Dieu avec attention ? Fré-
quenter les sacrements avec ferveur, écou-
ler la sainte parole avec profit, était la con-
solation des premiers chrétiens, soit dans les
avantages, soit dans les afflictions de ce
inonde. Dans ces conjonctures si importantes
au royaume et à nous-mêmes, une vie pé-
nitente, pleine de bonnes oeuvres et attentive
à l'unique nécessaire de notre salut, ne suc-
cédera-t-elie point à ce néant qui nous oc-
cupe et aux inutilités qui nous amusent ?
Ne perdra-t-on point le goût de ces spec-
tacles profanes, si souvent funestes à l'inno-
cence, et que, malgré la coutume et l'impu-
nité, on ne peut excuser, sans trahir l'E-
vangile, l'expérience et la tradition ? Parmi
quelques gens de bien qui servent Dieu dans
la droiture et dans la simplicité de leur
cœur, combien y en a-l-il qui sont dé\ols
par humeur et par naturel, qui cherchent
dans une apparente piété, moins la rosée du
du ciel que la graisse de la terre, et qui se
font, par une réforme extérieure, inspirée
par la vanité et par l'intérêt, un chemin à l'é-
lévation et à la fortune ! Quelle douleur de
voir renouveler de nos jours les erreurs que
le concile de Vienne avait condamnées! A la
voie simple et toujours égale de Jésus-Christ,
on substitue je ne sais quelle spiritualité
plus suspecte encore que ridicule. On quitte
les étroites roules où l'on se sauve, pour en
prendre d'obliques où l'on s'égare ; et n'a-
t-on pas vu les sentiments d'une fausse et
mystique piété devenir le langage des séduc-
teurs et le piège des âmes faibles?
Encore, si Dieu ne punissait les péchés des
liommes que par des châtiments temporels ,
nous ne serions pas sans consolation : les
afflictions les plus louchantes sont souvent
plus utiles à l'âme que de constantes pros-
pérités : nous savons que les chrétiens se
glorifient dans leurs maux avec l'Apôtre ,
que la patience conduit à l'épreuve, et l'é-
preuve a l'espérance; et quand la guerre
nous coûte quelque portion de nos biens ,
que perdons nous ? l'aliment de notre cupi-
dité, les instruments de notre réprobation,
la matière de nos crin
.Mais Dieu punit souvent les péchés des
hommes par les ténèbres de l'esprit et par la
perle de la foi ; et c'était la menace que fai-
sait Jesiis-Clirist aux pharisiens, qi nul il
leur disait qae le royaume de Dira leur serait
ote, et qu'il serait donné au gentils, qui en
feraient les fruits parleurs bonne', o-uvres :
prophétie que la suite des temps vérifia, par
la réprobation des Juifs et par le salut de
ceux qui vivent sous la sainte loi de l'Evan-
gile. Hé! qu'ont été l'extinction du royaume
d'Israël, la profanation du temple, la deslruc-
lioi. de Jérusalem et la dispersion entière de
celle malheureuse nation, que le châtim ni
de ses péchés? Et nous qui étions compris
dans la masse de la genlilité prédite par le
S luveur du monde, que sommes-nous, que
les branches heureuses entées sur l'olivier
véritable, et la preuve littérale contre les
Juifs des malédictions de Jésus-Christ et de
l'accomplissement de ses menaces?
C'était ainsi que Dieu s'en expliquai! quand
il disail par la bouche de son serviteur Job
qu'il ôterait aux nations impies le don pré-
cieux de la foi. Sa justice souvent permet que
cette lumière spirituelle s'éteigne dans un
pays, et sa miséricorde la fait renaître dans
un autre. L'Eglise d'Afrique, autrefois si cé-
lèbre par ses conciles, par la pureté de sa
discipline, et si féconde en saints évéques,
ne subsiste plus. Dieu s'est retiré d'un peu-
ple qui l'avait offensé par les plus grands dé-
règlements, selon le témoignage de Salvien ;
et a'a-t-on pas vu, dans un royaume voisin
du notre, la dépravation des mœurs suivie
du schisme et de l'hérésie ? On y tolère tou-
tes les sectes les plus ridicules, on y reçoit
toutes les erreurs, on y embrasse toutes les
religions, et on n'y persécute que la vé-
ritable.
Or, si Dieu ne nous livre pas à l'esprit
d'erreur et de mensonge, c'est toujours uue
suite de sa colère, dit saint Augustin , et un
malheur digne de nos gémissements et de
nos larmes, lorsque noire foi est attaquée,
quand il permet que nos temples et nos au-
tels ne soient pas moins l'objet de la rage de
nos ennemis que nos biens et nos fortunes ,
et que nous ayons à défendre également no-
tre religion et notre patrie. Kn effet, de quelle
paix ne jouissait pas notre sainle loi quand
la guerre vint interrompre ses progrès et
surprendre ses prospérités ! l'hérésie était
partout abattue et impuissante, incapable de
nuire par les armes, convaincue dans les
écrits et dans les disputes : sur le penchant
de sa ruine elle perdait tous les jours quel-
ques-uns de ses sectateurs : il semblait ojoe
Dieu, qui a prescrit des bornes à toutes les
sectes, nous faisait espérer la fin prochaine
de eclleque nos Pères aran ni « ue naître, i.'i.
glise, qui ne fut jamais si florissante, comp-
tait au nombre de ses prosélytes un roi que
977
DISCOURS II POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
973
ses malheurs elses vertus rendent le specta-
cle des anges et de Dieu même. Jésus-Christ
crucifié était annoncé aux nations les plus
éloignées, et, par un zèle qui a toujours été
la marque de la vraie Eglise, on portait jus-
qu'aux extrémités du monde les richesses de
l'Evangile. Dans d'autres climats l'ennemi
du nom chrétien était vaincu et presque
chassé de l'Europe. Cet empire si formida-
ble était réduit à sauver dans l'Asie 1rs res-
tes malheureux de sa puissance. Fallait-il
que les passions humaines vinssent troubler
la joie de tant de victoires si glorieuses à
Jésus-Christ et au monarque qui en était
l'instrument ! Quel malheur quand les rois
de la terre sacrifient aux vues d'une politi-
que mondaine les intérêts les plus pressants
de leur religion ! Ce prince , qui doit à la
piété de ses aïeux sa grandeur et sa cou-
ronne, n'aurait pas préféré des triomphes
certains, qui auraient rendu sa gloire im-
mortelle devant Dieu et devant les hommes,
à tous ces vains efforts qu'il fait sur les
bords du Rhin ; et, sans cotte jalousie injuste,
sortie du puits de l'abîme, nous verrions
peut-être aujourd'hui la croix du Sauveur du
monde sur les murs de celte ville célèbre
dont Constantin avait fait le siège de l'em-
pire d'Orient, et que le second concile œcu-
ménique appelait la nouvelle Rome.
Oui, mes frères, le devoir le plus essentiel
des princes est de défendre et de protéger la
religion ; car si le Saint-Esprit nous apprend,
tantôt qu'il est le Dieu de tous les royaumes,
tantôt que le souverain pouvoir des rois
n'est qu'une émanation et une dépendance
du sien , tantôt qu'il a gravé dans le cœur
des vrais fidèles la loi inviolable de la sou-
mission et de l'obéissance pour ceux dont
ils sont sujets , il est juste par conséquent ,
conclut saint Augustin , que les monarques
régnent pour le Seigneur, puisqu'ils régnent
par lui ; que sa gloire soit l'objet continuel
de leurs desseins et de leur conduite ; que
leurs armes soient employées à maintenir
son culte et à l'étendre : cl malheur à ceux
qui , trop occupés des motifs criminels de
leur ambition ou de leur haine, qui , séduits
par les fausses couleurs de la prudence de
la chair, trahissent les droits les plus sacrés
de celui à qui ils doivent leur élévation et
leur puissance!
Ce juste reproche, que tant de princes ont
mérite, est l'éloge de celui sous le rè^nc du-
quel nous avons le bonheur de vivre. Il
semble que le ciel ail réservé à sa vertu, à
sa prudence et à sa valeur, le titre glorieux
de l'unique défenseur de l'Evangile attaqué
et de la foi menacée. Que n'a-t-il pas fait,
dans les temps tranquilles el paisibles, pour
détruire le schisme et l'hérésie dans tout son
royaume I Que le mondain et le politique
raisonnent de ce grand ouvrage selon les
vues de la sagesse humaine , qui n'est que
folie aux yeux du Seigneur ; Dieu ne juge
pas comme nous jugeons. L'Eglise recon-
naissante le regarde comme le monument
immortel du zèle et de la piété de ce grand
monarque- Sans les malheurs d'une guerre
que nos péchés ont allumée , le mur de sé-
paration serait ôté par une réunion sincère et
solide ; nos néophytes seraient notre joie et
notre couronne , et au lieu de gémir de leur
indifférence et de leur tiédeur, nous jouirions
en paix du fruit de nos instructions, et nous
n'aurions qu'à les édifier par nos exemples.
J'ai dit , mes frères , que vous devez les
édifier par vos exemples ; car enfin que sert-
il de professer la foi dans la pureté , si on la
dément par la corruption des mœurs ? La
preuve la plus persuasive de la religion est
la pratique de sa loi et l'accomplissement de
ses préceptes ; cependant , dans un temps où
l'édification est si nécessaire , on assiste au
saint sacrifice sans respect et sans piété , et
seulement pour remplir les dehors de la bien-
séance et de la coutume. Nos mystères les
plus redoutables ne peuvent exciter notre
recueillement et notre attention ; au lieu de
sanctifier le jour du Seigneur parles bonnes
œuvres et par la prière, on le regarde comme
un jour fâcheux , dont les devoirs sont im-
portuns. Nos temples sont souvent le réduit
des conversations mondaines, et, par un
mépris criminel des lois les plus saintes de
l'Eglise, on porte jusqu'au pied des autels,
en présence de Jesus-Christ immolé pour
nous , la vanité , la dissipation et l'immo-
destie.
Pourquoi , Seigneur , nos espérances ont-
elles été confondues ? Vos jugements sont
justes et nous ne devons que les adorer ;
mais nos crimes avaient-ils mérité tous les
malheurs d'une guerre plus funeste encore-
au progrès de la religion qu'à nos fortunes
particulières? Ne s'esl-il point trouvé quel-
que juste dans Israël pour désarmer votre
colère el pour fléchir votre clémence ? Quoi !
faut-il que votre saint nom soit blasphémé
par tant de nations , et comme , selon le té-
moignage de saint Jérôme, tout l'univers
devint presque arien ou par sentiment ou
par protection , pourquoi permettez-vous
aussi que, dans celle ligue formée entre tant
de peuples et soutenue par le mensonge et
par l'artifice, les uns soient les sectateurs de
l'hérésie et les autres les complices de ses
intérêts et de ses desseins ?
Mais apaisons , mes frères , la colère do
Dieu par nos venus , invoquons ses miséri-
cordes , méritons-les par la pénitence. Vous
avez vu que la guerre est la punition de nos
péchés ; il me reste à vous faire voir que
notre conversion est un moyen efficace pour
obtenir du ciel la paix que nous désirons :
c'est la seconde partie de ce discours.
SECOND POINT.
Il n'y a rien de plus précieux et déplus
désirable dans la vie spirituelle que la paix
de l'âme et le repos intérieurde la conscience,
et, selon les principes de saint Augustin,
celle paix consiste dans l'ordre ou plutôt
dans la conformité de la volonté de l'homme
avec celle de Dieu, qui , nous attachant à lui
comme a notre souveraine félicité, nous dé-
lin lie de nous-mêmes, soit dans les prospé-
rités, soit dans les adversités de la vie ; afin
0'/!>
Olt.Ul.l ItS SACHES. DE NESMOND.
818
que, convaincus par sa grâce du néant et de
la vanité de la créature, nous ne cherchions
qu'en lui mu] 490 bonheur durable et solide
que le monde ne peut donner.
C'est ce repos d'une conscience tranquille
qui Taisait tous les dés.rs des patriarches et
des prophètes de l'ancienne loi ; c'est cette
paix que les anges annoncèrent aux hommes
de bonne volonté dans le temps de la nais-
sance du Sauveur du monde; qu'il laissa à
ses disciples, comme le gage de son amour ,
sur le point de sa passon ; et qu'enfin il leur
donna le jour de sa résurrection , comme le
prix de tous ses travaux et comme la con-
sommation de sa vie mortelle.
Or, si la paix de l'âme fait le bonheur
chrétien, il n'est pas moins vrai que la paix
temporelle lait toute la félicité des peuples.
Son nom seul halte nos esprits, dit saint Au-
gustin, et fait je ne sais quelle impression
de douceur cl de joie dans le cuuir des hom-
mes : Tunlum est paeis bomim, ut nihil gra-
tins soleat audiri. Elle est l'objet de leurs
espérances et de leurs soupirs quand ils ne
la possèdent pas : Nihil desiderabilius con-
cupisci ; et lorsque Dieu, propice à leurs dé-
sirs, la donne à la le;re, ils en désirent la
durée avec ardeur, et ils la regardent comme
un présent du ciel, qui procure le repos pu-
blic et assure toutes les fortunes particu-
lières : Nihil melius possit inveniri.
C'était une des raisons dont se servait
saint Paul , quand il exhortait les premiers
fldèles à faire à Dieu des demandes , des
prières, des supplications pour les rois de la
terre. Ne cessons point d'importuner le Sei-
gneur , disait-il . afin que nous menions une
vie paisible et tranquille dans la piété et daîis
la vertu. Cet apôtre, convaincu que les peu-
ples ne peuvent recevoir de leurs princes un
bien plus important et plus nécessaire, mar-
que pour princine de l'obligation où nous
sommes d-; prier pour eux le besoin que
nous avons de celte tranquillité extérieure
et passagère, non-seulement utile à nos in-
térêts temporels , mais encore plus propre
aux devoirs de notre salut et plus conve-
nable à l'exercice des vertus chrétiennes.
En elïet, les princes ambitieux haïssent la
paix parce qu'elle est un obstacle à leurs
vains désirs. Ils souhaitent la guerre parce
qu'elle est un moyen ou d'étendre les bor-
nes de leur empire , comme s'ils devaient
être seuls sur la terre , ou d'immortaliser
leur nom, comme si leur réputation les de-
vait suivre dans le tombeau. Par mille Ira-
vaux ils cherchent une gloire sujette à des
révolutions et à des chutes , et qui , par un
juste jugement de Dieu, est difficile à acqué-
rir et facile à perdre. In événement malheu-
reux ternit souvent tout l'éclat d'une belle
vie. l'eu attentifs à toutes les calamités que
produit leur ambition , il leur importe peu
de troubler le monde entier, pourvu qu'ils
suivent les mouvements dérègles de leur va-
nité. Leurs actions les plus héroïques et que
li s mondains admirent ne sont souvent que
crime et qu'iniquité aux yeux de Dieu ; et ,
se préparant des supplices éternels, ils uni-
fient dans l'autre vie ce que dit saint Au-
gustin , que ces héros apr'i leur mort sont
tourmentés où ils sont , et loués où ils ne •
pas.
Mais au contraire les bons princes, qui M
vent que la guerre la plus juste a des eflèll
nécessairement funestes et presque loujour»
irréparables, ne l'entreprennent que par né-
cessité ; convaincus que leur rentable gran-
deur consiste à rendre leurs peuplas heu-
reux , ils aiment la paix par conscience et
par religion; instruits de cette maxime da
saint Paul, qu'en vain gagne-l-ou le mon le
entier si on perd son âme fl), ils pn lèn-nl
le litre de pacifique à celui de conquérant.
Au milieu des succès dont Dieu bénit leui %
armes et leurs desseins, ils sont plus touchés
du beso n de leurs sujets que de l'idée (lai-
teuse de leurs conquêtes : leur gloire mé
est à charge à leur piété, et, sachant ie que
coûtent aux particuliers les exploits des
princes et la fortune de l'Etal, ils s'affligent
dans leurs cœurs de leurs pr spérilés el g • -
missent en secret de leurs victoires.
.Mais celle tranquillité temporelle, si dé-
sirée dans tous les temps , est l'ouvrage de
Dieu seul , qu^ 1 i donne ou qui la relire se-
lon les vues toujours justes de sa provi -
ocine ; tantôt lsaïe dit que le téntable u m
du Seigneur est ielui de prince de la paix :
Vocabitur nomen ejxu , princep* jiucis ; tan-
tôt Dieu nous assure qu'il la donnera à sou
peuple quanJ sa justice sera satisfaite : Lo-
quelur pacem ad plebem su .m ; tantôt il n u>
dit , par la bouche de l'Apôtre, que c'est lui
qui la donne à l'Orient et â l'Occident quand
il lui plaît; qu'il rompt ce mur de séparation
que la guerre élève entre des nations dilTe-
reules, lorsque sa colère est apaisée, ou par
l'innocence des justes , ou par la conversion
des pécheurs; et que, comme l'union qui
nous lie avec le prochain par les nœuds de la
charité chrétienne est l'effet de son amour
et de son esprit , l'union politique qui ré-
concilie les peuples et les Liais par les liens
d'une charilé commune est aussi la suite de
sa miséricorde et de sa puissance.
C'est ainsi , Seigneur, que vous le décla-
rez dans vos Ecritures, et vos paroles ne Bout
jamais vaines. Vous pronn lie/ de pardonner
aux pécheurs qui se convertissent , et , cou-
lent de leur repentir, vous donnez des bor-
nes à votre vengeance. Au milieu des agita-
tions d'une guerre longue et sanglante, vous
lirez quelquefois le calme el le repos du sein
de votre paternelle boule. Vous tournez le
cœur îles rois au gre de vos volontés, t t\ous
leur inspirez quand vous voulez le désir
d'une heureuse réunion. Votre clémence est
infinie , nous connaissons que nous avons
péché contre vous, nous nous coulions en
>os boules; el si la politique mondaine, tou-
jours douteuse el toujours flottante, ne voit
que des obstacles qui s'opposent au retour
d'une paix si attendue et nécessaire , notre
(1) C.eiie çi.iTole nY* p.is do avilit Paul, niais die est sortie 0« la l<oucbe luërot de Notre -Seigneur, «n Mi*t
Matthieu, ebap. XVI, v. m.
981
DISCOURS II POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
foi, appuyée sur votre parole et sur la dou-
leur de nos péchés , espère des ressources
que votre providence a préparées et que la
prudence humaine n'a pas prévues.
En effet, les promesses de Dieu ne sont
pas romme celles des hommes, qui sont
d'ordinaire sans certitude, sans sincérité,
sans exécution. Il jure par lui-même que la
paix sera la suile de notre justice; pourquoi
cela, mes frères? c'est qu'il y a un pacte
éternel et immuable entre la miséricorde du
Seigneuret la pénitence des hommes. Si nous
avons un désir sincère d'une conversion
solide, nous devons être sûrs qu'il se laissera
fléchir : comme la vérité de ses Ecritures
n'est pas incertaine, l'espérance du pénitent
n'est pas confondue; hé! quelle source de
confiance n'est-ce pas pour les pécheurs
dans le cours de leur pénitence, et pour les
malheureux dans les adversités de la vie , de
servir un maître qui donne à ceux qui le
craignent non-seulement les grâces inté-
rieures , qui sont le principe de noire salut ,
mais encore ces consolations passagères qui
font le repos et la félicité de la terre?
Quel homme fut plus affligé, plus persé-
cuté et enfin plus heureux et plus favorisé
de Dieu que le prophète-roi? Un fils ingrat
se révolte contre lui , et veut usurper un
trône que la nature lui destinait et que
sou crime lui fit perdre. Dicite : Regnavit
Absalom in Jlebron. Il emploie tous les ar-
tifices qu'une excessive ambition suggère à
un esprit habile et insinuant : Erut ambitio-
sus valde. Il flatte un peuple crédule par des
espérances cl par des caresses : Et cum
arceileret ad eum homo , extendebat manum
snam; il attire ce genre d'hommes toujours
mécontents, qui sont avides de la nouveauté,
et qui cherchent dans les révolutions des
empires la matière de leur fortune : Sollici-
tabal corda virorum Israël. 11 fait servir la
religion même de prétexte à ses desseins : Si
reduxerit me Dominus in Jérusalem, sacrifi-
caho Domino; tout Israël suivait le parti de
l'usurpateur, et tout semblait conspirera
rendre son crime heureux : Toto corde uni-
verstis Israël sequitur Absalom. Mais, Sei-
gneur, vous dissipez quand il vous plaît les
puissances les plus affermies, et les prospé-
rités des mondains sont quelquefois les pré-
sages de leur réprobation et de leur chute.
David, abandonné, fugitif, et trouvant à peine
un asile dans le désert, n'avait pour lui que
sa piété el sa confiance; il fut pourtant vain-
queur de ses ennemis; ce fils dénaturé fut
enfin la victime de son ingratitude et de siv;
projets ; et celte profonde paix , conclut
l'Ecriture, qui succéda aux expéditions mi-
litaires du roi son père, fut moins l'ouvrage
de sa valeur et de ses exploits , que le fruit
de sa ferveur, de sa foi et des larmes de sa
pénitence.
Il est donc vrai que notre conversion seule
nous peut procurer celte tranquillité exté-
rieure que nous désirons; car le péché a trois
effets principaux (nouvelle raison île saint
Augustin) : il nous révolte contre Dieu par
nuire désobéissance., il nous soulève contre
nous-mêmes par le dérèglement de nos pas-
sions, il divise les hommes par la cupidité;
or la grâce de la pénitence rétablit tous ces
désordres et produit trois avantages opposés :
elle nous soumet à Dieu dans l'observation
de ses lois et de ses préceptes, elle nous sou-
tient dans les tentations dont la chair afflige
l'esprit , et en troisième lieu elle nous unit
avec le prochain; elle accorde les nations
avec les nations, noi»-seulement en nous ins-
pirant de bons désirs, mais encore par voie
d'impétration, en déterminant Dieu à conci-
lier tous les différents intérêts qui partagent
les empires, et qui sont la matière des guerres
les plus sanglantes el les plus cruelles.
Qu'elle est grande par conséquent , dit ce
même Père, l'efficace de celte vertu, puisque
la justice de Dieu même cède à son pouvoir,
qu'elle seule nous obtient du ciel le bien le
plus précieux de la terre, et qu'elle nous rend
ce repos temporel qui nous retrace l'image
decelui quepossèdenlles saints dans le centre
de la béatitude, sans cupidité, sans jalousie,
sans passions; toujours unis avec Dieu, tou-
jours unis entre eux-mêmes , ils jouissent
d'une éternelle paix; et tel aussi eût été l'état
heureux de la condition humaine, si notre
premier père eût conservé l'innocence pri-
mitive de sa création, el s'il n'eût point laissé
dans les hommes par son péché la source de
la division et de la discorde.
Mais pouvez-vous demander à Dieu cette
paix que vous désirez, vous qui ne la con-
servez pas avec vos citoyens el avec yos
frères; qui nourrissez dans votre cœur des
haines injustes que le temps ne saurait finir;
qui vous réconciliez plutôt par bienséance
et par politique que par les mouvements de
la charité chrétienne, et qui ne pardonnez
peut-être à vos ennemis que lorsque vous
n'êtes plus en pouvoir de leur nuire? Aimez-
vous votre prochain, vous qui dans vos dé-
tractions ne respectez ni le sacré ni le pro -
fane, ni l'innocent ni le coupable; qui, non
content de parlerdesdéréglementsapparenls,
inventez ce qui n'eul jamais de vérité ni de
vraisemblance; qui, ne pouvant censurer les
mœurs , cherchez avec soin le ridicule des
personnes, et qui, bien loin de .supporter les
imperfections et les défauts, n'épargnez pas
l'innocence et la vertu même? Aimez-vous la
paix, vous qui, dans les projets de votre
ambition , ne pensez qu'à détruire ceux qui
peuvent être vos concurrents? Vous allez
sans scrupule noircir leur réputation dans
les lieux où les grâces se distribuent, par
des voies obliques et d'autant plus dange-
reuses qu'elles sont cachées; vous tâchez de
décréditer un mérite qui vous efface; vous
égorgez en secret des victimes innocentes,
de peur que la fortune ou la faveur ne vous
les préfère; et souvent, déchu de l'espoir de
l'élévation où vous aspirez, vous perdez par
la malice d'un autre compétiteur et par un
juste jugement de Dieu le fruit de vos in-
justices et de vos mensonges.
Ce n'est donc point la prudence humaine
qui peut aujourd'hui procurer la paix; car
si la guerre que nous soutenons n'avait pour
ORATEURS SACRES. DE NESMOND.
984
fondement qu'un intérêt passager ou une
prétention douteuse, la fin en serait pro-
chaine; quelques événements décideraient
des droits contestés ; les succès d'une cam-
pagne , la prise d'une ville ou la conquête
d'une province ramèneraient la tranquillité,
et le calme succéderait bientôt à ces orages
qui ne durent que peu de temps, et qui se
dissipent presque aussitôt qu'on les a vus
naître.
Mais cette guerre, la plus cruelle dont
l'Europe ait été affligée depuis plusieurs
siècles , a été allumée par l'ambition et par
la haine; la fureur et la férocité l'entretien-
nent : le temps , qui ralentit toutes choses,
semble augmenter la rage de nos ennemis;
aussi épuisés que nous , ils sacrifient la
douceur de leur repos aux sentiments de
leur jalousie : les conditions qui leur sont
offertes , au lieu d'attirer leurs réflexions ,
flattent peut-être leur espérance; nos pros-
pérités les irritent, nos disgrâces les en-
couragent, et, dans les divers mouvements
de leur désespoir ou de leur orgueil, ils sont
également animés par nos victoires et par
nos pertes.
Au milieu d'une profonde paix, dont la foi
des traités, solennellement jurés, semblait
assurer la durée , on vit éclore tout d'un
coup une ligue formidable, qui, préparée
avec secret et fondée sur le mensonge , sur-
prit presque notre prévoyance. Le bonheur
d'un royaume gouverné par le plus grand
et par le plus sage de tous les rois excita le
dépit injuste de tant d'alliés : on craignit une
puissance qui faisait la loi à toutes les autres,
et qui , par une protection constante dont
Dieu la favorisait, était devenue la terreur
et l'admiration de toute l'Europe; on mit en
usage contre nous l'artifice, l'imposture, le
prétexte de la religion.
Ecoutez par conséquent, princes de la
terre, dit la Sagesse éternelle, et craignez;
vous qui, troublant le repos du monde , sa-
crifiez votre salut à votre ambition , consi-
dérez que l'usage que vous devez faire de
votre pouvoir est de procurer la félicité pu-
blique; Dieu jugera le fond de vos pensées et
interrogera toutes vos œuvres; les prétextes
el les artifices dont vous vous servez, les re-
plis les plus secrets de vos cœurs n'échappe-
ront poiut à sa pénétration et à ses lumières;
il vous redemandera âme pour âme, et toutes
les calamités d'une guerre injuste seront
comptées avec rigueur. 11 réprouve loule
puissance que la religion, la piélé et l'amour
de la paix ne dirigent pas ; et pendant qu'il
promet aux petits ses grâces et ses récom-
penses, tremblez lorsqu'il fait craindre aux
puissants du siècle les châtiments les plus
redoutables d'un juge inflexible qui ne par-
donne plus quand la mesure de sa miséri-
corde est comblée.
C'est l'avis que Dieu donne aux princes de
la terre, qui, occupés d'ordinaire des senti-
ments de leur pouvoir et de leur orgueil ,
songent moins à rendre leurs peuples heu-
reux que leur nom célèbre. Mais quel fonds
«te gloire n'est-ce point pour ce grand roi
auquel la Providence nous a soumis, qui,
sans (esse attentif aux intérêts de son Elal ,
est toujours prêt de sacrifier les conquêtes
qui sont lei fruits de ses travaux et de son
courage; qui, pouvant soutenir la guerre avec
succès , ne désire que de la finir par pieté et
par religion; qui, dans les dépenses que ses
besoins el une indispensable nécessité l'obli-
gent de faire, n'exige de nous , contre son
cœur, des subsides extraordinaires, que pour
forcer ses ennemis à une paix durable et
solide; et qui, comme le disait autrefois
sainl Grégoire à l'empereur Maurice, dans
les fondions différentes de la royauté et
dans les plus petites pratiques des vertus
chrétiennes , ne regarde que l'accomplisse-
ment de ses devoirs, la tranquillité de ses
sujets et les lois les plus exactes de l'Evan-
gile et de sa conscience 1
A la vérité, le poids de nos contributions
est à charge à nos fortunes ; une guerre si
longue et si opiniâtre diminue nos moyens
et épuise toutes nos ressources. A nos maux
et à nos tribulations Dieu ajoute souvent des
récoltes stériles, ci nos campagnes semblent
avoir perdu leur graisse et leur fécondité ;
nous sommes même pauvres dans l'abon-
dance de nos moissons, par la cessation du
commerce, que la paix seule rend florissant ;
nous voyons tarir avec nos biens le sang le
plus pur de la noblesse française, qui rend
le royaume de France si redoutable à nos en-
nemis; et dans cet épuisement presque uni-
versel où nous réduit la punition de nos pé-
chés , nous ne sommes soutenus que par
l'espoir d'un temps plus heureux, et par l'a-
mour pour la gloire et pour les intérêts de
notre patrie.
Quel empressement louable et digne du
nom français ue voit-on pas dans les ordres
de cette monarchie , pour proportionner le
secours aux nécessités présentes? Les ma-
gistrats et le peuple, les villes el la campa-
gne, les grands et les petits, u'ont tous pour
i'Eiat qu'un même esprit el qu'un même
cœur; l'Eglise de France, qui offre tous les
jours à Dieu des prières el des sacrifices, se
signale encore dans ses assemblées par des
dons extraordinaires, preuves éclatantes de
son dévouement. Celle prounce, outre les
subsides qu'elle paye avec d'aulant plus de
mérite qu'elle a plus de peine à les acquitter,
a eu la gloire de proposer un nouveau moyen,
que sa prévoyance et sou attention au Lien
public lui ont inspire : nos successeurs ver-
ront après nous dans nos registres ce monu-
ment illustre, que le roi , par des témoigna-
ges publics, a bien voulu bonorer de son
approbation el de ses éloges; el dans la glo-
rieuse possession où nous sommes de d n-
ner l'exemple aux aulres provinces, insensi-
bles à nos propres besoins , toujours atten-
tifs à nos devoirs, nous n'avons d'autre dou-
leur que de ne pouvoir égaler par de plus
grands effort! tous les mouvements de uolre
lidelilé et loule l'étendue de notre zèle.
Aussi quel mérite n'onl point aux yeux
de Dieu les subsides que nous payons pour
le soutien de l'Etat I Quoi de plus graud, non-
985
DISCOURS II POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
9RC
seulement pour le citoyen qui se conduit par
les règles de la politique mondaine, mais en-
core pour le chrétien qui suit les préceptes
de l'Evangile, quoi de plus saint, dis-je, que
de sacrifier ses biens et sa vie même pour la
défense de la religion et du bien public 1 Les
premiers fidèles, fondés sur les paroles et
sur les exemples de Jésus-Christ, préféraient
à leurs propres besoins les intérêts de leurs
princes et de leur patrie; et ne pouvons-nous
pas conclure, avec saint Augustin, que nos
contributions , consacrées par la sainteté de
ces motifs et par l'importanre de l'usage,
sont précieuses devant le Seigneur; que ces
biens que nous sacrifions , tout passagers et
terrestres qu'ils sont, acquièrent, par le pré-
cepte de Jésus-Christ et par la considération
de l'utilité publique, un caractère de consis-
tance et de spiritualité pour l'avantage et la
perfection de notre salut?
Vous me direz sans doute que ces ma-
ximes sont certaines , que vous connaissez
vos obligations , mais que la pratique en est
difficile ; je l'avoue : permettons les gémis-
sements à ces ma heureux qui, portant tout
le poids du jour et de la chaleur, n'ont pour
ressource que leur travail et leur industrie;
qui, victimes innocentes d'une guerre dont
le temps ne diminue ni les incommodités ni
la fureur, perdent quelquefois par la main
du soldat et de l'ennemi plusieurs récoltes
dans une seule et l'espoir de plusieurs an-
nées ; qui ne sèment et ne moissonnent que
pour acquitter leurs subsides, et à qui nous
pouvons appliquer ce que dit saint Augustin,
que pendant, que les uns, aisés et opulents
dans les villes , suivent le penchant de leur
convoitise (suites du péché du premier hom-
me ) , les autres, dans les tribulations et
dans les travaux de la campagne, semblent
en souffrir ici-bas toute la malédiction et
toute !a peine.
Mais parmi tant de malheureux , combien
y a-t-il de citoyens qui sont avares ou in-
différents quand il faut contribuer aux be-
soins publics , et qui ne sont que trop pro-
digues pour entretenir leur faste ou pour
rechercher leurs plaisirs! On ne s'entretient
dans le monde que de la diminution des reve-
nus et de la difficulté de subsister ; cependant
il n'y eut jamais plus de magnificence dans
les bâtiments, dans les meubles et dans les
modes qu'invente tous les jours notre na-
tion , fertile en moyens de se ruiner. Les
nécessités de l'Etat nous coûtent-elles ce
que nous coûtent nos passions et notre
mollesse? Et pourquoi rejetez-vous avec
injustice sur les subsides que vous payez
le désordre de vos affaires , qui est plu-
tôt la suite de vos folles dépenses , qui
vous épuisent et qui vous consument ?
Or, ces subsides mêmes doivent faire une
partie de notre pénitence; et c'est en cela,
dit saint Grégoire , que consiste le bon-
heur et la consolation du chrétien qui
pense sérieusement à sa conversion : les
peines et les amertumes peuvent devenir
par sa soumission et par sa pénitence la
source de sa sanctification et de son mé-
rite: tout tourne au profit du juste et du
pénitent, jusqu'à leurs imperfections et à
leurs fautes ; ils ne doivent point se dé-
courager, dans les afflictions que Dieu leur
envoie pour la punition de leurs crimes
ou pour l'exercice de leurs vertus ; et dans
les adversités publiques, comme dans les
pratiques particulières du salut, il n'y a
point de péché qui déplaise davantage à
Dieu que la défiance de ses bontés ou les
doutes de sa providence.
Et en effet , c'est pour établir dans nos
cœurs l'espoir certain de sa protection dans
toutes les tribulations ou générales ou per-
sonnelles , qu'il s'appelle si souvent dans
les saintes Ecritures le Dieu , le Seigneur
et le Père des hommes ; l'idée de sa di-
vinité met entre lui et nous une distance
infinie; l'attribut de Seigneur et de Père
nous rapproche de lui ; sa puissance nous
étonne , mais sa miséricorde nous rassure
et anime notre confiance. C'est ainsi que
s'en expliquait David, dans les divers évé-
nements de son règne: Mes ennemis, di-
sait-il, se sont élevés contre moi; mais
ils ne savent pas , que , comme Dieu ,
vous pouvez dissiper tous leurs vains pro-
jets ; que , comme père de tous ceux q^''
se confient en vous ,• et dans les larmes
d'une pénitence sincère, vous êtes le pro-
tecteur de ma couronne et de mon royau-
me ; et rien, conclut saint Bernard, ne
marque mieux la dépendance où nous som-
mes à l'égard de Dieu , comme aussi rien
ne rend plus de gloire à sa souveraineté
que l'espérance que nous avons en son
pouvoir et en son secours.
Quelle preuve plus sensible de l'obliga-
tion où nous sommes de nous confier en
lui , que les bénédictions qu'il a répan-
dues sur la France , depuis la naissance
même de la monarchie , dans les temps les
plus difficiles ! Dans les conjonctures les
plus pressantes, il a pour elle des retours
de miséricorde que la prévoyance humaine
ne connaissait pas. Malgré nos dérègle-
ments et notre tiédeur, dans cette guerre
dont nous gémissons , l'ange qui veille à
notre garde a conservé nos provinces et
défendu toutes nos frontières : le Dieu de
nos pères ne nous a pas privés de ses
grâces et de sa protection ; chaque cam-
pagne a presque toujours été marquée par
quelques victoires, et tous les efforts de
nos ennemis n'ont pu jusqu'ici que repren-
dre une place dont la défense a été si glo-
rieuse à noire nation, et dont Dieu n'a
permis la perle que pour humilier peut-
être en nous l'orgueil d'une constante su-
périorité, et pour ramener à lui seul no-
tre confiance.
Il s'ensuit de tous ces principes ( et je
finis par cette réflexion ) que notre con-
version seule peut attirer sur nous les
prospérités de la guerre et les douceurs
d'une paix durable. Telle était la conduite
des Juifs : dans les besoins publies , ils se
purifiaient Mr le jeûne, par les veilles
cl par la prière ; on ne voyait dans les
1)87
ORATEURS SACRE*. DE NESMOND.
083
villes et dans les campagnes que douleur,
que silence, que recueillement ; Dite na-
tion entière s'unissait par des pratique!
communes de pénitence; el , i our fonder
noire e -péran'e sur l'imita t ion de ces exem-
ples , nous lisons dans les livres saints
que la miséricorde de Dieu , Qéchie par
les larmes d'un repentir sincère el solide,
a révoqué plusieurs lois des arrêts que
sa colère avait prononcés.
Hé! quelle source de consolation n'est-
ce point quand nous voyons dans les Ecri-
tures qu'il ne faut que dix justes pour
lllirer les bénédictions du ciel sur une
ville , sur toui un royaume ! Dieu ne con-
fond jamais l'innocent avec le coupable,
mais il pardonne souvint au coupable en
faveur du juste; il aime à resserrer ses
jhsiires et à étendre ses miséricordes; et
peut-être qu'il accordera à la ferveur de
quelque âme fidèle, qui prie dans le fond
de sa solitude, ou à quelque pécbeur con-
trit qui gémit au pied des autels , cette
paix désirée par tant de peuples , et qui
doit être l'objet continuel de nos vœux,
de nos sacrifices et de nos prières.
Mais en vain la demandons-nous celle
paix , si nous ne la procurons plutôt à
nos cœurs el à nos consciences. Tout le
monde gémit et se plaint , et personne ne
se convertit ; le néant et la vanilé des
créatures attachent presque tous les hom-
mes: l'un, rempli des projet! de son am-
bition , cherche tous les moyens de s'éle-
ver à une fortune incenaine dans sa pour-
suite et fragile dans sa possession ; l'au-
tre , entraîné par la convoiiise des sens,
ne pense qu'aux plaisirs trompeurs d'une
Vie molle et voluptueuse; chacun s'oc-
cupe des affaires passagère-, du siècle, et
nous passons nos jours dans un oubli con-
tinuel des devoirs de notre salut. On ren-
voie à un temps douteux une conversion
encore plus douteuse : on remet si pé-
nitence au moment fatal de la mort, qui,
par un juste jugement de Dieu , est pres-
que toujours imprévue , el de tous les
intérêts qui font notre étude et notre at-
tention dans tout le cours de notre vie,
le plus important de tous est le seul que
nous négligeons.
Seigneur, dans la douleur que nous cau-
sent nos péchés et dans la confiance que
nous donne votre bonté, nous vous adres-
sons les paroles que votre Esprit-Saint
nous a inspirées : que les ennemis qui
nous attaquent sachent que c'est vous qui
dès le commencement du monde avez dis-
sipé les armées les plus redoutables ; ils
se confient en leur multitude et en leur
puissance, cl nous espérons en votre non»
et en votre bras; bnsez leur foi ce par
voire force; cl humiliez devant nous ceux
qui veulent renverser par leur épée la
sainteté du tabernacle et la majesté de
voire autel. Vous haïssez les hommes su-
perbes, et les prières des humbles vous
sont agréables ; après avoir clé si long-
(I) L'cvCquo otliciaiu.
i inpi pour nous le Die i de I, guerre,
loyei en6n le Dieu de la paix, afin que
par vous et arec vous nous passion i du
repos de ce moule périssable dans le icla
d'une éternelle paix, que je vous sou-
haite. Ainsi Soft- il. |
TROISIEME SERMON,
Préekd aux Élattéê LasuNteie*, dans Vé-
fii$e de Noire-Dame de Mont/jetlier, le 2V
noiem' re Di!i7.
Si in prxceptii meta ambnla-entisel mandata mea eo»>
I" lu riiis, m |U biiibus ve.slrn, eiurnialxi par uiu
DM .m v iota m
Si n,u., marchez selon mes précepte! et i tous obu
mes commwidementt, j établirai une pa
dont Boire pays et je ferai une éternelle alliance m ec tous
(LfVl!., \\\ I, T,, (j, 9).
Monseigneur (1),
Si. dans ce jour que cette auguste assem-
blée sanctifie par sa piété, je monte ene
d inS «elle chaire pour lui annoncer la parole
de vie, un sujet heureux et nouveau vient au-
jourd'hui me soutenir dans mon dessein et
donner de la dignité et de la force à mon mi-
nistère.
;c venais autrefois, mes frères, cemir avec
vous des malheurs d'une guerre cruelle, que
les préventions ci la jalousie avaient allu-
mée. Je vous montrais la main de Dieu ap-
pesantie sur vous, et j'ignorais comment se
développeraient ses miséricordes; vos cala-
mi'.és étaient réelles, el je n'osais flatter vo-
tre douleur que dans l'eloignemenl par des
consolations douteuses: nos victoires mêmes
nous étaient à charge, et je ne parlais qu'à
regret de ces prospérités qui nous coût lient
le sang de nos frères et la substance de nos
provinces. Je déplorais le présent, je crai-
gnais pour l'avenir ; et au milieu de nos tri-
bulati ns et de nos craintes, je ne proposais
à vos cœurs que l'esi oir incertain d'une
paix que tant d'intérêts différents rendaient
difficile, et que vos besoins vous faisaient
désirer comme nécessaire,
Mais enfin. Dieu l'a donnée cette paix, qui
a été si longtemps le sujet de notre attente
et de nos désirs. H nous a éprouvés, et il
nous console, soit que nous soyons devenus
pénitents par l'épreuve, ou que, ma'grc nos
dérèglements, le St igneur se ressouvienne
encore de ses anciennes misérta >rdesau mi-
lieu même de sa colère : il a regardé en pilie
l'Europe gémissante el aflligee, il a brisé les
armes des combattants, cl il i consumé 1 e-
pee el le boudier dans ces feux que nous
avons allumés i t qui ont éle les interprètes
de notre joie; ce fer meurtrier, et depuis
neul ans entiers l'instrument de la destruc-
tion des hommes, ne sera désormais employé
qu'au travail paisible de nos recolles el de
nos campagnes ; la lance va devenir la faut
de nos moissonneurs ^ce sont les expressions
d'un prophète): heureux de vous annoncer
la douceur et les avantages e la paix, plus
heureux si je pouvais vous inspirer l'usage
qu'il en faut faire !
Et ne pensez pas que ce grand ouvrage
DISCOURS III PRECHE AUX ETATS DE LANGUEDOC.
«JS'J
soit le fruit de l'industrie des hommes; cl
qui eût cru que la guerre dût finir dans des t
conjonctures si difficiles? La ligue qui, par
le nombre de ses partisans et par la durée de
leur union, a été comme le prodige de notre
siècle, semblait redoubler ses efforts toutes
les années ; notre gloire était moinsle moyen
que l'obstacle de la paix, et plus nos armes
étaient victorieuses, plus on craignait une
puissance que Dieu protège et que les hom-
mes ne peuvent abattre. La jalousie augmen-
tait par nos bons succès, et le temps ne dé-
truisait point l'espérance de nos ennemis ;ils
ne pouvaient nous vaincre, et ils tâchaient
de nous épuiser; et, déchus de l'espoir d'af-
faiblir jamais notre réputation et notre va-
leur, ils se flattaient au moins de décourager
notre constance.
D'ailleurs, quel moyen de concilier tant
d'intérêts différents et même contraires! En
vain les ambassadeurs des rois de la terre se
seraient assemblés, si Dieu n'eût été au mi-
lieu d'eux, pour leur inspirer l'esprit de
droiture, de sagesse et d'intelligence. Dans
ces sortes de négociations, chacun pense à
l'agrandissement et à la gloire de sa nation,
et peu au repos des peuples, qui sont les vic-
times. On emploie presque toujours sa pru-
dence à surprendre celle des autres ; on ne
se contente pas de pourvoir à la sûreté de
ses frontières, on veut encore s'enrichir des
dépouilles de ses voisins; on sacrifie d'ordi-
naire la simplicité et la bonne foi aux soup-
çons et aux défiance^ : mais Dieu, lorsqu'il lui
plali, ramène la poli tique des hommes aux des-
seins que se propose sa sagesse ; les ministres
desprinces ne sont que les instruments de ses
grâces et les organes de ses volontés : sem-
blables à ces ouvriers que Moïse employait
à la conslruction du tabernacle , et qui
étaient conduits par la main invisible de
Dieu et par la vertu secrète de sa Provi-
dence.
C'est ainsi que le Seigneur s'en expli-
quait, lorsque, dans le judaïsme naissant,
selon les paroles de mon texte, il donnait
aux Israélites les cérémonies de leur reli-
gion et les règles de leur conduite. Je suis,
leur disait-il, le Dieu de la paix comme de la
guerre , ti vous marchez selon mes préceptes
et si vous pratiquez mes commandements, ma
puissance sera comme tributaire de vos désirs;
je porterai la gloire de rolre nom jusqu'aux
extrémités dr la terre et j'humilierai tous vos
ennemis : après avoir éprouvé votre courage,
ils rechercheront votre alliance , vous serez
l'étonnement ou la (erreur des autres nations.
Soyez fidèlts ù ma sainte loi, el j'accomplirai
toutes met promettre , votre sanctification
fera votre félicité, et la durée de voire piété
sra la mesure de mes miséricordes et de mes
bien ft ils.
Dans celte vue, mes frères, je viens vous
expliquer aujourd'hui dans ce discours vo-
tre bonheur el vos devoirs, ce que le Sei-
gneur a fait pour vous et ce que vous devez
l'ai- e pour lui ; les avanlages de la paix el les
obligalions qu'elle vous impose. Hé 1 no
croyez pas, dit saint Augustin, que Dieu
900
vous accorde les prospérités de la terre pour
vous rendre seulement heureux : il veut
aussi que vous soyez saints ; ces bénédictions
temporelles, qui étaient le partage et la ré-
compense de l'ancienne loi, ne sont dans la
nouvelle et dans les desseins de la Provi-
dence que les moyens de votre salut ; et
malheur à vous si ces principes de votre
perfection devenaient les instruments de vo-
tre réprobation et de votre perle ! En un mot,
la paix est la suite de la miséricorde de Dieu,
c'est mon premier point ; elle doit être le
motif de notre sanctification, c'est le second,
sujet important, qui renferme les plus essen-
tielles vérités do christianisme pour l'édifi-
cation de vos mœurs; et j'espère que ce q-i
manquera à mes expressions sera suppléé
par votre zèle. Demandons les lumières du
Saint-Esprit par l'intercession de Marie, en
lui disant avec l'ange : Ave, Maria.
PREMIEH POINT.
Rien n'est plus ordinaire, dans le langage
des gens du monde, que de tout rapporter
aux causes humaines; comme si Dieu était
un être tranquille et indifférent dans la plé-
nitude de sa gloire et de son repos. On re-
garde ce qui arrive parmi les hommes
comme l'ouvrage des hommes mêmes : on
envisage à la lettre et sans attention les pros-
pérités et les disgrâces, l'élévation des em-
pires et leur décadence, la guerre et la paix,
les biens et les maux de la vie, et on ne re-
mon'e jamais jusqu'au principe.
Telle a été la conduite de la plupart des
philosophes païens : tout ce qui se passe ici-
bas n'était pour eux qu'un enchaînement
fortuit d'événements ; ils ne voulurent pas
s'élever des choses visibles et créées iusqn'à
la connaissance du Créateur invisible, selon
la doctrine de l'Apôtre; et c'est pour cette
raison que Dieu les abandonna à leur corrup-
tion et à leurs erreurs ; les ténèbres de leur
esprit furent la source de la dépravation de
leur cœur, et les merveilles de la Provi-
dence, qui pouvaient être pour eux des mo-
tifs de sanctification, ne servirent qu'à leur
endurcissement et à leur malheur.
Les chrétiens qui connaissent leur dépen-
dance à l'égard de Dion ne sont pas plus at-
tentifs a sa loi et à ses préceptes ; convaincus
par leur reigion, et instruits par l'Evangile,
qu'il ( si l'auteur de toutes choses, hors du
péché, ils devraient tout rapporter A sa
gloire et à leur salut; les bienfaits dont 11
nous comble sont des motifs pour exciter
notre reconnaissance et notre piété; s'il
nous rend heureux devons-nous être in-
grats ? Cependant nous connaissons le vrai
Dieu, mais nous ne le glorifions pas comme
Dieu. Attachés an siècle, ses dons mêmes
ne servent qu'à serrer les nœuds nui nous y
attachent; notre ingratitude est plus crimi-
nelle que l'ignorance des païens, ot pour
être plus éclairés nous n'en sommes que
plus coupables.
Il i st donc vrai que les événements de ce
inonde et les biens temporels, dont sans doute
la paix est le plus grand elle plus précieux,
01» 1
ORATF.t'RS SACRKS. DE NFSMOND.
sont les suilcs de la providence du Seigneur
et de sa bonté : nier celte providence uni-
verselle qui s'étend à lotit, c'est être aveugle
et déraisonnable; ne la pas aimer quand on
l'a connue, c'est être Ingrat et rebelle. Dieu
est l'arbitre souverain de la fortune de l'uni-
vers et des nôtres particulières ; par lui nous
sommes, nous agissons, nom ri vous, afin que
uous vivions pour lui; et c'est par celte rai-
son, dit Tcrlullien, que Dieu, dans ses Ecri-
tures, ne prend la qualité de Seigneur qu'a-
près la production de l'homme, comme s'il
n'avait acquis ce nouvel empire qu'après
qu'il eut formé de ses mains celle créature
qui esl son image, et qui est comme l'a-
brégé de toutes les autres.
Mais que nous servent, mes frères, contre
l'intention de Dieu, ces prospérités de la
terre, qu'à séduire notre cœur, qu'à corrom-
pre notre esprit et à éteindre eu nous la
piété? Ces biens qu'il nous donne pour la
consolation de notre exil et de notre vie
mortelle, et que le retour de la paix va nous
procurer, feront-ils la matière de nos bonnes
œuvres? Le commerce de la terre et de la
mer va s'ouvrir pour vous, et l'on viendra
des extrémités du monde vous demander
vos récoltes; mais, au milieu des soins do-
mestiques qui vous occuperont, sèmerez-
vous pour le ciel et moissonnerez-vous pour
l'éternité? dépenserez- vous toujours pour
tout ce qui peut flatter vos sens et satisfaire
vos passions, et n'aurez-vous jamais que les
mouvements de voire orgueil pour règle de
votre conduite? L'égalité du faste et de la
dépense fera-t-ellesans cesse ignorer la dif-
férence des conditions, et ne connaîtrez-vous
fioint enfin les bienséances de l'âge, des qua-
ités et des caractères? Au lieu de soutenir
vos familles dans une honnête et prudente
frugalité, ne les incommoderez-vous point
par vos dérèglements? el vos richesses mêmes
ne seront-elles point l'occasion de voire
ruine? Soulagerez-vous les besoins des pau-
vres, et direz-vous que vous n'avez point de
superflu, pour être en droit de leur refuser
leur nécessaire? La paix vous rendra riches,
mais serez-vous modestes et charitables? Je
crains que l'abondance n'augmente encore
votre vauilé, et que le luxe, que le malheur
des temps n'a pu corriger, ne devienne plus
prodigue par l'accroissement de votre opu-
lence.
J'ai dit que la paix est le plus précieux de
tous les bienfaits delà miséricorde de Dieu;
el en effet, lorsque Isaïe nous décrit tous les
attributs du Messie, dout il a élé le prophète
par excellence, et dont Salomon n était que
l'image, il l'appelle à la vérité le Dieu fort,
le Père du siècle futur, Y Ange de tout bon
conset/; niais il semble réduire tous ses titres
à celui de Dieu de la paix; elil nous apprend
que son avènement devait élre le présage
d'une tranquillité durable. 11 nous dit que
son trône serait fondé sur la justice el sur la
douceur; et ce l'ut pour accomplir ce qui était
écrit de lui que Jésus-Christ voulut nailre
dans un temps où l'univers jouissait d'une
longue paix, et sous le règne de l'empereur
le plus pacifique qui ail jamais gouverné
I i mpire de l'am ii'iim- EtOBBCi
C'était aussi la doctrine de saint Paul, dans
sa divine Epi Ire aux Bphésiens, où il nous
assure que la paix temporelle fut un des
mollis de la mission du Messie : Vous n'éles
plus éloignés de Dieu, leur disait-il. ni de vos
frères; le sang de lésus-Chlist nous a ap-
prochés les uns des autres; c'est lui qui, de
tant de nations divisées parles intérêts diflé-
renls de la politique, n'en a fail qu'un peu-
ple par les liens sacrés de la charité chré-
tienne. C'est lui qui a rompu le mur de sépa-
ration, et qui, pour nous réunir tous dans
un même corps, a éteint dans sa personne
adorable toutes les inimitiés générales el par-
ticulières. Interficiens inimicititu in semet-
ipio.
Et il était convenable, conclut l'Apôtre,
que celui qui était descendu sur la terre
pour réconcilier le monde pécheur avec son
Père, réunit aussi par le prix de son sang
les hommes avec les hommes; que les hain i
les pius obstinées cédassent à celle chanté
dont il a été tout ensemble le législateur et
le modèle; qu'il fût le pacificateur du genre
humain, après en avoir elé le réparateur;
qu'il désarmât le démon homicide et meur-
trier, dont il voulait anéantir l'empire; et
que toute guerre finit en lui el par lui, puis-
qu'il était venu pour détruire la convoitise,
qui en est la source.
C'est de ce principe que saint Jean Chry-
soslome, dans une de ses homélies au peu-
ple d'Anliocbe, lire celte belle réflexion, que
Dieu avait d'abord formé le dessein de créer
un homme dont tous les autres descend, ssent,
afin qu'ils n'eussent tous qu'un même cœur,
puisqu'ils n'avaient qu'un même père; mais
que, par un effet lout contraire, la i liair d'A-
dam n'ayant élé qu'une source de division,
le Père éternel avait voulu substituer son
Fils à la place du vieil Adam, aûn que le
nouveau rétablît entre les hommes cette
paix bannie du monde, qui n'était qu'un
triste ihéâlre de partialités el de discorde.
Mais au lieu d'accomplir en nos sens el en
notre esprit, par la mortification , parla
charité et par la douceur, ce qui manque à
la passion de Jésus-Christ, il semble plutôt
que nous anéantissions le fruit de sa croix
par nos divisions, par nos haines, par nos
médisances. Comment vivons-nous avec
noire prochain? ou médit sans réflexion el
sans scrupule , et on confond d'ordinaire le
vrai avec le faux, le sacré avec le profane ,
l'innocent avec le coupable; les personnes
les plus respectables par leurs dignités el par
leur vertu sont presque toujours les pre-
mières victimes de l'indiscrelion ou de la
malice. La réputation la plus entière se sauve
à peine des soupçons temeraires ou des mau-
vais bruits ; on ne s'oc upe. dans les con-
versations mondaines , qu'à chercher dans
les autres les imperfections ou le ridicule :
je parle dans une ville où la médisance , si
commune en tous lieux, esl encore plus har-
die et plus imprudente : heureuse si les ci-
toyens étaient aussi estimables par la sainteté
993
DISCOURS III PRECHE AUX ETATS DE LANGUEDOC.
994
que par la politesse de leurs mœurs , et s'ils
employaient pour la religion et pour la piété,
et non pas pour la vanité et pour le plaisir ,
tous les dons qu'ils ont reçus du ciel et de la
nature.
Avançons ma proposition : je dis que le
christianisme est une religion de douceur et
de paix , au lieu que l'ancienne loi était une
loi de mort et de châtiment; elle fut donnée
sur le mont Sina, au bruit des tonnerres, au
milieu des éclairs et dans tout l'appareil de
la majesté d'un Dieu terrible et puissant.
Moïse ne fut pas moins capitaine que légis-
lateur; il se chargea du soin des expéditions
militaires, et laissa à son frère Aaron les
fonctions de la sacrificature et du sacerdoce.
Dieu lui contia le glaive exterminateur pour
détruire l'ennemi de son peuple ; son culte
s'établit par la crainte et par la rigueur , et
la mort était souvent le châtiment des trans-
gressions de sa loi.. De là vient que les hé-
rétiques manichéens ont cru que le Dieu de
l'Ancien Testament était une divinité fa-
rouche et austère, qui se plaisait dans le
sang et dans les victimes, et qui , bien diffé-
rent du Dieu du Nouveau Testament, aimait
mieux la mort du pécheui que sa conversion
et sa pénitence.
Au contraire, la loi de Jésus-Christ est
une loi d'amour et de paix; le Père éternel
l'annonça aux hommes de bonne volonté. Le
Verbe incarné, après qu'il eut consommé
son ministère sur la croix, et dans toutes les
apparitions miraculeuses qui faisaient la
consolation de ses disciples affligés, leur pro-
mit plusieurs fois la paix, comme tout l'objet
et l'unique récompense de sa mission ; son
esprit sanctificateur est un esprit d'union et
de charité. Les gémissements de la colombe,
c'est-à-dire les vœux , les désirs et les priè-
res de l'Eglise, demandent sans cesse à Dieu
non-seulement cette paix intérieure qui est
celle du cœur et de la conscience, mais en-
core celte tranquillité temporelle qui faisait
dire à saint Augustin que nous vivons sous
un Evangile qui ne nous propose d'autres
combats que ceux que nous livrons au dé-
mon et à l'enfer, d'autres victoires que celles
que nous remportons sur nous-mêmes, d'au-
tres ennemis que ceux de notre salut, ni
d'autres armes que la prière, la mortifica-
tion et la pénitence.
Telle était la conduile des premiers chré-
tiens, et leurs mœurs répondaient à la sain-
teté de leur religion et de leur état. Ils n'é-
taient qu'un même cœur et qu'un même
esprit. Voyait-on entre eux ces haines invé-
térées que la mort même ne peut éteindre,
et qui, se perpétuant de génération en géné-
ration, deviennent comme héréditaires dans
les familles? Connaissait-on ces procès in-
justes qui, par l'avidité des parties et quel-
quefois par celle des juges, s'éternisent dans
les tribunaux; qui commencent par la cu-
pidité et par l'avarice, et qui se soutiennent
avec le secours de l'intrigue et de la cabale ?
Voyait-on ces hommes avares qui, dans les
subsides que la guerre rend nécessaires ,
cherchent la matière de leurs exactions ;
qui, outre les profits légitimes que la reli-
gion leur permet, élèvent de grandes for-
tunes aux dépens des peuples; qui, sortant
des bornes de la modestie et de la prudence,
satisfont leur fasle et leur vanité par leurs
larcins et par leurs rapines, et qui, sans
conscience et sans bonne foi, égorgent tant
de victimes innocentes et s'engraissent de
leur substance et de leur misère ? Non , mes
frères, on ne voit presque plus parmi nous
aucune trace du christianisme ; nous avons
dégénéré de l'esprit primitif de la religion ,
et le dérèglement de nos mœurs a effacé
dans notre conduite tous ces traits de la
perfection de l'âme, que Tertullien appelle
naturellement chrétienne, et qui appartient
à Jésus-Christ non-seulement par le bienfait,
de sa rédemption , mais encore par création
et par origine.
Ne croyez donc pas , mes frères, que la
paix soit l'ouvrage de la sagesse des hom-
mes, et ne l'attribuez ni à la vicissitude des
choses humaines, qui, semblables à la mer ,
passent sans intervalle de l'agitation au
calme et du calme à l'agitation, ni à l'épui-
sement des empires, à qui une longue guerre
ôte souvent le pouvoir ou d'attaquer ou de
se défendre, ni à l'ascendant d'une puissance
supérieure, qui peut donner la loi à toutes
les autres, ni à la subtilité d'une négociation
bien ménagée , qui sait finir par adresse
une guerre commencée quelquefois par am-
bition ; et ne sait-on pas que, dans ces trai-
tés où l'on décide de la destinée des nations,
rien n'est plus rare que de voir céder la
prudence humaine à la sagesse de Jésus-
Christ, les sentiments de la raison aux mou-
vements de la foi, et les prétextes mondains
de la politique aux intérêts les plus pressants
de li religion ?
De là vient que Dieu, dans ses Ecritures ,
loue toujours par préférence les princes qui
aiment la paix. David était un roi selon son
cœur , il n'avait jamais combattu que pour
défendre sa couronne et sa religion , et il
n'avait employé celte épée, que Dieu ne
donne pas en vain aux rois de la terre, que
pour réprimer l'injustice ou l'iniquité ; ce-
pendant le Seigneur lui dit : Vous n'édifierez
pus la maison où je veux être adoré dans Jé-
rusalem, parce que vous avez répandu beau-
coup de sang. 11 prépara les matériaux du
temple, et Dieu ne lui accorda pas la conso-
lation de le bâtir. H le combla de toutes ses
bénédictions, mais il ne lui donna pas celle
qui était l'objet de ses vœux et de ses prières;
et celte gloire que Dieu refusa à David vic-
torieux et conquérant , fut destinée à Salo-
mon pacifique : heureux lui-même si les
délices et l'oisiveté d'une longue paix n'eus-
sent pas amolli sa piété, et s'il n'eût pas été
par sa chute un exemple d'humiliation et de
crainte pour les justes, comme le roi son
père a été un sujet d'espérance et de conso-
lation pour les imparfaits et pour les pé-
cheurs 1
Et en effet, c'est la maxime de saint Au-
gustin que les princes doivent faire la guerro
par nécessité cl la paix par inclination, parce
.
ORATEURS SACHES. DE NESMO.ND.
yj<>
qu'elle est l'objet tics désira de leora sujets
ci a h Mire a de leur bonheur : car il y a , dit
ce Père, un ordre, de charité dans tou- tel
chrétiens par rapport à l'état où la Provi-
dence les a appelés : Dieu veut que le riche
soulage I t-s besoins du pauvre , el t|ue, par
une juste compensation , l'aliondancc de
l'un sujjplée à l'indigence de l'autre : c'est
l'obligation la plu» importante de l'homme
riche. Il faut qu'un père chrétien veille à
l'éducation de ses enfants, cl c.u'il préfère
leur sanctification à le r établissement et
à leur fortune; c'est la charité la plus es-
sentielle de sa condition. Le Seigneur or-
donne qu'un débiteur songe moins à faire
l'aumône qu'à payer ses dettes , cl qu'une
indiscrète compassion cède aux lois d'une
justice aussi sage que nécessaire : c'est le
précepte le plus indispensable du débiteur.
Or il y a aussi , continue saint Augustin ,
une espèce de charité royal • , qui oblige les
rois à rendra leurs peuples heureux : Ser-
vimtl ni reges, c'est le devoir le plus impor-
tant de leur dignité et de leur couronne.
Dieu ne leur demandera point s'ils ont fait
de grandes conquêtes , mais s'ils ont fait
de bonnes œuvres. 11 n'est pas nécessaire
qu'ils soient conquérants, et il est presque
toujours utile à leurs peuples qu'ils soient
pacifiques. C'est peu que d'avoir une auto-
rité souveraine , s'ils n'ont encore une pa-
ternelle bonté; et la puissance suprême des
rois n'a rien de plus grand que de pouvoir,
rien de meilleur que de vouloir procurer la
félicité publique.
Aussi Dieu bénit d'ordinaire les princes
de paix , et c'est ainsi qu'il combla de ses
bénédictions le règne d'un des plus saints
rois qui aient porlé le sceptre de Juda , non-
seulement parce qu'il avait abattu les hauts
lieux et détruit les autels sacrilèges de Sa-
marie, mais encore parce qu'au milieu de
ses victoires il n'avait jamais perdu le sou-
venir et le désir de la paix ; et telle est la
gloire du monarque auquel la Providence
nous a soumis. Il pouvait continuer la guerre
avec succès, et il l'a finie par religion, plus
estimable aux yeux de Dieu par sa bo:.té que
par ses exploits; il a voulu pacifier l'Europe
aux dépens même de ses conquêtes les plus
chères ; arbitre du sort de ses ennemis vain-
cus el épuisés, il a préféré le repos de ses
sujets à quelques places qui pouvaient être
l'obstacle d'une paix si désirée ; sa puis-
sance les avail conquises, et sa piété seule
les a rendues. 11 a humilié la ligue par son
courage, et, ce qui est encore plus difficile
aux héros victorieux, il a par sa modération
su vaincre la victoire même.
El c'est par celle vertu bienfaisante que
les princes sont des images plus parfaites de
la Divinité que les autres hommes, parce
qu'ils joignent au dé»ir de faire du bien le
pouvoir et les occasions. Tous les attributs
de Dieu sont l'objet de notre adoration , el
soûl par une distance infinie au-dessus de
notre faiblesse. Sa bonté seule est propor-
tionnée à noire imitation. Plus nous imitons
celle divine pertection, plus nous sommes
semblables en quelque façon à Dieu même.
Sa providence est tans cesse oceop e A a
rendre heureux, autant qu'il est convenable
à noire salut ; et c'est par cette raison , I
saint Léon, que Dieu ne se repentit (Ta VU r
créé l'homme que lor-que Adam , par B
péi lie , se rendit indigne de s- s bienfaits, et
qu'il fallut que sa miséricoidc cédai à sa co-
lère t à sa justice.
Comment imitez-vous, mes frères, cette
bonté du Seigneur? Et comment vivez-vous
dans le secret de vo- maisons et avec ceux
que la Providence a faits vos égaux ou vos
inférieurs ? Vous troublez la paix de vos
familles par vos chagrins et par vos c l-
prices ; vous voulez que tout cède à vos
volontés , et vous vous croyez dispensés des
égards et des complaisances : il faut que tout
le monde souffre vos humeurs el vos imper-
fections, et vous ne pouvez supporter celles
des autres ; de là viennent ces divisions do-
mestiques que les inégalités et les jalou-ies
rendent si communes , el qui n'allèrent que
trop souvent la sainteté d'un sacrement que
Dieu a institué pour faire la plus douce so-
ciété des hommes et pour être l'image de
l'union sainte de Jésus-Christ avec son
Eglise.
Or je dis de plus, mes frères, que l'inten-
tion primitive de Dieu était que les hommes
vécussent dans une éternelle paix , et elle
eût été le fruit de la justice de n >tre origine,
si Adam eût conservé la grâce de sa création:
Fruclus justitiœ pax ; nous eussions joui
des bienfaits de Dieu sans trouble et saus
inquiétude; nous n'aurions connu ni les en-
nemis iniérieurs et invisibles, qui sont au
dedans de nous les écueils ou les tentations
de notre vertu, ni au dehors ces ennemis
visibles qui troublent notre repos el qui
renversent nos fortunes. La terre eût suffi
à tous nos besoins , et n'aurait point été
le théâtre malheureux de nos discordes ;
chacun aurait pris sa porlion de ce patri-
moine commun, sans désirer celle des au-
tres; et comme il n'j eût pas eu de cupidité,
tous les hommes, contents des limites que
le Seigneur leur aurait données , eussent ,
dans une parfaite reconnaissance et dans
une heureuse tranquillité, honoré les dons
de Dieu et respecté les ordres de si provi-
dence.
C'est donc par le péché que la guerre s'est
introduite dans le monde, ainsi que la mort,
selon la doctrine de l'Apôtre. Dès que notre
premier j ère eut transgressé les lois du
Seigneur par une téméraire désobéissance ,
te démon troubla la douceur d'une famille
que le sang el l'amitié devaient unir. 1. 'envie
fut la source d'une haine injuste, et la haine
fut la cause d'un fratricide. Tant que le pé-
ché régnera sur la terre, on verra dans tous
les temps et dans tous les siècles les hommes
armés contre les hommes, les nations sou-
levées contre les nations ; la convoitise sera
toujours l'obstacle de la cliarilé : ce n'est
que dans le ciel qu'un amour consommé dé-
truira tous les motifs des passions humaines;
et qu'esl-ce que la félicilé des sainls, sinon
007
DISCOURS Ml PRECHE AUX ETATS DE LANGUEDOC.
908
une heureuse paix dont ils jouissent dans le
sein de Dieu, qui, après les avoir sanctifiés
par sa grâce , couronne en eux moins leurs
mérites que ses dons et ses propres miséri-
cordes?
Mais faut-il s'élonner, mes frères, si les
intérêts des nations sont si difficiles à conci-
lier, et si les traités saintement jurés sont
souvent sacrifiés aux moindres prétexies de
les violer, puisque, pour les plus légères
raisons, nous ne saurions conserver la paix
avec nos amis, nos citoyens, nos frères?
L'ambition, l'avarice, la vanité, rompent
tous les jours les nœuds les plus sacrés do la
société civile et de la charité chrétienne. Ja-
loux des prospérités du prochain, son bon-
heur devient notre croix et notre supplice.
Pleins de nous-mêmes et vides d'humililé,
nous croyons que l'on ôte à noire mérite les
récompenses que l'on donne à celui des au-
tres. Si nous faisons un projet de fortune et
d'élévation, nos concurrents deviennent nos
ennemis, l'émulation dégénère en jalousie,
et la jalousie produit les crimes les plus hor-
ribles. Nous allons sans scrupule noircir
leur réputation dans les lieux où les grâces
se distribuent; de là naissent les faux bruits
et les faux rapports, et l'on ne vérifie que
trop ce que dit saint Basile, que le serpent
n'a mis sur chaque péché qu'une goutte de
son venin, mais qu'il l'a imprimé tout en-
tier sur l'envie, qui est comme la consom-
mation et le comble de sa malice.
C'est donc un principe certain, mes frères,
que la paix temporelle a été la première in-
tention de Dieu, et, si j'ose parler ainsi, la
première vocation des hommes après leur
salul. L'union et la charité sont essentielles
au christianisme, elles ont comme présidé à
sa naissance, et il s'est multiplié par les
mêmes vertus de son origine. Les premiers
fidèles, comme je l'ai déjà insinué, aimaient
non-seulement leurs frères , mais encore
leurs ennemis, quoique redoutables par leur
nombre et par leur courage; toujours fidè-
les à leurs souverains, on les vit aussi paci-
Gques sous le règne de Dèce et de Maxnnien
que sous ceux de Constantin et de Tliéodose ;
leur défense était la douceur, ia patience et
le martyre : bien différents de l'esprit de la
plupart des hérésies, qui ont été inventées
par la vanité et soutenues par la rébellion ;
et ce n'est qu'avec peine que je rapporte ici
les sentiments séditieux d'un faux prophète
du schisme du dernier siècle (Bèze), lorsqu'il
dit (|u'unc bataille avait été le berceau de sa
prétendue réformation, et que c'était dans
les campagnes de Dreux qu'avaient été je-
tées les premières semences de son évan-
gile : In campis Druidum jacta suni evan-
yelii s t mina.
.Mais laissons ses cendres en paix, et louons
seulement la fidélité de nos prosélytes. Au
milieu des événements incertains de la guerre
que la divine bonté vient de finir, ils ont
rendu à César ce qu'ils devaient à César, et
ils n'ont point trompé les espérances que
nous avions conçues de leur soumission et
de leur sagesse. La paix, qui va ranimer no-
tre zèle, noire charilé et nos instructions,
fixera sans doute les agitations de leurs
consciences flottantes; nous verrons revenir
ces temps heureux dont parlait saint Jérôme,
quand il disait que la France seule était
exempte du monstre de l'hérésie; nos frères
seront quelque jour notre joie et notre cou-
ronne, et au lieu de gémir de leur indiffé-
rence et de leur tiédeur, nous jouirons en
paix du fruit de nos travaux, et nous n'au-
rons qu'à les édifier par noire douceur et
par nos exemples.
Or, si la guerre est la suite de la colère du
ciel et le châtiment de nos péchés, il s'en-
suit , par une conséquence nécessaire, que
la paix est le fruit de sa miséricorde; il la
donne et il la relire quand il lui plaît, et elle
est l'ouvrage de sa volonté et de sa parole.
Comme il a dit à la mer : J'arrêterai votre
fureur, et vos flots se briseront contre le sa-
ble de ros rivat/es , il ordonne aussi aux pas-
sions qui troublent la tranquillité du monde
de s'apaiser, et elles s'apaisent. Il a dit à un
roi conquérant : Ne vous prévalez poinl de
votre supériorité, et devenez le pacificateur
de l'Europe; Dieu parle, et ce roi obéit à
son inspiration et à sa voix. Il dit à un au-
tre monarque : Epargnez le sang de vos peu-
ples, tournez vos efforts contre l'ennemi du
nom chrétien, et je bénirai vos armes victo-
rieuses ; Dieu parle, et ce prince ne résiste
point. Il dit à un potentat: Arrêtez vos pro-
jets, et jouissez en repos de votre bonheur
et de votre gloire ; et ce prince se modère. Il
dit à un autre roi : Rentrez dans la connais-
sance de \o$ intérêts, sauvez les débris
d'une vaste monarchie qui s'étend sur l'an-
cien et le nouveau monde, et que vos pères
avaient rendue si lorissante; Dieu parle, et
le prince cède à l'eificace de sa parole.
C'est ainsi, Seigneur, que vous avez dil :
Que la paix se fasse, el elle a été faite. Vous
formâtes par la verlu de votre parole le
monde de celle masse grossière qui lut la
matière de sa production, el par votre vo-
lonté vous tirez notre repos des obstacles
mêmes des intérêts politiques. Vous avez
voulu montrer les prodiges de votre bouté,
où votre clerc a été désarmée par les priè-
res de quelque âme vraiment chrétienne ; en
faveur des justes vous pardonnez souvent
aux coupables; votre miséricorde descend
sur les hommes à mesure que les oraisons
des saints montent vers le tronc de votre
gloire: semblables, dit saint Augustin, a ces
douces exhalaisons qui s'élèvent sur la terre,
et qui deviennent le principe de ces rosées
salutaires qui font les richesses des mors-
sons et la fécondité de nos campagnes.
Je dis plus, mes frères, cl j'ajoute que,
comme dans l'économie des dons surnatu-
rels il y a certaines âmes choisies à qui il
accorde gratuitement les grâces ordinaires
el même les victorieuses pour en faire des
prodiges de pénitence ou des modèles de per-
fection, il y a aussi dans la distribution do
ses bienfaits temporels certaines nations
qu'il favorise d'une protection spéciule et
particulière. Il combla les Juifs de ses béné-
9!)f>
WtATEUIlS SACHES. DE NESMOND.
lOoO
dictions au milieu même de leurs dérègle-
ments ; il faisait au gré <le leuis désirs des
miracles, ou pour soutenir leur valeur dans
les événements de la guerre, ou pour assu-
rer leur repos dans la paix. C'est ainsi que
la France a été l'objet le plus cher de sa
protection et de son amour. Dans les temps
les plus difliciles, il a eu pour elle des res-
sources de miséricorde que la sagesse hu-
maine n'avait pas prévues ; il ajoute sans
cesse grâces sur grâces, et, non content de
la tranquillité publique depuis longtemps le
sujet de nos vœux et de nos désirs, il nous
donne encore une princesse qui a été le pre-
mier dépôt de cette paix si nécessaire. Elle
est venue dans une cour polie, dont elle est
l'ornement, auprès d'un roi dont elle a mé-
rité toute la tendresse, comme la colombe
de l'arche, pour être le présage heureux de
la sérénité dont nous jouissons. Le ciel l'a
fait naître pour le bonheur de l'aimable
prince qu'il lui destine. Dans peu de jours
Dieu va allumer au pied des autels ces feux
chastes et innocents qui feront leur félicité
mutuelle, et nos neveux verront après nous
leur glorieuse postérité remplir le premier
trône de l'univers, et commander peut-être
à toute la terre.
Mais si Dieu nous rend heureux , mes
frères, faut-il que nous soyons infidèles à
ses préceptes? Est-il juste que notre ingra-
titude soit la suite de ses bienfaits ? Malgré
toutes les faveurs dont il nous comble, les
chrétiens seront-ils toujours sans piété et
sans attention pour leur salut ? Rempliront-
ils les devoirs de la religien par bienséance,
et fréquenteront-ils nos églises par cou-
tume et nos sacrements par politique? Ver-
ra-t-on les femmes mondaines , toujours
occupées du désir de plaire, porter jusqu'au
pied des autels l'indévotion et l'immodestie ,
cacher sous des couleurs empruntées et sous
un artiûce aussi ridicule que criminel les
débris du temps et les ruines de la vieillesse,
prolonger jusqu'à la mort un caractère de
vanité que rien ne peut corriger, et ne pou-
voir se résoudre à quitter le monde, lors
même qu'il les abandonne et qu'il les mé-
prise ? Verra-t-on toujours les ecclésiastiques
s'éloigner sans cesse de l'esprit de leur vo-
cation, porter sous un habit sacré des désirs
profanes et séculiers, mener dans une pro-
fession toute sainte une vie toute mondaine,
consumer dans le luxe le bien que Dieu leur
donne pour les bonnes œuvres, cl devenir
les dissipateurs du patrimoine de Jésus-
Christ, dont ils ne sont que les dispensateurs
et les économes? Mais il est temps lie finir
celte première partie, et après avoir vu que
la paix est le fruit de la miséi icorde de Dieu,
il me reste à vous prouver qu'il nous l'a
donnée pour notre sanctification : c'est ma
seconde partie.
SECOND POINT.
Quoiqu'il y ait plusieurs degrés de perfec-
tion et plusieurs demeures dans la maison du
l'ère céleste, parie que la grâce a plusieurs
formes, il est néanmoins certain, mes frères,
que nous sommes tous appelés à la sainteté.
Dieu donne a tous les hommes ou les grâces
ou les secours nécessaires pour l'acquérir;
malheur à (eux qui resserrent les bontés du
Seigneur 1 Nous avons tous le même Dieu,
le même esprit, les mêmes sacrements, la
même espérance de notre vocation , le même
droit à la récompense des élus ; et le Père
éternel pouvait-il nous donner une plus
grande preuve du désir qu'il a que nous
soyons saints, que d'envoyer dans la pléni-
tude des temps son Fils unique pour être
par la mort de la croix le principe et l'exem-
ple de notre sanctilicalion?
Et en effet , ce n'est point précisément
pour nous rendre heureux ici-bas qu'il nous
donne quelquefois les prospérités de la terre:
tout ce qui est terrestre n est pas digne de
nous occuper comme notre fin ; Dieu seul
doit remplir notre cœur et notre espérance ;
s'il nous accorde la paix temporelle, nous
devons la regarder comme un moyen de pos-
séder par la pratique des vertus chrétiennes
celle paix intérieure que le monde ne peut
donner et qui surpasse toute intelligence.
Dans tout ce que le Seigneur fait pour nous
et dans tous les bienfaits dont il nous com-
ble, il n'a jamais d'autre motif que celte
volonté de nous sanctifier dont parle saint
Paul, et qui est aussi immuable que son
essence même. Hœc est voluntas Dei sancti~
ficatio vestra ; et il est juste, dit saint Au-
gustin, que tout ce qui vient de lui comme
noire principe retourne à lui comme noire
(in . et que les biens que nous tenons de sa
bonté soient , par le bon usage que nous eu
faisons, rapportés à la louange de sa grâce
et à la manifestation de sa gloire.
Et il est certain , mes frères, que comme
Dieu, en connaissant son essence, connaît
tout ce qui est hors de lui, en aimant
aussi sa propre bonté, il \eut toutes choses
par rapport à lui et à l'état particulier de
ciiacuue de ses créatures, et par conséquent
la sainlelé de celles qui sont raisonnables:
car qu'est-ce qu'il demande d'elles, siuou
qu'elles lui ressemblent, puisqu'elles sont
laites à son image? et comme c'est leur
sanctification qui leur donne eu celle vie les
derniers traits de ressemblance, c'est aussi à
cette perfection qu'il les appelle, jusqu'à les
obliger à èlre saints par la même raison
qu'il est saint lui-même. Sancti eslote, quiu
ego sanctus sum.
Mais la plupart des chrétiens n'entrent
presque jamais dans les desseins de sa pro-
vidence lorsqu'elle les favorise de ses grâces
et de ses bienfaits: ils ne pensent dans la
paix qu'.iux avantages qu'elle leur procure,
cl non pas à l'accomplissement des préceptes
que Dieu leur impose ; ils en goûtent la dou-
ceur et le repos, et , peu sensibles à la re-
connaissance que le Seigucur exige d'eux,
ils n'en sont pas moins tièdes pour leur per-
fection et pour leur saint, comme s'ils n'é—
laient pas obligés parles vœuvdelcur baptême
à être saints ; i anime si la sainteté eiait une
œuvre de subrogation; comme si leur Nota-
tion n'était pas une vocatiou à la sainteté;
100*
DISCOURS III PRECHE ALIX ETATS DE LANGUEDUC.
1002
comme si l'esprit qu'ils ont reçu n'était pas
un esprit de ferveur et de piété; comme si
toutes les maximes de la morale chrétienne
n'étaient pas dos règles de la sainteté; et
enfin comme s'ils pouvaient, contre l'inten-
tion de Dieu, faire de ses bienfaits les ins-
truments de leur endurcissement et de leur
perle.
Je dis plus, les prospérités personnelles et
particulières ne sont pas toujours les preu-
ves de son amour et peuvent être les effels
de sa colère. S'il nous donne les richesses,
elles ne deviennent que trop souvent dans
nos mains l'aliment de noire cupidité; s'il
permet que nous parvenions aux dignités de
la terre, elles irritent notre vanité et notre
ambition, et sont les occasions de notre
chute; au lieu que les adversités personnel-
les sont quelquefois des grâces que Dieu fait
pour nous attirer à lui et pour nous convain-
cre du néant du monde, de ce monde, dis-je,
qui, par ses amertumes et par ses dégoûts,
selon la belle expression de saint Augustin,
nous détache de lui par lui-même; qui, dé-
nué de tous les attraits de la séduction, n'a
point, quand il est connu, assez de charmes
pour nous tromper, et qui, bien loin de pro-
curer à ceux qui le suivent un bonheur
solide et réel, n'en donne pas même l'appa-
rence : lia ut mundus speciem seduclionis
amiserit.
Mais les prospérités publiques sont tou-
jours les effets de la miséricorde de Dieu : il
nous dit dans ses Ecritures, tantôt qu'il élève
les royaumes, et que, comme il les afilige
quelquefois dans sa colère, il les favorise
aussi dans sa bonté; tantôt qu'il ne rend les
peuples heureux qu'autant qu'il les aime, et
que leur repos est l'ouvrage de la Providence ;
tantôt que leur gloire, leur abondance et leur
tranquillité ne viennent ni du hasard, ni de
leur industrie, ni de la fortune, mais que
ce sont des bienfaits que sa libéralité leur
distribue par sa grâce. Or, comme le remar-
que saint Grégoire pape, les biens que Dieu
répand par la paix sont pour chacun de nous
des motifs de notre sanctification particu-
lière, par deux raisons différentes : premiè-
rement, Dieu fait notre bonheur personnel,
nous lui devons donc de la reconnaissance
et de l'amour; secondement, il fait la félicité
"de notre nation, nous devons donc partager
en commun avec nos frères les actions de
grâces qui lui sont dues. La première raison
est fondée sur notre propre intérêt, et la se-
conde sur la charité, qui nous intéresse dans
les avantages de notre patrie. Peut-il y avoir
deux considérations plus pressantes pour de-
venir saints? Plus nous avons reçu du Sei-
f;neur, plus il demande de nous de fidélité, et
'étendue de ses grâces doit être la règle de
notre ferveur et de notre zèle.
Tel était l'usage que firent les Juifs de la
profonde paix dont ils jouissaient sous le
tranquille gouvernement d'un pieux et il-
lustre chef, dont le Saint-Esprit fait l'éloge
dans le premier livre des Machabées. Cha-
cun, dit l'Ecriture, était sous sa vigne et sous
son figuier, et cultivât 4' héritage de ses pères
OlUTEUnS SACRÉS. 'XXX.
sans crainte et sans inquiétude ; on voyait
l'opulence dans les villes et la fécondité dans
les campagnes ; les vieillards racontaient dans
les places publiques les merveilles que Dieu
avait faites pour leur nation, et les jeunes
étaient revêtus des dépouilles qu'ils avaient
remportées sur leurs ennemis; les contribu-
tions qu'ils payaient pour le besoin de l'Etat
n'excédaient point leur pouvoir et n'étaient
point à charge à leurs fortunes; la terre ren-
dait au centuple le grain iju'elle avait reçu, et
la richesse des moissons (ce sont les terme» do
l'Ecriture sainte) surpassait toujours leurs
désirs et leurs espérances.
Au milieu de ces bénédictions temporelles,
quelle était la conduite des Israélites? La
voici, mes frères, et imitez un si grand exem-
ple : Ils étaient fidèles au Dieu de leurs pères,
dit l'Ecriture ; ils pratiquaient sa loi, ils ob-
servaient ses commandements et ils honoraient
leur religion par leur piété et par leur jus-
tice. Le même bonheur devrait produire en
nous les mêmes vertus; et notre repos ne
sera-t-il pas la source de notre sanctifica-
tion? Après tous les malheurs d'une longue
guerre, une consolation effective a bientôt
suivi notre attente et notre espérance; un
même jour a vu la publication de la paix et
la diminution de nos subsides ; les besoins do
la couronne ont cédé au désir de nous sou-
lager. Ce tribut nouveau, dont la proposi-
tion sera dans vos registres le monument
éternel du zèle de celle province, sera par sa
cessation le présage heureux des douceurs
qu'elle va goûter; et plaise au ciel que nous
mettions à profit pour notre salut les grâces
ineffables que Dieu nous a faites et toutes
celles qu'il nous prépare 1
Mais quel progrès faites- vous dans la
piété? Avez-vous commencé de suivre les
desseins dcDicu?El quand corrigerez-vous
vos défauts, ces désirs du siècle et le jeu ex-
cessif qui vous possède et qui vous occupe?
Oserai' je censurer ici un dérèglement au-
jourd'hui si commun et si impuni ? Hé ! pour-
quoi ne le ferais-je pas, puisque le Seigneur
condamne les prédicateurs qui trahissent
leur ministère par respect humain, cl qui
retiennent la vérité captive dans le men-
songe ou dans le silence? Le jeu, qui n'était
dans son origine qu'un amusement permis
et innocent, et un relâchement nécessaire des
soins et des travaux de notre vie mortelle,
est devenu notre unique occupation et notre
habitude : on joue presque partout avec ava-
rice, on gagne avec avidité et on perd avec
fureur. Combien y a-l-il de familles dont celle
passion a fait la ruine et la décadence 1 com-
bien y a-t-il de femmes mondaines pour qui
elle a été le premier écueil de leur innocence
et de leur vertu 1 combien de bassesses forec-
t-elle de tolérer ou de commettre I Et je puis
vous dire avec l'Ecriture : Malheur à vous
qui consumez un temps que Dieu vous donne
pour racheter vos péchés ; qui ruinez votre
santé par de longues veilles, et qui, pour
satisfaire votre cupidité, passez dans le jeu
les jours et les nuits même que la nature
destine au repos, cl que tant de solitaires
32
\9K ORATEUnS SACHES. DP NESMONT).
emploient à honorer Dieu et à chanter la*
cantiquea de leur reconnaissance el <ie leur
ferveur !
Et en elTel, mes frères, il y ■ une recon-
naissance de louange qui consiste à sentir
notre faiblesse cl notre dépendance à l'égard
de Dieu, à connaître qu'il est l'auteur de
tous nos avantagea et de tous nos bteni, à
avouer qu'il «• droit d'exiger de nous un
tribut d'honneur et de u'oire. puisque, lou-
ché de nos besoins, il nons donne des mar-
ques de sa miséricorde ci de son amour, cl
à publier que ses bienfaits viennent de sa
protection et de son secours; liien différents
en cela des idolâtres dont parle Tcrlullien,
qui, après avoir obtenu la paix par les prières
des chrétiens, au lieu d'adorer le vrai Dieu,
allaient offrir à Jupiter leur encens et leurs
sacrifices.
C'était dans le mouvement d'une tendre et
pieuse reconnaissance que Jacob disait au-
trefois : Si le Seigneur est avec moi, et s'il me
protège dans les besoins, je m'engage par un
vœu public et solennel que je le reconnaîtrai
pour mon Dieu. Le patriarche lut fidèle à sa
promesse, il rendit au Seigneur ce qu'il lui
devait, il lui érigea un autel pour éterniser
en quelque façon sa piété. Hé! puisse ainsi
le Seigneur favoriser un prince (le prince de
Conli qu'un royaume étranger a choisi pour
son souverain ! Ce peuple belliqueux est
venu chercher parmi nous un maître digne
de le commander; son grand mérite a fait sa
plus forte brigue, et ses premiers suffrages
ont été ceux de la renommée. Dieu protégera
sans doute une cause que la justice el la re-
ligion doivent rendre si chère à toute l'E-
glise. Celte province, qui s'intéresse partant
de titres à son auguste élévation, le couron-
nera par ses vœux, et malgré les obstacles
qui s'opposent à ses intérêts, nous dirons
bientôt de ce prince ce qu'un Père de l'E-
glise a dit de l'empereur Marcien, qu'en lui
la fortune est d'accord avec la vertu , et
qu'une couronne a été le prix de sa réputa-
tion et de sa gloire.
Il faut donc rapporter à Dieu toutes nos
prospérités, et c'est de ce principe que ve-
nait celte louable coutume des premiers chré-
tiens, qui se disaient toujours les uns aux
autres : Rendons grâces au Seigneur pour le
bien qu'il nous procure ; ils répétaient en tout
temps et en tous lieux ces saintes paroles,
que saint Paul leur avait apprises; ils se re-
présentaient leur bonheur et leurs avantages
comme des motifs d'une fidèle et réciproque
reconnaissance; et c'est ce qui faisait dire à
sainl Augustin qu'il n'est jamais permis d'ou-
blier les grâces de Dieu, qu'il faut lui rendre
la gloire qu'il attend de sa créature, qu'il est
juste de lui consacrer non-seulement son es-
prit et son coeur, mais encore sa mémoire,
en ramassant pour ainsi dire les plus petites
portions de ses bienfaits, afin qu'aucune n'é-
chappe à noire zèle, el que, dans tv souvenir
si utile à noire piété, les mouvements de
notre ferveur égalent, s'il est possible, les
richesses de sa miséricorde el de sa grâce
1004
avoir vaincu les ennemis de Dieu, et qu'ar-
bitre de leur sorl, iprèi les avoir réduit, (
une fuite honteuse, voulut, pour i • i onnailrc
un si grand bienfail, que les Juifs n'eu per-
dissent jamais la mémoire, que le rec t de
leurs victoires fûl écrit dans les livres sa-
li dans les fastes des Israélites, que les
pères en parlassent à leurs i nfentl et qu'une
fête solennelle en perpétuât le souvi B r ju--
qu'à la postérité la plus reculée. Si le
gnenr fil beaucoup pour eux, que n'a-l-il pas
lait pour nous dans le cuis de celle longue
guerre? La dernière campagne; a élé plus
glorieuse; la prise d'une place que l'art et la
nature rendent si forte en a signalé dans la
Flandre les commencements, el nous l'a-
vons terminée par la conquête de la Cata-
logne. Au bruit de cette nouvelle, lontfl
pagne a tremblé, el la capitale de celle mo-
narchie a redouté nos armes victorieuses ; o i
a vu, pendant le siège fameux de Baicelone,
tout ce que, dans deux nations rivales de
gloire, la constance, (Intrépidité et la scient e
militaire fournissent de moyens el de res-
sources, soit pour attaquer, soit pour se dé-
fendre; nous avons conservé notre supério-
rité et notre ascendant : nos troupes, ani-
mées par l'exemple du général qui les
commandait, n'ont rien trouve d'impossible
à leur valeur; et Dieu avait r s ne à ce
grand prince l'honneur immortel d'avoir
avancé la paix par un exploit si imposant
et si digne de sa réputation et de son courage.
11 esl donc vrai que l'oubli des dons da
Dieu est injurieux à sa bonté, qui en esl la
source; et, pour donner plus d'étendue à ce
principe, je dis avec saint Augustin que nous
ne pouvons pas toujours sans interruption,
ni écouter Dieu dans la révélation de ^es
mystères, ni l'adorer dans la contemplation,
ni goûter par des consolations sensibles com-
bien il est doux à ceux qui l'aiment. Les oc-
cupations différentes de notre vie, qui don-
nent des bornes à nos plus sainls désirs, ne
permellent pas cette actuelle application que
rien ne puisse distraire, et ce houheur est
réservé à la gloire consommée des bî nheu-
reux; mais je dois au moins cotise, ver dans
mon cœur le souvenir de ses bienfait-
lous lieux : je suis comblé de ses grâces, je
suis donc engagé partout à les reconnaîtra,
el comme les deux chérubins donl il est parle
dans l'Exode étaient toujours tournes du rôlo
du propiliatoire pour y adorer Dieu, je suis
aussi sans cesse obligé à me représenter ses
bontés, à m'oceuper de ses dons el à l'ho-
norer comme il l'ordonne \ ar ie eu te en
esprit et en vérité qui toit louie la consom-
mation de la loi el la perfection de l'Evangile
Or, mes frères quel souvenir conserveront*
nous des bienfaits de Dieu et de celle paix
qu'il nous adonnée? Kl peut-on assef dé-
C'est ainsi que Jud&s Machabée ,
après
plorer la tiédeur de la plupart de> chiclicns
pour les devoirs de la religion il '' c
étal Y On ci oit (el c'est l'erreur la plus dan-
gereuse des gens du m mde que. pi
qu'on ne tombe pas dans le> grands désor-
dres, on peut faire sou salut sans travail,
sans ferveur, sans bonnes œuvres, el que
1005.
DISCOURS IH PRECHE AUX ETATS DE LANGUEDOC.
1006
lorsqu'on n'est point scandaleux on peut im-
punément être inutile. Pense-l-on que la
sainteté ne coûte rien à acquérir? et n'est-il
pas écrit que le ciel ne s'emporte qu'avec
vioïvnce ? Les amusements, les bienséances
elles conversations remplissent presquelout
notre temps, et l'on ne donne à Dieu qu'un
cœur dissipé par les inutilités du siècle.
Dans ce cercle d'actions qui partagent tou-
tes nos journées, à peine en trouve-t-on une
seule que nous rapportions à noire sanctifi-
cation. L'indolence dans la vie chrétienne,
la perte du temps, l'oisiveté, sont des maux
d'autant plus à craindre que l'on n'en con-
naît pas assez ie danger; sur la foi d'une
conscience trompée on s'endoit dans le sein
d'une fausse paix, on se damne presque sans
y penser, et, sans être tout à fait mauvais,
on tombe dans l'état des âmes tièdes, que
Dieu réprouve, et qui sont, aussi bien que les
plus grands pécheurs, les malheureux objets
de sa malédiction et de sa colère.
Maiss'il y aune reconnaissance de louange,
il y en a aussi une d'actions et de mœurs,
qui ne consiste pas dans un souvenir stérile
et oisif des bienfaits de Dieu, mais qui nous
engage à l'aimer et à le servir, à lui rendre
amour pour amour, et à observer ses com-
mandements dans la pratique d'une piété
solide, qui est la preuve la plus certaine
d'une effective ci sincère reconnaissante.
C'était dans cette vue que saint Paul, après
nous avoir expliqué les grâces même tempo-
relles que Dieu nous fait, nous invite, dans
toute la ferveur de son zèle apostolique, de
faire de nos corps des hosties vivantes, de
nous renouveler sans cesse dans l'esprit de
Jésus-Chris!, de nous tenir dans ies bornes
de la modération chrétienne, sans nous éle-
ver par de vains sentiments de nous-mêmes,
et de nous souv; nir que la volonté de notre
salut étant le seul principe des bienfaits de
Dieu, ces mêmes biens doivent être aussi le
motif de notre sanctification : maxime invio-
lable de reconnaissance, qui est même sacrée
parmi les hommes; rien n'est si détesté
parmi eux que le imm odieux de l'ingrati-
tude. Quoi ! faut-il donc que Dieu soit !e seul
pour qui nous manquions de fidélité? Est-il
juste que la probité du inonde aille plus loin
que la charité de la religion ? Hé ! pourquoi
l'auteur de nos prospérités cl de nos biens
sera-t-il le seul qui soit paje par nos infi-
délités et par nos parjures ?
C'est donc notre sanctification nui dans nos
prospérités est le motif p.énéral de la Provi-
dence : si Dieu nous l'ait riches, c'est afin que
nous soyons modérés «t charitables dans
l'usage de nos richesses ; si vous êtes savants,
il veut qne vos lumières vous rendent plus
attentifs à votre salut et plus fervents pour
celui des autres; s'il vous d nue des dignités-,
il désire que votre élévation soit utile à vo-
ire prochain par vos bonnes œuvres et par
vos bons exemples.
Or, comme toutes ses grâces, soit pour le
temps, soit pour i éternité, viennent de Dieu
comme de leur principe, il est convenable
que par notre sainteté ces biens dispersés
parmi les hommes et ces portions différentes
se rejoignent à leur unité, qui n'est autre
chose que Dieu même. Sans la piété tous les
bienfaits sont non-seulement inutiles, mais
dangereux, et ne servent qu'à nous rendre
plus coupables. Rien n'est plus criminel que
d'abuser des dons de Dieu, et s'il est dérai-
sonnable de murmurer contre sa justice quand
il nous afflige, quel crime n'est-ce pas d'offen-
ser sa miséricorde dans le temps même qu'il
nous protège !
El c'est pour imprimer fortement dans nos
cœurs le désir de notre salut que l'apôtre
saint Paul, dans cette divine Epître aux Ro-
mains qui renferme tout l'abrégé de la mo-
rale de Jésus-Christ, et qui devrait être, se-
lon saint JeanChrysoslome,le sujet continuel
de nos pieuses médit ations.nousenseigneque
non-seulement les grâces temporelles, mais
même les devoirs que Dieu nous impose,
sont les marques de noire vocation à la sain-
teté; s'il nous menace.il veut donc que nous
évitions le péché par la crainte des châti-
ments; s'il nous promet des récompenses,
il veut donc nous exciter à la vertu par
la reconnaissance et par l'amour. Et pour-
quoi, conclut l'Apôtre, Dieu veut-il nous
assujettir à tous ces préceptes? c'est afin
que vous vous rendiez ce témoignage à vous-
mêmes, qu'en remplissant vos obligations vous
accomplissez cette volonté de Dieu qui nous
objige à être saints : Ut probetis quœ sit vo-
luntas Dei bona et pei ferta.
Et en effet, lorsqu'on offrait des victimes
dans l'ancienne loi, Dieu voulait qu'elles fus-
sent saintes, non-seulement d'une sainteté de
séparation par rapport aux autres animaux
qui n'étaient point réservés pour les sacri-
fiées; non-seulement d'une sainteté de con-
sécration par rapport aux cérémonies de la
loi qui les destinait au culte de la religion,
mais encore d'une sainteté de relation et de
signe, par rapport aux prêtres et au peuple
qui les offraient. Or, nous qui sommes les
hosties vivantes de Jésus-Christ et le temple
même du Saint-Esprit par la régénération
spirituelle de noire baptême, nous vivons
sous une loi qui nous impose le devoir de
notre sanctification, par cette grâce nouvelle
que l'esprit sanctificateur a répandue dans
nos cœurs avec abondance : sainteté recom-
mandée pour tous les temps, et surtout dans
celui dans lequel nous sommes. Et qui sait
si Dieu, après nous avoir punis par les tri-
bulations d'une longue guerre, ne nous a
point accordé la paix comme un dernier
moyen que sa miséricorde nous donne pour
notre conversion, ou pour ôter toute excuse à
notre endurcissement cl à notre perle?
Quand je parle de la pratique de la piété,
; n'entends pas celle qui est aujourd'hui si
commune dans le monde, et qui n'est que le
j .éi( \l<> de la cupidité et de l'ambition. Com-
bien y a-l-il de chrétiens qui, dans un siècle
où (-races au ciel) la sainteté n'est plus sans
crédit et sans récompense, s'érigent en dévols
pour surprendre ceux qui le sont! Sous les
« elrors d'une modestie fausse et dissimulée,
ils ne sont au dedans ni humbles ni mortifié! .
ORATEURS SACRES. I)K NESMOM).
1008
ili censurent dam leurs frères lei fautes les
plus petites, et no peinent souffrir que l'on
connaisse leurs imperfection! et leurs défauts ;
ils n'aiment personne, et par un retour né-
cessaire ils ne sont aimes de personne: s'ils
étaient charitables pour les autres par reli-
gion, on serait indulgent pour eux par re-
connaissance, et s'ils supportaient les infir-
mités de leur prochain, peut-être excuserait-
on leur vanité et leur ambition et tous les
excès de leur amour-propre.
Quand je parle de la pieté, je n'entends pas
ct'Ùe nouvelle et mystique dévotion qui, por-
tée des rivages étrangers, s'est introduite, je
ne sais comment, dans ce royaume si savant
et si éclairé ; qui , sous le nom d'une femme
sans science et sans soumission , s'insinue
presque en tous lieux et trouble la paix de
l'Eglise ; qui , sous l'attrait séducteur d'ex-
pressions artificieuses , renferme une doc-
trine fausse dans ses principes et dangereuse!
dans ses conséquences ; qui anéantit jusqu'à
l'espérance chrétienne , cette divine vertu
qui fait la consolation de notre exil et jus-
qu'au plus saint désir de l'âme pieuse, et qui,
dans la recherche d'une vaine perfection que
l'Evangile et la tradition n'enseignent point,
dégénère insensiblement en illusion et en
fanatisme.
J'entends, mes frères, celte piété que saint
l'aul confond avec la charité, qui est la règle
ou le motif de notre conduite. S'agit-il des
imperfections du prochain , 1 homme vrai-
ment vertueux, ou les excuse , ou les dissi-
mule ; s'agit-il de son propre intérêt , il le
néglige; si Dieu lui envoie des adversités,
il s'y soumet sans murmure et. avec patience;
faut-il dans les familles éprouver des hu-
meurs ou des contradictions domestiques, il
donne l'exemple d'une douceur et d'une bé-
nignité chrétienne ; faut-il préférer, dans des
conjonctures délicates , sa conscience à sa
fortune , il sacrifie sans peine son ambition ;
si Dieu lui donne la paix temporelle, il la re-
garde comme un nouveau motif de sainteté.
Car de même qu'il y a des vertus convenables
au temps de la guerre , comme la pénitence
et la soumission dans les châtiments dont
Dieu nous afflige, il y a aussi des vertus pro-
pres au temps de la paix , comme le bon
usage des douceurs qu'elle nous procure, la
modération dans les prospérités et dans l'o-
pulence cl le renouvellement de notre fer-
veur dans les devoirs du christianisme.
Que demandez-vous donc pour devenu-
saints ? et je finis par cette réflexion , -pour
ne pas abuser plus longtemps de l'attention
fa\ omble dont vous m'honorez (et que je
dois à votre piété) ; vous faut-il des grâces ?
hé ! à qui Dieu les rcfuse-l-il ? S'il veut notre
sanctification en tout temps , en tous lieux
cl en tous états , il s'ensuit qu'il nous donne
tous les secours pour l'acquérir : il veut
cette fin , et par conséquent les moyens qui
nous y conduisent; il demande notre sainteté,
il désire donc tout ce qui l'opère, à moins
qu'on ne se ligure un Dieu austère et cruel ,
qui, injuste pour ses créatures, leur prescrit
des devoirs sans leur donner des grâces ne-
ceftairet pour les accomplir , principe qui
conduit infailliblement ou au libertinage ou
au désespoir.
Mais Dieu veut bien ajouter quelquefois à
ces secours intérieurs les prospérités de la
terre.O malheureuse corruption de I 'h< mme!
ô bonté ineffable du Seigneur ! s'écrie saint
Grégoire : l'obligation de l'aimer et de le ser-
vir est la vue de notre salut. N'élaienl-ce pas
des raisons suffisantes pour nous exciter à
l'accomplissement de ses préceptes? (allait-
il encore qu'il satisfit en quelque façon no-
ire cupidité, qu'il (lattât la passion la plus
délicate du cœur humain , c'est-à-dire notre
intérêt propre , et qu'il nous accordât les
bienfaits temporels, comme un nouveau mo-
tif d'avancer dans les voies delà sainteté du
christianisme ?
Que faut-il encore pour votre sanctifica-
tion ? des exemples. Combien y a-t-il de chré-
tiens qui , n'ayant pas des grâces plus fortes
que nous , ni moins d'obstacles à surmonter
dans des professions semblables aux nôtres,
au milieu du monde et de ses tentations, ex-
posés aux mêmes dangers , hommes comme
nous, mais plus saints que nous, ont vaincu
le siècle et ses pompes, renoncé au démon et
à ses œuvres 1 El c'est celte nuée de témoins,
dont parle le Saint-Esprit , que Dieu pro-
duira contre nous au jour de son jugement,
et qui seront le reproche éternel de notre en-
durcissement et de nos crimes.
Que désirez-vous encore pour votre salul 1
des facilités. Je dis qu'en quelque façon nous
sommes plus les maîtres de noire sainteté
que nous ne le sommes de notre fortune :
pour être saints il nous suffit de le vouloir
être et de faire avec la grâce ce que nous
pouvons pour le devenir ; et pour être grands
dans le siècle , souvent nos désirs sont su-
perflus et tous nos efforts sont inutiles. Le
joug du monde est plus à charge que celui
de Jésus-Christ , qui nous parait pesant par
quelques peines extérieures et apparentes ,
mais qui devient léger , selon les paroles do
l'Ecriture, par celte onction secrète que Dieu
répand dans les cœurs de ceux qui l'aiment,
et qui faisait dire à saint Bernard : Les pé-
cheurs voient nos croix et ne sentent pas
nos consolations et nos joies : Cruce* nostras
vident, unctiones non rident.
Tâchons donc de nous forliGer , mes frè-
res, dans l'état où sa providence nous a pla-
cés ; détachons-nous des plaisirs du monde;
délrompons-nous de celte beauté mortelle
qui allume dans nos co'urs des feux cri-
minels, et qui est la cause et peut-être le
principe de nos péchés. Que les clameurs se-
crètes de notre conscience agitée rappellent
en nous le désir efficace d'une conversion
sincère. Malheur à celui qui se scandalise!
' mais aussi malheur à celui par qui le scan-
dale arrive ! Le monde est à la vérité injuste
et léméraire dans ses jugements, il augmente,
il exagère; mais ne donnons pas. par des
mœurs suspectes , matière à ses soupçons et
à ses mensonges ; ne nous plaignons pas
toujours de ses injustices , corrigeons seule-
ment nos imprudences ; le seul moyeu de
1009
DISCOURS IV PRECHE AUX ETATS DE LANGUEDOC.
1010
nous sauver de sa malignité, c'est de ména-
ger sa délicatesse : arrêtons les projets de
notre ambition, et voyons si les dignités de
la terre valent ce que coûte la peine de les
acquérir, la difficulté de les conserver et la
crainte de les perdre. La mort peut-élre vien-
dra bientôt couper le Gl de nos jours , elle
s'avance à grands pas ; noire vie s'écoule
insensiblement vers le terme où le temps fi-
nit et où l'éternité commence : une maladie
souvent soudaine et imprévue termine dans
un instant nos desseins , notre vanité , nos
plaisirs ; et que nous reste-t-il dans ce der-
nier moment , qui devrait être toujours pré-
sent à notre mémoire , que l'attente terrible
des jugements de Dieu et les horreurs de
l'incertitude entre l'espoir de sa miséricorde
et la crainte de sa justice ?
Ne regardons pas la durée de nos Etats
comme une saison qui ramène les plaisirs
innocents d'une société nombreuse et polie;
mais songeons à ces devoirs, plus chrétiens
encore que politiques, qui nous engagent à
rendre à César ce qui est dû à César, à sou-
lager les peuples dont Dieu nous commet le
soin et les intérêts , à édifier par notre piété
et par nos exemples ceux qui sont ou les té-
moins indifférents ou les spectateurs critiques
de notre conduite. Goûtons tous ensemble
pendant cette vie les fruits de la paix, dans
la charité , dans l'union et dans la pratique
d'une piété constante et sincère , afin que
Dieu nous donne quelque jour celle éternelle
paix qu'il destine à ses élus, et que je vous
souhaite, au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit. Ainsi soit-il.
QUATRIÈME DISCOURS,
Prononcé à l'ouverture de rassemblée des
Etats de Languedoc.
Etnunc orale Deum omnium, qui magna fecit in omni
terra, et fecit nohiscum misericordiam, del nobis fieri pa-
cem in diebus Doslris per dies sempiiernos.
Prions le Seigneur, qui a fait de grandes choses dans
toute la terre, et qui nous a toujours traités selon sa miséri-
ctrde, que pendant nos jours et pour jamais il fasse fleurir
la paix dans Israël (Kccli., L, 21, 23).
Monseigneur (1),
C'était dans le trouble que causait une
guerre qui semblait prochaine, et dans le désir
d'une paix qui semblait douteuse, que le
grand prêtre exhortait Israël à la pratique et
aux exercices de la pénitence.
Vous êtes, disait-il aux Juifs, la portion de
la terre la plus chérie de Dieu. Le ciel a ré-
pandu sur vous à pleines mains ses plus
abondantes bénédictions. Le Seigneur est vo-
tre Dieu, et vous êles son peuple par prédi-
lection et parprivilége. Vos alliés respectaient
votre bonheur et recherchaient votre pro-
tection; ceux qui étaient jaloux de votre
grandeur redoutaient votre puissance, Peut-
être Dieu abrégcra-t-il vos prospérités; c'est
a vous à être aussi fidèles pour lui qu'il a
été bienfaisant pour vous, à reconnaître les
grâces anciennes et nouvelles qu'il vous a
faites, et à mériter par une vie pure et inno-
11) L'évô'inc officiant
cente qu'il multiplie sur vous ses miséricor-
des,
Je viens en ce jour, mes frères, dans les
mêmes circonstances vous représenter les
mêmes devoirs. Dieu par sa bonté avait fini
une guerre de plusieurs années, tout sem-
blait promettre à la terre une tranquillité
durable. L'abondance et la joie renaissaient
dans cette province, et notre bonheur présent
nous consolait de nos tribulations passées.
Les temps sonl changés : de nouvelles crain-
tes viennent troubler la douceur d'une heu-
reuse paix ; l'orage se forme de toutes parts,
nous voyons partout les tristes présages des
calamités futures, et dans les intérêts qui
agitent l'Europe affligée, Dieu seul est au-
jourd'hui sa consolation et son espérance.
Je dois donc, en ce temps de crainte et de
douleur, vous représenter vos obligations, et,
dans un discours institué non pas pour la
curiosité, mai ; pour l'édification des audi-
teurs, il faut vous annoncer les solides véri-
tés de la religion.
Tout favorise ici mon dessein et intéresse
votre piété. Dans ce jour, destiné plus encore
par voire ferveur que par l'usage à l'humi-
lité et à la prière, au milieu de l'oblalion des
saints mystères qu'interrompt un ministre
de l'Evangile pour joindre, selon l'expres-
sion de saint Augustin, à la dignité du sa-
crifice le sacrement de la parole, dans cet
amas pompeux de cérémonies ecclésiastiques
qui montrent aux fidèles la sainteté de la re-
ligion , dans ce temple sacré où s'humilient
les premières têtes d'un pays, en présence de
Jésus-Christ anéanti, que peut-on présumer
de vos sentiments, sinon que vos intentions
sonl saintes, que vous cherchez au pied
des autels les motifs de vos délibérations et
de vos suffrages, et que, attentifs à votre
salut, vous voulez diriger vos fonctions po-
litiques par l'esprit du christianisme et par
les mouvements de votre conscience?
En effet, mes frères, sans la religion et
sans la piété dont vous donnez tous les ans
de si grands exemples, que seraient ces as-
semblées, qui renferment tant de grandeur
dans l'enceinte d'une seule ville? On regar-
derait les jours qui en composent la durée
comme une saison qui ramène la joie et les
divertissements du siècle; on mêlerait aux
occupations sérieuses des amusements mon-
dains et frivoles ; on passerait dans les jeux
et dans les plaisirs que le monde appelle in-
nocents, et que l'Evangile nous fait regarder
comme dangereux, un temps destiné aux
nécessités communes de l'Etal et aux besoins
particuliers de la province; on chercherait
quelquefois dans l'administration publique
la matière de son orgueil ou les moyens de
son avancement et de S'ût fortune; et clans les
excès qu'introduisent le luxe et la vanité,
que ferait-on qu'exciter sans remords et
sans réflexion les gémissement! des pauvres
cl les murmures secrets des peuples?
Je veuv par conséquent me renfermer
dans les paroles de mon texte; et, dans les
1011
OHATKIRS SACRES. DE NESMO
loti
désirs d'une paix que le ciel nous a donnée,
et dont l'envie lâche encore de nous ravir
les douceurs et le-, avantages, je prétend!
vous faire voir que nous devons en obtenir
la durée par nos vertus el la procurer par
nos contributions et par nos secours ; .Ile
est un don de Dieu, c'est donc <lo Dieu qu'il
faut l'attendre et la mériter: c'est mon pre-
mier point. Elle, est 1" bien le plus précieux
de la terre, il faut donc employer quelque
portion de notre substance et de nus fortu-
nes pour la rendre solide et durable : c'est
mon second point. Ne cherchez pas dans
ce discours l'éloquence humaine, mais les
vérités évangélîques ; et puissiez-vous, dans
l'amour même de vos intérêts temporels,
trouver des principes de sanctification et
des motifs de pénitence 1 Demandons les lu-
mières du Saint-Esprit par l'intercession de
Marie, eu lui disant avecl'ange : Ave, Muriu.
PREMIER POINT.
C'est l'expression de saint Augustin, que
si nous étions aussi spirituels et aussi par-
faits que semble l'exiger de nous l'esprit du
christianisme, nous serions non-seulement
sans cupidité, mais encore sans désir pour
les biens périssables et passagers. Indifférents
aux prospérités, comme soumis dans les
afflictions, la vie future ferait seule ici-bas
notre attention et nos espérances. Nous lais-
serions aux morts le soin d'ensevelir les
morts, et aux hommes charnels le goût des
consolations terrestres; et, dans le cours
d'une vie libre et dégagée des inquiétude, du
siècle, nous n'aurions d'autre vue que la fin
de notre exil et le terme de noire pèlerinage.
Toutefois Dieu ne nousdefend pas de désirer
des biens temporels, pourvu qu'on les rap-
porte à la fln que la grâce nous propose pour
notre salut : soit qu'il nous les donne pour
condescendre à notre faiblesse, soit qu'il les
accorde comme les adoucissements de notre
voyage pendant que nous sommes dans co
corps de mort, soit qu'il les répande afin que
nous en fassions la matière de nos bonnes œu-
vres, il s'accommode et se prêle par sa bonté
à notre intérêt et, si je l'ose dire, à notre
amour-propre; et, sachant combien nous
sommes sensibles aux douceurs et aux avan-
tages de la terre, il ne nous en interdit point
le désir et la possession, mais seulement le
mauvais usage.
Or c'est la paix qui de tous les biens est le
plus précieux et le plu-, utile. Son nom seul
flatte nos esprits, dit saint Augustin, et l'ait
je ne sais quelle impression de joie et de
douceur dans les cœurs des hommes : Tun-
tum est pacis Uonwii, ut nikil gratins itfemt
audiri ; elle est l'objet de leur espérance et
de leurs soupirs quand ils ne la possèdent
pas : iVtTuï desiderabilius conatpisci ; et lors-
que Dieu, propice à leurs désirs, l,i donne
à la terre, ils la regardent comme un prisent
du ciel qui ramène la tranquillité < t qui as-
sure toutes les fortunes particulières : Xihil
nielius possit inveniri.
Mais qu'est-ce que la paix, dans sa défi-
nition littérale, continue ce même Père, qu'un
ordre établi de Dieu entre tous les hommes,
dit igé par la charité et par la jnslii • ■. i I qui
s'étend ou se resserre selon les différents
objets où elle s'applique ? Tantôt elle nous
renferme dans l'enceinte des obligations d<>-
mestiques, et, nous liant par les nœuds sa-
cres du san^' et de la nature, elc fait dans
les familles la domeur de l'union et de
l'amitié ; tantôt elle nOUf engage aux devoirs
de la vie civile, .1, comme portion d'une
mè ne ville, d'une même province et d'une
n ■ patrie, elle nous rend citoyens zi
ou sujets soumis et (idèles ; tantôt, par un
mélange d'intérêt, de commerce et de motifs
politiques, eile unit les peuples avec lu- peu-
ples, les royaumes avec les royaumes, et pro-
cure le repos public que Dieu donne dans sa
miséricorde, et que les princes inquiets et
ambitieux ne troublent que trop souvent par
les mouvements déréglés que leur inspirent
leur vanité, leur gloire ou leur jalousie.
Et c'est la cliarilé qui est le fondement el
le motif de cette paix , dit encore saint Au-
gustin : Charitas calestis pacem f/i'riyjf, ter-
rena cupidttm destruil : La charité la dirige,
et la convoitise la détruit ; et en effet, à q
s'occupent la prudence .le la chair et la poli-
tique mondaine dans les conjonctures impor-
tantes où il s'agit du sort des nations ? n'est-
ce pas à troubler le repos el les prospérités
de ses voisins, à c mlredire les droits les plus
authentiques el les plus sacrés, à s'élever
conire une puissance dont la supériorité sa
fait craindre de ses ennemis, à for.ner des li-
gues nombreuses aux dépens de la raison et
de l'équité , à faire servir le mensonge, les
artifices et souvent la religion , à ses projets
el à ses prétextes ; enfin à susciter des guerres
qui coûtent si cher, même aux victorieux,
et dont le mond ■ entier est quelquefois le
ili âtre et presque toujours la victime ? Ch-
piditas pacem dtstruit.
.Mais la charité au contraire se renferme
toujours dans le droit d'une défense juste et
nécessaire ; elle conserve la paix par incli-
nation et ne la rompt jamais que par néces-
G ■Mente de s'opposer à l'envie el à l'in-
justice, elle observe les lois que la nature et
la Providence ont établies. ! Ile laisse à cha-
cun ce qui lui est dû. Bien loin d'être j.ilouse
du bonheur des autres, elle apprend aux na-
tions a se communiquer ; ar un commerce
sincère el fidèle les richesses que Dieu a par-
tagées dans chaque pays : et dans un concours
de besoins et de secours mutuels, elle fait
trouver dans l'observation des devoirs du
christianisme l'utilité m nie de la vie pré-
sente : Charifas pacem diri i.
Ces principes poses, disons que la paix est
le fruit de la piété des hommes : Opus justitiw
pur, disait le prophète Isaïe. Les bénédic-
tions de la terre personnelles et particulières
ne sont pas toujours la preuve de 1 i miséi i-
enrde de Dieu: il consomme quelquefois par
elles la réprobation et l'endurcissement du
pécheur : mais les pros| ei iles publiques sont
d'ordinaire l'effet de la piété des pevpl -
Lorsque les Juifs furent fidèles à la loi, les
grâces, les succès, les miracles, le ciel même,
1013 DISCOURS IV POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
1014.
èiaient comme tributaires de leurs désirs.
Comment Dieu refuserait-il les consolations
extérieures el sensibles aux vertus chré-
tiennes, puisqu'il les accorde aux vertus mo-
rales ? Tant que les Romains furent ver-
tueux, leur empire fut florissant, leurs mœurs
eurent plus de part à leurs Gonquéles que
leur puissance; ils vainquirent par leur sa-
gesse quoique mondaine , ils furent vaincus
à leur tour par la volupté, et les dérègle-
ments qu'ils contractèrent dans le commerce
des nations subjuguées furent le signe pro-
chain de leur décadence et de leur chute.
Et à quoi doit-on attribuer le bonheur et
la durée de la paix ? dit saint Augustin : est-
ce à la puissance d'un potentat victorieux,
qui peut donner la loi et qui s'est rendu l'ar-
bitre des événements? Ne voil*on pas que
cette supériorité ne fait souvent que des ja-
loux et des ennemis ? Est-ce à la modération
des princes ? et concourent-ils tous avec une
mutuelle intelligence au repos public? Est-
ce aux motifs du christianisme? et les chré-
tiens ne les sacrifient-ils pas tous les jours
aux désirs du siècle et à l'attrait du péché?
Est-ce à l'adresse et à la subtilité des négo-
ciations ? et qui ne sait que c'est un art ingé-
nieux , que la religion ne dirige que rare-
ment , et où chacun , sans sincérité et sans
bonne foi . cherche à tromper el à surpren-
dre ? Concluons donc que Dieu seul donne la
paix, lorsque nous la méritons par notre
vertu, et qu'il tire, quand il lui plaH, du
fond même de la politique mondaine et des
intérêts les plus opposés et les plus con-
traires , l'avancement de son œuvre et les
desseins de sa providence.
C'est ce que le Seigneur nous répète si
souvent par la douche du prophète-roi : Si
vous vous convertissez à moi , je me conver-
tirai à vous, et je suspendrai le cours d'une
guerre dont vous gémissez et qui vous épuise.
Conservez la paix avec moi , nous dit-il dans
Jérémie, et je vous rendrai ce'le dont vous
jouissiez. Ne nous plaignons pas par consé-
quent, mes frères que les temps vont deve-
nir mauvais ; prévenons ces tristes jours par
nos bonnes œuvres : nous sommes ainsi en
quelque façon les arbitres de notre sort tem-
porel ; la parole de Dieu est le ga-je de sa
promesse , comme elle est la règle de notre
piété. Ses bénédictions descendent sur nous
à mesure que nos vertus et nos oraison»
montent vers le ciel : semblables à ce* douces
exhalaisons qui s'élèvent de la terre, et qui,
dans la région des nuées, formant des pluies
salutaires, donnent à toutes nos campagnes
la fertilité et l'abondance.
Mais quelles sont nos rmeurs aujourd'hui I
el dans quel siècle y a-t-il eu moins de bonne
foi dans le commerce et dans les affaires,
plus d'infidélité dans les mariages, plus d'ex-
cès et d'impudence dans le luxe, moins de
goût pour les bonnes œuvres, plus d'attache,
aux plaisirs ou criminels ou innocents ,
moins de scrupule dans l'usure, plus de venin
dans la médisance I On attaque indifférem-
ment l'innocent et le coupable , les amis et
les ennemis, le sacré cl le profane, ses égaux
et ses supérieurs. Les conversations ne rou-
lent plus que sur la satire et sur la critique.
On croit faire oublier son dérèglement en ra-
contant celui des autres: encore, si on ne
censurait que le vice public el connu, la va-
nité insulterait à la vanité, et un péché serait
le châtiment d'un autre péché ; mais la vie
la plus régulière n'échappe pas aux soup-
çons et aux injustices. La réputation, ce bien
si cher et si précieux à tous les hommes, est
tous les jours la victime d'un mauvais esprit
ou d'un envieux. La réparation, quoique né-
cessaire , est presque toujours aussi dange-
reuse que la blessure que l'on a faite. Ceux
qu'un mouvement de religion empêche demé-
dire écoutent avec complaisance; emploient-
ils leur autorité ou leurs avis pour réprimer
le mal qu'on dit du prochain? et quoiqu'on
ne soit pas auteur de la détraction, on en de-
vient pourtant le complice par son consente-
ment et par son silence.
Voit-on à présent parmi les femmes chré-
tiennes la pudeur et la modestie qui, selon
l'expression de l'Apôtre , devraient faire la
gloire et l'ornement de leur sexe ? Dans leurs
premières années , occupées seulement du
soin d'une fragile beauté , et dans les der-
nières, dévotes par ostentation et par res-
source, elles ne donnent d'ordinaire à Dieu
que les ruines de l'âge et les tristes débris
d'une inutile vieillesse. Combien y en a-t-il
qui, dans des intrigues où règue le péché et
souvent le mauvais choix , sont le scandale
des villes, la honte de leur famille et le ridi-
cule des libertins ; qui promènent leurs vo-
lages désirs sur lous les objets qui peuvent
flatter leur libertinage ou leur avarice ; qui
déshonorent également leur sexe et leur
naissance, et qui, par un juste jugement du
ciel, ont le sort attaché à la dépravation des
mœurs, d'être non-seulement criminelles aux
yeux de Dieu, mais aussi méprisables à ceux
du monde, à qui elles veulent plaire 1
Or, pour prouver ma proposition, je dis de
plus que l'intention primitive de Dieu a été
que les hommes vécussent dans une éter-
nelle paix, el elle eût été le privilège de no-
tre Origine, si Adam eût conservé la première
grâce de sa création ; nous eussions joui des
bienfaits de Dieu sans trouble el sans inquié-
tude , nous n'aurions connu ni ses ennemis
invisibles, qui sont au dedans de nous les
obstacles de la vertu, ni au dehors les enne-
mis visibles qui troublent notre repos et qui
détruisent nos fortunes. La terre aurait sulli
à lous nos besoins et n'aurait pas été le
théâtre malheureux de nos discordes. Chacun
aurait pris sa part de ce patrimoine commun
sans désirer celle des autres ; et comme il n'y
eût pas eu de cupidité , tous les hommes,
contents des limites que le Seigneur leur au-
rait données, eussent dans une parfaiie tran-
quillité honoré le nom de Dieu el respocté
les ordre* de la Providence.
C'est donc par le péché que la guerre s'est
introduite dans le monde, ainsi que la mort,
selon la doctrine de l'Apotrc. Dès que noire
premier père cul transgresse la loi du Sei-
gneur, le dcuiou troubla la douceur d'une
1018
famille <|ue le sang et l'amitié devaient unir.
I. envie dit lu cause d'un fratricide : le S
Espril l'a dit. Tant que le péché régnera s r
la terre, on verra dans tous les nèclei les
hommei armés contre les lioninies, les na-
tions soulevées contre les nations. Ce n'e l
que dans le ciel qu'un amour consommé dé-
truira tous les motifs des pas-ions humaines;
cl qu'est-ce que la félicité des saints , sinon
une heureuse paix, dont ils jouissent dans le
sein de Dieu, qui couronne en eux ses dons
et ses propres miséricordes ?
C'est par celte raison que Dieu veut qu'au
milieu du trouble des actions militaires les
princes conservent le désir de la paix. Faire
la guerre par haine ou par ambition, c'e-t
violer les lois les plus essentielles du chris-
tianisme ; la soutenir pour se défendre con-
tre l'injustice, c'est le droit des souverains,
qui ne portent pas en vain l'épée que Dieu
leur a confiée.
Tel a été le sentiment relig eux du monar-
que sous qui nous vivons : posant profiter
de ces premiers moments où ses ennemis
étaient étonnés et incertains, s'cst-il prévalu
des avantages que lui donnaient sa "-u; ério-
rité et sa diligence? quelles conditions rai-
sonnables a-t-il refusées ? Une prompte hos-
tilité, qui aurait été favorable à ses intérêts,
a paru contraire à la délicatesse de sa con-
science ; il a voulu que nous dussions la paix
moins à ses armes qu'à sa piété, et <|ue I Eu-
rope éprouvât encore une fois plutôt sa mo-
dération que sa puissance.
Mais si le péché du vieil homme a été le
principe de la discorde des hommes dans
tous les siècles, une des plus importantes
fonctions du nouvel Adam a été de détruire
celte nouvelle division. L'union publique n'a
pas moins été l'objet de sa divine mission
que la charité particulière. Il n'est venu dé-
clarer la guerre qu'aux passions humaines,
cl les armes qu'il nous met en main sont la
mortification et la pénitence. Le titre qu'il
prend le plus souvent dans les Ecritures est
celui de Dieu de la paix , et pour accomplir
ce que les prophètes avaient dit de lui, il
voulut naître sous le règne d'un empereur
pacifique. Ce fut dans celle époque , arrivée
dans la plénitude des temps, que se fermèrent
les portes fatales de ce temple si célèbre dans
l'ancienne Uorae , et la paix qui régnait sur
toute la face de la terre tut moins l'effet du
bonheur cl de la puissance d'Auguste que le
présage heureux de la naissance du Sauveur
du monde.
Cette paix générale était même nécessaire
au progrès de l'Evangile. L'œuvre de Dieu
demandait des esprits paisibles et attentifs,
et la guerre eût rendu les nations inacces-
sibles aux fonctions de l'apostolat. A la fa-
veur de ce repos universel , les apôlres par-
tagèrent entre eux leur mission et la con-
quête spirituelle du monde entier. Les uns
pénétrèrent jusqu'aux extrémités des Indes ,
cl fondèrent celle Eglise que nous voyons de
nos jours heureusement renaissante. Les au-
tres allèrent confondre par la folie de la pré-
dication la sagesse de l'aréopage et d'Athè-
OIUTEI'RS SACHES. DE NESMOND 1016
net . 'l l'on vit enfin Pierre fixer le liège 'le
la primauté ecclésiastique dans la capitale
de l'univers, établir le vrai culte par la des-
truction des fausses divinités, el élever pour
ainsi dire I i croix du Sauveur sur les ruines
mé ne du Capitule.
I.a paix fut donc l'ouvrage de Jésus-Christ,
et telle était la doctrine de l'Apôtre, daei M
divine Lpîlrc aux Epbési ns : Vous n'Uêt
vins éloignés île Dieu ni de vos frères, leur
disait-il ; le sang du Médiateur vous a rap-
prochés tes uns des autres. C'est lui qui, de
tant de nations divisées par I- s intérêts de la
politique mou laine, n'en a fait qu'un peuple
par le» nœuds plus doux et pi de la
charité chrétienne ; c'est lui qui, pour nous
réunir dans un même corps , a rompu dans
sa chair le mur de séparation cl éteint les
inimitiés qui nous divisaient: Inimiritias în-
terfteiens in seinrtipso
Il était convenable, conclut le même Apô-
tre, que celui qui était descendu sur la terre
pour réconcilier le monde pécheur avec son
l'ère réunît aussi les hommes avec les hommes,
que les haines publiques et particulières cé-
dassent à celle charité dont il a été loul en-
semble le législateur et le modèle, qu'il lut
le pacificateur du monde pour en devenir
le réparateur, qu'il désarmât le démon ho-
micide el meurtrier, dont il voulait abolir
l'empire, el que toute uuerre finit en lui el
par lui , puisqu'il était venu détruire la con-
voitise, qui en esl la source.
Et en effet, d'où vient qne la paix s'est re-
tirée de vous, el que le glaive s'enivre lous
les jours du sang des hommes? demande
l'apôtre saint Jacques ; n'est-ce pas par les
passions qui combattent dans votre chair?
YY.us êtes pleins de plaisirs déréglés, el vous
n'avez pas ce que vous désirez; vois éles
enyieux et jalons, et vous ne pouvez obtenir
ce que vou- voulez ; vous vous faites la guerre
et vous combattez les uns contre les autres,
et vous n'avez pas pourtant ce que vous lâ-
chez d'avoir, parce que vous ne demandez
pas comme il faut el que vous n'êtes pas di-
gnes d'èlrc exaucés. Tels sont les avis que
cet apôtre donnait aux chrétiens de son
temps, et le!s sont les châtiments dont Dieu
nous afflige. Sa justice nous ôte souvent les
biens que nous a donnés sa miséricorde.
El quel usage avons-nous fait de celte paix
que nous désirons avec tant d'ardeur? Com-
bien y a-t-il de procès odieux que suscite 1 i
cupidité , que les sollicitations cl l'intrigue
éternisent avec injustice, el qu'entretiennent
la chicane des parties el quelquefois aussi
l'avarice même des juges! Combien de gens,
dans les subsides que la guerre oblige de le-
ver, cherchent la matière de leurs rapines,
s'engraissent de la substance des peuple-, i
ruinés à leur tour par la recherche qu'on fait
de leurs exactions , retombent dans le même
néant dont le hasard les avait tirés I Ne •
on pas des haines injustes que la mort nu
saurait finir, elqui, passant de main en main,
se perpétuent jusqu'à la génération la plus
reculée? N'j a-l-il pas dans le siècle où nous
vivons des familles qu'un sordide intérêt di-
1017
DISCOURS IV POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
lois
vise, que des amis charitables ne peuvent
unir, et dont un directeur imprudent ou in-
téressé fomente souvent la discorde , au lieu
de l'éteindre par son autorité ou par ses con-
seils ?
C'est donc aux vertus des peuples que
Dieu attache le repos et la félicité de la terre.
Le premier objet de la grâce est à la vérité
leur sanctification; c'est proprement l'unique
nécessaire de la vie chrétienne : mais ia paix
es! leur première vocation apr,">s le salut. Et
c'était !a raison dont seservait l'Apôtre quand
il exhortait les fidèles à prier pour leurs sou-
verains : iVe cessons point, disait-il, d'invo-
quer pour eux le Seigneur, afin que nous me-
nions une vie paisible dans la justice et dans
la piété. Il marque par conséquent pour
principe de l'obligation où nous sommes de
prier pour le prince , le besoin que nous
avons de cette tranquillité extérieure et pas-
sagère, non-seulement parce qu'elle est utile
à nos intérêts temporels , mais aussi parce
qu'elle est plus propre aux devoirs de notre
salut et à l'exercice des vertus chrétiennes.
De là vient que les premiers fidèles deman-
daient à Dieu qu'il donnât à leurs empereurs
des armées toujours victorieuses, un empire
florissant, des peuples fidèles, des enfants
soumis , un conseil éclairé et surlonl un rè-
gne paisible, afin que les rois et les sujets
goûtassent ensemble une parfaite félicité , et
que, affranchis des soins que donne dans la
guerre la conservation de l'Etal, les uns pus-
sent opérer leur salut dans les devoirs d'une
autorité suprême, et les autres dans les dou-
ceurs d'une inviolable obéiscancc.
Et en effet, selon l'Evangile, l'esprit de
Dieu n'aime point la guerre ni les calamités
qui en sont la suite. La loi de Jésus-Christ
est une loi pacifique : Je vous' annonce, disait
l'Apôtre, un Evangile qui bannit la discorde
et qui établit la paix. Or il entend non-seu-
lement ce repos intérieur d'une conscience
que Dieu remplit de sa grâce et de son onc-
tion, mais encore cette charité qui procure
entre les nalions une correspondance dura-
ble : car, selon la réflexion de saint Augus-
tin, s'il y a une paix temporelle que le monde
donne et qui ne dure qu'autant que durent
les intérêts de la politique, il y en a aussi une
qui est un don du ciel, qui ne dépend point
des causes humaines, qu'il accorde à notre
justice et à nos prières , et qui subsiste au-
tant que les vertus qui l'ont méritée. Dieu
est riche dans ses miséricordes : sa bonté se
manifeste souvent, malgré notre corruption,
et s'il est bienfaisant pour les hommes lors
même qu'ils sont ingrats, que ne doit-il pas
faire pour eux quand ils sont fidèles I
11 est donc vrai que la paix est la récom-
pense des bons peuples. Telles furent les bé-
nédictions du ciel sur les Israélites, sous le
règne d'un prince religieux dont le Saint-
Esprit fait l'éloge. Ils offraient sans cesse
avec piété des sacrifices au Dieu de leurs pè-
res; ils abattirenl les hauts lieux cl tous les
autels de la schismatique Samarie. Ils mirent
la cognée dans ces bois prétendus sacrés,
a<ile malheureux de la superstition et du
faux culte. Exacts observateurs des ancien-
nes traditions , ils marchaient dans les voies
de la justice et de la vertu. Quel fut le prix
d'une si constante ferveur ? La tranquillité
régna, ajoute l'Ecriture, sur tout Israël, et
l'on ne vil couler d'autre sang que celui des
viclimes immolées; la guerre ne troubla ja-
mais le repos des Juifs ; chacun vivait con-
tent à l'ombre de sa vigne et de son figuier,
et ils comptaient leurs années non pas par
le nombre de ces victoires sanglantes que
saint Augustin appelle des joies mêlées de
larmes , mais par l'accroissement et par la
graisse de leurs troupeaux, par la richesse
de leurs récoltes e! par l'opulence de leurs
familles.
David reconnaît celle vérité par son expé-
rience , et il nous l'avoue dans ses divins
cantiques. Sa piété naissante fut dans son
enfance le présage de sa gran leur future.
Tant qu'il fut vertueux sur le trône où il était
monté, son règne fut une suite continuelle de
prospérités et de conquêtes; quand il devint
pécheur, la guerre et les auires fléaux du
ciel irrité désolèrent tous ses peuples , et il
trouva jusque dans sa propre famille des
usurpateurs de son sceptre et de son royau-
me; mais quand il se convertit à Dieu, Dieu
se convertit à lui , et la profonde paix dont
Dieu couronna ses travaux militaires et son
heureuse vieillesse fut le fruit de ses larmes
et le prix de sa pénitence.
De toutes ces raisons, concluons donc que
c'est par nos vertus que nous devons mériter
la durée de la paix. Cependant, malgré un in-
térêt si pressant, quel goût avons-nous pour
la piété et pour nos devoirs? Comment par-
ticipons-nous aux sacrements? n'est-ce pas
sans préparation et presque toujours par po-
litique, mêlant dans un même jour aux mys-
tères les plus augustes de la religion le désir
du siècle , l'amour des plaisirs et l'attache-
ment criminel à la créature? Nous assistons
au saint sacrifice par coutume et par bien-
séance; avec quelques prières rapidement ré-
citées , nous pensons nous acquitter do ce
que nous devons à Dieu, el nous portons
souvent jusqu'au pied des autels la tiédeur,
l'indévotion et l'immodestie.
Conservons-nous la paix avec nos frères ?
Une parole innocente qui leur échappe et à
qui nous donnons une sinistre interprétation
nous blesse et nous indispose; nous ne vou-
lons ni rien souffrir ni rien pardonner, et
dans le même temps que nous sommes sans
prudence et sans charité pour la réputation
d'autrui , nous avons pour la nôtre une ex-
cessive délicatesse. Arrive-l-il quelque pros-
périté à notre prochain , notre amour-propre
excite noire jalousie : nous croyons que l'on
Ole à notre mérite ce que l'on donne à celui
des autres ; et , jamais contents de ce que
nous sommes, lecœur toujours rempli d'envie
et de vanité, nous nous plaignons en secret
avec amertume des injustices el des préfé-
rences de la fortune. Il est temps de finir ce
premier point, et après vous avoir convain-
cus que vous «levez obtenir la paix par vos
vertus, il me rcsic à vous prouver que vous
1019
OUATEIUS SACRES. L>L NESMOND.
1020
devez la procurer par vos secours : c'esl la
seconde partie de co discours.
SI' n M. POINT.
il n'y a point de plus grande preuve de
l'obligation de rendre aux rois ce que nous
leur devons cl de contribuer aux nécessités
publiques de l'Elat, que la manière dont l'a-
pôtre saint Paul explique celle vérité dans
celle divine Epîlre où il nous découvre Ie>
ni} stères lie la religion et les principes de la
morale chrétienne. Il n'y a point de matière
qu'il ait traitée avec plus d'étendue que celle
dont je vais parler: il nous assure que la paix
et le repo3 des consciences, la félicité des
Etals, la sûreté même du culte divin, roulent
sur le ministère des princes et sur le zèle des
sujets. lit l'apôtre saint Pierre, après nous
avoir recommandé de craindre Die.i et d'ai-
mer nos frères, ajoute d'honorer les rois,
comme s'il y avait dans ces trois devoirs une
égalité d'obligations et de préceptes.
Or, la nécessité de concourir aux besoins
publics par nos subsides, qui sont comme la
marque et L'hommage de notre dépendance,
esl fondée sur trois raisons : la religion nous
l'ordonne, l'intérêt de l'Etal nous y engage,
noire propre sanctification l'exige de nous;
devoir par conséquent de religion, conserva-
lion de l'Etal, moyens do sanctification et de
pénitence : trois courtes réflexions que j'ai à
vous proposer, moins pour votre instruction
que pour votre éloge. Votre fidélité , qui se
signale toujours par de nouveaux efforts, ne
laisse rien à faire à mes paroles; et je ne viens
pas exciter votre zèle , mais vous en faire
connaître loul le prix et loul le mérile.
Je dis donc en premier lieu que la religion
nous ordonne de secourir les princes et l'Etat
dans leurs besoins; et c'esl la raison dont se
servait Tertullien , lorsqu'il répondait aux
reproches que faisaient les païens aux pre-
rniers fidèles : Vous nous accusez, leur di-
sait-il, d'avoir un esprit d'indépendance pour
nos maîtres el une indifférence criminelle pour
les nécessités de la patrie. Vous vous trompez:
les empereurs n'ont point de soldats plus vail-
lants (/ue nous, ni de sujets plus fidèles. Les
légions chrétiennes sont invincibles , parce
qu'elles sont animées par les ordres du Dieu,
qu'elles adorent et par les principes de la foi
qu'elles professent. Mous payons nos tributs
avec joie et nous sacrifions notre vie avec cou-
rage. Pendant que les uns répandent leur sang
dans les occasions de la guerre, les autres,
renfermés dans les soins d'une administration
domestique , tin nt île leur économie et de leur
substance des fonds pour les nécessités de l'E-
tat. Nos princes sont encore plus les maîtres
de nos cœurs que de nos fortunes, et votre /<-
délité, qui n'est en vous que l'effet de la politi-
que , est en nous un devoir de religion et un
article de notre croyance (1).
(l) On a déjà pu remarquer que mire orateur, dans loi
divers dis ours prononcés devant les Etats de Languedoc,
ayant ï traitera peu près les mêmes matières, c'est-à-dire
les biens et lea avantages de la paix, les malheurs et toa
calamités de la guerre , I» soumission due aux puissances
de la terre, etc., etc., revient plusieurs fois sur ses pro-
El eu effet la lui de Jésus-Christ seule ura-
\e dan- le cn;ur d' s fidèle! les vr <is earactè—
ics de. la soumission aux puissances établies
de Dieu. Loi busses religions a'inspimnt
qu'une dépendant e servile < i ini olontaire, et
la politique humaine esl le principe de la fi-
délité de leurs sectateurs. La chair el le sang
ne relèvent [«oint les motifs de l'obéissance
chrétienne. Les Romains n'étaient si jaloux:
de la gloire de leur pairie que parce q l'ili
voulaient être les maîtres des autres nations;
leur zèle était la suite de leur vanité, et c'est
par celle raison que saint Paul dirait à tous
les chrétiens de son temps qu'ils devaient
servir leurs princes par 1 esprit de leur reli-
gion, el leur obéir non pas parla traiule
du châtiment, mais par le devoir inviolable
de leur conscience.
De là vient que le même Apôtre nous ap-
prend que les rois sont les ministres duSei-.
(jwur: car, quoique Dieu soil le cliel invi-
sible de l'univers, il leur en confie, non par
besoin, m is p.ir sagesse, I' drnuistration et
la police; afin que, revêtus de la puissance
qu'il leur commet, ils maintiennent dans
leurs Etals l'ordre et le repos, que la < upi-
dilé pourrait troubler: pouvoir qui n'e-t pas
fonde par conséquent sur un < ta' lissement
humain, ni sur la loi du plus fort, ni -ur les
qualités personnelles du plus vertueux, mais
sur l'institution de Dieu seul. Ainsi qui ré-
siste aux princes résiste auxordris même du
ciel; el leur autorité est une vocation divine,
qui doit être le inolif de noire zèle, comme
elle esl la source et l'origine de leur puis-
sance.
Or la contribution aux nécessités publi-
qu s de l'Etal est une suife de nolTe dépen-
dance et un de ces devoirs essentiels que
nous prescrivent I Evangile et la religion;
et saint Grégoire pape remarque que lors-
que Samuel, selon les ordres de Dieu, plaça
Saùl sur le trône d'Israël, les Israélites pieux
et dociles adorèrent la vocation du Soigneur
dans la personne du roi, el que les seuls en-
fants de fiélial, c'est-à-dire les ennemis do
la loi, des hommes vains el orgueilleux, des
libertins de cœur et d'esprit, si pernicieux
au bien public, refusèrent de s'y soumettre
et d'apporter les dons qui elaienl du- à la
souveraineté de ce nouveau prince : Filiive-
ro llelial despexerunl eum , el non atlulerunt
ei munera.
C'était ainsi que les Juifs se regardaient
comme exempts de tout subside, et croyaient
faussement que la liberté des enfanls d- Dieu
étant un privilège d'exemption et d'indépen-
dance. Sur ce prétexte, les pharisien de-
mandèrent à Jésus-Chrisl: .Voit* est-il permis
de payer le tribut ? Ils voulaient, par une
quesliun si maligne el si concertée, le sur-
prendre dans ses paroles et le commettre ou
avec l'empereur ou avec Herode. Il connut
près Idées, el répète les passages >ie> .an. r- auxquels il
emprunte. Ainsi, la citation de Tertuttien qu'un vient de
lire se i ouve d< a alléguée dans l'un des •
deuis. Nous avons cru de luire nous- 1
i , | itiuoos, |i ur ne pas nuire à l'ensemble de ces discours
el a l'euclialueiuuul des idées qui les couiposeul. (Lon.)
1021
DISCOURS IV POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC.
102$
leur artifice et ne ménagea point leur mali-
gnité: Hypocrites! pourquoi me (entez-vous?
Et comme il était venu sur la terre pour en-
seigner les voies de Dieu dans la vérité:
Vous devez à Dieu, leur répondit-il, puis-
que vous êtes ses créatures; mais vous de-
vez aussi à César, puisque vous êtes ses tri-
butaires.
Il voulut même ajouter à sa parole divine
l'autorité de son exemple. Quoique par sa
divinité il lût le maître de tout l'univers,
quoique par son humanité sainte il fût sorti
d'une longue suite de rois, il n'en fut pas
moins ;<'Ssujetli aux puissances de la terre et
aux lois communes de sa pairie. Sa conduite
est le motif de notre imitation. 11 paya
le tribut à l'exacleur. Il tira du fond de
la mer de quoi fournir aux nécessités
de l'Etat, et, dans l'impuissance où le met-
tait sa vie pauvre et humiliée, il suppléa à
sa pauvreté par un grand miracle.
Aussi le Sauveur du monde appelle les
subsides une délie : Beilde quœ sunt Ctesnris.
Ce n'est donc pas seulement un hommage
que votre naissance exige de vous, ce n'est
pas une libéralité purement gratuite que
vous inspire votre fulélilé, ce n'est pas un
joug que le pouvoir des princes impose à
leur gré sur la fortune de leurs sujets, ce
n'est pas seulement un don qu'.ittcnd de vous
la conservation du royaume et que vos pri-
vilèges rendent volontaire, c'est aussi une
dette dans toute la rigueur de la justice, en
premier lieu parce que Dieu, étaul le Sei-
gneur et le dispensateur suprême de vos
biens, en a voulu réserver sur vous une
portion pour les nécessités de l'Etat, et eu
second lieu parce qu'étant membres d'une
même patrie vous devez en aimer la gloire
et en partager en commun tous les besoins,
et que, dans les règles de l'équité et de la
conscience, malgré l'amour-proprc, qui ne
sent que ses avantages personnels, le bien
public et le bien particulier ne sont jamais
qu'une même chose.
Vous pratiquez ces préceptes, Messieurs :
plus vous êies libres , plus voire fidélité
se signale dans vos dons. Vous consultez
bien plus votre zèle que ^olre pouvoir. Celte
liberté, qui autrefois, dans les temps diffici-
les et oubliés, était le prétexte delà faction
et de la cabale, est à présent par volve sou-
mission la source de votre mérite. Vous
avez même prévenu les désirs du prince OU
pour conserver une heureuse paix, ou pour
soutenir une guerre dont la colère de
Dieu nous menace. L'Italie a déjà vu les
premières hostilités : les ennemis ont eu l'a-
vantage que donne le nombre, nous avons
eu la gloire qui suit la valeur ; si nous n'a-
vo s pu vaincre, nous avons su nous faire
craindre, et c'est à notre protection et à nos
armes qu'un pays ilepuis longtemps affran-
chi de la servitude et de l'oppr mon va de-
voir aujourd'hui sa conservation et sa dé-
fense.
Mais s'il y a des citoyens zélés, combien y
(i) Cm pensées el plusieurs le tuliai qfal vont suivre
onnîejd été premthia» duas le» riincoan juéeôUenLs ai
en a-!- il qui, quoique riches, parlent tou-
jours des malheurs des lemps, des besoins de
l'Etat et de la décadence de leur affaires ; qui,
dans les plaintes qu'excite leur intérêt, re-
grettent le passé, s'affligent du présent et
s'inquiètent pour l'avenir; qui, dans les sub-
sides que l'on impose, feignent au dehors de
murmurer du poids que porlent les p îuvres,
et ne s'iméressent en secret que pour eux-
mêmes, faisant ainsi de leur compa sion le
prétexte de leur avarice; qui, politiques in-
téressés, ne sont jamais contents ni des
prospériié; de la guerre, ni des conditions
de la paix ; qui veulent pénétrer dans le con-
seil des rois, et consacrer sans lumière el
sa '.s raison le gouvernement et le ministère;
qui, dans les contributions publiques, disent
sans cesse qu'ils sont trop chargés et mur-
murent de l'injustice des laxateurs, et qui
souvent, au milieu de toutes les commodités
de la vie, se plaignent encore que l'on Ole à
leur nécessaire ce qui n'est pourtant qu'une
modique portion de leur opulence et de leurs
richesses !
J'avoue que les temps sont mauvais et
peuvent le devenir encore davantage, que
la cessation du commerce rend nos plus ri-
ches récoltes inutiles et même onéreuses ,
que nos moyens diminuent tous les jours et
que nos ressources sont épuisées, que la
langueur el que l'impuissance sont non-
seulement universelles, mais aussi presque
ii réparables, qu'à peine avons-nous goûté
les douceurs d'un repos si nécessaire au bien
public, et que, dans les nouvelles dépenses
où nous engagent les desseins et les efforts
de nos ennemis, la paix incertaine dont nous
jouissons encore n'est guère moins à charge
ni moins ruineuse que la guerre même.
Or, pour qui surtout les temps sont-ils
mauvais? n'est-ce pas pour c s malheureux
qui, portant, tout le poids du jo:r et de la
chaleur, n'ont pour ressou c ■ que leur tra-
vail et leur industrie ; qui, viclim s innocen-
tes des malheurs de la guerre, perdent quel-
quefois dais un moment, par la main du sol-
dat et de l'ennemi, plusieurs récolles dans
une seule; qui, s'épuisant pour les besoins
de l'étal, ne moissonnent que pour acquitter
leurs subsides ;qui cultivent par leurs sueurs
el par leur peine une terre avare sans en
recueillir les fruits, el à qui l'on peut appli-
quer ce que dit saint Augustin, que, pen-
dant que les uns, aisés et opulents dans les
villes, suivent le penchant de leurs convoi-
tises, suites funestes du péché du premier
ho une, les autres, dans les tribulations et
dans les fatigues de la campagne, semblent
ici-bas en porter toute la malédiction et
toute la peine (I î
Mais combien y en a-t-il parmi vous qui
sont avares quand il faut contribuer aux né-
ce sites de l'Etal, el qui ne sont que trop
prodigues quand il s'agit d'entretenir leur
faute ou fournir à leurs plaisirs ! L'un, ou-
bliant sa condition, dément la frugale sim-
plicité de ses pères, el dévore en peu d'an-
tennes absolument identiques. Voir la note ci-ilcssus, col.
1019. (Iii)iT.)
It83
ORATEURS SACHES. DK NESMOSk
1"j:4
nées, par un luxe aussi ridicule que crimi-
nel, le bien que la sagesse el l'économie de
ses aïcu\ avaient acquis. L'autre se ruine
en maisons superbes, en bonne clière, en
ameublements, et dépense avec profusion ce
qu'il avait peut-être acquis avec injustice.
Où ne va point aujourd'hui l'amour du jeu,
dans le temps même que l'on se plaint du
poids dos impositions ? Ce n'est plus un amu-
sement tranquille et passager, c'est un em-
portement, une fureur. L'avarice en est le
motif; le murmure, l'impatience el quelque-
fois le blasphème en sont les suites, et la
fin est la destruction entière des familles.
Les femmes mondaines y passent les jours el
les nuits, et n'épargnent rien pour satisfaire
celte lyrannique passion, pendant qu'elle s re-
fusent à leurs domestiques el à leurs enfants
les secours les plus nécessaires de la vie hu-
maine. Elles ruinent leur bien, leur santé,
leur réputation, avides dans le gain, incor-
rigibles malgré les pertes qu'elles font, et
quelquefois criminelles par les honteuses
ressources dont elles se servent pour les ré-
parer. Vous ne vous entretenez que de la
diminution de vos biens cl de la difiicullé de
subsister; mais les besoins de l'État vous
coûtent-ils ce que vous coûtent vos passions
et votre mollesse? Et pourquoi rejetez-vous
sur les subsides que vous payez le désordre
de vos affaires, qui est plutôt la suite des
folles dépenses qui vous épuisent et qui vous
consument ?
En second lieu, l'intérêt de l'Etat nous en-
gagea le secourir: seconde réflexion. C'est
ainsi que s'en explique saint Augustin.
Comme il y a, dit ce Père, une charité qui
nous rend attentifs aux besoins des pauvres,
qui fait de nos richesses, qui sont d'ordi-
naire les aliments de notre cupidité, les
moyens de notre salut; qui, lorsque la mi-
sère est pressante, retranche non-seulement
sur noire opulence, mais aussi sur notre
pauvreté, et qui détruit tous les prétextes
que suggèrent notre indolence et notre ava-
rice, pour dispenser d'un précepte si précis
et si répété dans l'Ecriture, il y a aussi, con-
tinue ce même Père, une charité de citoyen
et de sujet, qui nous intéresse à la gloire et
â la conservation de la pairie, qui nous fait
regarder la fortune de l'Etat comme une por-
tion de la nôtre, qui soutient notre zèle dans
l'espoir d'un avenir plus heureux, qui opère
en nous la patience dans l'épuisement même
de nos moyens, cl qui est d'autant plus im-
portante qu'elle pourvoit aux nécessités pu-
bliques, qu'elle prévient des malheurs uni-
versels, el qu'elle comprend dans l'étendue
de ses motifs el de ses elïets le bonheur et la
tranquillité de tout un royaume.
Ainsi, quoique celle charité n'ait qu'un
objet terrestre et passager, par exemple la
gloire de l'Etal, la durée de la paix, notre
repos temporel, cependant le motif du bien
public la sanctifie en quelque façon. No>
contributions, consacrées par notre inten-
tion et par l'importance de l'usage, sont pré-
cieuses aux yeux de Dieu. Les efforts que
nous faisons du fond même de noire pau-
vreté nous sont imputés a mérite, el ces
biens que nous sacrifions pour la défense du
royaume, tout matériels qu'ils sont par eux-
mêmes, acquièrent, par ce précepte du Sei-
gneur et par la considération des avantages
de la patrie, un caraclère de consistance et
de spiritualité pour la perfection cl pour
l'ouvrage même de noire salut.
Tels étaient les sentiments du peuple juif
sous le gouvernement de Judas Machabéc.
Les ennemis, disait-il à son illustre chef,
nous menacent de toutes parts : mais la
sainte cité, le lemplc de Dieu et la religion
ne seront point la victime de leur jalousie.
11 est juste que les bien; que nous avons
rec.us de la bonté du Seigneur retournent
aux usages que sa providence prescrit. Le
Dieu de la \ icloire nous dédommagera de nos
contributions par nos prospérilés. Pour ac-
quérir une paix durable, il faut faire crain-
dre notre valeur et notre puissance. Et c'est
sur ces principes que l'Eglise de France
vient de signaler sa fidélité. Malgré les se-
coursimmensesqu'elle a fournis dans la der-
nière guerre, elle a encore depuis peu de
jours déposé aux pieds du prince les débris
de ses efforts passés et les Iristes restes de
son indigence; et elle a cru que s'il était
glorieux aux autres sujets de mourir pour
la cause publique, il était honnêle el même
méritoire aux ministres de Jésus-Christ de
s'épuiser pour la patrie.
Et en etfet, trois raisons, dit encore saint
Augustin, doivent consoler ceux qui souf-
frent et exciter votre zèle dans les impôts
extraordinaires que requiert quelquefois
l'importance des occasions : premièrement,
quand ils cessent avec la cause qui les a
produits : or la parole royale n'cst-elle pas
le gage de la fidélité? et le passé nous ré-
pond de l'avenir; secondement, quand l'em-
ploi est utile au bien publi \ el en ce point
j'en atteste votre équité et je m'en rapporte
à vos connaissances: troisièmement, quand
le motif en est aussi juste que nécessaire.
Avons-nous recherché la guerre dont on
nous menace ? avions-nous pensé à la révo-
lution présente, et pouvions-nous la prévoir
ou la préparer? Si Dieu, selon ses anciennes
miséricordes, verse sur nous ses bénédic-
tions, et si dans ses décrets il a résolu de
couronner tous nos princes, faut-il que no-
tre bonheur offense tant de potentats? est-il
juste que la France soit si souvent attaquée,
parce qu'elle est heureuse el puissante ? et
ne pouvons-nous acheter la correspondance
et l'amitié de nos ennemis qu'au prix de nos
intérêts et de nos portes?
Le monde entier jouissait de celte heu-
reuse paix, que Dieu avait enûn accordée
aux pri res des gens de bien et à celte por-
tion d'élus qu'il se réserve toujours, mal-
gré la corruption du siècle. L'Europe soupi-
rail dans le souvenir de ses malheurs pas-
sés, el se consolait par l'espoir d'une tran-
quillité permanente. Rien ne paraissait plus
pouvoir troubler la sérénité des beaux jours
que le ciel nous avait rendus, lorsque la
mort enleva un jeune monarque à qui une
1025
DISCOURS IV POUR L'OUVERTURE DES ETATS DE LANGUEDOC
1026
santé toujours languissante n'avait jamais
permis de régner ni presque de vivre; Dieu
nous a fait voir ce qu'il nous dit si souvent
dans ses saintes Ecritures, qu'il brise- les
sceptres quand il lui plaît, qu'il dispose des
rois et des royaumes, qu'il transporte les
couronnes au gré de ses désirs, et que les
princes, tout grands qu'ils sont sur la terrée,
ne sont à ses yeux qu'un plus noble à la
vérité, mais un plus humiliant amas de pous-
sière.
L'Espagne avait besoin d'un roi formé sur
la modèle et sous les yeux de Louis. Le droit
successif, la dernière volonté d'un roi mou-
rant et le désir des peuples ont appelé le
prince que la Providence lui a donné. Dieu
a fait son auvre par sa miséricorde, et il la
soutiendra par sa puissance. Le roi qui a
tant de fuis sacrifié ses intérêts à la tran-
quillité de l'Europe pouvait-il négliger les
droits de son auguste famille? Equitable,
même pour ses ennemis, n'aurait-il été in-
juste que pour son propre sang ? Tout autre
traité ne devait-il pas céder à des titres et si
sacrés et si légitimes? Et dans cet événe-
ment si glorieux au nom français, qu'a fait
le monarque qui nous gouverne, que de res-
pecter la vocation du ciel, et de suivre
moins l'attrait flatteur d'une gloire humaine
que les règles de sa conscience et de sa jus-
lice?
Dieu a manifesté sa volonté par l'expérien-
ce. Les vœux de l'Espagne sont accomplis,
et la gloire de son nouveau roi surpasse en-
core la renommée. Dès les premiers jours de
son règne il montre des vertus inconnues
depuis longtemps dans ce vaste empire, l'ac-
tivité, l'ordre, l'application et la prévoyance.
Déjà commencent à renaître parmi ces peu-
ples abatlus l'ardeur et l'émulation qui ren-
dirent cette monarchie si florissante. Ce prince
rappelle chez ses sujets, étonnés et comblés
de joie, le souvenir de ces deux empereurs
que l'Espagne donna à l'ancienne Rome; il
fait connaître à toute la terre, par les mer-
veilles de son gouvernement , que c'est en
France aujourd'hui que l'on apprend l'art
de régner et que se forment des rois dignes
de l'être; il fait voir enfin, sur le trône où la
Providence l'a fait monter, un prince fait
exprès de la main de Dieu pour commander
à une nation si noble et si belliqueuse.
Telle est aujourd'hui la face de toute l'Eu-
rope. Quel en sera l'événement? Dieu lésait
et nous l'ignorons. Dans ce grand nombre
de potentats, les uns se préparent à attaquer,
elles autres à se défendre; ceux-ci forment
des alliances convenables à leurs intérêts et
à leur passion, ceux-là, dans une exacte
neutralité, pensent à sauver leurs pays des
malheurs et des calamités de la guerre.
Toute la terre, attentive et dans le silence,
attend que Dieu s'explique sur sa destinée.
Pour nous, nous dirons avec le prophète-roi :
Nos ennemis s'assurent sur leur multitude, et
nous nous confions en la vertu du Seigneur. Ils
font des ligues injustes, dont ils ont reconnu
tant de fois l'inutilité, et nous avons aussi
des alliés puissants cl fidèles. Ils s'assem-
blent pour contenter leur jalousie, et nous
combattrons pour soutenir la justice. Ils
s'épuisent pour nous vaincre, il est juste
que nous fassions des efforts pour les re-
pousser. Dieu ne confondra point nos espé-
rances, parce que nous croyons en lui, et,
dans une suite continuelle de prospérités, il
sera encore pour nous notre soutien, notre
gloire et notre couronne.
Mais méritons-nous la durée de la paix
par notre vertu? et qu'aperçoit-on aujour-
d'hui parmi les chrétiens, 'qu'une entière
négligence pour notre salut? On vole sans
cesse d'amusement en amusement ; un plaisir
sucièdc à un autre. 11 n'est que trop vrai, ce
que dit saint Jean, que tout n'est ici-bas que
concupiscence de la chair ou orgueil delà vie;
cependant la figure du siècle passe, l'éter-
nité s'approche insensiblement pour chacun
de nous. La perle inespérée d'un prince vail-
lant dans la guerre, aimable dans la paix, et
que Dieu vient d'ôter à la France, nous ap-
prend que la gloire, les dignités, une floris-
sante santé et l'amour des peuples ne sauvent
point la fatalité de la mort; et notre expé-
rience nous fait sentir tous les jours que rien
n'est sûr, que rien n'est solide sur la terre,
que de servir Dieu , que de travailler à
son salut, et que d'opposer au torrent des
passions humaines les sentiments du chris-
tianisme et les instructions secrètes de noire
conscience.
En troisième lieu les subsides doivent être
le principe de votre pénitence, dernière ré-
flexion, que je Gnis en peu de mots. En effet,
Dieu met d'ordinaire une espèce de rapport
et d'égalilé entre le péché que l'on a commis
et la punilion qu'il exerce sur le pécheur.
Vous avez noirci votre prochain par vos mé-
disances, il permet que l'on attaque votre
réputation par la calomnie. Vous avez sacri-
fié plusieurs enfants à l'élévation d'un aîné,
il vous enlèvera ce fils, l'idole de votre cœur
et l'espérance de votre famille. Vos sens ont
servi à l'iniquité, vos sens seront punis par
des maladies longues et humiliantes. Vous
avez employé vos biens à la vanité, au plai-
sir, à l'amour du monde; un procès, un con-
tre-temps, le poids des subsides diminueront
vos. moyens et votre fortune. Ainsi Dieu,
vengeur de ses miséricordes négligées, par
une proportion de châtiment nous punit sou-
vent par la privation de ce qui avait été la
matière et l'occasion de notre malice.
Or, nos afflictions qui viennent de la main
du Seigneur sont destinées à trois usages : à
châtier le péché, à convertir le pécheur cl
à apaiser Dieu ; elles punissent le péché,
parce que ce sont des châtiments ; elles con-
vertissent le pécheur, parce que ce sont des
grâces ; elles apaisent Dieu , parce que co
sont des satisfactions. Ainsi c'est l'intention
de Dieu que vous mettiez à profit pour votre
salut vos tribulations, vos amertumes, vos
subsides, et que vous soyez aflligés uou pas
de celte tristesse oui produit la mort, mais
de celle qui opère la componction et la péni-
tence.
C'.élail dans celcsprild'huutilialioncldc cou-
in-27
formilé aux ordres du ciel que Job é'ail heu-
reux au milii'U des malbeUM 1rs [tins tu is.i nls
delà i le humaine; que Dav ida'appliquaitdans
le repentir ci dans loi larmes les châtiments de
la colère de Dieu ; que saint Paul, dan» ses ten-
tations et dans ses souffrances, disait : Su/jcr-
nbundo gawlio in omni tribulaiitnê nostra :
Je suis i empli de consolation et de joie, ma -
gré mes infirmités et mes travaux. De là vient
que ce qui est souvent la punition du pi ché
peut nous servir pour le réparer, et que, tant
<|ue nous sommes sur la terre, les jn
mêmes de Dieu sont pour nous des miséri-
cordes.
Cependant travaillons-nous à profiler des
grâces que le Seigneur nous fait pour nous
désabuser des attraits du monde? Nous deve-
nons pauvres, mais en sommes-nous meil-
leurs? Les temps sont mauvais et nous gé-
missons, mais corrigeons-nous nos mœurs
el notre conduite? Combien y a-t-il do gens
(]ui passent toute leur vie dans de grands
crimes, dan» l'impureté, dans l'adultère, dans
l'abus des sacrements, dans les sacrilèges,
et qui, amassant sur leur tète les trésors de
la colère de Dieu, meurent dans les présages
(je leur réprobation , dans les horreurs de
i'impénitence !
Ceux qui évitent les grands désordres ne
vivent-ils pas dans l'oisiveté el dans la pa-
resse pour leur salut? Suffi t-il de ne point
être scandaleux, et est-il permis d'être inu-
tile? Il faut pour se sauver remplir ses jours
de bonnes œuvres, contraindre ses 'humeurs,
prévoir la tentalion , attaquer sa passion
dominante jusque dans sa source el dans son
principe, résister ;:ux mauvais exemples,
sanctifier un lemps précieux, qui s'écoule si
promptcrnenl el dont le prix est l'éternité,
par la pratique constante et fidèle des de-
voirs du christianisme. Tout cela ne se fait
point sans effort, et nous le savons par l'o-
racle du Saint-Esprit, que le ciel ne s'ac-
quiert qu'avec travail et avec volonté.
Seigneur, protégez le paya dont nous ve-
nons régler le sort et les intérêts ; donnez-lui
la rosée du ciel et la graisse de la terre. Sur-
tout conservez ce roi auquel votre provi-
dence nous a soumis. Qu'il vive! et c'est as-
sez pour notre bonheur. \ ellez sur ce fils
auguste, la seconde espérance de ce royaume,
et ne permettez plus que nous tremblions
pour des jours si précieux à toute la France.
Faites vivre dans votre grâce les deux jeunes
princes que nous avons vus depuis peu de
temps honorer nos provinces par leur pré-
sence, et s'atlirer les hommages, l'amour et
l'admiration d • tous les peuples : l'un sera
dans un avenir lointain la félicité d.- nos ne-
veux, et l'autre fera la gloire de quelque n i-
tion qui le couronnera. Versez vos bénédic-
tions sur celle auguste assemblée ; sanclifiez-
r.ous par voire esprit et par votre grâce, afin
que nous puissions régner un jour avec vous
dans la gloire, que je-vous Souhaite, au mia)
du Père, du F41s el du Saint-Esprit. Ainsi
suit-il.
oit \ j r i us SACRES. DE NESMOND. I0M
LBTTBI PASTORAL!
De M. de Neimond ■ Montauban,
aux nouveaux catholiques de son dto*
lli nui de Ni sviovh, par !a miséricorde de
Dieu et par la grâce du saint-siéu'e apostoli-
que, évêqucet seigneur de Montauban, con-
seiller du roi en tous ses conseils al en son
parlement de Toulouse, aux nouveaux ca-
i Indiques de notre diocèse, salul et henédie-
tion en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Depuis que la Providence nous a appelé
au gouvernement de ce diocèse, sous le poids
duquel nous gémissons tous les jours en se-
cret devant Dieu, nous avons cru que notre
principale vocation élaitde travailler, autant
qu'il nous serait possible, à vous fortifier
dans la loi que vous avez embrassée, de vous
i n'Ier comme l'objet le plus important de
notre sollicitude pastorale , el d'imiter le
Pasteur de la parabole de l'Kvangile, qui sem-
ble oublier quatre-vingt-dix-neuf brebis fi-
dèles et soumises, pour chercher d.ms !
turages étrangers la centième, qui se perd et
s'égare.
Après le grand événement de la réunion
que la piélé du roi el les soins de notre illus-
tre prédécesseur procurèrent dans cette v - i lie
par une délibération publiqu • et unanime,
on avait espéré, mes Irès-che s frères, que
votre foi, encore nouvelle, croîtrait avec le
temps; que votre persévérance sciait l'édi-
fication de l'Eglise, dont vos pères étaient
sortis ; que l'on verrait entre les anciens et
les nouveaux catholiques une sainte émula-
tion de zèle et de bonnes rruv res, et qu'après
avoir été sur la lerre notre joie, noire espé-
rance, vous seriez un jour devant Dieu no-
tre gloire et notre couronne (I Tktês , 11).
Je sais qu<> parmi vous il y en a quelques-
uns qui n'ont jamais démenti les prou,
de leur conversion, qui no s édifient par leur
piété et par leurs exemples, qui ré puissent
le ciel et la lerre dans une constante appli-
cation à tous leurs devoirs, qui ne se distin-
guent des anciens fidèles que par une vie
plus pieuse el | lus régulière, et qui, malgré
les mauvais exemples de leurs frères errants,
bénissent en paix et dans l'amour du Seigneur
le jour qu'ils ont été régénérés à la vérité et à
riiglisc.
Mais je sais aussi, mes Irès-chers frères,
que plusieurs ont bientôt trompé uolre at-
tente. Les agitations de l'Europe, lincerli-
tude des événements et les mauvais conseils,
certaines espérances secrètes qui séduisaient
voire cœur, oui diminué voire première fer-
veur. Vous avez néglige la grâce de voire
conversion, el elle s est insensiblement rel-
iée de vous; el telle est votre indifférence
pour tous les exercices de notre reli-
que, dans la douleur d'un si grand relé< h -
ment, nous disons souvent à Dieu ce que di-
sait autrefois le prophète Isaïe : Mais vous
z pas augmenté notre joie (/se., IX).
A Dieu ne plaise, m s tiès-chcrs li
que j'attribue à l'opiniâtreté de vos esprit!
eu à la dureté de vos casera l'opposiliou u te
vous avez encore contre les dogmes te \k%
LETTRE PASTORALE AUX NOUVEAUX CATHOLIQUES DE MONTAUBAN. K'30
1029
glise catholique. Je n'ignore pas que les pré-
jugés de la naissance se détruisent avec
peine et renaissent avec facilité. II y a dans
la foi, comme dans les mœurs, des chutes,
des tentaiions, des vicissitudes; il en coûte
toujours beaucoup quand il faut rompre les
nœuds qu'ont serrés l'éducation et la cou-
tume, cl c'est ce qui faisait dire à saint Au-
gustin , qu'après la persévérance finale , le
bienfait le plus important de la miséricorde
de Dieu c'est celui de nous faire naître dans
la communion de la vraie Eglise.
Mais le temps est venu que vous devez
vous réunir à l'Eglise catholique sans délai
et dans la sincérité de vos cœurs. Pourriez-
vous demeurer toujours sans culte et sans
exercice? et ne sentez-vous point les cla-
meurs intérieures de votre conscience? Dé-
nués de tous les secours nécessaires à votre
sanctification, trop éclairés pour compter dé-
sormais sur des événements favorables à vos
anciennes prétentions, o# vous direz-vous
point à vous-mêmes : Voyons si la religion
catholique est teile que nos ministres nous
l'ont dépeinte, et ne pouvons-nous point faire
notre salut dans cette communion, où nos
aïeux ont fait le leur avant la séparation ?
Serez-vous sans cesse, mes très-chers frères,
ou prévenus ou incertains? D'autant plus
coupables que plusieurs parmi vous con-
naissent nos saintes vérités et n'osent les
professer en public par une fausse honte qui
les retient ; et que d'autres, jeunes encore el
mal instruits, ne sont ni catholiques ni pro-
testants, et déterminent leur religion sur les
seules inspirations de leurs amis el de leurs
familles.
Tout vous engage à vous éclaircir et à
vous instruire. La triste el funeste indolence
où vous vivez, et dont l'oubli de Dieu et le
dérèglement des passions humaines sont
toujours la suite; l'intérêt de votre salut, la
situation où vous vous trouvez, les larmes
elles gémissements de l'Eglise, votre mère,
vous invitent à celte douce et sainte unité,
qui est le prix du sang de Jésus-Christ, et
qui nous est recommandée dans son Evangile
comme l'obligation la plus importante de tous
les fidèles.
Outre ces motifs, ne serez-vous point enr-
core sensibles aux bontés d'un roi beaucoup
plus grand par sa piété que par ses conquê-
tes? Il vous appelle à une sincère réunion
par ses édits, par sa douceur et par ses bien-
faits; il a arrêté le cours de ses victoires pour
ne songer qu'au progrès de la véritable re-
ligion ; il veut étendre par son zèle l'Eglise
qu'il édifie par ses exemples; el dans le sein
d'un noble repos, il ne s'occupe que du sa-
lut de ses sujets, après avoir établi leur fé-
licité temporelle par la paix qu'il leur a
donnée.
Quand je vous demande, mes très chers
frères, pourquoi vous demeurez éloignés de
nous, je ne fais que prévenir ce que Jésus-
Christ vous dira datll ce moment terrible où
il vous demandera compte de votre vie. C'est
le principal article sur lequel vous serez .ju-
gés. Les préventions, les respects humains,
les déguisements et les faux prétextes ne se-
ront point d'usage dans ce grand jour; vous
ne serez plus opiniâtres ni prévenus impuné-
ment. Malgré les noms spécieux d'évangéli-
que et de réformé, dont se flatte votre mal-
heureuse crédulité, il faudra répondre sur la
séparation des proteslanis ; et le jugement
que vous porterez en cette vie de l'Eglise de
Jésus-Christ sera la règle de celui que Jé-
sus-Christ portera de votre sort pour toute
l'éternité.
Je dis que la séparation de vos pères a été
injuste, puisqu'il ne peut jamais y avoir de
raison légitime de rompre l'unité ; c'est !e
principe de saint Augustin (Contr. Parm.,
lib. ii, cap. 2). Et pourquoi donc !es pre-
miers réformateurs l'onl-ils divisée? Si leurs
motifs eussent élé sincères et leurs inten-
tions droites , ils se seraient adressés à l'E-
glise , selon le précepte de l'Evangile ; ils
lui araient représenté les raison et les abus
dont ils se plaignaient, et ils devaient se sou-
mettre à ses décisions. Ils avaient appelé à
Nuremberg au fulur concile en 1530, et ils
pouvaient suivre leur appel, lorsque le con-
cile de Trente fut assemblé. On leur donna
dans cette vue un sanf-conduit dans une
forme très-ample et très-authentique ; mais
ils le refusèrent sur de vains prétextes. Leur
première démarche fut la séparation ; ils
quittèrent la communion de l'Eglise avant
qu'elle les eût chassés ; et ces esprits inquiéta
et ennemis de l'obéissance et de l'ordre, par
l'i iée d'une vaine réformalion , consommè-
rent le schisme et rompirent l'unité.
Que n'imilaient-ils la conduite de saint
Cyprien ? On sait les différends qu'il eut avec
le pape Etienne ; il s'agissait entre eux d'une
cause très-importante et qui intéressait toute
l'Eglise. L'un soutenait la vérité avec zèle et
avec courage, l'autre la combattait avec bonne
foi et avec charité. Les lettres qu'ils s'écrivi-
rent mutuellement furent vives et animées ;
cependant leurs cœurs furent unis, malgré la
différence de leurs sentiments. Saint Cyprien
ne rompit jamais les nœuds sacrés de la com-
munion ecclésiastique ; il respecta toujours
la personne, la sainteté et la primauté d'E-
tienne; et, après avoir été, selon l'expression
de saint Augustin , le défenseur de l'unité de
l'Eglise (Lib. de Unit. Eccles.) par ses écrits
et par ses exemples, il fut le marlvr de la vé-
rité.
Si vous me demandez, mes très-chers frè-
res, quelle est cette Eglise dont il n'esl per-
mis dans aucun cas de se séparer , je vous
répondrai ce que dit saint Augustin : Quand
je mettrais ù part la sagesse el la connaissance
de la vérité, que les hérétiques ne croient pas
être dans l Eglise catholique, il y a beaucoup
de motifs qui me retiennent dans son sein avec
ruison. Le consentement des peuples et des na-
tions m'y confirme; l'autorité, commencée pil-
les miracles, nourrie par I espérance, augmen-
tée par la chariié, m'y retient; la succession
<les évéqurê depuis le siège même de l'apôtre
saint > ierre, à qui le Seigneur a donné la
charge de paître h s brebis, jusqu'à l'épiscopat
de celui qui l'occupe maintenant, m'y attache
1(131
OKATEIJItS SACRES. DE NESMOND.
onore; enfin j'y suis retenu ]>tu le nom même
de Catholique, gui tel demeuré tellement pro-
pre à cette Eglue, que, quoique tons les he'ré-
tiques prétendent se l'attribuer, si toutefois
un étranger demande où $'a*$emble l'Fylise
catholique, il n'y a point d'hérétique qui ose
montrer son église ou sa maison [Conf. de Pist.
Fondant., cap. ■'»). Or pouvail-011 no pal con-
naître dans le temps de la séparation l'Eglise
catholique à ces marques extérieures? Les
protestants oseraient-ils s'attribuer aucun de
ces aimables liens du nom chrétien? comme
parle encore saint Augustin ; et n'est-ce pas
à elle que conviennent ces attributs et ces
caractères?
J'ajoute une hypothèse impossible, c'est
que , quand mémo il serait permis de se sé-
parer, ce ne peut être que pour des erreurs
essentielles et fondamentales ; c'est un prin-
cipe incontestable que les ministres ne dés-
avouent pas, et il est aisé de prouver par une
briève et claire induction que vos pères n'ont
pas eu des motifs suffisants de séparation.
Il est certain que la présence réelle n'est
pas de ce genre, puisque les calvinistes con-
viennent que c'est une doctrine sans venin,
qu'ils la regardent comme un article de to-
lérance, et qu'à ce prix ils offrirent dans le
syuode de Cbarenton, en 1631, leur commu-
nion aux. luthériens, qui la refusèrent. Lors-
qu'un dogme est toléré , les conséquences
prochaines , directes et immédiates de ce
dogme, doivent aussi l'être. L'adoration, se-
lon Daillé, et la transsubstantiation, selon
Calvin et Bèze, sont les suites nécessaires
de la présence réelle, et par conséquent elles
ne peuvent être le fondement d'une juste
séparation. Il faut dire la même chose de la
communion sous les deux espèces, que la
pratique de l'Eglise, seule et véritable inter-
prèle de l'Ecriture, a établie comme indiffé-
rente, parce que la substance du corps de
Jésus-Christ est indivisible. De plus, on ne
peut pas nier que saint Cyprien, saint Au-
gustin et tous les Pères, n'aient offert le sa-
crifice, révéré les reliques, invoqué les saints
et prié pour les morts. Les ministres n'ose-
raient dire qu'ils se seraient séparés de la
communion de saint Cyprien et de saint
Augustin. Les protestants sont trop éclairés
pour accuser de superstition et d'erreur ca-
pitale le culte de la Vierge, dont nous hono-
rons les image*, puisque Luther lui-même
blâma Carloslad de fonder sur ce culte un
motif de séparation, et qu'il avoue que l'i-
mage de Jésus-Christ crucifié est très-utile
pour exciter les mourants à une piété tendre
et reconnaissante. Voilà à peu près les rai-
sons dont se servent les protestants pour
justifier leur schisme. 11 n'y en a aucune qui
soit suffisante, et par conséquent ils seront
contraints d'avouer que leur séparation a
été injuste et téméraire. Cela supposé, la
réunion est absolument nécessaire, puisque
ceux qui demeurent dans le schisme ne sont
pas moins coupables que ceux qui le fout et
qui le commencent.
Je ne sais, mes très-chers frères, si nous
avez quelquefois examiné le caractère et lu
eondoile «les premier! réformateurs, que la
profession <J<- loi des eali inities nous dépeint
comme des ouvriers ehoilil de Dieu cl su-ci-
lél par la Providence pour réédifier sou
Eglise. Leurs dogmes ont toujours été di-
rectement contraires, surtout pour le point
de l'eucharistie; ils n'ont pu jamais convenir
ensemble que, dans la haine sacrilège qu'ils
avaient conçue contre l'Eglise catholique,
ils se sont sans ces^c réciproquement traités
d'hérétiques: pleins d'eux-mêmes <t vides
de l'esprit de Dieu, chacun vou ail avoir pour
soi toute la gloire de la prétendue réforma-
tion ; et, bien loin de conserver entre eux
l'amour el la paix, qui doivent cire au moins
une des marques de leur chimérique voca-
tion , ils s'emportèrent les uns contre les
autres à des excès de rage et de férocité
aussi indignes des bienséances de la vie ci-
vile que contraires aux règles de la charité
chrétienne.
Je ne puis mieux vous^le prouver qu'en
voui rapportant les paroles mêmes de Lu-
ther, dans son livre de la Dispute sur l'Eu-
charistie, où il appelle les sacramentaires
des idolâtres, des spectres, des insensés, des
frénétiques, des engeances de vipères, des tueurs
d'âmes, des ennemis du Fils de Dieu, des loups
ravissants envoyés et obsédés par Satan, qui
prêchent te diable au lieu d'1 prêcher le royau-
me de Dieu, qui font moins d'étal du Fils de
Dieu qu'Arius et que Mahomet. Ce sont les
éloges qu'il donne à ceux qui étaient dans
le sentiment des protestants ses coopérateurs
à l'œuvre de Dieu pour la réformaiiou de
l'Eglise.
Mais, pour mieux connaître le génie et le
caractère de ce prétendu réformateur, je
veux vous faire remarquer en passant le
style insolent dont il se servit pour écrire
contre Henri VIII , roi d'Angleterre , qui ,
après avoir composé un livre pour la défense
de la religion catholique, se livra ensuite
aux passions honteuses qui perdirent Salo-
mon, et fut l'auteur de ce schisme fatal qui
désole encore aujourd'hui loulc l'Angleterre.
Je ne sais, dit Luther, si la folie peut être
plus folle ou la stupidité plus stupi le que l'est
la tête de notre Henri. Il 'loit s'imputer si je
le traite si durement, car il ne m'a )ias attaqué
avec un cœur de roi, mais arec l'impudence
d'un valet et d'une effrontée Je dis nette*
nient et sans me cacher que ce Ilmri, roi
d' Angleterre en a menti, et qu'il joue plus le
personnage d'un ridicule bouffon par ses men-
songes que celui d'un roi... Il serait honteux,
ajoute-t-il, qu'une fem ;,e impudique mentit
avec tant d'extraviujiincc et s'emportât en de
si grands excès de folie. C'est ainsi que ce
malheureux hérésiarque insulte à la suprê-
me majesté des rois, que l'Evangile nous or-
donne si souvent de respecter el de craindre;
et ce n'était pas le style qu'employaient les
apôtres pour répondre aux empereurs du pa-
ganisme el aux persécuteurs de la religion
naissante qu'ils venaient prêcher.
On voit encore dans ses ouvrages sa vanité
et .si fureur lorsqu'il (Jcrit contre la papauté,
qui eluil l'objet le plus ordiuuiro de ses ri-
1055 LETTRE .PASTORALE AUX NOUVEAUX CATHOLIQUES DE MONTAUBAN. 1034
que de celles qui seraient tirées de l'Ecri-
dicules emportements, de ses pointes basses
et obscènes et de ses fades railleries. Presque
tous les monastères, disait-il, sont ravagés pur
ma plume, et j'ai fait plus de mal au pape moi
seul que n'aurait pu faire aucun roi avec tou-
tes les forces de son royaume (1). Mes prières
ne sont pas une foudre de Salmonée ni un vain
murmure dans l'air, elles sont un rempart in-
vincible plus puissant que le diable même. Et
dans un livro qu'il composa contre les papes
du temps de Paul III, il répète plusieurs fois
ces belles paroles : Le pape ne peut pas me
tenir pour un ignorant, je suis plus savant
dans les Ecritures que lui et toutes ses bêtes...
Si j'en étais cru, je ferais un paquet du pape
et des cardinaux pour tes jeter tous ensemble
dans le Tibre. Ce bain les guérirait, j'y enga-
ge ma parole et je donne Jésus-Christ pour
caution. Paroles que je rapporte avec peine
et que je passerais volontiers sous silence,
si l'importance de mon sujet ne m'engageait
à vous faire connaître le caractère de ces
premiers héros de sa réforme.
Les sacramentaires de leur côté n'ont pas
traité les luthériens avec plus d'égard et de
charité. Calvin, dans sa lettre à Vestphal, dit
que ce sont des insolents sans honte et sans
pudeur, qu'ils ne craignent ni le jugement de
Dieu ni celui des anges ; qu'ils sont pleins d'une
passion furieuse, d'une inconstance ridicule,
d'un enivrement aveugle et d'une maladie dia-
bolique. Il les appelle des bêtes féroces dé-
pouillées de toute humanité, des cyclopes, des
opiniâtres et des frénétiques. Et ce sont aussi
les titres d'honneur que Théodore de Bèze
donna àHeshusius, célèbre luthérien. Jugez,
mes très-chers frères, de la réformation par le
génie des réformateurs , et prononcez vous-
mêmes sans prévention s'il est possible que
Dieu ait donné son esprit à des hommes si
peu propres à l'avancement de son œuvre et
si remplis des excès les plus emportés de
toutes les passions humaines.
Je ne sais si vous avez jamais considéré
la manière dont la réformalion s'établit dans
les cantons de Zurich et de Berne. Zuingle
en fut le premier auteur; après avoir été le
pasteur de Glaronne, il le fut encore de Zu-
rich. Les indulgences, qui avaient été le pré-
texte de Luther, furent aussi d'abord le su-
jet et l'occasion des invectives de Zuingle
contre l'Eglise. Trouvant les magistrats et
les peuples favorables à ses erreurs, il atta-
qua l'invocation des saints, la pratique du
carême, les vœux monastiques et le célibat
des prêtres ; il procura une convocation de
tout le canton. Le conseil de deux cents s'as-
sembla pour délibérer sur tous les points, et
l'on vit pour la première fois des laïques
téméraires et ignorants s'ériger en juges et
en arbitres de la foi, et s'attribuer un droit
que Jésus-Christ n'a confié qu'aux pasteurs
de l'Eglise, qui est son épouse.
Le sénat assemblé ordonna que des doc-
teurs catholiques disputeraient contre Zuin-
gle. sur les articles de la réforme naissante,
et il fut défendu de se servir d'autres preuves
(1) EpUre à Georges, duc de Saxe.
(2) Silice ne lit que cODttrmei |>ar .son décret une discv-
OhATKUUS S.iClŒS. XXX.
ture sainte. Ainsi la tradition lut proscrite,
l'autorisé de l'Eglise anéantie et tous les
Pères dégradés. Les docteurs catholiques
étaient ou ignorants ou intimidés, et Zuingle
avait pour lui tous les magistrats qui étaient
déjà protestants. Ainsi dans la première con-
férence de ce bizarre et ridicule concile on
défendit l'observation du carême, quoiqu'elle
fût consacrée par la pratique de toute l'an-
tiquité; on dévoila les vierges chrétiennes
avec scandale, quoiqu'elles soient, selon l'ex-
pression de saint Cyprien, la plus noble et la
plus illustre portion du troupeau de Jésus-
Christ ; on abolit le célibat des ministres des
autels, quoiqu'il fût en usage dans toute
l'Eglise, au moins depuis le décret du pape
Sirice, qui vivait à la fin du ive siècle (2);
enfin on décida que l'invocation des saints,
qui a toujours été l'objet de la piélé de tous
les fidèles depuis le temps des apôtres, serait
désormais supprimée comme un culte super-
stitieux que le démon avait suggéré.
Nous avons les actes de ces conférences,
et il semble que la Providence ait voulu les
conserver comme la preuve de l'injustice et
de la témérité de la séparation de Zuingle.
Dans les dernières séances on délibéra sur
la présence réelle et sur le saint sacrifice de
la messe. Le secrétaire de la ville soutint la
créance de l'Eglise catholique. Les paroles de
l'institution de l'eucharistie, Ceci est mon
corps, embarrassaient Zuingle ; mais il pré-
tend qu'un fantôme blanc ou noir lui était
apparu en songe et lui avait dit : Lâche, que
ne réponds-tu ce qui est écrit dans l Exode :
« L'agneau est la pâque, » pour dire qu'il en
est le ligne. Ce songe ridicule et digne d'un,
éternel mépris fut tout le fondement de l'opi-
nion de Zuingle. Sur cet heureux dénoue-
ment, le conseil de Zurich se détermina dans
celle importante dispute; et, après avoir loué
Zuingle comme un homme éminent en doc-
trine et en piélé, il abolit la messe pour tou-
jours dans tout ce canton.
C'est à ce conciliabule assemblé que ce
réformateur adresse ces paroles que nous
aurions de la peine à croire, si nous ne les
trouvions dans ses ouvrages. Je suis assuré,
disait-il, que cette compagnie, qui a été assem-
blée devant le très-honorable sénat de Zurich
pour entendre la parole de Dieu, ne peut er-
rer. 11 donne à ses laïques, sans mission et
sans lumières, un privilège d'infaillibilité
qu'il refuse à toute l'Eglise. Tel a été ce Zuin-
gle, ce prétendu prophète envoyé de Dieu
pour la réformalion de son Eglise, qui ne fut
pourtant qu'un apostat, un visionnaire et un
hérétique ; qui n'était que peu versé dans la
science des Ecritures et des Pères ; qui re-
haussait une très-médiocre éruditiou par une
hardiesse incroyable; qui, contre l'esprit de
l'Evangile, fut tué les armes à la main dans
une bataille donnée entre les cantons catho-
liques et les cantons protestants, et qui, a.
toutes les erreurs dont nous venons de parler,
ajoutait celle de nier le péché originel (3),
pllne établie
(3) Decl.de Pecc. orig.
3'J
qu'il regardait comme une maladie, mais no»
pai comme un péché. Serait-il possible que
I)icu eût confié son oeuvre à un homme qui
niait une vérité qui, selon la doctrine de
saint Paul, est le principe de l'incarnation et
(oui le fondement de la grâce de Jésus-Christ
réparateur.
.Mais, pour achever le portrait de Zuingle,
il est à propos d 6 vous rapporter les paroles
de la confession de foi qu'il présenta à Fran-
çois I". En expliquant l'article de la vie éter-
nelle, il dit à ce prince: Vous trouverez un
jour dans le ciel tout ce qu'il y a jamaii eu
d'hommes saint*; ; vous y verrez les deux:
Adam:!, le racheté et le Rédempteur ; Abel, Hé-
noch, ]\oi:, (îéiléon, Isair avec ta Vierge
de Dieu, qu'il a annoncée; VOUt y verrez Her-
cule, Thésée, Ariêtide, Anligonus, PfUma,
Caion, etc. Peut-on imaginer un plus grand
blasphème que de confondre ainsi le Sau-
veur du monde et les saints que sa grâce a
faits dans la loi ancienne et nouvelle, avec
les faux héros du paganisme, de consacrer
de plein droit le vice et l'idolâtrie, et de pla-
cer sur un même autel Jésus-Christ et Dé-
liai 1 Et c'est cependant celle confession de
foi que Bulingcr appelle le chef-d'œavre et le
der ier chant de ce cygne mélodieux.
Luther eut honte de la folie de Zuingle, et
lui déclara qu'il désespérai' de son salutt
parce que, non content de combattre les sacre-
ments, il était devenu païen, en mettant des
païens, jusques à Scipion l'épicurien, jusques
à Numa [l'organe du de mon pour établir l'ido-
lâtrie chez les Romains) , au rang des âmes
bienhmreuses. A quoi nous servent, ajoule-t-
II, le baptême, les au'.res sacrements, l'Ecri-
ture et Jésus-Christ même, si les impies et les
idolâtres sont saints et bienheureux ? Et
qu'est-ce autre chose que d'enseigner que cha-
cun peut se sauver dans sa religion et dans sa
croyance?
Luther n'était pas plus scrupuleux quand
il s'agissait des intérêts de la prétendue ré-
formalion; et, quoiqu'il se glorifiât à tort de
prendre toujours l'Ecriture sainte pour la
règle de sa foi et de sa doctrine, cependant on
le vit sacrifier les vérités les plus essentielles
de l'Evangile aux passions d'un prince in-
continent et déréglé, dans une conjoncture si
importante, que nous ne pouvons la passer
sous silence.
On sait que Philippe, landgrave de Hesse,
fut un des plus grands protecteurs de la nou-
velle rélormalion, et qu'il travailla toute sa
vicia à soutenir et à la défendre. Néanmoins ce
prince, si ardent zélateur de la pureté de l'E-
vangile, n'en fut pas plus réglé dans ses
mœurs. Ayant pris en aversion la princesse
Christine de Saxe, sa femme, dont il avait
une nombreuse famille, il voulut épouser
Marguerite de Saxe, avec la permission même
de ses pasteurs. La dispense étail pourtant
inouïe; les ministres ne pouvaient pas igno-
rer que, dans l'institution primitive, l'époux
cl l'épouse n'étaient qu'une même chair; que
la polygamie fut accordée par tolérance aux
pour la dureté de leur cœur, et que Jé-
sus-Christ, ayant élevé le maritgt à la di-
ORATEURS SACHES. DE NRSMOND. | M
guité de sacrement, lui avait rendu la saiu-
lelé et l'unité de son orîgini
Malgré ces lois si clairement expliqo m
dans l'Kvangilc, le landgrave chargea Buccr,
par une instruction datée de Melsiuguc, de
lâcher d'obtenir de Luther et des principaux
pasteurs d'Allemagne cette permission si
souhaitée. Après quelques relus affectés, ils
accordèrent enfin cette dispense, et elle fut
signée par Luther, par Melanchlhon cl par
cinq autres minisires. La menace que leur
fit le landgrave d'abandonner la réforme, et
l'espérance qu'il leur donna de leur livrer
tous les biens des monastères, les détermi-
nèrent à la transgressio i d'un point si M
liel de la loi de Jésus-ChrM, cl à permi l re
que le landgrave eût deux femmes à la lois.
La crainte et l'intérêt furent les motifs de leur
décision, et l'Evangile céda à leur politique.
Après la concession de cette dispense, le
landgrave épousa en secret Marguerite de
Saxe, du consentement de sa première femme.
Tous les actes de ce mystère d'iniquité sub-
sislent encore. Le feu électeur palalin les fit
imprimer, et c'est un fait si certain, qu'aucun
protestant n'a osé en contester la preuve, et
moins encore en entreprendre la juslifLalion
cl l'apologie.
Ce fut par ers mêmes raisons que les pre-
miersréformateurs conseillèrent àHenri \ III,
roi d'Angleterre, de ne point rompre son ma-
riage avec Catherine d'Aragon sa femme ,
mais, quoiqu'elle fûl vivante, d'épouser en-
core Anne de Iioulen ; et le cinquième sermon
que Luiher prêcha à Willemberg contient des
propositions si téméraires, si scandaleuses et
si obscènes, sur la malière de la polygamie,
que la prudence ne nous permet pas de les
rapporter, el il faut sacrifier à la modestie et
à la pudeur l'avantage que l'Eglise catholi-
que en pourrait lirer.
Mais, après avoir parlé de la conduite per-
sonnelle des réformateurs, il est nécessaire
] our votre instruction, mes très-chers frè-
res, d'examiner leur mission et celle des au-
tres ministres de la réforme. Il est certain
qu'il n'y a point d'Eglise sans ministre. Or,
nul ne doit s'ingérer, s'il n'est appelé [Htbr.,
Y , k), et tout fidèle, avant que d'écouter un
homme qui se dit pasteur, doit être surtout
assuré de sou aulorilé el de son pouvoir. 11
ne peut y avoir de fonctions légitimes sans
un tilre qui les valide, cl les protestants sont
d'autant plus obliges à jusiifier le minisièrc
de leur Eglise, que comme, selon leurs prin-
cipes, les pasteurs seuls peuvent bapliscr
validement, il s'ensuit, par une conséquence
nécessaire, que l'assurance de leur baptême
et la validité de leurs sacrements dépendent
absolument de la certitude de la mission de
leurs ministres.
Dans le commencement de la réforme, les
pasteurs protestants s'attribuaient une vo-
callon extraordinaire; leur confession de foi
dit en termes exprès : Mous croyons que nul
ne doit t'ingérer d son autorité propre pour
gouverner l'Eglise, mais nie cela se doit faire
pni élection, autant qu'il est possible et que
Vieu le permet. Laquelle exception nous y
LETTRE PASTORALE AUX NOUVEAUX CATHOLIQUES DE MONTÂUBAN.
10,7
ajoutons notamment, parce qu'il a fallu quel-
que fois, même de notre temps, auquel l'état de
l'Eglise était interrompu, que Dieu ait suscité
des gens d'une façon extraordinaire, pour
dresser l'Eglise de nouveau, qui était en ruine
et en désolation (arl. 3).
Calvin est dans le même sentiment (Inst.,
I. IV, cap. 5), et Théodore de Bèze, au colloque
de Poissy, déclara au cardinaldeLorraineque
les auteurs de la ré forme avaient volontairement
renoncé à la marque de l'Eglise romaine, qu'il
n'y avait point alors d'ordre ecclésiastique
dans l'Eglise. 11 assure la même chose dans
un traité qu'il composa contre un protestant
appelé Sarrarias : N ous ne rejetons pas, dit-il,
cette merveilleuse vocation extraordinaire qui
ne procède que de l'inspiration intérieure de
Dieu, par laquelle Dieu Notre -Seigneur s'est
rendu si admirable en ce temps pour délivrer
son Eglise.
Enfin le synode de Gap, tenu en 1603,
fit une semblable décision, et voici ses pa-
roles : Sur l'article 31, la confession de la foi
ayant émis la question (de savoir quelle con-
duite il faut tenir) lorsque l'on vient à traiter
de la vocation de nos premiers pasteurs, ou à
fonder l'autorité qu'ils ont eue, de réformer
l'Eglise et d'enseigner sur la vocation qu'ils
avaient tirée de l'Eglise romaine, la compa-
gnie a jugé qu'il se faut rapporter, sur l'ar<~
ticle de la vocation extraordinaire par la-
quelle Dieu les a poussés intérieurement à
leur ministère, et non pas à ce peu qui leur
restait de la vocation ordinaire corrompue de
l'Eglise romaine.
Or, un ministère nouveau et extraordi-
naire demande nécessairement deux condi-
tions. Il faut premièrement qu'il soit prédit
dans les Ecritures, et en second lieu qu'il
soit prouvé par des miracles. Pourquoi les
ministres de la réformalion voudraient-ils
être exempts de celte loi, puisque Jésus-
Christ ne s'en est pas dispensé lui-même? Il
a toujours dit (Joan., I) qu'il avait été pro-
mis par les prophètes, et que ses œuvres certi-
fiaient qu'il était celui qui avait été promis.
Ce sont les Ecritures qui rendent témoignage
de moi, disait-il aux Juifs ; et lorsque les
disciples de Jean-Baptiste lui demandèrent
s'il était le Messie qui devait venir, il leur
répondit (Luc, VII) : Allez dire à Jean ce que
vous entendez et ce que vous voyez : Les aveu-
gles voient, les boiteux marchent . les lépreux
sont guéris, les sourds entendent, les morts
ressuscitent, et il ajoute expressément (Joan.,
XIII), que s'il n'avait pas fait les œuvres que
nul autre n'avait pu faire, les Juifs n'auraient
pus été inexcusables. D'où il s'ensuit évi-
demment que la promesse et les miracles sont
la preuve nécessaire d'une nouvelle mission.
El en effet, quand Dieu a une fois établi
un ministère successif, qu'il l'a attaché ou
a une famille, comme dans l'ancienne loi,
ou à l'ordination , comme dans la loi nou-
velle, il convient à la Providence de ne
point changer cet ordre, sans donner des
inarques certaines , claires et incontes-
tables , qui fassent connaître la -vérité
de ce ministère nouveau. 11 y a une rcla-
1058
tion immédiate entre les pasteurs et les
peuples , et si les pasteurs sont en droit
d'exiger l'obéissance dans les choses qui re-
gardent le salut, les peuples, a leur tour,
doivent discerner avec évidence le titre de
l'autorité qui les gouverne. Autrement la
mission serait en proie à tous ceux qui
voudraient l'usurper ; ce serai! mettre les
fidèles dans le péril continuel et inévitable
de la séduction des faux pasteurs, et ex-
poser l'ordre et la hiérarchie aux entre-
prises téméraires, à des ministres ou usur-
pateurs ou fanatiques.
Cela supposé , je dis en premier lieu ,
mes très-chers frères , que Dieu avait pré-
dit que le ministère de la Synagogue fi-
nirait, et que Jésus-Christ a promis quo
celui de la loi nouvelle ne finirait point.
Les protestants ne sauraient désavouer cette
proposition. Le Père éternel envoya son
Fils unique dans la plénitude des temps.
Jésus-Christ donna la mission aux apô-
tres , et celle des apôtres est venue jus-
qu'à nous de main en main. Et c'est par
celte succession non interrompue que nous
avons reçu le caractère de l'épiscopat , et
que subsistera le bel oidre de l'Eglise jus-
qu'à la consommation des siècles.
Le ministère nouveau, qui a été la chi-
mère des derniers novateurs , a été in-
connu à toute la tradition et à tous les
Pères. Tertullien pressait les hérétiques
de son temps de rapporter le commence-
ment de leurs églises, et de faire voir que
l'ordre de leurs évéquês coulait de la source
de son origine par succession jusqu'à eux;
en sorte que leur premier évêque eût été
ordonné par les apôtres ou par quelqu'un
des hommes apostoliques. Saint Cyprien re-
prochait à Novalien quï/ n'était point dans
l'Eglise et qu'il ne pouvait être pincé au
nombre des évêques, parce qu'en méprisant
la tradition évangélique et apostolique , il
était né de lui-même et ne succédait â per-
sonne. Rendez-nous compte, disait Optât à
Parménien et aux donatisles, de l'origine
de votre chaire, vous qui voulez vous at-
tribuer l'Eglise de Dieu. Saint Augustin
prouve dans tous ses ouvrages la vérité
de l'Eglise catholique par la succession des
évêques, surtout des souverains pontifes
dans la chaire de Rome.
Or, le raisonnement de ces Pères eût été
peu solide et peu concluant, si une mis-
sion eût été promise dans l'Evangile ; les
hérétiques, sans se mettre en peine de
justifier leur succession , n'avaient qu'à
répondre que Dieu les avait appelés par
une vocation extraordinaire , et par une
'«réponse si courte et si décisive ils au-
raient aisément réfuté un argument que
les Pères ivous représentent pourtant com-
me invincible.
En second lieu , les protestants nous dis-
pensent de la peine de contester les mi-
racles de leur secte naissante , puisqu'ils
avouent de bonne foi que leurs premiers
pasteurs n'en ont point fait. Cependant,
c'est par les œuvres que Jésus -Christ
t03fJ
ORAIEIRS SACRES. DE SESMO.Mi.
1040
prouva sa vocation , comme je l'ai déjà
dit, et c'est sur ce fondement que Ter-
i ii I ! mu , ayant demandé à Hermogène ei à
Nigidius qu'ils montrassent le titre sur le-
quel ils fondaient leur prétendu apostolat,
leur adresse ces paroles : Vous dites que
vous êtes de nouveaux apôtres ? je veux
donc des miracles pour reconnaître votre
mission ; et ce Père ajoute que Jésus-Christ ,
en choisissant des apôtres, leur donna aussi
le pouvoir de faire les mêmes prodiges quil
a faits lui-même.
Je sais , mes très-chers frères, que le
progrès subit de. la réformation est allé-
gué par les protestants comme la preuve
de leur mission extraordinaire ; mais il
n'y eut jamais de raison plus équivoque
que celle-là ; et combien d'autres sectes ,
à la faveur de l'orgueil de l'esprit ou de
la corruption des mœurs , ont eu un ac-
croissement plus prompt et plus étendu
que la prétendue réformation !
Qu'une loi qui enseigne des mystères in-
compréhensibles et qui combat toutes les
inclinations corrompues de la uature, s'é-
tende et se multiplie en fort peu de temps,
rien n'est plus surprenant; et, selon le
sentiment de tous les saints Pères , c'est
une preuve décisive et évidente de la vé-
rité de la religion chrétienne. La profon-
deur de ses dogmes, la pureté de sa mo-
rale, la pratique des vertus inconnues aux
païens , la mort du législateur que les Juifs
avaient crucifié, douze apôtres sans nais-
sance , sans doctrine et sans protection ,
les préjugés des hommes à qui on prê-
ebait cette loi , tout cela devrait , ce semble,
empêcher son établissement ; cependant ,
malgré ces obstacles , elle fut bientôt re-
çue dans toutes les parties du monde. Ce
progrès est une marque de sa divinité ,
et Dieu seul pouvait faire ce grand ou-
vrage.
Mais rien n'est moins étonnant que de
voir l'accroissement d'une secte qui assu-
jettit les mystères au raisonnement hu-
main, qui, par le mépris de toute auto-
rité spirituelle , met la raison dans cette
liberté et daus celte indépendance que
saint Augustin appelle le charme secret et
fatal des esprits présomptueux, qui dis-
pense de tous les préceptes pénibles de
l'Eglise, comme du carême, de la con-
fession, de la pénitence: et qui, abolis-
sant le célibat des prêtres et les vœux
monastiques, favorise la licence et la cor-
ruption. Toute loi qui aura pour elle l'or-
gueil , la concupiscence et la vanité , ne
in/ini, uci.i jamais de s'étendre; et, bien
loin que le progrès de la prétendue ré-
formation soit un miracle et une preuve
de sa sainteté, c'est au contraire un pro-
dige de sa providence d'avoir préservé
tant d'autres nations de cet esprit de men-
songe et d'erreur par une protection visi-
ble de sa miséricorde et de sa bonté.
Toutes ces raisons que nous venons d'é-
tablir, mes très-chers frères, et l'impossi-
bilité do prouver uu,e vocation extraordi-
naire, ont obligé les protestant! d'avoir
recours à la mission ordinaire que les
premiers réformateurs n'a raient osé sou-
tenir. Telle a été leur ressource dans la
faiblesse de leur cause, et la gloire de OS
système est due principalement au minil ra
du Moulin.
Pour l'éclaircissement de celle matière je
dis que le ministère ordinaire suppose deux
conditions i sans lesquelles ce serait au pas-
teur une témérilé que de l'usurper, et aux
fidèles une illusion que de le reconnaître :
il faut qu'il soit donné par l'ordination, et
que l'ordination soit faite par un évéque;
l'une ou l'autre de ces conditions indispi n-
sables et essentielles manquent au minis-
tère des protestants.
Premièrement, la mission ne se commu-
nique que par l'ordination; c'est aux nova-
teurs à nous montrer dans l'Ecriture ou
dans la tradition un seul exemple que les
laïques aient conféré la mission. Nous
sommes d'aulant plus en droit de leur de-
mander cet exemple, que, selon leurs prin-
cipes, les dogmes de la foi doivent être
fondés sur l'autorité des saintes lettres.
Nous voyons dans les Actes des apôtres que
l'assemblée des fidèles élut les sept diacres ;
mais ils furent ensuite présentés aux apô-
tres pour être ordonnés (Act., VI). 11 y
a une grande différence entre le choix et
l'ordination. Les peuples ont quelquefois
choisi leurs pasleurs , et , dans le Pon-
tifical romain, avant que l'évêque impose
les mains aux ordinands, il demande le
témoignage des fidèles ; et la raison qu'en
apporte l'Eglise, c'est que l'on obéit avec
plus de docilité à celui dont on a approuvé
l'ordination ; mais le pouvoir d'ordonner
est le privilège de l'épiscopat. Saint Paul
ne dit pas à Tite qu'il obligeât les villes
de Crète d'ordonner les prêtres, mais il le
laissa dans celle île afin qu'il en ordon-
nât lui-même. Il recommanda à Timolhée
de ne pas imposer les mains avec pré-
cipitation , et il assure que cette sainte
fonction n'est pas moins l'attribut que le
devoir de son caractère.
Or, combien y a-t-il d'églises protes-
tantes dans ce royaume dont les premiers
pasteurs n'ont eu d'aulre mission que celle
qu'une troupe tumultueuse de laïques igno-
rants leur conférait? Pierre le Clerc, car-
deur de laine, comme chacun sait, fut
établi ministre de Meaux par une multi-
tude de cardeurs et de foulons de la même
ville. Jean Masson la Rivière fut appelé
au ministère do l'église protestante de Pa-
ris par une compagnie de laïques, et sans
avoir reçu l'imposition des mains. Les enli-
ses de Metz , d'Orléans el de Senlis fu-
rent ainsi fondées par des artisans disper-
sés après la mort de Pavéua , que Bèn
appelle le premier martyr de la reforme.
Ces premiers pasteurs n'étaient donc point
des pasleurs véritables, puisqu'ils n'étaient
point ordonnés. C'est en vain que les pro-
testants justifient celte conduite par les be-
soins de ces eulises naissautes el deiui-for-
1041
LETTRE PASTORALE AUX NOUVEAUX CATHOLIQUES DE MONTAUBAN.
1042
mées. on ne peut dans aucun cas conférer
la mission que selon l'ordre prescrit par
Jésus-Christ et pratiqué par les apôtres.
La tradition a prévu les cas de nécessité
pour le baptême, et a déclaré qu'un laïque
en pouvait être le légitime ministre ; mais
elle n'a jamais dit que dans de certaines
circonstances les peuples étaient en droit
de donner la mission aux pasteurs qu'ils
avaient choisis, fondés sur des systèmes
chimériques et qui sont l'ouvrage de l'ima-
gination et de l'esprit. Le point le plus
essentiel de la religion est une illusion si
funeste , que l'on ne peut assez la déplorer,
et ceux qui vivent sous ce ministère usurpé
devraient enfin connaître que s'ils n'ont
point de pasteurs ils n'ont point d'église ;
et que, contre l'autorité claire et évidente
de l'Ecriture et de la tradition , ils hasar-
dent visiblement leur salut sur des hypo-
thèses.
En second lieu, non-seulement les laïques
n'ont aucun droit de conférer la mission ,
mais les prêtres mêmes ne peuvent s'at-
tribuer ce pouvoir, et les évêques seuls,
par l'éminence de leur caractère et par
l'institution de Jésus-Christ déclarées par la
tradition , ont le privilège d'imposer les
mains. La seconde Apologie adressée par
saint Athanase à l'empereur Constance
rapporte qu'lschiras n'était point regardé
comme prêtre , parce qu'il avait été or-
donné par Colluthe , qui n'était point évê-
que , quoiqu'il prétendît l'être , et qu'il
avait été réduit à l'ordre des prêtres par
Osius et par le concile d'Alexandrie. Saint
Epiphane , dans son livre des Hérésies ,
assure, contre Aérius , que le ministère
des prêtres, ne pouvant donner des pères
à l'Eglise , lui donne des enfants spiri-
tuels par le sacrement de la régénération.
Saint Jérôme, que Blondel , Saumaise et
Daillé citent comme favorable à leur sen-
timent, déclare en termes formels, dans
sa lettre à Evagrc , que le pouvoir d'im-
poser les mains et d'ordonner est telle-
ment propre à l'évêque , qu'il ne peut ja-
mais appartenir au prêtre. Et pour vous
donner, mes très-chers frères, un exemple
de cette vérité qui vous soit connu, vous
savez que les ministres presbytériens ne
sont admis à l'exercice de leur ministère
dans l'Eglise anglicane qu'après avoir reçu
l'Imposition des mains des évêques ; et c'est
une preuve décisive que ceux qui exigent
celle condition , aussi bien que ceux qui
s'y soumettent, regardent également la
mission des presbytériens comme insoute-
nable et insuffisante.
Puisque le point du ministère est le plus
essentiel des controverses , et que , selon
la méthode de prescription , il décide seul
toutes les disputes , suivant l'aveu même
des protestants, résumons en peu de mois,
dans un argument clair et concluant , tout
ce (jue nous venons de dire sur cette ma-
tière. Tout ministère qui n'est point auto-
risé clairement par l'Ecrilurc sainte et par
la iradiliou est faux et illégitime. Or, ce-
lui des protestants n'est fondé ni sur les
saintes Ecritures ni sur les Pères, puis-
que l'on n'a jamais vu des laïques don-
ner la mission et imposer les mains à leurs
pasteurs, ni des prêtres ordonner des prê-
tres ; donc le ministère des protestants est
faux et usurpé, et par conséquent ils n'ont
point d'Eglise , et leur société est notoi-
rement schismatique et illégitime.
Si Dieu a attaché par sa volonté et par
l'ordination à la mission successive une
fécondité spirituelle qui en assure la durée,
il s'ensuit que l'Eglise qui est gouvernée
par ce ministère établi par Jésus-Christ
est toujours visible, toujours durable, tou-
jours infaillible.
C'est cet article de l'Eglise qui a fait le
plus grand embarras des ministres pro-
testants depuis le commencement de la ré-
formation. Ils ont sans cesse changé de
système sur ce point. Quand ils ont voulu
expliquer l'essence de l'Eglise, les uns l'ont
Irop resserrée, les autres l'ont trop éten-
due, ceux-ci la composent de l'amas de
toutes les sectes du christianisme, pourvu
qu'elles ne détruisent pas les vérités fon-
damentales; ceux-là au contraire la font
consister dans les seuls prédestinés. Tan-
tôt pressés par la question que l'on leur
fait, où était leur société avant la sépa-
ration, ils ont été contraints de nier la
visibilité de l'Eglise et de n'y mettre que
des élus invisibles et connus de Dieu seul.
Tantôt, dans l'impossibilité de répondre à
l'argument de saint Augustin et d'Optat ,
qu'il y a une Eglise dont il n'était jamais
permis de se séparer, ils ont pris le parti
de dire que celte Eglise est l'enceinte gé-
nérale de toutes les communions chrétien-
nes. Enfin , condamnés par tous les con-
ciles, ils n'ont point eu d'autres ressour-
ces que d'eu nier l'infaillibilité. Ainsi leurs
intérêts ont toujours fait leurs principes;
mais un catholique puise les siens dans
les sources mêmes que le Saint-Esprit lui
a enseignées, et, au lieu qu'un protestant
préfère son esprit particulier à toute au-
torité , et qu'il croit qu'un simple et qu'un
ignorant pourrait mieux entendre l'Ecri-
ture sainte que tous les conciles, fussent-
ils composés de tous les pasteurs les plus
habiles et les plus pieux qui soient dans
toutes les parties du monde chrétien, un
catholique au contraire , et plus humble et
plus prudent, soumet sa faible raison à un
tribunal légitime et infaillible que Dieu a
établi pour le gouverner et pour le con-
duire.
Ces deux propositions des protestants que
je viens de loucher ne sont point fausse-
ment imputées. La première est en termes
exprès dans l'article k de leur confession de
foi : Nous connaissons ces livres être canoni-
ques et la règle très-certaine de notre foi, non
tant par le commun accord et consentement
de l'Eglise, que par le témoignage et persua-
sion intérieure du Saint-Esprit, qui nous le
fait discerner d'avec le* autres livres ecclésias-
tiques. Voilà bien clairement le propre esprit
1043
ORATEURS SACRES. DE NESMOSD.
i L4
préféré à loulc autorité. El la seconde pro-
position , que tout simple cl tout ignorant
peut iniciiv entendre les Ecritures (|ue tous
les conciles oecuméniques, a été avouée p ir
un ministre habile dans une conférence célè-
bre qui n'est ignorée de personne. En faut-il
davantage, mes très-cher» Itères, pour re-
noncer à une secte dont tous les principes
np tendent qu'à favoriser l'illusion, l'orgueil
et l'indépendance.
Il est donc nécessaire que l'Eglise soit tou-
jours visible, et l'apôlre taint Paul enseigne
clairement cette vérité [Ephes., IV). Jésus-
Christ a donné à son Eglise les uns pour être
apôtres, les autres pour être prophètes, les
autres pour être pasteurs et docteurs, aiin
qu'ils travaillent à la perfection des saints,
aux fonctions de leur ministère et à l'édifica-
tion du corps du Christ. L'Eglise par consé-
quent est une société composée de pasteurs
et de peuples : les uns sont établis pour des
fonctions visibles, qui sont la prédication de
la parole et l'administration des sacrements;
et les autres sonl obligés d'écouter ces pas-
teurs, auxquels la Providence les a soumis.
Or, avant que la colère de Dieu eût donné
Luther à 'a terre, et que cet hérésiarque eût
éprouvé tant de forts et séduit tanl de faibles,
y avait-il une Eglise qui, semblable à celle
des protestants d'aujourd'hui, fût unie par
1-es mêmes sacrements, par la confession pu-
blique des mêmes dogmes, et par un minis-
tère connu, prêchant, enseignant, baptisai)'.,
tel enfin que l'Ecriture sainte nous dépeint
le ministère de la véritable Eglise? Y avail-
t-il une société séparée des catholiques que
l'on pût démontrer et désigner, en sorte que
l'on pût dire, voilà l'Eglise? Avait-elle cette
universalité et celle étendue dans toutes les
parties du monde qui la fit proprement ca-
tholique, et que tous les Pères regardent
comme essentielle à la vraie religion? Avait-
elle, cette Eglise, quelque marque extérieur..:
rcconnaissable aux fidèles, qui dans leurs
doutes ou dans leurs nécessites spirituelles
avaient besoin de ses décisions et de ses se-
cours? Avait-elle le pouvoir de lier et de dé-
lier? Y réconciliait-on les pénitenls et y punis-
sait-on ceux qui élaient dignes de ses ana-
thèmes et de ses censures? Si les protestants
ne peuvent nous prouver cette société avec
les marques qui sont essentielles à l'Eglise,
nous sommes en droit de conclure que la
leur est une secte nouvelle, et que cette in-
visibilité prétendue est d'autant plus chimé-
rique, que, quoiqu'il soit parlé de l'Eglise
dans l'Ecriture presque à chaque page, elle
n'est pourtant représentée dans aucun en-
droit comme un corps invisible cl inconnu
aux fidèles mêmes qui la composent.
C'est ainsi que l'apôtre saint l'aul nous
enseigne encore, que l'Eglise, qui n'a ni ta-
che ni ride, est celle que Jésus-l'lirist sanctifie
visiblement dans Je Oth/Uéme de l'eau ]>ar la
parole (Ephes., V) ; et tous les saints Pères
nous apprennent qu'elle est, selon le cin-
quième chapitre de saint Matthieu, In ville
D lie sur In montagne qui ne peut être tac
tomme aussi lu lumpc} que l'on ne met pas
sous le boisseau, mais sur le chandelier , afin
•■ ei,{ : fui $OUi d<in.- lu mai-
son. Dans ce sens, saint Augustin <lil que
l l.qlise a œil m que ttr laine, qu'elle ne
peut être cachée, que la secte de Douât était
inconnue à plusieurs nations, et que par con-
séquent elle n'élait jjoint l' Lglise i( onlr.
l'elil., 10.1;. Et la anlioo de celle visibilité
est si naturelle el si re, que '' ' •!•■
( liisme, la discipline et la confession de foi
des protestants mêmes, qui la ment, ne par-
lent jamais de l'Eglise que sous l'idée d'une
société qui a des marques et des fonctions
qui la rendent toujours certaine el toujours
visible.
J'ajoute que l'argument de saint Augustin
e<t plus fort et plus concluant contre les pro-
testants qu'il ne l'était contre les donatist
Les prolestants, au moins la plupart , con-
viennent que leur Eglise avant la séparation
n'avait ni visibilité ni étendue, et les doua-
tisles s'attribuaient et l'une el l'autre de ces
deux marques. Ils avaient un éveque dans
Rome même, et un petit nombre de secta-
teurs africains qui y habitaient. Ils mon-
traient une de leurs églises eu Espagne,
fondée par les soins el par le secours d'un ■
femme nommée Eucile. Ils prétendaient au-vi
que le conciliabule de Philippopoli , qu'ils
confondaient faussement avec le concile de
Sardique, avait écrit des lettres de coimiiu*
nion à Douât, faux évéquede Carlhage.Et si
sur cet exemple les protestants veulent
descendre des henriciens, des vaudois ou
des albigeois (dont néanmoins les dogmes
étaient très-différents des leurs), nous leur
dirons ce que disait saint Augustin aux d >-
nalsles, que ces sectes étaient renferm
dans un petit coin de la terre, proscrites par
toules les Eglises du monde, inconnues à
toutes les nations, à peine connues à à
mêmes. Et nous leur répéterons sans cesse
ces paroles du même l'ère : Muntrez-nous
qu'elles communiquaient avec tous les peuples
de la terre.
Je sais que les novateurs fondent une fai-
ble objection sur ce qui est rapporté dans le
dix-neuvième chapitre du troisième livre des
Rois, où Dieu dit, qu'il s'était réservé sept
mille fidèles dans Israël qui n'avaient point
fléchi le genou devant liaal. D'où ils infèrent
qu'il peut y avoir une Eglise composée de
seuls justes qui ne sont connus que de Dieu.
Mais il est étonnant que les ministres veu-
lent encore mettre en œuvre une difficulté
dont la solution est si facile el si évidente.
Jamais l'Eglise judaïque ne fui moins caclie<i
qu'elle t'était dans le temps où les sept nulle
justes ne voulurent pas adorer l'idole. C'était
en Israël schisme tique et sous le règne de
l'impie Achab que se passa cet événement;
niais dans le royaume de Jud i, sous l'empire
du pieux Josapbal, on adorait Dieu on Jéru-
salem. Le temple, les sacrifiées, la loi .
pontifes, les docteurs, rendaient la religion
judaïque très-visinle et irès-tloris-anle ; un
grand nombre de Juifs qui étaient en Israël
reoail adorer Dieu et observer la loi dan
sainte cité. La commuuion des Juifs était doue
1045 LETTRE PASTORALE AUX NOUVEAUX CATHOLIQUES DE MONTAUBAN.
1040
visible, et les protestants ne pouvaient citer
un exemple moins concluant de leur préten-
due invisibilité que ce fait célèbre que le
cardinal du Perron a si doctement éclair ci
dans le quatre-vingt-cinquième chapitre de
>a réplique à Jacques 1er, roi d'Angleterre.
Si l'Eglise est nécessairement visible et
connue, elle est aussi infaillible par son es-
sence; puisque, selon le témoignage de saint
Paul, elle est la base et la colonne de la vérité;
qu'elle détermine par ses décisions ce que
nous devons croire, de peur que nous ne
tournions fans cesse à tout vent de doctrine;
qu'elle réprime les contredisants qui com-
battent ou ses dogmes ou ses pratiques; et
que, dépositaire des secrets de Jésus-Christ,
elle nous explique ce qu'il a voulu révéler
pour l'instruction de noire foi et pour l'édi-
fice de notre salut.
Et en effet, tous les attributs de l'Eglise
sont clairement marqués dans les derniers
versets de l'Evangile de saint Matthieu.
Lorsque le Sauveur du monde confia sa mis-
sion aux disciples qui étaient en Galilée sur
la montagne, il leur dit : Allez dans toutes
les parties du monde, et instruisez tous les
peuples (voilà l'étendue de i'Eglise), baptisez
au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Es-
prit (c'est son ministère public et visible);
assurez-vous que je suis moi-même avec vous
(c'est son infaillibilité) jusqu'à la fin du monde
(voilà sa durée et sa perpétuité). Et cette
promesse ne s'adresse pas seulement aux
disciples, mais encore au corps de tous les
pasteurs de siècle en siècle. Comme nous
sommes les héritiers du ministère des apô-
tres, nous le sommes aussi de leur pouvoir;
nous avons leurs privilèges, quoique nous
n'en ayons pas la sainteté, et s'ils ont été les
témoins de la révélation, nous en sommes
les dépositaires et les interprètes, par cette
assistance du Saint-Esprit promise à l'Eglise
jusqu'à la consommation des siècles.
C'est en vertu de celte promesse que les
apôtres s'assemblèrent à Jérusalem (Act.,
XV) pour décider si la circoncision selon la
pratique de la loi de Moïse était nécessaire à
ceux qui embrassaient la foi de Jésus-Christ,
et qu'ils prononcèrent sur cette question
avec une entière certitude d'infaillibilité ex-
primée par cette formule : Il a semblé bon au
Saint-Esprit et à noxis. Ils envoyèrent en-
suite Barnabe et Paul à tous les fidèles, non
pas pour leur dire d'examiner s'ils avaient
bien jugé, mais pour leur ordonner d'obéir
à leurs décisions. Telle est l'autorité de l'E-
glise sur les fidèles, et telle est l'obéissance
que les fidèles doivent à l'Eglise. Sur ce fon-
dement saint Augustin nous apprend, que
quiconque ne veut pus cire trompé dans lin-
l< lliqcnce des Ecritures, n'a qu'à consulter
l'Eglise, et qu'il u aurait pas cru à l' Evangile
ni f 'autorité de ce tribunal infaillible ne l'y
obligeait (Conlr. Cresc. lib. I, cap. 33) : et
dans le treizième chapitre du Symbole a-
dreisé aux catéchumènes, il ajoute, que les
portes de l'enfer ne prévaudront jamais con-
tre cette Eglise, qui n'est sortie d'aucune au-
tiesociété,et dont toutes les sectes sont sorties;
qui a été souvent attaquée par les hérétiques,
mais qui n'a jamais été vaincue; qui est la
tige, la racine et la mère de tous les fidèles,
dont on ne saurait se séparer sans crime et
sans être regardé comme un sarment inutile
retranché de la vigne- Et c'est ce qui faisait
dire à saint Cyprien, que celui-là n'aura pas
Dieu pour père qui n'a pas l'Eglise pour mère
(Lib. de Unit.) ; et à Facundus, évoque d'Hcr-
miane en Afrique, qu'il faut croire avec cer-
titude que, toujoursdiriqée par l'esprit de Dieu,
elle ne peut ni nous tromper ni être trompée.
Or, si l'Eglise a été une fois infaillible,
elle doit l'êtr'e toujours. Comme elle tire son
aulorilé des promesses de Jésus-Christ, qui
ne sont limitées ni à aucun temps ni à aucun
siècle, il s'ensuit que ses décisions seront
toujours véritables et que son infaillibilité
n'aura d'autres bornes que celle que la puis-
sance de Dieu donnera à la durée du monde
même.
De plus, à quels dangers ne serions-nous
pas exposés si nous n'avions pas cette auto-
rité pour nous déterminer dans les matières
de la foi et dans les disputes qui s'élèvent
tous les jours poui l'intelligence desEcritures?
Ce livre divin est une lettre morte qui, selon
le témoignage de l'apôtre saint Pierre, a été
à plusieurs une occasion de chute ( I Petr. , II ),
et tous les hérétiques se glorifient faussement
d'y trouver la preuve de leurs opinions. Com-
bien y a-l-il de chrétiens, mes frères, qui sont
incapables de se déterminer par eux-mêmes
et par leurs lumières, qui ignorent les langues,
et par conséquent la fidélité des versions l
Un père protestant, qui veut élever ses en-
fants selon les principes de la secte, doit leur
présenter l'Ecriture , et, sans leur inspirer
des préjugés sur la religion, leur dire de la
chercher dans ce sain! livre. U faut exami-
ner de nouveau toutes les hérésies qui se
sont élevées depuis le commencement du
christianisme. Si l'Eglise, qui les a condam-
nées, n'est pas infaillible, on n'en doit pas
croire aveuglément à ses décisions; et il est
juste de voir par soi-même si ces sectes ont
été justement ou injustement proscrites. No-
tre vie fût-elle quatre fois plus longue, suffi-
rait-elle à un examen impossible à plusieurs,
difficile à lous ? Nos distractions, nos négli-
gences, nos occupations, notre ignorance,
peuvent-elles nous le permettre? On court
risque ou de se tromper en suivant son pro-
pre esprit, ou de se décourager dans l'em-
barras du choix de ses opinions. Ainsi tout
homme qui préfère sa faible raison à la force
de l'autorité n'a pour tout fruit de son tra-
vail que l'illusion ou le désespoir.
Si nous vous demandions, mes très.-chers
frères, pourquoi vous croyez que le Verbe
est consubslantiel à son Père, que le Saint-
Esprit procède également du Père et du Fils,
qu'il y a dans Jésus-Christ une personne, et
deux natures , et si nous attestions votre
bonne loi, vous nous répondriez que les dé-
cisions des conciles de Nicce, de Conslanti-
nople , d'Kphèse et de Chaicédoine , sont les
motifs de vota) créance dans tous ces points*
là. C'est donc sur la foi de ces cou. îles, dout
1047
ORATEURS SACRES. DE NESMOND.
!Ui8
la confession des Eglises protestante! de
France reconnaît la sainteté, que vous n'êtes
ni ariens, ni macédoniens, ni nestoriens, m
outycliiens. V'ons avez même reçu les Ecri-
tures dis mains de l'Eglise; et, puisque vous
êtes chrétiens par autorité, pourquoi ne
serez-vous pas aussi catholiques par au-
torité ?
Tous ces principes sont tirés de la doc-
trine de saint Augustin, qui, dans un excel-
lent livre intitulé : l'Utilité de la créance par
autorité, prouve en premier lieu l'infaillibi-
lité de l'Eglise par les Ecritures, et se sert
en second lieu d'un autre argument très-
concluant et très-décisif, dont voici la sub-
stance et l'abrégé.
La Providence, dit ce Père, doit à tous les
fidèles , mais plus encore aux ignorants
qu'aux doctes, un moyen facile, évident et
abrégé pour arriver à la connaissance des
dogmes que Dieu a révélés et qui sont néces-
saires au salut. Or, ce moyen ne peut être
l'examen des dogmes particuliers de la reli-
gion, puisque les simples et les ignorants ne
sont pas capables d'une discussion si longue
et si difûcile. Donc il ne leur reste que la
voie de l'autorilé pour savoir ce qu'ils doi-
vent croire ou rejeter. Si cette voie est uni-
que, ajoutesaint Auguslin,elle est sans con-
tredit vraie et infaillible; autrement Dieu
conduirait le chrétien aux vérités de la foi
par un moyen ou faux ou douteux ; ce qui
serait d'un côté contraire à sa. bonté et à sa
justice, et laisserait de l'autre l'ignorant
dans l'impossibilité de se déterminer et de
choisir.
Mais il est encore vrai, continue le même
Père, que Dieu doit donner à celte autorité
des marques extérieures, indépendantes de
l'examen du fond, fortes, claires et sensi-
bles, pour la discerner entre toutes les sectes
qui s'attribuent le titre et le nom d'Eglise.
Ces preuves sont les miracles , les conciles ,
l'étendue, la succession du ministère et de
la doctrine. Les proieslants ne contestent pas
ces marques à l'Eglise catholique, et ils con-
viennent qu'elle seule a été dans tous les
siècles la plus étendue de toutes les sociétés
chrétiennes, que les conciles et la mission
successive lui appartiennent. Ils nient les
miracles, mais peuvent-ils désavouer ceux
qu'a affirmés et crus saint Augustin (De Ci-
vit. Dei, lib. XXII), et qui sont aussi des
preuves pour nous, puisque res prodiges ont
été souvent les effets de l'invocation des
saints et de la vénération de leurs reliques ?
Or, conclut ce Père, ces marques extérieu-
res suffisent pour déterminer l'ignorant à
choisir, sans un plus grand examen, l'Eglise
catholique par préférence aux autres socié-
tés. Et toutes les subtilités des hérétiques ne
sauraient affaiblir l'impression que ces preu-
ves font dans les esprits même les plus pré-
venus.
J'ajoute encore, mestrès-chers frères, qu'il
y a aussi dans les dogmes par'iculiers cer-
tains préjugés extérieurs suffisant pjonr dé-
terminer l'ignorant à les croire sans exami-
ner le fond de ces dogmes. Qu'on lui dise,
par exemple, que tonte l'antiquité a cru l'u-
tilité de l'invocation des saints et la prière
pour les morts; que CCI p.-atiques ont été
aussi llorissantes dans les plus beaux jours
de l'Eglise primitive qu'elles le sont aujour-
d'hui ; que sainl Augustin et tous les Pères
les plus éminenls en sainteté et en science,
et voisins du siècle des apôtres, ont professé
ces vérités ; qu'il n'est pat < rowible que ces
grands hommes aient été asseï malins pour
le-> inventer ni assez simples pour les croire,
s'ils ne les avaient reçues de la tradition
apostolique; qu'il ne parait dans la pratique
de ces dogmes aucun vestige d'innovation ou
d'invention humaine : que l'on dise enlin à
cet ignorant que, malgré ces époques avouées
des protestants mêmes, Luther, dans le sei-
zième siècle, est venu troubler celte posses-
sion et combattre les dogmes de l'Eglise ca-
tholique, ce préjugé seul suffira pour déter-
miner cet ignorant, et il dira, en comparant
l'autorité de tous les Pères avec celle de Lu-
ther et de Calvin, ce que disait autrefois
saint Augustin sur la matière de la grâce de
Jésus-Christ : Est-il possible que dans une vé-
rité aussi importante à ï Eglise, Pelage, Cé-
leslius et Julien soient éclairés, et qu'Hilaire,
Grégoire, Ambroise et tant de conciles soient
aveugles !
Enfin la notion d'une autorité infaillible
et nécessaire est si forte et si évidente , que
les protestants la reconnaissent dans leurs
synodes. Ils la nient à la vérité dans sa sépa-
ration , mais leur discipline établit une sou-
mission aveugle qu'ils refusent à la vraie
Eglise. Cette tyrannie qu'ils nous reprochent
est devenue leur usage. Ils s'attribuent sur
les consciences cette domination qu'ils ne
veulent pas accorder à nos conciles; et dans
ce point comme en beaucoup d'autres, leur
pratique dément leurs principes.
On sait qu'ils ont quatre degrés de juridic-
tion dans les disputes qui s'élèvent sur les
matières delà foi, le con>isloire, le colloque,
le synode provincial et le synode national.
Et il est à propos d'observer ici la forme
des lettres d'envoi que l'on donne à ceux
qui sont députés par les provinces au synode
national, cl qui fut dressée à Vitré en 1017.
Nous promettons devant Dieu de nous sou-
mettre à tout ce gui sera conclu et résolu en
votre assemblée, y obéir et l'exécuter de tout
notre pouvoir, persuadés que nous sommes
que Dieu y présidera et vous conduira en son
Saint Esprit en toute vérité et équité par la
règle de sa parole , pour le bien et pour l édi-
fication de son Eglise, et à sa grande gloire :
c'est ce que nous demanderons dans nos
prières.
Ou iloil inférer de la formule de ces lettres
d'envoi , mes très-chers frères , que les pro-
testants reconnaissent dans leurs synodes
un pouvoir de juger qui lie les promet-
tants et qui oblige, les consciences, lis sont
persuadés que le Saint-Esprit y préside: les
décisions sont donc toujours sûres. Ils s'y
soumettent par avance, ils ne réservent donc
pas le pouvoir de l'examen après le juge-
ment. Celle soumission antérieure et absolue
LETTRE PASTORALE AUX NOUVEAUX CATHOLIQUES DE MONTAUBAN.
4049
ne peut être fondée que sur une certitude
d'infaillibilité ; l'obéissance que nous ren-
dons à nos conciles n'est ni plus respectueuse
ni plus étendue, et il faut nécessairement, ou
que le tribunal auquel on se soumet de cette
manière soit infaillible , ou que la promesse
soit téméraire et insensée. Et, en effet, cette
clause d'une aveugle soumission excita une
grande tempête dans les Eglises des protes-
tants; plusieurs provinces ne voulurent pas
l'accepter, et ce ne fut qu'après des censures
réitérées qu'elles obéirent.
C'est sur ce principe qu'il est écrit dans
l'article 31 du chapitre 5 de la discipline.
que l'entière et finale résolution des matières
de foi doit se faire dans les synodes nationaux,
par la parole de' Dieu, à laquelle si les con~
tredisanls- refusent d'acquiescer de point en
point et avec un exprès désaveu de leurs er-
reurs enregistrées , ils seront retranchés de
l'Eglise.
Il est à propos de faire plusieurs observa-
tions sur cet article. En premier lieu , c'est
pour le seul synode national que l'on fait la
soumission dont nous venons de parler; et
il y a par conséquent une grande différence
de l'autorité de ce dernier tribunal à celle de
tous les autres. Secondement, ce n'est point
la parole de Dieu prise en elle-même, qui est
le motif de l'entière et finale résolution ,
puisqu'elle avait été déjà expliquée dans le
consistoire, dans le colloque et dans le sy-
node provincial ; mais c'est la parole de Dieu,
comme interprétée par l'Eglise. De plus, on
engage les contredisants au désaveu de leurs
erreurs; le synode les oblige donc à croire.
Or, il n'y a qu'un tribunal infaillible qui
puisse exiger la foi des fidèles qui lui sont
soumis. Enfin on excommunie ceux qui ne
■veulent pas obéir ; mais, s'il leur est permis
d'examiner les décisions, ils peuvent aussi
n'y pas adhérer. Le synode n'est pas leur
juge absolu ; les protestants , au contraire ,
sont juges du synode par leur examen. L'E-
criture sainte est toujours ou le prétexte ou
l'excuse de leur désobéissance , et l'excom-
munication n'est pas juste si l'appel à l'E-
criture est légitime.
Pour finir cette importante matière, il ne
me reste qu'à vous expliquer en peu de mots,
mes très-chers frères, que l'Eglise n'est point
l'amas de toutes les sectes chrétiennes ,
comme l'ont dit faussement quelques mi-
nistres. Et en effet , l'Eglise, selon le senti-
ment de saint Augustin, est la société des fi-
dèles unis par le lien intérieur de la charité
et par le lien extérieur des sentiments (Contr.
Don. lib. VII, cap. 57). Et le même Père ne
reproche jamais aux donatistes qu'ils fussent
schismatiques , parce qu'ils étaient séparés
des autres sectes. La séparation de la seule
Eglise catholique faisait leur crime et leur
schisme, et il est certain par conséquent que
l'Eglise réside dans une seule communion,
dont il n'est jamais permis de se séparer.
De plus, saint Cyprien ne rompit jamais la
communion de l'Eglise catholique ; cepen-
dant il n'était pas uni avec les sectes héréti-
ques, puisqu'il no reconnaissait pas le bap-
1050
tême qu'elles donnaient pour légitime. D'où
il faut conclure que les Pères n'ont jamais cru
que l'Eglise fût un corps bizarre et mons-
trueux de toutes les sociétés chrétiennes ; et
c'est ce qui faisait dire au même saint Au-
gustin que si une communion est l'Eglise, une
autre communion séparée ne l'est pas , parce
qu'il n'y a qu'une seule Eglise
C'étaitàcette même autorité sainte, visible,
successive et infaillible, que saint Augustin
adressait autrefois ces belles paroles : Qu'il
me soit permis, 6 Eglise catholique, véritable
épouse de Jésus-Christ, de vous parler selon
la petitesse de mes lumières , moi qui suis le
moindre de vos serviteurs et le plus petit de
vos enfants. Que les vaines promesses que font
ceux qui se sont séparés de vous, de prouver
avec évidence la vérité de leurs dogmes, ne
puissent tromper personne. Vous seule possé-
dez toute vérité et toute science, soit dans les
instructions communes et faciles que vous
donnez aux petits comme un lait dont leur fai-
blesse a besoin, soit dans celles dont vous
nourrissez les forts comme d'une viande so-
lide. Toutes les sectes n'ont que le nom et Vap-
parence de la vérité même. Vous n'avez rien
à craindre pour ceux de vos enfants qui sont
éclairés; mais je m'adresse aux petits d'entre
eux, qui sont mes frères et mes maîtres , dont
vous soutenez la faiblesse par votre charité,
vous qui êtes vierge sans être stérile, et mère
sans corruption. Ce sont les faibles que je con-
jure de n'écouter point les vains discours
qu'une vaine curiosité fait sur nos mystères,
mais d'anathématiser d'abord tout ce qu'on
leur dira de contraire à ce qu'ils ont appris
dans votre sein Qu'ils n'attendent pas la
vérité de ceux qui font Jésus-Christ même
trompeur, mais qu'ils la cherchent dans vos
décisions avec un cœur soumis et docile. Telle
était la sainte simplicité de ce grand docteur.
Bien différent de nos derniers novateurs, il
croit qu'obéir à l'autorité de l'Eglise est non-
seulement un devoir de religion, mais aussi
un acte de sagesse et d'humilité ; que dans
les matières de la foi il faut se défier de soi-
même et de ses lumières, que le renonce-
ment à son propre esprit est cette enfance
chrétienne qui nous est si recommandée dans
l'Evangile, et qu'une soumission humble et
parfaite doit tenir lieu de raison à tout es-
prit raisonnable.
Il est étonnant qu'un mystère aussi claire-
ment révélé que l'est celui de la présence
réelle de Jésus-Christ dans l'eucharistie ait
été l'objet des contradictions des novateurs
du dernier siècle. Nous attestons votre bonne
foi, mes très-chers frères : quel autre dogme
est énoncé dans l'Ecriture en des termes plus
précis et plus évidents? La nécessité du bapr
tême pour les adultes et pour les enfants , le
péché originel, la consubstantialilé du Ver-
be, la résurrection des morts, cl tant d'autres
mystères que nous croyons et que nous ado-
rons et vous et nous, sont-ils expliqués plus
nettement dans les saintes Ecritures? Est-il
possible qu'une vérité dont l'Eglise catholi-
que était en possession depuis plus de quinze
cents ans ait élé combattue par tant do so-
1051
phtsmes? Bl fallait-il que la Minlc eneba-
ristie,ce sacrement ineffable, le lien et le
gage de la pal* et de l'union des hommes,
fût le sujel de leurs divisions el de leurs dis-
putes?
Il faut que notre créance soit bien cer-
taine, puisque nos ennemis mêmes convien-
nent qu'elle est tolérablc. Cet important
aveu n'est pas sans doute l'effet de leur com-
plaisance, il a pu l'être de leur politique,
niais il l'est aussi de la force de la vérité. Si
les protestants tolèrent notre doctrine do la
présence réelle, c'est donc une opinion inno-
cente et (comme ils l'expriment) sans venin.
Or, elle n'est point innocente et sans venin
que parce qu'elle est véritable. Pour un
dogme révélé et aussi essentiel que celui de
l'eucharistie, il n'y a point de milieu entre la
vérité et l'erreur, el l'on est absolument ou
catholique ou hérétique. Ainsi les novateurs
sont en conscience obligés ou à nous con-
damner ou à nous suivre : c'était à eux de
choisir l'un ou l'autre de ces deux partis.
Celui qu'ils prirent dans le synode de Cha-
rculon était ridicule et insoutenable, et ils
devaient conclure, pour raisonner consé-
quemment, ou que notre créance sur l'eu-
charistie est orlhodoxe, ou que, si elle ne
l'est pas, leur tolérance était également cri-
minelle et contradictoire.
J'ajoute que, supposé le sens de la présence
réelle, Jésus-Christ ne pouvait s'expliquer
plus proprement que par ces paroles, ceci est
mon corps, ni plus improprement, supposé
le sens de l'absence réelle. Est-il croyable
qu'il ait voulu parler métaphoriquement
dans une occasion où il s'agissait de nous
donner un grand précepte, d'instituer le plus
saint de ses sacrements, d'accomplir le plus
redoutable de ses mysières, d'expliquer son
dernier testament? Convenait-il, dans ces
circonstances, que Jésus-Christ se servît
d'une meta plier e? Voulait-il induire à erreur
les apôtres et les fidèles de tous les siècles?
Les disciples étaient soumis, dociles et ac-
coutumés à écouter un maître tout-puissant
pour opérer ce qu'il disait, el dont les paro-
les étaient vérité : pouvaient-ils donc inter-
préter celles de l'institution de l'eucharistie
autrement que dans le sens de réalité? La
parole du Sauveur du monde captivait leur
entendement, el sa toute-puissance calmait
les doutes que la profondeur de ce mystère
pouvait faire naître. Ce sacrement allirait
leur reconnaissance et leur amour, et n'ex-
citait pas leur curiosité, el les apôtres prati-
quèrent dans ce moment ce que dit saint
Epiphane (In Ancor.), que nul jiilrle ne doit
refuser d'ajouter foi aux paroles de Jésus-
Cltrist, parce que celui qui ne les croit pas
comme il les a dites déchoit de la grâce et de
la voie du salut.
Le sens réel est si simple et si naturel,
qu'il a été l'objet de -la foi de toutes les na-
tions chrétiennes, comme nous le prouve-
rons dans la suite. Et Rercnger fut le pre-
mier qui combattit ce dogme universel vers
le milieu du onzième siècle. Tous les lidèles
» élevèrent contre lui, el son erreur lut pios-
ORATKUR8 SACHES. DE NE8HORD. tt)52
crile partout. Il se rétracta, il se ropen il et
il mourut dans la communion de l'Eglise.
Luther, longtemps après, aurait b ila
détruire, s'i. eût pa, la doctrine catholique
sur un point si essentiel , et son sepril lit
mille efforts intérieurs pour y réussir: ma i
la force de ces paroles de Jésus-Christ, et
est mon corps, s'opposa toujours à ses pro-
jets, et pour celle fois sa fureur céda a la vé-
rité. Il nous révèle lui-même sa malignité, i t
il a l'impudence de nous l'apprendre dans
ses ouvrages. On m'aurait fait plaisir, dit-il,
de me donner un bon moyen île nier la pré-
sence réelle; el rien n'eût été meilleur dans le
dessein que j'avais de ruiner la papauté
(i.pist. ad Arqent.) Ce n'était donc pas la
vérité qui fut le motif de sa séparation, mais
le dessein formé de faire un schisme el une
hérésie. Est-il possible que l'on se laisse sé-
duire à de tels esprits? Luther soutint jus-
qu'à la mort, malgré lui, la présence réel! :
et c'est ainsi que Dieu donne des bornes se-
crètes à la malice des novateurs les plus em-
portés, et que les vérités qu'ils sont forcés
d'avouer, servent à établir la foi de l'Eglise,
qu'ils veulent détruire.
Zuingle chercha longtemps le sens figuré,
et il l'eût toujours ignoré sans le secours de
son prétendu fantôme. Calvin est inintelli-
gible quand il s'explique sur la matière de
l'Eucharistie, et surtout dans le quatrième
livre de l'Institution. Retenu d'une pari par
l'énergie des paroles de Jesus-Chrisl , cl dé-
terminé de l'autre à combattre notre dogme ,
il parle de manière qu'il est impossible de
pénétrer son sentiment. Tantôt catholique,
tantôt protestant, toujours équivoque el tou-
jours obscur, il est aussi peu d'accord avec
lui-même qu'avec l'Eglise. Les ministres ont
imité ses expressions, qui sont pompeuses
et magnifiques, mais destituées de sens et
d'intelligence. Et Aubertin, dans son livre
de l'Eucharistie, qui lui coûta trente ans de
travail, et où il joint une prod'gieuse lec-
ture à peu de discernement et de bonne foi,
attaque toujours la doctrine catholique et
n'explique jamais la sienne.
Aussi les calvinistes n'en ont-ils point de
fixe et de précise sur cet article. Depuis
qu'ils se sont éloignés de la sainte simpli-
cité du sens réel, ils se sont partagés en
mille opinions différentes. Chacun parmi
eux aujourd'hui se fait au gré de ses désirs
et de son caprice un système sur l'eu.haris-
lie. Si les expressions de Calvin les embar-
rassent, ils le désavouent et abandonnent
leur maître sans scrupule. La plupart, cal-
vinistes par profession, sont zuingliens ; r
sentiment ; il y a presque autant de religions
que de têtes , et chaque particulier se croit
eu droit de penser comme il lui ptafl el de
se faire une consciencearbitraire et indépen-
dante. Quoique les protestants différent
tre eux en des points essentiels, ils m> par-
donnent naturellement 1 tirs opinions les
plus i.pposees. Pourvu que l'on ne soit point
catholique, on est sûr dis leur tolérance et,
si l'on veut, même de leur commun n: el
on peut dire d'eux ce que disait saint Léon
4055
LETTRE PASTORALE AUX NOUVEAUX CATHOLIQUES DE MONTAUBAN.
1054
des païens de l'ancienne Rome, qu'ils tolé-
raient toutes les fausses religions, et qu'ils ne
haïssaient que la véritable [Serin. 1 in Nat.
apost., cap. 2).
Mais voyons en peu de mois, mes très-
chers frères , comment les évangélistes se
sont expliqués q.uand ils rapportent l'insti-
tution de l'eucharistie. Ont-ils jamais dit que
le pain fût le signe du corps du Christ? Et,
s'ils avaient reçu du Seigneur le sens figuré ,
auraient-ils concerté ensemble de s'énoncer
toujours improprement? Pourquoi tant de
détours pour trouver dans les paroles de Jé-
sus-Christ une métaphore qui n'y est point
enseignée et que les Pères de tous les siècles
n'ont point aperçue? Et pourquoi employer
tant de sophismes pour soutenir le menson-
ge et l'erreur, lorsque la vérité se montre à
nous avec éridence?
C'est dans le sixième chapitre de saint
Jean que nous lisons la promesse du grand
sacrement de l'eucharistie, et c'est ainsi que
s'explique le Sauveur du monde : Si quel-
qu'un mange de ce pain, il vivra éternelle-
ment; et le pain que je donnerai est ma chair,
que je dois donner pour la vie du monde. A
ces paroles les disciples s'émurent et doutè-
rent. Or, le sens figuré, qui n'était difficile
ni à concevoir ni à croire, ne fut pas l'objet
de leur incrédulité , et la réalité seule était
le motif de leur doute. Jésus-Christ apaise-
t-il leurs murmures par la révélation de la
métaphore? Au contraire, il insiste toujours
plus fortement sur le sens réel , et il ajoute :
en vérité, en vérité je vous dis (expressions
dont il se servait d'ordinaire quand il vou-
lait nous annoncer quelque grand mystère),
si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme
et ne buvez de son sang, vous n'aurez pas la
vie en vous. Celui qui mange ma chair et
boit mon sang a la vie éternelle; ma chair est
vraiment viande ; celui qui mange ma chair
demeure en moi. Ces paroles de Jésus-Christ
vives et précises, ces répétitions accumulées,
ces termes si éloignés de la métaphore, les
reproches qu'il fait à ses disciples incrédu-
les, tout cela détruit sans réplique le senti-
ment des calvinistes; et telle est l'évidence
de ce passage, que la ressource de la plu-
part des ministres a été de nier qu'il s'en-
tende de l'eucharistie.
Saint Jean nous a appris la promesse du
sacrementde l'eucharistie, elles autres évan-
gélistes nous en rapportent l'institution
énoncée par ces paroles de Jésus-Christ,
ceci est mon corps. Je fais une observation
qui, quoique légère en apparence, ne laisse
pas d'être concluante. Il est dit on saint Luc
que le Seigneur du monde prit le calice
après le souper, en disant : Ce calice est la
nouvelle alliance en mon sang , lequel calice
sera répandu pour vous. Or, il parait par le
texte grec que le relatif lequel se rapporte
au calice et non pas au sang ; il s'ensuit donc
«Hic. le sang était contenu dans le calice, et
la construction du passade induit cette con-
séquence.
On nous objecte ces paroles: Faites cerirn
mémoire de moi. Mais rien n'est plus faible
que celte difficulté, qui a été si souvent et si
fortement réfutée. Jésus-Christ nous or-
donne, toutes les fois que nous recevons son
corps adorable, de penser que ce même corps
a été livré et crucifié pour nous. Cette pen-
sée si utile pour exciter notre amour et no- !
tre ferveur, est une disposition efficace pour
une bonne communion ; ou si l'on veut que
ce souvenir que Jésus-Christ nous recom-
mande se rapporte à ce que nous recevons
dans l'eucharistie, je réponds que l'on n'en
peut pas conclure l'absence réelle. La mé-
moire n'est pas opposée à la présence, mais
à l'oubli. Or, quand un objet n'est pas sen-
sible, quoique présent, rien n'est plus ordi-
naire que d'en exciter le souvenir. Dieu est
présent partout, et on exhorte tous les jours
les chrétiens de ne le pas oublier. L'ange
commis pour notre secours est auprès de
nous; et ne nous dit-on pas de penser qu'il
veille à noire conduite? Que les ministres
cessent donc d'imposer aux simples et au
peuple par une objection qui n'est fondée
que sur des paroles mal entendues et mal
expliquées.
L'apôtre saint Paul, qui avait reçu du Sei-
gneur ce qu'il nous a appris, après avoir ra-
conté l'institution de l'eucharistie (I Cor.,
XI), nous enseigne les dispositions néces-
saires pour approcher de ce mystère auguste
et redoutable, et nous représente en même
temps toute l'énormité d'une mauvaise com-
munion : Quiconque mangera ce pain, dit
l'Apôtre, ou boira le calice indignement, sera
coupable de la profanation dit corps et du
sang du Seigneur. Ces paroles expriment clai-
rement la réalité. Si, dans le sens des calvi-
nistes le corps du Christ n'était qu'en vertu
et en efficace et par la foi dans l'eucharistie,
les dignes seuls le recevraient ; les indignes,
qui n'auraient point la foi, ne communie-
raient point véritablement, et le pain, qui
serait pour ceux-là le signe et la figure du
corps du Christ, ne serait pour ceux-ci que
du pain commun et ordinaire. Les pécheurs
à la vérité commettraient une infidélité, mais
non pas un sacrilège. Or, selon l'Apôtre ,
leur crime se rapporte immédiatement et di-
rectement à la profanation du corps de Jé-
sus-Christ. Il est donc réellement dans l'eu-
charistie, puisque les bons et les méchants le
reçoivent, les uns pour leur perfection et
pour leur salut, et les autres pour leur con-
damnation et pour leur perte.
Les calvinistes prétendent que ces paroles
de Jésus-Christ, ceci est mon corps, veulent
dire, ceci est la figure de mon corps, et ap-
portent quelques propositions où le mot est
est pris pour celui de signifie. Celte préten-
tion est chimérique; cl voici en peu de mots
la source de tous leurs sophismes sur celle
malière.
J'avoue qu'il y a des propositions méta-
phoriques; mais s'ensuit-il que toutes les
propositions le soient? Dans une dialectique
exacte, on ne conclut point d'une proposition
particulière à une proposition générale. H
est écrit que la pierre était le Christ; et il
faut entendre, à la vérité, que la pierre
ORATEURS SACRES. DE NESMOND.
\<w,
était la figure du Christ. Mais dire sur cet
exemple que le pain est la ligure du corps
du Christ, c'est un sophisme insoutenable ;
par un tel principe, il n'y a point d'hérésie
qui ne s'introduise. Un marcionite, s'il y en
avait encore sur la terre, dirait que le Verbe
n'a pas été fait chair, mais seulement figure
et fantôme de la chair; et il se servirait pour
le prouver de toutes les métaphores tant
citées et tant répétées par les calvinistes.
Il y a donc dans les Ecritures des propo-
sitions figuratives; mais combien y en a-t-il
d'autres qui ne le sont pas? Elles se discer-
nent par ce qui les précède ou ce qui les
suit, par les circonstances qui les accompa-
gnent, par le sens qu'elles présentent à
l'esprit, par la manière dont les hommes ont
accoutumé de parler et de s'expliquer, et
plus encore par l'autorité de l'Eglise, qui
nous donne le sens et l'intelligence des Ecri-
tures.
Cela supposé, toutes les circonstances
nous font connaître la métaphore des pro-
positions figuratives. Par exemple, quand il
est dit que la pierre était le Christ, le Saint-
Esprit ajoute en même temps : Or toutes ces
choses ont été des figures (I Cor., X, k). Lors-
qu'il est écrit dans la Genèse {Genr, XLI, 26)
que les sept vaches grasses du songe de Jo-
seph et les sept épis pleins de grain étaient
les sept années d'abondance, on sait assez
que jamais les songes ne sont pris dans leur
être physique, mais dans leur être significa-
tif. Tel est le langage des hommes, et per-
sonne ne peut s'y tromper. Il en est de même
des autres propositions que nous objectent
les protestants, tout nous aide à les discer-
ner. Mais dans le sacrement de l'eucharistie,
tout nous conduit au sens réel, et les cir-
constances nous y préparent. Encore une
fois, est-il possible que Jésus-Christ ait parlé
par figure dans l'institution d'un sacrement?
S'était— il servi de métaphore pour le bap-
tême, et avait-il dit que l'eau était son sang
ou son Saint-Esprit? Les hommes mêmes
qui, dans leurs conversations familières, s'é-
noncent quelquefois par figure, emploient-
ils la métaphore dans les occasions sérieuses
de leur vie, dans leurs contrats, dans leurs
testaments? Que les ministres cessent donc
de ramener si souvent un sophisme qu'une
fausse et vaine logique leur a suggéré et
qui n'a pour fondement que ces dangereuses
subtilités dont parle Terlullien, qui sont le
piège et l'écueil de l'esprit humain dans les
matières de la religion et de la foi.
J'ajoute qu'un signe est affirmé quelque-
fois du nom de la chos e signifiée, mais c'est
lorsqu'il est signe par sa nature ou par in-
stitution. On dit, par exemple, du portrait du
roi, que c'est le roi, parce que tout portrait
représente naturellement son original. Ou
bien si deux hommes conviennent qu'un ar-
bre désigne César, ou Alexandre, en indi-
quant cet arbre, ils peuvent dire : voilà Cé-
sar ou Alexandre. La convention rend la
proposition raisonnable, et elle est insensée
et ridicule sans la convention ou la prépa-
ration. Appliquons ce principe incontesta-
ble à l'eucharistie. Le pain n'est point le si-
gne naturel du corps du Christ, el il est inu-
tile de le prouver. Il ne l'est pas aussi par
institution, puisque le Seigneur ne nous a
point révélé que lorsqu'il dirait : Ceci ett
vion corps , il faudrait entendre : Ceci e»t le
signe de mon corps; il n'a jamais préparé
ses apôtres à la métaphore. D'où il s'ensuit
évidemment que la proposition doit être prise
dans le sens de réalité.
Tel a été, mes très-chers frères, le senti-
ment de l'Eglise dans tous les siècles. Vous
n'ignorez pas, premièrement , que les voya-
geurs, dans les premiers temps du christia-
nisme, emportaient avec eux la sainte eu-
charistie ( Amb. , de ObitU Sat. [rat.); elle
était leur force et leur consolation lorsqu'ils
mouraient dans le cours de leur voyage. En
second lieu , on la réservait pour les mala-
des dans les églises, et on la suspendait sur
Jes autels dans une boîte d'or faite en forme
de colombe. On voit l'usage de cette suspen-
sion dans l'action 5 du concile de Constanti-
nople, tenu en 53G, et il paraît que c'était
une coutume fort ordinaire. De plus, les eu-
cologes des Grecs nous apprennent que dans
l'Eglise grecque l'on ne consacraitdans toute
l'année l'eucharistie pour les malades que le
jeudi saint. Troisièmement, les solitaires,
qui n'assistaient que rarement aux assem-
blées publiques des fidèles, portaient une por-
tion de la sainte eucharistie dans leur soli-
tude , et communiaient de leurs propres
mains. Enfin, les chrétiens, pendant les per-
sécutions, gardaient avec beaucoup de révé-
rence et de respect, dans leurs maisons, ce
sacrement auguste (Cyp., epist. oi) ; et, mu-
nis de ce pain des foris, ils soutenaient leur
piéié, ils augmentaient leur ferveur el se
préparaient au mariyre.
Or, ces coutumes, usitées dans le premier
âge du christianisme, pratiquées par des
saints el approuvées par l'Eglise, sont une
preuve certaine de. la présence réelle, el il
est impossible que les ministres puissent dé-
truire l'induction que nous en tirons, cl qui
paraîtra toujours à des esprits non prévenus
très-forte et très-décisive.
J'ajoute que les protestants conviennent que
dans le neuvième siècle, toute Eglise croyait,
comme nous, la réalité; et ils disent que les
siècles précédents professaient l'opinion con-
traire. 11 y a donc eu un changement dans
la créance de l'eucharistie. Je leur demande
l'époque de celle innovation et dans quel
temps elle esl arrivée. Nul auteur n'eu a
parle, nulle histoire n'en a fait mention.
Est-il croyable que l'on ail passé du sens fi-
gure au sens réel sans que personne s'en
soit aperçu ? Une séduction universelle, in-
sensible et inconnue même àceuv qui chan-
geaient, est-elle vraisemblable, est-elle pos-
sible ? Comment se répandirent ces ténèbres
sur toute la face de la terre, elque l'on nous
apprenne le détail d'un événement si e >nsi-
dérable? Ne se trou\ a-t-il dans ce temps-là
aucun pasteur, aucun éréqne nsseï habile
, pour connaître ce changement et assez lélé
pour le combattre? Ne sail-ou pas que les
«er;7
LETTKE PASTORALE AUX NOUVEAUX CATHOLIQUES DE MONTAUBAN.
moindres innovations dans les dogmes, et
quelquefois même dans la discipline, ont
toujours fait beaucoup de bruit dans l'E-
glise? La rebaptisation des hérétiques, le
jour de la célébration de la Pâque, la consé-
cration en pain azyme ou en pain levé, et
d'autres points encore moins essentiels, ont
causé de grandes disputes. Veut-on que
ce grand événement du changement de la
créance de l'eucharistie se soit passé sans
éclat, et que tout l'univers chrétien ait gardé
un profond silence? C'est une chimère in-
soutenable, c'est un système mal appuyé,
qui tombe et qui se détruit par lui-même.
Si l'on ne voit donc point d'innovation sur
cet article, il s'ensuit bien clairement que la
doctrine de la présence réelle vient des apô-
tres, qui l'avaient reçue de Jésus-Christ,
selon cette maxime de saint Augustin : Si
quelqu'un, dit ce Père, cherche dans les dis-
putes qui regardent la religion l'autorité di-
vine, il doit suivre une règle qui est évidente.
Ce que l'Eglise universelle observe, qui n'a
point été institué par les conciles et dont on
ne connaît point le commencement, n'a point
certainement d'autre origine que la tradition
apostolique (De Bapt., cont. Don., lib. IV,
cap. 23). Le sens réel est sans doute de ce
genre, comme nous l'avons prouvé. Et je
dis aussi en passant que les dogmes de l'in-
vocation des saints, de la prière pour les
morts et du saint sacrifice de la messe sont
très-solidement prouvés par ce principe de
saint Augustin, qui doit être regardé comme
incontestable.
De plus, toutes les sociétés chrétiennes,
schismatiques et séparées de nous depuis
longtemps (si l'on en excepte les calvinistes)
ont toujours cru et croient encore comme
nous la réalité. Par exemple, l'Eglise grecque,
autrefois si florissante, mère de tantde saints,
célèbre par sa discipline et par la science, mais,
parun secret jugementdeDieu qu'il faut ado-
rer, schismalique depuis le neuvième siècle,
professe la même doctrine que l'Eglise latine
sur l'article de l'eucharistie. C'est un fait
coustant, qu'un ministre fort connu a voulu
nier; mais ses collègues, ou plus sincères,
ou plus éclairés que lui, n'ont jamais eu la
hardiesse de désavouer cette vérité. Unis
avec les Grecs sur la présence réelle, nous
sommes divisés pour d'autres points moins
essentiels. L'une et l'autre Eglise ne se sont
jamais reproché d'hérésie sur l'eucharistie,
et le concile de Florence, où elles se réuni-
rent, n'en a fait aucune mention.
Les Grecs n'ont pas commencé à croire le
sens réel depuis le schisme. Aigris, enveni-
més et emportés contre les Latins, auraient-
ils adopté leurs dogmes et leurs sentiments?
La moindre innovation sur un article si ca-
pital aurait été pour eux un prétexte plus
plausible de séparation que les autres qui
nous divisent. Est-il croyable que l'Eglise
latine leur eût persuadé le mensonge et
l'erreur, puisqu'elle n'a jamais pu leur ins-
pirer la vérité ni le désir d'une paix durable?
Ils croyaient donc la présence réelle avant
le schisme. Cela supposé, c'est une croyance .
I0S8
de tous les siècles, et nous pouvons appli-
quer, mes très-chers frères, à ce consente-
ment unanime de toutes les sociétés chré-
tiennes, ces belles paroles de Tertullien :
Est-il possible que tant d'Eglises soient toutes
tombées dans la même erreur ? et serait-il vrai-
semblable qu'il y eût une si grande uniformité
dans une multitude d'événements qui ne dé-
pendent que du hasard? Il est donc impossi-
ble que tant d'Eglises aient erré de la même
sorte. Ainsi, quand on voit la même doctrine
dans plusieurs Eglises, c'est une marque que
ce n'est pas une erreur, mais que c'est la foi
que nous avons reçue par la tradition [De
Prœscr., adv. hœret., cap 28).
Voyons ce que dit la confession de foi des
protestants (art. 36), et comment elle s'ex-
plique sur la matière de l'eucharistie. Nous
confessons qu'en la sainte cène Jésus-Christ
nous repaît et nourrit vraiment de sa chair
et de son sang Nous croyons que,
par la vertu secrète et incompréhensible de
son esprit, il nous nourrit et vivifie de la
substance de son corps et de son sang
Bref, il ne peut être appréhendé que par la
foi. Que signifient ces termes, par la foi /veut-
on dire que la foi est le principe qui opère
la présence réelle du corps de Jésus-Christ
dans le sacrement? c'est une question diffé-
rente de celle dont il s'agit, et que nous
traiterons ailleurs amplement. Entend-on
que ce mystère auguste et révélé quant à la
substance, est l'objet de notre foi quant à la
manière dont il s'accomplit? c'est une vé-
rité dont nous convenons. Enfin prétend-on
que le Seigneur n'est qu'en vertu et en effi-
cace dans l'eucharistie? c'est une contra-
diction dans les termes, puisque l'union
substantielle de Jésus-Christ avec nous,
énoncée dans la confession de foi, ne peut
être que l'effet de la réception actuelle et
réelle du corps du Sauveur du monde.
Je sais qu'un grand nombre de calvinistes
désavouent sur ce point leur confession de
foi , parce qu'elle ne parle pas comme ils
voudraient. Attachés à leur propre esprit, ils
méprisent toute autorité ; déserteurs du cal-
vinisme , comme nous l'avons déjà dit , ils
tombent insensiblement dans le zuinglianis-
me , que Luther et Calvin même avaient
frappé de tant d'analhèmes. Et celte confes-
sion de foi , présentée à François I,r, jurée
par les ministres lorsqu'ils étaient reçus
daus le ministère , honorée dans les synodes
nationaux comme le fondement de leurs dé-
cisions , n'est aujourd'hui la règle de la
créauce des calvinistes qu'autant qu'il plaît
à leur caprice ou qu'elle convient aux pré-
ventions de leur esprit.
Ne vous laissez point préoccuper , mes
très-chers frères, par les difficultés que le
raisonnement humain et une présomptueuse
curiosité forment sur la créance de l'eucha-
ristie. C'est un mystère, et par conséquent il
est incompréhensible. Calvin lui-même l'a-
voue, et assure que la cène calviniste renfer-
me plus de miracles que la cène de l' Eglise ca-
tholique. Ne demandes donc pas comment un
corps peut être rétréci eu un point et perdre
1039
ORATKl'RS SACHES. DE NESMOND.
1000
ses qualités corporelles; comment il peut
être reproduit eu même temps en plusieurs
lieux différents ; OommeDl les accidents exis-
tant sans leur sujet. I.a révélation (le Jésus—
Christ captive notre entendement, et la rai-
son humaine doit se soumettre quand il s'.i-
git de la religion. Oui sommes-nous pour
sonder les secrets de Dieu et pour donner
des bornes àsa puissance?Ouc deviendrions-
nous si nous voulions approfondir les diffi-
cultés des autres mystères? Ces saintes ob-
scurités, ces impossibilités apparentes , sont
l'épreuve et l'exercice de notre foi. lit sui-
vant la maxime de saint Augustin, croyons
avec soumission ce que Dieu nous rév* le , et
ailorons avec humilité ce qu'il nous cache.
Je n'entre point dans la discussion de la
doctrine des Pères : cet examen , quoique
uiile à l'édification de votre foi , pourrait
être à charge à votre attention. Il suffit de
vous dire que toute la tradition a déposé
pour la réalité , et qu'elle rend témoignage à
notre créance. J'avoue qu'au milieu d'un
grand nombre de passages évidents il y en a
quelques-uns équivoques et embarrassés
dans les Pères, mais doit-on en être surpris?
Ils parlaient sans précaution, parce qu'il n'y
avait point eu encore de disputes sur le dog-
me du saint sacrement. Dans la simplicité de
leur foi et dans la diversité des sujets qu'ils
avaient à traiter , pouvaient-ils prévoir le
mauvais usage que les sacramenlaires fe-
raient de leurs expressions? La présence des
catéchumènes, à qui l'on cachait la connais-
sance de l'eucharistie , obligeait souvent les
pasteurs à s'énoncer avec obscurité dans
leurs discours et dans leurs écrits. N'oni-ils
jamais parlé obscurément quand ils traitaient
des autres mystères de la religion? Avant la
naissance de l'arianisme, saint Justin Mar-
tyr , quoique au fond très-orthodoxe , s'ex-
primait-il sur la consubstanlialilé du Verbe
avec la môme précision que saint Athanase
après les décisions des conciles d'Alexandrie
et de Nicée ?
Mais il y a pour l'examen des Pères une
règle de comparaison que nous enseigne Ter-
tullien, et qui est conforme à la raison et au
bon sens. Un petit nombre de passages doit
l'expliquer par le plus grand nombre ; ceux
qui sont obscurs et difficiles s'éclaircissent
par ceux qui sont clairs et indubitables , et
il faut chercher la doctrine de l'Eglise dans
ce's ouvrages dogmatiques que les Pères com-
posaient pour l'insiruclion des fidèles, qui
étaient une exposition simple, et facile des
dogmes que l'on devait croire, et qui de-
vaient, par conséquent, être conçus en ter-
mes propres , précis et intelligibles. Tel est
le traité des Initiés , composé par saint Am-
broise; telles sont les Catéchèses de saint Cy-
rille de Jérusalem ; et lisez, s'il est possible,
ces auteurs dans la source , pour rentière
conviction de votre esprit, s'il vous reste en-
core quelque doute sur la matière de l'eu-
charistie
Commeftf m'assurez-vous , dit saint Am-
broise , que c'esi'le corps de Jésut-Chrjel que
je reçois, puisque je vois autre chose f c'est ce
qui me reste à tous prouver. ATou« trouvons
uw infinité d'ex't/i])les pour montrer que ce
que l'on reçoit à l'autel n est point ce qui a été
formé pur lu nature , mais ce qui a été < onsa-
cré pur lu bénédiction . qui est j/lus puissante
qw lu nature , puisqu'elle change la nature.
Moïse, tenant un bâton en sa u ain , le jette à
terre , et le bâton iti iut serpent Qu< si la
simple bénédiction d'un homme a eu assez de
pouvoir pour transformer la nature , que di-
rons-nous de la consécration divine dans la-
quelle les paroles mêmes du Sauveur opèient
tout ce qui s'y fuit '( et Jésus-Christ ne pour-
ra-t-il pas transformer la nature d<s chotes
créées ? Vous avez lu dans l'histoire du
monde que , Dieu ayant parlé , toutes choses
ont été faites. Si la parole a pu du néant faire
ce qui n'était point encore , ne pourra-t-elle
pas changer en d'autres natures celles qui sont
déjà faites ?
Servons-nous, ajoute saint Ambroisf1 , des
exemples que Dieu nous fournit. Etablissons
la vérité de l'eucharistie par l'exemple de l'in-
carnation du Sauveur. Il est visible que c'est
contre l'ordre d-e la nature qu'une vierge soit
devenue mère. Or, ce corps que nous produi-
sons dans le sacrement est le même corps qui
est né de la sainte Vierge. Pouiquoi cherchez-
vous l'ordre delà nature dans la production
du corps de Jésus-Christ dans nos mystères,
puisque c'est contre l'ordre de la nature qu'il
est né d'une vierge ? C'est la véritable chair
qui a été crucifiée. Jésus-Christ dit lui-même :
Ceci est mon corps. Avnnt la consécration
qui se fait avec les paroles célestes, on donne
à cela un autre nom ; mais après la consécra-
tion il est nommé le corps du Christ ; or vous
répondez : Amen , c'est-à-dire, cela est vrai ;
croyez donc de cœur ce que vous confesses
de bouche (De iniliandis, cap. 9).
Saint Cyrille de Jérusalem s'explique pres-
que dans les mêmes termes: Lorsque Jésus-
Christ, dit ce Père, nous assure et nous dit
lui-même, en parlant du pain: Ceci est m mi
corps, qui oserait en douter? Et lorsqu'il dit
de même : Ceci est mon sang, qui oserait dire
que ce n est pas véritablement son sang ( Ca-
tech. myst. k).
Ce Père se sert ensuite de la comparaison
de l'eau changée en vin aux noces de Cana ,
pour prouver que si le Sauveur du monde
a eu le pouvoir de faire ce miracle , on ne
doit pas douter qu'il n'ait celui de changer
le pain et le vin en son corps et en son sang.
C'est pourquoi, ajoute-l-il , recevons aver une
pleine certitude le corps et le sang de Jésus-
Christ; car on nous donne son corps sous
l'espèce du pain , et son sang sous Ceepèee du
vin Ainsi ne regardez pus M pain et ce MM
CMUIM ses éléments nus ; car c'est le corps et
le sang de Jésus-Christ, selon les propres pa-
roles du Seigneur. Malgré l'indication de vos
sens, que votre foi n-anmoins v> us empêche
de juger pur t ire goal , et que ce soit celle
même foi ijui vous met croire sans hésiter que
l'on vous donne le c rps et le sang rf| J sus-
Chrisi Souee donc certaine que le pain que
veut voues n'est plue du. pain, quoique votre
goût vous le dise , mais que c'est te corps du
40G1
PREMIERE HARANGUE Al ROI LOUIS XIV.
1062
Seigneur y et que le vin que l'on vous donne
n'est pas du vin, quoiqu'il paraisse tel à votre
août, mais que c'est le sang de Jésus-Christ
{Lac. cit.).
Ces passages sont si évidents , que toute
explication serait superflue. Ces expressions,
ces comparaisons de changement de substan-
ces , ces transformations de natures , celle
efficace attribuée non à la foi, mais à la con-
sécration et à la parole, tout cela prouve à
la fois bien clairement la transsubstantiation
et l'existence de Jésus-Christ dans l'eucha-
ristie hors le temps même de la manducation
el de l'usage.
C'est ainsi que s'expliquait , sur les Caté-
chèses de saint Cyrille, un savant cardinal de
ce siècle , dont les paroles sont assez belles
pour être transcrites. Il n'y a point, dit-il,
d'énigmes ni d'illusions dans les instructions
de Cyrille. Ce n'était point là le temps d'user
d'hyperboles , ni de périlleuses observations
d'éloquence , mais d'arroser les jeunes el ten-
dres plantes de l'Eglise de la pure et simple
vérité de la foi. Ce sont les néophytes, les nou-
veaux baptisés, les enfants naguère engendrés,
qu'il instruit et catéchise de la droite et sin-
cîre croyance qu'ils doivent avoir de ce mys-
tère , pour s'y présenter dignement et non à
leur condamnation.... L'impression qu'il leur
donne alors, comme à une terre molle et neu-
ve, pour en former des vaisseaux de grâce et
d'élection propres à contenir ce sacré trésor,
est celle qu'ils doivent conserver toute leur vie
(Du Perron, de Euchar.).
Finissons, mes très-chers frères, cette ins-
truction que Dieu m'a inspirée pour votre
salut, et recevez-la avec docilité el avec fruit ;
nous vous donnerons à loisir des éclaircisse-
ments sur les autres dogmes de la religion.
Heureux si nous pouvions jeter dans vos
cœurs ces troubles salutaires qui émeuvent
les consciences el qui opèrent ane conver-
sion solide. La gloire en serait à Dieu, de qui
vient tout don céleste, non pas à mes paroles,
qui sont faibles et inefficaces par elles-mê-
mes. Sa grâce est toute-puissanle quand il
lui plaît , indépendamment des ouvriers
qu'elle emploie pour son œuvre, el je puis
dire avec saint Paul : Je n'ai point employé,
en vous instruisant, les discours persuasifs de
la sagesse humaine , mais les effets sensibles de
l'esprit, de la vertu de Dieu, afin que votre foi
ne suit point établie sur la sagesse des hommes,
mais sur la puissance de Dieu même (I Cor.,
Si vous avez des difficultés et des doutes,
venez à nous avec confiance. Toujours prêts
à vous répondre et à vous instruire, nous
vous rendrons raison de notre foi (Philem.,
v. 19) , el nous tâcherons d'édifier la vôtre.
Nous vous devons l'instruction et notre se-
cours; nous nous devons nous-mêmes aux
grands et aux petits, aux forts elaux faibles,
aux docles et aux ignorants de ce diocèse.
La Providence m'a établi voire pasteur; mal-
heur à moi si je ne vous instruis pas! mal-
heur à vous si vous ne voulez pas écouler
nvi voix! Dieu esl témoin que je vous porte
tous dans mon cœur et dans mes cnlrailles
(lbid., 12), et que je souhaite ardemment d'ê-
tre aimé de vous.
Résisterez-vous encore longtemps à la vé-
rité qui vous presse, et ne craignez-vous
poinl les maux qu'une trop longue résistance
peut vous ailirer? Pour moi, la douceur, la
persuasion, la charité, les condescendances
permises, seront toujours les objets de mon
ministère, et cette conduite n'est pas moins
conforme à mon inclination que convenable
à mes devoirs. Je gémirai sans cesse jusqu'à
ce que Jésus-Christ soit pleinement formé en
vous (Galat., IV, 19) ; je dois aimer votre
salut, puisque Dieu me demandera compte
de mon administration âme pour âme, et que
vous serez un jour ma récompense ou ma
eonfusion. Vos intérêts, même temporels,
me sont précieux ; je voudrais vous procurer
le repos el la paix dans vos biens et dans
vos familles, persuadé que les pasteurs doi-
vent imiter la Providence qui , outre l'héri-
tage éternel qu'elle promet à ses enfants, leur
donne aussi, quand il convient à leur sancti-
fication, la félicité de la terre.
N'écoutez donc point les mauvais conseils
que certains esprits factieux, ennemis de vo-
tre repos et de leur patrie, vous donnent ou
dans leurs discours ou dans leurs libelles. Et
je vous dis, en finissant, ces paroles de saint
Paul : Il y a des gens qui vous troublent et qui
veulent renverser l'Evangile de Jésus-Christ ;
mais je vous le dis encore, si quelqu'un veut
vous enseigner une doctrine différente de celle
que nous vous avons annoncée, qu'il soit ana-
thème [Galat., II, 7). Revenez sincèrement à
l'Eglise, qui vous appelle et qui vous sou-
haite, afin que la paix de Jésus-Christ, qui
est la vie, la voie et la vérilô, habile toujours
dans vos cœurs et dans vos consciences.
Donné à Montauban, le 15 juillet 1G99.
PREMIÈRE HARANGUE AU ROI,
Prononcée le 16 août 1G9V, ri la tête des dé-
putés des trois Etats de la province de Lan-
guedoc.
Sire,
Nous approchons de votre personne sacrée
avec un profond respect et une parfaite con-
fiance. Nous sommes également éblouis par
l'éclat qui vous environne, et attirés par la
douceur qui le tempère; nous envisageons
moins votre puissance que l'accueil favora-
ble dont Votre Majesté nous honore, et votre
bonté nous rassure, lorsque tant de grandeur
et lant de gloire nous étonnent.
Que vos ennemis vous craignent comme lo
plus redoutable de tous les rois ; permettez-
nous de vous regarder comme le plus aima-
ble de tous les maîtres. Sous celle idée, si
douce pour nous, si digne de vous, Sire, nous
vous apportons les hommages accoutumés do
notre province. Les peuples qui nous eu-
voient, et dont nous sommes les interprètes,
vous offrent par noire bouche un tribut d'a-
mour que Dieu même ne déd, ligne pas, et
Votre Majesté règne sur leurs cœurs et sur
leurs csprils avec un empire plus absolu que
«0C5 OHATCCRS SACRES. DE NESMOND.
celui que la royauté vous donne sur leurs
bîeoi et sur leurs fortunes.
Ouel honneur, quelle joie pour nous, Sire,
de nous renouveler les assurances d'un zèle
ardent et d'une inviolable fidélité, de venir
tous les ans serrer les nœuds sacrés qui nous
lient à votre souveraineté et vous expliquer
les sentiments qui nous attachent à votre
personne, de pouvoir admirer de près un
monarque que sa présence montre encore
plus grand que la renommée ne le public, et
qui, par des actions peut-être trop héroïques
fiour la foi de la postérité, a toujours humi-
ié les nations conjurées contre sa puissance
et contre sa gloire.
toa
Vous attaquez, Sire, avec supériorité, lors-
que tout autre prince que vous ne serait que
trop occupé du soin de se soutenir et de se
défendre. Dans celte guerre où l'on voit tant
de potentats réunis sous des étendards sacri-
lèges, on croirait la résistance difficile et les
conquêtes impossibles : cependant Votre Ma-
jesté surpasse toujours notre attente; elle ne
6e borne pas à la conservation de ses frontiè-
res, elle les étend toutes les années. Elle
prend non-seulement des villes, elle subju-
gue des provinces, et pendant qu'elle décon-
certe en tous lieux les desseins de ses enne-
mis, elle égale le nombre de ses triomphes
à celui de ses entreprises.
La Catalogne vient de sentir l'effort de vos
armes, et une victoire a été le présage heu-
reax de cette campagne. Ni le passage des ri-
vières (1), ni la difficulté des postes, n'ont pu
arrêter une armée que votre esprit animait;
dans l'exécution de vos ordres elle n'a rien
trouvé d'impossible, et telle est l'intrépidité
de vos troupes , accoutumées à vaincre sur
la terre et sur la mer, qu'elle nous Ole l'in-
quiétude des événements, et aux vaincus la
honte de leur défaite.
Vous ordonnez le siège d'une ville (Pala-
mos) qui ne se défend que pour être prise
avec plus de valeur, et, passant à de plus
nobles projets, vous soumettez une place ^Gi-
rone) si souvent fatale à nos prospérités, et
qui, forcée enfin à vous obéir, a éprouvé ce
que l'Europe entière éprouve comme elle,
un génie plus fort que le sien, et un ascen-
dant plus infaillible que sa résistance.
En même temps et dans un autre climat ce
fils auguste à qui vous avez confié votre fou-
dre étonne ce corps nombreux de tant de
nations rassemblées, il confond par sa seule
présence leurs capitaines les plus habiles et
leurs troupes les plus aguerries; inspiré par
vos ordres et formé sur votre modèle, il fait
craindre dans la Flandre le vainqueur de
Philisbourg et ne trouve dans ses desseins
que l'obstacle ordinaire aux héros trop re-
doutés. On n'ose les attendre, et le bruit de
leur nom laisse moins à faire à leur cou-
rage.
La victoire fidèle accompagne partout vos
désirs, et vos ennemis, Sire, ne descendent
sur les côtes de la Bretagne (Brest) que pour
apprendre par de nouveaux malheurs qu'ils
ue peuvent tromper votre vigilance ni sur-
(1) BjUiIIc de la rivière du Ter.
la gloire de leurs tro-
prendre voire sagesse. Leur entreprise et
leur défaite n'ont été qu'une même rhose.
ll> ont perdu leur chef, leurs soldats, leur
réputation. Nos rivages ont été couverts du
débris de leurs vaisseaux, et leurs vastes pro-
jets, qui tenaient la ligue attentive, ont été
bornés à la désolaliou d'une ville sans mu-
raille et sans défense (Dieppe). Vaine conso-
lation! faible avantage! dont leur orgueil ne
peut se glorifier, dont la dépense est plus
grande que notre perte, et qui est plutôt le
monument de leur désespoir et de leur rage
que de leur puissance et de leur valeur.
Tant «l'heureux succès, Sire, sont la ré-
compense de votre zèle. 11 est juste que Dieu
soutienne un bras qui n'est armé que pour
maintenir nos autels. La religion catholique,
attaquée par ses ennemis, trahie par ses pro-
pres enfants, ne reconnaît que vous pour son
protecteur; vous seul aujourd'hui reagej
son culte et ses intérêis, vous l'édifiez par
vos exemples comme vous la défendez par
vos armes ; vous vous proposez pour modè-
les ces rois vos prédécesseurs, qui ont été
plus célèbres encore par leur sainteté que
par leurs exploits, et vous imitez leur piété
après avoir effacé
phées.
Que n'a pas fait Votre Majesté, dans ce
temps de tribulation et de douleur, où le
ciel, irrité contre nous, avait troublé la joie
de nos constantes prospérités par une disette
presque universelle! Malgré les dépenses
d'une guerre longue et opiniâtre, vous avez
consacré des fonds aux exercices religieux
de la miséricorde chrétienne; on vous a vu
resserrer votre magnificence pour étendre
votre charité. Par une heureuse et louable
imitation, votre zèle a passé jusqu'à vos su-
jets; combien de bonnes œuvres connues et
inconnues ont été le fruit de vos ordres et do
vos exemples! 11 semble que Dieu n'ait aflligé
votre peuple que pour donner plus de ma-
tière à vos vertus, et pour nous montrer en
vous un prince plus occupé des soins labo-
rieux de la royauté que de la grandeur mon-
daine qui l'environne.
Votre prévoyance n'a pas été moins utile
que votre charité. Vos vaisseaux nous ont
apporté des moissons que nous n'avions
point semées, vous avez rendu les nations
éloignées tributaires de votre prudence ; com-
bien de maux menaçaient le royaume le plus
fertile de l'univers, s'il ne vous avait pas eu
pour maître! Et cette circonstance de votre
vie, Sire, ne vous sera pas moins glorieuse
que la suite continuelle de vos victoires.
L'art des ressources est toujours l'effet de la
sagesse et de la vertu, au lieu que les con-
quêtes sont quelquefois l'ouvrage de la puis-
sance et de la fortune.
Nous sentons le bonheur de vivre sous vo-
tre empire, et, dépositaires aujourd'hui des
vœux de la province qui nous envoie, que
ne pouvons-nous vous exprimer son respect,
sa soumission , sa reconnaissance !
Pénétrée de ses obligations, elle n'épargne
ni les biens ui la vie de ses peuples; elle
10C3
DEUXIEME HARANGUE AU ROI LOUIS XIV.
10GG
ue connaît (!ans ses assemblées d'autre règle
que sa fidélité, dans sa conduite d'autre mo-
tif que ses devoirs, dans ses dons d'au-
tres bornes que vos volontés. Elle donne
tous les jours des secours à votre Etat
et des victimes à votre service. Tous les or-
dres qui la composent s'empressent à signa-
ler leur obéissance, ils vous dévouent leur
sang, i!s vous consacrent leurs fortunes , cl
tous, animés d'un égal désir de vous plaire,
ou s'immolent ou s'épuisent pour votre gloire.
Oui, Sire, celte province, qui fut toujours
si fidèle, sera toujours soumise à vos lois :
quoiqu'elle sente le poids des contributions
que Votre Majesté demande à regret, et que
la guerre rend nécessaires, elle vous offre en-
core loul ce qui lui reste : comme vous devez
tout attendre de son amour, elle doit tout es-
pérer de votre bonté. Vos victoires lui pro-
mettent un meilleur avenir, et dans l'attcuto
d'une paix que voire puissance prépare, et
que vous préférez aux titres de vainqueur et
de conquérant, elle se soutient par son zèle
et se console par l'espérance.
Après ces hommages sincères et respec-
tueux, que nos cœurs, [dus éloquents que
nos discours, ne peuvent jamais cesser de
vous rendre, nous n'avons qu'à demander au
ciel que la vie de Votre Majesté soit aussi
longue qu'elle es! héroïque, qu'elle est néces-
saire : vivement persuadés que nous (enfer-
mons dans cet unique souhait non-seulement
la félicité de voire royaume, niais encore le
bonheur de toute l'Europe, dont vous serez
ou le pacificateur par votre modération, ou
le maître par vos conquêtes.
DEUXIÈME HARANGUE AU ROI,
Prononcée à Versailles, le 20 septembre 1700,
pour la clôture de rassemblée générale du
clergé de France.
Sire,
Nous vcnons.au pied do trône de Votre
Majesté, remplir en nous séparant le plus
juste et le pus important de nos devoirs. No-
tre assemblée a commencé par votre autorité,
permettez quelle finisse par nos remercî-
menls et par nos vœux, et qu'approchant de
votre auguste personne comme on approche
des choses sacrées, c'est-à-dire avec respect
et avec confiance, nous renouvelions les
Irès-humblcs actions de grâces que nous de-
vons à voire piété, à votre protection et à
votre zèle.
Le sujet qui nous amène aujourd'hui, ce
grand nombre de sacrés ministres dont j'ai
l'honneur d'être l'interprète, celte foule de
spectateurs attentifs, nous rappellent le sou-
venir de ces temps heureux où l'Eglise, as-
semblée dans ses conciles, portail aux empe-
reurs chrétiens les témoignages de sa pro-
fonde vénération; où ses dernières actions
étaient toujours destinées aux acclamations
qu'elle faisait à leur honneur ; où loul reten-
tissait des expressions tendres et sincères de
sa reconnaissance et de sa joie, et où les
évoques, dans tout l'appareil de leur dignité,
et pleins de l'Esprit-Saint qui les avait ani-
més dans le cours de leurs séances, allaient
Orateuis SACRÉS, XXX
offrir à leur souverain, avec leurs hommages
particuliers, ceux de leurs églises et de leurs
provinces.
Tels furent les respects des Pères du con-
cile de Chalcédoine pour l'empereur Marcien.
Le clergé de France, Sire, répèle leurs ex-
pressions, et adresse aujourd'hui les mêmes
vœux à un prince qui, toujours auguste et
toujours pieux, donne sans cesse à l'Eglise
tanl de preuves éclatantes de sa protection;
qui reconnaît que les rois ne sonl grands aux
yeux de Dieu, et même heureux sur la terre,
qu'autant qu'ils aiment la religion; qui, ne
pensant à gouverner son royaume que par
la même grâce de celui qui le lui a mis entre
les mains, allire sur sa personne sacrée les
bénédictions du ciel, et qui n'édifie pas moins
l'univers par les exemples de sa piété, qu'il
ne i'étonne par les prodiges de son règne.
Aussi, quels succès n'a point eus Voira
Majesté quand de justes raisons ont armé
votre bras et fait voir votre puissance! Si-
gnaler chaque campagne par des victoires
ou par des conquêtes; entreprendre et finir
des sièges fameux, malgré les obstacles des
saisons et des éléments; étendre votre domi-
nation jusque sur les rivages du nouveau
monde, et enrichir vos sujets des pertes et
des dépouilles de vos ennemis; porlcr la dé-
solation et la terreur au milieu îles Etats voi-
sins, pendant que vos frontières jouissaient
d'une heureuse tranquillité; fixer au gré de
vos désirs les caprices et l'inconstance de la
fortune, et la rendre, pour ainsi dire, tribu-
taire de voire prudence; suppléer à la stéri-
lité des moissons par des ressources de pré-
voyance que vos peuples consternés n'o-
saient espérer, cl ne craindre presque jamais
les adversités que le sort des armes rend si
ordinaires dans les longues guerres : ce sonl,
Sire, les bénédictions que le ciel a répandues
sur vous et sur voire empire, et qui ne sont
pas moins la récompense, de voire piété quo
la source et le principe de voire gloire.
Oui, Sire, vous seul avez détruit les pro-
jets d'une ligue que le nombre de ses armées
el l'expérience de ses capitaines rendaient
redoutable. Votre Majesté a toujours vaincu
lorsqu'à peine la résistance paraissait pos-
sible; voire fermeté a fait notre confiance;
cl, sûrs des événements, nous ne craignions
que les périls où pouvait vous exposer voire
courage. Le Dieu de Clovis, de Charlemagnc
et de saint Louis, a protégé l'auguste suc-
cesseur de leurs vertus cl de leur couronne,
et il semble que le ciel n'ait permis l'union
de, tant de nations conjurées contre vous que
pour donner une plus noble matière à vos
travaux et à vos triomphes.
Ouellc suite de prospérités ne vous pro-
mettaient point voire supériorité el votre
puissance I Mais voire piété a désarmé votre
valeur. Selon la maxime de saint Augustin,
Votre Majesté commença la guerre par né-
cessité, cl elle l'a finie par religion. Vous
avez préféré le repos et la tranquillité de vos
peuples à vos intérêts et (ce qui est plus rare
dans les héros) au désir flatteur de conqué-
rir. Comblé de celle gloire humaine qu'ac-
3i
««07 OKATFL'RS SACRES. DE NF.SMOND.
quièrenl 1*1 rois holliquciix , vous ne pense/
qu'au bonheur solide qu'éprouvent les rois
pacifiques. Ce n'es! point sur les projet!
d'une aveugle ambition on d'une politique
selon la chair que root réglez l'art (Je li-
gner, niais sur le- maximes de l'Fvangile et
sur û*l sentiments de voire conscience; | r
vous el par vos bienfaits votre royaume va
devenir aussi florissant qu'il est redouté, et,
dans le sein d'une heureuse pan que volrc
prévoyance affermit, vous assurez 1(1 félicité
de vos sujets, après les avoir rendus dans la
guerre la terreur et l'admiration de lout l'u-
nivers.
Telle fui la tranquillité dont jouit autrefois
le peuple de Dieu sous la conduite du plus
puissant, du plus aimé et du plus sage des
rois d'Israël. On accourait de toutes paris
pour admirer la prudence de ses discours et
de ses conseils. Au seul bruit de son nom, le
monde était dans le silence cl dans le respect,
et sa puissance était redoutable à tous ses
voisins. Les nations allaient dans son pays,
ou pour y apporter les richesses de leur
commerce, ou pour y apprendre la politesse
des mœurs, des sciences et des arts. On payait
avec joie les subsides que le prince deman-
dait avec peine. Le laboureur, tranquille,
cultivait l'héritage de ses pères, et chacun,
dans les villes et dans les campagnes, bénis-
sait à l'envi l'auteur du bien public et du re-
pos de toute la terre.
Votre Majesté nous prépare les douceurs
de ce règne si célèbre dans l'Ecriture. Nos
inlérêls occupent tous vos soins el tous vos
désirs, et nous pouvons dire de vous ce que
disait autrefois s . > i n t Ambroise d'un grand
empereur : que si son autorité suprême le
faisait craindre, sa bonté paternelle le faisait
aimer; qu'il chérissait son royaume comme
un père tendre chérit sa famille; que la com-
passion et l'humanité, vertus si dignes des
bons rois, formaient le caractère de son cœur
et de son esprit; et que le bonheur de ses
peuples était l'objet le plus cher de sa gran-
deur et de sa puissance.
Le clergé de France, Sire, s'intéresse selon
ses devoirs aux prospérités de votre règne. Il
regarde l'honneur qu'il a d'être le premier
corps de volrc royaume, non pas comme un
vain litre de prééminence et de privilège,
mais comme une obligation de donner à tous
vos sujets des exemples édifiants d'obéis-
sance et de soumission. Nous ne voulons élre
plus élevés que pour être, s'il est possible,
plus fidèles. Combien de vœux offerts au Sei-
gneur pour voire conservation ci pour voire
gloirel Lorsque vous marchiez pour vos ex-
péditions militaires, nous invoquions le Dieu
des armées. Volrc augusle nom , répété si
souvent dans nos saints mystères, redoublait
la ferveur de nos sacrifices; et dans tous les
événements d'une longue guerre, dans les
délais d'une paix longtemps fugitive, el que
nous désirions encore plus pour volrc repos
que pour le nôtre, nous léchions, au pied des
autels du Dieu vivant, de fléchir sa justice ou
d'attirer sur vous ses miséricordes
Mais nous ne nous bornions pas à nos
vœux et à nos prières, et pendant que vus
autres sujets n'épargnaient ni leurs vies ni
leurs fortunes, nous signalions pour n OUI BO>
Ire reconnaissance el notre amour. Ces biens
temporels dont Dlco nous a commis l'admi-
nistration, non pal pour llalt< r en nous le
luxe et la vanité, mais pour la subs;sl
des pauvres et pour l'édification «les tii
nous les avons employés avec joie aux né-
cessités d'une guerre que rous souteniez
pour l'intérêt de l'Eglise et pour la dé.
de la foi. Exempts de scrupule par le saint
usage que Votre Majesté faisait de nos dons,
notre conscience même a servi de motif à
notre zèle. Le clergé de France n'a consulté
ses besoins qne pour vous en faire un sacri-
fice plus parfait cl plus absolu. Presque ac-
cablés sous le poids de nos contributions et
de tant de dettes contractées depuis quinze
années, nous axons épuisé toutes nos res-
sources : heureux d'avoir pu par nos biens
soutenir la gloire de la religion et servir à
vos exploits et à vos victoires.
Nous ne doutions fias que la paix ne nous
ramenât un temps plus heureux, et par \ os
bienfaits, Sire, noire attente n'a pas été v aine.
Malgré !e> dépenses excessives d'une guerre
si longue el si opiniâtre, vous avez uubl é
vos propres intérêts, dans l'impatience de
nous soulager. En nous remettant une partie
du don que noire assemblée vous avait of-
fert, Votre Majesté a connu nos besoins, pré-
venu nos désirs et surpassé nos espérances.
Les ministres du Seigneur, touchés de celte
marque éclatante de votre confiance et de
votre estime, ont redoublé partout leurs ac-
clamations el les sentiments de leur respec-
tueuse reconnaissance. Nos registres conser-
veront avec soin le souvenir précieux de vo-
tre bonté, et nous apprendrons à la postérité,
jalouse des douceurs dont nous jouissons,
que jamais prince ne commanda à des sujets
si fidèles et si dévoués et que jamais sujets
n'obéirent a un prince si juste etsi bienfaisant.
En effet, quel monarque mérita comme
Volrc Majesté l'hommage et l'amour d< s
peuples qui lui sont soumis? C'est sous votre
règne , aussi puissant que religieux , que
nous voyons la fureur des duels , plus fatale
à la France que les guerres les plus cruel-
les, abolie et presque oubliée; la licence des
mœurs el l'impiété proscrites, ou du moins
forcées de se cacher; la justice et les lois
écoutées avec respect el suivies avec s u-
misslon; les dignités ecclésiastiques, et même
la pourpre romaine, sous des rois moins
pieux et moins attentifs, l'objet de l'ambi-
tion et de la faveur, aujourd'hui le prix du
mérite et de la vertu; l'autorité des evéques,
en tant de lieux la victime des hos!
exemptions et des privilèges abusifs,
blie dans les droits que Dieu même leur a
confiés; la piété, que la cour ne connaissait
guère, pratiquée dans tous les états cl hono-
rée de voire estime et de vos bienfaits, et
I hérésie enfin expirante, moins | ar \ t tre au-
torité que par vos exemples el par vo : e zèle.
Le ciel vous avait réservé, Sire, pour dé-
truire dans volrc royaume le schisme de ce*
1069
DEUXIEME HARANGUE AU ROI LOUIS XIV.
1070
derniers siècles. Comme il choisit autrefois
Salomon pour bâtir le temple matériel de
Jérusalem, il vous destina, par une vocation
personnelle, l'honneur immortel d'augmen-
ter l'édifice spirituel de l'Eglise, où s'unis-
sent les vrais fidèles. Votre Majesté n'em-
ploie pour ce grand ouvrage que le seul se-
cours de la charité, des bienfaits et de la pa-
tience. Vos édits ont aboli le faux culte, et
vos bontés disposent les cœurs à la vérité.
Chaque jour reviennent dans nos troupeaux
ces brebis dispersées que les préjugés d'une
malheureuse naissance avaient séduites. Ces
néophytes sincères vous regardent comme le
minisire de la Providence, et avouent qu'ils
vous doivent leur conversion. Vous contri-
huez à leur salut et ils servent à voire sanc-
tification, et, pour me servir des paroles de
saint Paul, s'ils font la joie et la consolation
de l'Eg!ise, ils sont aussi votre récompense
et votre gloire.
Vos augustes prédécesseurs auraient-ils
cru, Sire, que ce parti, si fier et si redouté
dès les premiers temps de son origine, ver-
rait bientôt sa chule et sa fin dans tout ce
royaume; que ces vills fameuses, autrefois
l'asile de l'iniquité et du mensonge, et quel-
quefois de la rébellion , deviendraient et sou-
mises et catholiques; que les enfants, par
leur docilité et par leur foi, répareraient la
désobéissance et l'incrédulité de leurs pères;
que la croix de Jésus-Christ serait plantée
sur les ruines des temples démolis, et que
l'Eglise serait florissante dans les lieux mê-
mes où elle avait été l'objet d'une injuste per-
sécution? Telles sont les bornes que Dieu a
prescrites à toutes les sectes : tel* étaient
ses desseins sur vous, Sire, et par votre piété
nous approchons de ce temps si désiré Jont
parlait autrefois saint Jérôme quand il disait
que la France, l'heureuse France, inacces-
sible aux erreurs d'Arius et de Pelage, igno-
rait jusqu'au nom fatal du schisme et de
l'hérésie. {
Que n'a point fait Votre Majesté pour
éteindre ces mystiques subtilités, ces illu-
sions erronées , qui s'insinuaient dans les
cœurs et dans les esprits sous la spécieuse
apparence d'une sainte spiritualité? Votre
prudence en a connu les périls, votre auto-
rité en a arrêté le cours, et voire piété en a
procuré la condamnation. Pierre a parlé par
la bouche d'un souverain pontife comparable
aux plus grands papes des premiers siècles,
et à un jugement si sage et si respectable,
l'Eglise gallicane a joint son acceptation.
C'est ainsi, Sire, que par vos soins les nou-
veautés suspectes finissent presque dans leur
naissance, que rien n'échappe à votre pré-
voyance et à vos lumières, et que vous n'em-
ployez jamais plus volontiers votre puis-
sance que lorsqu'il s'agit du règne de Jésus-
Christ et de la gloire de l'Eglise, qui est son
épouse.
Pour remplir aussi nos devoirs cl pour
suivre les pieux sentiments de Votre Majesté,,
notre assemblée a prononcé sur cet amas
confus d'opinions fausses et téméraires que
l'esprit de mensonge introduit tous les jours
parmi les fidèles. En rendant à César, comme
sujets, ee que nous devions à César, il était
juste <jue nous rendissions à Dieu, comme
évoques, ce que nous devions à Dieu, à ses
maximes, à sa vérité. Eloignés et d'une vaine
singularité et d'un relâchement dangereux,
nous avons conservé les bornes que nos pré-
décesseurs avaient posées. Les saints canons
ont été la règle de nos décisions. Notre voix
s'est élevée contre ces erreurs tant de fois
proscrites, tant de fois naissantes, et dont la
condamnation signala les premières années
de, Votre Majesté. Animés par votre zèle ,
Sire, nous ne tiendrons jamais la vérité cap-
tive dans l'injustice ou dans le silence, et
nous transmettrons à nos successeurs le dé-
pôt précieux de la doctrine aussi pur et aussi
saint que nous l'avons reçu pour l'édification
de l'Eglise et pour la gloire du christianisme.
Oui, Sire, par voire protection le clergé do
France est devenu la plus heureuse portion
du monde chrétien, pour me servir des ter-
mes de saint Léon. Nous ne formons presque
plus de désirs que votre bonté ne prévienne.
Exempts de l'inquiétude que causent tou-
jours les demandes les plus raisonnables, à
l'ombre de votre justice, nous vivons dans
une confiance parfaite et tranquille. Les
plaintes et les remontrances qu'autrefois les
besoins des temps rendaient nécessaires ont
fait place aux remercîments et aux éloges.
Nous ne pensons aux siècles passés que
pour mieux sentir la félicité du nôlre, et
nos assemblées ne viennent plus faire enten-
dre à leur souverain les tristes accents de la
colombe mystique, c'esl-à-dire de l'Eglise
gémissante sous le poids de ses douleurs et
de ses disgrâces.
Toutefois, Sire, la charité de Jésus-Christ
nous presse d'implorer voire zèle et votre
bonté. L'Eglise, cette mère commune des
fidèles, qui vous a engendré au christia-
nisme et à l'adoption sainte des enfants de
Dieu ; qui par l'onction sacrée a sanctifié en
vous le caractère de la royauté; qui nourrit
tous les jours votre foi et votre piété par ses
sacrements et par le ministère de sa parole;
qui vous promet une couronne incorruptible,
plus estimable que celle que vous portez ici-
bas avec tant de gloire; celte Eglise enfin
qui vous regarde comme le premier et le
plus auguste de ses enfants, attend de Votre
Majesté le rétablissement des conciles pro-
vinciaux, si nécessaire pour assurer la pu-
reté de la foi, la réformation des mœurs et
l'uniformité de la discipline.
Ces assemblées < anoniques porteront vo-
ire nom jusque dans les temps les plus recu-
lés, au delà même des temps. Le sainl concile
de Nicéc rendit celui du grand Constantin
plus célèbre que la défaite de Maxence et
de ses aulres compétiteurs. Nous ignorerions
aujourd'hui la grandeur et la fortune de
Martien, si le concile de Chalcédoine n'en
avait transmis le souvenir jusqu'à nous. Les
règlements ecclésiastiques que procura la
protection de Charlcinagnc ont éternisé la
mémoire de son règne et de sa vertu. Les
monuments, Sire, que l'on érige pour voiro
1071
gloire seront, par le défaut de vraisemblance,
suspects de mensonge ou d'adulation. L'E-
glise, !>cule dépositaire de la vérité cl <|ui ne
loue qu'avec discernement et avec justice,
pot mériter la créance de l'avenir; cl la
postérité, qui douterait pcut-élrc de vos faits
héroïques sur la déposition de l'histoire, les
croira sur la foi et sur le témoignage de nos
annales.
Les conciles provinciaux de Reims, de
Houcn, de Naibonnc el de Bordeaux, con-
voqués sous les derniers régnes, ont été di-
gnes de l'estime et de la vénération du
inonde chrétien. Par cet usage, recommandé
avec tant de yèle par le concile de Trente,
l'Eglise de Fiance vous devrait, Sire, tout
son bonheur et toute sa gloire, et l'on ver-
rait, malgré la corruption des hommes el le
relâchement des mœurs, revivre sous votre
protection royale l'exacte discipline des saints
canons; mais que nos vœux soient exaucés,
ou que vous en suspendiez l'accomplisse-
ment, nous obéirons toujours avec soumis-
sion, et nous aurons pour vos ordres ce
respect que Dieu seul petit exiger de nous,
de soumettre jusqu'à nos désirs et nos senti-
ments les plus secrets aux vues de votre
piété et aux lumières de votre prudence.
Dans l'attente de cette nouvelle grâce, que
nous espérons de Votre Majesté, il ne nous
reste qu'à vous protester en corps que notre
fidélité est ;iussi inviolable par les mouve-
ments de nos cœurs que par les devoirs que
nous prescrit notre caractère. Les nœuds
qui nous attachent à vous, Sire, et que Dieu
même a serrés, nous seront toujours chers
et toujours sacrés. Vos vertus nous rendent
aimable celle soumission que notre nais-
sance nous rend nécessaire. Notre soin le
plus important sera d'enseigner sans cesse à
vos peuples qu'ils sont heureux de vivre
sous votre autorité, et nous conserverons
avec joie celle gloire qui, selon le témoi-
gnage de Tertullien, est propre au christia-
nisme, d'obéir au souverain que le ciel nous
adonné, non-seulement par le motif d'une
crainte humaine et politique, mais aussi par
les sentiments les plus vifs el les plus ar-
dents de la religion et de la conscience.
Après ces hommages sincères que le res-
pect, la reconnaissance el, si je l'ose dire,
l'amour pour votre auguste personne exige
de nous, nous allons dans toutes les provin-
ces de votre royaume publier vos \crtus, ra-
conter vos bienfaits, imiter votre zèle et de-
mander à Dieu qu'il ne trouble jamais le
cours de vos constantes prospérités ; qu'il
prolonge une vie si précieuse et si héroïque
au delà du terme ordinaire que la Provi-
dence a prescrit aux hommes ; qu'il mesure
la durée de vos jours sur les vœux de tous
vos sujets, et que nos successeurs, long-
temps après nous, puissent encore jouir des
douceurs d'un règne si grand el si glorieux.
ORATEURS SACRES. DE NF.SMO.M» 1071
TROISIÈME BARANGUE M ROI,
Pour la clôture de ïusscmblcc du clergé
de 1711.
Sire,
Le clergé de France approche de Votre
Majesté avec un profond respect cl avec une
parfaite confiance, il vous offre ses vœux cl
ses acclamations ordinaires. Ses dernières
séances sont toujours destinées à une fonc-
tion qui lui est aussi chère que glorieuse ; el
quel honneur pour moi de vous présenter
encore en ce jour les très-humbles homma-
ges d'u;i corps illustre dont des preuves
éclatantes viennent de signaler la fidélité, el
dont les temps les plus dillicilcs ne sauraient
ralentir le zèle et l'obéissance 1
Quel spectacle édifiant pour tous vos peu-
ples, quel sujet, Sire, de surprise et d'envie
pour vos ennemis, de voir l'Eglise gallicane
se sacrifier tous les jours pour la défense de
voire Etat, oublier ses propres besoins pour
ne penser qu'à ceux de la monarchie, ne
connaître dans ses délibérations d'autres
bornes que vos volontés, d'autres motifs que
la nécessité publique, se mettre, malgré sou
épuisement et son indigence, au-dessus de
l'inquiétude de l'avenir et des retours secicts
de la réflexion, trouver dans son dévoue-
ment et dans son amour des ressources ines-
pérées, et, dans l'espace de peu d'années,
l'aire des efforts qu'en deux siècles entiers
nos prédécesseurs n'avaient pu faire I
Nous les faisons, Sire, ces efforts avec cm-
pressentent et avec ardeur. Si nos dons sont
immenses, nos résolutions sont promptes el
unanimes ; et que pouvons-nous trouver
d'impossible pour un prince qui nous honore
toujours de sa royale protection et nous re-
garde comme le premier objet de sa bien-
veillance, qui ne nous assemble qu'à regret
el ne nous demande qu'avec peine, qui no
touche qu'avec scrupule à ces biens tempo-
rels destinés pour la subsistance des pau-
vres et des ministres du Dieu vivant, qui
ménage avec bonté notre liberté et nos pri-
vilèges, qui connaît mieux que nous-mêmes
les ruines du sanctuaire, qui sent nos mal-
heurs, qui ne pense qu'à les soulager, cl
qui, par ses expressions tendres cl paternel-
les, dont nos fastes conserveront un souve-
nir précieux, nous remplit de consolation cl
de confiance!
Nous louons, Sire, le Père céleste, d'où
découle tout bien parfait, d'avoir mis dans lo
cœur de Votre Majesté cel amour filial pour
l'Eglise, dont vous êtes l'édification et le
soutien, ce zèle aident pour le culte des au-
tels, dont vous êtes aujourd'hui le défen-
seur, celte foi vive el supérieure à tous les
événements de la vie humaine, cette piélé
constante qui vous fait sentir qu'il n'y a que
Dieu qui possède la véritable grandeur, quo
son règne seul est immuable el éternel, que
les rois ainsi que les autres hommes sont
assujettis à son pouvoir el à ses décrets,
que le bonheur des empires est dans sa
main toute-puissante, et que les révolutions
qui arrivent sur la face de l'univers sont
1073
TROISIEME HARANGUE AU ROI LOUIS XIV
107*
l'ouvrage Je sa miséricorde ou de sa justice.
C'est celte piélé sincère, Sire, dont Votre
Majesté donne de si grands exemples, qui
vous a engagé à désirer la paix, que vous
avez cru ne pouvoir acheter trop cher, à gé-
mir sur les malheurs d'une guerre dont Dieu
demandera compte aux puissances qui vous
attaquent, à sacriOer vos conquêtes les plus
chères et ces places importantes qui auraient
été le prix de votre valeur, à ôter, par une
modération si digne de votre bonté, tous les
prétextes odieux qu'inspirent la crainte et la
défiance, à offrir des conditions que des en-
nemis moins jaloux et moins orgueilleux au-
raient acceptées, et à préférer un repos,
aussi nécessaire à l'Europe qu'à vos sujets,
aux vues mondaines et souvent injustes de la
politique et de l'ambition.
Votre Majesté, Sire, ne fait la guerre que
par nécessité, et ses motifs sont la justice et
la religion. Fallait-il qu'une maison inquiète
et jalouse vînt troubler la paix et le calme
heureux dont nous jouissions, qu'elle formât
contre vous une ligue redoutable dont la du-
rée est le prodige de ce siècle, qu'elle rallu-
mât un feu que depuis dix ans lant de sang
répandu ne peut éteindre, qu'elle établît la
domination de l'erreur et de l'hérésie dans
des pays qui furent toujours si catholiques,
qu'elle osât disputer une couronne que le
droit des successions lui avait autrefois
donnée et que le même droit lui a ôtée ! Et
fallait-il enfin que l'Europe entière devînt
le théâtre infortuné de son ambition et de ses
projets 1
Aussi Dieu répand libéralement ses béné-
dictions sur le roi, votre auguste petit-fils, et
sa couronne s'affermit tous les jours, mal-
gré les obstacles. Une journée malheureuse
et l'invasion de la capitale de sa monarchie
semblaient avoir décidé de la destinée de l'Es-
pagne; mais le Seigneur préparait ses voies
dans le secret et dans le silence. Sa provi-
dence avait mis ce prince sur le trône, cl sa
protection l'y soutient. Il a confondu l'or-
gueil et les espérances de ses ennemis. L'im-
prudence cl la présomption, suites ordinaires
de la témérité, ont borné bientôt leurs pro-
grès, et leurs premiers succès furent la cause
même de leur défaite.
Quelle joie pour une nation si fidèle à son
prince légitime de le voir, à la tête de ses
armées, ramener sous ses étendards la vic-
toire fugitive, animer ses soldais par ses or-
dres et par sa présence, tromper le savoir
et l'expérience des capitaines les plus con-
sommés, emporter par la célérité d'une mar-
che précipitée une ville importante, que dé-
fendaient des troupes aguerries, gagner une
bataille, cl presque dans le même jour deve-
nir pour ainsi dire le conquérant do ses pro-
pres royaumes, donnera son compétiteur de
grands exemples d'activité et décourage, et
laissera l'Euroj e équitable, si elle peut l'être,
le soio de décider qui des deux est le plus di-
gne de régner, ou du rival «.u du mailre I
Dans le même temps, en Catalogne, une
place, fameuse autrefois par nos disgrâces,
se soumettait à votre domination. Les diffi-
cultés d'un siège long et pénible nous en
faisaient craindre l'événement. La rigueur de
la saison et des inondations subites et impré-
vues ne purent arrêter l'intrépidité de vos
troupes, leur constance fut à l'épreuve de
tous les obstacles, et la fureur dos éléments
conjurés ne servit qu'à montrer la vigilance
du général et à rendre votre conquête plus
éclatante.
Après les malheurs de quelques campa-
gnes, qui n'aurait cru, Sire, votre puissance
affaiblie et la France découragée? mais Vo-
tro Majesté trouve toujours des ressources
dans sa prévoyance et dans sa sagesse; elle
sait attaquer ou se défendre avec dignité,
elle oppo c partout dos armées formidables,
et l'inaction présente de ses ennemis suc-
cède à leurs avantages passés. Nos frontiè-
res sont tranquilles, el vos provinces ne
craignent point les vaines menaces d'une
invasion. Le ciel a fait sentir à la ligue aussi
bien qu'à nous des tribulations et des amer-
tumes, et la mort lui a enlevé sa première
tête. Qui sait les desseins de Dieu dans une
si subite révolution, el si l'Allemagne, au-
trefois si jalouse des droits de sa liberté, ne
voudra point jouir de l'indépendance et sui-
vre enfin les maximes fondamentales de sa
politique?
Le clergé de France connaît toute l'é-
tendue de ses devoirs dans des conjonctures
aussi importantes, et son ardeur pour votre
service fait toute sa joie et toute sa gloire.
Toutefois, Siro, ce n'est point notre des-
sein de cacher à Votre Majesté notre épuise-
ment et nos besoins. Nous vivons sous un
règne aimable et bienfaisant, où il nous est
permis d'être sincères, où la liberté de prier
et de demander, liberté que Dieu même com-
mande aux hommes pour leur salut, fait
notre félicité temporelle, et où, affranchis
de ces égards timides qui dissimulent les
nécessités publiques, nous pouvons porter
au meilleur prince qui fut jamais les très^
humbles supplications de l'Eglise gémis-
sante sous le poids de ses douleurs et de ses
disgrâces.
Nous parlerons donc, Sire, avec confiance,
et c'est moins pour nous plaindre que pour
retracer aux yeux de Votre Majesté le sou-
venir flatteur de notre amour et de no-
tre zèle.
S'il ne s'agissait que des premiers minis-
tres de l'Eglise, nous vous offririons nos
dons avec allégresse. Qu'importe que nous
retranchions sur nous mêmes la plus grande
portion de nos commodités temporelles ?
nous vous marquons à ce prix notre respec-
tueuse reconnaissance. Comblés de vos bien-
faits, élevés par votre choix à des dignités
éclatantes, nous rendons à la défense cl à
l'utilité de votre Etal ce que nous tenons do
votre bonté. Quel sort plus heureux pour
des sujets soumis et (idoles! Pendant que nos
proches vous dévouent leur sang dans vos ar-
mées, nous vous apportons l'hommage vo-
lontaire de tous nos biens ; nous partageons
ainsi dans nos familles la gloire de vou>
obéir el de vous plaire, el, dans ce concours
%m
ORATLIIIS SACHES. bF NKSMO.M).
1076
mutuel de nos sentiments et de nos devoii -,
les uns s'exposent, el les autres s'épuisent
pour votre service.
Mais, Sire, l'étal des ministres inférieurs,
l'indigence de ces pasteurs qui portent une
partie du poids du jour el de la chaleur, non l
afflige et nous inquiète; ils ne peuvent pres-
que plus vivre de l'autel, et leur subsistance
devient difficile. Nous craignons que le ser-
vice divin ne souffre quelque décadence, et
«lue les églises ne perdent insensiblement les
biens que la piété des fondateurs leur avait
donnés. La moisson évungélique est abon-
dante, mais le nombre des ouvriers diminue
dans les villes et dans les campagnes, et le
clergé de France, que le bon ordre de ses
affaires avait rendu si llorissanl, ne se
soutient plus que par son ancien crédit et
par les derniers efforts de son économie.
Mais, Sire, vous connaissez nos maux;
un jour viendra qu • votre prudence les
saura finir, l'espérance nous anime et votre
bonté nous console. L'usage que Votre Ma-
jesté fait de nos dons nous dispense du scru-
pule, et notre conscience même sert de motif
à notre zèle; les biens destinés pour les au-
tels ne peuvent être plus saintement employés
qu'à les soutenir et à les défendre, et l'œu-
vre la plus méritoire de la religion est de
conserver la religion même. Nous attendons
un avenir plus heureux, et, dans l'espoir
d'une paix que le ciel voudra peut-cire ac-
corder bientôt aux vœux de l'Europe affli-
gée, le clergé se confie en voire piélé et s'a-
bandonne à votre sagesse.
Oui, Sire, il est juste que Dieu favorise
vos pieux desseins, qu'il protège le défen-
seur de l'Eglise el le vengeur des trônes
abattus ou attaqués, qu'il récompense par
d'abondanles bénédictions cet amour pour
la foi orthodoxe que vous regardez comme
ta premier devoir de la royauté, ce zèle in-
flexible contre loul esprit d'erreur el de nou-
veauté,ce désir sincère de rendre vos peuples
heureux et tranquilles, loules ces vertus
enfin que vous avez transmises avec voire
sang à votre royale postérité, et qui, par les
grands exemples que vous lui donnez, pré-
parent le bonheur de plusieurs royaumes et
de plusieurs siècles.
Pénétrés, Sire, des sentiments les plus
vifs de respect, d'amour et de vénération
pour la personne sacrée de Votre Majesté,
nous retournons dans nos diocèses, nous al-
lons veiller avec attention el avec soin aux
besoins de l'Eglise et aux secours que les
nécessités de votre empire exigent de nous,
el demander à Dieu dans nos sacrifices et
dans nos prières qu'il augmente sans cesse
en vous les impressions salutaires de la sain-
teté et le désir de votre salul, qu'il conserve
jusque dans le temps le plus reculé d'une
vieillesse inconnue aux autre-- hommes une
vie aussi précieuse qu'elle est nécessaire,
qu'elle ajoute à vos jours ceux qu'il a retran-
chés à un prince que la France ne peut ja-
mais assez pleurer, que dans -le sein de voire
augusle famille., au milieu d'une cour lou- I
(t) L'archevêque de Narbonae.
jours attentive à vous servir el à vos s plaire,
il préserva voire laaln des moindres ac< i-
deuls de la vie humaine, et qu'enfin i
narque le plus digne de régner soit aussi le
plus grand el le plus heureux.
QUATRIÈME HARANGUE AU ItOI,
Prononcée 4 Y ei saillis, 1$ lundi 3 juin 1715,
ji ut l'ouverture de l'nsseinOlce générale du
(ht t],' .
Sire,
Le clergé de France n'approche jamais do
vole pers -nue laci e U il ne s. nie redou-
bler pour elle sa vénération profonde el, si
je l'ose dire, M tendresse res; ( tueuse ; vo-
tre autorité nous ,i convoqués et noire lèlc
pour voire service nous rassemble : ce i c*t
point le désir de soulager les travaux de la
résidence dans les douceurs domestiques do
nos proches et do nos familles, qui nous
ramène dans ces lieux ; de> motifs plus saints
et plus religieux intéressent noire attention.
Nous venons vous réitérer les , eclamations
que nous devons sans cesse à vo'.ro piélé el
à votre gloire, vous apporter de nouveaux
secours pour l'utilité de votre Etat, goûter
celle joie vive et pure qu'inspire à de ions
sujels la présence auguste d'un bon maître,
et chercher dans les favorables regards de
Votre Majesté des présages flatteurs de pro-
tection et de bienveillance.
J'ai donc l'honneur de vous parler , Sire ,
pour tout le clergé de votre royaum • , pour
ce corps illustre que la doctrine et la piélé
rendent célèbre dans tout l'univers , pour
une portion noble el choisie de celte Eglise
universelle que les rois de la terre respecte t
comme leur mère, pour une assemblée digne
de votre confiance el de voire estime, par
les vertus du grand archevêque qui y pré-
side (1) cl de tant de ministres du Seigneur
qui la composent : ils se servent encore en
ce jour de ma faibb- voix pour vous expli-
quer les sentiments de leur inviolable fidé-
lité, et je viens en leur nom et sons leurs
auspiios vous offrir avec, nos hommages par-
ticuliers ceux de nos diocèses et de nos pro-
v ii ces.
Quelles actions Je grâces ne devons-nous
pas à un prince qui regarde la protection
dont il nous honore comme le premier devoir
de la royauté ; qui sait que les rois ne sont
grands aux yeux du Seigneur, el souvent
heureux sur la le re . qu'autant qu'ils favo-
risent la religion ; qui cherche son salul el le
royaume de Dieu sur loules choses, malgré
les dangers du pouvoir suprême ; qui, dans
les prospérités les plus brillantes et dans les
afllictions domestiques Ie> plus sensibles,
s'est toujours soutenu avec modération ou
avec patience, et qui , rempli de toutes les
vertus que les Pères de lïlglise et les cône les
même Oecuméniques ont lanl louées dans
Constantin el d >.ns Théodose . é aie ces cm
pereurs par li s exemples de si piété el leur
ressemble parles merveilles de son règne]
Nous ne venons point , Sire, donner de
vaines louanges à cette gloire humaine 0.1 i
1077
vous environne et que la terre admire, et no-
tre caractère nous défend un encens pro-
fane. A Dieu ne plaise que la politique du
siècle, ni les bienfaits dont Votre Majesté
nous a comblés, nous inspirent l'art de flat-
ter, et que notre reconnaissance s'explique
aux dépens de la simplicité évangélique !
Vous voulez que les évêques édifient votre
piété, vous attendez de nous que nous rap-
portions à Dieu et aux sentiments de l'hu-
milité chrétienne ces éloges que la vérité et
la justice nous engagent à consacrer à votre
honneur, et , bien loin d'éblouir les maîtres
du monde par le récit fastueux de leurs ver-
tus et de leurs exploits , c'est à nous à leur
apprendre avec respect et avec confiance le
saint usage qu'ils en doivent faire.
Cependant , Sire, pouvons-nous taire tont
ce que le ciel a opéré par vous dans les der-
nières actions de la guerre que Votre Majesté
vient de finir?
On a vu la trame de cette ligue formidable,
dont la durée avait été le prodige de notre
siècle , rompue par la supérioriié de voire,
sagesse ; vos généraux saisir avec prudence
et avec valeur ces moments critiques qui dé-
cident des succès et qui changent la face
des événements (1); des postes, défendus par
des retranchements et par des rivières, em-
portés presque sans perle et par la seule au-
dace de l'entreprise ; des places impor-
tantes (2) revenues sous votre domination
en présence même de vos ennemis, a< cou-
rus plutôt pour en orner le triomphe que
pour en disputer la conquête et la victoire ,
enfin se prêter à lou-; vos projets, moins par
le courage de vos troupes que par cette pro-
tection de Dieu qui fut toujours la ressource
ta plus sûre de votre royaume et de votre
règne.
Quelle campagne fut jamais plus éclatante
que celle qui couronna vos exploits et où il
plut à Dieu d'inspirer un esprit pacifique à
tant de puissances confédérées!
Deux villes fameuse-; (3) et redoutées fu-
rent l'objet de vos entreprises et le théâtre
de votre gloire : ni la longue ré>islanre de
leurs défenseurs ,'ni les ouvrages immenses
que l'art avait élevé> et qui semblaient inac-
cessibles à tous les efforts de la valeur , ni
les obstacles des saisons et <!cs éléments , ni
ces feux souterrains qui portent la mort par-
tout où ils sont et se font craindre même où
ils ne sont pas , ne purent arrêter l'intrépi-
dité de vos troupes. Ces places tombèrent en
votre pouvoir : l'une est à présent le rempart
le plu9 assuré de vo9 frontières, vous ne sou-
mîtes l'autre que pour en taire I • prix de la
paix. Le sacrifice fut l'effet de votre modéra-
tion, comme la conquête avait été le triom-
phe de votre puissance.
Telles sont, Sire, les bénédictions que le
ciel répand sur vous , et il était juste que
Dieu couronnât par d'heureuv succès tant
d'actions que vous avez entreprises et exécu-
tées pour sa gloire, et des intentions plus
(t) La journée (Je Denain.
(i) Douai, le (jut^noy n BoQcbain.
(3) I.wJau ei Fi ibourg.
QUATRIEME HARANGUE AU ROI LOUIS XIV.
1078
pures et plus saintes que vos actions mêmes ;
qu'il récompensât ce zèle constant pour la
religion dont Votre Majesté a toujours mé-
nagé les intérêts plus que les siens propres
dans tous les traités que sa prudence a con-
clus ; celle protection généreuse et édifiante
que vous donnez aux besoins de la chré-
tienté menacée aujourd'hui de l'invasion
d'un ennemi puissant et redoulé (k); ces se-
cours offerts ou préparés pour une île cé-
lèbre (5) qui fut l'écueil de la fierté des Ot-
tomans, et qui trouva toujours dans l'amitié
de la France une ressource sûre et solide;
celte haute sagesse qui préside à tous vos
conseils et qui vient de vous attirer la vé-
nération des plus grands princes de. l'O-
rient (6) : enfin , celle inviolable fidélité pour
vos alliés, qui furent si louables par leur at-
tachement pour votre service, et que votre
protection a rétablis dans toute la splend ur
du rang que le ciel, leur avait donnée.
Pouvons-nous, Sire , oublier ce testament
célèbre, ce dépôt si digne de votre prudence,
que sans doute l'esprit de Dieu vous a dicté
et que vous a inspiré votre amour pour les
peuples que sa providence vous a soumis.
Vous avez envisagé avec tranquillité co
moment terrible où le temps finit et où l'é-
ternité commence, dont le monde charnel et
terrestre éloigne sans cesse l'idée et le sou-
venir, et que les rois craignent comme le
terme ferlai de la gloire et de la grandeur.
Dans des jours lissus pour vous de prospé-
rités , au milieu des applaudissements de
toute la terre, dans une flori-sanle santé qui
nous montre pluîôl une jeunesse renouvelée
que la décadence de l'âge avancé, vous avez
connu que vous éliez homme et mortel , et ,
vo^re piélé mc'.tant à p ofil l'avis salutaire
qu'un prophète donnait autrefois à un saint
roi , vous avez voulu préparer à vos sujet;;
un sort heureux et tranquille. Vous avez
porté votre pi évoyance jusque dans l'avenir :
cet objet si humiliant pour tous les hommes
n'a point dérangé voire constance , cl ces
dernières dispositions, que nous ne traçons
d'ordinaire qu'avec tristesse et avec frayeur,
ont été pour Votre Majesté le monument le
plus héroïque de sa fermeté et de sa sagesse.
Le clergé de France s'intéresse, Sire , se-
lon ses devoirs , à tous les événements de
voire règne, cl dans ces jours difficiles d'une
guerre longue et sanglante, nous avons tou-
jours invoqué le Dieu des armées.
Que de vœux adressés pour vous au Sei-
gneur! nos temples retentissaient sans cesse
des cantiques sacrés de notre joie ou de no-
tre crainte. Que de sacrifices offerts dans tous
les temps et dans tous les lieux pour les pros-
pérités de votre Htat cl pour la conservation
de votre personne sacrée! Combien de minis-
tres fervents ont élevé leurs mains pour de-
mander au Père céleste le retour de ses aurien-
ncs miséricordes I Combien d'âmes fidèles ,
connues de Dieu seuli t( -achées dans l'intérieur
de sa face, ont pri t dans le secret do leur soli-
(4) Les Turcs.
(5) L'Ile de Malle.
(6) Le roi de iVwe.
t07«J
oiuTKrRs Sacrer i>i nksmond.
MHO
iule elalliré sur vous les consolation, éternel-
les cl les bénédictions de la lerre 1 El peu i-<*ir<>
que ces campagnes , si honorables au nom
français et qu'une paix si désirée a couron-
nées , ne sont pas tint fourrage de rc
dats que le fruit heureux des larmes el des
gémissements de l'Eglise.
Dieu a exaucé tant de rœni et tant de
prières , et , libre des soins que donne la
guerre, Notre Majesté , par des vertus plus
conformes à sa piété, ne va plus penser qu'à
soulager les sujets les plus fidèles qui furent
jamais, et dont elle fut toujours l'amour, la
consolation et la confiance.
Kl en effet, dit saint Augustin, les lois ne
sont justes et sainls aux yeux dv Dieu que
lorsque , remplis de l'esprit de religion qui
vous conduit et qui vous dirige, ils ne travail-
lent que pour rendre leurs Etats heureux ;
qu'ils aiment mieux être appelés les pères
que les maîtres de leurs peuples ; que, supé-
rieurs à ces grands noms de vainqueur et do
conquérant que le monde a trop consacrés ,
ils s'attirent l'amitié de leurs voi-ins et les
acclamations de leurs sujets; qu'ils se ren-
dent dignes d'être un jour récompenses dans
le ciel , où ils seront , et loués sur la terre ,
où ils ne seront plus ; et que, laissant après
eux un souvenir durable de leurs vertus et
de leurs bienfaits, ils méritent la noble ému-
lation des princes qui leur succèdent.
Mais , Sire, nous n'avons pas borné notre
zèle à des vœux stériles et à une contempla-
tion oisive , el nos pains sacrés , destinés à
la subsistance des pauvres cl des minisires
du Seigneur, oui servi souvent à la nourri-
ture des soldats d'Israël.
Le corps de votre royaume le plus libre a
toujours été le plus libéral et le plus soumis ;
malgré les délies immenses que nous a\ons
contractées pour le service de Votre Majesté,
nous avons trouvé dans notre économie et
dans notre amour des ressources inespérées ;
dans le désir de vous obéir et de vous plaire,
nous ai ons préféré une louable confiance aux
réflexions trop timides de notre épuisement ;
nous avons regardé la conservation de fil-
ial comme le premier intérêt de la religion ,
et ses besoins sont devenus la règle de nos
consciences et de nos devoirs. Dieu même,
nous commande de nous intéresser aux né-
cessités de la patrie , et la justice la plus sé-
vère nous engage d'accorder nos biens tem-
porels au défenseur de la discipline des sainls
canons , à l'auguste héritier de nos fonda-
teurs , à notre bienfaiteur même el au pro-
tecteur de loulc l'Eglise.
Oui, Sire, elle ne peut assez reconnaître ce
que vous avez fait pour sa g'oire el pour son
bonheur dans tout le cours de voire règne;
elle ne peut assez louer ce zèle aident pour
la parfaite conversion de ceux que les préju-
gés de leur naissance avaient séparés de nous
et que vos bienfaits cl votre patience ramè-
nent insensiblement dans nos troupeaux;
celte estime et cette confiance dont vous ho-
norez les évoques, cl qui est le seul.molil.hu-
Uiain auquel il leur soit permis d'élrc sensi-
bles; celle scrupuleuse attention dans le
chois de ' que toc- mu JiLMii-
ics ecclésiastiques, et que Voti le *a
même chercher dans cette obscurité où la
\eriu aime A se cacher; cette bon'é qui eosv
serve nos privilèges, el qui, ménageante!
toutes choses noire liberté, nous donne loule
la gloire d'une obéissance d'autant plus pure
quelle est volontaire; enfin cet amour < ons-
i .ni p m r la saine doctrine, et celte fermeté
inflexible contre ces nouveautés que les pre-
miers jour.- de votre enfance virent écl re, et
qui, formées par la singularité Cl par l'or-
gueil, se soutiennent toujours par la faelion
et par le mensonge.
Est-il possible que presque chaque siècle
donne au monde le triste spectacle dune er-
reur nouvelle; que celle-ci, conçue dan- les
contrées Belgique», se soil i sinuée dans un
royaume si sav ant et : i catholique; que, cent
fois foudrojée cl cent fois renaissante, elle se
re!èc sur ses propres ruines; que l'épouse
de Jésus-Christ soil non-seulement attaquée
par ses ennemis déclarés, nuis qu'elle trouve
encore dans son sein des enfants indociles?
L'illusion a ses bornes, el l'Eglise seule n'eu
a point. Dieu sans douie réserve à Votre M i •
jeslé la gloire d'achever sou œuvre, et nous
pouvons lui adresser ces belles paroles que
saint Léon écrivait autrefois a l'empereur
Ma rcien : Soutenez tan» cesse, grand pria e,
le lèjne de la vérité, comme Dieu protège le
vôtre. El qu'y a-t-il à souhaiter pour le bon-
heur de lu i eligiont sinon q l'une hérésie pros-
crite dans son origine pur la condamnation
de ceux gui en furent les premiers auteurs
puisse s'éteindre à jamais pur voire autorité et
pur votre zèle?
Le corps des pasteurs de \oire royaume,
Sire, s'est préservé du venin de ces opinions
si dangereuses , même pour l'Etal ; cl nos
vo?ux les plus ardents seraient accompli-, si
ces divisions, que nos péchés ont fait naître
depuis quelque temps entre les frères, cé-
daient aux motifs et à l'amour de l'unité; si,
liés par les nœuds sacrés du caractère de
l'épiscopai, nous l'étions aussi par la par-
faite conformité de nos sentiments; si, dans
le concours d'une acceptation universelle,
nous suivions tous la voix de Pierre qui nous
conduit ; si nous conservions celle sainte
unanimité qui fut toujours la gloire de l'E-
glise gallicane; si nous pouvions bientôt
marquer dans nos fastes ce jour heureux
que nous désirons avec gémissement et ave:
larmes, et si Dieu voulait enfin accorder à \ o-
tre piété cl à vos soins celte paix ecclésiasti-
que que nous demandons par les entrailles de
Jésus-Christ, et qui, pour me servir des pa-
roles d'un grand concile, ferait la joie du ciel
et la consolation de la terre.
C'est ainsi, Sire, que Votre Majesté
acquis pendant tout son règne le litre de pro-
tecteur de la foi orthodoxe, que les prîmes
chrétiens doivent regarder comme l'objet le
plus solide de leur ambition. Ce que vous fai-
tes pour la religion sera immortel coi me
elle; vos bonne- œuvres sont écrites dans le
h\ re de vie eu caractères ineffaçables ; l'K -
glise reconnaissante cl ses annales sincères
1081
DISCOURS PRONONCE AU SACRE DE LOUIS XY.
1082
en feront passer le souvenir jusque <lans la
poslérilé la plus reculée, et comme Dieu seul
en est le motif et le principe, Dieu seul aussi
Be réserve le soin d'en assurer la gloire et
d'en préparer la récompense.
Vivez, Sire, vivez, et la Franco sera heu-
reuse. Possédez en repos ce loisir que Dieu
vous a Fait dans ces superbes palais où les
prodiges de l'art s'unissent à toutes les ri-
chesses de la nature. Nous verrons Votre Ma-
jesté, libre des soins cl del'inquiéludedes évé-
nements, couler doucement les jours d'un ave-
nir paisible et tranquille, soulager vos sujets
lorsque la situation des affaires encore agi-
tées ne mettra plus d'obstacle à votre bonté,
compter vos journées par vos grâces et par
vos bienfaits, apprendre l'art de régner à ce
royal enfant, reste précieux de tant de prin-
ces, que le ciel n'a fait que montrer à la terre,
et joindre dans le cours d'une même vie la
gloire du règne de David belliqueux aux
douceurs de celui de Salomon pacifique.
Nous allons, Sire, dans le cours de notre
assemblée donner à Votre Majesté de nouvel-
les preuves de notre ancienne fidélité. Nous
demanderons pour elle dans nos sacrifices
cette plénitude de jours qui est la première
bénédiction de la terre, et sur toutes choses
ce que vous désirez vous-même, votre sancti-
fication et votre salut.
HARANGUE AU DAUPHIN,
Monseigneur,
C'est la première fois que le clergé de
France a l'honneur de paraître devant vous,
il vous assure par ma bouche de ses pro-
fonds respects ; et quelle joie ne resscnl-il
pas de révérer en vous la plus chère espé-
rance de cet empire et l'héritier de la plus
belle couronne du monde 1
Ce sont les évoques de ce royaume qui re-
cevront vos lois dans un avenir éloigné, ce
sont les pontifes de celte Eglise que vous de-
vez regarder comme votre mère, et dont vous
êtes le fils précieux et chéri; ce sont les mi-
nistres du Dieu vivant qui se présentent à
vous, et qui ne cessent de demander au Sei-
gneur dans leurs sacrifices qu'il vous donne
les bénédictions de la (erre, et surtout cet
esprit de piété et de religion qui fait la
gloire la plus solide des bons princes.
Le ciel a affligé la France par les plus sé-
vères châtiments de sa justice; il vous a ré-
servé, Monseigneur, pour noire félicité, et,
réunissant en vous nos vœux et nos espé-
rances, il nous conservera sans doute l'uni-
que consolation que nous a laissée sa misé-
ricorde.
Avec quel plaisir voyons-nous, Monsei-
gneur, que 'es infirmités de l'enfance respec-
tent une santé si précieuse et si nécessaire,
que l'ange lulélaire de la France veille lui-
même à votre conservation , qu'élevé par
les heureuses mains à qui la Providence et le
roi ont confié votre première éducation (1),
vous croissez pour le bonheur de la monar-
chie, que l'âge développe chaque jour en
(1) La duchesse de Ventadour.
vous de nouvelles grâces, et que, sur ces
traits embellis des plus riches trésors de la
nature, Dieu nous montre déjà l'impression
de votre future grandeur et la gloire qu'il
vous prépare !
Vivez, Monseigneur, pour notre consola-
tion et pour la félicité du royaume; nous de-
mandons au ciel que la piété, l'innocence et
la justice augmentent toujours en vous, que
vos jours soient prolongés au delà du siècle
qui vous a vu naître ; et souvenez-vous, Mon-
seigneur, qu'un évêque, interprète des vœux
de l'Eglise gallicane, vous a dit, dans les pre-
mières années de votre enfance, que tous vos
devoirs consistent à craindre Dieu et à obéir
au plus grand roi et au meilleur père qui fut
jamais.
DISCOURS
Prononcé à Reims, le QS octobre 1722, au sacre
et couronnement de Sa Majesté.
Sire,
Nous offrons à Votre Majesté les Irès-hum-
bles hommagesd'une portioi noble ri illustre
de cette Eglise universelle que les rois de la
terre respectent comme leur mère, et dont
vous êtes le fils le plus précieux et le plus
chéri.
Nous représentons en ce jour solennel ot
mémorable nos confrères dispersés dans
toutes les contrées de votre empire; nous
sommes les interprètes de leurs sentiments,
et nous devons joindre aux tendres acclama-
lions de tous vos sujets des vœux d'autant
plus ardents, qu'ils ont leur source dans
noire confiance, cl que la religion nous les
inspire. L'Eglise gallicane se présente donc
avec confiance au pied du Irône de Votre
Majesté; c'est elle qui a reçu les promesses
de votre baptême et qui vous a régénéré à
l'adoption sainte dns enfants de Dieu ; elle
vient de consacrer en vous, par les mains
d'un grand pontife successeur de saintRcmi,
l.i dignité suprême de la royauté; elle nour-
rit votre foi et votre piété par ses sacrements
el par sa parole; elle demande sans cesse à
Dieu par ses prières la durée de vos jours
précieux, qu'une brillante santé nous assure ;
et voire nom, si souvent répélé dans nos
sacrifices, est l'objet le plus cher de son
amour et de sa ferveur.
Tant de nœuds qui nous attachent à vous,
Sire, nous répondent de vos bontés, et nous
avons la consolation de trouver dans les fa-
vorables regards de Votre Majesté des pré-
sages flatteurs de protection cl de bienveil-
lance.
Quel bonheur pour la France, et surtout
pour l'Eglise, qui en est le premier corps,
d'obéir à un maître dont la raison, formée
avant l'âge, nous annonce un règne si floris-
sant; qui, en recevant la plus belle couronne
du monde, seul plutôt le poids immense du
devoir qu'elle impose, que les avantages du
rang suprême ; qui, par son recueillement
el par sa piélé, rend la cérémonie de sa con-
sécration plus augusle que par la magnifi-
1087,
ORATEURS SACRES. DE NESMOND.
1084
ccnce ci la splendeur du spectacle qui hit
rouler de noi yeux, avides du plaisir de re-
garder, les larmes précieuses que produisent
h joie, l'amour et l'admiration ; qui nous
rappelle sans cesse le souvenir «les vertus
du prand prime de qui II lient son royaume,
et qui, sur ces (rails embellis des plus riches,
trésors de la nature, nous montre déjà l'i.n-
pression de la future grandeur et de la gloire
que Dieu lui prépare '.
Veut commandez, Sire, à la plus noble
nation de l'univers; son attachement invio-
lable pour ses maîtres est le caractère essen-
tiel qui la distingue de toutes les autres, et
son zèle fut toujours à l'épreuve des temps
les plus difficiles; une émulation louable et
constante anime tous les ordres qui la com-
posent.
Le clergé a signalé sans cesse sa fidélité,
et les secours immenses qu'il a accordés ont
été plus d'une fois la ressource de votre em-
pire. La noblesse prodigue son sang dans
les puerres que la fatalité des conjonctures
n'attire que trop souvent, et sa valeur e>t
l'appui de votre couronne; la magistrature,
cette profession si honorable dans ses fonc-
tions et si utile au bien public, a souvent
soutenu le trône aux dépens des fortun s
innocentes de ses familles particulières.
Chacun dans sa condition mesure sa con-
duite plus sur son amour que sur son pou-
voir, et dans un concours mutuel de devoirs
et de sentiments , tous s'empressent, selon
les besoins, à s'immoler ou s'épuiser pour la
gloire de la monarchie. Aussi que ne devons-
nous point attendre de la douceur et de la
honte de votre cœur paternel, dont Dieu dé-
veloppe à chaque instant le principe et le
mouvement!
Vous faites, Sire, l'attente de tout l'uni-
vers; vos vertus en font déjà l'espérance et
l'admiration, et le ciel ouvre pour vous le
cours de vos hautes destinées. La justice, la
religion et l'innocence des mœurs dirigeront
tous les motifs de votre royale administra-
tion ; vous ne ferez jamais la guerre qu'avec
douleur, et vous conserverez la paix avec
attention; affranchi de l'idée Batteuse qui
séduit les princes belliqueux cl conquérants,
vous penserez au bien solide que procurent
les rois pacifiques; les serments que vous
avez faits à la l'ace des autels, et dont Dieu
même fut le témoin et dont il sera le jupe,
deviendront l'objet éternel de votre piété ; et,
persuadé que l'autorité suprême n'a rien de
plus grand que de pouvoir faire le bien pu-
blic, ni rien de meilleur que de le vouloir,
vous rendrez au dedans votre règne aussi
aimable par vos bienfaits, qu'il sera au de-
hors redouté par votre puissance.
Veuille le Dieu de Clovis et de Clotilde ré-
pandre toujours la plénitude de ses dons sur
votre personne sacrée, et combler d • ses
précieuses bénédictions les augustes alliances
«lue la sagesse humaine a préparées, et que
la Providence a accomplies pour le repos de
l'Europe cl la gloire de deux royaumes I
l'uissiez-vous mettre à profit, pour le pou-
(i) Avec l'empereur de Russie ei le Grand-Seigneur.
vernemeiit de vos sujets, les lumières cl les
travaui d'un grand prince depuis loi ' s
dépositaire de voire aaloril n ez-
vou-, Wre, (pie tous lai devoirs d'un prand
roi consistent à craindre Dieu, i défendre et
à proléper l'Eglise trop souvent attaquée, et
à devenir le père dei peuples dont e uel l'a
fait le maître.
HAHANGUi: AT ROI,
Prononcée à Ver failles, le dimanche 'i juin
i~iï'i, par M île Netmoni, archevêque de
Toulouse, président de l'a
du clergé de France, tenue m Vannée 1725.
Sire,
J'ai l'honneur de présentera Votre Majesté
les profonds respects d'une as cmldé • digne
de votre affection et de v tre estime, et qui
est une portion illustre de tout le clergé de
votre royaume; vos ordres l'ont convoqu e,
et elle a confié à mes faibles talents la p!a< e
importante que j'y occupe. Tous ces pontifes
que j'accompagne, tous ces autres ministres
duSeigneur vous renouvellent par nu bou lie
les assurances d'une fidélité éprouvée dans
tous les âges et dans tous les règnes. Je suis
l'interprète de leurs sentiments, et je viens
en leur nom et sous leurs auspices vous ap-
porter les très-humbles hommages de nos
églises et de nos provinces.
Quelle joie pour nous, Sire, d'approcher
avec confiance du trône glorieux où le ciel,
propice à la France, vous a fait asseoir; de
goûter ce plaisir secret et touchant que pro-
duit votre royale présence dans le cœur de
tous vos sujets; de pouvoir admirer Je près
ces grâces extérieures qui ornent votre i cr-
sonne sacrée, et qui sont un présent de la
nature si désirable dans les rois, s'il était
moins dangereux pour leur salut: de révérer
en vous le protecteur de l'Eglise, dont le
soutien est le premier devoir de la royauté,
et de sentir, dans le favorable accueil dont
Votre Majesté nous honore, ces hontes qui
annoncent notre bonheur, et qui font notre
consolation et notre espérance!
Dieu vous a prévenu, Sire, de ses bénédic-
tions dès les premiers temps de votre cn-
frince, et il a mis en vous tous les présages
d'un règne heureux cl florissant. Voire au-
torité fut toujours aussi rc-pccléc que celle
des rois les plus affermis i ar une longue et
paisible administration. La fidélité de vos
peuples, la soumission des grands et l'amitié
de vos voisins ont concouru avec un zèle
égal à la tranquillité de votre royau ne; des
potentats (le czar) sont venus du fond de
leurs vastes Liais vous offrir le ir but de
leur tendre vénération, et votre nom, partout
si chéri et si révère, répond à la France de
la durée du repos dont elle jouit. De sages
négociations (1) dirigées par vos ordres ont
réuni dans les rivages lointains des puis-
sances que l'intérêt ou l'ambition avait divi-
sées. Vous êtes le spectacle cl l'attente de
toutes les nations, cl c'est à la conservation
de vos jours précieux que Dieu semble alla-
1085
HARANGUE AU ROI LOUIS XV.
1080
cher aujourd'hui le bonheur et la destinée
de l'Europe.
Mais, Sire, la dignité souveraine n'est
agréable aux yeux du Seigneur qu'autant
que sa grâce en règle l'usage. Les vertus
chrétiennes font seules la plus soLide gran-
deur des rois, et attirent d'ordinaire sur eux
colle gloire et ces bénédictions de la terre qui
sont, dans l'ordre de la Providence, le prix
et la récompense du juste.
Permettez, Sire, que, l'un des plus anciens
pasteurs de votre royaume porte la vérité
jusqu'au pied du Irônc. Notre ministère ne
doit point s'expliquer aux dépens de la sin-
cérité évangélique; Vous voulez que les évê-
ques instruisent et édifient votre piété, et,
bien loin de séduire les maîtres du monde
par l'éloge trop flatteur de leur autorité et de
leur puissance, c'est à nous à leur apprendre
avec respect et avec confiance le saint usage
qu'ils en doivent faire.
Oui, Sire, la vie la plus éclatante n'est
qu'une ombre que le temps dissipe, et qui
laisse bientôt dans l'oubli et dans le silence
la réputation des héros. Les amusements
qui suivent en foule le trône sont des pièges
dangereux à la sainteté des mœurs. Les ta-
lents politiques, que sont-ils, si la piété ne
les conduit pas, qu'une ambition déguisée
sous de vains prétextes, et que Dieu, malgré
la prudence de la chair, ramène quand il lui
plaît aux desseins de sa providence? Les ex-
ploits militaires, que le monde admire, si-
gnalent à la vérité la valeur et l'expérience
des conquérants; mais les prospérités de
l'Etal épuisent quelquefois les sujets :1e sang
qu'une guerre même involontaire fait ré-
pandre déplaît aux yeux du Seigneur, et la
gloire d'achever le temple de Jérusalem, que
Dieu refusa à David belliqueux, lut réservée
à Salomon pacifique.
Votre Majesté nous rassure sur les dangers
qui accompagnent la royauté, et le désir de
votre salut sera, sur toutes choses, l'objet le
plus cher de votre piété.
Quelle consolation n'est-ce pas, Sire, poul-
ies vrais fidèles, de voir relie foi vive et sin-
cère que vous apportez au pied des autels,
où vous humiliez la première léte de l'uni-
vers en présence de Jésus-Christ caché dans
nos saints mystères I Cette attention à la pa-
role que vous annoncent les ministres de
l'Evangile, et qui vous apprennent les maxi-
mes de bien vivre et de bien régner; ce re-
cueillement dans toutes les cérémonies ecclé-
siastiques où la dignité suprême vous ;.p-
pelle, et où votre modeste simplicité fait le
plus grand ornement de ces spectacles de
religion; cette innocence de nururs qu'un
siècle trop dépravé ne pourra séduire, et
que le Seigneur fera servir à l'édification de
la superbe cour qui vous environne ; enfin
cet assemblage heureux de tint de vertus
que des mains habiles ont su cultiver, et qui
ont travaille avec la nature, avec Dieu même,
à l'éducation d'un roi qu'il a tiré pour notre
bonheur des trésors de sa providence.
Votre Majesté n'oubliera jamais les der-
nières instructions que lui donna son au-
guste bisaïeul, dans les tristes instants qui
finirent le cours de sa belle vie, et ses paroles
mémorables, toujours présentes à vos yeux,
seront le monument éternel de sa religion et
de sa sagesse.
Il vainquit souvent ses ennemis par ses
armes, et triompha de la mort même par sa
constance. Sa piété fut l'édification du chris-
tianisme. Il protégea la foi orthodoxe, et
son zèle s'éleva toujours contre les erreurs
que l'orgueil et la singularité ont introduites
depuis près d'un siècle dans une Eglise si
savante et si catholique. L'auguste prince à
qui vous devez le jour aurait porté sur le
trône ces trésors de justice, de lumière et
de sainteté, si Dieu ne l'eût ravi à ce royaume,
dont il possédait l'amour et la confiance. Ce
sont, Sire, toutes ces vertus que vous avez
à nous rendre. La France attend de vous
l'imitation de ces grands modèles, et vous ne
serez jamais plus au-dessus de toute compa-
raison, que lorsque vous leur serez plus
comparable.
Dans un espoir si flatteur et si consolant,
quel bonheur, Sire, pour tous vos sujets de
vivre sous un maître que l'on voit chaque
jour s'instruire dans ses conseils des devoirs
de la royauté; fonder son expérience sur
celle des plus grands personnages de son
Eial; garder dans ses projets un secret pro-
fond, d'où dépendent les succès des événe-
ments ; écouter avec réflexion les sentiments
du grand prince à qui il a confié les soins
divers de l'administration publique, et qui
porte, sous les ordres de Votre Majesté, tous
les travaux de cette royale sollicitude qui
trouble souvent le repos des souverains et
affermit la félicité de leurs peuples !
Mais, Sire, le titre le plus glorieux de vo-
tre couronne est celui de défenseur de la re-
ligion. Il consacre, pour ainsi dire, le trône
que vous occupez, et vos augustes ancêtres
vous l'ont laissé comme la portion précieuse
de votre royal héritage. L'onction sainte a
réuni en vous le sacerdoce et la royauté.
Des conciles œcuméniques, qui ne^sont ja-
mais suspects de flatterie, ont autrefois donné
à Constantin et à Théodose le nom sacré do
poatifes, et n'ont point mis de différence en-
tre les évêques qui gouvernent l'Eglise et
les princes qui la protègent.
C'est par votre zèle, Sire, que la lumière
de l'Evangile sera portée jusqu'aux extré-
mités de la terre; que nous verrons l'auto-
rité ecclésiastique, souvent l'objet des con-
tradictions humaines, rétablie dans tous les
droits que Jésus-Christ lui a confiés ; que
l'ordre de la hiérarchie sera respecté par
ces esprits inquiets que séduit le goût de la
nouveauté, cl quo l'on a vus sortir dans ces
derniers temps des bornes d'une subordina-
tion légitime ; que ces dissensions que nos
péchés ont fait naître entre les frères dans
l'épiscopat céderont enfin à l'attrait d'une
sainte unanimité. Le ciel sans doute a ré-
servé à votre piété et à votre règne la gloire
de les terminer. Vous serez le ministre de la
Providence pour l'accomplissement de ce
grand ouvrage, cl nous vous devrons celle
1087
ORATEURS &ACRES DE NF.SMOND.
KtS8
pais si longtemps fugitive que l'Eglise de-
mande avec gémissement et avec larmes, et
qui ferait la joie du ciel et la consolation de
tous les fidèles.
le clergé de France, Sire, s'intéresse se-
lon ses devoirs à tous les événements du rè-
gne de Votre Majesté, et il vient de vous ap-
porter de neuveaux secours pour l'utilité de
votre royaume.
A la vérité, nos biens temporels, qu'exa-
gère sans cesse la crédulité on la préven-
tion, sont réservés à des usages que l'Evan-
gile mêsne nous prescrit; nous les tenons de
la libéralité de nos roisou de la religion et de
la piété des fondateurs. Dieu nous en a éta-
blis les dépositaires, et leur destination est
consacrée au soulagement des pauvres. La
charité les a donnés, la charité doit les re-
prendre, et c'est à nous à faire servir à l'é-
dification publique les oblalions des fidèles
et le patrimoine du sanctuaire.
Mais, Sire, ces biens temporels ont été
souvent employés pour la gloire et pour l'in-
térêt de votre État. La justice, la reconnais-
sance et la religion l'ont exigé de nous, et
le corps le plus libre a été dans tous les
temps le plus libéral elle plus soumis. Les
secours que le clergé de France a fournis
ont été plus d'une fois la ressource de votre
empire. Les dettes immenses qu'il a contrac-
tées pour votre service signaleront dans la
postérité son obéissance. Nous en prenons
tous les ans la libération sur nous-mêmes,
et, par un zèle désintéressé et si rare dans le
siècle où nous vivons, nous épargnerons à
nos successeurs le soin de les acquitter.
Malgré les retours secrets de la réflexion cl
Je l'inquiétude de l'événement, nos dons
sont toujours au-dessus de notre pouvoir,
et, dans la triste situation de nos affaires,
que l'économie la plus attentive ne saurait
presque rétablir, à peine conservons-nous
pour l'avenir la douceur cl la consolation de
l'espérance.
A Dieu ne plaise, Sire, que ce récit soit
l'effet criminel du murmure ou de l'impa-
tience I Dans les nécessités du royaume,
nous avons connu nos devoirs, et nous nous
flattons de les avoir remplis; mais qu'il
nous soit permis de nous applaudir de. no-
tre fidélité, d'exprimer à Votre Majesté le
prix et le mérite de nos services, et d'ajou-
ter à la gloire de les avoir rendus le plaisir
innocent de vous en instruire.
Nos ordres nous amènent, Sire, dans la
circonstance d'un événement qui produit
partout des cris d'allégresse, el Votre Ma-
jesté no pouvait nous assembler sous des
auspices plus fortunés. Nous approchons du
jour mémorable d'une sainte cérémonie que
vous venez de nous annoncer cl qui remplit
l'attente et l'espérance de vos sujets. Votre
choix va couronner une auguste épouse, qui
doit partager avec vous le plus noble em-
pire de l'univers. L'Eglise, gallicane unira
ses acclamations à celles de vos peuples, et
nos temples retentiront des cantiques sacrés
de notre joie. Dieu répandra ses grâces sur
votre union : clic promet à la France des
[.rinces dont la naissance réparera la perte
de ceux que la mort lui avait ravi-t et que le
cid ne fit que montrer à la terre. Le Sei-
gneur, touché de nos vœux cl de nos be-
soins, vous donnera bientôt une royale pos-
térité, présent le plus précieux que sa bonté
puisse faire aux monarques qu'il aime, et
qui est l'appui le plus solide du bonheur
de leur règne et de la tranquillité de leur
royaume.
Nous allons, Sire, commencer sous votre
autorité les séances de notre assemblée.
Flattés de l'honneur de votre protection,
vous devez tout attendre de notre obéis-
sance, nous devons tout espérer de voire
bonté ; nous sommes vos sujets par notre
naissance, et nous sommes dignes de létrc
par notre fidélité. Nous imiterons nos pré-
décesseurs, nous nous imiterons nous-mê-
mes, et nous demanderons à Dieu dans nos
sacrifices qu'il comble votre personne sacrée
de prospérités el de gloire; qu'il soutienne
dans la guerre et dans la paix une nation
qui fut dans tous les temps son peuple chéri;
que l'innocence et la religion marchent de-
vant vous dans tous les événements de votre
règne, et que les vertus que le ciel prodigue
vous adonnées, et dont nous voyons le pro-
grès avec tant de joie, puissent toujours
faire le bonheur de votre empire el la con-
solation de toute l'Eglise.
COMPLIMENT
A Messieurs les commissaires du roi à l'assem-
blée du clergé.
Messieurs,
Les bontés dont le roi nous honore rem-
plissent nos souhaits cl comblent notre es-
pérance; mais nous osons dire que nous en
sommes dignes par celte ancienne fidélité,
qui fait notre gloire, el que nous inspirent
le respect , la reconnaissance et la reli-
gion.
La présence des personnes illustres que nous
voyons aujourd'hui dans celte assemblée ne
nous Halle pas moins que la fonction même
qui les amène. Leur réputation éga'e leurs
grands services, et leur haute capacité dans
les emplois confiés à leur ministère les a
élevés aux dignités les plus éminenlcs de
l'Etat. Leur nom est cher à toute la nation;
leurs rares talents, si connus et si applaudis
dans tout cet empire, ont mérité celle véné-
ration publique qui est le fruit de leurs tra-
vaux el la récompense flatteuse de leur mé-
rite.
Nous sentons, Messieurs, le bonheur do
vivre sous les ordres du jeune monarque à
qui la Providence nous a soumis, qui a suc-
cédé à la piété de ses augustes aïeux, comme
à leur puissance et à leur couronne; qui,
ne pensant à gouverner son royaume que
par la même grâce de celui qui le lui a mis
entre les mains, attire sur sa personne sa-
crée les bénédictions du ciel et les prospéri-
tés de la terre; qui favorise l'épiscopal et
le sacerdoce de son affection el de son es-
time, et qui protège l'Eglise par le secours
108'J
MANDEMENT AU SUJET DE MALADIES CONTAGIEUSKS.
1090
de son autorité, comme il la console par l'é-
dification de ses exemples.
C'est de son zèle et de sa piélé que nous I
alternions le retour de notre ancienne féli-
cité. Nous espérons qu'à l'ombre de son trône
la religion et la vérité seront préservées des
dangers delà séduction; que notre juridiction
sera rétablie dans tous les droits que Jésus-
Christ même nous a confiés; que les tribu-
naux séculiers, d'ailleurs si équitables et si
respectés, veilleront avec nous et avec une
intelligence mutuelle à la correction des
mœurs et au soutien de la discipline; que
les ministres inférieurs connaîtront les bor-
nes que leur prescrit une subordination lé-
gitime et nécessaire, et que nous verrons
enfin renaître cette paix ecclésiastique trop
longtemps attendue, et que nous désirons
ardemment, comme le lien de l'union des
premiers pasteurs, et comme le gage du re-
pos même de l'Etal cl de la sanctification de
tous les fidèles.
Nous vous supplions, Messieurs , d'em-
ployer en notre faveur celte confiance que
vos vertus vous ont si justement acquise
auprès du monarque qui nous commande.
Déposez au pied du trône nos vœux, nos be-
soins, nos espérances; nous lui demandons
par voire ministère cette protection royale
qui fera toujours notre plus douce consola-
tion, et qui ne nous fut jamais plus néces-
saire.
RÉPONSE
Au compliment de M. le prévôt des marchands
et échevins de Paris à l'assemblée du
clergé.
Messieurs,
Nous sentons tout le prix des sentiments
de vos citoyens pour celle illustre assemblée,
et ils nous sont d'autant plus ebers que des
magistrats recommandables par leur mé-
rite en sont les dépositaires et les inter-
prètes.
C'est moins l'usage ou l'intérêt qui vous
amènent que cet esprit de piélé que vous
avez reçu de vos pères. Voire amour filial
pour l'Eglise, voire attention pour les pas-
teurs qui la gouvernent et pour les ministres
qui la servent, ces respects que vous venez
rendre à la dignité du sacerdoce, sont les
motifs de notre sincère affection pour vous
cl le gage de notre fidèle reconnaissance.
Quelle administration fut jamais plus ap-
plaudie que celle que les suffrages publics
nous onl confiée I Vous contribuez à l'éclat
et à la splendeur de celte ville, seule digne
de posséder le trône auguste de nos rois, cl
qui ne connaît presque point de rivale sur la
terre. Vous pourvoyez à ses besoins et à ses
commodités délicieuses, que les siècles pas-
sés avaient ignorées; vous conservez l'abon-
dance cl la paix au milieu d'un peuple im-
mense, toujours docile à vos soins pour
l'observation des lois politiques; voire sa-
gesse et vos talents sont au-dessus des dé-
làlls de vos fondions, Vous donnez de grands
exemples à vos successeurs, et vous leur
laisserez cette noble émulation qui produit
d'ordinaire dans les hommes le goût du tra-
vail et de la vertu, et qui les rend utiles
à la gloire et au service de leur patrie.
Les étrangers s'empressent de parta-
ger avec les Français les douceurs d'un
séjour si riant et si gracieux; ils vien-
nent s'instruire de la politesse des mœurs et
de la perfection des sciences et des arts. Une
louable curiosité les attire des climats les
plus éloignés, leur expérience leur confirme
ce que la renommée leur avait appris, et la
magnificence de celle capitale leur fait bien-
tôt connaître la grandeur et la puissance de
la monarchie.
Mais nous admirons surtout cet esprit de
religion qui faille vérilable caractère de vos
citoyens. Quelle docilité pour leurs pasteurs 1
quel zèle pour l'ordre de la hiérarchie 1 quel
amour pour les bonnes œuvres ! Combien de
monuments érigés à la gloire du Seigneur
ou à l'utilité du prochain ! Chaque espèce
de misère trouve quelque espèce de charité
qui la soulage ; cl si cette ville célèbre est
l'ornement de ce glorieux empire, elle en
csl aussi l'édification et l'exemple.
Elle doit, Messieurs, sa félicité à vos
soins et à votre illustre chef, que tant de
ministères importants ont signalé jusqu'aux
extrémités de l'Europe. Nous sommes les
témoins des applaudissements que vos
vertus vous attirent, et celte auguste com-
pagnie m'ordonne de vous assurer de sa
parfaite considération et d'une estime que
méritent les travaux de vos emplois et les
succès de vos grands services
MANDEMENT
Pour demander à Dieu, par de nouvelle*
prières publiques, d'être préservé des mala-
dies contagieuses.
Henri de Nesmono, par la miséricorde de
Dieu et par la grâce du sainl-siége aposto-
lique, archevêque et seigneur d'Albi, con-
seiller en ses conseils et en son parlement do
Toulouse, à lous les fidèles de notre diocèse,
salut et bénédiction en Nolrc-Seigncur Jé-
sus-Christ.
Vous êtes informés, mes très-chers frères,
de toutes les calamités qui affligent depuis
longtemps une des plus belles provinces do
ce royaume. Soit que Dieu ait déterminé,
dans les décrets de sa providence adorable,
de punir encore les pécheurs ou de purifier
les justes qui l'habitent; soit qu'il veuille
nous avertir, par les malheurs de nos voi-
sins, du danger qui nous menace, et exciter
en nous le désir de la correclion de nos
mœurs, il semble que sa justice n'est pas
satisfaite ; sa main continue à s'appesantir
sur nos frères de Provence, cl lous nos
vœux n'ont pu jusqu'à présent obtenir de
sa bonté le retour de ses anciennes miséri-
cordes.
Quel ravage ne fait point, dans un pays
qu'il veut punir ou éprouver, celte funeslo
contagion, dont le venin est si sublil et le
progrès si rapide, qui semble ne s'éteindre
dans une contrée que pour se rallumer dans
une autre avec plus de violence cl d'activité,
1001
OIUTEURS SvCHES. DE NI.>MOND.
qui laisse pou a'intervallo entre lei premier*
symptômes de la maladie et ceux d'une mort
prochaine, qui s'insinue dans Ions toi w us
du coi ps humain parunsoullle impe; ccplilrc,
qui l'imprime même sur lis choses ma ni -
méee, et qui, malgré les précautions que
l'atlention et la vigilance peuvent inspirer,
trompe presque loujours lee raisonnements
de l'art le plus éclaire et l'espérance des re-
mèdes les plus efficaces !
Quels tristes spectacles ne voit-on pas dans
les lieux où cette contagion est répandue I
Elle porte la terreur et la mort partout où
elle csl, et la consternation où elle n'est pas.
Elle met une division intestine dans les fa-
milles, dans les villes et dans les provinces.
Dans ces sortes d'événements tout devient
suspect et ennemi. Au milieu d'une pats
profonde, qui régne aujourd'hui sur la terre,
les peuples sont armés les uns contre les
autres, et défendent, contre leurs voisins les
frontières de leurs contrées. Chacun songe
à se préserver, aux dépens de la compassion
naturelle à tous les hommes ; la guerre la
plus vive n'exerce point de pareilles hosti-
lités ; les précautions les plus sévères et les
plus dures paraissent raisonnables et né-
cessaires, et tel est l'effet delà plus dange-
reuse des calamités publiques, que l'on sa-
crifie à sa propre conservation les devoirs
les plus sacrés de l'humanité, et quelquefois
même les liaisons les plus tendres et les plus
intimes du sang et de la nature.
Vous savez, mes irès-cln rs frères, que les
villes principales de la Provence, célèbres
par leur antiquité et par la magnificence de
leurs édifices, l'ornement du royaume, l'a»
înour elles délices des étrangers, ont éprouvé
tour à tour la tribulation la plus amère que
le soleil ail jamais vue. La plus grande par-
tie de leurs citoyens a péri par le glaive de
l'ange exterminateur. Ce pays si riant el si
gracieux, el à qui il ne manquait peul-élre
qu'un plus saint usage des dons qu'il av.it
reçus du ciel el de la nature, a perdu son
ancienne splendeur. Celle lerre heureuse,
où abordèrent autrefois les premiers apôtres
de nos Gaules, et qui fut engendrée au chris-
tianisme par leurs travaux, n'est plus au-
jourd'hui qu'un séjour de trouble, de tris-
tesse et de confusion. Plusieurs âges ne ré-
pareront pas les ruines qu'a fait' s une seule
année. La mer apporta à ces villes el à ces
campagnes infortunées cet air de mortalité,
des rivages de la Syrie, el le commerce, qui
les rendit si florissantes, a été la cause fatale
de leur décadence.
Tant que nous n'avons vu, mes très-cbers
frères, le mal qu'en éluigrtement, nous pleu-
rions sur nos frères affligés ; mais nous ne
craignions pas pour nous-mêmes. Unis avec
eux par les liens de la religion, du voisin ge
cl do la patrie, nous déplorions leurs mal-
heurs el nous vivions dans une espèce de
sécurité. Nous étions rassurés par la distance
des lieux et par la barrière d'un grand fleuve
gardé avec lout< s les précautions que la
prudence humaine peut suggérer. Nous niel-
lions uolre confiance et notre espoir dans
I attenlii ■ des puissances séculières à qui
le soin de la prorines est eottfé, el qui. diri-
i lies de l'auguste prince qui
nous gouverne, veillent pour co'ie sûre é
avec un zèle digne de notre reconnaissance
et de notre amour. Ainsi, tranquilles I us le
climat que nous habitons, nous ne pr- n.oiis
d'aulre part à cet événement que celui que
nous inspiraient la compassion et 1 1 cha-
rité.
Mais il ne s'agit [dus, mes Irès-cbers frè-
res, de nous flaitcr : le mal approche denone,
la contagion, semblable à une flèche poustee
avec impétuosité, a volé du midi au seplai-
Irion. L'altenlion la plus exacte n'a pu ni la
prévenir, ni en arrêter le progrès. Indes
plus riches diocèses de cette province, assez
voisin de celui où la Providence roos ■ fa t
naître, est attaqué. Dieu a dit à ce peuple
désolé: Je répandrai la mortalité sur tos
montagnes et sur vos voilées; et ce paj
apparence le moins accessilre aux attein-
tes de la maladie, commence à en ressentir
la malignité.
0 épée de la justice de Dieu! ne (e repose-
ras-tu jamais ? Une guerre quia duré plus
ue vingt années, la stérilité des campagnes,
l'espérance des moissons piesque loujours
trompée sur le point de l< s recueillir, la fa-
mine trop fréquente et trop éprouvée, n'onl
point desarmé la colère du Seigneur. Fal-
lait-il que le fléau le plus redoute vint en-
core affliger ou menacer nos provinces ! Nous
devons donc duc avec le Prophète : Malheur
à nous qui uvons péclié !
Aujourd'hui, dans le discours ordinaire
des hommes, on attribue le progiès de la
contagion aux altérations de l'air, à l'in-
tempérie des saisons, à la qualité des aliments
nécessaires à ia vie humaine, aux commu-
nications du comni rce.à la cupidité punis-
sable des négociante <jui sacrifient leur con-
servation et celle de leur patrie à un intérêt
criminel cl à une sordide avarice. Ce dis-
cours n'est que trop véritable, et Dieu sou-
vent se serl des causes secondes pour punir
nos dérèglements ; mais nos péchés sont la
cause la plus certaine des maux que nous
souffrons ou que nous craignons. Si vous
n'écoutez pas ma voir, disait le Seigneur, et
si vous n'accompli$ez pas mes commande-
ment s, je consumerai par la contagion la
terre que vous habitez.
Nous sommes affligés, mes très-cbers frè-
res; maïs c'est une tristesse qui n'opère point
la pénitence et le salut. En efftt, maigre le
péril qui nous menace, on n'aperçoit dans
les villes que luxe el que vanité; la charité
e.t refroidie partout, plus parla dureté du
cœur que par le dérangement des fortunes
particulières. On ne compte pour rien ce
qu il en coule pour le plaisir ; on n'est mé-
nager que quand il s'agit de faire l'aumône.
La médisant • fut-elle jamais plus scanda-
leuse et plus commune? On n épargne ni la
.sacre ni le profane, el la vertu la plus pure
el la réputation la mil ux établie ne sont pas
à l'abri de la détraction, L'intempérance,
autrefois le partage des plus viles conditions.
1093
NOTICE SUR PONCET DE LÀ RIVIERE.
um
est devenue la mode et la politesse des gens
du inonde. N'a-t-on pas vu dans ces der-
niers temps des trésors immenses d'iniquité
amassés par des hommes avares et par les
subtilités d'un trafic odieux et inconnu à la
sage simplicité de nos pères ? La mauvaise
foi, l'intrigue, la cupidité, l'envie el les dé-
sirs séculiers dont parle l'Apôtre, régnent
dans tous les états avec impunité et avec
empire, et presque toute chair a corrompu
ses voies. Devons-nous donc nous étonner si
Dieu rejette des vœux formés sans pénitence
et sans conversion, et qui, n'étant inspirés
que par une frayeur passagère et intéressée,
finissent avec cette crainte humaine qui les
a fait naître?
Cependant, mes très-chers frères, malgré
la corruption du siècle, nous savons, et nous
le publions avec justice, qu'on trouve de la
religion el delà piété dans ce diocèse et dans
celle ville ; qu'il y a des justes qui adorent
Dieu en esprit et en vérité, qui remplissent
avec édification les devoirs de l'état où la
Providence les a appelés, qui s'emploient à
tous les exercices de la charité el des bonnes
œuvres, qui ne s'occupent que des maximes
del'Evangile et du désir de leur salut, etqui
portent partout où ils sont la bonne odeur
du christianisme. Ce petit troupeau d'élection
a toujours fait noire consolation et noire
joie, il fait même notre espérance dans les
circonstances où nous nous trouvons ; ses
prières obtiendront peut-être du ciel ses plus
grandes miséricordes; et, selon la belle
expression de saint Augustin, cesévénemeits
heureux qui sauvent les provinces et les
royaumes sont quelquefois le fruit des gé-
missements de la colombe, c'est-à-dire d'une
âme fidèle que les hommes ne connaissent
pas, et que Dieu cache dans le secret de sa
face.
Ne cessons donc point oe demander à Dieu
qu'il console nos frères affligés, qu'il dise à
l'ange qui les frappe : C'est assez, retenez
votre main, dont ma colère s'est servie. Prions
(t) M. de Nesmond, archevêque d'Albi lors de la publi-
cation de ce mandement, eu 1721 , venait d'être nommé à
l'archevêché de Toulouse.
qu'il nous garantisse nous-mêmes du fléau
d'une contagion trop voisine de nos contrées.
Le Seigneur diffère quelquefois ses bien-
faits pour éprouver notre fidélité, et les grâ-
ces qu'il nous fait attendre sont d'ordinaire
le prix de la ferveur et de la persévérance
des prières publiques ou particulières.
Voici peut-être , mes très-chers frères,
l'une des dernières fonctions du ministère
que j'exerce ici depuis longtemps. Je suis sur
le point de me séparer de vous pour toujours,
et la Providence m'appelle ailleurs contre
mon attente (1). Je n'oublierai jamais un
troupeau qui me fut si cher, et je le porte-
rai jusqu'à mon dernier soupir dans mon
cœur et dans mes entrailles ; Dieu connaît
que je ne mens pas. Je vous conjure de vous
souvenir de moi dans vos prières, de de-
mander au Seigneur sur toutes choses ma
sanctification, et de me pardonner mes fau-
tes, mes négligences et le mauvais exemple
que je puis vous avoir donné. Au moins je
me rends témoignage à moi-même que mes
intentions ont toujours été droites pour le
bien public, el que vos intérêts spirituels ou
temporels ont été dans tous les temps lo
premier objet de ma sollicitude pastorale.
Ma consolation est de vous laisser sous la
conduite d'un prélat illustre par sa nais-
sance (2), plus respectable encore par ses
vertus, et dont le sage gouvernement fera la
félicité de ce diocèse. Cependant, mes très-
chers frères, je ne vous quitterai que lors-
que les nœuds sacrés qui nous unissent se-
i ont rompus. Vous êtes encore mon peuple
el je suis votre pasteur. Heureux si ma pré-
sence peut vous rassurer ou vous consoler,
et, nous confiant en la grâce du Seigneur,
qui donne l'esprit de force à qui il lui plait,
nous sommes résolu, dans ces jours de tri-
bulalion et de calamité, de partager avec
vous les soins nécessaires à voire conserva-
tion, et le danger des tristes événements dout
Dieu vous menace.
(I) M. de la Croix de Caslries, successeur de M. de Nes-
mond au siège d'Albi.
NOTICE SUR PONCET DE LA RIVIÈRE.
Poncet de la Rivikre (Matthias), évêque
de Troyes, né à Paris en 1707, mort en 1780,
s'est dislingue par son zèle, ses vertus et ses
talents oratoires. 11 fut aumônier de Stanislas,
roi de Pologne, et fut exposé aux plus vio-
lentes contradictions, dans un diocèse où les
jansénistes avaient longtemps dominé. Son
opposition à leurdoctrine lui mérita l'exil, « t
le Força, en 1758, à donner la demi:; ion (Je
son siège. La lecture de ses Oraisons funè-
bres donne une haute idic de l'effet que de-
vait produire sa parole. Le caractère de son
éloquence, sans être du uremicr genre, a un
mérite qui lui est particulier. On a encore
de ce prélat une Instruction pastorale sur le
schisme, el un Discours sar le goût, estimé
pour la délicatesse des pensées et l'élégance
de l'expression. (Extrait du Dictionnamih
historique de Feller.)
L'abbé Feller oublie de mentionner daus
relie notice le Sermon que prononça Poncet
de la Rivière pour la prise d'habil de Mn"
Louise* aux Carmélites de Saint-Denis. Ce
sermon, justement estimé, a élé traduit en
i agi <>i. ,ous le reproduisons en fiançais
à la suite des Oraisons funèbre». (Knir.)
ORAISONS FUNEBRES
DE
PONCET DE LA RIVIÈRE.
ORAISON FUNEBRE
DE MARIE-THÉRÈSE, INFANTE D'ESPAGNE ,
DACPHINE.
Proposui pnflace babere Sapientiam, tiuoniam iaexstin-
gaibile esl lumen illias.
J'ai pris lu Sagesse pour règle de ma conduite, parer que
te flambeau dont elle se sert pour m'éclaircr ne s'éteindra
jamais (Sup., VII, 10).
Madame (1),
Des jours mesurés, une mort inévitable, un
jugement sans appel , tel est le partage de
l'homme et le sort que tôt ou lard nous de-
vons tous éprouver.
Le rang le plus élevé , l'autorité la plus
étendue, les trésors les plus abondants, la
magnificence la plus éblouissante, les succès
les plus heureux, l'indépendance la plus en-
tière, la jeunesse la plus florissante, les char-
mes les plus séduisants, ne l'orme ni pas une
félicité solide et permanente. Tout ici-bas
s'échappe , s'évanouit , s'anéantii. Ce qu'on
appelle grandeur est une espèce d'écorce
brillante que le temps ne respecte pas, et les
cèdres mêmes du Liban scréduisent enfin en
poussière.
Vous m'en êtes une preuve en ce moment,
somptueux et lugubre appareil, qui frappez
mes yeux et qui troublez mon cœur. Ces os-
sements superbement déguisés, cette cire ar-
dente qui ne peut éclairer sans se consumer
elle-même, ce lit funèbre, que je regarde
comme le trône de la mort, où elle s'applau-
dit de voir à ses pieds des cendres pré-
cieuses, que nous ne cessons d'arroser de
nos larmes ; ces voiles obscurs, ce deuil gé-
néral, tout me rappelle que la gloire du siècle
est une ombre fugitive, qui ne laisse après
clic que quelque bruit cl que d'inutiles re-
grets.
La véritable Sagesse est seule en droit de
faire posséder un empire qui ne peut être en-
levé, ni par la rapidité tics années, ni par le
coup fatal du trépas. C'est elle qui, suivant
le langage du Saint-Esprit , enseigne la so-
briété, la prudence, la justice, la vertu ; et
les souverains qui ont écouté et suivi ses le-
çons envisagent sans effroi le dernier mo-
ment de leur vie, parce qu'ils savent qu'en
mourant ils ne feront que changer de cou-
ronne.
Telle fut l'espérance qui anima, qui sanc-
tifia TRES-HAUTE, TRES-PUISSANTE, TRÈS-VER-
TUEUSE ET EXCELLENTE PRINCESSE, MaRIB-
Thérbse, infante d'Espagne, dauphins.
Si, pour payer un tribut de louanges à celle
auguste princesse,'jc ne .pouvais, Messieurs,
(1) Madame Me France première.
fixer mes regards que sur l'éclat inséparable
de sa haute naissance; si je me trouvais
forcé d'emprunter des monarques e: des
princes ses aïeux quelques-unes des vertus
qu'on suppose, souvent trop légèrement, élre
héréditaires ; si, dans le lieu saint, je me
voyais réduit à faire valoir les qualités ai-
mables dont la Providence avait permis à la
nature de l'orner, j'admirerais, mais je trem-
blerais, et je serais plutôt ébloui qu'encou-
ragé.
Grâces à la miséricorde de Dieu, des res-
sources plus sûres et plus saintes viennent
à mon secours. Je dois parler d'une prin-
cesse qui, disciple fidèle de la Sagesse, en re-
çut toutes les lumières, et sut, dans l'âge le
plus tendre, en suivre tous les mouvements;
l'encens que je brûlerai sur son tombeau ne
profanera pas celui qui va fumer sur l'autel,
cl, louché moi-même de la perfection du mo-
dèle que j'ai à vous remettre' devant les yeux,
je ne me lasso point d'admirer l'étendue de
la Sagesse qu'elle avait prise pour règle de sa
conduite : Proposai pro luce habere Sapien-
tiam.
C'est la Sagesse qui peut rendre l'homme
véritablement grand , c'est la Sagesse qui
peut rendre l'homme constamment heureux :
deux avantages que l'illustre princesse que
nous regrettons a su procurer. La Sagesse
forma dans elle un assemblage de qualités
augustes, qui méritèrent de régner sur nos
cœurs, cl de là sa véritable grandeur. Cette
Sagesse fut consacrée dans elle par un as-
semblage de vertus chrétiennes qui perfec-
tionnèrent son cœur, et de là la perpétuité
de sa gloire.
Sagesse respectable, ce sont vos pas que
je vais suivre dans le cours d'une si belle vie;
daigne/ me prêter ce flambeau sacré qui ré-
pandit tant d'éclat sur ces beaux jours, ter-
ici lés silo! et éclipses à jamais ; daignez me
servir vous-même de guide pour entrer dans
la courte carrière où celle oriocesse fut si fi-
dèle à vous suivre.
PRKUliRB PARTIE.
Kicn n'est plus naturel que de se croire vé-
ritablement grand , quand on so trouve re-
vêtu de tout l'apanage de la grandeur. C'est
un sentiment que l'amour-proprc inspire ,
que la flatterie soutient, mais qu'un jaste dis-
cernement n'apj rou\e pas toujours, et dont
il n'appartient qu'à la Sagesse de nous ga-
rantir.
La naissance, le rang, le pouvoir, foruieut
4097
ORAISON FUNEBRE DE MARIE-THERESE D'ESPAGNE.
1098
la grandeur; la piété, la justice, le courage,
la bonté, forment le grand prince. Si l'éléva-
tion donne droit d'exiger des hommages et
des respects , il faut d'autres titres pour ob-
tenir l'estime et l'amour. Le cœur de l'homme
est une espèce d'empire dont chaque parti-
culier est. le souverain : cet empire ne se
rend jamais à la force et à la violence , il ne
peut être conquis pour toujours que par le
mérite et par la vertu.
Ainsi le pensa l'auguste princesse dont,
j'entreprends aujourd'hui l'éloge, déjà com-
mencé par vos regrets. Guidée par un rayon
de cette sagesse immuable, qui, suivant l'ex-
pression de Salomon, ne s'éloigne jamais du
trône du Tout-Puissant, elle reconnut qu'elle
ne pouvait jouir d'une véritable grandeur
qu'autant qu'elle se rendrait maîtresse de
nos cœurs ; et, occupée de cette juste idée,
elle s'attira notre vénération par la noblesse
de ses sentiments, elle mérita noire attache-
ment par la bonté de son cœur, elle enleva
notre admiration par la solidité de son esprit.
Qu'elle fut remplie de sentiments nobles et
élevés ! Qui pourrait en être surpris, Mes-
sieurs ? elle sortait du sang des Bourbons.
Fille des maîtres du monde, elle se voyait un
de ses conquérants pour bisaïeul, pour père
un de ses rois, et devait trouver, dans la cour
d'un monarque, qui en est le modèle, un
époux qui en fait l'espérance.
A l'impression de celte origine éclatante
était jointe une éducation digne de sa nais-
sance. Cultivée par les soins d'une reine plus
respectable encore par son génie et par ses
qualités personnelles , que par les droits et
l'éclat de tant de couronnes, elle profila
bientôt de ses leçons et se rendit capable de
donner des exemples.
Qu'il fut glorieux pour elle ce moment où
le plus grand des rois, cherchant une épouse
au plus aimable des princes, lui donna, pour
être le théâtre de ses perfections, le premier
rang dans une cour qui est elle-même le
centre de tous les agréments 1
Ce ne fut point un de ces choix que la po-
litique seule conseille ou que l'intérêt com-
mande , que présente le hasard ou que
!a prévention conduit, et qui , portant tou-
jours le caractère de leur principe, se font
quelquefois sans goût par celui qui en est
l'arbitre, et sans mérile dans celles qui en
sont l'objet.
Ce fut d'abord l'envie de rappeler à sa
source le plus pur sang de l'univers , d'unir
par les nœuds les plus sacrés deux trônes si
glorieusement unis par ceux de la nature, et
d'entretenir dans le peuple du monde le plus
attaché à ses rois, et le plus digne que ses
rois S'attachent à lui, l'espérance d'avoir tou-
jours des maîtres sortis de la même tige.
Mais, j'ose le dire, ce motif n'élait que su-
bordonné, dans les vues du roi, à un objet
plus intéressant. Les vertus du prince qu il
voulait établir demandaient que les .vertus
seules fussent le principe de cet établisse-
ment ; la sagesse de Louis exigeait que son
choix fût justifié aux yeux de l'Europe par
le mérile de -celle qui en serait honorée.
Obatiiurs sacré». XXX.
S'esl-il trompé, Messieurs? C'est à vous-mê-
mes que j'en appelle.
Nous l'avons vue, dans une cour d'autant
plus éclairée sur la vraie grandeur, qu'elle
en voit, et un spectacle plus éclatant sur le
trône, et autour du trône des juges plus ins-
truits; nous l'avons vue, dis-je,Gxer l'atten-
tion sans la rechercher, s'attirer le respect
sans le commander ; porter dans toutes ses
démarches une dignité de conduiie qui se
soutenait également, et dans la dépendance
du devoir, et dans la supériorité du rang;
qui savait se partager entre les hommages
qu'elle devait comme sujette et ceux qu'elle
recevait comme princesse; obéir avec ma-
jesté, dominer avec réserve, suivre la loi et
la donner; servir de spectacle et d'exemple;
n'être jamais au-dessous de ses obligations,
et toujours au-dessus de ses honneurs.
Nous l'avons vue, attentive à tout ce que la
religion enseigne ou inspire, la révérer dans
ses mystères, la soulenir dans ses droits, la
suivre dans ses règles, la respecter dans toutes
ses pratiques, se rendre elle-même respecta-
ble en la pratiquant, confondre par ses
exemples et ne souffrir jamais autour de sa
personne cette impiété étudiée qui, sous le
spécieux nom de philosophie, consulte Iji rai-
son quand la loi parle, ne croit pas même è,
la raison quand elle a parlé, étudie sans s'ins-
truire, se confond sans se convaincre, se perd
dans les doutes, s'égare dans les erreurs, ne
craint que la vérité, s'honore du beau nom
de Sagesse dont elle est l'écueii; s'appelle
force d'esprit, et n'est que faiblesse du cœur
ou du génie.
Nous l'avons vue, au pied d'un trône dont
le premier éclat répandait sur elle le lustre le
plus capable de l'éblouir, soulenir le poids de
celle gloire avec une modestie qui acquérait
sans cesse des droits par les bornes qu'elle
semblait leur prescrire ; qui se communiquait
sans se dégrader, alliait ensemble ce que le
rang demande de réserves et ce que la bonté
permet de complaisance, honorait le mérite
dans tous les autres, le présentait dans elle-
même, voyait partout des vertus, n'ignorait
pas les défauts, mais admirait les unes, plai-
gnait les autres, faisait avec plaisir des élo-
ges, et n'était ennemie que de ceux dont elle
était l'objet.
De là, Messieurs, cette tendresse de senli-
ments qui nous assuraient de son cœur cl lui
engageaient tous les nôtres.
Rappelez-vous ce moment où, à peine unie
avec un jeune héros, elle le vil, non pas ré-
pandre des larmes de jalousie sur les lau-
riers de son père, mais se séparer d'elle pour
voler sur les pas d'un roi conquérant; con-
fondre ensemble, sous un si grand modèle,
l'aride vaincre et celui de combattre; lui
disputer l'honneur des dangers au milieu
d'une armée qui ne connaissait que les leurs,
et effrayer autant l'amour des soldats fran-
çais, que l'audace des troupes ennemies. Ahl
que celte séparation dut coûter au cœur de
la princesse! Représentez- vous, Messieurs,
celte conformité de sentiments qui les unis-
sait l'un à 1 autre, ces rapports de volonté.
35
J009
ORATEI.'RS SACRES. PONCET DE LA l'.IVIERE.
IlitO
ces égards de complaisance, celle tendresse
de soins et d'assiduité. Ce sont les mi-uds de
celle union qu'il i;iliui rompre au premier
hriiil d'un combat qui nattait le cour.i
l'époux par Happai (le la gloire, mais
portail la crainte de tous ses risques dans le
cœur de I épouse alarmée. La nature eut ses
droits dans ce moment, les larmes coulèrent
dans le sein de la tendresse; mais , apt
premier tribal, dont nous trouvons tous la
justice dans nos sentiments, elle marqua une
grandeur d'âme dont elle ne trouvait le mo-
dèle que dans les siens. Ses inquiétudes ne
cessèrent pas, mais elle sut leS reprimer ; le
trouble était dans son cœur, mais aucun
nuage n'annonça que la sérénité en était
bannie; je me trompe, Messieurs : la fer-
meté du prince sembla passer tout entière
dans l'âme de la princesse ; les adieux ne
furent pas moins tendres, mais ils ne furent
pas moins héroïques : elle osa disputer de
courage avec lui ; et, comme si elle eût clé
sûre de l'événement glorieux qui allait être
le prix de cette cruelle séparation, tout ce
qu'il en pouvait coûter à son inclination cl
à son cœur fut sacrifié sans réserve à tout ce
qui devait porler dans elle le caractère du de-
voir et de l'héroïsme.
Ce n'est point trop nous flatter, Messieurs,
que de nous faire entrer pour une grande
partie dans cette noblesse de sentiments
qu'elle fit paraître alors. Nos alarmes deman-
daient qu'elle nous dissimulât les siennes :
elle nous voyait trembler sur les périls d'un
prince qui lui était si cber, elle nous chéris-
sait assez nous-mêmes pour nous épargner
un nouveau motif d'inquiétude dans le spec-
tacle de sa douleur ; mais qu'elle fut dédom-
magée de la peine que lui causait un pareil
sacrifice, par le plaisir de revoir son épouv
aussi tendre et plus glorieux, après une
campagne commencée par une victoire ,
achevée par la conquête d'une province, et
couronnée par l'admiration des peuples 1
A ce tableau que je viens de tracer , quel
assemblage d'autres qualités augustes ! Quelle
tendre compassion, surtout , au récit qu'on
lui f isait des misères 1 Elle cherchait à les
connaître , elle aimait à les soulager, et la
peine qu'elle avait à voir des malheureux
eta l balancée dans elle par le plaisir d'adou-
cir ou de terminer leurs malheurs.
Disons-le, à la honte du siècle, la dureté
est presque toujours la compagne de l'opu-
lence. Moins possesseur qu'esclave de ses
biens, le riche ne pense ni à la source éter-
nelle d'où ils se sont écoulés, ni aux condi-
tions qui peuvent en rendre la possession in-
nocente, ni au tombeau qui en est l'inévita-
ble écueil; il ne refuse rien au luxe, il ac-
corde tout au plaisir ; une passion se sacrifie
les trésors que toutes les antres se sont
amassés ; si la charité eu réclame quelques
secours en laveur de l'indigence , sa voix,
n'est point entendue, et le pauvre sans res-
source se trouve souvent dépouillé, ou par
la cruauté de l'avarice, ou par les excès de
la prodigalité.
Celle insensibilité, condamnable dans luus
les hommes, serait bien plus inexcusable
dans les grands, ils sont en droit, il Ml
d'exigi r du peuple des hommages etd<
ais ils sont obligés de pourvoir, au-
tant qu'il est possible , ,'i leurs besoins ; et
triompher, par ses bienfait-., de leur m
est, pour un cœur tendre et rertoeox , le
plus juste et le plus glorieux de loi -
triomphe*.
Principes solides, que la sage priw
que nous pleurons prit pour règle de sa
conduite. Qu'elle étaii digne de la religion,
qu'elle était consolante pour l'humanité,
cette compassion dont on la voyait péi
aux premières plaintes que pouvaient faire
passer jusqu'à elle des victime-, déplorables
ne l'imprudence de leurs pères ou des mal-
heurs des temps! On ne la vil jamais sépa-
rer de la connaissance des misères la com-
passion pour les misérables; apprendre leurs
besoins, et leur refuser des secours; savoir
l'étendue de leurs maux, et mettre des bor-
nes à ses bienfaits, ou ne se prêter qu'avec
peine à ces malheureux qui sollicitent si
souvent la charité parmi les chrétiens, al
qui trouvent à peine de l'iiumanilé parmi les
hommes.
Quelle bonté de cœur, Messieurs, et dès
lors que de litres légitimes pour régner sur
les nôtres 1 Mais suivons cette pieuse ,
cesse, et nous reconnaîtrons que la solidité
de son esprit ne méritait pas moins noire
admiration.
Placée dans le plus grand monde, env -
ronnée de tous les charmes qui plaisent, au
milieu des illusions qui séduisent, dans un
âge où l'on cherche presque également tout
ce qui plaît el tout ce qui séduit, parmi des
honneurs dont ou ne voit que l'éclat, dans
un rang qui ne craint aucun revers, elev e
jusqu'au trône, ne recevant des lois que d'un
seul, en donnant à tous les autre- hom-
mes du inonde, vous vous écriez : Que d'b ai-
lleurs el d'avantages ! El moi, ministre de
l'Evangile, éclairé par son flambeau, je m'é-
crie : Que de prestiges el de dangers ! Qu'il
est difficile de conserver sur soi-même l'em-
pire que l'on a sur les autres ! Le plus saga
des rois connut la vanité de tous ces hon-
neurs, et, malgré celte connaissance, il y
succomba. Ses premiers regarda eu décou-
vrirent l'illusion, elle égara les derniers, et
la séduction le perdit au milieu des écueils
qu'il nous avertit de craindre.
C'est cette crainte pleine de force cl de sa-
gesse qui soutint la princesse vertueuse dont
je fais l'éloge ; elle étudia 1 1 vérité dans un
âge où l'on fuil de la connaître. Son esprit,
en garde contre les surprises de l'amour
propre ou de la vanité, préfera toujours \<
plaisir de mériter des hommages à p lui de
les recevoir, craignit l'intérêt qui Batte, air. ;
la vérité qui instruit, et ne regarda connu ;
dignes de son amitié que ceux dont les con-
seils pouvaient la rendre elle-même plu
digne d'être aimée. Plaire à Dieu el au prince
son époux était sa principale oceupaliou et
son unique plaisir. Jalouse de se former sur
le vrai, elle savait Consacrer à des lectures
1101 ORAISON FUNEBRE DE MARIE-THERESE D'ESPAGNE,
1102
utiles les moments qu'elle pouvait dérober à
ses devoirs. Quel prodige de voir une jeune
princesse regarder les plaisirs de son âge et
tous les avantages de sa naissance ei de son
rang comme des eaux inconstantes et rapides
qui s'écoulent quelque temps , s'épuisent
bientôt et disparaissent pour toujours I Si
elle était obligée de se prêter aux amuse-
ments qu'on cherchait à lui procurer, quel-
que innocents qu'ils fussent, ce n'était ja-
mais qu'aux dépens de son inclination qu'elle
consentait de s'y livrer , la complaisance
seule guidait ses pas.
O vous , qui consacrez au sommeil les
plus belles heures de votre vie, qui sacrifiez
aux joies du siècle la plus grande partie de
votre temps , qui variez vos amusements
pour les rendre plus piquants et plus sensi-
bles ; qui cherchez à vous remettre, par l'oi-
siveté, de la fatigue du plaisir; qui évitez à
votre corps tout ce qui peut le contraindre;
qui accoutumez votre conscience à ne s'a-
larmer jamais ; qui rendez Dieu, pour ainsi
dire, esclave de la bienséance; qui retran-
chez, autant que vous le pouvez, sur ce que
vous n'osez lui refuser; vous, en un mot,
qui faites paraître une avidité insatiable pour
ne rien perdre des agréments du siècle, ap-
prochez de ce tombeau, et que l'exemple de
la vertueuse princesse qui a le tribut de vos
larmes vous apprenne à ne point chercher
ce que vous devez craindre, et à transporter
dans vos mœurs celte sagesse qui fit son ca-
ractère et qui doit réformer le vôtre.
Mais n'imaginez poi.it, Messieurs, que le
sacrifice qu'elle se trouvait souvent forcée
de faire à la bienséance, fût pour elle une
occasion de manifester au dehors l'ascen-
dant qu'elle avait sur sa volonlé. Sa condi-
tion, son devoir, triomphaient de son incli-
nation, sans qu'aucune des personnes qui
avaient le bonheur d'être auprès d'elle pus-
sent s'apercevoir de la victoire que la soli-
dité de son esprit lui faisait remporter sur
elle-même. Quelle conduite plus digne d'ad-
miration 1 M'en soyez point surpris, Mes-
sieurs, la Sagesse présidait à toutes les ac-
tions de l'auguste princesse qui nous ras-
semble aujourd'hui : Proposai pro luce ha-
Ocrc Sapientiam.
i'ar la noblesse de ses sentiments elle s'at-
tira notre vénération ; par la bonté de son
cœur elle mérita notre attachement; par la
solidité de son esprit elle enleva notre admi-
ration, cl de là sa véritable grandeur : mais
elle sut aussi perfectionner son cœur par un
assemblage de vertus chrétiennes, et de là la
perpétuité de sa gloire, et le sujet de la se-
conde partie de son éloge.
SECONDE PARTIE.
S'il faut de grandes qualités pour se ren-
dre maître du cœur des autres hommes, quel
courage, quelle force ne faut-il pas pour se
rendre maître de son propre cœur! Ce cœur,
aossi jaloux de conserver sa lilicrlc que
prompt à en abuser, au seul nom de capti-
vité s'effarouche : il ne se plaît que dans le
.tumulte des passions, il ne craint que la gène
des devoirs; tyran domestique, il nous fait
des lois de toutes ses révoltes, des obstacles
de tous ses penchants, et une espèce de reli-
gion de tout ce qui la combat.
Rien n'est plus capable de l'entretenir dans
ce goût funeste, que les tentations qui sont
inséparables de la grandeur. Dans un rang
élevé, à peine a-t-on le temps de désirer.
Ecucils de toutes parts ; tentation de fierté,
qui enfle l'esprit; tentation de luxe, qui
corrompt les mœurs ; tentation d'indépen-
dance, qui ne connaît d'autres lois que cel-
les qu'elle donne. De sorte que l'on peut
dire que les grands de la terre sont beaucoup
plus à plaindre que les autres hommes ,
parce qu'ils onl beaucoup plus d'ennemis à
redouter et de combats à essuyer.
La vertueuse princesse dont je parle, quoi-
que dans un âge rarement susceptible de ré-
flexions, sentit tous les périls auxquels elle
se trouvait exposée par sa naissance et par
son rang. A peine fut- elle en état d'éprou-
ver la sensibilité de son cœur, qu'elle le re-
garda comme un ennemi qui ne respirait que
la révolto, et dès ce premier instant elle tra-
vailla constamment à le réduire ; elle y réus-
sit, et elle s'en rendit maîtresse absolue par
l'étude des vertus chrétiennes. La sagesse
seule n'en eût fait que l'admiration de la
terre; mais, sanctifiée par ces vertus, elle
lui donna droit sur la gloire du ciel. Piété
constante au milieu des pièges de la gran-
deur, fermeté intrépide au moment de la
mort, deux traits de l'héroïsme chrétien qui
fondent la justice de nos espérances ; suivez-
moi, je vous prie, Messieurs, et ne perdez
rien des exemples que j'ai à vous offrir.
Jésus-Christ, en proclamant sa loi par
tout l'univers, n'a jamais prétendu détruire
la subordination qui y était établie ; jamais
il n'a voulu égaler toutes les conditions ,
confondre le sceptre avec la houlette, rem-
plir la distance qui sépare le monarque et la
sujet, enrichir le pauvre de la dépouille du
riche, ôter aux grands le droit de comman-
der et aux petits le mérite d'obéir, faire de
son Evangile un titre d'audace et de licence,
renverser par sa grâce l'ordre établi par sa
Providence, et troubler le monde pour lo
sanctifier. Uniquement occupé du salut do
tous les hommes, il s'est borné à f.iire con-
naître le péril de chaque état, à intimider le
faste qui abuse de son pouvoir,'ct à réprimer
l'indocilité qui se révolte contre l'humilia-
tion, à épouvanter la prospérité féconde en
vices, et à corriger l'adversité stérile en ver-
tus. Son Evangile, plein de modération et do
sagesse, n'esi pas une loi de trouble et de
désolation ; son zèle est un feu qui purifie,
mais qui ne consume pas ; et comment le
destructeur de l'iniquité serait-il devenu le
protecteur du désordre?
La piété, que nous devons regarder comme
le fruit de la doctrine du Fils de Dieu, est
aussi appuyée sur les mêmes principes. Pour
en établir le règne dans son cœur, il n'est
point de loi qui oblige l'homme à se dé-
pouiller absolument de ses richesses, à se
dégrader lui-même du rang qu'il doit à sa
nos
ORATEURS SACRES. PONCET DE L\ RI MERE.
f 101
naissance : il n'est d'autre obligation que
celle de ne point se prévaloir de son éléva-
tion, de se soustr.iire à ce que le inonde a de
corrompu, de savoir également lui être utile
Cl empêcher qu'il ne nous devienne funeste,
de lui donner nos soins cl de ne poi.it lui
engager notre cœur.
Qui reconnut plus parfaitement que notre
auguste princesse celle nécessité précieuse
qui met dans la pieté de tous les riais la
distinction qui est dans les étals eux-mêmes?
Qui sut mieux qu'elle allier les devoirs de la
religion avec les bienséances de son rang,
donner à l'une ce qu'elle exige, sans refuser
à l'aulre ce qu'il demande, concilier ensem-
ble l'obéissance qui suil la loi et l'autorité
qui la donne, être soumise, mais en souve-
raine, commander, mais avec dépendance ,
donner les obligations pour règle et les
exemples pour leçons?
Quelle vertu, Messieurs, fut jamais plus
pure dans sis motifs, plus noble dans ses
sentiments, plus sincère dans son usa^e ,
plus inébranlable dans ses épreuves, plus
dégagée des vices qui la combattent, et plus
sanctifiée par les actions qui perfectionnent
son caractère dans les hommes?
Car ne vous figurez pas une de ces vertus
simulées, qui, n'offrant aux yeux que le de-
hors de la vraie vertu, en usurpent le nom,
en allèrent la sainteté, en sont l'image et
l'écueil, et n'édifient ceux qui en sont les
spectateurs qu'en rendant criminels ceux,
qui la font paraître. Ce n'était point une de
ces vertus d'ostentation qui rendent un ser-
vice à charge, et qui, bien loin d'exciler les
autres à la piété, deviennent pour eux une
occasion de murmure et un sujet d'impa-
tience. Ce n'était point une de ces vertus mo-
mentanées, qui n'ont d'autre règle que le
caprice, et qui, d'un recueillement alîcclé,
passent brusquement à une dissipation scan-
daleuse. Ce n'était pas une de ces vertus po-
litiques et intéressées, qui pensent plus au
centuple qu'elles peuvent recevoir en ce
monde, qu'à la couronne immortelle qui en
doit être la véritable récompense. Plaire
à Dieu et se sanctifier, c'était tout son objet.
Je crois la voir. Messieurs, rapporter le
soir aux pieds du Maître de tous les rois les
hommages qu'elle av.: il reçus le jour ; lui
consacrer dès le malin ceux qu'elle devait
recevoir; humiliée sous le sentiment de la
dépendance, anéaulie dans la présence de
Dieu , consulter ses volontés pour en faire
sa règle , se pénétrer de ses oracles pour en
former son instruction, l'interroger comme
l'Apôtre, et attendre des maximes qu'il pou-
vait seul lui inspirer, les seules lois qu'elle
devait suivre.
Vanité, faux brillant du monde, vous dis-
paraissiez alors à ses yeux ; clic sentait la
fragilité de loulc élévation humaine, elle ne
connaissait d'autre plaisir que celui de ser-
vir Dieu, d'autre mal que celui de lui dé-
plaire, d'autre bien que le bonheur de le
posséder.
Unirons avec elle dans le temple, où la
majesté d'un Dieu anéanti interdit le fasle
de toute autre majesté ; quel recueillement
dans son maintien ! quelle ferveur dans sa
prière! quelle âme, qui Ile ardeur dans les
vu-ux qu'elle adresse au Dieu modèle de
toutes verlus, pour qu'il daigne perfection-
ner son cœur! au Dieu arbitre de nos jour-,
pour qu'il conseri e ceux d'un priuce donl la
vie lui esl plus chère que la sienne . au Dii-u
dispensateur des victoires, pour qu'il en
multiplie le nombre en faveur d'un roi d'au-
tant plus digne de vaincre, que c'est malgré
lui, si j'ose ainsi m'exprime^ qu'il est vain-
queur, puisqu'il ne cherche à trompher de
ses ennemis par le- an. .es que pour les for-
cer eux-mêmes à les quitter!
Vous, qu'elle houoraii de ses entretiens
les plus libres el les plus intimes, la viles-
vous jamais faire des défauts d'autrui la ma-
tière de ses discours, ou souffrir qu'en sa
présence la médisance osât élever la voix,
contre la vertu, el insulter à la faiblesse?
Elle oubliait alors celle douceur de langage
qui parlait ordinairement à chacun le lien ,
et celle bonté de caractère qui, pouvant plier
tous les autres à sa volonté, se pliait lui-
même à la volonté de tous les autres. Lille
se chargeait elle-même d'affaiblir leurs dé-
fauts qu'elle ne pouvait dissimuler, n'ap-
prouvail pas ce qu'elle devait blâmer dans
eux, mais excusait ce qu'elle ne pouvait pas
approuver, et, les trouvant toujours assez
malheureux pour les plaindre, ne les trou-
vait jamais assez coupables pour les cou-
damucr.
0 vous, dépositaire des secrets de cette
grande âme, minisire de la justice et de la
miséricorde du Seigneur, que ne pouvez-
vous ici nous exposer celle exactitude scru-
puleuse dans la recherche de ses imperfec-
tions, lorsqu'elle se disposait à se réconcilier
avec Dieu ; cette foi vive qui la pénétrait du
respect le plus religieux dans la parliiipa-
tion fréquente des saints mystères ; celte at-
tention sur elle-même pour ne pas perdre
de vue le trésor qu'elle possédait dans son
cœur ; cel assemblage de verlus, qui ne fu-
rent ni altérées par le mélange des vices, ni
flétries par la contagion du grand monde, ni
dissipées dans la licence et la légèreté de
l'âge, mais qui, soutenues par la giâce, pré-
sentèrent le modèle d'une sainteté achevée
dans le cours d'une vie à peine commencée 1
Une vie à peine commencée et déjà sur le
point de finir ! Quelle réflexion vient de
m 'échapper, Messieurs ? Grand Dieu ! quoi !
si peu d'intervalle eutre le moment où vous
l'accordâtes à nos désirs, et celui où vous
l'enlevez à noire félicité 1 Quels coups pour-
rez-voua porter sur celle lêle auguste, qui
ne percent tous les cœurs qui lui sont dé-
voues? Que de victimes immolées dans une
seule! Ah 1 Seigneur, les larmes répandues
sur la mort du père (1) ne sont pas encore
essuyées ; ménagez-nous au moins le repos
que demandent des perles si sensibles, el ne
confondez pas ensemble tant de douleurs,
dont une seule peut nous accabler.
l!j l'Utlt|.po do France, V du nom, roi d'Espagne, nvwt k Madria le 9 juillet 1T4G.
IHJo
ORAISON FUNEBRE DE MARIE-THERESE DESPAGNE.
I10G
Vœux inutiles, prières infructueuses, et
c'est ici, Messieurs, le triomphe de la fer-
meté cl de la piété de notre auguste prin-
cesse; sa vertu remporte sur les horreurs de
la mort un triomphe égal à celui qu'elle a
remporté sur les passions de l'âge et les dan-
gers de la grandeur.
Heureuse l'âme attentive à la voix du Sei-
gneur, qui, dès sa plus tendre jeunesse, l'é-
coute avec soin, la suit avec empressement,
lui obéit avec fidélité; qui ne réserve pointa
Dieu les soupirs forcés que la mort arrache du
cœur des pécheurs; qui, faisant au Seigneur
un sacrifice méritoire des apanages qu'elle
reçoit de la grandeur, et des agréments que
la nature lui a donnés, ne songe à les rele-
ver que par les ombres de la modestie et par
l'éclat de ses vertus ; qui, sensible aux saintes
inspirations d'une grâce bienfaisante, re-
nonce à des plaisirs dont elle connaît la va-
nité; qui, après avoir reçu avec indifférence,
dans un rang élevé, l'encens des enfants du
siècle, répand sur les pieds du Sauveur les
parfums d'une sincère piété ! Heureux ceux
qui, comme notre illustre princesse, embras-
sent le parti de la vertu et ne l'abandonnent
jamais !
Rappelez-vous, Messieurs, la ferveur des
prières, la vivacité des vœux que vous et
moi ne cessions pas de former pour la satis-
faction de notre monarque, pour notre pro-
pre bonheur; en un mot, pour obtenir du
ciel un héritier digne de perpétuer le nom et
les perfections de son auguste père. Le mo-
ment vint où ce désir si légitime parut être
sur le point de s'accomplir; mais, hélas!
fragilité, faiblesse humaine, rien ne peut
meltrc à l'abri de vos atteintes, et vous bra-
vez toute autorité; en un instant nous per-
dîmes notre espérance, et ce même instant
pensa nous enlever la princesse. lillc s'aper-
çut du péril, elle l'envisagea sans trembler,
et, loin d'écouler les frayeurs qui accompa-
gnent ordinairement la vue d'un danger
presque inévitable : Songez à l'enfant ! s'é-
cria-l-elle, ne pensez point à moi !
Paroles bien précieuses, Messieurs, qui
étaientl'cxpressiond'un cœur bien généreux,
et dont il n'appartient qu'à des cœurs bien
reconnaissante d'être les interprètes. Sauvez
l'enfant /c'est-à-dire, que Louis ait un héri-
tier de son sang : que le prince mon époux
reçoive comme père les hommages qu'il
rend comme fils; que le premier trône du
monde voie la lige auguste sur laquelle il est
appuyé, enrichie d'un nouveau rejeton qui
le rende inébranlable. Sauvez l'enfant ! ne
pensez pas à moi ! c'est-à-dire, si, pour ache-
ter le bonheur de la Krance, il ne faut que
le sacrifice de ma vie, celte vie n'a plus rien
qui me flatte ; victime volontaire de la féli-
cilô d'un peuple qui m'est cher, je me livre
sans peine aux rigueurs d'une mort néces-
saire à son bonheur; que dis-je? Français,
la vue de votre bonheur rend la mort moins
rigoureuse à mes yeux; j'oublie qu'elle ter-
mine mes jours, je pense qu'elle assure vo-
tre espoir; occupée de vous seuls, je vous
laisse uu gage de moi-uicuie; c'est par lui
que, reproduite à vos regards, je retrouverai
dans votre souvenir la vie que je sacrifie à
vos intérêts.
Qu'il est triste, mais qu'il doit nous être
cher ce souvenir, Messieurs 1 Que de larmes
ont coulé jusqu' ici, que de larmes couleront
encore à tous les moments où nous nous rap-
pellerons celui qui enleva pour toujours à
nos yeux une princesse si digne de régner
toujours dans nos cœurs ! O mort 1 que tu es
amère 1 s'écriait un grand roi; tu sépares
impitoyablement ce qui est le plus étroite-
ment uni : Siccine séparas, amara mors !
C'est en vain que l'on s'efforce d'échapper à
ses coups; le crime de notre premier père a
répandu jusque sur nous son venin; tous
frappés du péché dans lui, nous sommes tous
devenus, par lui, sujets à la mort; l'arrêt
en est prononcé, et les princes, comme les
autres hommes, en subissent toute la ri-
gueur.
Mais que d'horreurs en accompagnent le
spectacle, lorsque, présentée dans tout ces
qu'elle a d'affreux, elle frappe ces victimes
précieuses, dont les jours ne peuvent cesser
d'être sereins, sans porter des nuages sur
ceux des autres, et de qui la perte devient
une calamité pour les Etats qu'elles aban-
donnent.
Idoles du siècle , qui ne songez qu'à don-
ner carrière à votre luxe et à votre vanité ,
prévenues en faveur de vos prétendus agré-
ments, vous les contemplez avec plaisir, vous
les entretenez avec délicatesse, vous les pro-
duisez avec complaisance ; mais lorsque la
foi nous présente ce même objet qu'une mol-
lesse attentive a si longtemps ménagé , que
le pinceau de la vanité a déguisé lanl de fois,
à qui la vivacité de l'esprit du monde impri-
mait la violence de ses mouvements ; quand
je le vois , dis-je , froid et immobile , devenu
un spectacle effrayant , dont on ne s'appro-
che qu'avec horreur, resserré dans les bornes
étroites du cercueil , jeté dans le sein d'une
terre avare, qui ne le restituera qu'à la jus-
tice de Dieu , réduit en poussière et entière-
ment évanoui à nos yeux, je me récric, avec
l'Ecclésiasle : O vanité des vanités ! tout
n'est que vanité sur la terre: Yanitas v<tni-
tatum, omnia vanitas.
A l'approche de ce dernier moment , Mes-
sieurs , l'illustre princesse dont je p irle ne
perd rien de sa tranquillité; soutenue par
cette force qui l'avait rendue maîtresse de
son propre cœur, elle prévoit elle-même
l'instant qui doit la dérober à la terre. Elle
demande son confesseur avec empressement,
elle l'attend avec impatience, le moindre re-
tardement effraye la' délicatesse de sa cons-
cience ; à peint paraît-il , qu'elle a recours
à Dieu , qu'elle espère, qu'elle s'encourage ,
qu'elle envisage le ciel et désire d'y parvenir.
Conquérants qui faites trembler la terre ,
vous qui , élevés au milieu des combats, bra-
vez la mort dans le leu des hasards, et , ren-
dus a vous-mêmes , n'en pouvez soutenir les
approches; vous dans qui l'homme , prêt à
s'affaiblir, dément si souvent le héros qui a
triomphé, venez , venez appreudre de notre
OKATFl (IS SACRES. l'ONCKT "F L\ RIVIERE.
princesse comme il faut mourir ; un prince
qui faisait sa félicité, fondant en larmes; un
roi couronne de gloire , accablé de douleur;
une reine éclairée par ses propres vertus
sur le mérite de celles des autres, prèle à
succomber sous le poids de l'affliction la plus
vive; déjeunes princesses, qui formaient
avec elle une société de vertus et d'agré-
ments, en proie à la tristesse la plus ac-
cablante ; une cour qui lui était dévou
livrée à toute la vivacité des regrets : rien
n'est capable d'ébranler sa constance, rien
ne peut donner atteinte au mérite de s u
sacrifice; les témoignages même de tendresse
qu'elle reçoit d'un époux qu'elle cfa rit < t
dont elle est aimée, ne produisent d'autre ef-
fet que de donner un nouveau lustre à son
courage et à sa vertu. Prince , lui dil-elle j
vous seul me faites regretter la vie ; mais </ue
celte assurance vous suffise , retirez-vous , et
laissez-moi ménager pour l'éternité le peu de
moments qui me restent. Moments précieux
où , après avoir détourné ses regards de tout
ce qui pouvait l'attacher au monde , elle ne
pense plus qu'à Dieu seul et à son salut.
Le mal cependant devient plus dangereux;
on tremble, on frémit pour les jours de la
princesse. On n'est plus occupé qu'à soute-
nir sa piété par l'administration du dernier
sacrement. Le roi lui-même, tout éploré qu'il
est, donne ses ordres pour cette triste céré-
monie; sa religion semble lui faire oublier
sa douleur; son impatience répond à son zèle,
et son zèle, dans ee moment d'épreuve, n'est
pas moins grand que son courage à la tête
de ses armées.
Venez, pontife respectable (1), interprète
de la vérité quand il faut instruire les prin-
>ces dans l'art d'obéir et de commander, s^yez
ici l'oracle de la religion pour leur appren-
dre à mourir; soutenu par la vôtre dans ce
moment funeste, portez sur son corps défail-
lant les Onctions saintes de l'Eglise; résil-
iez, s'il est possible, cette, âme précieuse,
assoupie dans les ténèbres de la mort ; assu-
rez à la religion le dernier moment d'une
vie dont tous les jours lui ont été consacrés;
profitez de l'instant où elle est eucore... Que
dis-je? l'instant passe, et elle n'est plus.
Vous nous l'avez enlevée, grand Dieu ! dans
les plus beaux jours de sa vie. Nous ne nous
plaignons point de votre justice, nous im-
plorons pour elle votre miséricorde, nous
réclamons votre bonté en faveur d'un mo-
narque et d'un prince à la \ie desquels est
attachée notre destinée. Puissiez-vous leur
accorder autant de jours que nous regret-
tons de qualités, et qu'ils en possèdent eux-
mêmes 1 Puissiez-vous, ô mon Dieu, même
au risque de renouveler sans cesse notre
douleur, nous conserver une image des ver-
tus de la mère, dans celte jeune princesse,
gage précieux et malheureux de nos espé-
rances et de nos regrets; elle remplira les
unes, elle adoucira 1rs autres, en se formant
sous les yeux et par les soins d'une reine
vertueusel Puissc-l-elle lui donner toujours
(1) L'ancien êvique de Mirepoiz, pour lors premier tu-
ni"UKT de madame la daupbme
U 8
autant de satisfaction qu'elle en
d'e\'
Pour i uns, Messieurs, que le zèle, la
le devoir, on' conduits rno-
nie, apprenez de cel éloge, dicté par la
rite, auiorivé par la reli-ion, trop p écipité
pour être digne d'un si grand sujet , spore*
ne/, dis je, à réjiler par la S igesse les quali-
té* que Dieu vous a donnée tifler
celte Sagesse elle-même par les vertus chré-
tiennes qu'il couronne; prenez sur la terre
sa volonté pour guide, et son éternité de-
viendra votre partage dans le ciel. Ainsi
soit-il.
OHAISON FUHfeBl
M CATHERINE OI'ALINSKa, tUSS OH l'OLOf.st.
Gloria ei divRiae iudomo ejus, et jusi'iia ejus mant-t iu
saBculum necttli.
La gloire cl les richesse* oui été dans sa maison, cl sa jus-
tice mbsisle dans tout les siècles {Psuwne III).
Monseigneur (2),
La gloire s'éclipse, les richesses disparais-
sent, la justice reste, et il n'appartient qu'a
elle de subsister toujours. Indépendante des
temps, elle se soutient dans la révolution des
âges; son empire ne finit point avec les -
des; ils cessent d'être, elle ne cesse pas de
régner : Justtlia manet in sœculum sœculi.
Hommes, aussi fragiles que les hi^ns qui
vous échappent, à la vue du néant où ils
rentrent, reconnaissez celui d'où \ous sor-
tez. Que la gloire ennoblisse vos maison-,
que l'abondance en relève l'éclat; l'une et
l'autre ne font qu'y passer, vous passerez
comme elles : Gloria et divitiœ in domo ejus.
Ce monument funèhre, ces cemb-cs inani-
mées, ces lumières obscurcies par les ombres
de la mort, ces devoirs lugubres que vous
rendez à une reine qui n'est plus, quels ob-
jets 1 mais quelle leçon, Messieurs! In autel,
un tombe, u ; esclaves du monde, voilà vo-
tre école : là ce que vous devez comme < !:
liens, là où vous descendrez comme mor-
tels; là où le plus grand des rois sera comme
le dernier des hommes, sans titres qui e dis-
tinguent, sans appui qui le soutienne, sans
faste qui l'environne, peut-être sans regrets
qui honorent sa mémoire, sans mérites qui
assurent son salut, m son régne n'a point t
celui de la justice.
C'est ce règne de la justice que j'ai à \ov.s
décrire aujourd'hui. Messieurs, dan- la tic
d'une auguste reine qui. choisie par le Sei-
gneur pour donner des lois et des exemples
au monde, mérita la c uronne s ans I i souhai-
ter, quitta le sceptre sans le regretter, re-
garda l'empire comme un devoir, en accepta
la perte comme un avantage, ne régna que
pour faire des heureux, se crut benrei
dès qu'elle ne régna plu*, vil entier II gloire
dans sa maison, en \ il sortir les rie!
et qui, conservant toujours la justice au fol ■!
de son cœur, ne voulut d'à aire éclat que
celui des vertus, d'autres trésors que ceux de
la grâce.
Quel sujet d'admiration 1 et qu'il est con-
(5) Le dauphin.
1109
ORAISON FUNEBRE DE LA REINE DE POLOGNE.
1110
so'ant pour un ministre de l'Evangile de
n'avoir à parler que son langage dans l'éloge
d'une princesse qui en fut le modèle, au mi-
lieu d'un monde qui en est lui-même l'ennemi
et l'écueil!
Oui, Messieurs, j'ai dans un seul tableau
toutes les vertus à vous .peindre, et vous re-
connaîtrez ce qu'enseigna Jésus-Christ dans
ce que pratiqua très-haute, très-puissante
et très-excellente princesse, catherine
Opalinska, reine de Pologne, grande du-
chesse de Lithuanie, duchesse de Lorraine
et de Bar.
Quand le Seigneur fit entrer la gloire de
l'empire dans sa maison, il voulut récompen-
ser sa justice; sa justice la soulint quand il
plut au Seigneur de laisser éclipser celte
gloire. Par là elle remplit dans toute son
étendue cet oracle du roi-prophète : Gloria
et divitiœ in domo ejus, et juslitia ejus manet
in sœculum sœculi.
Digne du trône quand elle l'occupa, su-
périeure au trône quand elle l'eut quitté:
c'est dans ces deux traits que je renfermerai
tout son éloge.
PREMIÈRE PARTIE.
Dans les hommes ordinaires la justice n'est
qu'une vertu, dans les princes c'est l'assem-
blage de toutes les qualités : non pas de ces
qualités aussi fragiles qu'elles sont brillan-
tes, qui n'ont point de durée parce qu'elles
n'ont point de principe, dont le vain éclat ne
sort qu'avec peine des ténèbres, y rentre
sans délai, et qui, comme l'éclair à peine
aperçu, s'évanouit pour toujours; non pas
de ces qualités douteuses ou équivoques dont
la vanité se pare, que le mensonge adore,
qui n'ont de réel que l'illusion, qui se pro-
duisent sur les pas de l'erreur, et qui tombent
avec elle sous le poids do la vérité; non pas
de ces qualités fausses ou frivoles qui impo-
sent aux peuples sans ajouter aux souverains,
qui obtiennent le respect sans mériter l'es-
time, qui reçoivent des hommages sur la
terre et qui sont réprouvées du ciel, qui
portent le nom de vertus et qui en sont l'é-
cueil, qui prétendent au litre de justice et
qui ne servent souvent que de voile à l'ini-
quité.
Il faut aux princes que Dieu choisit pour
gouverner ses peuples une grandeur de sen-
timenlsqui.dans lesfaiblesscsdenotrcnature,
les égale à la sublimité de leur rang; une
modestie de conduite qui, dans l'indépen-
dance de leur état, les retienne sous l'empire
de la loi ; une bonté de cœur qui, dans l'usage
du pouvoir suprême, ne captive les sujets
que par les liens de l'amour et de la recon-
naissance : trois qualités qui font que les
souverains sont en quelque sorte parmi les
peuples ce que Dieu lui-même est pour les
souverains, supérieurs aux hommages qu'ils
reçoivent, modérés dans les devoirs qu'ils
exigent, bienfaisants dans le pouvoir qu'ils
exercent.
Tels sont les traits principaux qui carac-
térisent les princes selon le cirur de Dieu,
et tels soûl les traits qui formèrent le carac-
tère de l'auguste reine à qui la vérité qu'elle
aima paye aujourd'hui le tribu! de sesélogesj
la France qu'elle habita, celui de ses regrets,
et la religion qu'elle honora, celui de ses
prières.
La grandeur n'est point une qualité qui
s'acquiert par l'usage, que l'expérience
forme, quo les exemples enseignent; elle se
reçoit avec la vie, sa source est dans le sang,
l'éducation l'entretient, la majesté en fait
son mérite ; et quand elle a pour objet la
religion, le monde ne voit rien qui l'égale,
le trône n'offre rien qui la surpasse, Dieu
seul possède ce qui la récompense.
Ignorée du vulgaire, elle n'est le partage
que de ces âmes nobles et privilégiées dans
qui le Seigneur, qui les a destinées pour être
ses images sur la terre, rassemble des traits
dignes de le représenter ; qui étant, comme
les autres, l'ouvrage de sa main, sont plus
particulièrement que les autres l'ouvrage de
son choix; qui, nées pour peindre l'indé-
pendance de son être par la souveraineté de
leur état, voient l'humanité ennoblie dans
elles par des traits émanés de la Divinité,
et n'emploient, pour se faire révérer des
hommes, que les titres sous lesquels Dieu
se fait adorer par elles.
C'était sans doute pour disposer la reine
de Pologne à cette glorieuse destination que
Dieu la fit naître dans le sein de la gloire et
de l'opulence : car, après les maisons souve-
raines, à quelle autre conviennent mieux
qu'à celle d'Opalinski ces paroles de l'Ecri-
ture que j'ai choisies pour texte: Gloria et
divitiœ in domo ejus ?
Cherchcrai-je l'antiquité de cette gloire
dans les monuments de celte maison ? Son
origine, perdue dans celle de la Pologne, no
se trouve qu'au delà de neuf cents ans, parmi
les titres de cette monarchie et autour de son
premier trône: que dis-je? la Pologne n'a-
vait pas encore des rois, la maison d'Opa-
linski avait des héros. Des siècles nombreux
se sont écoulés avec ce sang illustre, et ce
sang, dans le cours de tant de siècles, n'a
point démenti la pureté de sa source ; il faut
remonter dans les âges du monde pour aper-
cevoir le premier éclat de celle maison, et
l'on descend les âges sans voir cet éclat ob-
scurci ; cette tige glorieuse n'avait pas encore
été sur le trône, mais le trône était appuyé
sur elle : Gloria in domo ejus.
Arous peindrai-je la succession de cette
gloire dans celle des héros qu'elle nous pré-
sente ? Quelle foule de noms respectables
sortiraient des ténèbres de l'antiquité I La
valeur les porta, la victoire les couronna,
l'opulence les enrichit, la gloire lesdislingua,
l'histoire les consacre, l'amour des peuples
les a écrits dans les cœurs, et la religion re-
connaissante les a gravés autour des autels
sans nombre qu'ils ont élevés : Gloria in
domo ejus.
Vous marquerai-je les divers degrés de
cette gloire dans les dignités dont ces héros
ont été revêtus '.' Quinze Caslelaus, Irei/e Pa-
latins, soixante-sept sénateurs de la repu-
blique, iiuit maréchaux de la nation, grands
1111
officiers de
pro\ inces,
ORATPERS SACRES. PONCET DE LA RIVIERE.
)lli
la couronne, gouverneurs dis
(énéraux des années; dans tous
ces temps et dignes de tous ces litres, il leur
a manqué do régner ; mais plusieurs ont
mérité le trône, quelques-uns l'ont refusé,
d'autres l'ont donné, tous l'ont soutenu :
Gloria in domo ejus.
Vous décrir.ii-je l'étendue de celle gloire
dans les différentes alliances qui l'ont répan-
due? Les anciens Piasts, les ducs de Cétopa,
les princes les plus distingués de l'Allemagne,
plusieurs souverains de l'Europe, se sont
fait honneur de lui appartenir. Mais il était
dans les desseins de Dieu une alliance égale
à toutes les autres par sa splendeur, et que
ses suites devaient rendre supérieure à toutes
les autres.
La maison de Leczinski, perdue, comme
celle-ci, dans les siècles les plus éloignés,
avait les rapports les plus glorieux avec elle.
Ce que la première noblesse peut rassem-
bler de titres, ce que le mérite reconnu doit
attirer d'honneurs, mais surtout ce que la
religion pratiquée enseigne de vertus, se
trouvaient avec l'opulence autour de ces
deux tiges respectables : il neleur manquait
que d'être unies l'une à l'autre, Dieu lui-
même forma les nœuds sacrés de cette union,
qui, les rendant supérieurs à toutes les fa-
milles où l'on pouvait choisir des rois, les
fit monter avec la victoire sur le trône de la
Pologne, et sur celui de la France avec les
verlus, et c'a été le comble de la gloire qui
fut toujours l'héritage de la maison d'Opa-
linsl»i : Gloria in domo ejus.
Je dis de sa gloire devant les nommes;
car, Messieurs, il en est une plus précieuse
aux yeux du Seigneur, et dont celle-ci fut la
récompense : c'est cette justice permanente
et invariable, qui, de siècles en siècles, avait
passé successivement des pères aux enfants.
Pour en développer la gloire à vos yeux, vous
décrirai-je les premiers triomphes de la foi
naissante dans la Pologne? Vous dirai-je que
C'est sur les pas, sous les auspices et parles
exemplesdes Opalinski,quc le christianisme
pénétra, s'est maintenu, a subsisté dans cette
république ; que c'est de cette maison, réfé-
rée elle-même comme un temple, qu'ont été
tirées les pierres des premiers sanctuaires
qu'ait eus l'Eglise dans ces vastes contrées?
Ouvrirai-jc à vos regards ces basiliques su-
perbes qui furent d'abord élevées en tant
d'endroits différents, mais partout sur les
fonds et par les libéralités de ces héros de la
religion aussi bien que du monde? Leurs ar-
nies , gravées autour des cathédrales de
Gnesnc et de Cracovie, attesteront toujours
et leur zèle pour la religion et la reconnais-
sance de la religion pour eux. Dois-jc rap-
peler ces siècles malheureux dont les atten-
tats ont été écrits a\cc le fer, et sont mar-
qués par le sang dans les annales de l'em-
pire ? siècles funestes, où, sur les pas d'un
apostat et de tous les crimes, l'imposture,
tenant l'Evangile défiguré dans une main, et
dans l'autre un fer parricide, employait l'ar-
tifice ppur semer ses dogmes pernicieux, et
la fureur pour les établir ; séduisait les trou-
peaux , frappait les pasteurs , altérait le«
principes de la foi, et tâchait d'en éteindre la
flambeau dans le sang de ses ministres. La
Pologne, en proie à ces ravages, royail son
empire divisé et celui de Jésus-Christ pres-
que aboli : le peuple fidèle fuyait partout de-
vant le Philistin armé ; mais l'arche était en
dépôt dans la maison d'Opalinski : la justico
lui donnait là des adorateurs, et ses défi li-
seurs y étaient rassemblés par le zèle : Jus-
titia ejus in sœculum sœculi.
Or, Messieurs, c'est cet héritage de tant
de siècles de gloire et de justice que recul
en naissant la reine de Pologne. Quel fonds
de richesses ne recul pas i elle grande prin-
cesse avec la vie? Elles s'y augmentèrent par
l'éducation, elles s'y développèrent avec les
années, marquèrent les progrès de l'âge par
les leurs, essuyèrent tout ce que le sort a
d'inconstance , et s'affermirent par l'incon-
stance même du sort.
Et de là cette grandeur de sentiments, qui
seule formerait un caractère, et qui ne fut
qu'une qualité du sien.
Qui pensa plus noblement qu'elle sur les
devoirs des grands et leur dépendance à
l'égard du souverain Etre dans les hommages
qu'ils reçoivent, sur les droits des petits et
les litres de protection qu'ils acquièrent par
les hommages qu'ils rendent . sur les bien-
séances de l'Etat et l'obligation où sont les
princes de donner de grands exemples, par
la gloire qu'ils ont de donner de grands
spectacles, sur la nature des avantages de
ce monde, et la vanité de ces biens, qui, ne
remplissant point le cœur quand on les pos-
sède, y laissent un vide affreux quand on les
perd?
Grandeur dans la représentation : quel air
de majesté! quelle dignité dans le discours!
quelle décence d.ins la conduite! Nous ne
l'avons vue que dans un temps de disgrâces
et d'afflictions : c'est un mérite alors de ne
pas succomber, et elle se soutenait: il faut
un effort pour ne pas ramper, cl elle régnait;
toute gloire s'éteint , la sienne n'était point
obscurcie; toujours la même dans l'une et
l'autre fortune, elle ne marqua leur différence
que par sa modération dans les biens et sa
constance dans les maux. Heureuse sans se
prévaloir, malheureuse sans se pla ndre ,
digne des honneurs qu'elle avait perdus sans
les regretter, et supérieure aux disgrâces
qu'elle éprouvait sans les mériter.
Grandeur qui n'eut rien d'affecté : lui vit-on
jamais ces airs empruntés que l'on prend
quelquefois dans les grands revers, pour
apprendre aux peuples ce que l'on éiait ,
pour retenir le respect dans les autres , et
suspendre dans son cœur les sentiments du
chagrin; ces airs qui, regardés comme inu-
tiles dans la prospérité et juges nécessaires
dans les disgrâces , sont employés pour se
parer d'une force que l'on n'a pas, et tralii.--
sent souvent la faiblesse que l'on a, par les
efforts même que Pou fait pour la dissimuler?
Grandeur éclairée par la foi. réglée par la
justice et digne de tous les hommages qu'où
lui reudait par ceux qu'elle rendait clic-
IM!
ORAISON FUNECRE DE LA REINE DE POLOGNE.
1111
même à la religion. Elevée sur le trône par
un roi victorieux, avec un époux triomphant,
couronnée par la victoire , environnée par
la majesté, maîtresse absolue d'un grand
royaume dont ses ancêtres avaient fait la
gloire, dont ses vertus faisaient l'admiration,
dont ses volontés allaient faire la destinée ,
elle n'y porta ni cet esprit de hauteur qui est
ambition et qui veut s'élever sans mesure, ni
cet esprit de s-ouveraineté qui est orgueil et
qui veut dominer sans règle, ni cet esprit
d'indépendance qui est révolte et qui veut
régner même sur la loi. Persuadée que si la
grandeur n'est tempérée dans son usage par
la douceur, elle ôte aux souverains plus que
le rang ne leur donne; elle ne porta sur le
trône que cette bonté tendre et généreuse
qui reproduit dans l'amour tout ce que l'on
rétranche de l'autorité.
En effet, Messieurs, quelle modération dans
les devoirs qu'on lui rendait I Elle craignait
de les exiger, elle ne cherchait pas à les re-
cevoir. Fallait-il marquer ses volontés, c'é-
tait comme en consultant celles qui dépen-
daient de la sienne. Donnait-elle des ordres ,
elle les assaisonnait d'égards qui leur fai-
saient perdre le nom de lois. Exigeait-elle
le service, l'autorité parlait son langage,
mais sur le ton de l'amitié, et l'amitié était
mieux servie que ne peut l'être l'autorité;
elle mettait des réserves dans ses volontés,
on n'en mettait point dans l'exécution , on
donnait à la reconnaissance ce qu'elle ne
demandait pas comme devoir; et cette sorte
de respect qu'elle savait employer la rendait
elle-même infiniment respectable.
Jamais personne ne connut mieux qu'elle
ce grand art d'accréditer le commandement
{>ar la facilité de le remplir; d'user moins de
'autorité, pour la maintenir davantage; de
n'avoir rien d'impérieux, et de régner avec
plus d'empire; accessible en tout temps , elle
semblait dépendre en quelque sorte de celui
des autres; ils ne prenaient point ses mo-
ments pour l'approcher, elle prenait les leurs
pour ordonner.
Lui trouva-t-on jamais ces rigueurs et
celte austérité qui font manquer le devoir
par trop d'exactitude à l'exiger; ces défian-
ces inquiètes et importunes qui tiennent tout
en alarmes, troublent le repos, et n'assurent
pas la loi; celle dureté chagrine et farouche
que tout révolte, que rien n'apaise, qui ne
compte ni le mal qu'elle fait, ni le bien qu'elle
reçoit, et qui, bien loin de pardonner à ceux
dont elle est offensée, ne pardonne pas mémo
à ceux qu'elle offense?
La surprit-on jamais dans ces inégalités
d'humeurs qui n'ont d'autres lois que leurs
caprices, qui veulent que leurs caprices ser-
vent aux aulrcs de lois; à qui rien ne coule
pour commander, qui ne savent rien épar-
gner à ceux qui obéissent ; qui regardent
leurs serviteurs comme des esclaves, qui ne
les reconnaissent point pour égaux , qui ne
les ont point pour amis, et qui ne sont jamais
respectés autant qu'ils le veulent , pan"
qu'ils ne se font jamais aimer autant qu'ils
le doivent?
Maîtresse de lous ses mouvements , non
point par politique, mais par bonté, elle uc
laissait échapper aucun signe ou aucune pa-
role qui pût la trahir. Ces sentiments , pour
se produire, prenaient l'ordre de son cœur,
et son cœur ne le recevait que de la loi ; at-
tentive à la remplir, réservée à la donner,
elle connaissait ses devoirs, elle n'oubliait
que ses droits; exacte aux engagements de
sa religion, elle négligeait les privilèges de
son rang, exigeait peu , ne le commandait
pas, l'attendait sans peine, le recevait avec
reconnaissance , proportionnait la récom-
pense au service , et portait l'indulgence au
delà du défaut.
Mais ne vous y trompez pas , Messieurs ,
cette indulgence se renfermait dans des bor-
nes. Ses intérêts étaient abandonnés , ceux
du Seigneur étaient soutenus : que l'on man-
que aux égards qu'on lui doit, la princesse
seule est offensée, la majesté réclame ses
droits , mais la religion en interdit la ven-
geance : que l'injure regarde le Seigneur,
la majesté emploie à venger la religion les
traits qu'elle néglige pour elle-même; elle
s'arme, contre les infracleurs de la loi de
Dieu, du même zèle dont Jésus-Christ parut
lui-même enflammé contre les profanateurs
de son temple. C'est au pied de ses autels
qu'elle reçut le sceptre , et l'autorité du
sceptre sert à venger les autels : les voit-ello
pénitents, elle oublie qu'ils furent coupables;
la même démarche qui les ramène au de-
voir les fait rentrer en grâce avec elle : ils
sont ses amis dès qu'ils ne sont plus les en-
nemis du Seigneur.
Ces épreuves furent bien rares sans doute,
on lui épargna jusqu'à la peine de se plain-
dre, et la bonté de son cœur retint toujours
les aulres ou les fit rentrer dans le devoir.
C'est cette bonté d'un cœur bienfaisant
qui, plus encore que les aulres qualités, rend
les princes les images de Dieu. La reine de
Pologne, en recevant de ses mains la puis-
sance qui donne des sujets, se crut chargée
par état de retracer sa providence qui veille
sur les malheureux. Plus atlentive à cher-
cher ceux qui souffrent, qu'ils ne le sont
eux-mêmes à chercher ceux qui peuvent les
consoler, elle se faisait informer avec un soin
plein de grandeur et de dignité du nom et
de l'état de ceux qui avaient besoin de sa
protection, et c'était là celle de ses lois dont
l'exécution était plus fidèle , parce que c'était
celle dont on savait que l'infraction lui eût
été plus sensible.
Le chagrin qu'elle ressentait en apprenant
leurs maux était balancé dans son cœur par
la satisfaction de les soulager. On ne la vit
point user de ces délais qui enlèvent aux
bienfaits une partie de leur prix, et qui af-
faiblissent le plaisir do les recevoir par la
peine de les attendre; on ne la vit point les
accompagner de cet air mécontent qui semble
révoquer le bien que l'on donne, et qui
anéantit le mérite de la générosité par une
espèce d'avarice qui la borne. Elle ne connut
point ces réserves par lesquelles on croit
rendre un bienfait plus estimable en le ren-
111
ORATEURS SACRES. PONCET DE LA RIVIERE.
11!'.
dant plus r.ire; mais plie y joignit celle at-
tention exacte qui Mipéche «îu'il ne de\ ienne
moins précieux en devenant Irop égal. Ses
dons étaient accompagné! de ces grâces ai-
mables qui les suppléent quand on les re-
fuse, qui les augmentent quand on les re-
çoit ; on royal I sur son front le plaisir qu'elle
avait à en faire, et le sentiment du bonheur
qu'elle procurait aux. aulres le lui rendait à
elle-même personnel.
Four compter ses bienfaits , il faudrait,
Messieurs, parcourir toutes les conditions.
Combien de fois la noblesse indigente trouva-
t— elle dans celle grande reine des secours
abondants et proportionnés aux besoins de
ceux qui les recevaient avant que de les de-
mander, sans les attendre, au delà de ce
qu'ils pouvaient espérer 1 Lorsque, des-
cendue du Irône et obligée de borner ses
libéralités , elle rencontrait quelques mal-
heureux dont ses secours ne pouvaient ré-
parer les perles, la vue de leurs disgrâces
la rappelait au souvenir de la sienne, et elle
ne sentait bien la sienne qu'au moment où
elle était hors d'état de soulager toutes les
leurs.
Pauvres de Jésus-Christ, hommes infor-
tunés que la nature avait faits nos égaux,
que la différence des fortunes a rendus nos
esclaves, que la religion un jour rendra nos
juges, combien de fois ne l'avez-vons pas
vue, occupée de vos besoins, ouvrir ses
mains royales en votre faveur, faire passer
dans les vôtres ces secours nécessaires que
vous réclamez si souvent, et que si souvent
vous réclamez en vain!
Que ne puis-je, Messieurs, faire entendre
ici, au lieu de nia voix, celle de tant de fa-
milles qu'elle a relevées ou soutenues, de
tani de malheureux qu'elle a plaints et sou-
lagés, de tant de vierges consacrées à Dieu
et auxquelles sa vertu a ménagé des asiles
pour la leur 1
Voix saintes et favorables, vous vous élevez
dans ce jour au tribunal de Dieu, vous solli-
citez pour cette grande âme les dons de la
miséricorde promise dans le ciel à ceux qui
en retracent l'image sur la terre, et c'est l'u-
nique témoignage qu'elle attendait.
Et voilà, messieurs, sur quelles vertus
était fondé le lustre que Dieu répandit sur
elle : Gloria in clomo ejus. Quel éclat sur son
règne, s'il avait plu au Seigneur d'en pro-
longer le cours ! Que celle grandeur d'âme
eût paru respectable dans une nation où la
noblesse qui obéit veut dans les souverains
qui commandent des qualités dignes de ses
hommages 1 que celte modération à exiger
des devoirs eût flatté un peuple jaloux de ses
droits, qui s'attache à se* rois avec fidélité,
mais qui se rappelle avec complaisance qu'il
les a choisis ; qui les révère comme ses maî-
tres, mais qui n'oublie pas que leur puis-
sance esi son ouvrage; qui élève le tronc
du haut duquel il est gouverné, cl par là
même se croit en quelque s '.rie l'auteur des
luis auxquelles il est assujetti! Que ce ca-
ractère généreux et bienfaisant eût soulagé
de disgrâces dans des contrées où les biens
immenses de sa maison auraient laissé à son
pouvoir une carrière aussi étendue que sa
générosité!
Vous ne l'avez pas permis, ô mon Dieu!
après avoir récompense sa justice, vous ares
voulu réprouver dans votre miséricorde, et
faire voir au monde une reine non-seulement
digne dulrône quandelleroccupa,mais su|
rieure au trône quand elle l'eut quitté ; cV'
le sujet de la seconde partie de son éloge.
SECONOE PARTIE.
Occuper un trône, recevoir les hommages
de loul un peuple, partager la destinée d'un
grand roi , disposer de celle de tout un
royaume, voir lout dépendre de soi, soi-
même ne dépendre que du ciel : ambition
humaine, voilà Ion terme. Remplir le trône
que l'on occupe, mériter les bommages que
l'on reçoit, être l'amour des peuples dont on
esl la règle, se régler soi-même sur la loi que
l'on donne, et dans la suprême indépendance
d'un pouvoir qui n'est borné que par la vo-
lonté, ne donner à la volonté que l'étendue
du devoir : justice chrétienne, ce sont là vos
vertus. Voir l'édifice de sa grandeur s'é-
crouler presqu'à l'instant où il s'élève, et
n'être point accablé sous ses ruines; après
une disgrâce qui enlève la gloire de la vie,
essuyer des infirmités qui en attaquent les
principes, et conserver toute la tranquillité
de son cœur; voir la mort s'avancer comme
par degrés, s'annoncer de moments en mo-
ments, dans la lenteur de ses progrès; dé-
tailler, pour ainsi dire, toutes ses horreurs,
en soutenir le spectacle et s'y présenter avec
courage : sainte religion, ce sont là \os mi-
racles ; et ce furent là vos exemples, reine
vertueuse que nous pleurons. Exemple de
dignité dans les disgrâces, exemple de pa-
tience dans les maux, exemple d'héroïsme à
la mort.
Dans la vie de la reine de Pologne, il fut
surtout deux moments bien capables de
flatter une ambition plus étendue ou moins
éclairée que la sienne : le premier fut celui
où elle vit son auguste époux, conduit au
trône par une suite de circonstances glo-
rieuses, unir pour y monter les droits de la
victoire et le suffrage des peuples: le second
fut celui où rappelé par ces mêmes peuples
au trône qu'il avait quitté, il connut, par
l'empressement qu'on eut à le recevoir, les
regrets qu'on avait eus à le perdre, et vil la
satisfaction qu'avait causée son premier rè-
gne, confirmée par le choix libre que l'on
faisait de lui pour régner encore. Témoi-
gnage bien flattent pour un cœur qui con-
naît le prix de la tendresse, et mérite qu'on
l'aime, par le plaisir mémo qu'il sent d'être
aimé.
Mais, hélas! que ces moments passèrent
avec rapidité! D affreux nuages ohsn rcirenl
aussitôt les premiers rayons de celte gloire.
Entre l'élévation et la chute il ne s'écoula
qu'un court intervalle, commencé par des
honneurs sans bornes, rempli par des espé-
rances mêlées de crainte, cl termine par des
revers sans espoir.
un
ORAISON FUNEBRE DE LA RblNE DE POLOGNE.
1118
N'atlendez-pas de moi, Messieurs, que, re-
muant à vos yeux les débris de cette gran-
deur, j'intéresse votre attention par le spec-
tacle )e plus capable de l'attendrir ; que, vous
conduisant sur les traces du malheur el des
vertus, je vous représente un grand roi, une
reine illustre, revêtus l'un et l'autre de tous
les droits de la majesté; l'un et l'autre ex-
posés à toutes les rigueurs de l'adversité,
dignes de régner partout, et sans asile dans
les Etats où ils ont régné; que, perçant à
travers les ombres dont ils empruntent le
secours pour se dérober à leurs ennemis, je
vous les fasse voir errants de provinces en
provinces, dans des contrées étrangères, sans
guides pour éviter l'erreur, sans secours
pour échapper au danger, engagés sur la foi
du hasard, marchant sur les pas de la crainte,
fuyant le jour, redoutant les ténèbres, mal
assurés dans les endroits où ils passent, peu
instruits sur ceux où ils vont, incertains du
sort qui les attend, tremblants sous celui qui
les poursuit, l'un ne déplorant que le sort
qui rend l'autre malheureux, l'un et l'autre
réunissant tous les malheurs qui rendent un
sort infiniment déplorable.
Providence de mon Dieu , vous serez tou-
jours l'objet de nos adorations, comme vous
êtes la maîtresse des événements. Les ombres
que vous répandîtes sur la vie de cette reine
n'éclipsèrent point sa gloire et préparèrent
notre bonheur.
Oui , Messieurs , c'est au pied de ces mê-
mes auteis où elle se consolait de la perte du
sceptre , que le plus grand des rois porta le
sien ; la reine que perdait la Pologne formait
celle que la France chérit et révère. Esther
croissait dans l'enceinte du sanctuaire , et
cultivée par une mère qui donnait pour le-
çons des exemples , elle puisait dans le sein
de la religion ces vertus que nous voyons
assises avec elle sur le trône. Destinée à faire
la félicité d'un peuple , elle apprenait d'une
reine qui l'avait été cet art heureux de con-
cilier ensemble la majesté qui donne les lois
et la bonté qui les tempère, d'étendre les
droits de l'empire par ceux de la reconnais-
sance, d'inspirer le respect sans effrayer l'a-
mour, de se soumettre tous les cœurs par la
crainte de les assujettir, de les faire obéir en
refusant de leur commander, el d'accroître le
pouvoir par les bornes mêmes qu'on lui
prescrit. Quelle autre était plus capable d'en-
treténir et d'augmenter dans elle ce trésor
de vertus qui établissent le règne de Dieu
dans le cœur des souverains, et les font
régner eux-mêmes sur le cœur des peuples ?
Nous recueillons les fruits de celte éduca-
tion véritablement royale , et l'éloge le plus
parfait de la princesse qui fait nos regrets
se trouve dans celle qui fait notre bonheur.
Qu'il était beau , Messieurs , qu'il était
digne de l'attention du ciel , le spectacle
qu'offrait aux hommes celle retraite respec-
, où la royauté , étalant tout son lustre
au milieu de ses débris , retrouvait tous les
droits qu'elle avait eus, se remplaçait à elle-
même les titres qu'elle as ail perdus, ne re-
cevait plus les hommages qu'attire la gran-
deur, conservait la grandeur qui mérite les
hommages, était devant Dieu plus qu'elle
n'avait été devant les hommes 1 Digne de
régner avant que d'être reine, plus que reine
quand elle eut cessé de régner , la princesse
dont je parle se rendit, par la fermeté de son
courage , supérieure au trône qu'elle avait
égalé par l'élévation de ses sentiments ; le
pouvoir était affaibli, la majesté n'était point
éclipsée ; sous les coups les plus violents ,
elle ne connut aucune de ces alarmes qui
trahissent les âmes les plus fortes ; peu flattée
d'avoir été souveraine , peu touchée de ne
l'être plus, elle se félicitait d'être chrétienne;
et , la foi lui faisant envisager un gage de
son bonheur futur dans les épreuves d'une
calamité passagère , elle osait s'applaudir
d'être malheureuse.
Montez sur le trône, monarque digne de
le remplir ; faites , par la douceur de votre
règne, les délices d'un peuple dont vous ani-
mez l'espérance ; si , dans les fêtes publiques
dont votre triomphe est honoré, vous enten-
dez prononcer , parmi les soupirs, le nom
du monarque que vous remplacez, ne soyez
point offensé de cette espèce d'hommage par
lequel s'acquitte envers lui l'amour de la na-
tion qui s'engage à vous : ce que l'on rend
à ses vertus n'enlève rien de ce qu'on doit à
vos litres ; on vous reçoit avec plaisir, souf-
frez qu'on le perde avec regret. La reine dont
je parle vous voit prendre sur le trône la
place qu'elle abandonne, dirai-je avec dou-
leur? ce serait le sentiment d'une âme com-
mune ; dirai-je sans envie? ce serait l'effort
d'une âme sublime; dirai-jesans regrets pour
sa dignité perdue? ce serait l'héroïsme de la
religion : je dirai plus, et c'en est le miracle :
dans la justice que le sort lui refuse, elle ap-
plaudit à celle qu'on vous rend.
Loin d'elle cette ambition qui, se survi-
vant à elle-même, cherche à tromper sa dou-
leur par le plaisir d'entendre parler mal des
auteurs de sa disgrâce : une telle faiblesse
ne tombait pas daus un cœur comme le sien,
cl j'ose dire que cette faiblesse eût redoublé
son malheur; que d'éloges en effet dont il
eût fallu soutenir le poids , sans pouvoir ni
en diminuer le nombre, ni en ternir l'éclat!
mais , bien éloignée de l'entreprendre , elle
secondait elle-même la renommée dans lo
récit de votre gloire. Elle entendait dire que
la verlu, descendue du trône avec elle , y
était remontée avec vous; elle apprenait que
si le roi son époux avait dû céder le sceptre,
c'était à un prince que ses qualités héroïques,
chrétiennes et royales , mettaient en état de
faire le bonheur de ses peuples ; son tendre
attachement pour ces mêmes peuples était
flatté d'apprendre qu'ils étaient heureux , et
la part qu'elle prenait à leur félicité faisait
toujours son plaisir et la consolait de ce
qu'elle n'était pins son ouvrage.
Quelle fut, je ne crains pas de le dire, oui,
Messieurs, quelle fut sa joie, lorsqu'elle vit
le plus grand des rois unir la destinée du
prince le plus accompli à celle d'une prin-
cesse que la naissance pouvait rendre son
ennemie , mais qui lui devenait chère par
111!)
OKATLTItS SACHES. PONCE 1 DE LA RIVIERE.
1)20
une alliance donl les grâces cl les rerlai lu
rendaient digue 1 Le sang opposé dans les
pères, uni dans les enfants; dans la même
cour deux maisons royales divisées par le
sort et attachées par les mêmes liens, faisant
partie d'une troisième devenue lu leur ; deux
liges augustes, qu'un trône avait rendues ri-
vales, rapprochées dans deu\ princesses dont
un même trône csl le partage; la fille du
monarque qui a quitté la couronne, donnée
en quelque sorte pour mère à la fille du mo-
narque que le sort a couronné ; une telle al-
liance était réservée à la sagesse de Louis ,
elle n'a dû se trouver que dans le conseil d'un
roi de qui le règne est une suite de merveilles
et de prodigGS.
Quelle consolation pour la reine de Po-
logne, si Dieu eût permis qu'elle jouît plus
longtemps de la gloire et de la douceur de
cette union 1 Hélas ! elle n'a fait que l'en-
trevoir, mais l'impression que faisait sur elle
ce premier regard avait suspendu le senti-
ment des maux par lesquels Dieu éprouvait
sa patience , comme il avait éprouvé sa fer-
meté par les disgrâces.
0 vous dans qui les plus légères afflictions
changent les plaisirs en amertume; vous qui
ne reconnaissez point dans la prospérité le
domaine de Dieu sur vous , ni vos droits sur
sa miséricorde dans l'adversité ; qui oubliez
dans l'une qu'il est raailre, qui oubliez dans
l'autre qu'il est père ; vous qui, abusant
également et des dons de sa bonté et des
coups de sa colère, sortez de son empire
quand il vous élève, n'y rentrez pas quand il
vous frappe , recevez ses bienfaits sans les
connaître, pliez sous son courroux sans l'a-
paiser; vous qui , toujours coupables envers
sa justice ou son amour, l'offensez sans le
craindre, le craignez sans cesser de l'offenser,
vous rassurez en présomptueux ou ne trem-
blez qu'en esclaves ; entrez dans cette re-
traite auguste, où , avec une reine plus res-
pectable encore dans le sein des malheurs
qu'elle ne l'était au comble de la félicité , se
trouvent rassemblées toutes les disgrâces
que vous pouvez craindre , toutes les vertus
que vous devez imiter : aucuns cris, aucuns
soupirs, ne vous annonceront l'asile où, hu-
miliée sous la main du Seigneur, elle affer-
mit son espérance par tout ce qui causerait
voire désespoir, se soutient dans les fai-
blesses , se purifie par les épreuves , se fuit
de ses infirmités mêmes un nouveau trésor
de mérites , qui la dédommage des richesses
que la disgrâce lui a enlevées ; vous n'aper-
cevrez ni sur son front , ni dans ses jeux,
ce que la nature souffre dans elle ; les dou-
leurs se succèdent les unes aux autres , se
confondent toutes à la fois , se renouvellent
avec le jour, sans disparaître avec lui, se
multiplient avec les moments et ne passent
point comme eux ; son corps est prêt à suc-
comber, les forces lui manquent, le courage
la soutient ; et la religion , toujours triom-
phante dans son cœur, le fait triompher lui-
même de toutes les infirmités qui L'attaquent.
Je dis la religion, car, Messieurs, c'est au
pied des autels et dans les exercices de tou-
tes les vertus qu'elle puisait ce courage hé-
roïque qui fut toujours son caractère et sa
ressource; retirée à Sainl-Cyr pend nt plu-
sieurs années de sa vie, elle en partageait
tous les moments entre la prière qui élève
l'âme au Seigneur, et la pratique des vertus
qui font descendre le Seigneur dans lc>* âmes
lidrles.
Saintes épouses de Jésus-Christ, vous n'ou-
blierez jamais les exemples par lesquels (die
animait votre piété et vous instruisait vous-
mêmes des devoirs dont on vient s'instruire
parmi vous. Quel spectacle plus honorable
pour la religion, que celui d'une princesse qui
mettait toute sa grandeur à reconnaître celle
de Dieu, à révérer son empire et a l'établir
dans le cœur de tous ceux qui dépendaient
du sien.
Amies fidèles, qni fûtes les témoins de ses
vertus et les dépositaires de ses sentiments,
quelle impression ne faisaient pas sur vous
des discours qui n'étaient que l'expression de
la loi du Seigneur, et des actions qui en re-
traçaient la sainteté! Quelle noblesse dans
ses entretiens! quelle modestie dans le saint
temple! Recueillie dans la présence de Dieu,
elle écoutait sa parole et en faisait sa règle ;
elle implorait sa grâce et en suivait l'impres-
sion; elle participait à ses sacrements et y
trouvait sa force : c'est par là que les infir-
mités, non-seulement lui devenaient suppor-
tables, mais lui paraissaient précieuses : de la
croix de Jésus-Christ coulaient sur les sien-
nes ces onctions saintes et salutaires qui en
adoucissent la rigueur et en sanctifient l'u-
sage. Ce que nous appelons disgrâces du sort,
infirmités de la nature, calamités de la vie,
étaient uses yeux, éclairés par la foi, bonté
de Dieu, épreuve de sa grâce, gage de sa mi-
séricorde. Nous consolons ceux qui souflrent,
elle consolait ceux qui la voyaient souffrir;
vous eussiez dit que c'étaient des maux
étrangers ; je me trompe, elle les aurait
plaints, c'étaient les siens; le moindre mur-
mure qui échappe à sa faiblesse est un crime
à ses yeux; ces premiers cris qui trahissent
la nature dans les grandes douleurs sont aus-
sitôt réprimés par la religion qui la soutient ;
et si, parmi ces plaintes involontaires, il est
quelque parole que ceux qui la servent puis-
sent regarder comme un reproche fait à leur
zèle, aussitôt rétractée que prononcée, cdle
parole devient un motif de reconnaissance
pour ceux à qui elle avait pu être un sujet
d'inquiétude; l'air noble et généreux dont
elle repare les plus légères offenses leur
donne le mérite des bienfaits, cl on ne souffre
que la douleur que lui cause celle dont elle a
pu être l'occasion.
C'est ainsi , Messieurs, que cette grande,
âme, purifiée par les épreuves d'une viequi n'é-
tait depuis longtemps que l'apprentissage de
la mort, se préparait à la recevoir sans la re-
douter, cl se l'était rendue moins redoutable
parce qu'elle s'y était préparée.
Eclates, Sainte religion, c'est votre triom-
phe qui me reste à décrire. Mais quelle foi ■ Q
île discours pourrait exprimer celle d'un
cœur nue l'adversité n'a po>ut ebraulé, que
1S21
ORAISON FUNEBRE DE MADAME HENRIETTE DE FHANCE.
1IS2
les infirmités n'ont point affaibli, que le Sei-
gneur a possédé pendant le cours de sa vie,
et qui par sa mort va posséder le Seigneur
dans l'éternité de sa gloire!
Ministres des autels, vous que la religion
a choisis pour être ses organes, surtout dans
les derniers moments, et qui même alors êtes
si souvent en vain les organes de ia religion,
venez puiser dans les sentiments de cette
reine vertueuse ceux que vous devez inspi-
rer à tant d'autres.
Tout tremble au premier bruit de son dan-
ger, elle seule en soutient la vue sans en être
effrayée; quel concours autour d'elle de ce
que le monde a de plus grand, de ce que l'E-
glise a de plus saint ! Témoin de leurs regrets,
elle en est attendrie, mais n'en est point trou-
blée ; un monarque vertueux, pour lequel
seul dans leurs adversités communes elle eut
des larmes, ne peut retenir les siennes; elle
l'exhorte à se soumettre à la volonté du Sei-
gneur, qui rompt leurs liens sur la terre,
mais qui saura les réunir dans le ciel par des
nœuds dont son éternité elle-même sera la
durée; elle lui recommande avec tendresse
ceux qui l'ont servie avec fidélité : exacte à
remplir tout ce qu'un cœur tel que le sien
peut suggérer de devoirs, elle fait rassembler
tous ceux que son service et leur reconnais-
sance lui atlachent, leur marque sa ten-
dresse, les remercie de la leur, pardonne
aux uns, conjure les autres de lui pardonner,
demande à tous le secours de leurs priè-
res, et laisse dans tous l'admiration de ses
verlus.
Ministres du sanctuaire, c'est encore vous
que j'ose attester ici; pour la disposer à mou-
rir, fûtes-vous réduits à employer ces détours
étudiés, dont la délicatesse du siècle vous fait
une loi auprès de tant d'autres, et sans les-
quels on ne souffre pas que la religion par-
vienne, même dans les derniers moments,
jusqu'à des cœurs qui lui ont été fermés pen-
dant des années entières? Fallut-il recourir
à ces tempéraments qu'une pieuse industrie
est obligée de mellie si souvent en usage, pour
rappeler au sentiment d'elles-mêmes des âmes
qui n'en ont presque jamais eu pour leur
Dieu ; qui ne craignent les jugements du Sei-
gueur qu'à l'instant où elles vont être jugées,
commencent à croire lorsqu'elles cessent de
vivre, ne cherchent à rentrer sous le règne de
la grâce que lorsqu'elles tombent sous celui
de la justice , et ne pensent à racheter le temps-
qu'au moment où elles se perdent dans l'é>-
ternité?
Avertie de son danger par la douleur
qu'elle remarque sur tous ceux qui l'appro-
chent, elle envisage sans effroi le dernier jour
d'une vie doul tous les jours furent consacrés
à son Dieu; si elle repasse dans l'amertume
de son cœur tous les droits qu'a sur elle la
justice du Seigneur, elle ne peut oublier ceux
que le Seigneur veut bien lui donner sur sa
miséricorde ; si quelques larmes coulent de
ses yeux, elles ne sont données ni au regret
de la vie, ni aux frayeurs de la mort ; le sou-
venir de ses fautes les fait répandre, le repen-
ti) L'archevêque de Paris.
tir les obtient, l'amour les adoucit, la religion
les reçoit, la grâce les consacre, et le sang de
Jésus-Christ, mêlé avec elles, en fait la source
de son bonheur; teinte de ce sang adorable,
elle voudrait répandre le sien pour lui ; elle
ne regrette de sa vie que les moments qui
n'ont pas été consacrés à son seul service, et,
près d'entrer dans l'éternité , elle s'occupe
déjà du bonheur de pouvoir toujours glori-
fier Dieu, sans pouvoir jamais l'offenser.
La douleur saisit ceux qui lui administrent
les derniers secours de l'Eglise, elle les af-
fermit par son courage ; dans les onctions
saintes, elle conduit leurs mains défaillantes^
on ne répond aux prières que par des san-
glots, elle élève sa voix, un flambeau à la
main, mais moins ardent que n'est dans son
cœur celui de la foi ; l'image de Uésus-Christ
sous ses yeux, son nom sur ses lèvres, rem-
plie de. son amour, tranquille et sans fai-
blesse, elle semble disposer de son dernier
moment. .. Mais c'est un moment... il passe...
elle n'est plus... en vain la cherchons-nous
encore sur la terre.
Elle est, ô mon Dieu 1 dans le sein de votre
miséricorde , ou plutôt dans le règne de
votre gloire. L'espérance qui nous anime
pour elle est fondée sur les devoirs qu'elle a
remplis et sur les grâces que vous lui avez
données pour l'attacher à vous ; si, parmi
tant de vertus qui font aujourd'hui notre
consolation, il lui est échappé quelques fau-
tes qui laissent des droits à votre justice,
nous empruntons pour elle la voix de ce
sang adorable que vous avez répandu pour
nous. Recevez le sacrifice auguste que
vous offre pour elle un pontife (1) selon
votre cœur et digne de vos autels ; que le
mérite de ce sacrifice-remplacc à cette âme
vertueuse tous les titres qui peuvent lui
manquer ; qu'il s'étende sur une reine qui
nous retrace toutes les verlus que nous re-
grettons; sur un roi qui fait notre gloire et no-
tre bonheur; sur un prince déjà supérieur à
nos espérances ; sur des princesses dignes du
trône qu'elles environnent et de ceux qui les
attendent î Puissions-nous enfin profiter tous
de vos grâces, comme l'auguste reine que
nous pleurons, et régner avec elle dans l'é-
ternité de votre gloire 1 Ainsi soit-il.
ORAISON FUNÈBRE
DE MADAME ANNE-HENRIETTE DE FRANCE.
Dies mei sicut timbra deelioaverunt, et ego sicut t'enum
arui; lu autem, Domine, in œternum permanes.
Mes jours ont disparu comme l'ombre, et j'ai séché comme
i herbe; mais vous, Seigneur, vous demeurez éternellement
{Psal. CI, 12, 13).
Monseigneur (2),
C'est du sein des langueurs, du milieu des
infirmités, cl d'un lit environné des ombres
de la mort, que retentit autrefois cet oracle
d'un saint prophète et d'un grand roi; oracle
général et universel, qui s'accomplit sous la
pourpre et sur le monarque couronné du
diadème, comme sur le pauvre rampant sous
le chaume et dans l'indigence.
Oracle humiliant 1 la nature en est effrayée ,
(-2) Le dauphin.
112"
ORATEllRS SACHES. PONCET DE LA RIVIERE.
H21
l'humanité le craini, l'orgueil lâche de le
dissimuler ; mail ces dissimulations forcées,
ces craiolei réelles, ces frayeurs assidues,
ne servent qu'a en cooGrmer la certitude.
'l'ont ce que nous Taisons pour en éluder
1'. léculioo l'assure , et sa vérité l'établi!
par loul ce que nous imaginons pour la dé-
truire : Dies mei sicut Utflbra dcclinnverunt.
Oracle terrible ! mais présenté sans cesse
à nos esprits, et gravé sur tous les objets
qui nous environnent. Nous marchons par-
mi les débris de l'humanité: les générations
ont passé, la nôtre s'écoulera de même,
d'autres la remplaceront cl passeront à h
tour; mille voix confuses nous répètent
celle vérité lugubre, que nous sommes sûre-
ment mortels, que nous serons bientôt mou-
rants ; aujourd'hui spectateurs, demain spec-
tacles, nous répandons des larmes, nous en
ferons répandre; et l'attendrissement où
nous sommes n'est qu'une espèce de droit que
nous acquérons sur celui des autres, au
moment où ils seront témoins de notre sort,
qui ne sera lui-même que l'image du leur :
Dies mei sicut umbru déclinât erunt.
Oracle vérifié dans tous les étals, dans
tous les âges : le trône n'en est point à l'a-
bri, la jeunesse n'en est point garantie ; les
cèdres se brisent, les fleurs se dessèchent ;
la région la plus fortunée se couvre de leurs
cendres, et les fêtes que la magnificence y
prépare sont troublées par le deuil que la
mort introduit. Hé! quelle mort, Messieurs!
en fut-il jamais une. plus digne des pleurs
que nous versons ? Ils ont disparu ces jours
précieux, qui ne faisaient que d'éclore; ces
jours annoncés par un éclat bienfaisant, qui
auraient rendu sereins tous les nôtres, ils
ont passé : Déclinai' erunt. Montrée à la terre
assez longtemps pour en mériter les regrets,
trop peu pour en assurer le bonheur, 1 au-
guste princesse dont uou^ déplorons la perte
n'a paru parmi nous que comme une ombre
et s'est évanouie de même : Sicut umbra. Elle
ne commençait que d'être et elle n'est plus :
El ei/o sicut fenum arui. Il n'appartient qu'à
vous, ô mon Dieu ! d'être éternel : les ouvra-
ges périssent, l'auteur re-le : Tu aatem, Do-
mine, in œternum permîmes.
Sainte religion, ce sont vos vertus que
nous regrettons aujourd'hui ; mais ce fonds
de nos regrets est celui de nos consolations ;
et tel est, Messieurs, l'objet qui m'occupe et
qui me soutient dans le glorieux, m is liisle
ministère dont je suis encore chaigé.
Je ne vous dirai donc pas : Suspende/ le
cours de vos larmes ; elles sont trop légiti-
mes : et quelque grande que soit notre dou-
leur, elle n'égalera pas notre pei te. Mais je
vous dirai: Ouvrez vos cœur s aux consola-
tions les plus solides ; elles naissent du sein
de la religion elle-même, qui couronne dans
le ciel loul ce que nous regrellons sur la
terre. Jours brillants, que l'assemblage des
qualités les plus aimables rendait si ■précieux
devant les hommes, ils ont passé comme une
ombre, et telle est la juste matière de nos re-
trets; Dics mei sicut umbru déclinai -erunt.
fours saucliliés que l'assemblage des -vertus
les plus < Incticnnes a rendus précieux de-
vant Dieu; leur récompense est daes ' r-
nile de sa gloire, et Ici i-l le luinleme ; t heu-
reux de nos espérances ; Tuuuttm, Domine,
m ait rnutn ptrtnans*.
I lui points de v u
lâcherai de vous représenter reàs-HAi n n
j u -.-ci i.ss \\ i i. PUIHCESM , MaOAMI. .'.
Benbirtts nE Fi iici •
PREMIÈRE PARTIS.
Naître au pied du trône, c'est mi avantage
que le ciel accorde : en rerevoir les premiers
rayons, c'est une glaire que le monde réfère;
sortir d'un sangqoi a donné des rois i pree*
que tous le.-. Ktats de la terre, cl avoir pour
père le plus grand des rois, ce fut le bonheur
de l'auguste princesse donl je faisl'élog
lui en 1er ii> un mérite, si je n'en avais pas
d'autres à vous produire ; vous verriez re-
jaillir sur son tombeau une partie de l'édal
dans lequel s'est écoulée sa jeunesse; son
tableau serait formé des plus beaux traits
qui ont illustré ses glorieux ancèires, et la
gloire de leur vie remplirait le vide de la
sienne. Mais je parle des qualités person-
nelles, et je n'ai garde de les confondre avec
des dons ou des avantages étrangers, dont
l'abus, presque aussi fréquent que leur
usaue. est si souvent recueil de ces mêmes
qualités.
Vivre au milieu des grandeurs , et ne re-
garder comme une grandeur véritable que
celle qui les mérite ou qui les méprise : pos-
séder tout ce qui peut établir la félicite hu-
maine, et n'estimer son bonheur que par le
pouvoir de faire des heureux; recevoir les
hommages d'une cour également brillante
et éclairée, et en être aussi peu touchée que
l'on en est di^nc; ah I Messieurs, c'est là
l'idée que se forment sans doute vos esprits
du mérite propre et personnel, et vos eo urs
me disent que c'est celui que j'ai à vous pré-
senter dans un éloue que vos soupirs ont
commencé. Vous verrez dans le court inter-
valle de quelques années un assembla
qualités capables d'illustrer la plus longue
\ ic ; je dis desqualilésde l'esprit, du caractère
et du cœur, esprit solide et cultivé, mais
sans affectation d'étude et de si voir; cara-
ctère doux et f iciie, mais avec toutes les ré-
serves de la décence et de la dignité; eu-ur
tendre et compatissant, mais avec droiture et
sans faiblesse.
Vous vous rappelez, Messieurs, eo mo-
ment si heureux pour la France, cm, prêt à
se choisir une épouse, le roi, après avoir ba-
lance sa couronne sur les télés les | lus di-
gues de la porter, la pi ça colin sur celle de
la vertu. (Joëlle union ! Le ciel lui-même en
inspira le dessein, et la religion en serra les
nœuds; deux princesses en lurent le premier
fruit, l'une cl l'autre dignes des vœux que
nous faisions pour la fécondité d'une reine
«i qui il ne manquait, pour schever noire
bonheur, que de se reproduire elle-n
dans des gages précieux et capables, comme
elle, de l'assurer. Quelle joie dans toute la
France, à la nouvelle d'un cvcnemeul qui
OIUISON FUNEBRE DE MADAME HENRIETTE DE FRANCE.
\\ «25
rendait père, dans l'ordre de la nature, un
monarque déjà revêtu de ces qualités pré-
cieuses qui l'ont rendu le père de ses sujets!
Avec quelle complaisance ses regards pater-
nels ne se fixer nt-ils pas sur ces dignes ob-
jets de sa tendresse? Par quels égards de do-
cilité, d'attachement et de respect, les prin-
cesses ne cherchèrent-elles pas à mériter et
à entretenir cette tendresse, dès qu'elles pu-
rent en connaître le prix ! Et elles le connu-
rent dès qu'elles commencèrent à se con-
naître elles-mêmes.
Un même jour les avait vues naître, et le
premier moment de leur vie fut aussi le pre-
mier de cette union tendre, ornée de toutes
les qualités qui assortissent les cœurs ,
exempte de tous les défauts qui les divisent,
qu'entretenaient une conformité de goûts
puisés dans le même sang, un accord de vo-
lontés portées aux mêmes vertus, une égalité
de douceur exprimée dans celle de la con-
duite, et une ressemblance de sentiments
dont celle de leurs traits n'était qu'une im-
parfaite image. Le bonheur d'un autre peu-
ple sépara les deux princesses, sans désunir
les deux cœurs. Que de larmes coulèrent
alors de leurs jeux ! Hélas 1 elles n'étaient
que le prélude de celles que les nôtres de-
vaient verser.
Suspendons-les, s'il est possible, Messieurs,
et voyons au moins quelques-uns des traits
qui embelliront le cours d'une vie à laquelle
il n'a manqué que des années.
L'enfance, cet âge où la raison captivée ne
se laisse soupçonner que par des lueurs équi-
voques, qui tiennent plus des ténèbres qu'el-
les percent que du jour qu'elles annoncent,
l'enfance , qui est la saison des amusements
les plus stériles , madame Henriette en fit le
temps des exercices les plus utiles. Son es-
prit, cultivé par la lecture, y puisait dès lors
cette richesse de traits et de réflexions qui
rendirent dans la suite ses conversations si
agréables et si solides; car ne vous figurez
pas, Messieurs, ces lectures vaines et frivoles
qui égarent aussi souvent l'imagination
qu'elles l'amusent ; qui ne remplissent quel-
quefois dans l'esprit le vide qu'elles y trou-
vent, qu'en y portant des travers que la rai-
son craint.
Madame Henriette avait reçu de la nature
un esprit trop amateur du vrai, pour que le
faux pût occuper son élude, ou même pour
qu'il amusât son loisir. Une curiosité qui
aime à apprendre, parce qu'elle veut savoir,
mais qui ne croit digne d'être appris que ce
qui mérite d'être su; une étendue de ré-
flexions qui ajoute à ce qu'on sait, une ri-
chesse d'idées propres à embellir toutes cel-
les qu'elle recevait; surtout celte justesse de
discernement qui s'allache par goût à ce qui
est bon, passe par délassement sur ce qui
est agréable, se livre à tout ce qui instruit,
se prête à ce qui ne fait que plaire, prend
tout le fond de ce qui est utile, et la seule
teinture de ce qui n'est qu'amusant : les épo-
ques qui ont marqué les siècles, les révolu-
lions des empires, les mœurs des peuples,
l'histoire de celle suite de rois qui ont illustré
li26
la lige auguste dont elle sortait; surtout les
exemples de ces reines vertueuses qui portè-
rent sur le trône la candeur et la religion
qu'elle retrouvait dans son cœur : tels furent
les objets des recherches de la princesse que
nous pleurons : aucun de ces exemples ne
lui était étranger ; et combien à son tour ne
les eût-elle pas rendus sensibles dans sa con-
duite, si le Seigneur ne se fût bâté de lui
donner dans le ciel une couronne plus pré-
cieuse mille fois que celle qu'elle méritait sur
la terre !
Quel bonheur pour les peuples qui l'au-
raient eue pour souveraine, si Dieu, qui lai
avait donné un roi pour père, lui eût destiné
un roi pour époux I Mais, pour former les
nœuds de cette union, il eût fallu en rompre
d'autres plus précieux à sa tendresse; et
combien ne fut-elle pas dallée de ce que les
circonstances de l'Europe lui épargnaient
une épreuve qui aurait également coûté à
son cœur et au nôtre ! Elle aimait mieux ne
vivre qu'en princesse dans une cour dont elle
faisait les délices, que de commander dans
une autre dont elle eût reçu les hommages.
Ses yeux, ouverts sur toutes les couronnes,
ne voyaient d'appas qu'autour de celle qu'elle
ne devait Jamais porter; et Louis le Bien-Ai-
mé sur le trône était pour Madame Henriette
un spectacle plus flatteur que le trône sur
lequel elle eût été elle-même en spec-
tacle.
Ces sentiments firent notre bonheur. Dans
un royaume étranger, elle eût conserve le
souvenir et l'amour de sa patrie; mais sa
patrie aurait perdu avec elle un de ses orne-
ments les plus précieux. Nous aurions en-
tendu vanter ses qualités royales, la renom-
mée nous eût appris ce qu'elle faisait pour la
félicité de son peuple; mais l'idée de ce bon-
heur eût trop ajouté à celle de notre perle :
les applaudissements que nous eussions don-
nés à la gloire de son règne auraient été
troublés par les regrets de son absence, et
nous eussions regardé comme pris sur nos
avantages tous ceux qu'elle portait aux au-
tres. Nos cœurs lui ont payé le prix de la
préférence que le sien nous avait donnée :
sans porter la couronne, elle trouva dans nos
sentiments des hommages qu'on ne trou\e
pas toujours sou la couronne elle-même.
Hommages purs et sincères, la bienséance
ne les rendit point au rang, la crainte ne les
concerta point avec le devoir : l'amour en
était le principe, le respect en fut l'interprète.
Hommages tendres et animés, avec quel em-
pressement ne se disputait-on pas l'honneur
d'avoir ses premiers regards 1 Quelle foule
sur ses pas, autour d'elle, et pour elle 1 Hom-
mages donnés par la justice au mérite, par
la reconnaissance aux bienfaits, par l'admi-
ration aux vertus , par l'attachement aux
qualités du plus heureux caractère.
Vîmes-nous jamais en effet , Messieurs,
dans Madame Henriette aucun trait de cet
esprit que Dieu réprouve dans les princes
qui ne sont pas selon son cour, et qu'il en-
lève à ceux qu'il a formés selon le cœur des
peuples : Qui au fer t spiritum principum;
11-27
ORATEIHS SACHES. PONCET DE LA IUYIERE.
i\ih
c'est-à-dire cet esprit de grandeur qui est
imbilion et veut retendre sans mesure, cet
eipril de souveraineté qui est orgueil et veut
dominer sans règle, cet esprit d'indépen-
dance qui ne suit de loi que ses caprices, et
Teat donner tous ces caprices pour loi ?
Quelle modestie, au contraire, quelle noble
simplicité dans le détail des devoirs qu'il fal-
lait ou rendre, ou recevoir! Soumise par son
état et par sa naissance, mais avec une dis-
tinction que sa naissance et son état deman-
daient, quelle grandeur ne mit-elle pas dans
sa dépendance, quelle réserve dans l'usage
de son autorité! Elle paraissait souveraine
en obéissant, on l'eût prise pour sujette lors-
qu'elle commandait. Aucuns égards ne man-
quèrent de sa part aux personnes qui l'ap-
prochaient : elle n'oubliait que ceux qui lui
étaient dus; mais l'amour lui payait avec
usure ce qu'elle remettait au devoir.
O vous que vos emplois ou d'autres rap-
ports mettaient plus dans l'occasion de la
connaître et d'en être connus, vous arriva-
t-il jamais de la surprendre dans ces inéga-
lités d'humeur, dans ces saillies de caprice,
dans ces alternatives de faveur et d'indiffé-
rence, de froideur et de vivacité, de confiance
indiscrète et d'injurieuse défiance, assez or-
dinaires dans le commerce des hommes,
presque nécessaires dans le service des
grands; que l'on tolère dans ses égaux, que
l'on révère dans ses maîtres; dont peu de
personnes devraient être offensées , parce
que peu en sont exemptes, et que le désir
de rendre excusables dans nous-mêmes de-
vrait nous porter à excuser plus aisément
dans les autres?
Quelle égalité de sentiments ne lui trouvâ-
tes-vous pas au contraire dans un âge où il
est si rare de savoir se connaître, et encore
plus de se ressembler ! Quelle douceur de
commerce dans une condition qui change si
ordinairement la supériorité en hauteur dans
ceux qui commandent, et la soumission en
esclavage dans ceux qui obéissent 1 On eût
dit qu'elle n'avait ni penchant ni volonté qui
lui lut propre : le goût des autres devenait
le sien ; et, dans un rang où il est si naturel
de vouloir dominer tous les caractères, le
sien, soumis à tous, semblait prendre la loi
de ceux à qui elle (adonnait. De là ce tendre
attachement qui fixait par le sentiment au-
près de sa' personne tous ceux qui s'y ren-
daient pour le service et par état ; de là celle
conGancc qu'elle s'était acquise par celle
qu'elle leur témoignait; celle autorité que
lui donnait en quelque sorte la réserve avec
laquelle elle en usait. Chacun retrouvait
dans son cœur toutes les obligations dont
celui de la princesse dispensait. Elle crai-
gnait de trop commander; on craignait de ne
point assez obéir : les ordres se changeaient
en égards, et les devoirs en agréments.
Si madame Henriette eût vécu dans une
de ces cours où la jalousie enfante les divi-
sions, où les passions, frémissantes autour
du trône, allument si souvent ces guerres
(I) Madame Adélaïde.
également coupables dans leur principe et
déplorable! dans leurs effets, ou la victoire
des uns n'a pour objet que la ruine des au-
tres, elle avait sans doute cet esprit de dou -
ceur et de conciliation qui rappelle aisément
celui de la paix et de l'amitié : on l'aurait
vue calmer l'impétuosité par sa patience, dé
•armer l'audace par sa modération , rappro-
cher par la confiance les partis que le soup-
çon aurait éloignés, réunir par la laceete
de ses conseils ceux que la malitxni '.- <!<s
rapports aurait divisés, et donner enfin a la
concorde cl à la paix, sur les esprits les plm
aliénés, tout l'ascendant que le sien aurait
pris facilement sur tous les cœurs.
.Mais, grâces vous en soient rendues, ô
mon Dieu! point d'orages à craindre autour
d'un trône d'où le monarque qui l'occupe
porte la confiance partout où il porte ses re-
gards ; point île troubles sous un empire qui
est celui de l'ordre et de la paix ; point de di-
visions daus une cour où les cœurs des sujets
sont unis entre eux par les nœuds qui les at-
tachent au maître. Dans ce concert général
de tout ce qui dépend du trône, nous ne se-
rions surpris que de le voir manquer parmi
les glorieux rejetons qui l'environnent, et à
qui la naissance marque sur ses degrés des
places également brillantes, qui n'ont d'iné-
galités que celles de l'âge. Quelle union,
grand Dieu! Les particuliers en jouissent
quelquefois : esl-il donné aux familles des
rois d'en connaître les douceurs et de les
éprouver? Oui, Messieurs, quand dans les
familles des rois il se trouve des cœurs vcii-
tablement nobles, sincèrement tendres, et
tels que nous les voyons, dégagés de tout
sentiment étranger ou contraire à ceux que
la nature inspire, que l'amitié demande, et
qui, dans la sublimité d'un rang où il est si
ordinaire que les intérêts produisent les di-
visions, font leur intérêt unique de ce qui
les bannit. Ah! Messieurs , que ne puis-je
vous la décrire, cette union respectable qui
ne fait pas moins l'éloge des princes-es que
nous avons sous nos yeux, que celui de la
princesse que nous regrettons 1 Cette union
où le rapport des humeurs entretient le con-
cert des goûls , où les penchants propres
semblent n'être qu'une inclination commune,
où chaque cœur, applique à faire le bon-
heur des autres , est digne du bonheur que
les autres lui font goûter ; où les désirs sont
les mêmes, les plaisirs égaux, les volontés
semblables, et où l'on ne remarque de diffé-
rence entre les caractères que pour expri-
mer celle qui est entre les vertus.
Union précieuse. La perle que nous pleu-
rons ne lui ôte rien de sa stabilité; mais
elle fait un vide dans ses agréments. Rempli
par les qualités augustes des princesses qui
nous restent, ce vide ne sera point sensible à
nos yeux; mais il le sera toujours aux leurs,
et leurs regrets ne justifient que trop les no-
ires. Ah! qu'il vous en coûte, au moment
que je parle, princesse affligée (1 , à qui la
douleur du roi, celle de la reine et la vôtre
H29 ORAISON FUNEBRE DE MADAME HENRIETTE DE FRANCE.
ne permettent pas d'honorer de voire pré-
sence cette triste et lugubre cérémonie ;
qu'il vous en coûte pour adoucir l'amertume
d'un sacrifice dont le sentiment est tout en-
tier dans votre cœur! Quel état, Messieurs,
que d'avoir à consoler quand on est soi-
même inconsolable! Et vous, prince ver-
tueux, vos yeux baignés de larmes la re-
cherchent encore, celte sœur si justement
chérie. Vous étiez unis l'un à l'autre par des
nœuds que la religion n'avait pas moins for-
més que la nature : vous vous rappellerez
toujours ces entretiens délicieux où l'esprit
et le cœur trouvaient également ce qui ins-
truit et ce qui plaît, où les heures s'écou-
laient avec la rapidité des moments, et les
moments acquéraient la valeur des heures
entières ; où rien ne se perdait, parce que
lout était utile ; rien n'était matière de re-
pentir, parce que lout avait la vertu pour
objet.
Quelle satisfaction pour le roi, quand, au
retour de ses glorieuses campagnes, dépo-
sant tous ses lauriers au milieu de ses en-
fants, il les voyait rassemblés autour de lui,
se réunir pour lui plaire, et lui plaire vérita-
blement par cette union dont il était l'objet
et le principe ! Combien de fois, dans ces
conversations particulières et intimes, dont
les droits de l'âge et ceux d'une première
tendresse le portaient à honorer Madame
Henriette, combien de fois admira-t-il la
droiture de son cœur, les agréments de son
esprit, la justesse de ses vues, et cette sa-
gesse de conseil qui entre rarement dans le
caractère de la jeunesse, et qui faisait spé-
cialement le sien 1 Quel usage a-l-elle fait
de cette conGance du roi! Que de grâces ob-
tenues l'ont rendue favorable à l'indigence,
glorieuse à l'humanité , chère à la re-
ligion!
Or voilà, Messieurs, ce que nous pleurons
avec elle aujourd'hui. J'ai dit ce qu'elle
était: elle n'est plus. Ces jours si beaux se
sont évanouis, c'est une ombre qui a passé :
Dies mei sicut umbra dectinaverant. Mais la
religion, qui en a reçu le sacrifice, en cou-
ronne les vertus, et l'éternité de Dieu même
en est le partage : Tu autem, Domine, in
œternum permanes. Honorez -moi encore de
quelques moments d'attention.
SECONDE PARTIE.
Si l'éloge que j'ai enlrepris, Messieurs, ne
portait que sur les qualités dont je viens d'é-
baucher le tableau , content d'avoir justifié
votre douleur, je m'abandonnerais à la
mienne, mes larmes couleraient avec les vô-
tres ; la mort de la princesse que nous avons
perdue me paraîtrait moins encore à déplo-
rer que ses suites, et nos justes frayeurs sur
son sort ne feraient qu'irriter les regrets de
sa perle.
Mais, grâces au ciel, j'ai des vertus à vous
présenter : et quelles vertus? Celles qui ho-
norent le plus la jeunesse, celles qui se
trouvent le moins avec la grandeur, celles
qui sont suriout nécessaires au moment de
la mor!. Sagesse de conduite dam l'âge de
OliATEL'HS SACHES. XXX
1150
la dissipation et des écarts ; Gdélité à la loi
dans la licence et dans l'indépendance du
rang; pureté de conscience dans tous les
temps, et surtout à l'instant qui devait dé-
cider de son éternité. Tel est, Messieurs, le
fond des consolations que je vous ai an-
noncées.
Sainte religion, c'est votre triomphe que
j'ai à décrire. Si je ne prends pas sur l'autel
tout l'encens que je dois brûler à ce tombeau,
je n'en apporterai point d'étranger ou de
proscrit dans le sanctuaire, et ce que je dirai
ne sera que l'expression de ce que vous ins-
pirâtes vous-même.
Sagesse de conduite dans la jeunesse :
qu'ai-je dit, Messieurs? Est-il quelque rap-
port entre ces deux termes? Hélas ! nous ne
le voyons que trop, la jeunesse est l'âge où
l'on commence à être du monde et l'on cesse
d'être à Dieu; où l'inexpérience a plus be-
soin de règle, et la craint davantage; où les
premiers rayons du jour, tantôt interceptés
par les erreurs, tantôt enflammés par les
passions, se perdent dans les ombres, ou ne
répandent qu'une lumière plus dangereuse
que les ténèbres. C'est l'âge de l'ivresse et
des transports , du charme et des illusions,
de la témérité qui entraîne dans les écarts,
et de la présomption qui arrête dans le re-
tour : c'est l'âge où tout ce qui attire est
danger, tout ce qui flatte est séduction, tout
ce qui domine paraît tyrannie, tout ce qui
gêne est regardé comme esclavage. Heureux
celui à qui le Seigneur a donné cet esprit de
défiance et de précaution qui le tient en
garde contre son cœur et contre celui des
autres, qui trouve la force de vaincre la sé-
duction dans la crainte même qu'il a d'être
séduit, et triomphe de tous les dangers par
la frayeur salutaire où il est d'y succom-
ber !
Madame Henriette l'avait reçu cet esprit
de sagesse, qui seul parut à Salomou un
objet capable de contribuer à sa véritable
grandeur. L'usage qu'elle en fit montra com-
bien elle en était digne ; et ce qui n'était
qu'une faveur accordée par le ciel devint, par
sa correspondance à la grâce, une verlu ca-
pable de le mériter. La crainte d'être flattée
faisait sur elle l'impression que fait sur les
autres la crainte de ne l'être pas. Nous sommes
environnés de flatteurs intéressés à nous dé-
guiser la vérité ; notre intérêt est de la con~
naître. Rendez moi ce service, je vous le ren-
drai à mon tour. Que je sache mes défauts,
vous saurez les vôtres Qui tient ce lan-
gage, Messieurs? Une princesse à peine âgée
de quinze ans. Et à qui parlc-t-elle ainsi? A
un prince moins âgé encore. Quel langage 1
et où se trouve-l-il? C'est au pied du trône
sur lequel l'un et L'autre sont nés, c'est sous
la pourpre dont l'un et l'autre sont revêtus,
c'est au milieu des hommages que rend à
l'un et à l'autre une cour saisie, à leur as-
pect, de cetle admiration que celui de la
vertu inspire. Que des âmes séparées enliè-
remenl du monde exercent entre elles ce
commerce de charité chrétienne et religieuse,
c'est une buile de l'engagement qu'elles oui
36
ii3i
ORATEURS SACRES. PONCET DE LA RIV1ERF.
contracté en se retirant bur le Calvaire avec
Jé-u»-Clirisl, doiil la croix , c c\ rc 1 1 aper-
çue de loules paris dans la solitude, présente
sans OMM a leurs regards le modèle du mé-
jns.de la liaine et de l'abnég .lion d'elles-
mêmes; mais qu'où le monde isl le pin
brillant, où les objets le* plus flatteur- -
réunissent, où tout ce qui environne est oc-
cupe a plaire et ne cherche (|uece qui plaît,
où lout concourt à entretenir l'estime, l'a-
mour et une espèce d'idolâtrie de soi-môrae,
deux jeunes cœurs dont les M>ûls sont la loi
de tous les autres, oublient ce qui les élève
aux yeux du monde, se communiquent lout ce
qui peut les humilier à leurs propres yeux
ne sentent ce qu'ils sont devant les hommes
que pour se rendre, par des conseils mutuel.-,
ce qu'ils doivent être devant Dieu; eue dans
un lieu enfin où tout ne parle et n'e-t oc-
cupé que de ce qui est dû à leur grandeur,
ils ne s'occupent et ne parlent enx~-mémei
que de ce qu'ils doivent a la religion...: ah !
Messieurs , c'est, j'ose le dire, un spectacle
digne de l'attention du ciel et de la terre, un
spectacle de confusion pour le monde, d'ins-
truction pour les hommes , d'admiration
pour les anges : Spec'aculum mundo,an(jelis
et hominibus.
Je ne prétends pas dire , Messieurs, que
celte censure exacte établit la princesse dans
cet état de sainteté pure et permanente qui
ne se trouve point sur la terre, et qui n'est
que du ciel, où elle règne. Les saiuts que
l'Eglise a placés sur les autels ne l'ont pas
rue : est-ce au pied du trône qu'on la trouve?
C'est une grâce de Dieu, ce n'est pas un etTort
de l'homme. Il était de son intérêt qu'au
milieu de tant de qualités qui la distinguaient
aux yeux des autres, elle entrevît quelques
taches légères qui 1 humiliassent aux siens
et à ceux du Seigneur; et, puisqu'il lui des-
tinait la gloire des couronnes, il devait lui
laisser le mérite des combats. Loin d'elle
«etic joie présomptueuse qui endort tant d^
vertus dans une sécurité plus redoutable que
les dangers eux-mêmes, et les dégrade par
une opinion de leurs forces qui dans la suite
en est l'écueil. Une sainte déliante de son
cœur, une vigilance continuelle sur toutes
ses démarches, une attention scrupuleu-e à
tous les devoirs que la religion prescrit, la
mil à l'abri de tous les dangers que la jeu-
nesse et l'indépendance peuvent susciter.
Chaque jour la vit entrant avec elle-même
dans ce compte rigoureux dont saint Paul
veut que nous prenions pour modèle < cl;ii
qu'exigera Dieu lui-même en jugeant l'uni-
vers ; chaque jour ia vil plus d'une fois
prosternée au pied de la croix d'un Dieu im-
molé, mêlant les larmes de la pénilencc an
sang de la rédemption. Le délaul prenait
al rs à ses yeux la couleur du crime, une
i patience était expiée comme une colère;
Ml taisait l'aveu le plus humble; la rc-
] iralion la plus ec.atanle ne le parais*
y .s encore assez : peu contente de... a>oi
Lit perdro aux antres le senlin:enl cl le sou-
venir, elle le. conservait dans sou esprit cl
dans sou cœur, pour s'en humilier sans
(. -vp d. v ii! Dieu , et l'expiation d'une faute
ère devenait une vertu aussi admirable
qoe I' ut été une vertu assez pure pour n'a-
voir aucune faute a expier.
De celte sévérité, n.ui ne se pardonnait
nen, naissait dans elle, comme dans les
cœurs vraiment vertueux, une bonté indul-
gente et facile qui excusait lout dan-
autres. Avail-on manqué à quelque partie
essentielle du service, un regard faisait con-
naître qu'elle s'en était aperçue: reparail-on
la faute, mille témoignages de bonté faisaient
connaître qu'elle l'avait oubliée; la faulc
trop marquée rendait-elle le reproche né-
cessaire, il était fait sur un loa de modéra*
lion qui di simulait ce qu'il a d.- -< n-ible.
avec des marques de bonté qui le rendaient
agréable, et dans ce tempérament d" dou-
ceur et d'autorité qui le rend efficace, i
ne blâmait la négligence des uns qi.'en louant
I exactitude des autres; et toute la peine de
i i qui manquaient au devoir M tr u\
dans l'eioge de ceux qui le remplissaient.
Sou il rit-elle jamais que, dans d°s entretiens
Levés en sa présence, on se livrât à ces mé-
disances d'aulant plus dang reuse> qu'elles
sont plus délicates, dont le trait, couvert de
fleurs, prend dans leur suc le poison qui
rend la blessure incurable; qui, s >us pré-
texte d'épurer ia vertu de prelendas ridi-
cules, lui imputent des défauts réels, Sf,
affectant d'en relever !e lustre, en altèrent
la sainteté) Mais ne vous figurez pas mémo
alors, Messieurs, celle sévérité farouche qui
aulori-c tout ce qu'elle blâme, ce zèle amer
et outré qui rend odieux ce qu'il veut rendre
estimable, ce Ion d'empire et de décision qui
commande IohI ce qu'il prétend persuader,
et qui ne persuade pas, par la raison même
qu'il commande. Changer adroitement l'objet
du discours, substituer un trait ingénieux
et innocent à une plaisanterie fine et dan-
gereuse, combler de ses faveurs ceux sur
irai la malignité ver-ail injustement >mi
poison : lelle était sa conduite dans toutes
les occasions et à l'égard de tout le monde.
II n'est personne dans qui elle n'aimât la
vertu, et personne a qui elle ne rendit la
vertu aimable.
Mère tendre, reine vertueuse , vous save*
si je flatte un tableau dont tous les traits sont
dans voire cœur, cl dont la princesse que je
loue trouvait le modèle dans vos exemples.
Quelque bien mie l'on dise d'elle , i/ <« restera
bien plv» à dire encore. C est le témoignage
que vous lui avez rendu vous-même, et que
ne puis-je ajouter qui ne soit au-dessous de
cet éloge 1 Vous decrirai-je, Messieurs, celle
piele tendre et fervente qui la conduisait -i
,-ouvenl au pied des autels? hans l'éclat mo-
ine le plus bridant des l'êtes es la cour, elle
s'était ménage des heures de relra le, ou.
seule , occupée de Dieu seul , elle oubliait le
monde, souhaitait d'en être oubliée, remplis*
sa.t par la I liesses de ia grâce k \ide que
des plaisirs - i i quoique légitimes, pou-
vaient mettre dan- si vie, et pâmait dans la
source même des mérites ce trésor de vertes
qui a cause notre admiration, qui fonde nus
ORAISON FUNEBRE DE MADAME LOUISE-ELISABETH DE FRANCE.
1133
espérances, et fait déjà sans doute sa récom-
pense. La dissipation, le tumulte du monde,
les distractions de L'âge, rien eut-il jamais Le
pouvoir de détourner son attention de la
prière, d'en interrompre le cours, d'en abré-
ger le temps, et de lui taire rendre trop tôt
aux hommes des moments quelle ne croyait
bien employés que lorsqu'elle les consacrait
à Dieu? Vou ; la ferai-je voir versant au sein
de l'indigence tout ce qu'une sainte économie
a pu ménager pour une sainte profusion,
donnant au nécessaire des pauvres tout ce
qu'elle se croit superflu, ou plutôt regardant
comme superflu tout ce quelle juge néces-
saire aux pauvres : toujours prompte à secou-
rir, toujours prête à protéger; mais plus em-
pressée pour échapper à la reconnaissance
qu'on ne l'est d'ordinaire pour l'exiger eu
pour la recevoir?
O mon Dieu! prolongez des jours si utiles
à tant d'autres. Eloignez, pour l'honneur de
la vertu, les bornes d'une vie dont tous les
instants lui sont consacrés. Ne troublez pas
le bonheur d'un roi qui ne s'occupe que du
nôtre. Laissez à un prince si digne de vos fa-
veurs une sœur si digne elle-même de sa ten-
dresse. Donnez à une reine qui est selon vo-
tre cœur et le nôtre, la consolation d'affermir
longtemps par ses exemples le règne de la
vertu, où ses leçons l'ont déjà si bien établie.
Ne rompez pas* les liens précieux de celte
union respectable dont le spectacle , édifiant
dans la famille d'un roi, confond les divisions
qui ne se trouvent que trop souvent dans
celle des particuliers.
Mais quelles ombres funestes s'élèvent au-
tour du trône! La force de l'âge, les droits
de la vertu , les prières , les cris d'un peuple
consterné . les soupirs, les vœux de tous les
ordres de l'Etat, rien ne peut suspendre l'exé-
cution de l'arrêt p ononcé contre nous. Je la
vois, cette victime généreuse, subitement
frappée , étendue sur un lit d'infirmité, sans
autre faiblesse que celle de la maladie, sans
autre chagrin que celui qu'elle cause, offrant
à la volonté de Dieu le sacrifice d'une vie
passée tout entière dans la pratique de sa loi.
C'est surtout dans ces tristes cir onstances
que toute la vertu du chrétien lui est néces-
saire, et c'est alors que Madame Henriette,
rappelant en effet lou'e la sienne, demanda
les sacrements de l'Eglise, avec celle confian-
ce que l'innocence seule peut inspirer. Le
danger ne paraît pas aussi prochain qu'elle
le croit, et peut-être qu'elle le désire; une
lueur favorable semble éloigner la nuit dans
laquelle elle se prépare à descendre : l'espé-
rance qui renaît dans lous les cœurs, le cal-
me qui règne <!ans le sien, la sérénité qu'elle
voit reparaître , celle dont elle jouil , tout
concourt pour différer le spectacle cl le der-
nier exemple que la religion demande, que le
inonde lui-même attend, pour lequel sa vertu
»\ st déjà plus d'une fois purifiée par le s
créaient de pénitence. Délais danger
jours sont mesurés, 1 s instants s'écoule
O son roil ô son pèrel c'est vous qui rap-
(t) L'éveqM de Meaux, premier jumôuicr Je Madame
Henriette.
1134
prochez à ses yeux l'instant d'un sacrifice
qui en était véritablement un pour vous.
Tendresse, attachement, sentiments de la na-
ture, vous êtes immolés ;m\ droits de la re-
ligion. Ce n'est, il est vrai, que par des
soupirs qu'elle put s'exprimer, mais el!e
s'exprima. Princesse généreuse, vous l'enten-
dîtes. En un instant quel concours autour
d'elle de ce que la religion a de plus saint,
de ce que la cour a de plus grand, de ce que
le sentiment a de plus touchant 1 Que de sou-
pirs retentissent autour de ce lit funèbre, que
les ombres de la mort couvrent presque déjà
de toutes parts! Seule tranquille au milieu
des agitations dont elle seule est l'objet, elle
voit couler des larmes , et en est émue sans
en être affaiblie : l'heure qui doit la séparer
pour toujours des hommes est celle qui doit
pour toujours l'unir à Dieu; et ce qu'elle es-
père lui inspire plus de joie que tout ce qu'elle
perd ne lui cause de regrets.
Prélat respectable (1) , que votre emploi
attachait à son rang, et à qui les vertus at-
tachai-nt votre personne, vous l'avez vue,
dans ce dernier moment, où le héros lui-
même à peine est un homme, vous J'avez vue
s'élever, par l'héroïsme de Sa religion , au-
dessus des lâibles-e- de l'humanité. Vos lar-
mes coulaienl avec l'onction sainte que por-
t lient vos mains tremblantes sur des yeux
qui ne s'étaient ouverts qu'aux vérités de la
religion, sur une bouche qui n'avait prononcé
que des oracles de sagesse, sur des mains qui
s'étaient employées pour la décoration des
autels. Achevez voire ministère, elle-même
vous y invite... Redoublez vos prières... Mais
que demandez-vous? Que Dieu la laisse à la
lerre....Elle va régner.... Elle règne avec lui
dans le ciel.
Oui , mon Dieu ! nous l'espérons de votre
miséricorde : vous lui avez accordé trop de
grâces pendant sa vie. pour craindre que
vous les lui ayez refusées au moment d e sa
mort. I Eiaijnez accepter le sacrifice que nous
offrons pour elle; et s'il reste encore dans
une \ie si belle quelques taches à effacer,
que le sang de l'Agneau , qui va couler sur
cet auiel, achève de les purifier.
Ses jours ont passé comme i'omhre : les
noires, Messieurs, passeront de même : Dies
sicul umbra declinaverunt. Dieu seul est
éternel : Tu autem, Domine , in œiernum
permîmes. Faisons comme elle, lous nos ef-
forts pour être élerncllemenlavcc Dieu. Ainsi
soil-il.
ORAISON FUNEBRE
DE MADAME LOm.SE-KI.ISAR :TH DE PBàNCE,
I.NFANTE D'ESPAGNE , DUCHESSE DR PARITE,
DE PLAISANCE ET DK GUASTALLE.
Ridebil In die novisslmo; tpeniil ossnnm Sapienttte, et
lex demi nlin i" Itogiia ojus
Elle verra son dernier jour avec m vkage riant ci tran-
quille, ta bouche s'ouvrit à la Sagesse, à la loi de lu clé
menée fui s:er sa langue i Prov., XXXI , K5, 26).
ur (2),
Faul-il que le spectacle de la mon, pré-
(2) Le divpbio.
1IÔ5 ORATEURS SACRES. PONCET DE LA RIVIERE
tenté encore à nos regards, nous rappelle au
souvenir de la fragilité «le ces grandeurs
dont noua ne cessons ni île déplorer la eliule,
ni de rechercher les aranlag '«I rémoins de
leur néaul, idolâtres de leurs attraits, les
poursuis rons-nOUS toujours jusque sur le
bord du tombeau, où nous les voyons se per-
dre et s'anéantir? Ce triste appareil renou-
velé à nos yeui ; ces lumières funèbres à
peine éteintes et déjà rallumées; un silence
de tristesse qui n'est interrompu que par les
cris de la douleur ; les ombres du trépas mê-
lées de toutes parts aux clartés lugubres qui
nous environnent ; le> saints autels chargés
tout à la fois des marques d'une puissance
qui n'est plus et de ceiles d'un deuil qui du-
rera toujours ; ce concours et cet assemblage
de tant d'objets louchants, tout nous porte
à ce détachement dont l'Evangile nous fait
un précepte, dont le monde offre si souvent
l'exemple, dont nos cœurs doivent aujour-
d'hui, plus que jamais, reconnaître la néces-
sité. Quelle que soit notre illusion sur la du-
rée de celte vie, le Seigneur en a fixé le ter-
me ; il est un jour où sa justice nous deman-
dera compte de tous les autres : heureux ce-
lui qui, disciple de la Sagesse et ministre de
la clémence chrétienne, pourra voir ce der-
nier instant avec un visage tranquille et as-
suré : Ridebit in die novissimo.
Princesse auguste, si digne de nos regrets,
tous en soutîntes les approches sans frayeur,
vous vîtes couler des larmes sans en répan-
dre, et votre cœur fut inaccessible au chagrin
et à la douleur dont les nôtres étaient pé-
nétrés. Hé! d'où lui venait cette assurance.
Messieurs? De deux vertus que l'Esprit-Saint
a louées lui-même dans la femme forle dont
il a fait l'éloge, et qu'il nous propose à imi-
ter. Elle écoula la Sagesse, et en fut l'inter-
prète à son tour : Aperuit os suum Sapientiœ.
Elle consulta la clémence chrétienne, et en
fut toujours le modèle : Et lex clementiw in
lingua ejus. Une jeunesse formée sur les lois
de la sagesse, une puissance sanctifiée par
les œuvres de la charité, voilà, Messieurs, ce
qui rendit tous ses jours respectables à nos
jeux, ce qui rendit aux siens si peu redouta-
ble le dernier de ses jours : llidebit in die
novissimo.
Sagesse de conduite, caractère de bonté ;
ce sont les deux iraits de l'éloge que je con-
sacre à TRES-HAUTE ET TUES-PUISSANTE PRIN-
CESSE, Madame Loi ise-Elis aueth de erance,
infante d'Espagne, duchesse de Parme, de
Plaisance et de Guastalle.
l'.'B
PREMIERE PARTIE.
Quand je parle de la sagesse, je n'entends
ni celle politique mondaine que l'ambition
enfante cl que l'Evangile réprouve, qui, con-
duite par l'esprit de 1 intérêt, égarée par ce-
lui de la vanité, se perd avec les projets qu'elle
médite dans les détours de l'erreur qu'elle
affecte d'éviter; ni celle prudence profane,
qui, toujours voilée des ombres du mystère,
répand souvent celles de la fraude sur ses
démarches, craint le jour et l'obscurcit, fuit
les regards qu'elle ne peut soutenir, décré-
dite les vertus qu'elle n'ose imiter, et, pour
t nier toutes les voies de la fortune franchit
souvent toutes les bornes du devoir; ni ce
caractère J'intrigue et de manège, dont l'en-
vie est de connaître, dont l'art e>t de r
inconnu, qui, jaloux de parvenir, met sa
gloire a lletrir celle de ses rivaux, rem:
l'industrie par l'artifice, emploie qoelqu
la probité elle-même pour la surpren II
l'ait servir la vérité aux progrès du mensonge:
ce sont là les éeueils de la sagesse , ce n'< ;i
sont pas les qualités ; j'y vois les détours
qu'elle doit éviter, je n'y >ois pas les moyen!
qu'elle doit suivre, et dans les obstacles de
sa gloire je ne puis reconnaîlrc les traits de
son caractère.
J'appelle sagesse celte fermeté d'esprit et
de raison, cette droiture de cœur et de sen-
timents, celte estime et cet amour du vrai,
qu'il esl si rare de voir parmi les hommes,
qu'il esl si beau de trouver dans les grands;
j'appelle sagesse cet accord et ce juste tem-
pérament des qualités qui conviennent à un
rang et s'accommodent à tous les autres,
prennent la loi de leur état, la donnent à
ceux qui lui sont soumis, préviennent le rè-
gne de l'autorité par celui de l'estime; j'ap-
pelle sagesse, enfin, non pas une verlu seule,
mais l'assemblage des verlus que l'humanité
recherche, dont la souveraineté s'honore et
que la religion consacre : or, Messieurs,
c'est de celle sagesse qui fait les grandes
âmes, que Madame Infante suivit toutes les
impressions et exprima toute la gloire; sa-
gesse de cœur et de conduite , qui lui mérita
les regrets de la France lorsqu'elle la quitta,
l'estime de l'Espagne dès qu'elle y parut,
l'amour de l'Italie aussitôt qu'elle y eut ac-
quis des sujets : Aperuit os suum Sapientiœ
Naître dans l'éclat de la pourpre et à l'om-
bre du tronc, est-ce une faveur du ciel, si
l'on ne reçoit en même temps cet esprit de
sagesse que le plus éclairé des rois préférait
à tous les trésors de l'univers ; esprit de sa-
gesse qui habite au plus haut des cieux, et
que le Seigneur envoie du sein de sa majesté,
pour présider aux actions des princes ? Non,
sans doute, Messieurs , loules les grandeurs
de la terre ne sont rien sans ce don inesti-
mable ; ou plutôt, sans la sagesse, ces gran-
deurs seraient un présent dangereux, parce
qu'elles fomentent l'orgueil, et qu'elles flal-
lenl toutes les passions.
Je ne ferai donc pas à Madame Infante uu
mérite particulier d'être née du snng le plus
auguste, et d'avoir fait en naissant la joie de
la plus brillante cour de l'univers; fille d'un
roi dont les qualités personnelles ont aug-
mente l'héritage de gloire qu'il avait reçu de
celle suite d'aïeux qui pendant tant de siè-
cles virent la France et toutes les parties du
monde sous leurs lois. Dès la première au-
rore de ses jours, elle fut comme investie de
tout i'éclal qui a illustré tant de climats et
embelli tant de couronnes. Ce fut là le bon-
heurde sa naissance, le mérite de sa person-
ne; et le premier trait de cette sagesse chré-
tienne fut de regarder les grandeurs de la
1137
ORAISON FUNEBRE DE MADAME LOUISE-ELISABETH DE FRANCE.
1133
•erre comme un engagement et un obstacle
de plus à mériter le ciel.
Elevée par les mains et sous les yeux de
la sagesse, elle eut un second bonheur do
trouver dans la verlueuse reine qui lui avait
donné le jour le modèle de tous les devoirs
propres à la sanctiGer. Par ses leçons et d'a-
près ses exemples, on la vit faire presque en
même temps l'essai de la vie et celui des ver-
tus : hé 1 quelles vertus, Messieurs? Une
piété tendre et solide, une douceur noble et
inaltérable, le goût de la prière, l'amour de
la religion, une conduile animée de l'esprit
du christianisme, réglée sur les lois, con-
stantedans la pratique des plus saintes maxi-
mes de l'Evangile, malgré la légèreté de
l'âge. Au milieu des féles de la cour, à cet
âge où la raison, trop faible pour être en-
tendue, trop sévère pour être goûtée, ne
peut ni plaire à l'esprit, qui n'en connaît pas
encore les charmes, ni régner sur l'imagina-
tion, qui en redoute l'autorité; c'est à cet
âge, c'est dès ce moment que la sagesse,
présentée comme guide à ses regards, loin de
Ie9 effrayer, les attira ; offerte comme sou-
veraine à son esprit, loin de l'irriter, se l'at-
tacha; proposée comme règle à son cœur,
loin de le révolter, se l'assura.
Sagesse dans l'exercice des devoirs les
plus opposés que demandaient les deux états
différents où elle s'est trouvée. Devoirs de dé-
pendance ; en fut-il jamais une plus épurée
dans ses vues, plus tendre dans ses senti-
ments, plus noble dans ses démarches, moins
bornée dans son étendue? Devoirs de la sou-
veraineté: fut-elle jamais exercée avec plus
de justice dans ses motifs , plus de décence
dans la représentalion? Pleine de majesté et
de grandeur, quand elle fut obligée de se
montrer en souveraine, elle ne connut sous
les yeux d'un roi père que la gloire de lui
obéir et l'avantage de lui plaire; elle con-
serva la dignité de son rang, mais avec ces
égards de sagesse et de bonté qui accréditent
la loi par les facilités de la remplir, et com-
mande d'autan! mieux, qu'elle laisse moins
sentir qu'onobéit. En France, et par consé-
quent dans la cour la plus soumise au mo-
narque qui mérite le plus qu'on le soit à ses
volontés, elle donnait l'exemple de la doci-
lité la plus entière; et le plus humble des
sujets pouvait encore apprendre d'elle ce qui
est dû au plus grand des rois.
Contraste d'état et de conduile digne d'ad-
miration, ou plutôt, ce qui est plus admira-
ble encore, conformité de sentiments dans
deux états contraires, qui demandaient une
conduite plus différente : d'un côté l'éclat,
l'autorité, l'indépendance; de l'autre la mo-
destie , la déférence , la subordination : la
duchesse de Parme ne voyant en Italie per-
sonne au-dessus d'elle, la même princesse
charméG d'être à Versailles sur les degrés
du trône et de révérer un maître dans la
personne d'un père. C'est la sagesse qui
inspirait celte grande Ame, et qui lui avait
fait concevoir que s'il fallait commander
avec dignité, il n'était pas moins glorieux
de donner l'exemple de la dépendance, d'ap-
prendre à l'univers que le joug de l'obéis-
sance est agréable à porter, et que le poids
du commandement est facile à soutenir quand
c'est la sagesse qui obéit et la sagesse qui
commande.
Celte même sagesse fixa de bonne heure
tous les autres sentiments de son cœur. L'aî-
née de la plus auguste famille qui ait occupé
les trônes du monde se prévalut-elle jamais
de ce litre pour affecter une sorte de distinc-
tion parmi des princesses que rendent éga-
les entre elles les qualités qui les rendent
supérieures aux autres? Quel concours, au
contraire, de tous ses sentiments et de toutes
ses démarches pour contribuer à l'entretien
de cette union si respectable qui, après le
monarque assis sur le trône, en fait le plus
bel ornement 1 Quelle union, grand Dieu ! où
les plus beaux cœurs tiennent l'un à l'autre
par les nœuds d'une complaisance récipro-
que, où la ressemblance des goûts produit
l'accord des sentiments, où les caractères
qui la forment n'ont entre eux que la diffé-
rence qui est entre les vertus !
Avec quel plaisir Madame Infante n'au-
rait-elle pas vu son séjour fixé au pied du
trône sur lequel elle était née 1 Les attraits
de la souveraineté pouvaient-ils balancer à
ses yeux ceux d'une dépendance si facile à
son cœur? Mais le plan général des affaires
publiques, les désirs du roi, les vœux de
l'Europe font éclore le moment de former
une alliance. La princesse sait estimer la
nouvelle patrie qu'on lui prépare : elle a
conçu la plus haule idée de l'époux qu'on lui
destine; mais que les sacrifices qu'on lui de-
mande sont douloureux! Il faut quitter le
séjour où régnèrent tant de monarques ses
ancêtres, renoncer aux mœurs de sa nation,
s'éloigner d'un roi le plus tendre des pères,
d'une reine la plus accomplie des mères,
d'un frère que ses qualités rendaient déjà
l'espérance la plus chère d'un peuple tou-
jours attaché au sang de ses rois. Mais les
conseils de la sagesse l'emportent sur la vi-
vacité des sentiments. O fille de Sion! dit un
roi-prophète, et la Sagesse dans lui, oubliez
voire peuple, éloignez-vous de la maison pa~
ternelle ; rompez, brisez les liens si doux
qui vous attachent à l'auguste famille que
vous chérissez et dont vous faites les délices ;
vous allez faire le bonheur d'un grand prince
et gagner l'estime d'une nation respectable.
Il en coûte au cœur de la princesse; mais il
sait se vaincre : elle obéit, et celte soumis-
sion, également prompte et difficile, est le
fruit de cette Sagesse qu'elle prit pour guide
dans la première époque de sa vie : Aperuit
os suum Snpienlvr.
Philippe V régnait encore; prince digne de
sa prospérité quand le ciel favorisa la jus-
tice de ses entreprises, vainqueur de l'ad-
versité quand Dieu voulut éprouver la con-
stance de son courage, supérieur à l'une et
à l'autre fortune, heureux d'avoir eu la
France pour patrie, plus heureux de s'être
assez attaché l'Espagne pouT mériter qu'elle
fût une seconde pairie et une autre Franco
pour lui. La justice inébranlable do ses
1130
ORATEURS SACRES. PONCE T DE L\ RIVIERL.
1140
conseils, l'inaltérable sagesse de ses dé-
marches, une piété digne des autels et ad-
mirable sur le trône, le rendait comparable
aux saints Ferdinand , ses prédécesseurs,
aux saints Louis ses ancêtres. Le soin de sou
salut le conduisit dans la retraite : l'amour
de S! s peuples le rappela sur le trône. Flatté
de réunir à sa source le nlus beau sang du
monde, il proposa lui-méne- cette alliance
glorieuse qui donnait pour épouse à l'un de
ses fils la fi I le d'un roi de sa race. Quelle
tendresse n'eul-il pas pour la princesse qui
faisait le nœud de réunion entre les deux
trônes! Il lui tint lieu de père : il voulut
èlre son ami ; il fut lui-même son conseil,
et dès lors elle-même regarda l'Espagne
comme sa patrie.
Mais, malgré ses heureuses dispositions.
la différence des caractères qui est entre les
deux peuples demande de sa part une conti-
nuité d'attcnlion pour y plier le sien. Elle
quitte une nation, prévenante, libre dans ses
manières, aisée dans son commerce, enjouée
dans ses entretiens, élégante dans ses fêtes,
agréable et facile dans le sérieux même et la
gravité des devoirs. Elle passe chez un
peuple digne de l'estime dont il jouit dans
l'Europe, mais plus circonspect et plus ré-
servé; mesuré dans ses démarches, arrêté
dans son maimien, sérieux dans ses amuse-
ments cl grave jusque dans ses jeux. Elle
sait que. dans la crainte d'altérer les prin-
cipes, on ne s'y permet aucune singularité,
dans les choses même les [lus indifférentes;
qu'on tient pour maxime qu'une austère dé-
cence fait partie des mœurs publiques, et
que ce caractère sied encore plus aux grands
qu'à l,i multitude; qu'on y exige de toutes
les personnes de son sexe, et surtout des
princesses de son rang, une réserve nui ex-
clut jusqu'à l'ombre de la légèreté. Toutes
ces lois, si capables de conserver un peuple,
de maintenir la constitution d'un État, de
perpétuer la paix et l'honnête é nationale,
sont parfaitement connues de Madame In-
fante. Bien loin d'y apercevoir des abus, d'y
trouver des excès, elle en saisit les raisons,
elle y remarque l'empreinte lie la sagesse ;
et, prompte à s'y conformer, air; grâces du
caractère français < lie unit toute la décence
du génie espagnol.
Retraite, réserve, solitude, tout ce qui pa-
raissait moins fait pour son isje, semblait
l'être pour son caractère, tant elle savait le
fléchir, et suivre la loi, même en la donnant.
Presque tout son loisir était pa-tagé entre
les vieux qu'elle portail au pied des autels
et de saints travaux pour les embellir. Son
respect et sa vénération pour l'eucharistie
sainte ne se bornait pas au sanctuaire, où
elle venait chaque jour quelquefois l'adorer.
A la vue de cet auguste sacrement, porte
aux malades par les ministres de la religion,
elle 6e prosternait avec respect, marchait
à sa suite, l'accompagnait avec la foule du
peuple, et ne rentrait dans le palais qu'après
avoir reçu dans l'église, avec la bénédiction
commune, un nouveau gage de son union
particulière et intime avec le Seigneur.
grandeurs <ie la
le du Maitie du
source adorable
de <
Quelle impression ne faisait pas sur une
nation amie de la vertu un exemple si lou-
chant, et le spectacla des
terre anéanties devant cell
ciel 1
C'e>t là. c'est dans cette
qu'elle puisait les principes
édifiante et chrétienne qui en faisait le "mo-
dèle d'une cour digne elle-même d'en servir
aux autres. Oui sut mieux que < ti prin-
cesse allier ensemble les devons de la reli-
gion et les bienséances rie l'Etal, vivre dans
la retraite et dans le mon ■!«•, servir Dieu
et commander aux boni net, être tont à la
fois un spectacle et un exemple, accréditer
la piété par tout l'éc'at qui accompagne la
mdeur, et sanctifier la grandeur elle-mê-
me par toutes les pratiques saintes qui c-n-
tretiennent la piété ? Qui sut mieux qu'elle,
placée dans une cour étrangère , menacer
l'esprit des grands sans rien perdre de sa d-
gnilé, l'attacher les uns sans éloigner les au-
tres, avoir l'admiration sans exciter la jalou-
sie, et se soumettre tous les caractères par
la seule supériorité du sien ?
Enfin , Messieurs , ce n'esl pas seulement
en France et en Espagne que Madame In-
fante suit les leçons et donne les exemples
de cette sagesse. Chargée en quelque sorte
par la Providence de manifester partout ce
caractère si rare dans les personnes de son
sexe, de son âge et de son rang, elle passe
en Italie , où des droits héréditaires et des
conventions politiques la font souveraine de
trois duchés.
Quand je parle ici de droits héréditaires,
vous vous rappelez , Messieurs , celte reine
qui réunit en elle seule toute l'illustration et
tout le mérite des Farnèse. Princesse supé-
rieure encore à sa naissance et a -a fortu
par l'élévation de ses vues et par la force de
ses conseils; épouse chérie, elle posséda la
confiance de son époux et de son roi : m rc
fortunée, elle vit presque tous ses enlan's
élevés sur des troncs ou destinée à les r. m-
plir; maîtresse d'elle-même dans toutes les
circonstances de sa vie , elle sut régner .,
..loirc et s'occuper dans la solitude avec di-
gnité. Indépendant x des événements, elle nu
fut ni ébranlée par les orages de la guerre ,
ni amollie par les douceur- de la pais. , ni
éblouie par l'éclat de tant de couronne* , ni
affligée de les céder à d'autres. Digne héri-
tière des héros de sa race , elle eut. cou. me
Marguerite, duchesse de Parme , la se un e
des affaires , et comme ie grand Alcxainic ,
'.ils de Marguerite , le talent de le* exécuter.
C'est au nom et aux droits de celle reine
n l'infant don Philippe acquiert de> IBJ
en Italie. L'infante son épouse avait sîéj t
éprouvé deux lois la différence que le climat,
l'éducation, la politique mettent toujours
entre de grandes nations. L'Italie change
encore la scène. Il s agit de traiter avec des
caractères déliés , spirituels , profonds dans
leurs vues , lents à les manifester, habiles à
les dissimuler, il faut gagner u-i peuple na-
turellement prévenu contre des maîtres
étrangers ; s'attacher une noblesse toujours
îui
ORAISON FUNEBRE DE MADAME LOUISE-ELISABETH DE FRANCE.
114-2
occupée de ses prétentions; former un nou-
vel Etat, une nouvelle cour parmi tant d'au-
tres puissances qui ne se regardent qu'avec
les yeux de la rivalité; entretenir arec ses
voisins des liaisons propres à maintenir la
paix et incapables de donner des ombrages;
euGn il est nécessaire de tenir toujours ces
nouveaux Etats étroitement unis avec la
France et l'Espagne, et conserver a ces deux
grands royaumes le litre éminent de protec-
tion , sans compromettre la souveraineté et
l'indépendance. Telles furent les attestions
et les intérêts que Madame Infante dut par-
tager avec le prince son époux. La partie
principale de cette politique était conQée à
don Philippe : ce prince , orné de tous les
talents qui préparen! les grands succès , do
toutes les qualités qui les méritent, ne fuyait
aucun des travaux qui les assuren:. Mais co
n'est point obscurcir sa gloire que de publier,
d'après lui-même , les secours qu'il trouva
dans la sagesse , les conseils et les démar-
ches d'une auguste épouse, également atten-
tive à maintenir la dépendance et à la dissi-
muler ; à prévenir les écarts sans paraître
les soupçonner; à rappeler au devoir sans
dire qu'on s'en lût éloigné ; à bannir les dé-
fiances sans en laisser entrevoir, cl à fonder
une domination nouvelle sur celle f-écunté
publique qui n'est d'ordinaire le fruit que
des règnes les mieux affermis cl les plus
heureux.
Tout l'intérieur du palais était réglé par
ses soins et portait l'empreinte de sa vigi-
lance. Déjà, Messieurs, l'on voyait dans celle
auguste famille une [ji incesse digne des at-
tentions de l'Europe, et destinée par la Pro-
vidence à remplacer ces ûlles , ces sœurs,
ces épouses de rois auxquelles l'histoire ac-
corde le mérite d'avoir été le nœud de la paix
dans les Elats; et , pour la rendre capable
de soutenir le poids d'une destination si glo-
rieuse, avec quelle tendresse de soins Ma-
dame Infante ne s'appliqua-t-elle pas elle-
même à cultiver sou esprit, à former son
cœur , à perfectionner une éducation pré-
cieuse à toute l'Europe, et dont le succès
préparait le bonheur du monde 1 On voyait
croître dans ce palais un jeune prince et une
autre princesse, l'un et l'autre déjà sensibles
aux règles des mœurs et du savoir; dignes
objets delà sollicitude maternelle. L'Infante
chercha pour le prince de Parme les plus
habiles maîtres el les meilleurs modèles. Les
exercices du corps ne lui parurent que des
agréments dans le plan général de l'éduca-
tion. La sagesse lui apprit que l'essentiel
était de jeter dans son cœur des semences
profondes de la religion, d'inspirer des sen-
timents d'humauilé, d'apprendre à un priuce
né pour commander aux hommes qu'il doit
lotir représenter un maître suprême à qui
les princes obéissent; qu'ils sont places sur
la terre pour faire ie bonheur des peuples ;
qu'ils ne commandent jamais avec plus d'au-
torité que lorsqu'ils l'emploient pour la jus-
tice el pour la religion. Maximes sublimes ,
•ioul la princesse faisait à ses enfants des
levons d'autant plus écoulées, que le priuce
son époux les rendait sensibles parles plus
grands exemples.
Je nomme ici , Messieurs , l'objet le plus
tendre des affections de la princesse, dont la
Sagesse consacra tous les sentiments. Invio-
lablement attachée à celui dont le ciel avait
préparé l'esprit et le cœur pour celte heu-
reuse alliance , combien de fois ne se plai-
gnit-elle pas au Dieu des armées! Que do
soupirs 1 que de gémissements à la vue des
combats qui mettaient la vie de ce prince en
danger 1 Que de vœux pour sa conservation
el pour sa gloire ! Hélas ! elle craignait de le
perdre, et ses craintes annonçaient la dou-
leur dont son cœur eût été pénétré. Prince
si digne de son amour, deviez-vous croira
qu'elle serait sitôt le sujet de vos regrets 1
Faut-il que la mort rompe aujourd'hui des
nœuds si augustes et si fortunés 1 Quand la
France et i Espagne concoururent à les for-
mer, vous vous en souvenez, Messieurs ,
cet.e capitale signala sa joie par les fêtes Ses
plus brillantes. Pensions-nous qu'une pompe
funèbre leur succéderait si promplem-^nt ,
qu'après quelques années écoulées comme
quelques jours, tout cet appareil de magui-
llceuce se perdrait dans le tombeau? Tel est
l'empire de la mort : elle enlève les peuples
et les rois, elle renverse les trônes et les
Etats , elle brise les sceptres et les couron-
nes, elle anéantit les grands et la grandeur ;
mais la gloire de la Sagesse ne peut être obs-
curcie ni altérée. Madame Infante en prati-
qua toutes les leçons avec docilité , comme
elle en avait reçu tous les dons avec recon-
naissance : Âperuit us suumSapientiœ; vous
venez de le voir : il me reste à vous montrée
qu'elle consulta toujours la clémence chré-
tienne , pour en suivre avec fidélité toutes
les impressions bienfaisantes : Et lex cle-
mentiœ in lingua ejus : c'est ie sujet de la se-
conde partie de son éloge.
SECONDE PARTIE.
C'est en s'élevant au-dessus de leurs égaux
que les hommes croient être grands; les
princes le sont surtout en se rapprochant
des autres hommes. Choisis par le Seigneur
pour gouverner les peuples, ils doivent nous
représenter sa bonté aussi bien que sa puis-
sauce, et ils ne sont pas moins les images du
Dieu consolateur que celles du Dieu souve-
rain. Loin de s'avilir lorsqu'ils se communi-
quent, ils donnent un nouvel éclat à leur
gloire : leur bonté ajoute à leurs droits re
qu'elle retranche à leurs litres. Loin de s'é-
puiser lorsqu'ils ouvrent leurs trésors , ils
s'enrichissent plus par les biens qu ils répan-
dent qur par ceux qu'ils retiennent; les io
de leur libéralité sont remplaces par ceux
de la reconnaissante ; elle accroît leur pou-
voir par le sentiment des secours qu'elle en
reçoit, el jamais peut-être la supériorité de
leur rang n'est ni mieux conuue , ni plus
respectée, que lorsque leurs bicol ails rem-
plissent l'intervalle qui les sépare des autres
conditions. C'est eu verlu de leur auto-
rité qu'ils commandent : ils régnent par la
bmle.
fit:,
ORATEURS SACRES, PONCET DE l.\ RIVIERE.
1144
Qualité précieuse 1 la femme forte dont le
Saint-Esprit fait L'éloge l'exprima dans lous
ses discours : Lex clementiœ in lingua ejus. La
princesse que nous regrettons en lit, sur ce
modèle, la règle de toute sa conduite. Monté
compatissante, nul genre de misère ne la
trouva insensible ; bonté généreuse, nul genre
de secours ne lui parut difficile; bonté con-
stante, nul moment de sa vie n'en suspendit les
effets. Suivez-moi, je vous prie, Messieurs,
dans le détail que je vais vous en faire.
Bonté compatissante. Qu'il est humiliant
pour nous qu'elle soit tout à la fois et si con-
forme à notre nature, et si peu connue dans
nos mœurs, qu'une qualité donttout le monde
fait l'éloge ne soit rien moins que la qualité
de tout le monde, que parmi tant d'objets si
firopres ci en réveiller le sentiment dans tous
es cœurs, à peine se trouve-t-il des cœurs
sensibles, et qu'une vertu enfin qui est celle
de l'Iiumanilésoit si peula vertu deshommes !
Mais ce n'est ici ni le lieu ni le temps d'in-
vectiver contre l'indifférence ou la dureté du
siècle; opposons-lui l'exemple d'une com-
passion marquée par tant de traits glorieux
à l'humanité, à la souveraineté, à la religion ;
et que celle vertu soit pour le vice qui lui est
opposé, ou une leçon qui le corrige, ou un
spectacle qui le confonde.
Née dans un rang qui commande le respect,
ornée de toutes les qualités qui l'attirent,
Madame Infante en possédait une digne d'un
tribut plus honorable que le respect lui-même,
et pour lequel la sublimité du rang paraît
être un obstac's ; le tribut de la confiance et
de l'amour des peuples : c'est le cœur qui
le paye, et il n'appartient qu'au cœur de le
mériter.
Grandeur de la naissance, titres suprêmes,
apanages glorieux de la souveraineté, vous
fûtes d'autant plus respectés dans notre au-
guste princesse, qu'elle chercha moins à se
rendre respectable par vous, et qu'elle l'eût
été sans vous. Mais ce que l'on révéra sur-
tout, ce que l'on aima dans elle, ce qui rend
nos regrets si légitimes, ce qui les rendra si
durables, c'est cette compassion, cette sensi-
bilité bienfaisante d'une âme plus élevée que
sa condition, toujours prête à en descendre,
affligée de lous les maux dont elle était té-
moin, réparant ceux dont elle était instruite,
prompte à envoyer ou à porter des secours
partout où la voix de la misère se faisait en-
tendre, et ne laissantentre le malheur connu
et le bienfait accordé, que l'intervalle néces-
saire pour proportionner l'un à l'autre.
Etait-il besoin qu'on présentât plusieurs
fois à sa vue ces malheureuses victimes de
l'indigence, dont l'aspect effrayant offense
souvent notre délicatesse sans intéresser nos
sentiments, et révolte quelquefois nos cœurs
plutôt qu'il ne les attendrit? Celui dont j'op-
pose ici les qualités à nos défauts ne put voir
des malheureux sans les plaindre, et, tou-
jours ouvert à leur misère, il ne fut jamais
importuné de leur reconnaissance.
Vous décrirai-je avec quelles recherches '
et avec quel zèle Madame Infante s'informait ■
du nombre et de la situation des familles in- ,
digentei ? Ce fut la première connaissance
qu'elle voulut avoir de ses Etats. Elle ne de-
manda ni quels honneurs on rendrait à JOU
rang, ni quel tribut on payerait à ses droits,
ni quelle serait l'étendue de son pouvoir :
mais elle voulut savoir quels devaient être les
premiers objets de -»a charité, et pour les con-
naître elle mettait en usage plus de précau-
tions et, si j'o'-e le dire, plus de taiols arti-
fices, qu'ils .l'en emploient eux-mêmes pour
exciter noire compassion.
Vous dirai-je quels ordres précis furent
donnés à tous ceux que leur service attachait
à sa personne, pour que son palais ne lût ja-
mais fermé à ceux qui venaient réclamer sef
bontés? Avec quelle facilité d'accès, quelle
douceur de langage, quel témoignage de l'in-
térêt le plus tendre, quelle sensibilité de
cœur, elle écoutait le récit de leurs «taux !
On a vu ses larmes couler avec les leurs.
Elle répondait à leurs gémissements par ses
soupirs; et, aosfi affligée qu'eux de l'< Il i s
de leurs peines, elle ne se plaignait que de
la faiblesse de ses secours.
Rappellerai-je à votre souvenir comment,
au seul récit des malheurs qu'éprouvaient de
p livres familles, un trouble respectable se
répandait sur toule sa personne? La force du
sentiment ébranlait le cœur où il était conçu :
l'agitation passait dans ses sens, se lisait dans
ses yeux, se peignait sur son front. Son es-
prit, occupé des désastres qu'on lui racontait,
s'en traçait à lui-même un tableau plus ani-
mé que toutes les peintures qu'on pouvait lui
en faire, et ses conjectures, portées bien au
delà du récit, ajoutaient à sa peine tout ce
qu'elles supposaient de plus dans une cala-
mité étrangère.
O vous qui eûtes l'honneur de l'accompa-
gner dans ces voyages divers que comman-
daient des intérêts respectables, qu'exigeait
la plus légitime tendresse, combien de fois ne
l'avez-vous pas vue s'opposer aux fêtes dont
les villes voulaient honorer son passage ! On
n'accusait de ce refus que sa modestie. Mais
vous le savez, à celte vertu, qui lui était si
naturelle, se joignait un sentiment encore plus
digne de son cœur. Le travail et le salaire de
l'artisan eussent élé suspendus par ces fêtes,
et des honneurs payés à ce prix perdaient
tout le leur à ses yeux.
Quel exemple. Messieurs! et de quelle
vertu et par quel modèle il nous est donne !
La compassion est un sentiment de la na-
ture, je le sais; l'humanité en fait un devoir
commun à tous les hommes : mais qui ignore
qu'elle est d'autant plus respectable, quand
elle se trouve dans les princes, qu'elle ren-
contre plus d'obstacles pour parvenir jusqu'à
eux ? Accoutumes à ne voir autour de leurs
personnes que les images de l'opulence cl de
la félicite, à pi ine leurs regards se sont-ils
quelquefois essayés sur les malheureux ; et
si, dans la sphère supérieure où ils sont pla-
ces, ils connaissent les besoins des conditions
subalternes, ce n'est que par des rapport!
toujours faibles, souvent infidèles, et qui ne
leur présentent les misères humaines que
dans un lointain où elles ne sont aperçues
H 15
ORAISON FUNEBRE DE MADAME LOUISE-ELISABETH DE FRANCE.
1146
qu'avec peine et restent toujours étran-
gères.
Cet éloignemcnt ne fut point pour Madame
Infante. Son cœur rapprochait d'elle ceux
que son rang en séparait davantage. Atten-
drie sur tous les objets qui méritaient sa com-
passion, tousses sentiments se confondaient
à leur vue, ou plutôt elle n'avait plus qu'un
sentiment, celui de la misère. C'est par là ,
c'est par cette qualité connue dans tant d'oc-
casions, et par tant de traits intéressants,
qu'elle avait acquis sur le cœur des peuples
des droits non moins étendus et plus flatteurs
que ceux de l'autorité. Le règne de la souve-
raineté n'était dans elle que celui de l'hu-
manité.
Et ne vous figurez pas ici, Messieurs, une
compassion stérile qui, renfermée dans les
sentiments exprimés par les discours, se con-
tentât de gémir sur le sort des malheureux, et
qui, bornée à les plaindre, se crût par là
même dispensée de les secourir. Sa bonté,
aussi généreuse que compatissante, ne s'é-
tait prescrit, dans ses dons, d'autres bornes
que celles des misères qui réclamaient ses
secours.
Secours étendis et abondants : ce n'est pas
seulement parmi ses sujets que Madame In-
fante aimait à les répandre; des mains fidèles,
chargées de ces saints dépôts, les faisaient
passer aux provinces les plus éloignées. Je
pourrais en citer des témoignages respecta-
bles, si je ne craignais d'offenser leur mo-
destie, en révélant des secrets que la sienne
leur avait confiés. Mais on sait que ces se-
cours pénétraient partout où la misère pou-
vait entrer. Elle regardait comme son peuple
tous ceux que l'infortune soumettait à la loi
de ses bienfaits, et quiconque était malheu-
reux n'était plus étranger pour elle.
Secours solides et permanents : ce n'étaient
point de ces aumônes passagères qui, don-
nées de temps en temps avec mesure, dissi-
mulent pour quelques moments la misère
plutôt qu'elles ne la soulagent. Celles de no-
tre auguste princesse, aussi multipliées que
les besoins et plus étendues qu'eux, étaient
tout à la fo"is un soutien dans la caiamité
présente et une ressource contre la calamité
prochaine. Peu contente de soutenir dans le
temps où l'on était malheureux, elle garan-
tissait contre celui où l'on pouvait l'être ; et
ses dons, distribués avec une profusion éga-
lement sage et attentive, soulageaient et pré-
venaient le malheur.
Ah! si j'avais besoin de témoignages, que
de voix s élèveraient de toutes parts en sa
faveur! Vous entendriez d'infortunés vieil-
lards bénir la main qui les a soutenus sur le
bord du tombeau, où l'indigence plutôt que
la vieillesse allait les précipiter; de tendres
orphelins, voués presque en naissant à la
misère, et qui ont retrouvé dans son cœur
tout ce qu'ils avaient perdu par la mort de
leurs pères; de nombreuses familles tombées
tout à coup sous le poids d'un désastre im-
prévu, et par ses secours rétablies avec avan-
tage dans leur premier état.; la voix de plus
d'un pasteur, entendue parmi tant d'autres,
vous apprendrait de quelles mains passaient
dans les leurs, pour être distribuées aux
pauvres des paroisses confiées à leurs soins,
fies sommes considérables, fixées par chaque
mois, continuées dans tous les temps, aug-
mentées dans certaines occasions, variées
sur la différence des besoins et consacrées
par les plus nobles motifs de la religion.
Que ne puis-je faire sortir des saintes té-
nèbres où elle aimait à les ensevelir, ces se-
cours abondants dont la source était ignorée
de ceux mêmes, oui, Messieurs, de ceux mê-
mes surtout à qui sa bonté généreuse les
avait destinés! Combien de fois la valeur in-
digente s'est-elle vue remise par ses bienfaits
en état de rentrer dans la glorieuse carrière
dont elle n'était sortie que par une disette
plus cruelle que les ennemis qu'elle a bravés I
Les objets chéris de ses soins étaient ces il-
lustres victimes de la guerre, ces hommes
courageux et malheureux tout ensemble,
qui, après avoir soutenu tous les risques des
combats, sont prêts à succomber sous celui
de l'indigence.
Avec quel zèle alors et quel empresse-
ment de bonté n'employait-elle pas son cré-
dit en leur faveur! Peu satisfaite de solliciter
pour eux des grâces, elle leur faisait passer
des secours, non pas après ces délais ou avec
ces réserves d'une libéralité avare qui enlève
à la valeur du bienfait tout ce qu'elle retran-
che à son étendue, ou qui affaiblit la satis-
faction que l'on sent à être secouru, par la
peine d'attendre le secours; non pas avec ce
bruit et cette ostentation d'une libéralité
fastueuse qui , donnant en spectacle et le
service qu'elle rend et l'indigence qu'elle
soulage, perd dès lors sur la reconnaissance
tout ce qu'elle accorde à la vanité. Bien
éloignée de ces deux écueils d'une libéralité
noble et chrétienne , Madame Infante ne
laissait pas la peine de demander : elle eût
voulu épargner celle de désirer; et sa mo-
destie, aussi attentive à cacher le bienfait
que sa charité l'était à le répandre, savait
également ménager l'intérêt et la délicatesse
de ceux qui avaient besoin de ses secours.
Elle les donnait avec ce secret, ces réserves,
j'ai pensé dire avec ce respect de précautions
et d'égards qui, laissant le plaisir de trouver,
épargnent la confusion de recevoir.
Tel est l'usage qu'elle faisait, pour le se-
cours des malheureux , de ces biens dont
l'abus fait si souvent le crime et quelquefois
le malheur «les riches. C'est par ses mains
que la religion, sans cesse enrichie, versait
au sein de l'indigence tout ce qu'une sainte
économie pouvait ménager pour de saintes
profusions.
Richesses frivoles et périssables, l'intérêt
vous recherche, la vanité vous prodigue, le
luxe vous dissipe; et, coupables dans les
moyens qui VOUS procurent, vous ne l'êtes
pas moins dans les motifs qui vous sacrifient.
Il était réservé à un cœur ouvert à l'huma-
nité et animé par la religion d'ennoblir votre
destination et de consacrer votre usage. Quoi
de plus noble que celle, libéralité saiutemcut
prodiguée, à qui nul genre de secours no
1147
ORATEURS SACRES. PONCET DE L\ RIVIERE. iliK
parut difficile et dont nul moment ne suspen-
dit les effets !
Je le sais, Messieurs, quoi qu'on dise con-
;i duveté du siècle, il csl des hommes
sensibles el généreux; et la religion trouve
• more do ces âmes bienfaisantes qui, dans
le sein J une prospérité où l'homme superbe
n'est meupé que de soi-même et de ses plai-
.;irs, humbles disciples <Ie Jesus-Uirist, si;
livrent aux soins glorieux que demandent
ses images souffrantes, et remanient comme
i ne partie de leur bonheur celui de pouvoir,
au moins de lempri eu temps, secourir les
malheureux. Mais quel spectacle pour la
religion, qu'une princesse qui, à la (leur de
l'âge, au printemps de ses jours, dans celte
saison de la vie où rien n'est désiré que c •
«lui Halle, dans cette sublimité de rang où
tout ce qui flatte prévient les désirs, oubliant
sans peine ce que le service prescrit pour sa
personne, se consacre tout entière à ce que
l'indigence peut attendre de sa bonté !
Entrons pour un moment dans ce palais
auguste dont elle fit l'asile des pauvres et le
séjour des vertus. Vous n'y trouverez point
cette mollesse de faste, cette indolence d'or-
gueil, cette délicatesse de vanité qui sont
toujours les ennemies et qui ne sont que trop
souvent les compagnes de la grandeur; m.iis
vous verrez la simplicité des mœurs et la
diguité du rang, la douceur du commerce et
la décence delà représentation, le couc.urs
et l'accord des qualités que la souveraineté
demande et que la religion sanctifie. C'est
avec ce cortège et dans ce cercle de vertus
que notre auguste princesse donnait à sa
cour l'exemple d'un travail saint et précieux.
Pauvres de Jésus-Christ , quelle gloire
pour vous que la souveraineté , née pour
vous donucr des lois, ne s'occupe qu'à vous
donner des secours! Malheureux , mais par
là même objets de sa tendresse, cessez de
vous plaindre des rigueurs d'un état qui est
honoré par des services si dignes de votre
estime. La fille du plus grand des rois, ré-
ponse-de votre souverain, une princesse sou-
met, pour vous vêtir, ses mains royales à un
travail obscur et pénible. Quel spectacle,
Messieurs, plus intéressant par sa nou-
veauté , plus saint dans son objet, plus épu: é
dans ses motifs , plus capable de fixer les
regards du ciel et l'admiration de la terre!
Quel gage de sécurité pour le dernier jour
de sa vie , qu'une suite de jours , qu'une vie
entière passée dans la pratique et terminée
au milieu des exercices de la charité chré-
tienne 1 Brillante chimère du siècle, vous
vous éclipsez pour toujours dans !es ; re-
mières ombres de la mort. La s< ule verte
conserve son éclat, et son triomphe com-
mence où les vôtres finissent : Ri débit in die
nuvissimo.
Titres pompeux, fastueuse opulence, veine
grandeur, espérances humaines . vous
paraissez alors comme un songe, el l'affreux
réveil qui lui succède punit à jamais la té-
mérité île vos projets , l'illusion de vos de-
sirs, l'injustice de vos démarches, l'abus de
vos avantages ; vous disparaissez avec
l'hoOMM fragile, dont vous étiez l'idole et
qui devient vo're victime : la religion seule.
reste , et , immortelle comme Di u . dont elle
est l'ouvrage , elle porte ;iu sein de la Divi-
nité le cii-iir le plus capable de la représen-
ter sur la terre.
On dirait qu'un pressentiment secret avait
prévenu dans Madame Infante les pren
atteintes ne sa maladie. Dès ce moment , et
bien avant, dans celui où e'ie en fut frappée,
on la vil se préparer à son dernier jour par
une attention nouvelle a sanctifier lou- les
antres. Chaque jour la voyait plusieui
offrir les vœux de son cœur au pied des MV>
t"ls, qu'elle avait si souvent ornes du travail
deses mains; prosternée devant la croix
d'un Dieu immolé, elle lui offrait à son tour
le sacrifice de sa vie, el lui présentait,
comme le tribut de sa résignation, celui
qu'elle ail lit payera la nature.
Hélas! ils vont donc être satisfaits ces dé-
sirs qu'elle av ;it témoignés si souvent, d'ê-
tre réunie dans le même tombeau à cette
sœur auguste, à cette princesse si respecta-
ble Qu'ai-ie dit? Ah! Messieurs, me
pardonnerez-vous de mêler de nouveaux
regrets à ceux dont nous sommes pénétres ,
el d'ajouter à la douleur d'une blessure
présente le sentiment d'une plaie qui saigne
encore I
O mon Dieu! vous immolez à vos droit- de
grandes victimes, mais vous tempérez la
vivacité de nos douleurs par la grandeur de
nos espérances. Vous êtes le Dieu conso a-
teur, comme vous êtes le Dieu juste. Notre
souverain pouvoir s'est exercé sur l'augus e
princesse que nous pleurons: mais, dans
celles qui nous restent, notre reconnaissance
voit les gages précieux de votre supi
bonté. Puissent-elles ajoutera leurs nnnéss
celles que vous retranchez d'une vie dont
vous n'avez avance le terme que pour m
couronner les vertus !
C'est de là, c'est du ciel, où sa charité 11 il
être couronnée, que lui venait celte assu-
rance et cette, tranquillité de cœur don: les
nôtres sont encore étonnés. La religi n
rapproche de ses yeux l'instant marqué pour
son sacrifice. Dès les premiers jours de sa
maladie, on la vit demander les sacrements
de l'Eglise avec une confiance que la seule
innocence peut inspirer; s'y p;e; mer avec
une ferveur que la seule vertu peut allumer,
les recevoir avec une piété dont il n'appar-
tient qu'à la religion d'être le principe el de
donner l'exemple.
Digne pontife du Dieu vivant, conduit par
votre zèle, vous l'avez vue. dans ce moment
où l'homme, prêt à se perdre dans les pro-
fondeurs de l'éternité, n'en esl sépare que
par un soupir; votre cœur vertueux requit
les derniers si ntimeitts du sien; sollicite par
la religion, vous étendîtes, pour la bénir,
ces mains pures qui offrent pour elle aujour-
d'hui le sang el les nsérites de Josnn Cwrint.
Vous veniez pour la fortifier dans ce dernier
combat, et c'est son courage qui soutenait
le vote. Puisse le mérite infini du sacrifice
que vous avez onmmonoé remplacer à celte
U49
ORAISON FUNEBRE D
âme purifiée tous ceux qui ont pu lui man-
quer aux yeux du Seigneur!
O mon Dieu! nous n'accusons pas votre
justice, nous réclamons votre miséricorde.
Prosternés au pied de vos autels, nous ado-
rons la main qui frappe, nous implorons
celle qui soutient.
Daignez l'étendre, Feigneur, cette main
bienfaisante, sur le plus grand et le meilleur
des rois ; sur une reine vertueuse, dont les
exemples, encore plus que les leçons, avaient
formé la précieuse victime que nous regret-
tons; sur l'épouse et l'époux les plus au-
gustes, dont les cœurs, unis à la religion
par les liens qui les unissent entre eux, la
font honorer par leur conduite et la repré-
sentent dans leurs mœurs; sur des prin-
cesses dignes du trône qu'elles environnent,
sur l'auguste époux, sur les héritiers de celle,
que nous pleurons ; sur cette princesse, digne
du sang dont elle sort, et de celui auquel sa
destinée doit être unie; digne, hélas! de
celte mère si tendre, dont les qualités for-
mées dans son cœur, dont les traits expri-
més dans sa personne, nous représenteront
sans cesse son image, et dans elle, celle des
vertus que nous regrettons.
Pour vous, Messieurs, que le zèle autant
que le devoir, vous que la piété bien plus
que la curiosité, ont conduits à cette triste
cérémonie, apprenez du spectacle dont vous
êtes témoins la fragilité de ces grandeurs
dont les hommes sont idolâtres. Souvenez-
vous, d'après l'exemple qui vous en a été
donné, que les leçons de la sagesse doivent
être !a loi du chrétien: Aperuit os suumSa-
pientiœ ; qu'il n'est pour lui de vrais trésors
que ceux qu'il a places dans le sein des pau-
vres: Et lex clemenliœ in lingua ejus : que
notre assurance, au dernier jour de notre
vie, ne peut être garantie que par notre
fidélité a sanctifier tous les autres : Ridebit
in die novissimo. La sagesse pour nous-
mêmes, la charité pour les autres, ce sont
les deux guides qui doivent nous conduire
à l'éternité bienheureuse. Ainsi soit-il.
ORAISON FUNÈBRE
d'Elisabeth faknèse, reine d'espagne et
des inoes.
Corilidii in fa cor viri sui.... Vir ejus, et laudavit cam....
Sunvxonint lilii ejus, et beatissimaro prasdicavernnt.
Son époux a mis dans ell s sa confiance // la comblée
de louanges Ses enfants se sont élevés, et ils lont appelée
irès-heureme (Prov., XXXI, 11, 28).
Monseigneur (1),
Tels sont les derniers traits que le Saint-
Esprit meta l'éloge de cette femme forte dont
il a consacré la mémoire: elle fut l'héroïne '
et le modèle de son sexe; nul mérite n'a é!é
comparable au sien, et toutes les richesses
rassemblées des extrémités de la terre n'en
seraient pas le prix et la valeur: Procul et
de ultimis finibus pretium ejus. Elle vit les
obstacles formés contre ses entreprise*; et,
seule, sans autre secours que celui de la
force dont elle était revêtue, elle les surmon-
ta: Furlitudo indumcnlum ejus. Ses vues se
poitèrcnt sur tous les objets qui devaient
(1) Le daupliiu.
ELISABETH FARNESE. U50
être ceux de son attention ; elle considéra
surtout les routes qui étaient propres à con-
duire la destinée de sa maison : Consideravit
semitas domxs suce. Elle Gt le bonheur de ses
enfants ; ses enfants firent son bonheur ; tous,
élevés avec des soins dignes de sa tendresse,
la rendirent cl la nommèrent la plus heu-
reuse des mères: Surrexeruitt fiiii ejus, et
beatissimwn prœdicaverunt. Son époux eut
dans elle une entière confiance, et il ne fut
point trompé dans les espérances qu'il avait
conçues de sa sagesse ; Confiditin ea cor viri
sui reddet ei bonum. Satisfait de ses soins
dans toutes les parties de son administration,
il lui rendit les plus glorieux témoignages,
et l'honora de ses louantes: Vir ejus, et lau-
durit eam. Mais sa véritable gloire fut sa vie,
et ses œuvres publiées font son éloge: Et
laudent eam in portis opéra ejus.
A ces traits, Messieurs, qui d'entre nous
ne se rappelle la vie et le règne de cette
princesse auguste, de cette grande reine, qui
a fait pendant tant d'années l'admiration de
l'Espagne, et qui en cause aujourd'hui les
regrets; épouse fidèle, mère tendre, femme
véritablement forte, dont la sagesse guida les
conseils, qui régna sur le cœur du roi son
époux, des souverains ses enfants, des peu-
ples ses sujets, et qui, louée par tant de voix,
l'est moins encore parce qu'on dit que par
ce qu'elle a fait?
Chrétiens, que le devoir, le cœur, ou une
curiosité mêlée de religion rassemblent au-
tour de ce monument funèbre, fixez-y vos
regards, et qu'il vous rappelle au moins la
fragilité de la grandeur. Cette reine n'est
plus: enlevée à la terre où elle a régné, elle
est jugée par le Dieu qui régnera toujours.
Nous honorons sa mémoire, il a examiné sa
vie; et au trône de l'Immortel a déjà été
discuté l'usage qu'elle a fait sur le sien du
pouvoir qu'il lui avait prêté. Séparés d'elle
pendant un temps, par l'immense intervalle
qui est entre le monarque et les sujets, il
n'est aujourd'hui de distance entre elle et
nous que le tombeau où elle est entrée, où
chacun de nos pas nous conduit, où les jours
qui nous restent iront se perdre avec les
siens dans la nuit de l'éternité.
Que l'effrayante majesté de ce funèbre ap-
pareil, que ces lumières lugubres mêlées aux
ombres de la mort, que ces chants plaintifs
et les prières que nous adressons au ciel
pour une reine qui a disparu de la terre,
vous apprennent à réparer, par un saint
usage du temps que Dieu vous laisse encore,
l'abus de celui qu'il vous avait donné, et à
intéresser en votre faveur la miséricorde que
nous implorons pour elle.
Vous verrez, Messieurs, dans le récit
d'une vie, des traits propres à en illustrer
plusieurs : une princesse appelée au trône,
descendue du trône, y remontant de nou-
veau , en descendant encore, heureuse
dans sa retraite, forcée une seconde fois
de la quitter, et toujours sans autre motif
que sa complaisance pour son époux, que
sa tendresse pour ses enfants , que son
mt
ORATEURS SACRES. PONCET DE EA RIVIERE.
Il'.i
zèle pour le bien de ses sujets; au-dessus
des événements par la grandeur de son gé-
nie soumise dans les événements par l'hé-
roïsme de sa piété, plus respectable dans le
repos de la religion et au milieu des vertus,
qu'à la tête des conseils et dans la pénible
gloire de l'empire; trois fois reine, plus que
reine sans diadème et sans sujets; enfin, et
c'est le partage de son él:>ge, épouse d'un
souverain , et capable de le seconder; mère
des souverains, et digne de les former : tel
est, Messieurs, le caractère que j'ai à vous
peindre dans celui de TBB8-B \i te, très-iu ;is-
SANTE ET THES-EXCELLENTE PRINCESSE, ELI-
SABETH Farnèse, reine d'Espagne it des
Indes.
PREMIÈRE PARTIE.
confié
famille
propre
L'auguste reine dont l'éloge m'est
sortait , comme on le sait , d'une
également recommandable par sa
gloire et par celle de ses al lia nées. Ses premiers
chefs furent ceu\ de plus d'un peuple; leur
sang, mêlé à celui des héros et des rois, a
donné des maîtres ou des conquérants au
monde : l'histoire d'une maison est celle de
plusieurs souverainetés, tient à celle de plu-
sieurs royaumes, et présente la destinée de
plus d'un empire.
Un nom illustre dès son oripine, honoré
dans presque tous ceux qui l'ont porlé, placé
sur le trône des pontifes du monde chrétien,
révéré sous la pourpre des princes de l'E-
glise, chargé de la gloire d'un grand nombre
de siècles; trois principautés souveraines
Iiour apanage, des prétentions connues sur
e grand-duché de Toscane; tous les droits
des Farnèse et des Médicis réunis dans sa
personne (1) : voilà, Messieurs, ce qu'Elisa-
beth portait au trône d'Espagne.
Ces considérations politiques étaient sans
doute d'un assez grand poids pour faire tom-
ber sur sa tête une couronne que l'intérêt
de la nation et la sagesse du monarque ba-
lançaient sur toutes les cours et entre plu-
sieurs princesses de l'Europe; mais j'ose dire
que tant d'avantages n'étaient que la moin-
dre partie de ceux que Philippe V devait
retirer de cette alliance. Ee ciel avait mis
dans l'âme d'Elisabeth plus de richesses que
ses souverainetés et ses droits ne pouvaient
en ajouter à son empire; et il n'était pas
moins nécessaire qu'elle les eût, qu'il lui fut
glorieux de les avoir.
Le roi d'Espagne pleurait une épouse qui
loi était chère, qui méritait de l'être; et com-
bien de qualités dgnes de ses regrets n'a-
vaient point été ensevelies avec elle dans le
tombeau! La santé de ce monarque, altérée
par les agitations de son règne, demandait
que s'il contractait une seconde alliance, il
ne partageât son trône qu'avec une princesse
capable elle-même de partager les travaux
de la royauté, assez éclairée pour mériter la
confiance, assez ferme pour soutenir avec
lui le poids des affaires, et si l'esprit de re-
ligion dont il était animé l'engageait un jour
(l)Scs droits sur les duchés de Parme et de Plaisance,
du i bel d'Odourd II. sou père ; sur la Toscane , du clicf de
à abdiquer le suprême pouvoir, assez p « • 1 1 «'• —
rcuse pour lui faire le sacrifice du trône
même sur lequel il la plaçait.
La cour de Parme relevait à celle d'Espa-
gne, et c'est dans Elisabeth Farnèse que le
ciel préparait à Philippe celte âme vérita-
blement grande, digne d'être unie à un roi
tel que lui, etrapable de le seconderdan- Ml
vues pacifiques par le caractère de son es-
prit, dans ses vues politiques par la supé-
riorité de son génie, dans ses vues chrétien-
nes par l'héroïsme de sa tendresse et de ses
vertus.
Caractère d'un esprit digne de sa destinée,
aussi étendu qu'elle, d'autant plus certain
de la remplir qu'il élail plus propre à en sai-
sir tous les moyens et à les faire naître;
facile et profond, solide et réfléchi, fin et pé-
nétrant, souple quoique ferme, modéré quoi-
que vif, complaisant quoique ambitieux ; né
pour commander, exercé à se plier, d'autant
plus capable de seconder Philippe dans ses
vues pacifiques, qu'elle était plus en état de
lui concilier les esprits par la douceur ou de
les maîtriser par l'ascendant, et de les sou-
mettre à ses idées ou de les gouverner par
les leurs.
Esprit facile et profond, vous dirai-je que,
dès son premier âge, cet esprit avide de sa-
voir se porta de lui-même à la recherche de
toutes les connaissances qui pouvaient ajou-
ter des richesses à celles que le ciel lui avait
données: qu'il n'est presque aucun genre de
sciences dont il ne fût également curieux et
capable; qu'il s'élevait à la sublimité des
unes, qu'il entrait dans la profondeur des
autres, calculait le ciel, mesurait la terre,
raisonnait avec le philosophe, s'instruisait
avec l'homme de lettres; et que ce qui, après
des années de recherches et de méditations,
fait le mérite des savants, n'était pour une
jeune princesse oue l'amusement de son en-
fance. Et ne pensez pas, Messieurs, que les
sciences, tout abstraites qu'elles sont, alté-
rassent dans elle l'agrément du caractère;
personne peut-être ne posséda plus les droiis
du savoir et n'en connut moins les préten-
tions : on eût dit qu'elle n'avait appris qu à
ignorer.
Esprit solide et réfléchi : les coutumes que
suivent les peuples, comme les régions qu'ils
habitent ; le caractère des nations et les in-
térêts des cours; les forces des Etats puis-
sants cl les ressources de ceux qui sont fai-
bles ; tous les objets les plus rapportés â la
gloire de sa destination , étaient ceux de ses
recherches : elle les étudiait dans eux-mê-
mes, elle les consultait avec des génies éclai-
rés ; les ambassadeurs étaient surpris de
l'entendre parler de leurs langues différentes,
et leur dévoiler quelquefois des secrets de
leur cour, qu'ils ignoraient eux-mêmes : c'est
ainsi que dès l'enfance Elisabeth préludait à
la royauté. Et quel éclat, Messieurs, ne de-
vait pas répandre une vie dont l'aurore était
éclairée du jour de tant de connaissances!
La renommée l'annonçait partout, et dans
M ri id Médicis, sa bisaïeule, dont eUe était seuls
imrue Iule héritière.
1155 ORAISON FUNEBRE D'
un âge où à peine on se connaît soi-même,
elle était déjà connue dans toutes les cours.
Arrivée à celle d'Espagne, quel besoin n'eut-
elle pas de tous les genres d'esprit que le ciel
lui avait donnés! Le moment de la gloire
était pour elle celui de l'épreuve; l'impres-
sion qu'elle ferait sur les autres préparait le
jugement qu'on porterait sur elle-même, et
quelques jours pouvaient décider de son
règne.
Epreuve de la part des esprits au milieu
desquels elle allait vivre, et qui demandait
toute la finesse du sien. Représentez-vous,
Messieurs, une jeune princesse, seule de sa
famille, sans conseil , placée à la tête d'une
cour qui va être la sienne, mais où elle était
encore étrangère etqui ne lui est pas connue;
observée avec les égards que son rang exige,
mais avec une curiosité inquiète que sa ré-
putation a fait naître; environnée d'aulant
de pièges flatteurs préparés à son caractère,
que d'hommages rendus à sa dignité; forcée
d'être toujours attentive sur soi-même et sur
les autres, pour saisir leur faible et n'en
point laisser entrevoir; pénétrant tous les
cœurs sans paraître les étudier; ne décou-
vrant du sien que ce qui pouvait attirer la
confiance sans affaiblir le respect ; se prêtant
aux fêtes qu'on lui donnait avec une facilité
noble et une réserve majestueuse, en reine
qui n'exige pas qu'on s'occupe de ses droits,
qui ne paraît pas y penser elle-même, mais
qui ne permet pas qu'on les oublie.... Une
conduite pareille serait admirée dans une
princesse à qui un long règne eût appris à
connaître la cour; Elisabeth commençait le
sien, et c'est ainsi qu'à vingt-deux ans elle
essayait la royauté.
Epreuve dans la situation où elle trouva
cette cour, el qui exigeait toute la souplesse
de son caractère. Philippe pleurait encore
une épouse éclairée, vertueuse et chérie : il
fallait non-seulement lui succéder, mais la
remplacer, régner sur son trône et sur le
cœur du monarque, adoucir le souvenir de
cette princesse, sans chercher à la faire ou-
blier; en présenter tout le mérite, el en ré-
parer la perte; c'était une reine adorée de
sa nation, dont le nom ne se prononçait qu'a-
vec le respect qu'on a pour celui de la vertu,
et avec le chagrin qui suit les grandes cala-
mités. Les larmes coulaient autour d'Elisa-
beth : le bruit des fêtes que l'on préparait en
son honneur était interrompu par les soupirs
que des cœurs attendris donnaient au souve-
nir de leur princesse : un peuple entier quit-
tait le trône de la nouvelle reine pour aller
pleurer sur le tombeau de la première; il
fallait non-seulement être témoin tranquille
de ce spectacle, mais en paraître satisfait,
mais n'envisager dans ce deuil et dans ces
larmes que le prix d'être aimée, elnc laisser
apercevoir que le désir de l'être à son tour.
Epreuve dans le caractère même de son
époux, el qui voulait de sa part toute la com-
plaisance du sien. Il ne lui lut pas difficile de
s'ouvrir le cœur de ecl auguste époux : elle y
entra; c'était le sanctuaire du sentiment et
des vertus,
ELISABETH FARNESE.
us*
Il fallait pourtant attaquer ce cœur en lo
ménageant : Philippe était facile de son ca-
ractère, ouvert par grandeur d'âme, mais
avec réserve, et en garde contre la surprise;
attaché à ses idées, parce que ses sentiments
étaient droits; voulant être dirigé, craignant
d'être conduit ; prêtant son autorité, mais à
titre de grâce; examinant l'usage qu'on en
faisait, et prêt à la retirer avant même qu'il
en soupçonnât l'abus; bienfaisant par incli-
nation, le père de ses peuples, ne voulant pas
qu'on troublât leur repos; avare du sang de
ses sujets, jusqu'à épargner celui des traîtres,
ne se rappelant qu'avec peine qu'il avait eu
à vaincre, et n'aspirant qu'à la douceur de
régner.
Celte connaissance du cœur de ce prince
devint pour Elisabeth l'unique loi du sien :
dès lors cet esprit, né pour dominer sur les
autres, ne s'occupa que du soin de les ga-
gner; nulle espèce d'intérêt ne lui fut indiffé-
rent ou étranger; une cour soumise à ses
ordres, un roi complaisant à toutes ses volon-
tés, le corps entier de la noblesse sous ses
lois, les peuples de trois grands Etats à ses
pieds, tout ce que les plus brillantes fêtes ont
de magnificence et d'éclat, ce que les agré-
ments offrent de plus flatteur, le charme des
honneurs et de l'indépendance présenté dans
l'atirait qui était le plus séduisant à un âge
qui est le plus facile à séduire : rien de ce
qui perd les cœurs les plus accoutumés à
l'usage du pouvoir ne sembla faire impression
sur un jeune cœur qui ne faisait qu'essayer
l'empire. Au milieu de tant de plaisirs que
chaque jour voit éclore et renouveler pour
elle, elle ne s'occupe que des occasions d'en
faire à tous ceux qui l'environnent; de là
cette attention continuelle à distinguer les
uns, à recommander les autres, à s'attacher
les grands par des égards d'honneur qui flat-
tent leur ambition, à s'attirer les faibles par
une facilité d'accès qui honore leur médio-
crité, à régner sur les idées par l'estime, sur
les sentiments par la confiance, el à rendre
son empire d'aulant plus absolu qu'elle cher-
chait à le rendre plus facile.
Un caractère d'esprit tel que je viens de lo
peindre, si maître de lui-même, devait l'être
aussi des autres. Elisabeth sut tellement mé-
nager l'esprit des grands, les intérêts du peu-
ple, les droits du trône, la gloire et la tran-
quillité de l'Etal, que Philippe crut devoir la
mettre à la tête de ses conseils.
C est là, c'est dans ce sanctuaire de la po-
litique et do la majesté qu'Elisabeth déve-
loppa ce génie sublime dans ses vues, facile
dans ses moyens, fécond dans ses ressources,
et d'autant plus digne de la confiance du roi
son époux, qu'elle n'avait que la gloire de
ce prince pour objet, et entrait dans toutes
les voies qui pouvaient l'étendre. C'était mar-
cher sur les traces de l'auguste épouse qu'il
pleurait, el je ne crains pas d'assurer qu'elle
ne pouvait être mieux remplacée que par
celle que pleurent aujourd'hui ses enfants et
ses sujets.
Louise-Marie do Saioie était née avec un
caractère doux et insinuant, plus propre
1188
ORATEURS SACRES. PONCET 1)1. LA RIVIERE.
ll.VJ
peut-être à gagner les cœurs et à régner par
le gentiment; Elisabeth Parnèse tenait de la
nature un génie impérieux que l'éducation
avait rendu souple, plus faile pour étonner
les esprits et régner par l'admiration.
La princesse de Savoie avait vu l'Europe
entière, conjurée contre le roi son époux,
attaquer également, et le trône où il était
assis, et la main victorieuse qui l'y avait
placé; les omhrcs des princes de la maison
d'Autriche animaient sourdement dans le
royaume contre un sang étranger les descen-
dants de leurs anciens serviteur», et le fan-
tôme de Philippe II, qui avait voulu joindre
l'Espagne à la France, agitait encore sous le
nuage de sa politique le trône que la France
s'élevait dans l'Espagne.
La princesse de l'arme trouva un commen-
cement de calme; l'orage paraissait sur sa
fin, mais un bruit de tonnerre se faisait en-
core entendre dans la nue, et du foyer de la
tempête sortaient des éclairs, restes formida-
bles d'un feu mal éteint; les vents semblaient
apaisés; mais le flot frémissait encore, et
l'esprit qui soulève les vagues murmurait
dans les ondes.
Marie de Savoie avait vu le concurrent de
Philippe triomphant dans sa capitale; elle-
même, réduite à en sortir, portant entre ses
bras un faible enfant, première et fragile
espérance d'un trône ébranlé spectacle
également triste et puissant !... Jamais, peui-
être, la majesté ne fut plus respectée que
lorsqu'elle parut avilie : les cris du Ois ré-
veillèrent dans les cœurs le zèle pour le père ;
l'épor.se fugitive intéressa pour l'époux aban-
donné, et la compassion rappela la fidélité.
Ajoulerai-je que Louis le drand vivait en-
core? ce nom si redouté, même dans les re-
vers, était toujours celui d'un grand roi, et
pouvait être de nouveau celui d'un vain-
queur.
Elisabeth n'était qu'aux premiers jours de
son règne, lorsque ce monarque louchait
aux derniers du sien ; il jetait encore de vives
lumières, et son trône était environné d'un
grand éclat : mais c'était celui d'un astre
prêt à s'éteindre pour toujours. L'Espagne
avait une tranquillité plus apparente que so-
lide : déjà même des bruits avanl-coureurs
annonçaient un nouvel orage formé dans le
Nord, d'autant plus redoutable, qu'il pouvait
rallumer tous les feux des précédents cl en
ajouter de nouveaux. Point de secours étran-
gers, Philippe n'avait que la fidélité de sa
nation et le génie d'Elisabeth.
Alors se rencontra un de ces esprits singu-
liers que le ciel semble avoir jetés dans des
conditions inférieures, pour faire voir au
monde jusqu'où peut s'élever la supériorité
du génie; un de ces hommes hardis et entre-
prenants dont l'ambition ne doit rien ù la
naissance, et qui, en quelque sorte, créateurs
d'eux-mêmes, deviennent les auteurs de leur
destinée et les arbitres de celle des autres.
La Providence les fait naître, mais la fortuue
n'entre dans leur élévation qu'en subalti
et ils sont créés p;ir leur génie. Tel était, si
je ne me lioi.ipe. Albcroni, célèbre pat
disgrâce comme par s.i (avear, <t peut-être
(H ne de Pane et de feutre.
I.lisab lh n'avait vu de lui que c qui mé-
ritai1 son estime : il était un de ceux qui
avaient contribué à la placer >ur le trône;
IV( ur, élit crut I'-k rii r
au mérite et ne pouvoir la refusera la recon-
naissante ; elle (il sa grandeur; c'est lai-
méme qui fit sa ruine : pins utile, s'il n\
pu se croire moins nécessaire, et sur de
fortuue, s'il avait «-u s'en défier.
Ouoi qu'il en soit, Elisabeth, assez grande
d'elle-même, n'avait pas i.esoin d'un secours
é ranger. Que u'ai-je une force de discouis
égal à i'idée que je voudrais vous donner de
son génie! Vous la verriez ici rappeler les
grands aux devoirs d'une dépendance qui L i
approche de la co;.r et ciut les y attache; les
intéresser, comme chefs, au bien de la na-
tion; comme premiers sujets, à la gloire du
monarque ; leur remplacer une puissance ar-
bitraire par une autorité légitime; répandre
la gloire du trône sur les hommages qu'ils
portent ù ses pieds, et flatter leur ambition en
la soumettant. Là, vous la verriez rouvrir
les sources de l'abondance fermées pendant
si longtemps, la faire circuler dans toutes les
parties de l'Etat par les canaux du commerce,
par h's voies des échanges, par les produits
des manufactures; partout occuper le peuple,
cl le détourner des idées de sa misère par les
facilités à la réparer. On regard fécond et
créateur porté sur toutes les conditions ranime
le (aient assoupi dans l'oisiveté, et son âme,
répandue partout, rend la vie et l'action à
tous les membres de ce grand corps épuisé.
Que ne puis-je icprésenter sous son vrai
jour et dégager des ombres dout ou a cherche
à l'obseurrir, le projet si naturel et si grand
de l'établissement dis princes ses enfants!
Que l'Europe, j ilouse ou inquiète, en prenne
des alarmes; Fianc , elle travaillait à l'ai -
croissement de ta gloire et à l'agrandissement
d'une maison faile pour donner dans lous les
Etals des mailres au monde : Ce n'était pas
pour elle-même; c'était pour ses enfants; et
dans eux, auguslesang de nos rois, c est pour
vous que sa poliliqu; traçait sur le plan d
la nature el de l'équité, celui d'un éiablisse-
ment qui replaçait ses héritiers dans les droits
qu'elle avaii reçus de ses p res. L'évca nient
l'a mieux servie encore, cl le changement que
la victoire a mis dans son projet a va*u un
trône de plus aux descendants de nos rois.
Il ne m'appartient pas de pénétrer plus
avant dans ies ombres mjslérieuses d'une
politique dont les plans sont réservés au se-
cret du sanctuaire des rois : un objet plus
digne de celui où je parle, c'est le sacrifice
qu'elle lit du trône.
Vous vous rap; elex, Messieurs, ce jour
mémorable , compte dans les Fastes de la
religion parmi ceux qui l'honorent, o.'.
descendant de saint Louis, après u\ oir i égné
comme lui avec les vertus, résolut d'abdi-
quer le pouvoir qu les rois e terceiil sur les
pies, pour aller dans la .-. itude adorer
i , '.ui que L\eu a sur les ro
101,11e. d'être rappelé au milieu Je
US7
celui que nous offrons pour une grande reine
qui en partagea l'effort et la gloire: si elle
n'eut pas l'honneur de le conseiller, el!e eut
celui de l'approuver et de le suivre.
La vit-on , en effet, se servir du créiit
qu'elle avait sur le cœur de Philippe pour le
i'étourner d'une résolution qui devait tant
coûter au sien? Chercha-t-elle à l'éloigner
de la solitude, par la peinture des ennuis
qu'il pouvait y trouver, à le retenir parmi
ses sujets, par la nature du serment qui le
liait à leurs intérêts, par la force du senti-
ment qui l'avait tant de fois attendri sur
leurs besoins, par !c récit des regrets qu'il
allait causer dans toute la nation et de ceux i
qu'il éprouverait lui-même? Fit-elle valoir;
auprès de lui l'exemple de ces rois que le
dégoût du trône avait conduits dans la soli-
tude, que l'ennui de la solitude avait rap-
pelés au trône, et qui, partagés entre les
regrets d'une vie publique elles chagrins ,
d'une vie privée, auraient fait des heureux , ;
et avaient cessé de l'être? Employa-t-elle ;
l'éloquent pouvoir de ces larmes si victo-
rieuses des résolutions les plus héroïques? ,
Figurez-vous, Messieurs, une reine au
comble de la gloire , pour laquelle son cœur
est né, à peine âgée de trente et un ans,
dans ce moment où toute la force de son
génie se montrait avec; plus d'éclat, régnant
avec une autorité absolue , et , au milieu de
tant de motifs qui doivent l'empêcher de
s'immoler, souscrivant elle-même au sacri-
fice de ses plus beaux jours.
Quelle grandeur d'âme, Messieurs 1 Ce
n'est pas une principauté bornée, l'empire
de quelques villes, ce sont trois grands
royaumes: c'est un monde, c'est plus d'un
inonde qu'il faut quitter sans nécessité de sa
part , sans aucun de ces dégoûts dont le mo-
ment décide de la vie. Les plaisirs d'une
cour brillante, le changement d'état, l'essai
d'une vie nouvelle et effrayante, rien ne
l'arrête... Ahl j'ose le dire, jamais elle ne fit
paraître plus de courage et plus de fermeté;
l'Europe admirait la force de ses conseils :
elle ne connaissait pas encore assez la supé-
riorité de cette âme dans la force des épreu-
ves cl des sacrifices.
On l'avait vue soumettre les esprits, ré-
gner sur les génies, tenir l'Europe en sus-
pens, affermir le trône de son époux : mais
quitter l'empire à la première volonté de ce
même époux, avec une facilité qui ferait
croire que c'est elle qui en a inspiré le des-
sein ; sortir de la cour, en quittant le sceptre,
avec plus de satisfaction que n'en ont à y
venir ceux qui viennent y régner; je ne
crains pas de le répéter, cet effort est le
plus grand, et l'exemple en commence à
elle.
Iteprcsentcz-vous , Messieurs, ce départ
si glorieux à la religion: lout le palais re-
tentit de cris lamentables, on accourt en
foule, on s oppose à leur passage ; ceni mille
voix entendues parmi plus do «anglots en-
core rappellent au trône , et le roi qui en
faisait l'honneur, et la reine qui c;i aug-
mentait la gloire, et deux cœurs faits pour
ORAISON FUNEBRE D'ELISABETH FARNESE. i 158
régner sur tous les autres. Les larmes cou-
lent de toutes parts, et ceux sur lesquels on
les répand n'en versent aucunes : ils partent
avec cet attendrissement que demande celui
qu'ils causent, mais avec une sérénité qui
annonce le calme de leurs cœurs.
Ouvrez-vous, sainle et auguste retraite où
les majestés de la terre, anéanties devant
celle du ciel, vont lui porter les hommages
qu'elles recevaient, et faire au pied de ses
autels l'essai de la paix et de la félicité qui
régnent autour de son trône.
Mais la force d'un moment sera-t-elle,
dans la solitude, celle de tous les jours? Il
n'en faut qu'un pour remporter la victoire :
combien d'autres souvent rappellent ce qu'il
en a coûté pour se vaincre, et ajoutent la
peine des regrets à celle du triomphe 1
Elisabeth ne parut point en éprouver, Mes-
sieurs, et tous les jours qui s'écoulèrent dans
cette retraite ressemblèrent à celui où elle y
entra. Là, seule avec son époux seul, sans
autre témoin de son sacrifice que celui pour
lequel il est fait, elle partage tous ses mo-
ments entre les hommages qu'elle doit au
maître suprême par qui elle a régné, et les
soins qu'exigent d'elle, et le monarque avec
qui elle régnait, et les augustes enfants qui
i doivent apprendre d'elle à régner un jour.
Quelle attention à prévenir en tout ce prince
vertueux, à le soutenir même, s'il eût été né-
cesbairel Elle lui remplaçait la cour, et la
retrouvait tout entière avec lui.... constance
aussi héroïque que le sacrifice : il dura trop
peu pour elle. Jamais celle retraite ne vit
couLt ses larmes et n'entendit ses regrets
qu'au moment où il fallut la quitter.
La mort do Louis Ier consterna l'Espagne,
et le vœu de la nation rappelait le père,
pour se consoler de la perte du fils. Elisa-
beth revint sur le trône , son génie s'y re-
plaça avec elle , et elle commença de nou-
veau à régner comme si elle n'eut pas cessé
de le faire.
Hélas l elle ne savait pas à quelle nou-
velle épreuve elle était réservée : cet époux
si tendrement chéri dont elle faisait la féli-
cité, qui faisait la sienne; ce monarque si
révéré par le crédit même qu'elle avait im-
primé à ses volontés connues ; ce roi dont
les sujets heureux auraient voulu voir éter-
niser le règne , le vit borner à quelques an-
nées , les infirmités provinrent l'âge daus lui.
C'esl encore alors qu'Elisabeth eut besoin de
tout son génie ; et avec quelle force ne dut-
elle pas l'employer pour contenir lout dans
le devoir 1 Klle le fil , Messieurs , cl elle ne
s'épargna aucune peine pour préparer le
trône et l'empire à un hérilierqui u'élailpas
le sien.
Epouse d'un souverain et capable de le
seconder dans ses vues pacifiques, daus ses
vues politiques, dans ses vues chrétiennes ,
c'est le premier trait de sa gloire; mère de
souverains cl digne de les former, c'est le se-
cond Irail de son éloge.
seconde partit.
Les maux que les guerres «raient causé»
1150
ORATEURS SACRES. PONCF.T DE LA RIVIERE.
ttr.o
à l'Espagne disparaissaient enfin av<
vices que la licence des armes avait intro-
duits; une administration forte et concerl
dans toutes ses parties rappelai! chaque jour
l'ordre et l'abondance dans toutes les condi-
tions; Elisabeth voyait partout les fruits de
se-, glorieux conseils ; Philippe commençait
à goûter a» ce elle et par elle ce plaisir si di-
gne de l'ambition des souverains , si con-
forme à la sienne, de faire le bonheur des
peuples soumis à son empire : la vertu ré-
gnait sur le cœur des deux souverains , ils ré-
gnaient sur le cœur de leurs sujets ; cette
brave et fidèle noblesse qui avait tant de fois
combattu pour les intérêts de son prince ,
environnait avec respect un trône affermi par
son courage ; la nation ne faisait plus de
vœux que pour la félicité d'un monarque et
d'une reine à qui elle se croyait redevable
de la sienne.
Deux héritiers d'un premier lit croissaient
au pied du trône, mais, hélas! sur lequel ils
ne devaient que passer ; et deux princes ne
suffisaient pas aux désirs d'un peuple qui
connaissait l'avantage d'avoir des Bourbons
5>our souverains. Le ciel ajouta celte gloire
t celle d'Elisabeth : mère aussi heureuse
que glorieuse reine , elle se vit à la tête d'une
famille auguste; et, maîtresse d'un grand
empire , elle jouit du plaisir flatteur de pré-
parer dans ses enfants des rois et des reines
a presque tous les trônes de l'Europe : digne
de les former à être de grands princes par la
sagesse de ses conseils , à élre de bons
mai très par l'humanité de ses sentiments ,
à être des rois vraiment catholiques par
l'exemple de ses vertus.
Je dis à être de grands princes ; et qui , en
effet, pouvait mieux élever et agrandir leur
caractère, qu'une mère qui avait elle-même
dans le sien tant d'élévation et de grandeur,
qu'une reine dans qui la sublimité du trône
sur lequel elle était assise n'atteignait pas
encore toute celle des idées et des sentiments
avec lesquels elle était née ; qu'une princesse
qui, sans être extrême, mettait cependant
peu de différence entre la faiblesse qui tolère
les maux et la médiocrité qui ne sait pas les
réparer : qui , occupée sans cesse, de projets
glorieux , portait dans les moyens quelle
employait toute l'élévation du terme qu'elle
s'était proposé ; qui, héritière de Marguerite
duchesse de Parme , eut comme elle la
science des affaires , et , comme le grand
Alexandre fils de Marguerite , le talent de les
exécuter?
Avec quelle vigilance, quelle continuité,
j'ai pensé dire , quelle religion de soins ne
cullivail-elle pas dans ses enfants le fonds
précieux des qualités qu'ils avaient puisées
dans elle 1 Quelle attention à éloigner d'eux,
je ne dis pas les passions grossières qui pro-
duisent les vices, mais les complaisances
dangereuses qui allèrent les vertus ; je ne dis
pas les pernicieux conseils qui corrompent
les plus beaux cœurs , mais les douces tra-
hisons que l'on fait si souvent aux plus heu-
reux caractères I l'eu contente d interdire
auprès d'eux tout accès aux Batteurs, elle
cherche à les leur rendre méprisables , de
qu'ils ne le devinssent par eux; elle s'é-
tudie à les mettre, par grandeur d'âme, a l'a-
bri de cette fade adulation qui empêche sou-
vent (jue les princes ne soient grands < |
leur répétant sans cesse qu'ils le sont : elle
ne voulait pas qu'ils ignorassent ce qu'ils
étaient et ce qu'ils pouvaient élre un jour ;
elle prenait soin elle-même de les eu ins-
truire ; mais toujours pour élever leurs idées,
et afin de leur faire comprendre qu'ils ne
pouvaient manquer de grandeur dans les
sentiments, sans démentir celle de leur nais-
sance et de leur destination.
Klle n'eut point pour eux de faiblesses,
elle eut de l'ambition pour eux. et l'agran-
dissement de sa maison est peut-être la seule
passion vive qu'on ait remarquée dans elle.
Mais pourquoi ce qui e>l un mérite dans les
mères ordinaires serait-il uo défaut dans une
grande reine , qui après tout ne cherchait
qu'à multiplier les heureux en multipliant
les souverains d'un sang qui, depuis tant de
siècles, a fait sur presque tous les trônes de
l'univers la félicité des peuples?
Persuadée que l'éducation des princes est
la destinée des Etats, que c'est le génie des
rois qui monte celui des sujets , et que, for-
mer un monarque , c'est en quelque sorte
fonder un empire, elle s'appliqua à étendre
leurs idées autant que ses vues sur eux ; elle
leur apprenait que la supériorité du rang
exige celle des qualités , cl que, si parmi les
hommes ordinaires l'élévation des sentiments
est une gloire, elle est une nécessité dans les
rois.
Son ambition était de les voir placés sur
des trônes différents , y porter le même ca-
ractère de grandeur : de cette grandeur qui
est fondée sur celle du mérite, cl qui régne-
rail sans diadème ; de celle grandeur solide
et réelle qui ne doit rien à la place , qui
n'emprunte rien des circonstances, qui, pla-
cée sur le trône , reçoit des hommages que
le trône seul ne saurait procurer, et règne
sur les peuples autant par l'admiration que
par l'autorité.
J'ai ajouté qu'Elisabelh était capable par
l'humanité de ses sentiments de les formera
être de bons maîtres. Loin que là grandeur
soit opposée dans les souverains à la boule ,
elle se présente avec elle à la tète de louies
les qualités qui les rendent vraiment souve-
rains; c'est elle qui les place dans cet accord
et dans ce jour heureux où les peuples ai-
ment à les apercevoir : elle étend leur puis-
sance par les- limites mêmes qu'elle lui pres-
crit , cl ajoute l'empire de la confiance à ce-
lui du pouvoir.
Ronté de l'âme , humanité de sentimenis.
vous êtes l'apanage de la souveraineté. Les
égaux n'exercent entre eux qu'une sorte de
justice ; il n'appartient qu'aux princes d élre
bons, cl nous éprouvons plus qu'aucun peu-
ple de la terre que les plus grands rois sont
aussi les meilleurs.
Je sais que la hauteur prend souvent les
traits de la '/raideur ; c'est le vice qui veut
être l'image de la vertu , dont il est recueil.
ilGl
ORAISON FIlNEBRE D'ELISABETH FARNESE.
1102
Copiste infidèle , il ne peut remplacer la qua-
lité qu'il cherche à représenter; la hauteur
est des âmes faibles et ne fait que des ambi-
tieux , la grandeur est des âmes nobles et
distingue les princes; la bonté joinie à la
grandeur est des âmes vraiment royales et
annonce les souverains.
Elisabeth connaissait cet accord de qualités
qui étaient véritablement les siennes ; et,
trop grande pour négliger ses droits par
une bonté qui eût été faible , elle était trop
bonne pour les exiger avec une hauteur qui
eût été contraire à la véritable grandeur : ce
défaut n'était point dans son caractère; aussi
ne porta-t-elle dans celui des princes qu'elle
formait que la grandeur des vues qui fait
respecter les rois , et l'humanité des senti-
ments qui les fait aimer.
Augustes enfants, aujourd'hui glorieux sou-
verains, vos qualités déposent eu faveur des
siennes. Et vous , peuples heureux , qui
éprouvez dans la sagesse de leurs lois celle
de ses conseils ; vous rendez justice à sa mé-
moire : vos princes sont ses images comme
ses élèves, et l'empire des enfants vous re-
présente les sentiments de la mère.
Et combien d'autres témoignages ne pour-
rais-je pas citer encore ici, Messieurs, pour
l'honneur de sa mémoire, pour celui du
trône et de l'humanité? Maîtresse bienfai-
sante, elle a été pleurée dans sa cour comme
une mère l'est dans sa famille; la nouvelle
de son dernier soupir , portée par ceux de
tout un peuple , a retenti comme celle d'une
calamité dans toutes les villes de l'Espagne;
et dans son domestique , la reconnaissance a
fait verser des larmes qui, dans les enfants,
honoreraient la nature.
Souveraine absolue, mais facile, si elle sa-
vait exiger les devoirs, elle aimait à les
adoucir. Personne jamais peut-être n'a su
rendre le trône plus respectable et les ap-
proches du trône plus accessibles , tenir
mieux la dignité de son rang et en éloigner
davantage la contrainte, se faire obéir avec
plus de promptitude et servir avec moins de
peine, inspirer plus de respect aux grands
et porter plus d'aisance dans le peuple, ren-
dre plus absolue l'autorité du roi et la sienne
moins difficile
Princesse généreuse par caractère, sévère
par nécessité, elle s'informait avec soin des
misères secrètes, et leur procurait des se-
cours ; elle recevaitelle-mème tous les placels
qui s'adressaient à elle, et le titre sur sa
protection était le besoin qu'on eu avait. Le
malheur des guerres avait introduit des
abus, les peuples en souffraient; mais leurs
cris, ou étouffés sous le nuage, ou affaiblis
dans la dislance, ne pénétraient pas jusqu'au
trône : Elisabelh parvint à en être instruite,
la foudre tomba sur les coupables, le nuage
disparut, et le jour fut rendu aux malheu-
reux.
Uu coup d'éclat qu'elle crut nécessaire
pour affermir son autorité naissante prévint
un grand nombre de caractère! contre la sé-
vérité du sien ; son entrée à la cour avait été
marquée par l'éloignemonl d'une princesse
OlUILlKs; SACRES. \\\.
qu'un nom illustre, une grande alliance, de
vives lumières et des qualités distinguées,
rendaient également puissante au pied du
trône et dans l'empire
11 n'est point de mon ministère de cher-
cher à dévoiler les motifs qui décidèrent Eli-
sabeth à en demander le sacrifice; mais ce
qu'il est d'un ministre de la religion de ne
pas laisser ignorer, c'est que ce trait est le
seul que l'on rapporte de sa sévérité ; c'est
que tout son règne a été celui de la bonté
aussi bien que de la grandeur; c'est que,
quoique les prisons fussent remplies à son
arrivée de sujets infidèles, sous un empire
aussi absolu que le sien aucune goutte de
sang n'a été répandue; c'est que sa mort a
été l'occasion du premier deuil qu'elle ait
fait porter aux familles; c'est qu'on n'a en-
tendu de soupirs occasionnés par elle, qu'à
ses obsèques, et que les premières larmes
qu'elle ait fait verseront coulé sur son tom-
beau.
Je vous le demande ici, Messieurs, quel
caractère plus propre à former de grands
princes et de bons maîtres, qu'une âme noble
et élevée dans toutes ses vues, sage et éclai-
rée dans ses conseils ? Ajoutons un dernier
trait : et quelles leçons plus capables de
préparer dans eux des souverains vraiment
catholiques , que les exemples de ses ver-
tus 1
Et quels exemples, Messieurs ? Ceux d'une
piété tendre, d'une résignation profonde,
d'une constance inaltérable, d'une vertu en-
fin éprouvée par les sacrifices de ce qu'un
cœur ambitieux voit de plus grand, de ce
qu'un cœur sensible a de plus cher, de ce
que les cœurs même les plus chrétiens ne
perdent qu'avec regret, du trône, d'une par-
lie précieuse de son auguste famille, de la
vie enfin, et d'elle-même.
Sacrifice du trône : ce premier sacrifice à
la fleur de son â^e, dans la force de son rè-
gne, et lorsqu'elle jouissait avec plus d'éclat
de tous les honneurs de la souveraineté; sa-
crifice pénible, mais glorieux, dont la ri-
gueur était adoucie par l'exemple et les
complaisances du plus tendre des époux, du
plus vertueux des rois : elle trouvait dans la
solitude avec lui tout ce que dans le monde
elle avait sacrifié pour lui.
Mais quel jour pour un cœur tel que le
sien que celui où ce grand prince, enlevé au
trône, l'obligea elle-même une seconde fois
à en descendre? Dès ce moment, soumise
dans l'empire qu'elle a gouverné, sujette
aux lois du trône sur lequel elle a com-
mandé, souveraine sans sceptre, reine de
nom, princesse sans pouvoir, avec toute la
considération de l'estime, mais privée de
celle du crédit, condamnée à une retraite où
ce qu'elle pouvait désirer le plus était d'être
tranquille, ccqu'ciledevaitcraindre le moins
étaitd'êlre oubliée Quelle situation, Mes-
sieurs, et quel nouveau caractère de génie à em-
ployer pour ne laisser rien échapper dont une
autorité naissante pût prendre des ombrages ?
Elle sut le prendre ce génie d'inaction, si
j'ose ainsi parler, le moins fait pour le sien
37
C165
ORATEURS SACRES. PONCET DE LA RIVIERE.
loin de la cour, «lie s'y cnlreiint par l'estime,
p. m- chercher à la conserver; s'offrit aucun
de ses conseils, n'en refusa jamais aucun,
et à la satisfaction d'être encore utile, joi-
gnit l'avantage de n'être point suspecte.
Renfermée dans la solitude, elle cul la
floire d'être un grand exemple, après avoir
té sur le trône un grand spectacle. Là, pros-
ternéeau pied des autels, elle oubliait qu'elle
avait régné; elle adorait le Dieu qui règne,
6e rappelait ses faveurs avec reconnaissance,
et se soumettait à ses ordres avec résigna-
tion.
Là, elle conduisait ses enfants, les présen-
tait au Seigneur, et le conjurait de réunir
sans cesse dans eux, avec la gloire de leur
auguste maison, la piété de leur père el les
vertus de leurs ancêtres.
Là, sa piété, nourrie chaque jour par la
prière, fortifiée chaque mois par la parlici-
patiou aux sacrements, puisait au pied de
l'autel cette conslance que la religion seule
inspire, et qui lui devenait tous les jours
plus nécessaire, contre les épreuves que le
Seigneur lui ménageait dans sa miséricorde,
pour la rendre capable de soutenir les re-
gards de sa justice : épreuves les plus acca-
blantes , par les sacrifices réitérés de ce
qu'elle avait de plus cher.
Déjà elle avait vu son époux défaillant
rendre entre ses bras le dernier soupir d'un
cœur qui n'avait eu de sentiment que pour
Dieu, pour ses deux épouses, pour ses en-
fants et pour son peuple ; d'un cœur digne de
régner sur tous les cœurs, et sur qui le sien
régnait encore. Ah 1 si ce jour, qui fut le
dernier de ce grand roi, ne termina pas aussi
les siens, précieux enfants, c'est son amour
pour vous, c'est le vôtre pour elle qui la ra-
nima dans ce moment; vos tendres soins la
rappelèrent à une vie qui devait préparer la
vôtre : vous consolâtes la plus affligée des
épouses, par une tendresse qui en fil la plus
heureuse des mères
Qu'ai-je dit, Messieurs ? Ses larmes n'é-
taient pas encore essuyées, on lui annonce
la mort d'une princesse chère à son cœur,
formée de ses mains pour le bonheur de la
France, qui n'a fait, hélas I que l'entrevoir,
et dont nous pleurerions encore la perle, si
elle n'eût été réparée par celte épouse, par
cette mère, par cette héroïne chrétienne que
nous voyons si attentive à former dans les
précieux rejetons du Irôneles (rails du saint
el de l'auguste prince qui était né pour l'oc-
cuper un jour. Quel souvenir, Messieurs 1
Mes soupirs m'interrompent Je sens
quelle douleur je rappelle, et mon cœur at-
tendri me reproche l'affliction qui se renou-
velleàce moment dans les pins beaux cœurs ,
dans les cœurs les plus vertueux qui furent ja-
mais(l). Les nôtres scraicntiiiconsolables, si
les vifsci légitimes regrets que nous cause en-
core le père n'étaient diminués par les es-
pérances que nous donne déjà le fils. Vos
traits nous le représentent, Monseigneur,
vos qualités nous le remplaceront : celle
douceur de caractère, celle noble sensibilité,
(I) Mesdames.
ce respect pour la reli'.'ion qui l'a rendu di-
gne d'être loué dans le sanctuaire du Dieu
I ivaul el au [>ied de ses autels, vous rendent
déj! vous-même digne d'y être annoncé.
I atM le ciel qu'héritier de ses vertus, comme
vou- l'êtes de son nom, vous joigniez comme
lui aux droits que la naissance donne, un
droit plus précieux encore, relui que votre
cœur seul peul vous donner, le droil de ré-
gner sur nos cœurs 1
La reine d'Kspagne connut toute l'étendue
de la perte que je rappelle, et j (ut d'autant
plus sensible qu'elle n'y était préparée que
par une succession de chagrins qui 1 avaient
précédée; celle augnate princesse, qu'elle
aimait comme sa fille, qu'elle s'était felu i lée
de voir l'épouse de sou fils; < e fils lui-mem< ,
qu'elle avait cherché à rendre digne de celte
alliance, enlevé comme elle à la fleur de son
âge; le gage pré ieux de leur union, celle
jeune princesse . l'espérance de l'empire,
dont un jour elle aurait lait la gloire, préci-
pitée dans le tombeau : ali ! que de coups
portés à un cœur !
Dieu arbitre de la destinée des gran !s
comme de celle des peuples, vous prépariez
ainsi voire victime son terme ap roche :
elle regarde ceux qui ne sont p!u- comme
des guides qui loi oui ouvert la carrière où
elle doit entrer pour loujou< s ; elle ne mar-
che plus qu'entre des tombeaux : le si ■ e
creuse déjà sous ses pas, s'ouvre déjà à ses
yeux : une langueur mortelle, des douleurs
aiguè-, l'épuisement de ses forces, des sen-
timents avant-coureurs de la morl : toul lui
annonce qu'elle a régné, qu'elle a vécu : le
mon. le fuit à ses regards; lélernitc s'avance.
Ministres de la religion, vous fuies instruits
les premiers de son étal; ce fut elle qui
vous avertit, qui >ous annonça q>.e son
heure était venue: la miséricorde du Sei.
('éloignait pourtant encore, pour achever
d'épurer celle grande âme et la rendre di^ne
de paraître à ses \eux. Sept mois entiers du
souffrances sans espoir, sans intervalle, -ans
adoucissement , quelle nouv< lie épreuve I
Messieurs ; mais des souffrances soutenues
sept mois entiers avec courage, a\ec ie>i-
gnation, sans aucune de ces plainles que
l'humanité ne peut se refuser, que la reli-
gion elle-même ne défend pas... quel exem-
ple 1 Ce que la cour a de plus grand, ce que
son cœur a de plus cher, un prince, son fils
et son roi, tout ce qui peul le plus l'attendrir
se réunil aulour d'elle : témoin de leur dou-
leur, elle en esl touchée, elle n'en est point
affaiblie ; elle témoigne sa reconnaissance à
ceux qui l'onl servie, les recommande aux
bontés du monarque, pourvoit à leurs be-
soins , assure leur vie, offre la sienne à
son Dieu, soupire, et va régner a»ee lui
Ainsi finit une reine sublime dans ses vues,
éclairée dan- ses conseils, épouse chérie
d'un grand roi, mère la plus heureuse, priu-
cesse fidèle à la religion, aujourd'hui sa res-
source el notre espérance pour elle.
O mon Dieu I recevez le sacrifice qu'uu
saint pontife vous offre pour celle âme que
uns
ORAISON FUNEBRE DE M
vous avez rendue si grande devant les hom-
mes! Pu issenlses prières et les nôtres désarmer
enfin votre courroux!... Que de précieuses vie-
illes immolées à votre souveraine puissance
ont fait couler nos larmes ! Conservez-
nous un monarque si digne de l'amour de
ses peuples, une reine l'honneur de la vertu,
des princes et des princesses l'ornement et
l'exemple de la cour; conservez-les, conser-
vez-nous tous sous le règne de votre grâce,
et ne nous jugez point dans la rigueur de voire
justice. Ainsi soit-il.
ORAISON FUNÈBRE
DE MARIE, REINE DE FRANCE ET DE NAVARRE.
Mirabantnrsapienliam ejus, eldiccbaut aller ad alterum:
Non esl t dis niulier super Lcrram.
Ils admiraient sa sagesse, cl ils se disaient l'un à l'autre:
Il n'est point sur la terre de femme comparable à elle (Ju-
dith, XI, 18, 19)
Monseigneur (1),
Elle n'est donc plus, cette reine auguste et
respectable, dont les vertus édifièrent la
cour, sanctifièrent le règne, firent la gloire
de la religion, l'exemple des souverains et
l'admiration des peuples !.... Elle n'est plus 1
ses jours se sont perdus sans retour dans la
nuit du tombeau, centre commun où les
hommes précipités rentrent dans la terre
d'où ils sont sortis Ecueil fatal, couvert
de siècle en siècle des riches dépouilles de la
grandeur et des restes informes de la pau-
vreté.... ; gouffre vaste et profond, où, parmi
les débris de toutes les fortunes de l'univers,
la puissance cl la faiblesse, l'opulence et la
médiocrité, l'indépendance qui brillait sur
le trône et l'indigence qui rampait sur la
poussière, le monarque qui donnait des lois
et le peuple qui y était assujetti , sont ense-
velis et rappelésà celle première égalité que
l'auteur de la nalure avait mise entre les
hommes Elle n'est plus, cette princesse
vertueuse, supérieure à l'adversité, dont elle
éprouva tous les traits; supérieure à la
prospérité, dont elle recueillit toute la gloire ;
supérieure à la mort elle-même, dont elle
surmonta toutes les horreurs : elle repré-
senta le règne de Dieu parmi nous, nous
présumons de ses vertus et de la bonté de ce
même Dieu, qu'elle règne avec lui : la terre
la regrette, le ciel la couronne, sa mémoire
nous reste, et, pénétrés d'admiration aussi
bien que de regrets, nous ne nous consolons
de ce qu'elle n'est plus que par le souvenir
de ce qu'elle a été.
Dieu l'avait suscitée, comme celte héroïne
célébrée par l'Esprit-Saint lui-même, pour
manifester les miracles de sa sagesse, cl
être elle-même un prodige de verlu : Miru-
bantur saptei ■tin ni ejus. Ou l'admirait, on ad-
mirait Dieudanscllc; lousiaisaientson éloge,
et on ne jugeait sur la terre aucune femme
digne de lui être comparée : El dicebant :
JSun est talis millier super lerram. Ce spec-
taele et cet exemple étaient réservés à
1'inslruclion ou à la c infusion d'un siècle le
plus éclairé peut-être et le moins vertueux;
qui vanle la sagesse, et la craint; déclame
(1) Le dauphin.
\RIE, REINE DE FRANCE. HGG
contre les vices, et les accrédite; s'appuie
sur l'autorité de la raison, et se refuse à
celle de la foi; parle le mieux des devoirs, et
cherche le moins à les remplir; raisonne où
il faut se soumettre ; veut comprendre où l'on
doit adorer; aime à disputer, craint de s'ins-
truire; ne sait pas ignorer, et n'ose pas
croire.
Grands de la terre, philosophes amhitieu t,
génies éclairés, hommes de tous les états , la
pompe funèbre à laquelle yous assistez à ce
moment vous annonce le terme de vos di-
gnilés, de vos prétentions de vos recherches
et de vos fortunes. Puissent les flambeaux
lugubres qui éclairent ce sanctuaire répan-
dre un nouveau jour sur vos connaissances!
Les réflexions sur une mort aussi certaine
pour vous , qu'elle est ici présente à vos
yeux, sont la meilleure leçon pour apprendre
à régler votre vie. Voyez ce terme de l'hu-
manité, c'est là l'école de l'homme.
J'ai à vous peindre un caractère formé
par les qualités qui méritent de régner sur
les hommes, qui honorent la souveraineté,
que Dieu seul peut dignement récompenser.
Tel était celui de l'auguste princesse que
nous pleurons. Le Irône avait été pour elle le
prix de la verlu, son règne fut l'exemple de
la verlu, sa mort a été le triomphe de la
vertu. Vertu éprouvée et recherchée, pro-
duite et admirée, souffrante et couronnée;
c'est sur ce plan et sous ces trois points de
vue que je vais vous représenter très-haute,
TRÈS-PUISSANTE KT TRÈS-EXCELLENTE PRIN-
CESSE Marie, princesse du Pologne, reine
dï France et de Navarre.
première pvrt1e.
Quand Dieu veut manifester la souverai-
neté de sa puissance, c'est sur les maîtres
du monde qu'il exerce ses droits suprêmes;
il fait un grand exemple de ceux dont il a
fait un grand spectacle; établit les trônes, et
les renverse; donne les sceptres, et les en-
lève; humilie l'indépendance des princes sous
les terribles éclats de la sienne, et fait sentir
aux dieux de la terre qu'il i st au ciel un
Dieu plus puissant et plus absolu , dont les
premiers des hommes ne sont que les pre-
miers sujets.
Le même Dieu qui se joue de la puissance
soulevée contre ses droits, se plaît quelque,
fois à frapper la vertu soumise à ses vo-
lontés, et semble appesantir son bras sur le
prince fidèle qui lui obéit , comme sur l'au-
dacieux qui le brave.... Enfants des hommes,
aussi aveugles dans nos jugements qu'il est
adorable et impénétrable dans les siens,
témoins des rigueurs apparentes qu'il
exerce contre la vertu, nous ne porlons pas
nos regards sur les faveurs qu'il lui pré-
parc; et, dans le délire d'une compassion
dont elle-même nous dispense, nous osons
f.iire à sa Providence uu crime de ce qui est
peul-êlrc un des chefs-d'œuvre île sa : agesse;
nous ne pensons pas qu il est éternel , et
que, mailre des lemps, il dispose le juste,
par les jours où il permet ion infortune, à
ceux qu'il a marqués pour son bonheur
IIG7
OIUTEUHS SACHES. PUNChT DE LA ItiVItllf*:.
11-3
qu'entre les mains de l'Etre suprême l'événe-
nient qui détruit est quelquefois celui qui
répare; que s'il permet qu'une brillante
prospérité disparaisse tout à coup et se perde
sous dos disgrâces accablantes, du sein de ces
disgrâces elles-mêmes il saura faire éclore
une prospérité encore plus éclatante, et que
la vertu qu'il avait couronnée sortira plus
épurée du nuage pour être couronnée de
nouveau avec plus de gloire.
Conduite admirable 1 Messieurs, c'est à
elle que la France fut redevable de l'auguste
reine qui, pendant plus de quarante années,
a fait, avec le roi, nos plus chères délices,
et fait aujourd'hui ses trop justes regrets
aussi bien que les nôtres. Il fallait que le
changement de sa fortune fût regardé comme
l'ouvrage des conseils de Dieu même, et que
sa main ne pût être méconnue dans celle
par qui elle était élevée au trône.
Rappelons ici les circonstances où elle se
trouvait alors, les motifs qui décidèrent le
choix dont elle fut honorée, l'impression que
ce choix ût sur les peuples; à ces traits
nous reconnaîtrons ceux d'une Providence
attentive, qui n'éprouve la vertu que parce
qu'elle veut la récompenser , et ne la fait
gémir quelque temps sous le poids des dis-
grâces, que pour la rendre plus capable de
soutenir celui de ses faveurs.
(Juelles circonstances en effet, Messieurs 1
ce n'était plus ce temps de grandeur et de
prospérité où son auguste père, conduit au
trône par une suite d'événements glorieux,
s'y plaçait avec la victoire ; calmait, par la
douceur de son règne, les regrets de celui
qui l'avait précédé; aimait ses sujets, se fai-
sait aimer d'eux; les rendait les plus heu-
reux des peuples , et se trouvait par là le
plus heureux des rois.... Jours brillants,
quelle affreuse nuit vous succède 1 Des an-
nées de combats avaient établi sa puissance,
quelques mois de revers la détruisent. L'A-
lexandre du Nord , après avoir trop imité
celui de la Macédoine, arrêté comme lui au
milieu de sa course, périt sur un rempart
étranger d'un coup de la foudre qui, lancée
par ses mains , en avait renversé tant d'au-
tres. Stanislas, livré seul à lui-même , voit
s'éloigner avec la fortune les amis qu'elle lui
avait donnés ; la Moscovie l'investit de sa
haine, l'accable de sa puissance ; la Saxe est
en armes, les royaumes étrangers lui sont
interdits, ses pas dans le sien ne se comptent
que par ses périls; il perd un trône, on lui
dispute un asile; ses sujets l'ont chéri, ils le
poursuivent ; et on ne le souffre pas impuné-
ment malheureux dans les contrées où il
était roi.
N'ajoutons pas au sentiment du malheur
que nous cause la perle de la reine, l'affli-
geant spectacle de ceux qui coûtèrent tant à
son cœur; ne nous la représentons pas ban-
nie du palais qui l'a vue naître, fuyant les
lieux où sa maison régnait, fuyanldc province
en province avec une mère désolée, sur les
traces d'un monarque proscrit et fugitif,
dont ses ennemis redoutèrent le courage,
dont ils admirent lu constance, qui soutient les
revers comme il multipliait ses triomphes, M
n'est pas moins le héros de l'adversité qu'il
fut celui de la victoire Heureuse ville de
Weisseinbourg, vous voyez entrer dans vos
murs ce que l'héroïsme, la royauté, la vertu,
peuvent offrir de plus respectable; c'est dans
votre sein que Dieu conduit les restes au-
gustes du destin de la Pologne, et va prépa-
rer celui de la France.
Quelle révolution, Messieurs, d'idées et de
fortune 1 Une jeune princesse, née sur le
trône, destinée à y monter, digne de l'occu-
per, élevée à la sublimité d'une condition
qui donne des lois à la terre et n'en reçoit
que du ciel, placée dans une supériorité de
rang que les honneurs environnent et qui
honore lui-même tous ceux qui rapprochent,
accoutumée aux Iéle> d'une cour attentive à
étudier ses désirs, empressée à les prévenir,
flattée de les atteindre, à la Heur di; cet â0*e
où la dissipation plait, que le tumulte amuse,
qui est fait pour les agréments et qui les
cherche , plongée tout à coup dans le si-
lence de la retraite, ensevelie en quelque
sorte dans les ombres de la solitude, environ-
née des débris d'une grandeur qui n'est plus,
exposée à l'amertume des regrets, aux lan-
gueurs des dégoûts, à l'horreur des craintes,
sans autre témoin de ses maux que le Dieu
qui les permet et l'auguste famille qui les
partage Ah! Messieurs, les âmes les plus
fortes ne le sont pas assez pour soutenir
celle accablante contrariété d'étals; et com-
bien n'avons-nous pas vu de ces cœurs fer-
mes et invincibles en apparence, dans qui le
premier jour du malheur a été le dernier de
l'héroïsme! 11 n'appartient qu'à des caractères
éprouvés par la religion de supporter tranquil-
lement ladisgrâce et de la vaincre sans efforts.
L'augusie reine dont je fais l'éloge en sou-
tient le spectacle, en adoucit aux autres la
rigueur, la supporte tout entière, étonne la
terre et intéressé le ciel.... Soumise aux or-
dres de Dieu, elle n'a d'autre volonté que
celle qu'il lui inspire: du faîte des grandeurs
précipitée au centre des afflictions, on dirait
qu'elle n'a pas changé d'état ; que le séjour
de la cour n'a été pour elie que l'école de la
solitude; que l'usage de la prospérité ne l'a
formée qu'à celui des revers, et que c'est au
comble du bonheur qu'elle a fail l'appren-
tissage de l'adversité.
Là, son âme, tranquille sur son sort, n'est
troublée que par de tendres inquiétudes sur
celui d'un père cl d'un roi que les malheurs
même ne garantissent pas des dangers: les
palais lui sont fermes, le sanctuaire est son
asile, et sa conduite eu représente la sain-
teté; le trône, à l'ombre duquel elle vivait,
s'est écroule, l'autel est son appui, et de la
croix de Jésus-Christ coule une onction sa-
lutaire qui adoucit l'amertume des sieaoea :
là, renfermée avec le Dieu consolateur, elle
remplace les richesses temporelles que les
hommes enlèvent A sa maison, parles tré-
sors célestes dont il orne et enrichit sou
cœur; là, renouvelant sans cesse de»anl M
Dieu immolé le sacrifice de sa fortune, elle
le remercie de l'avoir lait naître sur lu Irons
ORAISON FUNEBRE DE MARIE, REINE DE FRANCE.
H CS
°t de l'en avoir privée ; elle le remercie des
biens qu'il avait réunis dans son auguste
maison, et des grâces par lesquelles il dai-
gnait en adoucir la perte ; là, malgré les
soins de sa modestie, l'éclat de sa vertu, per-
çant les ombres de sa retraite, lui attirait
l'hommage des princes, le respect des peu-
ples, l'admiration de tous les ordres.
Une sagesse de discours, une décence de
conduite, la plus noble simplicité, un air de
grandeur qui annonçait ce qu'elle avait été,
joint à un ton de douceur convenable à ce
qu'elle était alors ; des libéralités qui dans son
état pouvaient être envisagées comme des
profusions; d'abondantes aumônes, prises
sur le fonds de ses malheurs mêmes pour sou-
lager de moins malheureux qu'elle, tout en
elle représentait la vertu, tout portait à la
plaindre, la faisait révérer : les cœurs les plus
indifférents cessèrent de l'êlre.; on entendait
de tous côtés ces cris semblables à ceux
dont il est parlé dans l'Ecriture : Quare fecit
Dominus sic ... domui huic ( II Parai., VII,
21) ? O mon Dieu ! il est tant de familles que
l'abus de vos faveurs ont rendues dignes de
Votre courroux ! c'est sur elles que doit écla-
ter votre tonnerre; leurs revers sont trop
mérités pour que nous y soyons sensibles :
mais, grand Dieu I qu'avaient commis contre
la souveraineté de vos droits des cœurs qui,
souverains eux-mêmes, n'ont usé de leur
autorité qu'en adorant et faisant respecter
la vôtre? Dieu juste! pourquoi tant de mal-
heurs où nous voyons tant de verlus ? Quare
fecit Dominus sic... domuihuic? Nous jugions
les événements en hommes qui leur sont sou-
mis ; Dieu les arrangeait en maître dont ils
dépendent.
Vertueuse Eslher, le temps de l'épreuve
est passé; celui de la gloire commence à se
montrer. De l'ombre du sanctuaire où vous
habitez avec la vertu, un roi qui la chérit
vous invite à unir votre destinée à la sienne :
fille d'un roi fugitif et abandonné, vous de-
venez l'épouse du roi le plus aimé et le plus
digne de l'être; ne craignez plus pour cet
auguste père, pour cette reine respectable à
qui vous devez le jour; Louis ne sera pas
seulement votre époux : consolateur géné-
reux et bienfaisant, il joindra à la gloire de
vous faire partager son trône celle de répa-
rer les torls de la fortune envers eux ; ils ont
perdu leurs Etals, d'autres leur sont prépa-
rés ; la France qui, dans tous les temps, fut
l'asile des princes malheureux, devenue vo-
tre empire, fermerait-elle son sein aux au-
teurs de votre vie et de sa félicité ? Leur
couronne a passé sur le front d'un rival
digne de la porter, celle du plus grand mo-
narque, balancée sur les plus augustes têtes
de l'Europe, s'arrête sur la vôtre.
Ce ne fut point ici une de ces alliances que
la politique recherche, que des motifs de con-
venance ou d'ambition font conclure entre
les maisons souveraines, que le conseil pi us
que le cœur des rois décide, qu'établissent
des intérêts d'Elal dont elles sont quelque-
fois la ruine; celle-ci était réglée dans le
ciel avant que d'être annoncée à la terre;
1170
fondée sur la seule estime, elle n'eut pour
objet que l'honneur de la vertu, et lui trans-
porta celui du trône.
Ce n'est pas, Messieurs, que la naissance
et de grands héritages ne missent la prin-
cesse de Pologne au rang de celles qui pou-
vaient le plus y prétendre. Les ancêtres de
son auguste mère avaient fondé en Pologne
la royauté qu'elle y perdait; ceux de son
auguste père y avaient élevé les premiers
temples an Dieu vivant : par l'une elle des-
cendait des anciens chefs de sa nation; par
l'autre elle était issue des anciens souverains
de Bohême ; les premiers aïeux de Catherine
Opalinska avaient été les premiers rois de
Pologne ; Stanislas Leczinski , appelé au
trône de cet Etat, y avait reçu le serment
des grands sur un autel dont les premières
pierres avaient été posées par les premiers
de ses ancêtres; le grand-duché de Lithua-
nie, des provinces entières étaient le patri-
moine de cette opulente maison : fortune,
richesses, honneurs, dignités, souveraineté
même, tout ce qui a le plus de part à la con-
sidération des hommes, n'entrait point, pour
elle, dans les desseins de Dieu ; il fallait que
rien ne fût honoré dans elle que les droits
de la vertu : ce n'est pas du trône de Po-
logne, c'est du milieu de ses débris qu'elle
devait monter sur le premier trône de l'uni-
vers ; sa route à la souveraineté était tracée
parmi des ruines; et c'était dans l'obscurité
de la solitude et lorsque la vertu seule était
son apanage, que les desseins de Dieu sur
elle devaient s'accomplir.
Choisie pour être l'épouse du plus grand
roi, quelle impression, Messieurs, croyez-
vous que fil sur son cœur la nouvelle d'une
destination si supérieure à toutes ses espé-
rances ? La vit-on, éprise de l'éclat de sa
gloire, se livrer aux excès d'une joie si na-
turelle à une ambition plus que satisfaite,
el mettre dans sa conduite un changement
que celui de sa fortune semblait autoriser?...
C'est par la modestie qu'elle essaye de la
grandeur: on la félicitait de la souveraineté
des droits dont elle allait être revêtue, elle
n'y voyait qu'une plus grande étendue
d'obligations dont elle serait chargée; un
avenir rempli d'honneurs s'ouvrait à ses re-
gards, elle ne les portoit que sur cet avenir
éternel où elle en rendrait un compte plus
rigoureux; appelée au trône, elle alla con-
sulter l'autel ; une aïeule respectable fut la
confidente de ses sentiments : Ah! que je
crains, lui dit-elle, que celle couronne qu'on
me présente ne me prive de celle du ciel !
Quel langage, Messieurs! ce fut celui d'une
jeune princesse déjà investie de tout l'appareil
de la royauté, et plus effrayée que llallée du
rang suprême où elle montait! ... Grand roil
loin que ce partage de ses sentiments vous
parût une injure faite à votre choix , il en
justifia la sagesse à vos yeux; moins elle
était éblouie de l'éclat du sceptre, plus vous
la jugeâtes digne de le porter : l'estime de la
vertu avait décidé votre cœur, et, j'ose le
dire, celle indécision de la vertu elle-même
vous la rendait encore plus estimable.
H71
OIIATF.UKS SACRES. PONCF.T I)F. LA RIVIFJŒ.
1172
Qu'il fut brillant, Messieurs, ce jour où
fut annoncé parmi nous une alliance si l.o-
lioral'le à la religion et a la majesté! La ré-
pul..ti>n de la reine l'avait précédée: elle
paru), 'attente fut plus que remplie ; et la
renommée, qui ;i v a 1 1 été accusée d'exagéra-
tion et de Batterie, fut accusée alors de fai-
blesse et d'infidélité. Quel concours dans
tous les ordres de l'Ktat pour la voir et pour
lui rendre les premiers hommages ! La cu-
riosité était tout à la fois satisfaite et avide
de se satisfaire encore; on ne pouvait ni dis-
simuler sa joie, ni assez l'exprimer; les fête
se succédaient l'une à l'autre : on d'j portait
pas ce plaisir tumultueux qu'un grand
spe'taclc excite, mais on y voyait dans les
}eu\, dans les discours, dans tout le main-
lien des chefs et des peuples, cette satisfac-
tion publique et touchante que fait naître la
vertu couronnée; elle parut avec une mo-
destie noble qui ajoute a la grandeur tout ce
qu'elle retram he au faste ; chacun adora le
choix du ciel dans celui du roi, qui ne parut
jamais mieux l'image du Dieu qui règne
qu'au moment où il était le ministre do Dieu
qui récompense : on se flatta de revoir le
règne des Cloli.de, des Blanche de Castille
et de ces reines vertueuses qui sur le trône
ont mérité des auteis. Son règne, comme le
leur, a honoré la religion; la religion hono-
rera peut-être un jour le souvenir de s m
règne, il avait été le prix de la vertu , il en
lut l'exemple: c'est le sujet de la deuxième
partie de son éloge.
DEUXIÈME PARTIE.
Ce n'est plus dans l'obscurité de la re-
traite, courbée sous le poids des revers, ac-
cablée par les disgrâces, livrée à la rigueur
du sort le moins mérité, le mieux soutenu,
et à ces deux titres le plus digne d'être ré-
compensé, c'est au milieu des fêles de la
cour, souveraine d'un grand empire, bril-
lante de l'éclat du sceptre, environnée d'un
peuple d'adorateurs, que la vertu doit ici se
présenter à vos regards , et embellir elle-
même son tableau de toute la gloire qui
l'accompagne. Quel nouveau genre d'épreu-
ve, Messieurs, que ce passage de l'humilia-
tion à la grandeur! Qu'il est difficile que
des yeux si longtemps couverts du nuage de
l'infortune ne soient éblouis par les pre-
miers rayons d'un jour si éclatant, et qu'une
âme invincible aux traits de l'adversité ne se
laisse pas amollir par le poison d'une pros-
périté inattendue! La reine connut le péril,
elle sut le craindre, et il devint moins re-
doulahie.
Quel règne nous annonçait celle crainte !
Messieurs. Un règne tel que nous l'avons \ u.
dirigé par la sagesse, consacré à la religion,
glorieux à l'humanité; le règne de la vertu
présentée dans tous ses caractères, noble et
modeste dans ses sentiments, mesurée dans
sa conduite, fei vente dans sa piété, lidèle a
ses devoirs, bienfaisante par goûl. charita-
ble sans réserve, sensible aux peines des au-
tres, patiente dans les siennes, digne de
'Dieu, respectable aux hommes, utile aux
malheureux, plus souveraine par l'autorité
qui nail île l'estime, que parcelle qui rient
du pouvoir: que de traits pour un seul et
ractère 1 Ce fut celui de l'auguste reine
que nous regrettons; osons eu ébaucher le
tableau
Vertu noble et modeste, Versailles la vit
telle que Weissembourg l'avait vue, loujoor
sans faste, toujours avec digni'é, aussi peu
effrayée de la retraite que si elle ne fût ja-
mais montée sur le tronc; sur le trône, aussi
peu étonnée que si jamais elle n'en fût de -
cendue. Obligée de représenter, on lui voj il
non celle grandeur empruntée qui dégrade
la véritable, non celle vaine ostentation qui
croit honorer le rang et l'avilit, non celte
gravité affectée qui force le respect et ne
l'obtient pas, mais une élévation de senti-
ments qui convient au trône ri que le trône
ne peut donner, une décence qui relient, une
douceur qui allire, la majesté qui comnaaod i
el la bonté qui régne, une dignité facile qui
impose sans effrayer, u e simplicité noble
qui se communique sans se commettre, un
air de supériorité qui tient l ut dans le de-
voir sans l'ordonner, un air de condescen-
dance qui semble négliger les droits el les
multiplie, ne prend rien sur le fond de l'au-
t rilé, oblieni tout de celui de l'amour, veut
moins le respect et n'en est que plus respec-
tée... Placée au faite des grandeurs, elle ne
connut qu'une souveraineté vraiment indé-
pendante : celle que Dieu exerce sur les
rois. Elle savait qu'il n'appartient qu'à lui
d'être grand par lui-même; que les droits
des souverains sont tous émanés des siens;
qu'infiniment plus élevé au-dessus des mo-
narques que les monarques eux-mêmes no
le sont au-dessus des peuples, il les lient
doublement attachés à sa loi : par les liens
de la dépendance commune el par ceux d'uue
reconnaissance particulière , à raison du
pouvoir qu'il a sur eux comme leur mailre
et de celui qu'il leur communique comme à
ses images, en vertu de l'égalité qui les con-
fond à ses yeux, tout rois qu'ils sont, avec
les autres hommes, et de la supériorité qui
les rapproche, quoiqu'ils ne soient que des
hommes, de la Divinité, par les devoirs enfiu
qu'il leur impose comme à ses premiers su-
jets, el par l'honneur qu'il leur fait de les
établir, en quelque sorte, ses représentante
sur la lerre... De ces idées saintes el subli-
mes qu'elle avait conçues de la majesté de
Dieu naissait ce respect profond dont elle
était pénétrée pour cette majesté divine; la
pompe et la magnificence dont la sienne élail
environnée ne paraissait à ses jeux que
comme une décoration propre à relever les
hommages qu'elle lui devaii; elle portait au
pied de la croix tous ceux que l'on présen-
tait à son trône, el les honneurs que l'on
rend. lit dans elle à sa souveraineté n'étaient
pour elle qu'un tribut de plus qu'elle offrait
à celle de Dieu.
Llle les offrait, avec quelle ferveur de | ie-
l( '. Ah! Messieurs, il faudrait en être pénélré
comme elle pour vous la décrire... Saintes
ha liantes du Carmcl,vous doul la conduite,
1175
ORAISON FUNEBRE DE MARIE, REINE DE FRANCE.
4174
mieux encore que la règle , nous retrace
l'esprit qui vous établit, combien sont pré-
cieux à votre souvenir les jours que cette
auguste princesse venait passer parmi vous 1
Elle cherchai t des leçons de vertu, elle vous
en donnait des exemples : quel spectacle
plus digue de votre piété que celui de la plus
grande reine de l'univers prosternée des
heures entières au pied des autels, trem-
blante sous le poids de la Divinité qu'elle
adorait, anéantie aux yeux et sous la main
de cette majesté suprême, devant qui toute
autre majesté n'est rien! En voyant sa fer-
veur, vous sentiez la vôtre croître et se rani-
mer dans vous. Pour conserver l'esprit de la
religion, vous fermez vos solitudes à celui du
monde; et c'est des lieux mêmes où le monde
est plus dangereux que l'esprit de la religion
y pénétrait avec elle : vous le disiez vous-
mêmes, et ce témoignage que nous rappor-
tons à sa gloire n'enlève rien à la vôtre.
Vous disiez souvent que si le dégoût d'une
règle austère pouvait faire entrer parmi vous
celui de voire état, la vue et les entretiens
d'une aussi vertueuse princesse suffisaient
pour vous y rappeler et vous soutenir.
Piété tendre : elle l'était dans tous les
temps; mais quel nouveau degré de force ne
paraissait-elle pas acquérir dans ces jours
saints et lugubres où l'appareil de la passion
de Jésus-Christ, représentée dans nos tem-
ples, semble la reproduire à nos yeux ! Qui
pourrait compter les larmes qu'elle versait
alors au pied de la croix? Son attendrisse-
ment et sa confusion étaient extrêmes à !a
vue du diadème qu'elle portait et des épines
dont son Dieu était couronné. Quelle impres-
sion ne faisait pas sur elle le contraste du
Calvaire et du trône, de la créature élevée et
du Créateur anéanti? Cœur adorable de ce
Dieu sauveur, cœur percé pour notre salut
sur la croix, cœur ouvert sur l'autel à nos
besoins et à notre amour, c'est à la tendre
vénération dont le sien était pénétré pour
vous , c'est à son zèle, à ses sollicitations et
à ses soins, que nous sommes redevables de
l'auguste fêle instituée dans tout le royaume
à votre honneur.
Piété humble et pénitente : ministre de la
religion, heureux dépositaire des secrets de
cette grande âme, vous la voyiez plusieurs
fois chaque mois prosternée à vos pieds, se
reprochant comme des péchés considérables
ce qu'à peine nous regardons comme des
fautes, vous demandant des secours spiri-
tuel» dont son cœur était rempli , et intéres-
sant votre religion et votre zèle sur un état
que vous jugiez digne de votre admiration.
Piété constante : ce n'était point une de
ces dévotions inégales comme \e caprice qui
les enfante, changeante comme l'humeur qui
les conduit, qu'un moment voit naître, qui
n'ont que la durer d'un moment, et qu'il faut
surprendre dans leur naissance pour les
trouver encore : la piété de la reine, animée
par la religion et Bolide comme elle, fut tou-
jours la même dans des exercices toujours
variés; elle se nourrissait par le* lectures,
elle s'élevait par la méditation, elle s'épurait
dans les entretiens, elle s'enliammait dans la
prière. Nul genre de vertu ne manquait à
cette grande princesse, mais la piété était sa
vertu dominante et, si j'ose le dire, son vrai
caractère et son état.
Que ne puis-je ouvrir à vos regards cet
oratoire saint et secret qu'elle s'était ména-
gé, au lieu de ces endroits ornés qu'un luxe
recherché prépare à la superbe et indolente
oisiveté! Là vous la verriez, plus souvent
que sur son trône, s'entretenant seule avec
Dieu seul; c'est là que, retirée une grande
partie du jour, elle goûtait, dans *e silence
et le repos de la solitude, ce plaisir pur que
ceux du grand monde ne peuvent ni égaler
ni remplacer; c'est là que se faisaient ces
méditations sublimes, où son esprit prenait
son essor jusqu'au ciel et allait dans le sein
de la Divinité même puiser ce trésor de grâ-
ces et de lumières qu'elle répandait ensuite
dans tous ses discours et sur toutes ses ac-
tions; là, comme Clotilde, elle priait pour la
gloire du roi son époux ; comme Hélène, elle
adorait la croix de Jésus-Christ ; comme
Esther, elle gémiss iit de celte loi du trône
qui la soumettait à celle de la représentation
et de la maguilicenc .-. Elle ne cessait de s'y
entretenir avec Dieu que pour en parler avec
ses augustes enfants : entretiens précieux et
respectables, dignes du ciel, qui les inspirait
et qui les récompense, où la communication
des seulimcnts était celle des vertus, où la
loi du Seigneur, expliquée par ceux qui de-
vaient donner des lois à la lerre, était le su-
jet des discours et la règle de la conduite.
Quel endroit du monde offrait au ciel un
spectacle si intéressant pour sa gloire? Est-ce
donc un palais destiné aux hommages que
l'on rend aux rois, ou un sanctuaire consa-
cré à ceux qui sont dus au Maître des rois?
Ce qui dans les cloîtres et autour de la croix
fait l'occupation des personnes attachées à
Dieu par étal, à la cour et auprès du trôno
faisait le délassement et le plaisir d'une
grande reine, d'une princesse destinée à l'ê-
tre, d'un prince héritier du trône, et de la
plus auguste famille.
Piété solide : fidèle à toutes ses obligations,
elle ne connaissait ni les douceurs qui facili-
tent le service de Dieu, ni les hauteurs qui
rendent pénible celui des princes. Persuadée
que Dieu ne l'avait mise sur le trône que
pour lui obéir avec plus d'éclat, elle se crut
d'autant plus obligée d'y être un grand
exemple, qu'elle y était un plus grand spec-
tacle ; elle n'omettait rien de ce qui regarde
l'accomplissement de la loi du Seigneur; la
pratique la plus petite avait du prix à ses
yeux, et nulle dispense ne lui adoucissait la
plus difficile. Dans ce qu'elle exigeait pour
son service personnel, le moindre repentir
excusait la plus grande faute, et la plus fai-
ble attention avait sa récompense. Lui cchap-
pail-il un signe d'impatience , la plus écla-
tante réparation succédait à l'offense la plus
légère : elle demandait pardon dans des ter-
mes et quelquefois dans une posture capa-
bles de confondre ceux devant qui elle s'hu-
miliait; cl ou redoutait plus les reproches
irs
OJUTIXnS SACRES. PONCKT H F. LK RIVIRRR
1170
qu'elle se faisait à elle-même que ceux qu'où
aurai! pu mériter de sa parti
L'ordre qui était dans sa conscience pas-
sait dans 1 intérieur de sa maison : «Ile ne
sortait point de ces bornes respectables, et
par là le devenait elle-même davantage ; loin
d'elle cet esprit de tumulte et d'intrigues
par lequel on a vu tant de reines ambitieu-
ses troubler le repos des empires et porter
dans le cœur des royaumes les agitations du
leur.... Parlait-t-on de saintes entreprises, de
familles soulagées, d'oeuvres marquées au
caractère de la vertu, la reine était citée en
exemple. Parlait- on d'affaires publiques,
son nom n'était pas prononcé, et c'était pour
elle un éloge de plus. Les affaires de 1 Etat
lui paraissaient étrangères au sien ; elle ne
se les rendait personnelles qu'au pied des au-
tels, où, occupée de ce qu'elle devait au roi,
et pénétrée du plus tendre attachement pour
sa personne sacrée , elle intéressait Dieu
dans ses sentiments appelait le ciel au se-
cours de sa reconnaissance, et le conjurait
de réunir sur son règne et sur sa vie autant
de gloire et de faveurs que ce monarque gé-
néreux en avait répandu sur elle et sur son
auguste maison.
Au seul nom de familles malheureuses,
son âme, aussitôt attendrie, faisait connaître
tout l'intérêt qu'elle y prenait. Les cabanes
chancelâmes, les hôpitaux remplis d'infor-
tunés, qui ne tiennent plus à la vie que par
le sentiment de la douleur, tous les lieux
habités par l'indigence, ah ! là était son em-
pire, son Etat, le trône de la souveraineté
qui flattait le plus son ambition, où elle ai-
mait à régner, à faire sentir le pouvoir de la
royauté par celui de ses bienfaits. Les vieil-
lards, les orphelins, les infirmes, voilà sur-
tout ceux qu'elle considérait comme son peu-
ple... Je me trompe, c'étaient ses enfants....
Oui, pauvres de Jésus-Christ, c'est à vous
de rendre témoignage à une charité dont
vous lûtes toujours les objets : vous direz
que s'il fut à Bethléem et sur le Calvaire un
Dieu pauvre et immolé, dont vous nous re-
présentez la misère, il fut à la cour et dans
le palais des rois une reine vertueuse et bien-
faisante, par qui vous fûtes consolés et se-
courus.Que si dans les villes vous êtes aban-
donnés par des cœurs insensibles et inhu-
mains, il fut sur le trône un cœur chariiable
et compatissant, par qui vous vîtes soulager
votre infortune : elle mettait à trouver vos
retraites et connaître vos besoins l'industrie
que vous mettez vous-mêmes à nous intéres-
ser sur eux. Peu contente de verser dans
votre sein les plus abondantes aumônes, elle
eût voulu employer ses mains royales à
panser vos plaies et à vous servir.
Elle exigeait, et c'était son ordre le plus
absolu, qu'on l'instruisit des misères secrè-
tes et particulières ; elle se plaignait du si-
lence qu'on gardait à cet égard, taxait de
retranchement fait à ses droits les réserves
que l'on mettait à sa pieuse prodigalité. Com-
pièpnc l'a vue plus d'une lois entrer dans
ses hôpitaux, interroger les malades, les re-
commander aux médecins chargés de leur
guérison, leur faire passer des secours et
porter une sainte envie à ceux qu'elle < n-
\oyait les visiter.
On l'a vue, dans une saison dont la rigueur
augmentait celle de la misère, ouvrir au-
près de son trône un asile à un de ces infor-
tunés, le soutenir elle-même presque expi-
rant, le rappeler à la vie par ses soms, et la
lui prolonger par ses bienfaits.
Renfermée dans l'enceinte de son palais,
elle s'y occupait au soulagement des pau-
vres et à la décoration des temples : ici des
ornements pour les églises, là des habits pour
l'indigence; son loisir consacrée ce pieux
travail s'employait tour à tour à orner les
autels du Dieu vivant et à couvrir les mem-
bres de Jésus-Christ souffrant.
Elle avait trop de vertus pour n'avoir pas
encore des afflictions. Ah! qu'elle fut vive,
et qui pourrait vous la peindre, Messieurs,
celle que lui causa celte maladie cruelle qui
menaeait la vie d'un roi qu'elle respectait
comme son maître, qu'elle chérissait comme
son époux, qu'elle révérait comme l'auteur
de sa fortune el le restaurateur de celle de
sa maison 1 Aux prières qu'elle faisait plu-
sieurs fois chaque jour pour sa gloire, com-
bien n'en ajouta-t-elle pas pour sa conser-
vation ! Elle se renferma dans son oratoire,
la nuit l'y surprit, l'aurore l'y retrouva.
Nuit sainte et salutaire, c'est à vous que
nous avons été redevables des beaux jours
qui nous furent rendus. .! Elle priait encore
pour son auguste personne, au moment où
la vie de ce monarque, si digne du nom que
notre amour lui a donné, se trouva dans un
danger dont le souvenir ne se présente qu'a-
vec l'horreur Quelle épreuve pour un
cœur aussi sensible que le sien !
Y ajouterai-je l'impression que faisait sur
elle le discrédit et le danger où semble
mettre la religion ce déluge d'écrits licen-
cieux et impies où le libertinage el l'incré-
dulité réunissent tous leurs efforts pour
affaiblir le respect qui soutient encore son
empire; ces productions malheureuses d'un
délire raisonné et d'un fanatisme réfléchi,
où l'esprit d'audace el d'irréligion sème
partout des principes aussi déshonorants
pour la raison que dangereux pour la foi,
répand des maximes aussi opposées aux
droits de l'empire qu'à l'honneur du sacer-
doce; esprit funeste, ennemi du Irône pres-
que autant que de l'autel, soumis à peine à
la main qui lient le sceptre, bravant celle
qui lance le tonnerre, qui n'exclut aucune
religion, n'en préfère aucune, veut qu'on
les multiplie pour n'en point avoir, el de-
mande qu'on les lolère toutes pour se dis-
penser d'en suivre?... J ose le dire, ceux qui
ont connu le cœur sensible et vertueux de
la reine savent que ce fut une des épreuves
i|ui lui coûta le plus pendant son règne, cl
dont le sentiment en a peut-être abrégé le
cours.
Sensibilité aux peines des autres : rien de
ce qui les intéressait ne lui était étranger:
elle cherchait à les secourir, elle aimait à
les consoler; leurs afflictions devenaient les
1177
ORAISON FUNEBRE DE MARIE. REINE DE FRANCE.
1178
siennes, et elle ne sentait vivement que cel-
les qu'elle ne pouvait pas adoucir dans eux.
Vertueuse princesse, épouse de ce fils si
chéri avec lequel vous viviez, auquel, mal-
gré votre courage, vous n'avez pu survivre,
combien de fois vîles-vous celte auguste
reine oublier ses peines pour soulager les
vôtres I Quelle sincérité dans les larmes
qu'elle versa sur vos premiers malheurs !
Quelle attention à calmer en vous le senti-
ment de la douleur par la tendresse des
siens ! Vous trouvâtes toujours en elle une
reine qui vous honora comme son égale,
qui vous traita comme sa compagne, et qui,
malgré la perle d'un trône, deux, fois enlevé
à sa maison par la vôtre, ne trouvait de dou-
ceur sur le sien qu'à en partager la gloire
avec vous.
Quel règne, Messieurs , je viens de vous
décrire! Suspendez votre admiration; il fut
l'exemple de la vertu : j'ai son triomphe à
vous représenter; honorez-moi encore de
quelques moments d'attention.
TROISIÈME PABTIE.
Dieu, qui voulait achever d'épurer la vertu
dans la reine et la rendre digne de lui, réu-
nit sur la fin de sa vie autant d'afflictions
qu'il avait rassemblé d'épreuves sur les com-
mencements : des nuages de tempête et de
calamité avaient agité ses premières années,
de cruelles inquiétudes el les ombres de la
mort attristèrent les dernières ; sa gloire tem-
porelle et son éternel bonheur ont été acquis
par les mêmes voies : un empire sur la terre
avait été le prix de la vertu souffrante et
persécutée; un règne durable est le prix de
cette même vertu victorieuse et triom-
phante.... Triomphe de la vertu , préparée
contre les surprises de la mort, résignée à
l'arrêt de la mort, courageuse et invincible
au moment de la mort.
Cette mort ne nous était que trop annon-
cée depuis longtemps, et plus d'un désastre,
avant-coureurs de celui-ci, semblaient y dis-
poser nos cœurs. Quelle succession de mal-
heurs avait porté le coup mortel dans celui
de la reine.. .1 Deux princesses, ses filles, en-
levées à cet âge où les espérances presque
remplies rendent les pertes plus sensibles :
l'une, plus flattée de vivre auprès de la reine,
que de l'être; l'autre, souveraine cl déjà
mère, qui plaçait son sang sur le Irône des
Césars : un jeune prince , une jeune prin-
cesse moissonnés dès l'aurore el à la pre-
mière fleur d'un printemps qui promettait
1' s plus beaux jours; un prince.... quel sou-
venir rappelé-je ici ! Messieurs, celui d'un de
nos plus grands malheurs, d'une des plus
cruelles épreuves qui aient agile la vie de la
reine; un prince, après le roi, l'espoir de la
nation ; comme lui, l'amour de son peuple,
le descendant des plus grands rois, l'imita-
teur des rois les plus saints, l'ami des talents,
l'honneur de la religion, le modèle des ver-
tus le me trouble Irois ans se sont
écoulés, la plaie n'est pas fermée, nos lar-
mes coulent encore, ctje ne puis m'excuscr
de réveiller la douleur dans vos cœurs que
par celle dont le mien est pénétré... un père,
souverain pour la troisième fois, l'ornement
de deux empires, les délices de deux peu-
ples, l'honneur de deux siècles, expirant au
milieu des arls qu'il avait embellis, et à l'om-
bre des vertus avec lesquelles il avait régné;
une princesse, sa belle-fille el sa compagne,
défaillante dans ses bras et mourant sous
ses yeux.... Que de victimes précieuses im-
molées, que de tombeaux ouverts autour du
trône sur lequel elle était assise 1 Fille, mère,
aïeule , belle-mère , frappée par autant de
coups qu'elle portait de noms, propres à ir-
riter dans elle le sentiment Dieu adora-
ble et terrible, nous ne méritions pas dépos-
séder tant de trésors; vous nous les aviez
prêtés dans votre miséricorde, vous nous les
avez enlevés dans voire justice Eloignés
de tant d'objets funestes, nous en étions cons-
ternés, nous eu sommes encore émus; mais
quelle impression ne dut pas faire sur un
cœur qui en élait témoin le spectacle et la
vue! La reine soutient tous ces sacrifices
avecun courage qu'il n'appartient qu'à la re-
ligion d'inspirer; tant de morts la disposaient
à la sienne : les sentiments de la nature
avaient été maîtrisés avec trop d'efforts pour
qu'elle ne succombât pas sous tant de mor-
telles atteintes; aussi l'avons-nous vue, de-
puis ces cruels événements, livrée à une lan-
gueur qui épuisait ses forces, et ses trois der-
nières années n'ont fait que nous préparer au
dernier de ses jours.
Années précieuses, qu'elle sut particulier
rement employer à la recherche rigoureuse
de tout ce qui pouvait blesser dans elle la
délicatesse et les regards d'un Dieu devant qui
l'homme le plus saint n'est pas sans défauts,
puisque l'ange le plus pur n'a pas été sans ta-
che : In angeîis suis reperit pravitatem (Job,
IV, 18); on vit se ranimer son amour pour la
religion, son zèle pour l'Eglise, dont les inté-
rêts étaient véritablement les siens , dont les
maux affectaient son cœur jusqu'à mériter
d'être comptés parmi les épreuves qui lui
étaient les plus sensibles; ses confessions de-
venaient presque journalières, et toujours
aussi exactes; ses communions plus fréquen-
tes, el toujours aussi saintes; ses aumônes
plus abondantes, et d'une profusion qui an-
nonçait combien elle croyait les réserves
désormais inutiles pour elle. Plus de sept
mois avant celui où nous l'avons perdue,
elle avait, d'elle-même, renoncé à tout ce
qu'elle devait quitter avec la vie; lous les sa-
crifices étaient faits longtemps avant que les
liens fussent rompus ; les ténèbres ne pa-
raissaient pas encore, et elle s'annonçait à
elle-même la fin du jour.
L'image de la mort était exposée dans son
oratoire avec celle des saints qui en ont
triomphé; ses mains l'y ont placée, elle y at-
tache ses regards; son esprit en est occupé,
elle la contemple, dirai-je sans horreur? Oui,
Messieurs, el j'ajouterai, avec une sorle de
satisfaction : elle s'y contemple elle-même
dans l'état où elle sera réduite, dirai-je sans
effroi? je dirai plus, avec plaisir : ce specta-
cle el ces réflexions, loin do l'attrister, la
1179
ORATEURS SACHES. POV.IT DE LA RIVIERE.
1)80
consolent; son cœur n'éprouve aucune des
inquiétudes que son élat nous inspire; la
religion triomphe où la nature s'épouvante;
tout ce qui suspend le dernier moment de
sa vie lui semble retarder celui de sa félicité,
et si les soins que l'on prend de ses jours ne
lui devenaient pas précieux, parce qu'ils
prolongent ceux de ses souffrances, elle les
trouverait importuns, parce qu'ils diffèrent
celui de son bonheur.
Ministres de la religion, vous n'êtes donc
point réduits à prendre, pour l'instruire de
son élat, ces détours et ces tempéraments que
la délicatesse, ou plutôt que la perversité du
siècle a rendus malheureusement nécessai-
res auprès de certaines âmes; vous n'avez ni
arrêt à lui annoncer, ni sacrifices à lui de-
mander, ni sentiments de résignation a ins-
pirer; l'oracle de la mort s'e>t fait entendre
a son cœur, tout y est soumis à la volonté
suprême qui a fixé la durée de ses jours et
qui l'avertit de leur fin. Quelques lueurs
nous rassurent; mais elle connaît son dan-
ger, voit son terme sans frayeur, se ranime
à la vue de l'éternité, paraît sentir son bon-
heur prochain, nous annonce une perte trop
certaine, et par ses espérances augmente nos
crainles.
Approchez, grands du monde, vous qu'at-
tachent à la vie des distinctions et des digni-
tés qui finirontavant elle peut-être, du moins
avec elle ; approchez, venez voir cette au-
guste victime, celte reine vertueuse qui s'est
sanctifiée par l'usage des honneurs, dont l'a-
bus vous perd : vous admirâtes la sainteté de
sa vie, instruisez-vous par le dernier exem-
ple qu'elle vous en donne.
Esprits libertins et présomptueux, qui
vous vantez de raisonner en sages , et vivez
en insensés; vous pour qui la mort des au-
tres devrait être une leçon, et n'est qu'un
spectacle, qui y courez en aveugles, la bra-
vez en téméraires, ne la recevez qu'en dé-
sespérés; appréciiez, venez comparer les
transports et les fureurs de vos semblables
mourant sans consolation comme sans es-
poir, avec la tranquillité et la satisfaction
d'une sainte expirante, cl apprenez au moins
d'elle à mourir.
Toujours souffrante et toujours soumise,
elle remercie Dieu , qui n'ajoute à ses dou-
leurs que pour accroître à ses mérites, et,
par eux, ses récompenses ; chaque instant a
pour elle un supplice, il n'est pas un instant
où elle se plaigne; ses regaids sont attaché*
sur la croix de Jésus-Chrisl, et on n'entend
d'elle que ces paroles : Pou» voulez que je
souffre, Seigneur, il finit donc souffrir.
Princes et princesses, scsaugusles enfants,
qui faisiez sa plus douce consolation, dont
elle faisait ses plus chères délices , don! elle
va faire les éternels regrets; vous la voyez,
celte aïeule, cette mère respectable, prèle à
recevoir la récompense des vertus qu'elle
vous faisait goûter dans ses entretiens, que
v us admiriez dans sa conduite : elle vous
donna des leçons; elle vous doit encore un
exemple .• elle vou- enseignait à vivre, elle
va vous apprendre à mourir Qu'ai-jc dit ?
m)!» Dieu ! ah ! conservez-nous longtemps
ces dignes et précieux restes de la plus au-
guste famille qui soit dans l'univers ; con-
servez-les pour la (.'luire de votre saint nom,
pour l'honneur de votre religion, pour l'ap-
pui de l'autel et du trône, pour l'exemple de
la cour, la félicité des peuples; conservez-
les pour la consolation de ce grand roi, de ce
roi si digne de notre attachement, l'homme
de votre droite, le fils aîné de votre Eglise,
la plus parfaite imatre de votre bonté ; hélas 1
que n'en coûte-t-il pas à son cœur dans ce
triste moment 1 La nature est accablée dans
lui, par le coup de tous les sacrifiées qu'il
fait au dehors, à la bienséance, à son ranur,
à la désolation île ses enfants, à l'état d'une
épouse vertueuse, qu'il honora toujours,
qu'il révère plus que jamais, et qu'il va per-
dre sans retour.
Elle élève une voix mourante pour lui re-
commander tous ceux que le service atta-
chait à sa personne, les fait rassembler au-
tour d'un lit déjà environné des ombres de la
mort, leur témoigne sa reconnaissance, leur
en laisse des gages, leur demande le sec iurs
de leurs prières, et les remplit des regrets
de sa perle et do l'a Imitation de lea ver-
tus.
Enfants du Calvaire, pâles et souffrantes
images d'un Dieu naissant et expirant dans
l'indigence, vous eûtes toute sa tendresse,
vous aurez ses derniers soins; étendue de-
puis plusieurs mois sur un lit d'infirmité,
elle oubliait sa douleur pour s'occui> r d s
vôtres ; ses mains, oui, ses mains défaillante*
travaillaient encore pour vos besoins, et elle
n'a cessé ses ouvrages que quelques jours
avant qu'elle cessât de vivre....
Ministres de la religion, elle réclame en-
core votre secours ; sur le point de paraître
au tribunal de la justice, elle veut de nou-
veau se purifier à celui de la miséricorde ;
hâtez-vous de répandre dans celte grande
âme l'onction sainte de la grâce ; ne craignez
pas de lui apporter trop souvent le corps
adorable de Jésus-Christ; en passant dans
ce cœur si pur, il ne fait que changer do
sanctuaire et d'autel Mais hâtez-vous....
elle touche à sa dernière heure; le jour luit
encore, la nuit approche C'en est fait, le
siècle est passé et son éternité commen-
ce
Jusques à quand, Seigneur, nous frappe-
rez-vous? Epargnez-nous du moins, nous
vous en conjurons, épargnez-nous de nou-
veaux regrets, et reproduisez-ncus de pa-
reilles vertus.
Que de pompes funèbres ont jusqu'ici,
Monseigneur, attriste la brillante aurore de
votre vie ! Vos larmes ont coule comme les
nôtres) elles coulent encore du tombeau
d'un père et d'une mère digaefl de tout votre
amouf, sur celui d'une aïeule digne de tous
nos regreta : un même Irène unissait leurs
cœurs, et si le même temple ne possède pas
leurs cendres, un même sanctuaire réunira
peut-être, pour leur culte, nos descen-
dants La douleur de les avoir perdus
n'est adoucie que par l'espérance de voir rc-
«181
ORAISON FI NERRE DU ROI LOUIS XV.
1183
? produit dans vous, Monseigneur, (oui ce que
i nous regrettons dans eux. Le naturel le plus
heureux, le caractère dou\ el bienfaisant, la
noblesse des sentiments jointe à la bonté du
cœur; celte docilité d'un esprit ami du vrai,
avide de le connaître, flatté de l'entendre et
prompt à le saisir; ce goût décidé, cet amour
tendre pour la religion, qui seule peut for-
mer les grands princes ; ce respect pour !a
personne sacrée du roi, dans qui le devoir
el la nature vous montrent tout à la fois, et
l'aïeul le plus tendre et le monarque le plus
aimé; une éducation dirigée à la vertu par
des hommes qui en sont les modèles, et faci-
litée aux soins des maîtres par les qualités
lie leur auguste élève; tout en vous, Mon-
seigneur, annonce le bonheur de la France ;
nos neveux, qui vivront sous vos lois, en
verront un jour l'accomplissement, et il ne
faut pas moins, je le répète, que l'attrait d'un
présage si bien fondé, pour nous aider à sup-
porter la grandeur de nos perles.
Pontife du Dieu vivant (I), vous dont la
reine honorait les vertus, qui respectiez les
siennes, faites couler le sang de l'Agneau
sans tache, pour effacer toutes celles de cette
grande âme, s'il en restait encore; ne crai-
gnez pas de brûler sur son tombeau un en-
cens qu'un offrira peut-être un jour sur ses
autels Mais ne prévenons pas, Messieurs,
les jugements de la religion, respectons-les
comme elle, remplissons-en les devoirs, re-
présentons-en les vertus, el puissions-nous,
en marchant sur ses pas, de la terre où elle
régna sur nous, arriver au ciel, où nous
avons lieu d'espérer qu'elle règne avec Dieu !
Ainsi soil-il.
ORAISON FUNÈBRE
DE LOUIS XV, 1101 DE FRANCE ET DE
NAVARRE.
Domimis de.Iil illi gloriiim regni.
Le Seigneur lui donna la qloire de la souveraineté
(I Parai,, XXIX, 25).
Quelle est celle gloire que le Seigneur
donne, qu'il n'appartient qu'au Seigneur de
donner, que les méchants princes ignorent,
que les bons n'obtiennent pas toujours, qui
n'est le partage que des rois qui sont dignes
de l'être? Est-ce la gloire des combats? L'am-
bition la cherche, l'humanité la craint, elle
fait les conquérants, mais elle détruit les
hommes; elle est quelquefois de trop dans
les héros el ne suffit pas aux rois.... Est-ce
la gloire des conseils? La fausse sagesse et
la véritable prudence la regardent également
comme leur apanage : dédaignée par les
âmes fortes, ressource pour les -faibles, elle
lail les politiques ; seule, elle ne sulïil pfll
aux rois.... Lsl-ce la gloire des bienfaits?
Elle est le prix de la générosité, la bonté en
est le principe, la grandeur l'ennoblit : mé-
rite dans les hommes ordinaires, elle l'est
aussi dan- Ira monarques; seule elle fait les
bons princes; mais il faut avec elle d'autres
qualités pour laire les grands rois. Aucune
de ces qualité! ne renferme celle gloire an-
(i) L'archevêque de Paris.
noncée par mon texte; il en faut tout l'as-
semblage. Qu'il est rare, Messieurs, de le
trouver dans un seul 1 II faisait celle du mo-
narque que la mort nous a enlevé.
Sainte cl divine religion, il était né dans
votre sein, il est mort entre vos bras : exem-
ple, pendant sa vie, des qualités qui font les
grands rois et de celles qui font les bons
rois ; exemple, à la mort, du repentir qui
fait les hommes humbles et pénilents ; di-
gne, par la gloire de son règne, de l'admira-
tion et de l'amour de son peuple; digne, par
la sincérité et la publicité de ses sentiments,
de faire votre consolation et celle de vos mi-
nistres; tremblant à la vue des justices de
Dieu, rassuré par l'étendue de ses miséri-
cordes, implorant ses infinies bontés, vous
vîtes un grand roi devenir le plus soumis
des hommes : c'est cette grandeur d'une
âme pénitente et chrétienne qui mit le sceau
à celles des qualités augustes et royales
qu'on admira dans lui. A vos yeux, la fln de
son règne fut plus glorieuse que le cours ne
l'avait été aux yeux de ses peuples ; il n'a-
vait régné que sur les autres, alors il régna
sur lui-même; el c'est Dieu qui, par sa
grâce, ajouta à la gloire de cette éclatante
royauté qui l'avait rendu maître des autres,
la gloire de ceite royauté intérieure qui re-
connut Dieu pour maître: Dominus dédit
illi gloriam regni.
Hélas! Messieurs, sans ce fonds de conso-
lations saintes et solides, que nous resterait-
il de ce roi , si digne d'être aimé, si ce n'est
le regret accablant de ne pouvoir lui être
utile par nos prières? Ce monument qu'élè-
vent à sa mémoire un amour qui cherche à
se satisfaire , une douleur qui cherche à se
consoler, une reconnaissance qui cherche à
se produire ; celle pompe funèbre, ces lu-
mières lugubres, les mar.ji.es de son empire
qui ornent aujourd'hui celui de la mort, ne
sont que l'image du néant des grandeurs,
dans l'appareil delà grandeur elle-même.
Voilà donc iout ce qui nous reste, après
cinquante-neuf années d'un règne rempli de
gloire ! Je dis «le celle gloire qui est le pro-
pre des souverains, qui orne le règne des
souverains, qui éternise la mémoire des
souverains : gloire d'un règne illustré par
les succès qui font les grands rois, orne des
qualilés qui foui les boas rois, terminé dans
les sentiments qui font les rois pénitents el
chrétiens ; règne glorieux, vie bienfaisante,
mort chrétienne : Dominus dedil illi gloriam
regni.
Tel est l'ordre elle plan du discours que
je consacre à la mémoire de très -i.ai t,
TRÈS PUISSANT KT TRÈS-EXCELLENT PRINCE.)
Louis XV, roi DE Franck ET DE Navarre.
I'RKVlIKRIi l'AUI lie.
La guerre est un des fléaux doul le ciel
irriié afflige la terre : malheureuses 'es na-
tions don: les chefs enflammés du désir de
vaincre, el plus conquérants que souverain ,
immolent à l'amb, lieux espoir d'étendre
leur empire, le devoir bien plus glorieux de
1183
ORATEFRS SACRER. PONCF.T DE LA RIVIERE.
h ;
le gouverner. La gloire des rois que celle
ambition domine fait le malheur des royau-
mes : ils Sacrifient des sujels pour eu acqué-
rir d'autres; et diminuent sur la terre le
nombre des hommes, par la funeste envie
d'augmenter celui de leurs esclaves. Sembla-
bles à ces divinités terribles que la Fable
nous représente sans cesse, environnés de
tonnerres el de feu\ , ils sèment leur pas-
sage de débris et de ruines , et ne s'arrêtent
que quand leur foudre s'est éteinte dans les
ruisseaux de sang qu'ils ont répandus. Mais
ces dieux de terreur disparaissent comme les
hommes qu'ils ont détruits; leur nom re-
douté ne se présente au souvenir qu'avec
celui des ravages qu'ils ont faits ; loin d'ap-
plaudir à leur gloire, on gémit sur I injus-
tice de leurs entreprises, sur la violence de
leurs actions , sur le malheur de leurs vic-
toires ; leurs succès particuliers se comptent
parmi les calamités publiques : ils ont su
vaincre, ils n'ont pas su régner; et au lieu
de pleurer de ce qu'ils ne sont plus, on se
plaint au ciel de ce qu'ils ont été.
Eloignez-vous de nous, images effrayan-
tes, c'est celle du héros de la modération et
de l'humanité que je vais offrir aux regards;
les guerres qu'il soutint eurent pour objet,
non son inlérêt personnel, mais celui de son
peuple, de la France, de l'Europe entière ;
et si le tableau que je vais en tracer est
quelquefois détrempé du sang humain, versé
par une main qui en connaissait le prix et
qui en était avare, je ne crains pas qu'il de-
mande au ciel vengeance de celle qu'il exerça
malgré lui sur la terre. Vous y venez des
guerres décidées par des motifs légitimes,
accompagnées de succès glorieux, terminées
par de nobles sacrifices : guerres entrepri-
ses dans les vues de la paix ; succès subor-
donnés à l'espérance delà paix; sacrifices
faits pour le retour de la paix.
Sainte religion, de pareils triomphes peu-
vent se publier dans le sanctuaire, élevé au
milieu d'un peuple naissantde guerriers. Le
Dieu qu'on y adore n'est pas moins le Dieu
des combats que celui de la paix : Dominus,
Deus exerciluimi. Et c'est toujours le roi ami
de la paix, que je présenterai dans le roi cou-
ronné par la victoire.
Elevé à cinq ans sur le premier trône du
monde, Louis XV commença presque à ré-
gner en commençant à respirer : ses pre-
miers regards, implorés par une cour flo-
rissante el soumise, aperçurent en même
temps des hommes et des sujets, et l'essai de
la vie fut pour lui l'apprentissage de l'auto-
rité. L'usage qu'il en fil fut d'ouvrir à la
terre le règne de la paix avec le sien. Né
dans son sein, il la porta toujours elle-mê-
me dans son cœur, il la fil descendre dans
celui de ses sujets, et plus de vingt ans d'un
règne, peut-être le plus fécond en événe-
ments, ne purent ébranler le trône de la
paix. Louis y élait assis avec elle, elle mê-
me olivier entourait le même sceptre dans
leurs mains.
Vous le savez, Messieurs , la commotion
qu'une suite de guerres peu interrompues
avait communiquée à l'Europe sous le règne
précédent, n'avait fait que se ralentir sous
la force lu poissant génie qui tint les rênes
de l'empire pendant la minorité de Louis;
son âme ferme, el tranquille lit ti ire les ora-
ges; il écarta les tempêtas, mais elles n'é-
laienl pas dissipées ; l'esprit d'agitation du-
rai! encore : il plia enfin sous les rues sages
et modérées d'un homme suscité de Dieu
pour être le guide de son roi, l'ami de son
peuple, le soutien de l'Eglise et l'honneur de
l'Etat; d'un homme doux et vertueux , qui
pendant son ministère fut l'ange de la paix
pour l'Europe, et jusqu'à sa mort celui des
conseils de Louis.
Si le cours de cette paix délii ieuse fut in-
terrompu, nations alors ennemies de la
France, vous savez par quelles mains le
flambeau des guerres fut allumé et dans
quel sang il s'éteignit. Louis eut plus de
peine à les entreprendre qu'à les soutenir,
et j'ose dire que les suites n'en furenl si glo-
rieuses à ses armes que parce que l'entre-
prise avait été difficile pour son cœur.
Ne craignez pas, Messieurs, qu<î, remon-
tant à l'origine de ces guerres , je réveille
dans vos âmes d'anciennes inimitiés, que la
modération de la sienne où elles ne pénétrè-
rent jamais semble avoir anéanties pour tou-
jours, et que je trouble la paix qui a été le
l'ruil de son règne, comme elle en avait été
le présage : il me suffit de dire que s'il prit
les armes, ce fut toujours pour des intérêts
qui loi étaient étrangers, mais qui devaient
lui être chers ; qu'alors même il n'avait
en vue que la paix , et lui sacrifia les
siens.
Ici la Pologne l'implorait pour un roi que
le choix libre et glorieux d'un peuple dont il
avait fait le bonheur pendant un premier
règne rappelait à son trône pour jouir, sous
no règne nouveau, d'une nouvelle félicité;
pour un roi tombé du faite de la puissance
et de la gloire dans un abîme d'humilia-
tions et de calamités; moins grand encore,
lorsque, couronné par la victoire, il se voyait
dans Varsovie à la tète d'une noblesse et
d'une nation guerrières, que lorsque , envi-
ronné des débris de cette même gloire, il
élait seul à Weissembourg avec la religion ,
son courage et ses verlus; pour un roi son
beau-père, à qui nous devions une reine que
la France jugeait digne de son Irône, et la
religion de ses autels....
Là, Louis était réclamé par d'illustres al-
liés, dont les intérêts, plus chers à son cœur
que les siens, méritaient d'autant plus sa fi-
délité, qu'engagé dans des traités solennels
par la foi des serments, elle était une justice
de religion pour lui et une ressource de né-
cessité pour eux ; une guerre lui coûta sur-
tout à entreprendre el à soutenir. Princesse
auguste et magnanime, dont l'héroïque el
mâle fermeté fera vi\re le nom parmi ceux
des grands princes qui occupèrent le trône
que vous honores, il avait pour vous el vous
aviez pour lui celle estime de sentiments que
les grandes âmes s'accordent entre elles
comme un tribut qu'elles méritent l'une de
1185
ORAISON FUNEBRE DU ROI LOUIS XV.
11SG
l'autre, et aont le jugement des nations at-
teste la justice et la gloire : votre ennemi
malgré lui, comme vous étiez son ennemie
malgré vous, il n'aspirait qu'au moment où
la réunion de vos cœurs naîtrait de celle de
vos intérêts; vous savez avec quel zèle, par
quels efforts et dans quelle vue il les a sou-
tenus depuis. La France, éprise de l'admi-
ration due à vos qualités sublimes, était
pour vous, lors même que vous étiez armée
contre elle; et nous ne pouvons nous con-
soler de quelques années de division, qu'en
faveur de cette alliance si conforme à nos
vœux, qui vient de replacer le sang des Cé-
sars sur un trône dont, les deux derniers
siècles, il a fait la gloire par deux règnes qui
furent ceux des vertus; elles y montent en-
core avec les vôtres, dans une reine formée
par vous et d'après vous : vertus royales et
bienfaisantes; la majesté les ennoblit, la
grandeur les annonce, l'humanité les em-
ploie, la France les admire, la gloire les cou-
ronne et la religion les consacre.
Les autres guerres eurent des causes
étrangères à Louis, et qui ne lui devinrent
personnelles que parles victoires qu'il rem-
porta sur ceux qui les avaient fait naître, et
par les avantages qu'il leur sacriQa. Loin
de cette âme vraiment grande, tout motif
d'intérêt ou d'ambition : qu'avait à craindre,
ou que pouvait désirer le plus riche mo-
narque du plus puissant royaume , respecté
de ses voisins, chéri de ses sujets, et seul
maître de tant de vastes provinces?
Oui, peuples étrangers, peuples même nos
ennemis, s'il en est encore, c'est sur vos
frontières, c'est dans vos villes, c'est au mi-
lieu de vous que j'ose élever le tribunal où
la mémoire de ce grand roi doit être jugée :
que l'équité prononce. Une rivalité noble
n'est point injuste ; d'ailleurs il cessa d'être
soupçonné dès qu'il fut mieux connu, et sa
modération triompha de vos haines plus fa-
cilement encore que ses armes n'avaient
triomphé de vos forces.
Ses possessions troublées dans un autre
continent, ses colonies inquiétées, ses pa-
villons insultés sur des mers éloignées, les
vaisseaux delà nation interceptés dans leurs
courses, les siens attaqués sans déclaration
de guerre, des descentes tentées sur ses porls,
tout le portait à une vengeance que tout
semblait justifier : une lenteur magnanime
suspendait les effets de son courroux; on
traitait sa modération de faiblesse, sa pa-
tience était accusée de frayeur; enfin, les
alarmes de ses provinces, les cris de ses peu-
ples, ceux de l'Europe entière, suffirent à
peine pour le décider à entrer en action ;
alors même par combien de signes avant-
coureurs n'annonça-t-il pas que sa ven-
geance, trop longtemps suspendue, allait en-
fin éclater! Que de nuages précédèrent celui
d'où la loudre devait partir 1 11 a fallu, si
j'ose ainsi parler, le faire sortir de lui-même,
pour qu'il agit contre les autres; et c'est
l'obligation de se justifier qui le mit dans la
nécessité de vaincre.
ki, Messieurs, je sens tout à. la fois la ri-
chesse de mon sujet et la difficulté de mon
ministère : je voudrais ouvrir à vos regards
ces champs glorieux où Louis et la victoire,
marchant d'un pas égal, se couronnèrent si
souvent des mêmes lauriers ; mais, ministre
et organe d'un Evangile de paix, oserais-je,
par des récits et des bruits de combats, trou-
bler l'auguste silence du sanctuaire où elle
règne , y faire gémir d'autre victime que
celle qui s'y immole, et suspendre des ta-
bleaux teints du sang humain en présence
d'un autel où le sang de Jésus-Christ doit
couler seul?
Ne faisons qu'en présenter rapidement le
spectacle à votre vue; passons ces temps où
le génie et la fortune de la France, protégés
par le ciel, décidèrent les prémices de nos
victoires ; ne vous montrons point le soldat
français, après vingt ans de paix et d'inac-
tion, aux prises avec des armées aguerries
et nombreuses, passant le Rhin sous leurs
yeux, traversant en leur présence des marais
presque impraticables; le fort de Kell sans
défense, Philisbourg sans remparts, l'Alle-
magne ouverte à nos premières armes, sont
le prix de nos premiers efforts. Ne nous en-
gageons point dans les Alpes, où l'âme de
Louis et le courage de Villars, frayant une
route â la victoire, vont, avec elle, arborer
nos drapeaux sur les murs de Milan et sur
ceux des citadelles les mieux défendues ;
deux batailles gagnées dans le sein de l'Ita-
lie en ouvrent les principales villes au roi,
qui les rend à leurs maîtres, et qui, de tous
les droits que ses conquêtes lui donnent, no
se réserve que celui de rappeler la paix.
Le démon des combats force bientôt les
barrières qu'on lui oppose ; la guerre se ral-
lume : ce n'est plus la fortune de Louis que
j'ai à vous peindre, c'est lui-même sous les
armes et en action contre les forces réunies
des plus puissants Etats de l'Europe. Le
vainqueur d'Almanza et celui de Deuain ne
sont plus ; mais Louis existe ; l'amour qu'on
a pour lui prépare d'autres héros, et sou
exemple en formera. Le feu des haines al-
lumé dans le Nord se communique au Midi,
à l'Orient, au Couchant; il passe en Asie,
l'onde le porte en Amérique, il est tout à la
fois, il est tout entier dans presque tous les
climats. Si des tempêtes, des surprises, des
accidents imprévus troublent sur l'Océan la
marche de nos projets, la Méditerranée nous
venge ; la suite d'un même combat dissipe
une flotte nombreuse , nous rend maîtres
d'une île entière, et nous livre une citadelle
que l'art et la nature n'avaient laissée acces-
sible qu'à la valeur française.
Louis, attaqué de toutes parts, se présenta
partout à la fois : sur les Alpes, dans deux
héros de son sang; dans la Provence, que
ses armes garantissent; daus l'Alsace, qu'el-
les défendent ; dans la Bretagne, qu'elles dé-
livrent. La Flandre est le partage du roi,
Menin tombe à son arrivée, Yprcs s'ouvre à
sa vue. L'Alsace le rappelle, les fatigues l'é-
puisent, Met/ en pleurs voit ses jours eu
danger; la France consternée tremble pour
sou roi cl pour cllc-iuOine ; deux mois envi-'
HS7
ORATEURS SACRES. PONCF.T DE LA RIVIERE.
Itgfl
ron d'une maladie mortelle l'ont conduit au
bord du toinl»t'an ! sa course n'a éléque sus-
pendu* ; à peine rendu à la vie, il vole à la
victoire; Fribourg ne l'arrête que pour ho-
norer son triomphe, cl la chute de ses or-
gueil .eu\ remparts, qui avaient clé le déses-
poir de plus d'un fameux guerrier, n'est que
l'essai de ses force* renaissantes.
!'u Rhin il ne fait que se montrer à la
Seine ; l'Escaut le rappelle : une ville forcée,
une bat.ille gagnée, sont l'annonce de son
retour... Journée de Fontenoy, si souvent
célébrée parmi nous, vous le serez à jamais
dans la postérité : les forces de trois puis-
sants empires y étaient réunies contre un
seul ; combat mémorable, où il semble que
le ciel ait permis qui' deux peuples surtout,
rivau\ de tous les temps, fussent opposés,
pour décider en peu dr momciis le problème
de tant de siècles sur la supériorité que l'un
prétendait sur l'autre; nation respectable et
terrible, vantez-vous de n'avoir point vu de-
puis saint Louis de victoire remportée sur
vous par un roi de France commandant en
personne ses armées : si vos écrivains nous
citent les malheureuses journées de Crécy,
de Poitiers, d'Azincourt, les nôtres \ oppose-
ront celle de Fontenoy, où la présence et la
fermeté d'un monarque français décidèrent
dans un seul jour le sort d'une bataille, d'une
ville et de trois empires.
Suspendez votre admiration, Messieurs ;
je n'ai offert à vos yeux que le héros de la
victoire, j'ai à vous peindre le héros de l'hu-
manité. Vainqueur de tant d'ennemis, at-
tend-il qu'ils déposent humblement à ses
pieds les armes qu'ils ont inutilement em-
ployées contre ses droits? Non, Messieurs,
c'est du champ de bataille, c'est du milieu
des trophées érigés à sa gloire, c'est dans ce
p; emier moment où le triomphateur trans-
porté goûte la glorieuse satisfaction d'avoir
vaincu, que celle âme supérieure aux autres
dans l'action, Supérieure à elle-même dans
la victoire, élève, pour porter le calme dans
le cœur de ses ennemis, cette voix qui, en-
tendue dans le combat, y avait porté la ter-
reur, et les invite à se rendre faciles pour
une paix qu'il leur a rendue nécessaire.
Le droit des armes, qui est la loi des con-
quérants, permettait sans doute que, rete-
nant une partie de ses conquêtes, il punît,
par la perte de qui lqi.es villes, ceux qui
avaient attaqué les siennes : la politique,
qui est la loi des souverains, semblait exi-
ger que, affaiblissant ses ennemis par de
justes sacrilices, il les mit hors d'étal de
troubler li paix qu'il voulait rétablir; l'é-
«juité, qui est la loi des hommes, l'aulori-
sail à demander qu'on lui tint compte des
frais d'une guerre à laquelle on l'avait
forcé.
La terreur de ses armes semblait avoir
préparé les esprits à toutes les conditions ;
il propose, il offre... Ombre de ce grand roi,
n'en rougissez pas... Arbitre de leur sort, il
demande la paix, comme s'ils étaient eux-
mêmes les arbitres du sien : nul intérêt de
sa part; illustres alliés, il ne s'occupe que
des vôtres, ('ne telle modération devait in-
s inr la confiance, elle l'éloigné; on ne
peut se persuader qu'un vainqueur à qui la
guerre a été si glorieuse, loin d'exiger des
sacrilices, en Egaie lui meule pour obten r
une paix qu'il est seul en droit de prescrire
et de donner.
Ce genre d'héroïsme e>t trop nouveau pour
être aisément reconnu : Louis fail des of-
fres, on lui suppose des vues, et l'abandon
généreux qu'il (ail de ses conquêtes n'esta
leurs jeux qu'une voie déguisée pour les
étendre ; il ne sera cru dans ses procédés
que quand ses ennemis seront forcés dans
toutes leurs barrières. Le feu de- haines
rallume celui de la guerre; ;1 tonne à Ro-
coux, il éclate à Lawfell; des raiuei de
Tournay il passe à Garni ; Rruges en est cou-
vert, Oslende en est investi, Mons et Namur
en sont consumés. La paix, se présente en-
core partout avec le vainqueur; elle n'est
reconnue que sur les murs de Bruxelles;
elle n'est acceptée que sur les remparts de
Maestricht; des armée» nombreuses ne peu-
vent en empêcher la pri^c, el quatre-vingt
mille hommes accourus à leur défense ne
sont que témoins de leur chute.
O pa.x si chère à un roi qui aime ses su-
jets, si désirée d'un peuple à qui vous d< i ez
rendre son roi, faut-il que ce soit des cen-
dres de tant de villes que vous paraissiez sur
la terre I
C'est toujours Louis qui l'offre, et comme
il est toujours le même, les conditions ne
sont pas différentes : on est surpris, on ne
peut se persuader que tant de gloire ne pro-
duise que tant de modération. Partagés en-
tre l'admiration cl la crainte, entre l'espé-
rance et le soupçon, les ca urs, avant que de
se rendre, veuleat éprouver le sien ; ils le
prient de prescrire et de régler les conditions.
Louis va parler: peuples, écoutez cet oracle;
et vous , postérité, conservez-en le souve-
nir Rien de plus que ce que je pioposai il
y a quatre années < t avant mes victoires ; vous
l'auriez accepté, si vous m'aviez rendu plus
de justice. Ls droits de tues alliés reconnus,
la tranquillité de mon peuple rétablie, le re-
pos assuré dans l'Europe; tout pour eux,
rien pour moi. Quel héroïsme de sentiments I
Messieurs . l'exemple n'en avait point été
donné dans les siècles précédeuls, el il était
réservé au nôtre de pouvoir le transmettre
aux siècles à venir.
Tant de triomphes auraient satisfait l'am-
bition de plus d'un roi ; celle de Louis n'est
remplie que par la paix : les haines s'étei-
gnent, l'admirati in soumet ceux que la force
n'a pas domptes ; el 1 i p.iix. qu'il rend ainsi
le fait plus triompher de ses ennemis que les
victoires qu'il a remportées sur eux. On pou-
vait lui donner le surnom de Grand , nom
flatteur pour un genre d'ambition qui ne fui
jamais le sien ; l'amour de ses peuples lui en
donna un plus agréable à son cœur, plus di-
gne de ses vœux, et, Pose le dire, plus glo-
rieux pour un roi. L'a-l-il mérité en effet !
Vous en jugerez vous-mêmes, Messi. urs,
d'après lo tableau que je vais vous tiacer
1189 ORAISON FUNEBRE DU ROI LOUIS XV
des qualités de son cœur, dans la deuxième
partie de son éloge.
DEUXIÈME PARTIE
1190
Les qualités qui rendent les hommes par-
ticuliers recommnndables dans la société
sont également dignes des rois ; seules, elles
ne font pas que les rois soient dignes de
l'être: mérite dans les conditions ordinaires,
elles sont sur le trône une espèce do pro-
dige; mais elles ne font pas le mérite du
trône ; et le roi qui commande aux hommes,
s'il n'ét;iit homme que comme eux, ne serait
pas assez roi. H faut que ces qualités, enno-
blies parla souveraineté, lui communiquent
leur douceur et l'embellissent de son éclat ;
cet accord de la puissance qui est absolue et
des qualités qui la rendent facile fait que le
monarque, doublement souverain, joint aux
droilsde ia suprême autorilé, en vertu delà-
quelle il règne sur nos têtes, ce doux empire
du sentiment par lequel il régne encore plus
sur t;os cœurs.
Quel roi connut mieux et posséda plus cet
empire que celui qui est l'objet de la triste
cérémonie qui nous rassemble? Le lien le
plus doux unissait dans lui les qualités que
l'on aime dans la société à celles que l'on
révère sur le trône, et l'homme particulier
futaussi grand que le roi. Affable et humain,
bon et sensible, compatissant et bienfaisant,
il régna sur le cœur de sa famille et en fit
les délices, sur le cœur de ses peuples et en
obtint l'amour, sur le cœur de ses ennemis
et en désarma les haines, sur le cœur de la
noblesse et en assura l'honneur : gloire de
souveraineté qui n'est bien connue que par
les rois qui la méritent. Le Seigneur la lui
donna, et il en fut plus flatté que de celle
des succès et des victoires : Dominus dédit
illi gloriam retjni.
Palais superbe, séjour de la grandeur et
de Louis, ouvrez-vous dans ce jour à nos re-
gards, comme vous étiez ouvert dans tous
les temps à nos vœux. Quel spectacle plus
beau, plus touchant, que celui qui s'y pré-
sente, Messieurs: un prince, roi, père et
aïeul, au milieu de la plus auguste famille 1
Là un nombre de princesses et de princes ses
enfants, ses petits-enfants, dont l'âge dislin-
gue les places surchaquedegré du trône, mais
qui,égalomentchéris, ont dans le cœur pater-
nelle même rang marqué par le même amour.
Quel plaisir j'aurais à vous poindre celui
donl celte âme si noble était pénétrée, lors-
que, échappé aux honneurs tumultueux de
la royauté, il pouvait en exercer une plus
sensible et plus tendre au milieu de celte
cour si faite pour l'attirer et pour lui plaire,
où les hommages n'étaient qu'une expres-
sion des sentiments inspirés par l'amour,
présentés par le respect, reçus par la com-
plaisance! Quelle douce satisfaclion^orsquc,
se déchargeait du fardeau de la majesté dans
le sein de la tendresse filiale, il se procurait,
avec la liberté d'être à soi-même, la conso-
lation de se revoir dans ses augustes enfants 1
Ali 1 il ne faisait alors que rhang r d'empire,
et, descendu de son trône, il en retrouvait
un plus conforme à ses désirs, élevé au seiu
de la nature, soutenu par les mains du res-
pect , et orné des innocents tributs d'un
amonr filial. Avec quelle joie noble et pure,
présidant à leurs fêtes, cherchait-il à entre-
tenir cette union si précieuse dans les fa-
milles des particuliers, si respectable dans
les familles des rois ! union entre des cara-
ctères dont la conformité fait le mérite, dont
la différence produit l'agrément, qui se res-
semblent par l 'S vertus et ne sont distingués
enlre eux que par les nuances qui les distin-
guent entre elles. Quelle complaisance de sa
parti quels égards de la leur! son cœur se
prête à tous leurs amusements, le leur se li-
vre à toute sa tendresse.
• Du sein de cette auguste famille et des
degrés du trône, celle bonté se répandait sur
tous ceux donl il était environné. Grands du
monde, dieux de la terre, vous ne recevez les
vœux des mortels qu'à travers des nuages
d'encens : cet encens et ces vœux se perdent
dans les sanctuaires et au pied de l'autel où
on les porte; on vous craint, on vous flatte ;
vous commandez, et vous ne léguez pas.
Louis était trop grand pour chercher à le pa-
raître. 0 vous, à qui la naissance, les em-
plois, la confiance , donnaient des rapports
plus fréquents et plus prochains avec lui ,
c'est à vos cœurs que j'en appelle, à ces
cœurs fidèles et reconnaissants, sur les-
quels le sien régna toujours; fut-il jamais
un maîlre moins jaloux de commander,
et par là même plus digne d'être obéi?
Voit-on un homme particulier, revêtu do
quelque autorité qui soit d'un accès plus fa-
cile que le souverain du plus grand empire
l'était lui-même sur son trône? Dans le dé-
tail de la vie, laissa-t-il entre vous et lui
quelque intervalle qu'il ne remplît par des
bienfaits? C'est le seul droit qu'il se réser-
vait avec vous du pouvoir suprême; les ser-
vices de vos ancêtres et les vôtres lui étaient
connus et présents ; il vous les rappelait avec
ce plaisir d'estime et de sentiment qui leur
donnait du prix à vos jeux; rien n'était
perdu avec un prince à qui rien n'était in-
différent ; celle sensibilité à votre gloire vous
attachait encore plus à lasiennr ; et la recon-
naissance qu'il se plaisail à vous témoigner
lui assurait toute la vôtre.
De ces sentiments naissait le sentiment de
celte amitié donl il honorait ceux qui pou-
vaient eux-mêmes honorer sa confiance. O
amitié! ne vous plaignez plus que votre rè-
gne est borné à ces conditions obscures et
subalternes, où l'égalilé qui rapproche les
rangs réunit aussi les cœurs. Il en lut un qui
partagea l'empire avec vous, il vous plaça
sur le Irône où l'autorité règne; regaidée
comme un prodige dans les cours des prin-
ces, vous ne fûtes qu'un mérite et un orne-
ment de plus dans la sienne. Il apprit à l'u-
ni \ ers que l'amitié, qni esl la vertu des hom-
mes, peut aussi être celle d s rois, et qu'ils
sont capables d'en donner l'exemple quand
ils sont dignes d'en goûter les douceurs.
Si, prévenu ou surpris quelquefois, cl quel
roi. Messieurs, osl à l'abri de la prévention
1191
OltAThtltS SACKKS. IONCLT DE LA hlYILKh.
11W
ou de la surprise? il crul devoir aux druits
du sceptre d'en faire sentir le pouvoir el le
poids, ali ! ce n'est pas de son cœur que s'é-
leva le nuage qui gronda autour du trône et
en écarla ceux qu'il en avait lui-même ap-
prochés ; sévère malgré lui, il le fut toujours
avec des ménagements de bonté, et souvent
par le principe de la bonté même. L'homme
alors, si j'ose ainsi parler, l'homme était
forcé parle roi, et l'humanité gémissait dans
lui des coups dont l'autorité la frappait dans
les autres. S'il eut de la peine à rappeler au-
près de lui ceux qu'il avait eu de la peine à
en éloigner, c'était par la crainte de voir sur
leur front la trace des chagrins qu'il avait
pu leur causer; son cœur souffrait des maux
que le leur avait éprouvés, et le moment du
retour ne lui coûtait que par le souvenir de
celui de la disgrâce.
Faut-il s'étonner de cet intérêt si tendre et
si glorieux que son peuple prit dans tous les
temps aux succès de ses entreprises et à la
conservation de ses jours? Vous vous rappe-
lez la consternation que répandit dans tous
les étals cette maladie cruelle qui, l'arrêtant
dans le cours de ses victoires, lit craindre
pour celui de sa vie. La France, alarmée au
milieu de ses conquêtes, vit alors dans le
seul danger de son roi un malheur plus
grand que la perte de plusieurs batailles et
d'une partie de ses provinces : les places pu-
bliques, les maisons particulières, n'offraient
partout que l'effrayante image d'une cala-
mité générale; sa convalescence fut une re-
naissance pour l'Etat. C'est alors, c'est à ce
moment si louchant, si intéressant, que lui
fut donné ce surnom si digne de l'ambition
des rois, si agréable à la sienne.
Perdez-vous dans la profondeur et l'oubli
des siècles, noms fastueux dont la politique
romaine flattait la vanité de ses triompha-
teurs; noms plus barbares que les climats
dont la conquête les leur avait mérités, el
que les nations dont ils rappelaient l'escla-
vage et les malheurs. Le surnom de Bien-
Aimé est celui du sentiment ; c'est le cri gé-
néral d'un peuple dont la voix fut toujours
regardée comme celle de la vérité; nom trop
applaudi pour n'avoir pas été mérité, et
Louis, sans doute, était digne de l'obtenir,
puisqu'il le regarda comme le plus digne de
son cœur.
Et ne pensez pas. Messieurs, que ce fût le
transport d'une joie passagère, qu'un jour
voit naître elqui n'a que la durée d'un jour.
Cet amour, pendant son règne, s'est livré
à des efforts dont le souvenir, transmis à la
postérité, y portera la plus glorieuse idée
des sentiments du peuple français et des qua-
lités du monarque. Nous avons vu dans une
succession de guerres qui semblaient avoir
absorbé toutes nos ressources, les secours se
multiplier el renaître, si j'ose ainsi parler,
de l'épuisement de nos fonds; les forces de
l'empire sortir de la faiblesse même où il
semblait réduit; l'abondance reproduite au
sein de la disette; le peuple oublier ses be-
soins pour ceuv de son roi, cl le nécessaire
de la vie prodigué pour l'accroissement do
sa gloire. Il sera inscrit dans nos fastes, ce
prodige de zèle inconnu avant lui, même dans
la nalion que son amour pour ses rois eu
rend la plus capable. On vit les filles, les
provinces, les particuliers même, briguer à
l'envi les unsdes autres l'honneur de relever
la gloire d'une marine à qui d'autres besoins
de l'Etal avaient laissé perdre la supériorité
qu'elle avait eue, réparer la perte de quel-
ques vaisseaux par des fonds suffisants pour
des llo'.tes entières, el ce qui dans d'autres
empires, ce qui, même en France sous d'au-
tres règnes, ne se sérail obtenu qu'avec
peine, demandé comme un honneur, sollicité
comme une grâce, est offert au roi bien-aiii'é
comme le tribut de la reconnaissance pu-
blique.
Et comment n'aurail-il pas eu sur le cœur
de ses sujets un empire que la sensibilité de
son cœur compatissant lui donna sur celui
de ses ennemis ? Ouvrez-vous encore à nos
regards, plaines fameuses de Foiilenoy ! Ce
n'est pas pour considérer le héros couronné
sur le char de la victoire, c'est pour y con-
templer, au sein et dans l'exercice des venus
propres de l'humanité, l'homme plus grand
que le héros, que le vainqueur, que le roi.
Que des triomphateurs, encore tout l'uni mis
de carnage, considèrent un champ de ba-
taille comme le théâtre de leur gloire ; quVn-
virouné de trophées, ils goûtent, à l'ombre
de lauriers sanglants, le repos que leur va-
leur meurtrière enleva à la terre; qu'étour-
dis par les cris et les éloges dont tout retentit
autour d'eux, ils oublient que leur gloire
funeste est établie sur le malheur de leurs
semblables... J'ai à vous présenter un spec-
tacle plus conforme à vos sentiments, Mes-
sieurs, et plus digne de vos regards, celui
d'un vainqueur attendri et moins flatté de
l'éclat qu'affligé du prix de ses succès. Je le
vois avec cet auguste fils, si cher à la terre
où il n'a fait que passer, parcourant celle
plaine couverte du sang el des dépouilles de
plus de vingt mille guerriers; sa grande â:ne
est émue à l'aflligeanl aspect de tanl d'hom-
mes sacrifies aux intérêts d'un seul; loul
l'honneur de la victoire disparait à ses yeux,
il n'en voit que les effets et le malheur : Oh!
mon fils , dit- il en gémissant, vous voyez ce
que coûtent les querelles des rois ! Son cœur
soupire, ses yeux se baignent de larmes, et
cette voix qui. dans le fort du combat, don-
nait avec tant de fermeté les ordres de la
victoire, entrecoupée de sanglot», ne peut
se faire entendre que pour en déplorer le
malheur. Larmes glorieuses 1 grand roi. ne
vous les reprochez pas ; il est plus beau pour
vous d'avoir pleuré sur voire triomphe que
de l'avoir remporté ; ces larmes prouvent quo
vous êtes un des plus grands el le plus hu-
main des rois.
El ne croyez pas, Messieurs, que sa com-
passion se borne à pleurer sur des ennemis
qui ne sont plus, ses soins s'étendent à ceux
qui restent, et (!ûl-il ne sauver que des
ingrats, il craint moins de conserver des
rivaux que de laisser périr des hommes.
Auprès du champ de bataille, on voit dans
1193
OKAiSUN lUNEBlŒ DU KO! LOUIS XV,
1194
l'instant, par son ordre, sons ses yeux, à ses
frais, s'élever de vastes hôpitaux où ses pro-
fusions font entrer l'abondance, où par son
attention les secours se multiplient : offi-
ciers, soldats, sujets, étrangers, ceux qui ont
combattu sous ses drapeaux, ceux qui ont
porté les armes contre lui y sont également
admis, y sont également secourus; ses sol-
dats, ses ennemis, tous sont Français dans
ce moment aux yeux d'un vainqueur qui est
tout à la fois le père de ses sujets, le conser-
vateur de ses rivaux, et, au sein de la vic-
toire, le héros de l'humanité... Vous ne l'ou-
blierez pas, peuples ligués contre nous, ar-
més contre lui, ce double triomphe d'un roi
qui joignit à la gloire de vous vaincre celle
de vous conserver; vous résistâtes à ses ar-
mes, vous ne pûtes résistera ses bienfaits.
La paix est rétablie, revoyons Louis dans
ses Etats occupé du soin d'embellir la France.
Des chemins impraticables séparaient plu-
sieurs de nos villes, et dans leur proximité
même faisaient une sorte d'éloignement qui
les rendait inutiles et comme étrangères les
unes aux autres : des routes magnifiques
s'ouvrent de toutes parts sous ses ordres, les
provinces se rapprochent, le commerce les
unit, et les transports facilités les rendent
tributaires entre elles; les arts, accrédités
par sa protection, sont portés sous le règno
de la bienfaisance à ce point de perfection
qu'ils ne firent qu'entrevoir et espérer sous
un règne appelé ce ui des arts eux-mêmes et
de la grandeur. Sainte religion, vous n'êtes
point oubliée dans ses glorieuses entrepri-
ses: sa main, conduite par la piété, relève
cet auguste sanctuaire où la patronne de Pa-
ris recevait depuis tant de siècles, sur de
saints et respectai les débris, les vœux des
peuples et les homitt ges des rois. Combien
d'autres édifices également consacrés à la
religion se sont éle\és, s'achèvent sous nos
yeux avec un ordre et une magnificence di-
gnes de la grandeur du monarque et de la
sainteté du Dieu qu'on y adore?
La gloire de ces monuments lui fut com-
mune avec d'autres rois; il en est un dont
l'honneur lui appartient et n'appartient qu'à
lui, c'est celui même où je fais son éloge, et
qui fait celui de la grandeur de ses vues et
de celle de son cœur; c'est ceite école guer-
rière qui seule suffit pour exprimer la sensi-
bilité de sou caractère et éterniser la gloire
de son règne, cette école de la victoire où se
prennent des leçons de l'héroïsme sous des
chefs qui en ont eux-mêmes donné l'exem-
ple : quel ordre de toutes les vertus s'est
employé pour une seule entreprise! une re-
ligieuse bienfaisance ea inspira le projet. Le
cœur noble de Louis n'a pu voir les enfants
des défenseurs de l'Kl.t sans état eux-mêmes,
dans un empire que leurs pères ont servi
avec tant de bravoure; une jeune nobles>c
distinguée par son origine et par les espé-
rances qu'elle donne, rampante autour des
trophées de s s aïeux et accablée sous le
poids d'un nom qu'ell ! serait peut-étrje hors
d'état de soutenir. La grandeur i!e son âme
ne lui a pas permis de laisser celte portion
Okatki ks s icnés. X \ \.
la plus glorieuse de l'Etat s'avilir dans des
travaux obscurs ou dans un loisir funeste;
il a cru qu'il était de son équité de récom-
penser les services des pères dans les enfants,
et de l'intérêt public de former les enfants
eux-mêmes à des services pareils à ceux de
leurs pères : adoptés par son amour pater-
nel, ils sont devenus les enfants de l'Etat et
de leur roi, et ils en seront à leur tour les dé-
fenseurs et les soutiens.
La prudence lui a inspiré de ne point les
disperser dans les provinces; il en avait
connu le risque dans le sort et la chute de
ce corps de jeunes volontaires qui, tenant
le milieu entre l'officier et le soldat, ne pre-
naient, ni l'obéissance de l'un, ni la dignité
de l'autre ; l'utile sagesse de ses vues les a
réunis dans la capitale, sous les yeux du
prince, avec des règlements et sous une dis-
cipline propres à inspirer cet esprit de corps
qui entreprend tout quand il est commandé,
et celui de subordination qui ne fait rien de
lui-même ; sa religion l'a porté à en écarter
les vices par des instructions réglées et une
vigilance qui ne font pas moins d'honneur
aux maîtres qu'elles sont avantageuses aux
élèves, et qui, d'une école de la gloire mi-
litaire, en font aussi une des vertus civiles
et chrétiennes : il l'a placée auprès de cet
hôtel où la valeur, blessée et souffrante,
conserve encore, dans les débris de ses for-
ces, cette âme guerrière qui la rendit invin-
cible ; monument d'un roi qui eut le nom de
Grand à tant de titres, et le soutint avec tant
de gloire : il eut celle de conserver de vieux
guerriers, l'honneur d'en former d'autres
était réservé à Louis le Bien-Aimé. Là l'Etat
reconnaissant récompense d'anciens servi-
ces, ici il en prépare de nouveaux; là est
l'honneur de nos armes, ici en croît l'espé-
rance ; là finit, ici commence l'héroïsme:
Louis XIV mérita la reconnaissance de son
siècle, avec elle Louis XV intéresse cellu
des siècles à venir. Rois puissants et respec-
tés, on vous élève des monuments que les
temps détruisent, et dont la chute suit do
près la vôtre: Lcui's a imprimé au sien un
caractère de durée aussi certaine et aussi
constante que VetA la valeur dans la noblesse
française : les étrangers voient avec admi-
ration ce magnifique hôtel où se consument,
dans un repos mérité, des restes de héros
qu'ils n'ont plus à redouter; ils n'envisagent
qu'avec un respect mêlé de crainte une
école où, dans une jeunesse vive et subor-
donnée, se préparent leurs vainqueurs.
Finissons, Messieurs, et, après avoir fixé
votre admiration sur la gloire d'un règne
couronné par tant de succès éclatants, orné
de tant de qualités bienfaisantes, Dominas
dédit Mi glorinm regni; intéressons votre
piété sur la gloire de la religion elle-même,
dans les derniers moments de ce règne. Ho-
norez-moi encore de votre attention.
TROISIÈME paiitie.
Ce n'est plu* dans la marche éclatante do
ses succè-, au milieu d'une cour empressée
à lui plaire, sur un trône enrichi de tous les
38
1 1 .:.
ORATEURS SACRES. 1M.NCET DE LA RIVIERE,
tributs do la victoire ci de la paie, que Louis
\.i le présenter à vos regards, c'est dans lis
douleurs d'uni! maladie (ruelle, baigné des
pleurs d'une famille auguste et consternée,
sur un lit funèbre environné des ténèbres du
tombeau ; c'est à ce moment terrible où le
plus grand des monarques rentre, comme le
plus humble des sujets, dans le sein de la
terre sur laquelle il a régné ; c'est à celte
dernière heure qui fixe l'éternité des princes
ainsi que celle des peuples. Eternité ef-
frayante I les plus grands saints ont tremblé
à sa vue quel passage pour un roi l
O Dieu suprême, arbitre des empires et de
ceux qui les gouvernent, c'est par de grands
exemples que vous nous faites de grandes
leçons I vous frappez sur le trône où les
souverains dictent leurs lois, aussi bien que
sur les conditions médiocres ; et votre main,
appesantie sur les dieux du monde comme
sur ceux qui leur rendent dos respects, les
fait disparaître comme s'ils n'avaient jamais
été Qui sommes-nous pour interroger ici
votre providence? Cendre et poussière! ose-
rions-nous demander compte de ses justi-
ces à l'éternel et redoutable Maître qui juge
celles des rois ? Hélas l il ne nous reste plus
qu'à implorer votre bonté en faveur d'un
prince qui la représenta parmi nous. Ces
vœux que notre reconnaissance doit à sa
mémoire et que la religion réclame de no-
ire piété, il les avait prévenus par les siens,
Messieurs, et nous avons eu la consolation
de le voir, dans ces derniers moments, plus
occupé du soin de son salut que de celui de
sa guérison, ne se connaître d'autre mal que
celui d'avoir perdu la grâce de son Dieu, ne
chercher d'autre remède que celui qui pou-
vait le remettre en grâce avec son Dieu, ne
craindre d'autre danger que celui de mou-
rir sans la grâce de son Dieu. Soumis à son
souverain empire, il regarda son état, pre-
mièrement comme un ordre de la Providence
qu'il devait adorer, secondement comme un
gage de sa miséricorde, dont il devait se
hâter de profiter pour désarmer sa justice.
11 l'avait toujours reconnue, celte l'rovi-
dence adorable par qui les rois régnent, et
qui règne sur les rois : la gloire du trône,
les honneurs de l'empire, celle indépendance
d'une condition dont tout dépend dans les
autres, cette élévation d'un rang qui met les
souverains dans une espèce de milieu entre
Dieu elles hommes, ne lui firent jamais ou-
blier que, s'il était au-dessus d eux, il n'é-
tait pas moins soumis qu'eux à l'étemel
Monarque de l'univers ; qu'il ne devait re-
garder une supériorité qu'il avait reçue de
lui que comme un moyen d'ennoblir l'obéis-
sance due à ses volontés ; que les homma-
ges qu'on lui rendait sur la terre n'étaient
qu'un titre de plus que le ciel acquérait sur
les siens, et que le premier des rois n'était
devant Dieu que le premier des sujets.
Son cœur, fermé à tout ce qui pouvait af-
faiblir l'idée el le sentiment des droits de
Dieu sur lui, ne se prêta jamais à ces so-
pbismes capiieux et séduisants qu'emploie
pour son malheur el nour celui des autres
cet esprit d'incertitude réfléchie cl de sécu-
rité audacieuse qui oppose I la croyance des
ifèdes les opinions d'un jour, ril tans crain-
dre, s'éteint sans croire, soumet au ealeal
d. s hommes l'éternité de Dieu même, rida
ses lois sans remords, el va sans repentir
subir ses arrêts. Il savait qui; notre sainte
religion, établie sur la parole de Dieu, est
inébranlable cl sera éternelle comme lui;
que celte prétendue force d'esprit n'est dans
le fond qu'une faiblesse de génie; qo'aossl
opposée aux lois du prince qu'à celles de
Dieu, elle n'est pas moins l'ennemie du trône
que de l'autel ; el quelques nuages qui se
soient élevés sur ses mœurs, ils n'obscurci-
rent jamais le flambeau de sa loi. Far une
suite de ses sentiments, il envisagea sa ma-
ladie, non en philosophe dont les vues, ren-
fermées dans le cercle des événements, ne
s'élèvent pas jusqu'à leur auteur, mais en
prince éclairé, qui sait que rien n'arrive sans
l'ordre ou la permission du Seigneur. 11
plia sous le coup, reconnut la main, se sou-
mit et adora.
O vous, dont la délicate sensibilité rend
dans ces moments vos amis si timides et par
là si cruels; vous, autour de qui une famille
éplorée gémit presque également du danger
où vous êtes et de la dilficullé qu'elle trouve
à vous l'annoncer; vous qui, dans ces der-
niers instants, vous êtes vus peut-être envi-
ronnés de lâches et de perfides adulateurs,
plus occupés de leurs intérêts personnels el
plus jalons d'accréditer l'impiété dont ils
font profession, que de vous faire penser à
ce qui a rapport au salut de votre âme ; vous
enfin, que la maladie a mis dans un élat où,
devant tout craindre, on vous laissait tout
ignorer : venez à ce lit funeste où un grand
roi, un des meilleurs des rois, exemple des
infirmités qui sont attachées à notre nature,
l'est encore plus des devoirs que notre sainte
religion commande. A peine Louis fut-il sur
qu'il était attaqué d'une maladie dont son
âge semblaitdevoir éloigner le soupçon, mais
dont le péril était réel, qu'il s'humilia sous
la main de Dieu, dont il avait toujours re-
connu l'empire sur les rois; il ne lui de-
manda, ni de ménager sa faiblesse, ni d'a-
doucir ses douleurs, ni d'éloigner le danger
qui menaçait ses jours; il n'en reconnut
qu'un, celui de ne pouvoir désarmer sa jus-
tice.
Digne et vertueux dépositaire des secrets
de celte âme que nous recommandons au
Dieu qu'elle implora, avec quelle sainte el
tendre satisfaction vîles-vous ce monarque
vous demander de lui-même avec vivacité,
vous attendre avec impatience; et, réclamant
avec empressement le secours de votre mi-
nistère, repasser avec amertume sur toutes
les années de sa vie, s'anéantir sous le sen-
timent de ses péchés, se reprocher ses écarts
avec ce repentir qui en sollicite le pardon,
offrir au ciel ses souffrances, sa couronne
el sa vie, comme un léger sacrifice pour l'ex-
piation de tant de fautes dont il se recon-
naissait coupable : offrande entière, a qui la
nécessité n'enlevait rien du mente qu'elle
ii!)7
ORAISON FUNEBRE DU ROI LOUIS XV.
H 98
empruntait de sa sincérité ; offrande pré-
cieuse, dont le fruit salutaire est peut-être
la récompense et le prix de la soumission gé-
néreuseavec laquelle il avaitoffertà Dieu tant
d'autres sacrifices! En effet, quelle force de
résignation avait soutenu son cœur attendri,
à la vue de tant d'augustes victimes que le
glaive du Seigneur immola autour du trône
avant que d'arriver jusqu'à lui? Des princesses
quien étaient l'ornement, une reinequi y était
un exemple, un prince..., ah ! Messieurs, un
prince dont le nom, digne d'être invoqué sur
les autels, ne peut être prononcé en leur
présence, sans que la religion gémisse et
soupire avec nous. Joignons à tant de sacri-
fices douloureux à son cœur celui de cette
illustre princesse que l'esprit de pénitence
a ensevelie pour jamais toute vivante auprès
des tombeaux de ses glorieux ancêtres : vic-
time précieuse aux yeux du Seigneur! c'est
elle, n'en doutons pas, qui, dans les exerci-
ces de cette mort libre et volontaire par la-
quelle elle ne vit plus qu'en Jésus-Christ et
pour lui, a obtenu pour celle de ce père
tendre ces. grâces salutaires , dont l'usage
qu'il en a fait a été sa ressource et notre
consolation.
il eut des faiblesses, ce grand roi, et qui
d'entre les hommes n'en a pas? Elles ne sur-
prennent point dans les conditions ordinai-
res , doivent-elles élonner dans celle des
rois? Ah! qu'il est difficile, au centre des
illusions, de ne voir que la vérité, de la dis-
tinguer sous le brillant nuage de tant d'er-
reurs qui empruntent sa ressemblance, de
n'entendre que sa voix parmi tant de voix
étrangères qui l'étouffent ou la déguisent, de
conserver toujours la vertu au milieu do
tant de passions qui voltigent sans cesse
autour du trône et à l'ombre du sceptre des
roisl
Il eut des faiblesses, nous ne le dissimulons
pas : mais n'est-ce qu'à sa mémoire qu'il
faut les reprocher? Accusons-en de malheu-
reuses facilités, de cruelles complaisances,
le désir de plaire, peut-être celui de s'auto-
riser, peut-être l'abus de sa confiance, peut-
être... Ah! Messieurs, que de pièges tendus
au cœur d'un roi ! Puisse au moins succéder
dans ceux qui les ont fait naître, un repentir
aussi sincère que celui que nous avons vu
dans lui I
Il eut des faiblesses, mais il aima la reli-
gion, il l'écoula dans ses organes, il l'honora
dans ses ministres, il la respecta dans ses
temples, il la porta toujours dans son cœur :
on l'a vu dans tous les temps, pendant l'au-
guste sacrifice de nos autels, pénétré de cette
crainte religieuse qu'inspire la présence de
Dieu , l'inspirer lui-même parla sienne, la
commander par ses regards, la persuader par
snn exemple. On l'a vu, dans tous les temps,
à la suite du saint et adorable sacrement, ho-
norer, avec une piété capable de l'inspirer
aux autres, le triomphe du corps de Jésus-
Christ, suspendre sa marche au milieu de
Paris à la vue de la sainte eucharistie que
l'on portait à un malade, s'élancer et se pré-
cipiter, sans attendre le secours de personne,
se prosterner dans la boue et au milieu des
neiges, et rendre dans cet état son hommage
au Roi des rois. Spectacle attendrissant pour
un peuple entier qui fit retentir les airs de ce
cri si glorieux à la majesté suppliante et à
la religion honorée : Vive le roi très-chrétien.
Exemple frappant pour tant d'hommes dans
qui l'habitude qu'ils peuvent avoir de jouir
de la présence de Dieu affaiblit le sentiment
de dévotion. dont ils doivent être pénétrés, et
qui la respectent peut-être moins, par la
facilité qu'ils ont de lui offrir plus souvent
le tribut de leurs hommages.
Au souvenir de tant de preuves éclatantes
de ces principes de religion qui furent tou-
jours gravés dans son cœur, pontifes du Dieu
vivant, saints et illustres organes des ordres
du ciel auprès des rois, n'attendez pour les
lui annoncer, ni la faveur des dispositions,
ni celle du moment; espérez tout de ce cœur
chrétien qui cherche lui-même à se rendre
tous les instants salutaires ; il ne vous fau-
dra, ni emprunter, comme Nathan auprès de
David, l'emblème de la fiction et le secours
de la parabole, ni lui dire, comme un autre
prophète à un autre roi de Juda... Un plus
grand roi vous appelle, mettez à vos affaires
l'ordre qu'elles demandent : Dispone domui
tuœ. Louis n'a pas attendu qu'animé par la
voix de votre conscience, vous l'avertissiez
de rétablir l'ordre dans la sienne; il a été,
pour lui-même, le prophète, l'organe et l'in-
terprète de Dieu.
Le voilà donc à ce moment, le dernier de
la grandeur et de la vie! Sages du siècle,
qui raisonnez sur tout et ne vous réformez
sur rien, nous vous voyons à ce moment
terrible où la force vous abandonne, sans
que la foi vous revienne; nous vous voyons,
les uns dans des agitations effrayantes, les
autres dans une sécurité plus effrayante en-
core, séparés de l'enfer par un soupir que
vous n'avez pas le courage d'adresser au
ciel, braver la justice de Dieu par défiance
de sa miséricorde, quelquefois outrager l'une
et l'autre, tomber sous ses coups, ne pas re-
connaître sa main, et, après avoir vécu en
impies, mourir en désespérés.
Ah ! Messieurs, que le spectacle que j'ai
à vous offrir est différent! Pénétré de la
crainte des jugements de Dieu, après avoir
cherché à les prévenir par celui qu'il exerça
contre lui-même, avec quel empressement
Louis ne demanda-t-il pas à recevoir le pain
des forts pour aider sa faiblesse au moment
qui allait décider de son sort? Avec quelle
sainte et timide confiance le vit-on renou-
veler sur ses lèvres mourantes les actes d'une
foi qu'il assura lui-même n'avoir jamais
souffert la moindre altération dans sou cœur,
placer la croix de Jésus-Christ entre lui et
le tribunal du Juge suprême, le conjurer
avec larmes de laisser éteindre par le sang
du Dieu victime, qui descendait dans son sein,
les feux du Dieu vengeur dont il était me-
nacé? Par quelle force; de piété, se relevant
et ne pouvant se soutenir, entreprit-il, mal-
gré, les efforts des bras qui le retenaient,
d'arracher de dessus sa tête ce qu'il croyait
r. i:> URATEI RS SACRI S I ON El DE LA RIVII
faire obstacle à l'hommage extérieur de sun
1200
respect? Avec quel courage do componction
ci de repentir, ne pouvant élever une voii
«nie l'action intérieure des souffrances étouf-
fait au passage, emprunla-t-il celle du pon-
tife illustre qu'il honorait de sa confiance,
pour ren Ire, en présence du corps adorable
de Jésus-Cli « ist. à toute sa cour, et, p ir elle,
ci tous ses sujets, le témoignage <iue, d'un
inur contrit et humilié, à l'exemple du roi
Dqvid, il demandait pardon à Dieu, et qu'il ne
ilés rail de vivre que pour être le soutien de
In religion et faire le bonheur de son peuple?
Sentiments vraiment chrétien» et pater-
nels, qui ne se bornent pas à fixer son cœur
mourant à l'imporlante idée du salut, après
lequel il soupire, mais qui réunissent encore
ses tendres soins pour le royaume qu'il aban-
donne. Hélas! il jette sur lui un dernier regard
d'affection pour ses peuples, par là même
que c'est un i égard de vigilance sur le prince
qui doit en fane la félicité. Quelle attention,
quels ordres précis pour éloigner de lui ses
augustes petits-Cls , afin que l'Etat n'eût
point d'autre danger à craindre que le sien,
et qu'il pût se survivre dans eux !
Oh ! combien sa mémoire doit nous être
encore plus chère, par le sentiment et le
souvenir de celte précaution , qui vous a
conservé à nos vœux , monarque déjà si
aimé et si digne de l'èlre ! L'aurore de votre
règne semble assurer notre bonheur ; l'é-
quité, la religion, l'humanité, montent avec
vous sur le trône, et tout nous présage un
règne de sagesse, de justice et de bouté. Mais
vous, princesses augustes, votre tendresse
vous fixa dans !e danger, avant que les or-
dres d'un père pussent vous en écarter ; vos
jours , exposés pour la conservation des
siens, et échappés au risque qui causa une
seconde fois nos alarmes, nous deviennent
doublement précieux par les qualités qui les
ornent et par le motif qui les exposa : atta-
chées par le sentiment à ce lit de douleur,
vous gémissiez sur les risques du plus tendre
des pères, il s'attendrissait sur vos peines ;
vous versiez des larmes sur la violence de
ses maux, les siennes coulaient sur le sou-
venir de ses péchés ; vous cherchiez à calmer
ses souffrances : Elles .-ont vives, disait-il,
mais je souffre bien peu en comparaison de ce
que j'ai mérité.
An ! Messlem s, que ces sentiments étaient
digne* do <œur qui les formait, de la reli-
gion qui les inspirait, du Dieu auquel ils
étaient adressés! Hue ne promettaient pas
à la terre dis dispositions si propres à lui
rendre le ciel favorabl ■ '.' Certains de ces dis-
positions, et rassures par elles, nous os
vous dire , ô mon Dieu! avec la sage con-
fiance que vous lui inspirâtes : Souvenez-
vous, Seigneur, que si David pécheur mérita
votre courroux, tous permîtes à David pé-
nitent de l'apaiser : c'est à ce litre que nous
vous adressons nos vœux et nos prières.
Il a régné, il a vécu; puisse-l-ii régner
encore ! Sainte religion , c est tous qui tem-
pérez notre douleur par celle dooec et solide
espérance : vous nous enseignez que les
giâces du Seigneur ne sont bornées par au-
cun temps, et qu'il est toujours prêt à ou-
vrir son cœur paternel aux cœurs sincères
et pénitents : quel repentir parut plus grand
et plus sincère que celui de Louis !
Jeune noblesse' distinguée, si (hère à son
cœur, au milieu de ses bienfaits dont vous
êtes investie, élevez avec les ministres de
l'autel vos mains encore pures et vos voix
innocentes, pour demander l'entrée du ciel
en faveur d'un prince qui vous a fait un
sort si heureux sur la terre : nous prions
pour un roi, priez pour un père... demandez
au Maître suprême que la sagesse qui ouvre
le rèirne de notre nouveau monarque préside
toujours à ses conseils ; que l'auguste reine
qui partage son trône règne toujours sur son
cœur et sur les nôtres ; que de cette alliauce
si fortunée naissent des princes dignes du
sang des Bourbons et de celui des Césars ;
demandez que ce fonds de qualités nobles
et bienfaisantes qui firent la gloire du trône
dans le monarque que nous regrettons, et
qui en font aujourd'hui l'heureuse espé-
r.mce, s'y conserve dans eux, s'y transmette
par eux , en soit la richesse et l'héritage :
demandez enfin à Dieu qu'il entretienne tou-
jours entre ces augustes princes, leurs au-
gustes épouses et les autres princesses, cette
union si précieuse qui fait les délices des
familles, l'ornement de la cour, l'exemple
des villes, l'admiration de l'Europe, l'amour
delà France, le bonheur des sujets et la
gloire de la religion. Ainsi soil-il.
DISCOURS
POUR LA PRISE D'HABIT DE MADAME LOUISE-MAIUE DE FRANCE,
Prononcé le 10 septembre 1770, dans l'église des religieuses carmélites de Saint-Denis.
A Domino facluni est îslinl, et est mirabilo in cutis no-
i Y / ici un ouvrage de Dieu, et il est admirable ù nos
yeux {l'sd. UtVH,
Madame (1),
f)uel saint et auguste spectacle s'offre au-
jourd'hui à nos regards et à notre admira-
tion !... Us reviennent donc ces jours où. de
la cour des rois, les vertus passaient dans le
sanctuaire du Dieu vivant ; où d'illustres
victimes venaient courber sous le glaive sa-
cre des télés nées pour porter le diadème ;
où les BIIps des dieux de la terre briguaient
1201 DISCOURS POUR LA PRISE D'IIAMT
l'humble élat de servantes du Dieu du ciel ;
où d'augustes princesses apportaient au pied
de la croix de Jésus-Christ l'hommage des
grandeurs du monde et l'hommage plus pré-
cieux encore d'un cœur digne du trône où
eiles étaient nées, dignes de l'autel où elles
se consacraient.
Nous ne dirons plus que les temps qui
nous ont précédés ont été meilleurs que le
temps où nous sommes : Ne dicas quod
priora temporel meliora fuere quam nunc
sunt. Noire siècle \ oit un événement digne
des plus beaux siècles de l'Eglise : la fille du
plus grand des rois, préforant aux honneurs
de la cour les humiliations du cloître, au
pouvoir de donner des lois l'obligation d'en
suivre , aux douceurs de la vie la plus
agréable les austérités de la vie la plus pé-
nitente.... O mon Dieu ! qui d'entre nous ne
reconnaîtra pas que c'est ici votre ouvrage?
Une douce impression de piété nous atten-
drit dans les vocations ordinaires, celle-ci
nous imprime un clonnemenl de respect qui
rend plus sensible l'action de la Divinité.
Oui, ma chère sœur, et ces deux objets fe-
ront le plan de mon discours, Dieu vous a
cho'sie pour mettre dans vous une preuve
éclatante de la souveraineté de ses droits,
et un exemple louchant des richesses de sa
grâce.
Sainte et divine religion, c'est votre triom-
phe que j'ai à décrire, ce sont vos récom-
penses que je vais annoncer. Les rigueurs du
Calvaire, préférées à toutes les douceurs du
monde ; les richesses du Calvaire, préférables
à toutes les fortunes du monde : voilà ce que
je dois présenter dans une princesse qui s'é-
loigne du trône pour vivre avec Jésus-Christ,
aux yeux d'une princesse qui s'approche du
trône pour y affermir le règne de Jésus-
Christ, devant le digne ministre du saint pon-
tife qui gouverne l'empire de Jésus-Christ,
au milieu d'une assemblée respectable , qui
admirera l'effet de la grâce de Jésus-Christ :
A Domino factum est istud, et est mirabile in
oculis nostris.
Daignez, Seigiipur, daignez mettre sur mes
lèvres des paroles de force capables de pein-
dre la grandeur des droits que vous exercez,
et dans mon discours une douceur de persua-
sion propre à exprimer celle des consolations
que vous promettez.
Vierge sainte, c'est par vous que je le de-
mande, dans l'offrande que fait d'elle-même
une vierge issue comme vous du sang d'un
saint roi , présentée comme vous dans le
temple du Seigneur, disposée comme vous
à monter sur le Calvaire avec Jésus-Christ.
Ave, Maria, etc.
PREMIÈRE PARTIE.
J'entre d'abord en matière, et, considérant
Dieu dans une vocation dont il est l'objet, j'y
découvre trois caractères qui nous feront
connaître qu'elle est aussi son ouvrage : une
force de résolution qu'il a pu seul inspirer,
une grandeur de sacrifice qu'il a pu seul mé-
riter, une sainteté d'engagements qu'il peut
DR MADAME LOUISE 1)E FRANCE.
1*02
seul récompenser; force de résolution qui se
sépare de tout pour vivre avec Jésus-Christ,
grandeur de sacrifice qui se dépouille de tout
et ne cherche que Jésus-Christ, sainteté d'en-
gagement qui se dévoue à tout et ne veut s'u-
nir irrévocablement à Jésus-Christ que dans
un état pauvre, humilié, anéanti.
Gloire vous en soit rendue, ô mon Dieu !
car ce n'est point ici le mérite de cette âme
noble et vertueuse que je viens publier; elle
m'a fait connaître ses sentiments, je respecte-
rai son humilité ; et, si je suis obligé de pro-
duire dans le sanctuaire quelques-unes des
qualités qu'elle vient y ensevelir, c'est parce
qu'elles sont la plus noble partie de son of-
frande, c'est parce que l'hommage qu'elle
vous en fait me servira de preuve à la sou-
veraineté de vos droits, que je ne puis mieux
que par elles faire connaître au monde aveu-
gle qui les ignore, attester au monde incré-
dule qui les combat, affermir dans le monde
chrétien qui les révère, et reproduire, si j'ose
ainsi parler, dans le monde faible ou indiffé-
rent qui les néglige; c'est toujours vous que
je louerai, puisque ce sont les dons de votre
bonté qui forment le tribut que l'on paye à
vos droits.
Je dis, force de résolution, dont Dieu seul
est l'auteur : la vocation à l'état religieux
n'est point dans l'ordre des entreprises hu-
maines ; et comment la nature, si elle n'est
élevée au-dessus d'elle-même, nous porterait-
elle à un sacrifice qui entraîne celui des pen-
chants et de la liberté ? Il n'appartient qu'à
Dieu de nous rendre capables d'un effort qui
surpasse tous les nôtres : il faut que sa grâce
conduise à son autel les âmes généreuses qui
se consacrent à son empire ; mais son action
n'est jamais plus sensible que lorsqu'il sou-
met à ses droits des âmes distinguées qu'il
avait ornées des qualités propres à les repré-
senter : la grandeur du spectacle qu'elles
donnent augmente à nos j-eux la grandeur de
l'offrande qu'elles font; nous jugeons par la
difficulté des obstacles qu'elles ont eu à vain-
cre, de la force *du secours par lequel elles
en ont triomphé; et quand nous les voyons
descendre de la sublimité d'un rang qui fixe
nos regards et nos respects, percer, pour ve-
nir s'humilier et s'immoler au pied des au-
tels, ce brillant assemblage d'honneurs dont
elles sont environnées ; s'ouvrir une route
jusqu'à la croix de Jésus-Christ à travers
cette foule d'objets séduisants et tumultueux
qui semblent intercepter toutes les avenues
du Calvaire, nous nous écrions que le doigt
de Dieu est marqué dans une telle vocation :
Digilus Dei est hic, et qu'une résolution de
cette nature est un prodige du sa grâce. Quel
autre en effet a pu inspirer celle dont nous
sommes témoins? Quel aulre vous l'a inspi-
rée, ma chère sœur ? Je dois ici en retracer
le souvenir à votre reconnaissance.
Vous vous rappelez ce jour saint et heu-
reux qui a élé l'époque et comme l'aurore
du beau jour que nous voyons répandu sur
l'empire de Jésus-Christ : une illustre victi-
me (1) s'immolait au Seigneur; vous la vîtes,
il) Madame de Huriclmoivk, religii me carmélite au monastère de la rue Grenelle.
1203
OKATF.UIIS SACHES. PONCET »E LA MVIEIIE.
1i01
victorieuse des obstacles qu'un monde res-
pectable opposait à son dessein, s'élancer
vers l'autel préparé pour son sacrifice, rallu-
mer le feu que l'on lâchait d'éteindre, et rom-
pre elle-même tous les liens par lesquels on
•'efforçait de la retenir. Ce spectacle de reli-
gion, offert à vos regards, en décida le triom-
phe dans votre cœur; un trouble secret s'em-
para de votre âme, une tendre compassion
faisait verser des larmes, une sainte émula-
tion vous en fit répandre : tous plaignaient
son sort, vous désirâtes qu'il fût le vôtre,
vous ne sorlîlcs du sanctuaire que dans le
dessein d'y rentrer : Dieu vous prêta au
monde, mais vous étiez à lui ; de l'autel d'un
sacrifice étranger, il vous laissa retourner au
trône : il reprend aujourd'hui ses droits, et
c'est par un sacrifice personnel que du trône
il vous ramène à l'autel.
Ce rayon de lumière dont le feu du taber-
nacle éclaira vos regards vous découvrit l'il-
lusion et la vanité de ce qu'on appelle gran-
deur; vous reconnûtes qu'il n'est de vérita-
blement grand dans l'univers que le Dieu qui
l'a formé ; vous prîtes dès lors la généreuse
résolution d'être tout entière à lui : et coin-
bien n'ont pas coûté à vo'.re cœur les délais
forcés qui ont suspendu l'exécution de ce des-
sein ! Mais pour l'exécuter il fallait le secours
de celui par qui il avait été inspiré ; il n'ap-
partenait qu'à lui de vous donner un courage
supérieur à la nature des difficultés qui s'y
opposaient ; il fallait que sa grâce, nourris-
sant, pour ainsi parler, votre résolution, la
rendît p'ius ferme en la rendant plus réflé-
chie : c'est lui qui devait vous conduire à sa
croix, et lui seul pouvait remplir la distance
qui sépare le trône et le Calvaire. Le temps
qu'il avait prescrit est arrivé, sa voix s'est
fait entendre, tout doit obéir aux dépens de
tout lorsque Dieu parle : il a parlé, et l'obéis-
sance la plus prompte a produit la séparation
la plus entière.
Séparation honorable à la religion, qui
rend, si j'ose ainsi m'exprimer, le trône tri-
butaire de la croix, qui rassemble dans cet
asile plus de huit siècles de souveraineté et
de gloire, y ensevelit ce que la naissance la
plus auguste peut donner de droits et d'espé-
rance, y soumet avec tous ses titres une gran-
deur qui n'est inférieure qu'à celle de Dieu,
à qui elle est sacrifiée : et combien d'autres
richesses encore plus précieuses, Messieurs,
je vous ferais apercevoir dans le san-
ctuaire où nous sommes, s'il m'était per-
mis d'ouvrir à vos yeux celui d'une âme no-
ble comme le sang dont elle sort, plus élevée
que le trône doni elle descend, supérieure à
tout ce qu'elle abandonne ?
Vainc et orgueilleuse sagesse d'un siècle
plus critique que philosophe, partisan outré
des droits de la raison, enuemie déclarée de
ceux de la foi, vous qui, opposée à la reli-
gion par un système d'indépendance qu'elle
réprouve, osez quelquefois attribuer aux
sentiments qu'elle inspire une faiblesse que
nous n'apercevons que dans vous, contem-
plez dans ce sanctuaire le trophée qui est
élevé à sa gloire, cl confondez-vous à la vue
d'un héroïsme que votre prétendue fermeté
ne saurait atteindre : revoquerez-vous < ■
doute la force d'une résolution que Dieu muI
a pu inspirer? (Juand mille traits frappant!
ne nous y découvriraient pas l'action de la
Divinité, il en est un qui nous la frail recon-
naître : c'est que le temps où vous décrétiez
le plus l'état religieux est celui où elle l'ho-
nore par une conquête que vos calomnies
seront forcée-, de respecter. Le monde le plus
fort ne peut l'arrêter, le plus brillant ne peut
l'éblouir, le plus séduisant ne peut la rete-
nir; non-seulement elle se relire des hon-
neurs de la cour et s'éloigne du plus grand
des rois, mais elle s'arrache, avec un cou-
rage égal à sa sensibililé, des bras du père le
plus tendre qui fut jamais, et dans qui la re-
ligion seule a pu décider un pareil sacrifice,
parce que la religion seule peut le ré ompen-
ser; elle s'arrache du scinde la plus auguste
famille, dont elle cause aujourd'hui les plus
justes regrets comme elle faisait ses plus
chères délices ; elle prévient pour sa retraite
le temps des fêtes préparées pour une prin-
cesse qui, ornée des grâces et des vertus
qu'elle a puisées dans le sang, à l'école et
parmi les eiemples d'une héroïne chrétienne,
que le ciel lui a donnée pour mère, eût re-
gardé comme une partie de son bonheur, en
changeanlde patrie, celui de contribuer avec
elle à faire des heureux, «t pour qui le sa-
crifice dont elle est témoin en est un véri-
table et sensible.
Vous persuaderez-vous qu'elle ne connaît
pas assez le monde, ellequi, née sur le trône,
environnée de tous les apanages de sa nais-
sance, faite peur en goûter le bonheur, ne
sent que celui de s'eu séparer, et ne com-
mence à se croire véritablement heureuse
qu'au moment où vous croyez qu'elle cesse
de l'être ? ajouterez-vous que l'étal où elle
enlre ne lui est pas assez connu? Mais, dus-
sé-je alarmer sa modestie, je dois dire, pour
la gloire du Dieu, que depuis l'instant où il
lui a inspiré la résolution qu'elle exécute,
elle s'est essayée à la pratique de la règle
qu'elle embrasse ; que chaque jour a été, si
j'ose ainsi m'exprimer, l'apprentissage de
ceux qu'elle doit passeravec Jesus-Christ, et
qu'elle change d'état sans avoir pour ainsi
dire à changer de vie. Oserez-vous jeter sur
des vues si épurées de religion des soupçons
de politique ou d'intérêt? Lh! que trouva-t-
elle dans le cloître qui puisse être compare à
ce qu'elle quitte dans le monde? Choisirait-
elle par préférence un ordre où les devoirs
seuls marquent les rangs, et qui n'admet de
supériorité que celle d'une vertu préposée
pour conduire d'autres vertus?
Ah ! c'esl Jésus-Christ qu'elle cherche, elle
ne cherche que Jésus-Christ, cl pour le possé-
der uniquement elle choisit un étal où elle ne
peut trouver de repose! de bonheur que dans
lui. Partisans du monde, appelez esclavage
celle nécessite d'être à Dieu; l'âme vraiment
religieuse compte parmi les grâces qu'elle en
a reçues le besoin même qu'elle a de son
secours; et, loin qu'elle s'afflige de l'obliga-
tion qu'elle a contractée d'être fidèle à BOB
DISCOURS POUR LÀ PUISE D'HABIT DE MADAME LOUISE DE FRANCE.
Dieu, elle le remercie de ce qu'il ne permet
pas qu'elle lui soit infldèle sans cesser d'être
heureuse.
L'éclat de votre démarche, ma chère sœur,
attire sur vous les regards des hommes ; mais
c'est la consécration que vous faites de vous-
même qui doit attirer ceux du Seigneur. Les
richesses que vous portez dans le sanctuaire
l'ornent et l'embellissent, mais l'offrande est
étrangère, et pour mériter Jésus-Christ il
faut une offrande personnelle. De quelque
état que sorte la victime qui se présente à
son autel, riche et environnée de l'éclat des
honneurs, pauvre et obscurcie par les om-
bres de l'humiliation, née sous le chaume
ou dans les palais, couronnée des fleurs de
la prospérité ou des épines de la disgrâce,
couverte du brillant appareil de la royauté
ou des effrayants débris de l'indigence, éga-
lement offerte à ses droits, elle est d'une va-
leur égale à ses yeux.
Ce sont nos cœurs qu'il demande; et,
comme ils sont le seul bien dont la possession
lui soit agréable, il veut être aussi le seul
maître dont l'empire leur soit cher, dont
l'empire soit absolu sur eux.
Vous n'avez pu, ma chère sœur, vous pro-
poser que lui; seul il méritait de votre re-
connaissance l'hommage que vous rendez à
ses droits : ne chercher que lui est votre
gloire, n'être qu'à lui est désormais votre
devoir, mériter qu'il soit à vous sera votre
bonheur. Comme vous ne cherchez que Jésus-
Christ, il exige que vous le fassiez régner
seul sur votre cœur, il le veut tout entier;
le partager, ce serait diviser son empire, et
vous retrancheriez de ses droits tous ceux
que vous retiendriez sur vous-même : la dé-
marche que vous faites ne vous place pas
encore sur la hauteur du Calvaire, mais elle
vous y conduit; vous n'y arriverez que par
les différentes épreuves qu'ont surmontées
les âmes généreuses auxquelles vous vous
associez; le temps viendra où, attachée
comme elles à la croix de ce Dieu sauveur,
vous pourrez vous féliciter d'être insépara-
blement unie à lui. Jusque-là vous serez à
ses pieds, vous recueillerez les épines qui
tomberont de sa tête, pour en faire un jour
votre couronne; vos regards fixés sur lui,
n'auront en point de vue que le tableau d'un
Dieu mourant; et ce spectacle, toujours pré-
sent, sera pour vous une leçon de vous im-
moler sans cesse pourlui; tous vosdésirs, ren-
fermés dans l'enceinte du lieu de son sacri-
fice,ne se porteront sur aucun objet étranger,
et celui-ci satisfera tous vos désirs, jusqu'à
ce qu'un serment irrévocable les remplisse
entièrement par un sacrifice pareil au sien.
Vous pouviez, ma cbère sœur, vous sanctifier dans le
grand monde, et peut-être le sanctifier lui-même |>ar vos
exemples; vous n'avez pas cru que Dieu fût assez glorifié
dans vous, si l'envie d'être a lui seul pouvait être distraite
dans unis par la nécessité de vous prêter à d'autres lois
que les siennes; vous faiies tout pour le trouver, et la
persévérance ronronnera vos efforts : toujours soutenue
et uniquement déterminée pur l'amour et la reconnais-
sance, rien ne refroidira votre ardeur. Jamais, non jamais
ce monde profane, qui voit avec un dépitsecrel l'offrande
que vous placez sur l'autel, ne vous verra chercher à en
affaiblir le mérite ou la reprendre , et ce qui fait aujour-
d'hui l'objet de ses regrets et peut-être celui de son dc-
120fi
sespoir fera dans tous les moments le triompbe de la re-
ligion.
Riches du siècle, grands de la terre, guidés par le désir
ambitieux de parvenir aux dignités ou de les accroître,
un seul objet vous occupe, le monde et voire état dans le
monde : ici, ma chère sœur, un seul objet doit remplir
votre esprit; c'est la solitude, et Jésus-Christ dans la soli-
tude; vous vivrez avec lui, vous ne vivrez que pour lui.
Car vous voilà dans cet état de dégagement et de sépa-
ration où vous pouvez dire : 0 mon Dieu, vous êtes le seul
pour qui je me dépouille de tous mes biens; mais j'acquiers
infiniment plus que je ne sacrifie; vous me permettez
d'être à vous, vous daignez être a moi : Deus meus ei om-
nia. Jusqu'ici je pouvais dire : Vous êtes mon Dieu, mais
vous l'étiez également de tous les autres; vous ne cessez
pas d'être leur Dieu, mais vous devenez spécialement le
mien. Ah! quand viendra l'heureux moment où, dégagée
de la vue même du monde, je serai à vous constamment
et sans retour, comme aujourd'hui je veux y être unique-
ment et sans partage! La terre m'offrait de grands avan-
tages, il en est un bien plus intéressant pour mon co-ur,
celui d'y voir votre règne établi. Qu'est-ce que la terre
pour moi? Que serait même le ciel sans vous : Quid milii
est in cœlo, et a le quid volui super terram ?
Et dans quel état, Messieurs, par quels engagements,
cette âme vraiment héroïque cherche-t-elle Jésus-Christ?
Dans l'état le plus effrayant pour la nature, par les enga-
gements les plus sévères de la religion. En peignant la
gloire de votre sacrifice, j'ai craint, ma chère sœur, d'of-
fenser votre humilité ; je ne crains pas d'alarmer votre
cœur en vous traçant l'image de vos devoirs. Tout ce qui
accompagne voire entrée dans le sanctuaire est le tableau
symbolique des obligations que vous y contractez. La perte
que le monde fait dans vous vaut une conquête bien pré-
cieuse à la religion ; mais, Messieu s, la religion annonce
ses triomphes bien différemment du monde. Là, l'éclat
des fêtes, le tumulte des assemblées, la richesse des pa-
rures, les profusions du luxe, tout ce qui est du ressort de
la grandeur est employé pour la représenter. Ici, une cé-
rémonie sainte, un dépouillement total qui ne laisse d'or-
nement que sur l'autel, un habit simple substituée celle
parure que l'on ne conserve quelques moments que pour
rendre plus éclatant le renoncement au monde et le forcer
lui-même en quelque sorte à embellir sa défaite; des
fleurs répandues de toule part, mais pour couronner la
victime, et sous lesquelles est déjà caché le glaive sacré
qui doit un jour l'immoler; un renoncement à toutes les
pompes du monde, qui lui apprend à renoncer à tous les
droits qu'elle a encore sur elle-même, et à ne suivre que
Jésus-Christ.
Et dans quel état le cherche-t-elle? C'est ici, sagesse
mondaine, que vous êtes confondue : un Dieu pauvre, hu-
milié, rassasié d'opprobres et de. soullrances : voilà l'état
où elle le. choisit; le Dieu du Calvaire est le Dieu de son
cœur; elle s'immole tout entière au Dieu immolé pour
elle. Honneurs de la terre, grandeurs du monde, sublimité
du rang, hommages des peuples, fêles de la cour, délices
de la vie, elle commence dès ce moment avec vous un
divorce qu'un autre moment rendra aussi éternel que le
Dieu qu'elle vous préfère.
Et combien d'autres engagements, ma chère sœur, n'en-
traîne pas celui-ci? N'avoir point de volonté qui vous soit
propre, point de désirs étrangers à la règle, une vie sainte
comme l'autel où vous vous présentez; des sacrifices plus
répétés que celui du sanctuaire où vous entrez, un étal de
mort pareil à celui de Jésus-Christ dans le tabernacle,
qui ne vous laisse qu'une vie de prières et de soupirs ; plus
de penchant que pour les exercices de la religion, plus de
sentiment que pour le devoir, plus de goût que pour la
retraite; une vie pénitente et mortifiée, une règle austère
et absolue, une guerre continuelle déclarée à vos sens,
des souffrances et le désir de souffrir davantage; la nature
attaquée dans sesinclinations, domptée dans ses révoltes,
immolée avec ses répugnances.... Jugez vous-mêmes,
Messieurs, du pouvoir de la grâce sur une âme qui, étant
libre, maîtresse de ses volontés, née pour commandera
celle des autres, se réduit à un état de dépendance et de
soumission entière, à un état de sacrifices aussi multipliés
que les jours de sa vie, a une vie qui ne sera pour elle
qu'un continuel apprentissage de la mort.
Triste et affreux désert qui fûtes sanctifié parle séjour
et consacré par le jeûne de Jésus-Christ, ouvrez-vous aux
yeux d'une héroïne chrétienne qui vous choisit pour sa
demeure et vient ici retracer par sa pénitence celle du
divin modèle qu'elle s'est proposé; coteaux de Gelhsé-
mani, jardin des Oliviers, premier tribunal ou s'olliil à la
Justice de son l'ère ce Dieu réconciiiateur et rédempteur
deshommes; autel funèbre et sanglant où cette victime
des péchés du monde souscrivit à son sacrifice ■ croix ado
1-207
OHM II US SACIIKS. PONUET DK LA RIVIERE.
\J< I
rible, vous lerei désormais li règle de
rause qui vloot dans ce jour commencer le sacritice
qu'i Ile prépare :i vos droits.
Tour elle, plus d'héritage que les souffrances, plus do
in'iue que la croix, plui de coarooae que les épines, i<tui
dp séjour « 1 1 ■ ■ h' Calva re, plus de modèle qu'un Dieu mou-
rant, du Ile compagnie qu'un Dieu enseveli, nu) espoir qu'un
Dii il ressuscité.
Voua frémissez, M ssienrs, à la vue île ce tableau I.-,
regrets répandent la tristesse sur vos visages Quelle
mie règne sur le sien ! quel autre que Dieu i>eui ins-
pirer un pareil héroïsme! quel autre peut eu èire la ré-
compense! Lui seul, sans doute, el il la sera : I tj'jmerces
tua magna nfmti Bu vous api elaot > Pélal religieux, mal-
gré laot d'obstacles, par de si grands sacrlflces, par de m
sévères engagements, Dieu a mis dans nous, ma chère
sirur, une preuve éclatante de la souveraineté de ses
droits, il y mettra nn exemple louchant des trésors de sa
grâce : vous préférerez anx douceurs du monde les ri-
gueurs du Calvaire, vous y trouvère/, dei richesses pré-
férables à toutes les fortunes du monde : nouveau témoi-
gnage d'une vocation marquée au sceau de la Divinité :
A Domino fuclum eu is'ud cl est miiubile in oculk noslris.
Honorez-moi encore de quelques moments d'attention.
SECOND! l'AHTIE.
Dieu est aussi magnifique dans ses dons qu'il est puis-
sant dans ses ouvres et absolu dans ses droits : que ne
doit pas attendre une âme noble et généreuse qoi préfère
la gloire de le servir à celle de commander, et offre à son
souverain empire tout ce (pic le premier royaume du mon-
de lui offrait à elle-même d'honneurs, de privilèges et de
grandeurs? Oui, ma chère sieur, si l'étal où vous entrez a
des rigueurs effrayantes pour la nature, il a aussi des avan-
tages bien précieux dans l'ordre de. la religion : ce sont
ces avantages que j'appelle les richesses du Calvaire, in-
connues au monde, mais, pour les coeurs qnl savent les
estimer, préférables à loincs les fortunes de la terre :
richesses réelles, dont la valeur est la récompen-e des
efforts de ceux qui les cherchent, dont l'usage assure le
bonheur de ceux qui les conservent.
Richesses réelles : quelle différence, Messieurs, entr «.
elles et les tiens qui fout l'objet de vos poursuites? Ne
craignez pas qu'entrant ici dans un de c. s parallèles sui-
vis, qui ont si souvent décidé le. problème en faveur de
l'état religieux, j'enrichisse le lablcau de ses avantages
de tout ce qui manque aux vôtres. Ouand il n'aurait que
celui d'ouvrir dans son sein un asile impénétrable a la
contagion des vices, à l'illusion des erreurs, à ce déluge
de maux et de malheurs, aussi multipliés dans le monde
que les biens (|u'il promet, aussi constants que les désor-
dres qu'il entretient, aussi étendus que la tyrannie qu'il
exerce : je vous le demande, ce problème ne serait-il
pas assez dégagé de ses ténèbres par le feu de tant de
passions a'Iumées les unes contre les autres? Faut-il en-
coieque, portant le flambeau du sanctuaire dans les om-
bres que la séduction répand autour de vous, je vous fasse
voir la vanité de vos projets dans l'inutilité de vos démar-
ches, la fausseté des biens qui vou- flattent dans la réalité
des maux qni vous affligent, t- ut ce que vous laites par
l'espoir d'une indépendance qui vous échappe, terminé
par un esclavage auquel vous ne pouvez vous-mêmes
échapper; le poi«!s de vos fers augmenté par l'éclat dont
vous les paie/ ; quelquefois une partie de votre vie em-
ployée à établir votre fortune, et l'autre à en pleurer la
décadence ?
Quels moti's de reconnaissance n'ajoute rais-je pas à
ceux que la sagesse fournil a celte vier_e généreuse pour
se consacrer à Dieu, si, a la place du spectacle dont elle
vous rend tenions, substituant ceux dont vous èles si sou-
vent les déplorables objets, j'intéressais sur votre sort une
compassion dont elle vous dispense pour le sien? Vous
sente/ l'avantage que me donnerait ici contre vous une
comparaison que vous rendez si féconde. Je veux bien
vous épargner le Spectacle de vous-mêmes; c'est la reli-
gion que j'ai à \o ia peindre Vous demande/ quelle eM
donc la nature de ces biens.
C'est ce trésor | récii uz de I Evangile qu'il est difficile
de trouver, qu'il est nécessaire île cacher, qui, acheté au
prix de tout ce que l'on possède, n'esl pas encore pave de
celui qu'on y trouve : Queux qui iwfiil ftflRIO, ttbtcondit,
et vendit wnverta quœ nabel et nml. i v-t c e christianisme
épuré que l'esprit du monde oblige à se réfugier dans les
asiles delà religion, et qui s'y conserve avec l'esprit du
.lésus ('.h: [si : C'est, pour ces eues innocentes et | enilen-
les, l'honneur qu'elles on d'être les chastes épouse
Dieu de sniuleté, de velllw avei les .nues autour de sou
tabernacle, de l'honorer pai la I rveur de leur* prièrus
el encore plus par la punie de leurs mœurs: d'être s tus
t de sacrifiée ao * «qne
jour consacré par le sien; c'est le glorieu «. nions
iontebargées sur la terre, de jetet uds
de l'Agneau ^u< ia< be,eomm > elles le iero..t un jour dans
le ciel; d'entretenir le leu do sacrifl « dans son sanctuaire
i ,i or d m le u i jt «le di-
gnlté ou sont .ni\ veux de JésuS-Cbrifl «es sjintes com-
l agn louleurs, élevées jusqu'à lui pai -
tunes a lui par son amour, perdues el «comme absorl ■
dans lui par l'entier détachement de tout ce qui n'est
pas lui.
Hommes profanes, les richesses du Calvaire -ont I
rites infinis du s«og de Jésus-Christ, devenus leurbériUM
par l«- généreux mépi is qu'elles ont h t «les vôtres. Je sais
«pie le prix de ce sang adorable n'est
le m ml'', i au un de ceux qui le réclament avec foi ; mais
s'y occupe-t-on seulement du soin de le recueillir? m. is
• sur des lèvres abreuvées de la coupe de liabvloue
que le sang du Calvaire peut coi iretél 'Jue
d'épines étrangères à celles de la neot lesfraMa
de vie qu'il leurrait iroduire! Les habitantes du «Calvaire
veillent à sa «source ; ces âmes privilégiées demeurent au-
tour de la croix, et ne sortent jamais de sou enceinte,
puisent sans cesse dans cette source adorable ; chaque
goutte pénètre des cœurs préparés a le recevoir el y fait
éclorede nouveaux trésors.
Les richesses du Calvaire sont des souffrances envisa-
gées avec joie, remues avec reconnaissance, soutenues
avec courage, surmontées par la fidélité, consacrées par
leur unioa avec celles de Jésus-Chrisi, attendues comme
un bien, sollicitées comme une grâce, et adoucies par le
désir même de souffrir davantage.
Les richesses du Calvaire sont les croix elles-mêmes qui
y naissent autour de celles de Jésus-Christ Mondains,
vous les voyez, mais vous ne voyez qu'elles; et accoutumés
à succomber sous le poids d«-s vôtres, vous ne considérez
pas les onctions célestes qui rendent 1rs le ule-
ment faciles à soute. lir, mai; agréables a | oiter : le calice
du Calvaire fut amer pour Jésus-Christ, mais, adouci par
sa grâce, il a perdu son amertume pour elles; leurs cœurs,
satisfaits, y trouvent une doucem que n'oni fias vos plai-
srs; edes y puisent celte satisfaction pure qui, répandue
sur leur vie, change en agréments qui les llaiteut les
peines qui vous épouvantent : Cuti.i meus inebr ions quant
prœclmus est!
Les richesses du Calvaire soûl la liberté d'un esprit su-
périeur aux préjugésdu monde, l'indépendanca «i'un e i ai
victorieux des passio s du inonde, la douce tranquillité d'une.
âme affranchie de l'esclavage du mi nde, la paix in'.érieurn
d'une conscience exemple des iroubles « t du crime qui les
produit, les douceurs d'une so iéléoii les agréments régnent
avec les vertus; les richesses du (Calvaire sont la fervf ur de
l'émulation, le secours des exemples, l'éloigneiuciii des
s andales, le méprisdes plaisirs de la terre, i •• des
consolalions céles'es, une seule volonté, celle de la règle,
un seul goût, celui du devoir, et tout ce qui assure le re-
pos de la vie accompagné de lout ce qui i n lai; la sainteté.
Voilà, partisans du monde, « e que j'y appelé les
ses du Calvaire, bien différentes de celles dont l'acquisi-
tion excite vos «lésirs, dont la possession, mêlée d'inqoi '•-
tudes, vous rend véritablement malheureux par l«s obsta-
cles que vous rencontrez pour les acquérir, par les peines
que \ous prenez pour les conserver, par le désespoir que
vous éprouvez lorsque vous les avez perdues. Ici. de ri
chesses d'un prix inestimable qu'il ne faut que désirer sin-
cèrement pour obtenir, et dont la possi-sion lait la i lus
douce satisfaction de l'iuie religieuse qui sait eu faire
usage.
Aveugles sectateurs de ce monde séduisant, accoutumés
à ne juger que d'après ses pré vent ions, vous ne mu
re/ pas qu'on puisse trouver une vraie satisfaction dans un
état qui interdit la recherche de vos plaisirs ; mais v« 1 1
ignore/, quelles sont les délices dont Dieu réconipen-
i ice qu'on lui fut de soi-saêOM.
Quel Spe laele pour vois, si je pouvais TOUS peindre
dois tout son éclat ce commerce des .in.es du ciel et «t1 s
vierges di- la terre! Attentifs, les uns à recueillir les pri -
res pour les porter au Irène du Dieu vivant . les suin s i
rendre digues «lu Dieu v ivant les prières dont Phoniu
doit être porté à son trône ; unissant leurs voix pour chan-
ter ses louanges, leurs volontés pour exécuter ses ordres,
leurs cœurs pour rei grâces; le craignant sain
alarmes, le cherchant sans trouble, le 'possédant sans in-
quiétude, el trouvant un u'oùl de la félicité qui les aiie.id,
naos celui des devoirs qui lesj conduisent.
J'ai ajouté, richesses dont l ire le bonheui dt
reux qui les ci nservei t. I « -s biens de la I si fai-
bles eu eux-mêmes, s'affaiblissent encore par le leiiq s, et
se dégradent de j«>ur en jour entre les m nus de i eux <|ui
4209
TABLE DES MATIERES
210
les possèdent : l'habitude en diminue l'attrait, l'usage en
dégoûte, l'abus les épuise, et avec eux passe la félicité
qu'on s'en était promise; mais les biens dont nous parlons,
aussi solides que la religion qui les procure , images de
ceux que le ciel promet, se renouvellent par l'usage qu'on
en l'ait, s'accroissent à mesure qu'on les emploie, se mul-
tiplient à proportion des besoins qu'on en a; et, loin que
cequ il en coiUe pour les acquérir diminue leur prix, leur
prix augmente par les devoirs qu'on remplit p.iur les mé-
riter: ajoulerai-jeau sentiment délicieuxdu bonheur qu'on
trouve dans eux, l'espérance, j'ai pensé dire, l'as-,urance
plus délicieuse encore de celui qu'on attend par eux?
Là une âme fervente, qui aime sa règle, peut se pro-
curer toute la certitude qu'il est possible d'avoir dans
cette vie, qu'elle aime Dieu et qu'elle en est aimée. Hom-
mes engagés dans le monie, hommes chrétiens et même
vertueux, vous craignez jusque dans vos bonnes œuvres,
parce que,maîtres de vos volontés, vousn'êtes pointassurés
de faire celle de Dieu; vous ne savez pas si a ses yeux vous
êtes dignes d'amour ou de haine : Nescil homo utrum
amore an odio dignus sit. Mais l'âme religieuse peut se
dire a elle-même : Si je connais assez clairement ce qu'est
Dieu en lui-même, si j'éprouve assez vivement le senti-
ment de ce qu'il a fait pour moi, si je rends assezde jus-
tice a ses droits et assez de retour a ses bienfaits pour ne
vouloir point d'autre maître que lui, pour le préférer à
tout ce que j'ai de plus cher, pour renoncer à mes propres
désirs, pour soumettre ma volonté à celle des supérieurs,
qui me le représentent, et captiver mes penchants sous la
règle qu'il a inspirée lui-même dans l'état où il m'a con-
duite, puis-je douter que l'amour de ce Dieu, si authen-
tiquement préféré, ne règne dans mon cœur, et que ce
Dieu, si parfaitement aimé, ne daigne à son tour me faire
régner sur le sien? Non, la terre et le ciel lui-même
n'offrent que lui qui mérite mes regards, qui excite mes
désirs, qui (ixe mes sentiments. Ah! chrétiens, quel avan-
tage pour une âme sensible et vertueuse de pouvoir ré-
soudre ce problème effrayant en sa faveur, par la double
assurance que sa fidélité lui donne d'aimer Dieu et d'en
être aimée !
Cet avantage sera le vôtre, ma chère sœur... Approchez
avec confiance de cet autel où le Dieu que vous cherchez
vous attend. Votre esprit, ami du vrai, a toujours été en
garde contre les erreurs, là est un oracle sûr dont les vi-
ves lumières éclaireront toutes vos pensées; votre âme,
noble et sensible, engage sa fidélité, la e?t un époux fi-
dèle dont la constante tendresse méritera tous vos senti-
ments; votre cœur généreux sacrilie toutes les grandeurs
de la terre, là est un souverain tout-puissant dont la cou-
ronne deviendra la vôtre. Oracle sûr, c'est Jésus-Christ,
le Dieu de la vérité, qui vous instruira : Ibi loquitur Cliri-
îlus; époux fidèle, c'est Jésus-Christ, le Dieu de la fidé-
(1) Son Excellence l'archevêque de Damas, nonce apos-
tolique.
(2) Le pape a accordé à l'ordre eulier des Carmélites de
lité, qui vous chérira : Ibi amat Cbristus; Souverain tout-
puissant, c'est Jésus-Christ, le Dieu de la gloire, qui vous
couronnera : Ibi coronul Clirhtus.
Entrez dans cette maison sainte, le séjour delà paix,
l'asile de la justice, le sanctuaire de la sagesse : montez
sur le Carmel, où vous attendent les vierges qui l'habitent
avec les vertus : Ascende in Carmelum; faites-en la gloire
par la constance de vos sentiments, comme vous la laites
aujourd'hui par la grandeur de votre sacrilice : Décor Car-
rneli. Si l'austérité de la règle qu'on y pratique y retrace
les rigueurs de Calvaire, souvenez-vous que ces rigueurs,
préférées à toutes les douceurs que vous pouviez goûter
dans le monde, vous y produiront des richesses préférables
à toutes celles que le plus grand monde pouvait vousoffiir.
Et vous, saintes barrières qui séparez l'empire de Jésus-
Christ de celui du monde, ouvrez-vous, recevez l'illustre
conquête que le siècle est forcé de céder à la religion.
Puisse le trésor de vertus qu'elle y porte augmenter sans
cesse par l'exemple de celles qu'elle y verrai Puisse sa
grande àme, renouvelant chaque jour l'offrande qu'elle
fait d'elle-même à Jésus-Christ, mériter que ce divin Sau-
veur renouvelle aussi chaque jour en sa faveur le bonheur
que j'annonce de sa part ! Puissent tous vos jours, ma chère
sœur, ressembler à celui qui éclaire votre entrée dans le
sanctuaire ! Je compterai parmi les plus beaux de ma vie
celui où, chargé du ministère de la parole, j'ai l'honneur
de servir d'interprète aux sentiments de votre cœur et
d'être l'organe des miséricordes du Seigneur.
Ministre (1) du saint pontife que la religion a placé sur
le premier siège du monde, et qui en relève l'éclat par
celui de ses vertus, quelle consolation pour vous de pré-
sider de sa part et en sod nom à une cérémonie aussi au-
guste, aussi sainte, aussi intéressante pour tout le monde
chrétien! Frappé d'un événement qui tient du prodige et
dont la gloire rejaillit sur son pontificat, le chef de l'Eglise
veut contribuer autant qu'il est en lui à la célébrité de ce
grand jour. Quels heureux succès ne doit-on pas attendi o
d'un engagement contracté sous d'aussi respectables aus-
pices? Oui, nous espérons tous que les prières du vicaire
de Jésus-Christ, jointes aux grâces dont il vient d'ouvrir
le trésor (2) et aux vœux que vous formez vous-même,
vœux que votre 7èle et votre piété rendent si dignes d'êiro
exaucés, attireront de nouvelles bénédictions sur l'auguste
victime qui se sacrifie avec tant de courage.
Contentez donc sa sainte impatience; hâtez-vous de voi-
ler des yeux qui, déjà fermés au monde, ne veulent plus
s'ouvrir que sur la croix de Jésus-Christ, y contempler
l'époux adorable qu'elle choisit, le parfait modèle qu'elle
se propose, le guide infaillible, qui, du sauctuaire de sa
grâce, la conduira dans celui de sa gloire, où puissions-
nous tous arriver avec elle. Ainsi soit-il.
France une. indulgence plénière pour le jour de la prise
d'habit de Madame Louise-Marie de France.
TABLE DES MATIERES.
Notice sur Bégault. 9
PANEGYRIQUES, SERMONS ET DISCOURS CHOISIS
DEBEGAULT.
Panégyrique de saint Louis, roi de France. Ibid.
de saint Thomas d'Aquin. 26
— de saint Roch. 39
— de saint Jacques le Majeur. 52
Sermon pour le dimanche de la Quinquagésime. — Sur
les désordres du carnaval. (18
Sermon pour le cinquième dimanche d'après la Pente-
côte.— Sur l'hypocrisie. 82
Sermon pour un synode. 97
Discours pour la bénédiction d'un mariage. 110
Discours sur la douceur de l'esprit. 118
Notice sur Dom .Ikhôme. 127-128
SERMONS DE DOM JEROME.
Sermon pour la fête de tous les saints. Ibid.
Sermon pour le jour des morts. 138
Sermon pour le premier dimanche de l'avenl. — Sur le
jugement et la vigilance chrétienne. 149
Sermon pour le deuxième' dimanche de l'avent.— Sur le
.'luxe. . 100
Sermon pour le troisième dimanche de Pavent.— Sur le
même sujet. 171
Sermon pour le quatrième dimanche de l'avent— Sur la
pénitence. 181
Sermon pour le jour de Noël. 192
Sermon pour la fête de saint Jean évangélistn. 202
Sermon pour le premier >our de l'année.— Sur |:> néeca-
silé de mener une vie remplie et occupée; moyens pour
vivre de cette manière dans tous les étals. 213
Sermon pour la fêle de sainte Geneviève. 225
Sermon pour la fête de 1 Epiph. de Notre-Seigneur.237
Sermon pour le quatrième dimanche d'après l'Epipha-
nie. 245
Sermon pour le dimanche de la Scpluagésime.— Sur
l'aumône. 256
Sermon pour le dimanche de la Quinquagésime. — Sur
les plaisirs. 208
Sermon Ier pour le jour des Cendres.— Sur la pensée
de la mort. 2S0
Sermon II pour le mercredi des Cendres. — Etat du pé-
cheur en lui-même. 294
Sermon pour le. jeudi d'après les Cendres.— Des devoirs
envers les domestiques. 302
Sermon pour le vendredi d'après les Cendres.— Conser-
ver la charité fraternelle. 317
Sermon pour le premier dimanche de carême.— Sur la
tentation. 330
Sermon pour le lundi de' la première semaine de ca-
rême— Delà tentation. 341
Sermon pour le mardi de la première semaine de ca-
rême.—Sur les devoirs des pères et mères envers leurs
enfants. 353
Sermon pour le jeu Ji de la première semaine de ca-
rême.— Sur la prière. 3sf(
Sermon pour le samedi de la première semaine de ca-
rême.—Sur la gloire éternelle. Wi
38*
1211
I \isi.i. DES MATIERES.
121*
Sermon pour le deuxième dimanche de carême. !
ter Jésus-Christ Comme noire unique docteur. 387
Sermon pour le lundi de la deuxième semaine de e>-
rême.— De la mort dans le péché.. B96
Sermon pour le mardi de la deuxième semaine de ca-
rême. — Sur le malheur de l'état des riches selon le
monde. 408
Sermon pour '.e jeudi de la dcuiièmc semaine de c i
rême. — Des supplices du pécheur. 422
Sn mou pour le samedi de la deuxième semaine de ca-
rême.—Sur la médisance. 432
Sermon pour le troisième dimanche de carême.— De
l'amour de Dieu. 411
Sermon pour le lundi de la troisième semaine de ca-
rême.- -De l'amour de Dieu. 4:;i
Sermon pour le mardi de la troisième semaine de ca-
rême.—De la correction, fraternelle. 403
Sermon pour le mercredi de la troisième semaine de
carême.— De la vraie dévotion. 473
Sermon pour le jeudi de la troisième semaine de ca-
rême.— Sur l'usage des maladies. 485
Sermon pour le samedi de la troisième semaine de ca-
rême.— De la mort dans le péché, parce qu'il y a peu de
chrétiens qui ne vivent dans le péché. 495
Sermon pour le quatrième dimanche de carême. — Sur
l'aumône. 505
Sermon pour le mardi de la quatrième semaine de ca-
rême.— De la préparation prochaine a la mort. 513
Sermon pour le jeudi de la quatrième semaine de ca-
rême.—Sur les caractères de la mort de l'Urne. 525
Sermon pour le vendredi de la quatrième semaine de
carême.— Sur la résurrection de l'âme. 539
Sermon pour le samedi de la quatrième semaine de ca-
rême.—De la modération de la douleur dans la mort de
ses proches. 551
Sermon pour le dimanche de la Passion.— Des disposi-
tions nécessaires pour approcher de l'eucharistie. 561
Sermon pour le mardi de la Passion.— De la nécessité
d'interrompre les affaires temporelles pour penser à celle
du salut. 574
Sermon pour le mercredi de la Passion.— Crimes d'une
femme du monde dans Madeleine pécheresse. 587
Sermon pour le jeudi de la Passiou. — Retour d'une fem-
me du monde dans Madeleine pécheresse. 600
Sermon pour le dimanche des Rameaux— De l'examen
de conscience. CI 1
Sermon pour le lundi.de la semaine sainte. — Disposition
du pénitent pour recevoir l'absolution. 621
Sermon pour le jeudi saint. — Sur la cérémonie de l'ab-
soute. ', 653
Sermon pour le vendredi saint.— Sur la Passion. " 642
Sermon pour le jour de Pâques. — Caractères d'une
vraie conversion, marqués dans la résurrection de Jésus-
Cbrist. 663
Sermon pour le lundi de Pâques.— Sur l'état de Jésus-
Christ ressuscité, modèle de notre résurrection. 675
Sermon pour le mardi de Pâques. — Sur les conversa-
tions. 681
Sermon pour le dimanche de Quasimodo.— Sur la né-
cessité d'être uni à Jésus-Christ souffrant. 694
Sermon pour le jour de l'Annonciation.— Sur les quali-
tés de Marie dans le mystère de ce jour. 706
Sermon pour le jour de l'Ascension.— Sur le mystère
que l'Eglise propose en ce jour. 716
Sermon pour (e jour de la Pentecôte.— Sur le mystère
de la descente du Saint-Esprit. 725
Sermon pour la fête du très-saint sacrement. —De
l'excellence de l'adorable eucharistie. 733
Sermon pour le dimanche dans l'octave du saint sacre-
ment.— Du crime de la profanation de l'eucharistie. 745
Sermon pour le jour de l'octave du saint sacrement. —
Des conditions du bon usage de l'eucharistie. 7,'i:i
Sermon pour le jour de l'Assomption.— De la dévotion
à la sainteVierge. 766
Sermon pour le dix-huitième dimanche après la Pente-
côte.— Sur l'évangile du paralytique. 776
Sermon pour la fête de sa ni Maur, abbé(15janvier). 7*7
s. mion pour la fêle de la Conversion de saint Paul (25
janvier). 794
Sermon sur les grandeurs de Jésus-Christ (28 jan-
vier). 806
Sermon pour la fêle de saint Sévcrin (11 février). 818
Sermon pour la fêle de sainte Clotilde (S juin).
Sermon pour la fête de saint Jeau-Dapjisle (24 juin).
856
- rmoa pour h fête de sainte Madeleine (2S juillet). -
serumu pour i< ht do sainte Elisabeth (19 notetB-
856
ducoom moi m tanum h mu joc»s.
Prière avant la retraite.
Premier discours.
II. 873
III
I\.
V. -I
VI. 897
VII. 904
VIII. '.m
Prière pour la fin de la retraite. '.14
Sermon pour la solennité des sainis de l'ordre. 915
Sermon pour la vêlure d'une religieuse. ''ï">
Sermon 1" pour une profession. 932
Sermon II pour une profession. 941
sonumm m n -ir, «ca roi h m mocramt.
I. Se reconnaître pécheur.
II. Se reconnaître digne de la mort. /'ni.
III. Accepter l'arrêt de la mon. Ibid.
IV. Lire bien aise que cet arrêt de mort ne s'exécui-
que par parties.
V. Désapprouver toutes les dispositions contraires à est
abandonuement. Itid.
VI. Désirer Dieu et son royaume. lbtd.
VU. S'unir à Jésus-Christ, pour qu'il nous offre a son
Père. 947
VIII. Attendre en paix le moment de Dieu et la c n-
sommalion du sacrifice. 948
Notice si r Nesjiond. 947-918
SERMONS, BARANGURS, DISCOURS, etc.
DE NESMOND.
Discours I'r prononcé à l'ouverture des Etals de la pro-
vince de Languedoc. 949
Discours 11 prononcé à l'ouvei ture de l'assemblée des
Etals de Languedoc. ■',;8
Discours III prêché aux Etats de Languedoc. 988
Discours IV prononcé à l'ouverture de l'assemblée des
Etats de Languedoc. 1009
Lettre pastorale de M. de Nesmond.én'que de Moniau-
ban, aux nouveaux caiholiquesde son diocèse. 1028
Première harangue au roi Louis XIV, en 1694, au nom
des trois Etals de la province de Languedoc 1062
Harangue II au même, en 1700, pour la clôture de l'as-
semblée générale du clergé en France. li>»,,'i
Harangue III au même, pour la clôture de rassemblée,
du clergé de 1711. 1071
Harangue IV au même, pour l'ouverture de l'assemblée
énérale du clergé, en 1715.
Harangue au dauphin. I "s 1
Discours prononcé au sacre et couronnement du roi
Lous XV li'so
Harangue au roi Louis XV, < n 1725, pour I
générale du clergé de France. D>84
Compliment aux commissaires du roi Louis XV à l'as-
semblée du clergé. 1088
Réponse au compliment du prévôt des marchands et
échevins de Paris à l'assemblée du clergé. 1089
Mandement pour demander a Dieu, par de nouvelles
prières publiques, d'être préservé des maladies conta-
gieuses. 1000
Notice si r Poncet delà Rivière (Mallbi. s). I H
ORAISONS FUNF.RRKS DE PONCET DE LA RIVIERE.
Oraison funèbre de Marie-Thérèse infaute d'r-,
dauphins.
— — de Catherine Opalinska, reine de Po-
logne. 1109
— — de Madame Anne-Henriclte de France.
1122
— — de Madame Louise-Elisabeth de France,
lofante d'Espagne, duchesse de Par-
me, Plaisance et Goastalle. Il "4
— — d'Elisabeth Farnèse, reine d'Espagne
. t des Indes. 1 1 i »
— — de Marie, reine de Franco 1 1 de Na-
varre. 1163
— — de Louis XV, roi de France cl de Na-
varre. Il Si
Discours pour la prise d'habit de Madame Louise-Marie
de France. 1199
B
FIN DU TRENTIEME VOLUME.
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date Due